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Science et philosophie : la fondation d’une Cpistdmologie ouverte par Valerio TONINI Un discours actuel sur les rapports entre la science et la philosophic doit se poser avant tout, explicitement, comme discours historiquement caractbrise. Cette convenance ne s’impose pas d’emblte. Une mttaphysique des cattgories - par ex., la methaphysique kantienne - pourrait, au contraire, exclure que l’on puisse atteindre en quelque manikre, sur la base d’expkriences temporelles, des concepts pouvant valoir comme principes d’une thtorie de la connaissance qui, pour &re telle, doit avoir rapport, comme partie, A un logos universe1 et tternel. D’autre part, tous les efforts pour realiser la plus grande rigueur en mathtmatiques, accomplis au lge sihcle, comme aussi les efforts de toute logique symbolique, ou la tentative gentreuse de 1’EncycZopedia und Unified Science, ne visaient-ils pas, en definitive, h retablir les termes d’une connaissance abstraite qui pQt exprimer de manikre uni- voque, dans un langage unifik, le substrat indispensable dont on prk- sume qu’il doit &re A la base de toute physique possible, c’est-8-dire de toute science de la nature? Toutefois, encore le 4 avril 1955, Albert Einstein, quelques jours avant sa mort, declarait dans son dernier h i t , que nous pouvons consi- d h e r comme son testament spirituel : N Die letzteren, fluchtigen Bemer- kungen sollen nur dartun, wie weit wir nach rneiner Meinung davon ent- fernt sind, eine irgendwie verlassliche begriffliche Basis fur die Physik zu besitzen. m 1 No- devrions penser que les profondes raisons d’inquiktude ressen- ties par Husserl en 1935, envisageant la crise des sciences comme crise Dialectica Vol. 26, No 2 (1972)

Science et philosophic: la fondation d'une épistémologie ouverte

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Science et philosophie : la fondation d’une Cpistdmologie ouverte

par Valerio TONINI

Un discours actuel sur les rapports entre la science et la philosophic doit se poser avant tout, explicitement, comme discours historiquement caractbrise.

Cette convenance ne s’impose pas d’emblte. Une mttaphysique des cattgories - par ex., la methaphysique kantienne - pourrait, au contraire, exclure que l’on puisse atteindre en quelque manikre, sur la base d’expkriences temporelles, des concepts pouvant valoir comme principes d’une thtorie de la connaissance qui, pour &re telle, doit avoir rapport, comme partie, A un logos universe1 et tternel.

D’autre part, tous les efforts pour realiser la plus grande rigueur en mathtmatiques, accomplis au lge sihcle, comme aussi les efforts de toute logique symbolique, ou la tentative gentreuse de 1’EncycZopedia und Unified Science, ne visaient-ils pas, en definitive, h retablir les termes d’une connaissance abstraite qui pQt exprimer de manikre uni- voque, dans un langage unifik, le substrat indispensable dont on prk- sume qu’il doit &re A la base de toute physique possible, c’est-8-dire de toute science de la nature?

Toutefois, encore le 4 avril 1955, Albert Einstein, quelques jours avant sa mort, declarait dans son dernier h i t , que nous pouvons consi- d h e r comme son testament spirituel : N Die letzteren, fluchtigen Bemer- kungen sollen nur dartun, wie weit wir nach rneiner Meinung davon ent- fernt sind, eine irgendwie verlassliche begriffliche Basis fur die Physik zu besitzen. m 1

No- devrions penser que les profondes raisons d’inquiktude ressen- ties par Husserl en 1935, envisageant la crise des sciences comme crise

Dialectica Vol. 26, No 2 (1972)

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radicale de vie de l’humanitk europtenne, auraient t t t valables encore en 1955. I1 est fort croyable qu’on puisse faire remonter Q ce manque de fondements le fait qu’on a laisst libre voie, d’une part, aux philoso- phies existentialistes ou phtnomtnologiques, et d’autre part, A l’expan- sion du dogmatisme marxiste.

Tous ces probltmes peuvent se condenser en un dilemme : crise de la science ou crise de la philosophie?

