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LA DÉTERMINATION ASTRALE DE L'ÉVOLUTION SELON LES FRÈRES DE LA PURETÉ Author(s): Yves Marquet Source: Bulletin d'études orientales, T. 44, SCIENCES OCCULTES ET ISLAM (1992), pp. 127-146 Published by: Institut Francais du Proche-Orient Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41608351 . Accessed: 16/07/2014 09:57 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Institut Francais du Proche-Orient is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Bulletin d'études orientales. http://www.jstor.org This content downloaded from 85.255.49.130 on Wed, 16 Jul 2014 09:57:36 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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LA DÉTERMINATION ASTRALE DE L'ÉVOLUTION SELON LES FRÈRES DE LA PURETÉAuthor(s): Yves MarquetSource: Bulletin d'études orientales, T. 44, SCIENCES OCCULTES ET ISLAM (1992), pp. 127-146Published by: Institut Francais du Proche-OrientStable URL: http://www.jstor.org/stable/41608351 .

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LA DÉTERMINATION ASTRALE

DE L'ÉVOLUTION SELON LES FRÈRES

DE LA PURETÉ

PAR

Yves Marquet

Tous les philosophes hellénisants du I Ve/Xe siècle, tous les auteurs ismaïliens médiévaux, ont fait de l'astrologie un élément incontournable de leur système. La plupart des auteurs ismaïliens n'y font que des allusions plus ou moins importantes. Fãrãbl, lui, se borne à exposer de façon systématique le rôle que selon lui les astres jouent dans la création, sans entrer vraiment dans le domaine astrologique. Par bonheur, les "Frères de la Pureté", vraisemblablement après avoir rédigé les épîtres de la 4e section, sauf la 52e et dernière, ont

éprouvé le besoin, pour être plus convaincants, de composer une véritable encyclopédie. Ils ont alors projeté de faire de chaque épître une introduction à une science, donnant les

"principes de cette science" (I, 20 ; IV, 186, 339) l. Ce principe a été à peu près suivi, au moins dans la 1èr® section. Mais en raison de l'importance du rôle joué dans leur système par l'astrologie, celle-ci fait l'objet de développements particulièrement étoffés, rédigés par de vrais astrologues.

Lui sont entièrement consacrées : la 3e épître ( Astronomie , qui prend place dans le

"quadrivium"), et les 16e (Le ciel et l'univers ) et 36e ( Cycles et révolutions) qui visent à la

compléter. Mais dans d'autres, l'astrologie joue un rôle primordial : les 25e (La conception, ou Chute du sperme) et 49e (États des êtres spirituels) ; ou un rôle important : les 5e

(Musique), 20e (La Nature), 38e (La résurrection), 50e (Modes de gouvernement), 52e

(Magie, incantation, mauvais œil), ou relativement important : les ¥ (Géographie), 19e

(Minéraux), 21e (Végétaux), 22e (Animaux), 26e (L'homme microcosme) et 48e

(Prosélytisme). Mais on trouve encore de multiples notations dans d'autres épîtres. Le but

des "Frères" n'était pas d'enseigner la technique, dont ils se bornent à donner quelques exemples dans la 52e épître ; mais c'est une initiation qui y prépare parfaitement et qui, abstraction faite des vues propres à l'ismaïlisme, donne un tableau semble-t-il exhaustif de ce

qu'était l'astrologie proche-orientale au lVe/Xe siècle. J'en ai fait dans ma Philosophie des Ihwãn as-Safá

' une synthèse assez complète, regrettant seulement d'avoir alors cru

nécessaire d'omettre quelques détails. Je me bornerai ici à mettre en valeur le rôle essentiel

que jouait l'astrologie dans la vision du monde propre à nos auteurs.

1. Rasã' il Ihwãn al-Safď, Beyrouth, Dãr Sãdir, 1957, en 4 volumes.

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La chute des âmes Aux yeux des "Frères de la Pureté" (Ihwän al-Safã'), conformément à la conception

néo-platonicienne, il y eut d'abord une "chute" (en fait une descente) des âmes, puis une remontée. Mais la descente elle-même s'est produite en deux phases totalement distinctes.

Il y eut tout d'abord une création instantanée, hors temps et espace, celle des êtres spirituels (descente symbolique). L'influx divin produisit l'Intellect universel (rassemblés comme en un point puisque immatériels et intemporels) contenant les archétypes de tous les êtres et événements futurs de l'univers matériel. L'influx de l'Intellect produisit l'Âme universelle (vivante par essence, active par nature, savante en puissance). De l'Âme, enfin, émana la Matière première (inerte et comme inexistante).

Ce monde spirituel n'était autre que l'instrument de la future création matérielle, soutenu

par l'influx ininterrompu de Dieu et de l'Intellect. Ou plus exactement, l'Intellect charge l'Âme de reproduire dans la Matière les archétypes que transporte son influx.

Cette création matérielle ne commença que beaucoup plus tard par la vraie "chute" des âmes, en réalité une lente descente. Elle sera suivie d'une remontée, beaucoup plus lente encore.

Dès sa création, l'Âme n'avait pu recevoir de l'Intellect qu'une vue schématique des universaux ; et l'Intellect dut lui assurer ensuite, grâce à l'ensemble des archétypes transportés dans son influx, une éducation très progressive, qui, à un moment donné, permit à l'Âme d'entamer l'exécution de sa mission. Elle dut d'abord se scinder en deux facultés : la "tête", sa partie supérieure, et la "queue", ou "Nature", sa partie inférieure. Ensuite, embrassant la Matière première, par simple contact, elle en fit le « Corps du monde », première forme de la matière et la seule qu'elle reçut directement, douée des trois dimensions

(première manifestation de la quantité). Puis, son apprentissage se poursuivit, et « très

longtemps après », elle lui donna la forme sphérique (première manifestation de la qualité). Ensuite, grâce à cet enseignement transmis par l'influx de l'Intellect, l'Âme va se diviser, très

progressivement, en d'innombrables facultés, et parmi elles, les âmes de "genres", d'espèces et d'individus. Ce sont ces facultés qui, correspondant aux archétypes, vont peu à peu donner au « Corps du monde » ses formes. Les facultés de la "tête" (facultés angéliques) produisirent d'abord les neuf sphères célestes : la sphère extérieure, celle des étoiles fixes et du zodiaque, celles de Saturne, de Jupiter, de Mars, du soleil, de Vénus, de Mercure et de la lune (les astres constituent le corps de facultés - ou anges 2 ainsi incarnés si l'on peut dire - , les sphères étant elles-mêmes le siège de facultés). Le bas-monde étant occupé par la queue, ou "Nature", le centre de ce qui devait être la terre fut le terme de la descente des âmes, et c'est là que devait commencer l'épreuve de la remontée, remontée qui va se poursuivre jusqu'à ce que tous les archétypes aient été reproduits dans la matière, c'est-à-dire jusqu'à la fin du monde.

Alors, l'Âme parlante humaine universelle, ou Âme adamique, ou Adam céleste, qui est

aussi, on le verra le Qâ'irn de la résurrection, aura regagné son rang, le troisième, qui vient

après l'Intellect et l'Âme, après avoir déchu, du moins partiellement, jusqu'au centre de la

terre.

2. 1, 145, ép. 3, Astronomie ; m, 190, ép. 32, Les pythagoriciens.

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L'évolution cyclique de la création

Depuis le moment où les sphères et corps célestes ont commencé à tourner, la "remontée", c'est-à-dire la création des êtres du bas-monde matériel, se réalise sous la forme d'une évolution. Les Ihwãn y font maintes allusions, le plus souvent vagues, en un style ésotérique. Quelques phrases pourtant ne laissent pas de place au doute. « Les êtres sublunaires, écrivent-ils [II, 427, ép. 25, Conception ], évoluent [mot à mot "s'élèvent", mutaraqqiyya ] de l'état le plus imparfait et le plus bas au plus complet et au meilleur [...] ». Il

y a selon les Ihwãn « évolution [mot à mot "transformation", istihäla] des êtres corruptibles sublunaires : des quatre éléments les uns dans les autres, des phénomènes météorologiques et

climatiques [source, ne l'oublions pas, de la formation des trois règnes et déjà manifestation de vie], des minéraux, des végétaux et des animaux ». Ils ne laissent plus de place au doute en affirmant (IV, 236, ép. 49, États des êtres spirituels ) que « les animaux les plus beaux et les meilleurs peuvent rejoindre les hommes dans leur supériorité », et surtout quand ils écrivent (II, 183, ép. 22, Animaux) : « Ton âme est une de ces facultés émanées de l'Âme universelle, qui parcourt le monde, en a atteint le centre, puis est repartie [en sens contraire] et s'est sauvée [de la calamité] d'être dans les minéraux, les végétaux, ou les animaux, a

passé le "chemin inversé" ( manküs ), le "chemin courbé" ( muqawwas ) et se trouve maintenant dans un "droit chemin" qui est le plus haut degré de l'enfer, et c'est la forme humaine. » Pour les Ihwãn, la position des êtres est un symbole de la chute et de la remontée. Selon eux, après Platon (et Aristote), les végétaux ont la tête (les racines) dirigée vers le centre de la terre (où sont les minéraux) et le derrière vers le ciel ; l'animal, se redressant, est horizontal, et l'homme a la tête dirigée vers le ciel.

Actions respectives de la Nature et des astres sur l'évolution

L'ambiguïté de certains passages (I, 147, ép. 3, Astronomie et II, 135, ép. 20, Nature), même intéressants (II, 420, ép. 25, Conception), permettrait de penser que, comme pour Färäbi, ce sont les facultés astrales elles-mêmes qui peu à peu construisent les êtres

"composés". Mais de plusieurs passages fort explicites (II, 152, ép. 21, Végétaux ; III, 191,

ép. 32 ; II, 133, ép. 20, Nature ; et surtout II, 419, ép. 25, Conception), on peut déduire que l'âme individuelle est constituée de facultés de la Nature, grossie, progressivement et selon le

besoin, d'autres facultés "naturelles" ; ces facultés de la Nature, illuminées, si je puis dire, par les facultés astrales (à leur tour commandées par l'Âme universelle) lui apportent le modèle des formes à réaliser dans la matière 3. Cette âme individuelle construit son propre corps, prenant elle-même ces formes avant de les communiquer, par simple contact, au corps qui est donc sa matérialisation. L'évolution du corps est réalisée par l'évolution de l'âme. Certains de ces passages, notons-le cependant, permettraient de penser que des facultés astrales peuvent rester dans le corps alliées aux facultés "naturelles". Les Ihwãn auraient-ils hésité ?

Pourquoi et comment se réalise l'évolution

Si la création des êtres du bas-monde se fait sous la forme d'une évolution, c'est parce

que la création matérielle ne peut être que très longue. La nature des êtres sublunaires, écrivent les Ihwãn, « ne reçoit pas l'influx des êtres célestes d'un bloc, mais peu à peu et

3. Selon nombre de passages, les facultés naturelles utilisent les astres comme "outils ; expression impropre, car la Nature, noyée dans la matière "sublunaire", ne pourrait agir sans l'aide des astres.

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progressivement » (II, 427, ép. 25, Conception), « [...] dans le temps et dans un ordre déterminé » (II, 8, ép. 15, Matière et forme ; III, 469, ép. 42, Opinions et religions ). D'une manière analogue à celle de Fârâbl, les Ihwãn expliquent (II, 154, ép. 21, Végétaux ) que la Matière première peut recevoir n'importe quelle forme ; mais les "matières secondaires" (ayant déjà une forme) ne reçoivent chacune leurs formes qu'en fonction d'essences déterminées. Ils donnent l'exemple d'un mélange de terre et d'eau d'où sont successivement issus : blé, farine, pâte et pain ; ou encore : coton, filé, tissu. Les espèces, remarquent-ils (II, 153), semblent avoir été « versées et conservées dans un moule » (il n'y a dans la création aucune anarchie, rien qui n'ait sa raison d'être). Il y a un certain nombre de filières, qui ont toutes leur raison d'être (être utile à l'homme), mais dont certaines, d'ailleurs provisoires, s'arrêtent à un état donné. Mais la ou les filières capitales aboutissent à l'homme.

L'imperfection de la matière fait que les choses ne peuvent être constituées que par additions successives de formes apportées à la Nature par les "facultés psychiques" astrales. Un être d'une espèce donnée est caractérisé par une forme constitutive, déjà complexe, à laquelle viennent s'ajouter des formes complémentaires. Ces dernières peuvent changer ou être remplacées, mais dans certains cas, leur accumulation continue peut devenir forme constitutive et donner naissance à un nouvel être, ou à un être d'une nouvelle espèce.

Les Ihwãn ne donnent pas de détails sur la manière dont s'effectue le passage d'un règne (un "genre") à un autre, mais ils se réfèrent (IV, 237, ép. 49, Êtres spirituels) à leur épître dite ôâmi'a, qui, elle, fournit quelques précisions succinctes. Une fois le minéral accompli dans son terroir, ainsi que ses vertus, sa faculté « se meut avec nostalgie » et s'unit à une autre faculté minérale plus forte qu'elle en vertu d'une "nature" supplémentaire, puis s'unit à un corps végétal. Celui-ci à son tour, par la nutrition, est assimilé à la matière d'un animal et apparaît en tant que tel. Cette thèse est très proche de celle de Fãrãbi, pour une fois plus détaillée (cf. ma Philosophie des Ihwãn as-Safã', p. 385).

Donc s'il y a à l'intérieur d'une espèce une lente et insensible évolution par additions successives de formes complémentaires, s'agissant du passage d'une espèce à l'espèce supérieure, il y a une véritable mutation, où s'additionnent les facultés et formes de deux êtres différents.

Quoi qu'il en soit, les Ihwãn évoquent fréquemment la hiérarchie ininterrompue qui, dans la création, va de l'échelon le plus bas des créatures jusqu'au plus élevé. Le plus haut échelon des minéraux se rattache au premier des végétaux ; le plus haut des végétaux au

premier des animaux ; le plus haut des animaux au premier échelon des hommes, le plus haut des hommes au premier échelon des anges, à condition d'être pur (H, 150, ép. 21, Végétaux ; II, 178-9, ép. 22, Animaux ; IV, 238, ép. 49, Êtres spirituels). Les quatre "genres" sublunaires (minéraux, végétaux, animaux, hommes) sont hiérarchisés, mais les espèces à l'intérieur des genres le sont aussi, en sorte que les genres se rejoignent insensiblement. C'est

pourquoi l'espèce la plus élevée d'un genre rejoint presque le genre supérieur et inversement.

S'agissant des animaux, plusieurs espèces animales se rapprochent de l'homme à des titres divers : le cheval, le singe, le perroquet, les animaux domestiques. Chaque échelon des créatures a un attribut propre de plus que le subordonné (IV, 208, ép. 49). Chez les animaux, du plus bas jusqu'à l'homme, chaque individu a un pouvoir ( qudra ) par lequel il se distingue d'un autre, jusqu'à aboutir à l'homme qui a pouvoir sur eux tous, soit par une force

corporelle, soit par une vertu spirituelle. S'agissant des traits de caractère, chaque espèce animale a un trait de caractère donné ; seule l'espèce humaine les réunit tous.