C’est A ce point que se pose la question sptcifique de Gonseth : u L’idte de fonder cette science rtelle, active, cette science vivante,

cette science en marche, a-t-elle un sens ? H Cette question est A l’origine d’un tcrit intitult ZZ ne saurait itre

question de tenoncer, publit dans un cahier de *La Nuova Critica H qui porte le titre trks significatif : Apr2s Ze nko-positivisme. *

Certes, personne d’entre nous n’a I’intention de renoncer h ce qu’il a appris par les recherches de l’empirisme logique ; mais nous n’avons pas non plus l’intention de nous laisser enfermer dans les schtmes d’un modkle exclusif, mCme si ce modkle ttait construit avec la sagacitk d’un Popper, d’un Hempel ou d’un Ashby.

Eh bien, ce fut juste au moment de la plus grande incertitude que Ferdinand Gonseth indiqua le chemin susceptible de nous mener, des rtalisations toujours plus grandioses de la technique, A l’exigence impres- criptible de la rigueur rationnelle. Autrement dit : rtunir dans un sys- tkme philosophique idoine les thtories empiriques et les theories axio- matiques, qui sont les deux termes entre lesquels la science se meut.

I1 est important d’ajouter une chose que nous mettrons plus en tvidence 2 i la fin : dks lors Gonseth ttait mG, plus que par une exigence de logicisme, par une profonde aspiration morale A crter un mouvement culture1 capable de mettre en lumiere les plus fines nuances des rapports entre recherche empirique et exigences de rationaliti.

Quand Gonseth dtcrivait, avec une incomparable elegance d’expres- sion, les rapports ttroits qui existent entre la recherche rkelle et u le rythme d’une progression (en principe non prtdicative) de situation de connaissance en situation de connaissance H s, il dtcouvrait ce que nous avons retrouve dans la dttermination des niveaux progressifs d’infor- mation sur lesquels se constitue la conception d’une thiorie de l’appren- tissage, telle qu’on la congoit dans I’Cpisttmologie moderne. En pour- suivant maintenant ce discours, je ne pourrai pas, Cvidemment, citer continuellement les tcrits de F. Gonseth ; mais il est clair que tout mon expost est &inspiration gonstthienne, car Ferdinand Gonseth est vrai- ment all4 au-devant de nos pressantes requCtes de techniciens qui,

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ayant obtenu d’une part, dans leur travail, des rtsultats concretement valables, se sentaient, d’autre part, alitnks par une science pure qui, justement par le fait d’ctre rigoureusement formelle, finissait par &re essentiellement hypothttique, dtductive, tautologique et enfin conven- tionnaliste. Dans la philosophie ouverte de F. Gonseth, nous avons ceconnu presque un dtfi A une excessive tendance A la symbolisation, pour retrouver les raisons humaines des choix et des dtcisions, scienti- fiques et technologiques, qui vont au-deli du contenu de chaque sys- ttme fini de symboles et d’algorithmes.

Ayant dit cela, je n’htsite pas A affirmer que la reconstruction kpisttmologique, c’est-&-dire la formation d’une thtorie de la connais- sance, a aujourd’hui au moins trois motifs constitutifs sans lesquels elle serait historiquement inconcevable, et qui sont : en physique, le crittre de compltmentaritk de Niels Bohr ; en psychologie, l’tpistkmologie gknktique de Jean Piaget ; en philosophie, comme il est maintenant bien clair, l’itintraire pbilosophique de Ferdinand Gonseth 4.

Ce sont des thkmes universellement connus, sur lesquels il n’est pas besoin que j’insiste, mais que je crois ntcessaire de declarer explicite- ment afin que le discours suivant ne soit pas tquivoque.

Je me limiterai B preciser que le principe de compltmentaritt de Niels Bohr a eu besoin de trouver une formulation plus rtaliste que celle qui avait ttC adoptCe d’abord par 1‘Ecole de Copenhague.

Sur la base des motivations historiques Cnonctes, le rapport entre science et philosophie est devenu lui-m&me un objet de recherche scien- tifique : comme rapport entre explication scientifique et connaissance naturelle. C‘est ainsi qu’il se constitue comme science de la connais- sance : tpistkmologie.