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D'autre part, plus un animal est parfait, plus il a besoin de multiples organes (II, 191, ép. 22, Animaux). Le plus bas des animaux n'a qu'un seul sens, le toucher, comme les végétaux ; le plus élevé en a cinq, comme l'homme (II, 184, ibidem). Cette complexification des organismes présuppose une organisation complexe des facultés "naturelles" avec les formes qui leur sont transmises par les facultés astrales et qu'elles prennent elles-mêmes pour les donner ensuite à la matière ; ce qui explique d'ailleurs que tel corps soit fait pour telle âme et non pour une autre.

Réceptivité et capacité de réaction

La réceptivité au rayonnement des astres, précisent les Ihwãn (II, 420, ép. 25, Conception), dépend « des facultés physiques et morales de l'espèce » (acquises donc au cours de l'évolution) ; et de même, la réceptivité d'un individu de cette espèce variera en outre selon les influences subies durant sa gestation, puis durant sa vie ici-bas (II, 431, ibidem). S'agissant non seulement des animaux mais aussi des végétaux et même des minéraux, les Ihwãn font quelques allusions, je ne dirai pas à l'autonomie des individus (les astres ne leur en laissent pas encore la possibilité), mais à leur capacité de réaction et d'action dans le monde extérieur (corollaire de leur réceptivité), qui est fonction de leur individualité

acquise tout au long de l'évolution. Cette capacité de réaction est basée sur la contradiction

qui, au stade originel, est celle des quatre natures (chaud et froid, sec et humide). Cette contradiction, issue du mouvement, est la condition même de la vie dans le monde matériel d'ici-bas. Abü Ya'qüb al-Sigistãni 4, Ismaïlien lui aussi, est encore plus explicite à cet égard. Et Fãrãbi 5, lui duodécimain, a développé longuement le même point de vue. Il y a, selon lui, entre les facultés et formes, une lutte pour l'existence. S'agissant du minéral (dont les formes extérieures sont d'ailleurs mal délimitées), les facultés et formes harmonisées en lui, trop éteintes et trop peu complexes, ne sont pas assez fortes pour avoir une action sans une aide extérieure ( Politique , p. 56-57 ; la même idée est exprimée, moins clairement, dans la ôâmi'a des Ihwãn), de même qu'elles ne sauraient permettre une vie psychique complexe. Cela, bien que l'âme du minéral, selon les Ihwãn, se manifeste par des réactions de

sympathie ou d'antipathie. La fonction et l'organe sont créés simultanément mais, on l'a déjà dit, peu à peu par additions successives de formes, et à chaque stade de l'évolution apparaît une nouvelle fonction. Les quatre éléments avaient les quatre natures ; avec le minéral

apparaît en outre la génération et la corruption ; puis, avec le végétal, s'ajoutent la nutrition et la croissance ; avec l'animal, la sensibilité et le mouvement. Avec l'homme, enfin, ensemble extra-ordinairement complexe de facultés informées, coordonnées et organisées, en même

temps que de contradictions plus ou moins bien harmonisées, se manifeste "l'âme parlante" (ou "logique"). En elle, la conscience est tout d'abord articulée conformément aux nécessités de l'activité dans le monde extérieur (chez les Ihwãn, niveau de la "raison instinctive"), c'est- à-dire en raison discursive, en intelligence basée sur le besoin de réagir à la contradiction brutale, et sur le contraste. Elle peut maintenant se manifester à travers le corps qui a évolué

parallèlement à elle. Là prend toute sa valeur l'affirmation suivante des Ihwãn (IV, 210, ép. 19, Êtres spirituels) : la connaissance (très imparfaite) des attributs de Dieu varie selon le niveau des hommes ; mais « celle qu'en a l'homme est plus élevée et plus considérable que

4. Cf. ma Pensée d'Abü Ya'qüb as-Sijistãni., S.I., LIV, 1981, p. 99-100 et 102. 5. Bien que la pensée de Fãrãbi soit restée très néo-platonicienne, l'intérêt qu il a porté a Aristote a un peu

désarticulé son système. En outre, le problème de la contradiction l'a fasciné au point qu'il est devenu comme une troisième composante de son système.

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celle qu'en a l'animal ; le sentiment qu'en a l'animal est plus fort que celui du végétal, et le

végétal en a davantage que les minéraux ».

L'homme, un après toute multiplicité

Ayant évoqué, on l'a vu, le "droit chemin" où est parvenu l'homme grâce à la "faculté

parlante", les Ihwãn poursuivent : « Si tu la dépasses [cette forme humaine], tu entreras au paradis par une de ses portes qui est la forme angélique que tu gagneras [par tes vertus et] par ton beau libre-arbitre ». Ils disent aussi (II, 150, ép. 21, Végétaux ) : « Tu es appelé à rencontrer Dieu, envoyé ( mab'üt ) à ce haut échelon depuis le jour où tu as été créé, passant d'un état inférieur à un état plus parfait et plus noble, jusqu'au moment où tu rencontreras et verras ton Seigneur, qui alors accomplira sa promesse. Il y a des échelons que tu as déjà franchis et vus et d'autres où tu n'es pas encore parvenu. » Car la science propre à l'homme, proclament-ils (IV, 208, ép. 49, Êtres spirituels ), « les hommes se la partagent tous », mais avec des différences de niveaux hiérarchiques, le plus élevé étant celui du « prophète de son

temps » et du « Sage de son époque » (l'envoyé et l'imam) qui possèdent toute la science que les hommes se partagent, et même plus, car ils ont le privilège d'une science révélée qui les rend aptes à enseigner à tous les autres hommes. On reviendra sur ces échelons. Pour l'instant, écoutons les Ihwãn : Dieu « a lié les diverses espèces des premières aux dernières d'un seul lien [...] pour que tous les êtres soient un seul monde hiérarchisé en une seule et même hiérarchie, pour indiquer un seul Artisan » (II, 166, ép. 21, Végétaux), comme le nombre hiérarchisé à partir du Un (II, 150-1, ibidem). Il y a donc en l'homme, on l'a vu, des

archétypes de ce qu'il y a dans tous les autres êtres du bas-monde (IV, 239, ép. 49, Êtres

spirituels), mais il y a aussi des symboles des êtres qui sont au-dessus de lui (IV, 229, ibidem), donc de ce qu'il sera lui-même redevenu en fin d'évolution. Il n'est pas seulement « un assemblage des deux mondes », la frontière, l'intercesseur entre ces deux mondes, mais « Dieu a donné au monde entier le même but qu'à la sphère qui l'englobe » (IV, 238, ibidem), c'est-à-dire à l'Âme parlante humaine universelle (donc en fait l'Intellect et l'Âme réunis), dont la manifestation la plus parfaite ici-bas est le prophète envoyé et surtout le Qaim de la résurrection. On comprend ce que signifient les Ihwãn lorsqu'après les "sages", ils affirment : « L'homme est un après toute multiplicité comme Dieu est un avant toute multiplicité » (II, 475, ép. 26, L'homme-microcosme).

Les anges « ont eux aussi des degrés différents dans les attributs jusqu'à l'Intellect qui les leur dispense » (IV, 208, ibidem). Donc les humains qui, grâce aux prophètes et imams, ont enfin échappé au bas-monde, poursuivront leur remontée, franchissant, semble-t-il, une

sphère céleste tous les 7 000 ans, d'ailleurs sans effort. Mais n'anticipons pas, car le franchissement des échelons humains exige à son tour une évolution spirituelle sur laquelle on va revenir.

Génération et corruption

Cette interminable évolution rend indispensables la génération et la corruption. Les

individus de tous les règnes et espèces ne pourraient coexister tous en même temps sur terre.