* * *

De quelle manikre l’tpistkmologie se prtsente-t-elle aujourd’hui comme science autonome ?

Nous possedons dtj& une technologie qui se prksente comme science autonome de la praxis, concrktisbe dans ce qu’on appelle maintenant la science des systkmes (system approach).

De cette science des systkmes, l’approche cybernttique constitue une partie essentielle qui a atteint un haut niveau d’abstraction, mais qui, toutefois, n’est pas issue de l’episterne, c’est-A-dire de la connaissance axiomatique, mais de la techne, art doptrer.

En consequence de cette approche, le concept meme d‘algorithme comme processus logique s’est klargi de fagon i comprendre toute SUC-

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cession bien ordonnte d’opkrations exactement descriptibles dans un langage qui peut &re non seulement formel et prkdicatif, mais aussi normatif.

C’est juste A ce moment que nous pouvons donner une dkfinition de la cybernktique, comme science des processus d’information ; et prtcisk- ment, comme science des processus sur lesquels il est possible de fournir des informations grbce auxquelles les variations successives du systeme peuvent Ctre distingutes, ordonnkes, contrblkes et programmkes dans la mesure oh l’kvolution de ce syst6me ne depend pas seulement de diffk- rentes actions causales ou bien de prockdks statistiques ou stochastiques, mais de toute l’histoire du systkme, mtmoriske A des niveaux d’infor- mation progressifs, Claborks par le systtme meme.

A partir de cette dkfinition de la structure cybernktique on a pu commencer A traiter de processus de nature kvolutive, c’est-A-dire de processus douts de mkmoire, dans lesquels l’tvolution h partir d’une certaine configuration est en fonction de toute l’histoire antkrieure A cette configuration.

Cela a fini par obliger A une recherche sur le passe qu’on peut appe- ler, si l’on veut, une recherche de paltocybernktique, laquelle se rattache naturellement aux questions de biologie, d’information gknktique et de Giologie moltculaire.

Je dirais que c’est justement pour sa double constitution - techno- logique et palCo-anthropologique - que la recherche sur les processus d’information a pu prksenter ses schtmes explicatifs dans un langage skmantiquement rigoureux, aussi bien que pragmatiquement efficace. Par consequent, les vieilles dichotomies entre connaissance et action, entre episteme et techne, entre la singularit6 de l’ivknement et la nomo- logie du systkme scientifique, entre objectivitk et subjectivitk de la connaissance, sont B considkrer comme pkrimtes.

Donc, sans avoir besoin d’hypothkses ktranghes Q notre mkthodo- logie optrationnelle - cela aussi, c’est un principe typiquement gonsk- thien -, on peut faire maintenant le point, en dkclarant explicitement le niveau de connaissance oh l’on est arrive.

Enfin, la mkthodologie doit bien, A un certain moment, se conclure en une kpistkmologie. La mise en ordre du niveau atteint fait partie de la mtthodologie d’information mCme. C’est lh une nkcessitk que la science doit s’imposer de temps en temps.

Quel est l’ttat actuel de nos connaissances sur ce que Descartes appelait le res extensa, et que nous croyons mieux dksigner par le nom grec de physis, de Nature?

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Les schemes d’explication de la rtalitk, selon une formulation donnke par la thkorie des processus, peuvent se grouper en quatre classes typi- ques de modeles 5.

1) Systemes dkterministes ou, en termes du langage commun, cau- saux (qui intkressent les processus pour lesquels on admet la dkcompo- sition et la recomposition des effets).

2) Systemes probabilistes ou stochastiques (qui sont des systtmes identifies par la loi des grands nombres).

3) Systemes indktermints (c’est-A-dire systkmes qui admettent la non-commutation des opkrateurs).

4) Systemes cybernktiques (ou, si vous voulez, informationnels).

Cela signifie que la rkalitt n’est pas reprksentable par un systtme explicatif unique, mais qu’elle est contr6lable moyennant la combinai- son de quatre moddes alternatifs.

Cela implique la renonciation definitive A la conquete d’un modele unique du monde, d’une mathesis universalis, d’une caracttristique uni- verselle, telle que Spinoza la cherchait encore, la renonciation B une logique et B une mkthodologie absolue qui rtgle Ies modalitks de toutes sciences possibles.