L'évolution physique des individus d'une espèce jusqu'au mélange qui provoque leur

mutation, leur passage d'un règne au règne supérieur, pour aboutir finalement à l'homme ; l'évolution psychique des innombrables hommes ensuite (dans le sens du bien ou celui du

mal), exigent un temps considérable ; une vie individuelle ne saurait y suffire : elle doit être

suivie de réapparitions périodiques, c'est-à-dire de réincarnations cycliques dans le même

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corps, plus précisément dans un corps de même essence et de même forme. Pour illustrer leur conception, les Ihwãn utilisent le symbole du cercle ou de la roue, et une image plus significative encore, celle de la noria dont les godets disparaissent et réapparaissent périodiquement.

Raison pour laquelle l'évolution est cyclique

Comment les astres vont-ils régir cette évolution ? La création matérielle est la plus parfaite qui puisse exister. Géométriquement, elle a donc été basée sur le cercle (ou la

sphère), qui pour les Ihwãn comme pour Platon (et Aristote) est la figure la plus parfaite qui soit, le mouvement circulaire (sur place ou déplacement dans l'espace) étant du même coup le mouvement le plus parfait.

Tout ici-bas est régi par les corps célestes sphériques et leurs mouvements cycliques ; de ce fait, tout dans l'espace est rond ou plus ou moins arrondi, et tout dans le temps est

cyclique. C'est pour attirer l'attention sur le caractère cyclique de l'évolution que les Ihwãn

prennent si souvent le cercle pour symbole. On vient de le trouver à propos de la génération et de la corruption. De même, comme tous les astrologues, ils appellent la sphère du

zodiaque la "roue", comme aussi l'ensemble des sphères célestes. Mais ils symbolisent encore par le cercle la procession des âmes, c'est-à-dire l'évolution. Entourés par Dieu, l'Intellect et l'Âme sont deux "cercles" spirituels, donc symboliques, englobant les cercles des sphères célestes, qui, eux-mêmes bien réels, englobent les sphères du bas-monde (air, eau, terre). Puis les cercles de la remontée vont s'élargissant des minéraux à l'homme, et ensuite aux différents niveaux psychiques de l'homme, jusqu'à rejoindre l'Âme parlante humaine universelle, "fils" de l'Intellect et de l'Âme. On trouvera encore un emploi significatif de ce symbole pour les cycles prophétiques.

Le nombre

Il va de soi que les cycles astraux ne se font pas au hasard. La création, exactement conforme aux archétypes, se réalise selon une harmonie numérique transmise à l'Âme par l'influx de l'Intellect, et de là, selon les besoins, aux âmes génériques, spécifiques et individuelles, ou même aux simples facultés psychiques.

Ainsi, les nombres qui président aux rapports des astres les uns avec les autres et avec le bas-monde, rapports réglés par la coordination des cycles divers, constituent une véritable

symphonie, et la succession des équilibres instables de la configuration du ciel a les variations d'une composition musicale ; ce qui explique que les Ihwãn, à la suite de Platon et des pythagoriciens, croient à l'existence d'une merveilleuse musique céleste, modèle de la

musique d'ici-bas. Ce rapport musical est constitué par la dimension des astres (qui évoque la

grosseur des cordes d'un luth), par leur distance les uns des autres et leur distance du monde

terrestre, et enfin par le rapport de leurs vitesses (II, 134, ép. 20, Nature ; II, 432, ép. 25,

Conception). Ce sont ces équilibres instables et leurs variations cycliques qui règlent les influences respectives des astres sur les "quatre éléments" et qui font de la création la plus belle qui puisse exister.

Cette harmonie numérique étant imprimée aux êtres du bas-monde, tout dans un être

quelconque, qu'il soit statique dans l'espace (comme un accord), ou mobile dans le temps (comme une mélodie) ou même qu'il soit matériel, psychique ou intellectuel, est selon un nombre défini, ou plusieurs, et tous les êtres ayant le même nombre ont entre eux une

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parenté et ont été conditionnés par le même cycle astral, ou par des complexes de cycles astraux ayant des rapports numériques et harmoniques communs. On comprend donc l'importance qu'à la suite des pythagoriciens, les Ihwân attribuent au nombre. Quand ils en parlent, c'est manifestement pour suggérer cette harmonie de la création.

À propos de la formation des êtres composés (minéraux, végétaux, animaux), ils

remarquent (I, 147-8, ép. 3, Astronomie) que pom1 qu'ils aient le meilleur tempérament et équilibre, il faut que les planètes, à leur apogée, ou leur exaltation, ou dans leur domicile ou dans leur terme, soient les unes par rapport aux autres dans le meilleur rapport, dit "rapport musical" : 1/2, 1/3, 1/4, ou 1/8. En effet, si nous prenons le nombre 24, un quart, un tiers et un demi équivaudront à 6, 8, 12, c'est-à-dire à l'octave des Grecs (adoptée par les Ihwân), tandis qu'un huitième, c'est-à-dire 3, représentera avec 6 les deux limites d'une octave. Par contre, poursuivent les Ihwân, si la configuration du ciel est à l'opposé de cela, l'état de ces êtres sera mauvais et déséquilibré. La merveilleuse et incomparable musique céleste devrait donc comporter des discordances. Mais les discordances pénibles n'interviennent que dans les êtres sublunaires. Même les planètes maléfiques, Saturne et Mars, sont indispensables. D'ailleurs, dans le cadre d'ime bonne configuration, elles peuvent avoir une influence très favorable. Pour les Ihwân, ne l'oublions pas, tout est bien dans la création. Parfois aussi, les allusions à certains nombres, on le verra, visent à montrer l'accord des nombres de la création avec ceux de la prophétie et de l'imamat.

Les cycles astraux ; cycles et fins de cycles Les Hjwãn distinguent deux types de cycles astraux (m, 249, ép. 36, Adwãr et akwãr) :

la révolution complète d'un corps céleste, et les conjonctions de planètes se reproduisant périodiquement. Il y a cinq genres de révolutions : celle d'une planète dans son épicycle ; celle de l'épicycle dans la sphère céleste (dite "porteuse") ; celle de la sphère du zodiaque ; celle des étoiles fixes dans la sphère du zodiaque ; celle de la sphère extérieure qui entraîne le tout dans sa rotation autour des quatre éléments (ou monde d'ici-bas) (III, 250, ibidem).

La révolution la plus longue est celle des étoiles fixes : un tour en 36 000 ans ; la plus courte est celle de la sphère extérieure : un tour en 24 heures. Entre ces deux extrêmes, il y a d'innombrables intermédiaires.

La révolution ( dawr , plur. adwãr) a naturellement une fin et recommencement (kawr, plur. akwãr). Ces fins de cycles astraux sont caractérisées par la disparition ou la diminution de l'influx de la planète qui s'éloigne de son périgée et donc du bas-monde (ce n'est pas le cas du soleil) en se rapprochant de son apogée et donc des étoiles fixes, dont alors elle reçoit mieux l'influx (HI, 249-50). Si cette situation s'étend à plusieurs ou à toutes les planètes, cela

produit sans doute une situation particulièrement difficile pour les hommes. D'où une extension de sens : adwãr est l'étendue de temps où l'Âme, unie à la Nature, la désire et descend vers elle ; alors la terre est fertile, peuplée, mise en valeur. Akwãr, c'est le contraire ; le fluide spirituel des astres délaisse le bas-monde ( Gämi'a , I, 320 ; cf. ma Philosophie des Ihwãn as-Safá', p. 140 et 393).