I1 ne s’agit pas, d’ailleurs, de quatre paradigmes donnks A priori. On a construit chaque classe de modkles en groupant de longues series d‘expkriences et de sciences thkoriques qui different aussi entre elles (comme, par exemple, les modkles statistiques de Boltzmann, de Fermi- Dirac, de Bose-Einstein, etc.). Leur gCnCralitt est, A son tour, le rksultat d’un long processus d’information.

En rCsumC : la rkalitt, vtcue par l’homme et directement connue par h i dans son existentialitk, pour recevoir une explication scientifique, exige l’emploi conjuguk de quatre schhmes dont l’application contrblke doit &re CvaluCe et dkcidke sur ta base d’expkriences qui sont likes entre elles par le meme processus de choix, de stlections, d’autorkgu- lations qui, ensemble, forment progressivement ce que nous appelons brievement information anthropologique.

11 est clair que le principe de complkmentaritk de Niels Bohr, qui regarde l’antithese entre continuitk et quantification, a ktk ktendu A toutes les relations processives. En outre, on a ajoutk les processus d’in- formation pour identifier les structures dont l’kvolution diachronique ne peut &re dkcrite en termes seulement knergktiques. Enfin, rappelons-

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nous que la combinaison de doctrines compltmentaires n’est pas seule- ment une donnke logique, mais que sa validitt doit Ctre prouvke par des actions rtelles de contrble.

De meme, il est certain que je ne peux pas recevoir de l’exttrieur des informations plus precises que celles que permet le quantum d’action de Planck ; et je ne puis recevoir non plus des informations avec une vtlocitt plus grande que celle de la propagation des phknomhnes tlec- tromagnttiques. Toute action observable et, par conskquent, toute infor- mation, se tient dans ces limites.

Ce seraient 1Q aussi des limites infranchissables si nous dtfinissions (( connaissance >> comme I’ensemble des theories, connues et inconnues, qu’il est possible de construire pour modeler tout processus selon des prockdes de contr6le et de prtvision.

Dans ces limites physiques, l’affirmation de vtritk a le sens dune c( modelation 2) possible - ne ffit-ce que conceptuelle - de la rtalitk, car la raison humaine est, toute et seule, information et mesure d’actions rtelles.

Eh bien, voilQ justement le point dtcisif. L’unitt de la connaissance ne se trouve pas, objectivement, dans une mathesis universalis unique, mais dans le processus de rationalisation qui est arrive au point de pouvoir conjuguer entre eux tous les systkmes d’explication possibles.

Le fait d‘avoir su renoncer Q l’ideologie du systkme unique et d’avoir r h s i ili accomplir le dessein (disegno, design) d’un apprentissage scien- tifique bast sur l’emploi conjugut de systemes pour interpreter tous les processus naturels est, dans mon opinion, la conquCte de la pensee moderne qui a permis de formuler une episttmologie comme science autonome.

Autrement dit, la science des processus, qui a prouve sa puissance interdisciplinaire par une amodelation,, parfaitement abstraite des prock- des optrationnels, dCmontre ce que la science pure et la logique for- melle n’ont pas encore ose affirmer : la constitution progessive d’une rationalitt fonctionnelle (que nous prtcisons aujourd’hui comme ratio- nalitC cybernktique), mtdiatrice entre une rtalitk contingente toujours en devenir, et des schemes virtuels qui constituent, dans leur virtualite, toute connaissance. En ce sens, toute I( physique n est une information qui a dessine )) quelque chose du monde et devient mbtaphysique en tant qu’apprentissage rationnel. I1 est clair que par a physique )) nous enten- dons ici la science de la nature, et par mttaphysique, non pas un A priori, mais une reflexion sur la physique.

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Cette leson peut se conclure maintenant en deux mots : la thkorie des processus informationnels rkalise la virtualitk de la philosophie ouverte de F. Gonseth.

Sa construction obkit aux quatre critkres ktablis dans la mkthodo- gie ouverte de F. Gonseth, que nous pouvons dkjB appeler classiques : les criteres de rtvisibilitk, de structuralitk, de solidaritk, de technicitk.