Quant aux conjonctions, elles sont fort nombreuses, et de six genres pouvant réunir de deux à sept planètes. Il y en a vingt-et-une de deux planètes, trente de trois, trente-cinq de

quatre, vingt-et-une de cinq, trente-et-une de six et une de sept (la plus rare, tous les 360 000

ans), ce qui, ajoutent les Ihwân, fait 120 espèces. Multipliées par les 360 degrés où elles

peuvent avoir lieu, cela fait 43 200 conjonctions "individuelles" (HI, 250-1).

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LA DÉTERMINATION ASTRALE DE L'ÉVOLUTION SELON LES FRÈRES DE LA PURETÉ 135

Après avoir énuméré de multiples conjonctions de durée courte ou relativement courte, ils en mentionnent une particulièrement importante, on le verra, celle de Saturne et de Jupiter, qui a lieu tous les vingt ans (en fait plutôt dix-neuf). Puis comme conjonctions plus rares, ils évoquent celle qui a lieu tous les 240 ans (plutôt 238), c'est-à-dire en fait la même conjonction changeant selon eux de triplicité après s'être produite douze fois dans la même ; et un peu plus loin (HI, 266, ibidem), ils y ajoutent celle qui se produit tous les 1 000 ans (en réalité un "millénaire" de 960 ans ; 48 fois la même conjonction dans un parcours de 4 triplicités). Ils attribuent à cette conjonction des effets considérables dans tous les domaines, notamment géologique et physique (III, 267), effets qui, selon le cycle, peuvent être bénéfiques ou maléfiques. Mais selon eux, son rôle est essentiel s'agissant « de la royauté et des dynasties » et ils reviendront longuement sur le sujet.

En fait, cette conjonction de Saturne et de Jupiter, qui, chaque fois qu'elle se produit, tous les vingt ans, peut provoquer un changement de "roi" sur un long espace de temps, exerce un effet parallèle à celui du déplacement des fixes, en accentuant la coloration alternativement bénéfique ou maléfique de son influence.

Au cours de leur révolution, les fixes parcourent un signe en 3 000 ans ; un quart de la voûte (trois signes) en 9 000 ans (III, 260, ép. 36, Cycles...) ; donc un décan en 1 000 ans et un degré en 100 ans. Dès qu'ils sont très importants, ces déplacements entraînent, disent les Ihwän, le déplacement du zénith et du rayonnement des astres sur les régions. Cela y provoque des changements radicaux dans le climat et donc dans la longueur du jour et de la nuit et dans les saisons. Ils entraînent aussi des bouleversements géologiques (par l'intermédiaire des phénomènes météorologiques) : les monts deviennent des plaines, les plaines des mers, les lieux de peuplement des ruines ; et inversement (II, 91, ép. 19, Minéraux). Sur un long espace de temps, les conjonctions de Saturne et de Jupiter contribuent à ces bouleversements.

Ces deux types de cycles n'ont jamais cessé d'agir dans ce domaine ; et dès l'origine, c'est évident, leur action a été particulièrement importante dans la longue préparation des terroirs à la formation des "êtres composés", et avant eux à celle des quatre éléments. Le passage des 1 022 fixes dans les triplicités (signes de feu : Bélier, Lion, Sagittaire ; de terre : Taureau, Vierge, Capricorne ; d'air : Gémeaux, Balance, Verseau ; et d'eau : Cancer, Scorpion, Poissons) a dû jouer là un rôle prépondérant, plus particulièrement par le canal de la conjonction de Saturne et de Jupiter. Cela, même si toutes les planètes ont participé.

Selon une autre répartition, les signes sont également saisonniers ; à ce point de vue, l'action des fixes a dû s'exercer plus fortement par le canal du soleil et de la lune. Car ce sont les "facultés spirituelles" de ces fixes qui produisent « la lumière qui illumine les sphères célestes et qui est en rapport avec le soleil » (IV, 224, Êtres spirituels).

Rôle directeur du soleil et de la lune

Toutes les planètes, disent les Ihwän (II, 306, ép. 22, Animaux), sont liées à la sphère du soleil (« roi des astres et calife de Dieu sur les cieux et la terre ») et le suivent dans tous ses déplacements « selon une étiquette précise » ; et c'est par rapport à ses mouvements et au cercle qu'il parcourt sous le zodiaque en 365 jours qu'est mesurée la rotation des autres planètes, et par rapport à sa situation qu'est examinée la leur (II, 30-31, ép. 16, Ciel et monde). De plus, non seulement les astres s'éloignent de lui avec un « regain de force et de lumière » (II, 467, ép. 26, L'homme microcosme), mais lui-même dans le zodiaque, circulant dans les termes des autres planètes, dépose ici-bas, grâce à sa lumière et à « ses propres

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facultés spirituelles, celles de ces signes et de ces autres astres » (II, 423, ép. 25, Conception).

La lumière est « forme constitutive de l'essence du soleil » et donc lui est consubstantielle comme la vie à l'Âme (IH, 350, ép. 40, Causes et causés). Non seulement ses "facultés spirituelles" assurent la complétude, la durée et la belle ordonnance de l'univers, mais grâce à elles, la forme (archétype) des êtres qu'elles transmettent à la Nature est déposée et conservée dans la matière, et la vie est attachée à tout corps animal ou humain (IV, 214, 224, ép. 49, Êtres spirituels ; 274, ép. 51, Ordonnance de l'univers ; 427, ép. 52, Magie). Ses facultés sont donc liées à la corporéité, mais, venues de la partie supérieure de l'Âme, elles sont aussi en rapport avec la "Forme humaine" (Adam céleste, Âme parlante humaine universelle) sur laquelle « rayonne une influence de l'Intellect » ; c'est donc par ces facultés psychiques du soleil que la « faculté psychique irradie le monde et que la faculté intellectuelle éclaire ». Le soleil est l'intermédiaire privilégié entre l'Intellect, l'Âme et leur "fils", la Forme humaine, d'une part, et la meilleure manifestation sur terre de cette dernière, son meilleur représentant, l'envoyé ou l'imam. Malgré son importance, l'influence corporelle du soleil sur le monde est un corollaire de son influence spirituelle.

Quant à la lune, spécialement chargée de s'occuper du monde terrestre, ses facultés, intermédiaires entre le monde des sphères et celui de la « génération et de la corruption », circulent entre les deux, et agissent sur les quatre éléments « même enfouis et cachés » (II, 70, ép. 18, Météo.). Tandis que les facultés de la partie supérieure de l'Âme, on l'a dit, descendent par la sphère du soleil, celles de sa partie inférieure, « proche de la Nature », descendent dans le « ciel d'ici-bas » par l'intermédiaire de la lune, et la Nature peut gouverner les corps et les « êtres composés » (IV, 215, ép. 49, Etres spirituels). Mais l'action de la lune n'est pas indépendante de celle du soleil. Les Ihwãn comparent la lune à l'héritier

présomptif, parce qu'elle « l'imite dans sa rondeur et sa clarté » (comparée aussi au "roi révolté", entendons surtout à l'anticalife, qui s'arroge indûment les prérogatives du roi

légitime). Sa face lumineuse imite le soleil, comme l'Âme imite l'Intellect. C'est lui, « cœur du monde », qui permet à la lune, « poumon de l'univers », d'assurer la respiration des êtres du bas-monde (II, 147, ép. 20, Nature et IV, 223, ép. 49, Êtres spirituels), au propre et au

figuré, on le verra. Malgré cette spécialisation dans les activités corporelles, et bien que, séduite par les

formes à mettre dans la matière, elle cherche parfois à entraîner l'Âme vers la Nature, la lune a aussi une activité spirituelle assez inattendue. Non seulement ses "anges" (ou facultés

spirituelles) « descendent avec la matière supérieure et céleste » (les formes archétypes), mais « c'est par la faculté répandue de son corps que les anges apportent la révélation [...], que les actes des hommes sont apportés au ciel et que les esprits font leur ascension ».