C’est pourquoi nous pouvons parler finalement d’kpistkmologie comme science autonome, et non plus comme intention philosophique.

Evidemment, on pourrait poser ici une longue skrie de questions, mais nous ne sommes pas en train d’kcrire un trait6 d’tpistkmologie ; et ainsi l’on me pardonnera si je les laisse, toutes, de c8t6. Nous n’avons pu que mentionner en passant les fondements biologiques, gknktiques et physiques de cette science ; mais meme cette fondation palkocyber- nktique, qui peut &re approfondie par de nouvelles recherches, ne dis- pense pas de se poser la question ultkrieure mktaphysique, c’est-h-dire la question qui vient aprks, et non pas avant la science de la physis.

Ce qu’il importe de ne pas oublier, c’est de savoir qu’une tpistkmo- logie en sens moderne doit t tre en meme temps une thkorie de l’appren- tissage et une thkorie de la connaissance : soit, elle doit lier finalement la logique formelle du pens6 (cogitata ratio) avec la dialectique du penser (cogitare) et avec la norme (norno’s) de l’action.

La question mktaphysique est la suivante : est-ce qu’il existe un systkme qui unisse tous les modkles possibles? Ou bien, quel est le systkme qui choisit, qui c( dessine >> toutes les possibilitks explicatives ?

Je laisse en suspens cette question pour en poser une autre. L’kpisttmologie une fois soustraite, qu’est-ce qui reste B la philoso-

phie, laquelle ttait une fois appelke reine des sciences, en tant que science des premiers principes et des raisons ultimes de toutes choses?

Rien, peut-&re. Quelqu’un a dkjA proclam6 la mort de la philoso- phie ; et certainement ce ne sera pas nous qui pleurerons B ces funk- railles, qu’elles soient rkelles ou simultes. Vraiment la philosophie ktait devenue, dans trop de cas, une mktaphysique sans physique.

Mais la philosophie est <( amor sapientiae B ; et dans l’histoire des sciences, B partir des prksocratiques, la philosophie a ktk mere et nour- rice de toutes les sciences. Nous n’aurions eu ni astronomie ni physique nuclkaire, ni biologie molCculaire, si quelque philosophe ionique, si quelque sophiste, si quelque sage oriental n’avait pas commenck B se poser la question de savoir quelles pourraient &re, au-delh de toutes apparences de ce qui est contingent et changeant, les raisons des faits humains.

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Et alors, au bout de presque trois mille ans, nous rkpktons encore une fois la m&me question que Gonseth, lui aussi, s’est posee : (( Que me reste-t-il A faire ? Que me reste-t-il B dire ? Je me vois dans l’obligation de dtgager A nouveau et de reoccuper le territoire que je revendique pour y installer les droits de la personne B se doter d’un statut de moralitt. B 6

Le territoire de la philosophie est celui-ci, et aucun autre : le droit de la personne A se donner une valeur morale B elle.

Cela, et rien d’autre, est le metier de l’homme.

* * %

Je crois qu’on peut maintenant rouvrir le discours mttaphysique. Nous avoas appris, de la technique, de la biologie et de l’informa-

tique, que le principe de causalitt qui a constitut, ensuite, le principe de non-contradiction, n’est pas ne comme principe mttaphysique. I1 est un fait de l’experience brute, ingenue, qui fait partie d u n instinct pri- mordial de da l i t t et qui, avant d’stre information, est de la nature du metabolisme. Une membrane protoplasmique laisse passer ce qui seconde la vie de la cellule et repousse ce qui lui est nuisible. Elle distingue ce qui sert de ce qui ne sert pas ; elle accepte comme vraie la bonne nour- riture et rejette comme faux ce qui n’a pas de valeur pour la cellule ; ce qui n’est pas I( vrai w parce qu’il est mortel.

La raison humaine a cette meme fonction. Cest pourquoi le premier modtle avec lequel l’homme a chercht B expliquer le monde a ete un modtle rigoureusement dtterministe, qui suivait une ntcessite biologique et qui prospectait une harmonie des parties constitutives. C’ttait le modtle qui a construit le Parthenon. Sans ce modtle, nous ne saurions pas aujourd‘hui comment employer une mtthodologie ouverte, et nous ne saurions pas non plus conjuguer entre eux des modkles antithktiques comme ceux que nous avons dtcrits.