Les cycles du soleil et de la lune

Le soleil est toujours accompagné de la lune, avec laquelle il est en conjonction et en

opposition une fois par mois. On doit considérer plusieurs cycles. Le premier est celui du jour et de la nuit. Selon les Ihwãn, qui suivent Ptolémée, tandis

que la sphère extérieure fait le tour de la terre en 24 heures, le soleil le fait en 24 heures +

8/15 d'heure, et la lune en 24 heures + 6/7 d'heure. Malgré l'alternance indispensable du

chaud et du froid, ce cycle contribue à maintenir dans nos régions un climat tempéré (II, 35-

7, ép. 16, Ciel ét mondé).

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LA DÉTERMINATION ASTRALE DE L'ÉVOLUTION SELON LES FRÈRES DE LA PURETÉ 137

Le deuxième est le cycle annuel des saisons. Les sept climats du monde habité, remarquent nos auteurs, sont dans le "quart" Nord (de l'équateur à un peu plus de 70°). Durant le printemps et l'été, le soleil, dans les signes Nord, franchit la distance qui sépare le Bélier (signe équinoxial) de la Vierge. Mais la chaleur n'y est pas excessive car le soleil, à son apogée dans les Gémeaux, dernier signe printanier, est alors éloigné de la terre (la distance entre son apogée et son périgée est de cent fois le rayon de la terre qui est de 216 755 parasanges). Au pôle Nord, malgré le jour de six mois, le froid est glacial. Puis, le soleil passant dans les signes Sud (de la Balance au Poisson), ce sera dans nos régions l'automne et l'hiver, et au pôle Nord une nuit de six mois. Alors le soleil, à son périgée à la fin du Sagittaire (dernier signe automnal), sera tout près de la terre, mais au pôle Sud, où sa chaleur brûlante interdit l'existence de tout végétal ou animal (II, 66, ép. 18, Météorologie).

Durant l'année de 365 jours et six heures, le soleil parcourt les douze signes, un par mois. La lune, elle, fait dans la sphère des fixes un tour en 27 jours 7 heures 30 secondes (par rapport à un degré de la sphère des fixes, elle a un tour de retard tous les 27 jours 9 heures 22 minutes). Elle franchit une mansion (sur 28) en 24 heures (soit un signe en 2 jours plus 1/3) (1, 133, ép. 3, Astronomie ; III, 251, ép. 36, Cycles).

La respiration lunaire

Mais là où, selon les Ihwän, l'influence du soleil sur la lune (« poumon de l'univers ») est le plus manifeste, c'est dans le cycle de la « respiration lunaire », assurée par le cercle que décrit le centre de l'épicycle de la lune dans sa sphère déférente (mot à mot "porteuse" ; c'est- à-dire dans sa sphère céleste), une fois en 14 jours (II, 147, ép. 20, Nature ; ni, 255-7, ép. 36, Cycles... ; IV, 223, ép. 49, Êtres spirituels). Au début du mois, il y a une phase d"'expiration" : la lune, dilatée par les influx célestes, les déverse sur le « monde de la génération et de la corruption ». Dans la deuxième moitié du mois, c'est la phase d'aspiration : la lune se détourne de la terre vers le monde des sphères et se remplit de ces influences célestes. Cette "respiration" lunaire a des effets contraires dans la première et la deuxième moitié du mois. La première, phase d'expiration, est une période d'abondance ou même d'excès ; de "vidage" en direction du bas-monde ; une période de pluies, de neige, de grandes marées où les êtres croissent et engraissent rapidement. La deuxième moitié, phase d'"aspiration", est ici-bas une période de manque, d'amaigrissement, de mûrissement, ou même de dessèchement. Les influences lunaires sur les êtres sont donc contraires dans ces deux phases et dans certains cas ne conditionnent pas les mêmes.

Le cycle hebdomadaire des heures

Il est assuré par les planètes. Celles-ci, écrivent les Ihwän (I, 125, ép. 3, Astronomie), régissent à tour de rôle (dans l'ordre descendant, de Saturne à la lune) chacune des douze heures du jour et des douze de la nuit, le maître de la première heure étant en même temps le maître de la journée. Prenons le jour dont la première heure est régie par Saturne, le Samedi. La deuxième heure sera à Jupiter, la troisième à Mars, et ainsi de suite jusqu'à la douzième

qui appartiendra à Vénus. La première heure de la nuit appartiendra donc à Mercure, et la douzième heure de cette même nuit à Mars. La première heure du jour suivant, Dimanche, sera donc au soleil. En poursuivant ainsi, on aura la première heure du Lundi à la lune, la

première du Mardi à Mars, la première du Mercredi à Mercure, la première du Jeudi à

Jupiter, et la première du Vendredi à Vénus. Telle est donc l'origine du nom des jours de notre semaine.

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A propos des cycles planétaires en général Les Ihwän développent longuement dans plusieurs épîtres ce qui, du point de vue

astronomique, concerne chacune des planètes, et, du point de vue astrologique, leurs influences, cela en tenant compte en général de leur emplacement et de leur situation. Je ne puis m'étendre ici sur ces sujets, et mon propos est beaucoup plus général.

La conservation des "genres" : minéraux, végétaux, animaux, disent les Ihwãn (II, 133- 4, ép. 20, Nature), est assurée parce que les rapports de volume, distance et mouvement entre la sphère des fixes et le monde des quatre éléments sont sauvegardés ; celle des espèces également, parce qu'il en est de même entre les sphères des planètes et les quatre éléments. Par contre, le rapport entre les planètes et leurs épicycles d'une part et le monde des quatre éléments d'autre part change sans arrêt. Il en résulte que la forme des individus n'est pas conservée dans la matière.

Comme Fãrãbi, qui exprime la même idée, les Ihwãn ont eu une conscience aiguë de la nécessité d'une combinaison de stabilité et d'instabilité chez les êtres d'ici-bas. Pas de vie matérielle sans changement. Pas de continuité ni mémoire, pas de consistance ni durée sans solidité. Les individus, constatent-ils (II, 418, ép. 25, Conception), sont dans un perpétuel état de flux ( sayalãn ; influence indirecte du Panta rhei de Héraclite ? ). Ces changements et cette fluidité sont déterminés par les changements dans les causes astrales (II, 133, ép. 20, Nature).

Cet état de flux fait allusion, bien sûr, à l'évolution des destinées individuelles ; mais sans doute aussi à la génération, aux quatre phases de la vie et à la corruption, qui, lentement, préparent au passage d'une espèce ou d'un genre à l'espèce ou au genre supérieur.

La configuration toujours changeante du ciel conditionne sans arrêt le devenir et le destin des vies individuelles. Mais ce qui assure vraiment la coordination de cette fluidité et de la solidité garantie par le cycle des sphères, c'est la planète dont telle espèce (minérale, végétale ou animale) suit le cycle. Aux yeux des Ihwän, cette planète détermine la durée

moyenne d'existence ou de vie naturelle des individus de cette espèce (pour l'homme et en

général les mammifères évolués, c'est le soleil), et donc la génération et la corruption. Elle détermine aussi sans doute leur forme générale. Peut-être est-ce à cela que les Ihwãn font allusion par l'affirmation suivante (III, 259, ép. 26, Cycles...). Le cycle d'une planète comporte quatre phases : 1) Ascension à partir du périgée. 2) Vers l'apogée. 3) Descente de

l'apogée. 4) Vers le périgée. C'est ce qui cause les quatre étapes de la vie : 1) Début.

2) Croissance. 3) Déchéance. 4) Disparition. Mais avant d'en arriver aux êtres composés, arrêtons-nous aux quatre éléments. Ceux-ci

furent formés dans le "Corps du monde" bien après les sphères célestes, puisque cela « se

compte en ères ( azmän ), cycles et conjonctions » (III, 352, ép. 40, Causes et causés). Mis à

part le fait que ces éléments n'ont pas à suivre le cycle d'une planète, ces cycles et

conjonctions sont ceux dont on vient de parler.

Formation des quatre éléments

Le début de la remontée fut le départ simultané de toutes les planètes, en conjonction au

premier degré du Bélier (début du printemps) 6. Il fit de la terre une argile lourde (et immobile) parce que « Saturne était cadent ». Et au bout d'un certain nombre de cycles et

6. Idée empruntée au Brahmasphuta Siddhanta du mathématicien hindou Brahmagupta (arabe òinahina composé en 628 de notre ère ( EJ .1).

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conjonctions, la Nature et les astres produisirent l'ensemble des quatre éléments, caractérisés par le passage de la totale immobilité à une mobilité complète, celle du feu (mouvement d'ébullition). Après la terre (dont l'immobilité est la forme constitutive), apparurent, faits d'un nombre croissant de particules mobiles, d'abord l'eau, et ensuite l'air. Enfin fut produit le feu (dont la mobilité est la forme constitutive). Ainsi, les éléments ont pour forme d'ensemble les quatre natures couplées deux à deux : la terre est froide et sèche (formes complémentaires issues de l'immobilité ; le sec est pour cette raison de mauvaise qualité) ; l'eau humide (forme constitutive) et froide (forme complémentaire, due à une majorité de particules immobiles) ; l'air humide (forme constitutive) et chaud (forme complémentaire due à une majorité de particules en mouvement) ; le feu chaud et sec (formes complé- mentaires dues au mouvement rapide de toutes ses particules ; il a par là une parenté loin- taine avec la "cinquième nature", ou matière des corps célestes, rendus immuables et immor- tels par l'extrême rapidité du mouvement). Un des quatre éléments peut se transformer soit en l'élément d'au-dessous, soit en celui d'au-dessus par un accroissement, soit des particules immobiles, soit des particules en mouvement (on ne nous dit pas comment, une fois mêlés, ils conservent chacun ses attributs ; évidemment grâce aux différents astres qui s'occupent d'eux).

Les Ihwãn remarquent que chaque élément est relié à la mort par son extrémité inférieure et à la vie par son extrémité supérieure ; qu'ils « ne sont condamnés ni à la mort, ni à la vie », car « ils constituent la matière de la vie et du mouvement par leur union avec une faculté naturelle et un mouvement psychique » (III, 128-9, ép. 31, Causes des différences de langues) ; qu'ils ne sont pas vivants à la manière d'un animal, mais ne sont pas inanimés non plus, car ils se meuvent, mais sans avoir par eux-mêmes d'objectif précis. Les quatre natures en effet sont des manifestations des facultés qui les animent, et constituent donc un embryon d'âme : le mouvement est propre à la vie, forme constitutive de l'Âme, et dans la matière implique le choc des contradictions, plus ou moins bien harmonisées.

À la longue, les cycles astraux provoquèrent des combinaisons d'éléments produisant des minéraux (vrai départ de la remontée). Puis, par le nombre croissant des facultés psy- chiques et la complexité croissante de leur organisation, sont apparus les végétaux, puis très longtemps après, les animaux, et enfin l'homme, dont l'extrême complexité permit la manifestation de la faculté parlante.

Les phénomènes météorologiques Pour les Ihwãn, les phénomènes météorologiques constituent un premier mélange

d'éléments, préalable à la formation d"'êtres composés". Dans leur 32e épître, Les êtres intellectuels selon les pythagoriciens, c'est en réalité leur propre doctrine qu'ils résument, en général d'inspiration néo-platonicienne. Mais un passage relatif à la formation des minéraux et métaux semble emprunté aux alchimistes (III, 191-2). Les quatre natures y sont données, non pour de simples formes, mais pour des facultés de la Nature elles-mêmes. Celles-ci "meuvent l'élément feu pour réchauffer le monde avec l'aide continuelle du soleil ; immobilisent l'élément terre avec l'aide continuelle de Saturne ; liquéfient ( tahlïl ) l'élément eau avec l'aide continuelle de la faculté de Jupiter ; subtilisent l'élément air avec l'aide continuelle de la faculté de Mars ; distillent l'élément de la vapeur humide, avec l'aide perpétuelle de la faculté de Vénus ; mélangent l'élément de vapeur sèche (dite en général "fumée terreuse") et la vapeur humide, avec l'aide perpétuelle de la faculté de Mercure ; fournissent continuellement aux corps composés l'élément des sucs (' usãrãt , état précédant

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l'apparition d'un être composé) avec l'aide continuelle de la faculté de la lune ». Le soleil et Mars, ne l'oublions pas, sont dits « chauds et secs », Jupiter « chaud et humide », Saturne « froid et sec », Vénus et la lune « froides et humides ». D'autre part, dans ces phénomènes, les trois sphères de l'air ("éther" ou "feu", "froid glacial" et "zéphyr", la nôtre, tempérée) jouent un rôle important. Le chaud déclenche le processus, et le froid le contrebalance. Le chaud fait monter les colonnes de fumée terreuse (le sec) et de vapeur d'eau (l'humide) mêlées ; le froid les fait retomber en matière terreuse et en pluie, grêle ou neige ; tous deux provoquent ainsi le vent qui les pousse où il faut, déterminant le cycle des eaux 7, mais aussi à la longue la composition de minéraux et de végétaux : il y a tantôt transformation d'éléments, et tantôt combinaisons successives. Ici aussi les Ihwãn s'inspirent de l'activité des alchimistes : la barrière des montagnes et celle de la sphère du froid, arrêtant la poussée des vents et l'ascen-sion des vapeurs et fumées, sont comparées à la cornue et à l'alambic (II, 75, ép.18, Météorologie).

À ce processus, tous les cycles astraux participent. Mais l'effet le plus direct, par l'alternance du chaud et du froid qu'il provoque, est celui des saisons tempéré par celui du jour et de la nuit, auxquels il faut ajouter le cycle bi-hebdomadaire de la lune, et son cycle mensuel avec l'action de ses mansions. Celles-ci agissent (II, 66, ibidem) sur les quatre éléments, « même enfouis ». Certaines, précisent-ils, agissent sur la vapeur d'eau, d'autres sur les fumées terreuses, d'autres sur le refroidissement de l'air et donc l'augmentation de l'eau, d'autres ayant l'effet inverse. Cette action sera d'autant plus forte si la lune, dans une mansion donnée, est en même temps en conjonction avec une planète ayant une propriété analogue.

N'oublions pas cependant que tous les cycles astraux agissent dans tous les domaines. Les mansions agissent même sur les sociétés humaines, bien que ce soit surtout, on le verra, le privilège des conjonctions de Saturne et de Jupiter.

Formation des minéraux et des végétaux Dans les alternances de chaud et de froid, les combinaisons successives d'éléments se

poursuivent dans différents terroirs, où peu à peu vont "cuire" et "mûrir" les minéraux. Ces terroirs ont été longuement préparés par des rayonnements astraux variant selon les régions, notamment par le cycle des astres fixes et les conjonctions de Saturne et de Jupiter. D'une façon générale, ces terroirs sont, selon les Ihwãn, de trois types : 1) Cavernes de montagnes, gouffres, le sein des pierres et des sables, où le mûrissement se fait en de longues (métaux) ou très longues années (pierres précieuses). 2) Terre, argile, sebkha : minéraux de moins bonne ou de mauvaise qualité qui mûrissent en un an ou moins. 3) Le fond des mers et des eaux : minéraux mûrissant en un an ou plus, comme le corail ou la perle.