J’ai dtjA donnt les prtmisses B la conclusion, dans un article Infor- matzon et explication, publie dans (( Dialectica >>, vol. 24, Nos 1-3 (1970). Je remercie le Professeur Gonseth de m’avoir encourage faire avancer ce discours.

Ce discours n’est rien d’autre que la continuation de la ligne d’tvo- lution par laquelle l’information anthropologique est devenue, elle- m&me, le u dessein n de tous les choix rationnels qui sont assurr5, B chaque Ctat de la structure mentale, par des phases anttrieures d’auto- regulation ; le dessein aussi de ce qui n’est pas, mais qu’on esptre

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rkaliser. C’est pourquoi la cybernktique de la pensCe n’est pas un robot ; c’est la doctrine des degrks de libertk de la raison humaine.

Cette raison est conditionnee par les informations resues, mais n’a pas de limites devant elle. Elle aide la vie de l’homme, mais a aussi la capacitC d’exprimer toutes possibilitks. Cela prouve une profonde con- nexion structurale entre 1’Cvolution du bios et l’holution de tous les Zogoi que l’homme est capable de construire, de verifier, de contriller.

Je sais que parler de l’Homme, cela sonne, aujourd’hui, presque archai‘que.

Mais, devant la dksintegration actuelle de la personne, il faut pren- dre une decision. Celle-ci ne peut provenir que d’une norme, d’un nomds, qui ne peut &re que le suivant : la recherche scientifique de la vkritk co’incide avec les aspirations de l’homme A la liberti..

Que veut dire cela ? Je pense que, pour le comprendre, il est nCces- saire de se rappeler qu’avant l’introduction de la lopique des sophistes. il y avait eu Eschyle, il y avait eu la naissance de la tragtdie grecque : soit, la prise de conscience de la situation humaine entre un Fatum imminent auquel il n’y a aucune possibiIit6 d’kchapper, et la responsa- bilitk des actions que, pourtant, chaque homme doit dkcider daccom- plir : m&me s’il ne connait pas le sort qui l’attend.

A ce sentiment correspond un mot latin : religio, qui provient de religo, lier, assurer ensemble, avec un soin scrupuleux, une charitt f raternelle.

Je ne crois pas qu’il faille chercher une autre raison pour motiver la recherche scientifique, qui est, en soi, une grande conquCte morale et un service fondamental.

NOTES 1 Y Les dernihrcs observations, faites en passant, doivent seulement mettre en

tvidence combien nous sommes loin, A mon avis, de posskder une base conceptuelle de la physique i laquelle nous puissions nous fier en quelque manikre. Y (De la prCface au volume Cinquant’anni di relativitci, publiC par M. Pantaleo, Florence 1955.)

f Cf. uLa Nuova Criticav. cahier VII-VIII. Rome 1958. 8 F-GONSETH, op. cit. p. 12. 4 F. GONSETH. Mon itindraire philosophique, s Revue internationale de Philoso-

5 V. TONINI, Scienza dell‘informazione, cibernetica, epistemologia, ed. Bulzoni, phie >>, No 93-94, 1970.

Roma 1971.

rale R, HayrC-les-Mons (Belgique). 6 F . GONSETH, Morale et mdthode, dans a Revue Universitaire de Science Mo-

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Publications principales de l'auteur : - Fondamenti metodologici della relativitd strutturale, t d . Centro Internazionale di

Comparazione e Sintesi, Rome 1950. - Epistemologia della fisica moderna, Cd. Bocca, Milan 1953. - Cibernetica ed informarione, Cd. Astrolabio, Rome 1961. - Teologia ultima, Cd. Guanda, Parme 1966. - Strutture della tecnologia, Cd. Armando, Rome 1968. - La scienza dell'uomo dalla psicanalisi alla cibernetica, id. Vallecchi, Florence

1969. - Scienza dell'informarione, cibernetica, epistemologia, Cd. Bulxoni, Rome 197 1 .

Valerio Tonini 48, Via Francesco Denza Rome.

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