Les pierres précieuses proviennent de gouttes de pluie ou de rosée non mêlées de terre, certaines incrustées dans les interstices de la pierre, alourdies et durcies par la longue cuisson (sec de bonne qualité). Mais aussi élément eau pour une part transmuée en élément terre (?) mais conservant sa pureté (II, 107). La perle vient d'une goutte de rosée recueillie par une huître montée en surface.

S'agissant des métaux, deux des dernières combinaisons produisent souffre et mercure qui à leur tour doivent se mêler et cuire. Un mélange pur, équilibré, et une cuisson régulière et continue donnent de l'or ; un froid intervenant avant cuisson complète produit de l'argent blanc. Moins bonne est la proportion et plus insuffisante ou irrégulière est la cuisson, plus le

7. Comparé, lui aussi, à une "roue qui tourne" (IV, 242, Êtres spirituels).

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métal produit sera bas dans la hiérarchie, les derniers étant l'antimoine et le plomb noir. Voilà bien un point de vue d'alchimiste. La couleur, le goût et l'odeur des métaux ou pierres précieuses, affirment les Ihwãn (II, 90), varient selon le terroir, son eau, ou les phénomènes météorologiques. Le terroir est un des éléments de la cuisson. Mais, précisent-ils un peu plus loin (II, 107), leur pureté, leur poids et leur couleur dépend de l'astre chargé de ces joyaux (entendons : celui dont ils suivent le cycle ?) et du rayonnement astral ; par exemple or et rubis tiennent leur éclat des rayons du soleil, et l'argent de ceux de la lune. Mais quand et comment cette planète intervient-elle ? Les Ihwãn sont chiches de renseignements. Ils le sont autant d'ailleurs pour les végétaux (apparus très longtemps après les minéraux).

Après avoir fait au début de l'épître qui leur est consacrée (la 21e) une allusion

transparente à l'évolution (II, 155-6), ils donnent de leur formation dans leur terroir propre une description analogue à celle donnée pour les minéraux. Ils s'attachent pourtant à mettre en évidence la hiérarchie des végétaux jusqu'au palmier, animal par son âme, et comportant des individus mâles et femelles ; mais ils laissent dans le vague la façon dont ils sont conditionnés par les astres.

Ce qui manifeste leur incertitude, c'est que pour chacune des planètes, ils énumèrent (notamment IV, 214-23, ép. 49, Êtres spirituels ) un certain nombre d'espèces minérales, végétales et animales qui sont sous son influence (avec des variantes dans d'autres passages, par exemple IH, 259, ép. 36, Cycles...), et aussi la couleur qu'elle donne (II, 107). En tant

qu'espèces, chacune d'elles, peut-on penser, suit le cycle de la planète censée influer sur elle. Mais ils énumèrent en même temps les activités ou professions auxquelles sont prédisposés les hommes sous l'influence des mêmes planètes. Or l'espèce humaine suivant le cycle du soleil, la prédisposition d'un homme à l'une ou l'autre de ces professions est donc déterminée au cours de la gestation par une autre planète, sauf s'il s'agit d'un homme prédisposé à la

royauté, prédisposition déterminée lors de la gestation par le soleil, dont le rôle est alors double.

Évidemment, la "gestation" des minéraux et des végétaux diffère beaucoup de celle des animaux. Mais même à propos des animaux, les Ihwãn montrent beaucoup d'imprécision. Les seuls exposés vraiment précis et qui, selon eux, doivent servir d'exemple pour les autres

espèces, concernent l'homme.

La gestation Durant la gestation, tandis que, sous l'influence des astres, prend forme le corps de

l'individu, animal ou humain, la planète dont son espèce suit le cycle détermine la durée naturelle moyenne de sa vie, et les Ihwãn donnent quelques exemples de la manière dont on

peut la calculer 8. Pour l'homme uniquement, ils font une longue description de sa gestation. Le soleil, dont il suit le cycle, n'agit pas seulement pour sa part ; il va régler aussi le rythme de la gestation et par là-même celui de l'influence des autres astres. Chaque planète en effet

8. « Certains oiseaux », le ver à soie, le frelon, suivent le cycle mensuel de la lune : 28 jours. Couvée : 21 jours, où la lune aura parcouru 8 signes (19 mansions), soit 240°. À la sortie du poussin, la lune doit encore parcourir 4 signes (9 mansions), soit 120° ; durée de vie moyenne : 120 mois. Les espèces imparfaites comme les vers, les puces, les moustiques suivent le cycle de la sphère extérieure (24 heures) ; gestation : 16 heures ; signes parcourus : 8 ; restent 9 heures pour l'achèvement du cycle (ici, donc, le calcul est fait en heures et non en degrés ; s'il était toujours fait en degrés, le résultat, en nombre, serait d'ailleurs toujours le même pour tous les êtres) ; durée moyenne de vie : 9 jours. L'homme (cycle du soleil) : pendant la gestation, le soleil parcourt 8 signes, 240°. Au 9e signe, restent à parcourir 120°. Durée de vie naturelle : 120 ans (les hommes vivent moins pour des raisons particulières ; manque d'hygiène alimentaire notamment).

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prend la gérance de l'embryon pendant un mois, apportant à sa construction son influence propre.

Lors de la conception, se lève à l'horizon Est un degré ascendant et une configuration astrale déterminée (II, 420, ép. 25, Conception) et le soleil est à un degré donné d'un signe déterminé. Le premier mois, la gérance est à Saturne, le deuxième à Jupiter, le troisième à Mars. Le quatrième, elle passe au soleil qui va alors jouer un double rôle. En effet, à la fin de ce quatrième mois, il aura atteint le degré d'un quatrième signe correspondant au degré du signe où il était lors de la conception, et parcouru le tiers de la voûte céleste, distance égale à celle qui sépare son exaltation (Bélier) de son domicile (Lion) et par conséquent une triplicité ; il aura donc épuisé les natures de quatre signes : feu, terre, air et eau. Les quatre natures élémentaires se seront ainsi combinées et harmonisées (malgré l'opposition froid- chaud et sec-humide) dans le tempérament (les trois signes de feu agissent sur la bile ; de terre sur l'atrabile ; d'air sur le sang ; d'eau sur la lymphe). De plus, le soleil, « esprit du monde entier », aura insufflé dans l'embryon « l'esprit de la vie » et l'âme animale commence à circuler dans ce corps déjà formé. Le cinquième mois, alors que le soleil aborde un

cinquième signe depuis la conception, ou « maison de l'enfant », la gérance passe à Vénus ; le sixième mois à Mercure, et le septième à la lune. L'embryon forcit, se déplace et cherche à sortir, ce qui parfois se produit. Le huitième mois, tandis que le soleil aborde le huitième

signe à partir de la conception, ou « maison de la mort », la gérance échoit une deuxième fois à Saturne (astre du froid, de l'immobilité ou même de la mort). Si l'embryon naît alors, il

risque de n'être pas viable ou de vivre peu. Cependant, à l'orée du neuvième mois, tandis que la gérance va revenir à Jupiter, le soleil abordant un neuvième signe, « maison du voyage et du déménagement », aura déjà parcouru une deuxième triplicité, distance entre son domicile et son exaltation, soit au total deux tiers de la voûte céleste, ou huit signes. Il aura donc une deuxième fois épuisé les quatre natures d'une deuxième triplicité, et l'âme animale peut se manifester à travers le corps (II, 421-33, ép. 25, Conception) ; l'enfant peut naître. Le corps de cet homme-microcosme est virtuellement formé à l'image du macrocosme, et si les

triplicités ont assuré l'équilibre des humeurs, sans doute telle planète a-t-elle agi tout

particulièrement, dès la gestation, sur la formation de tel organe ; par exemple Saturne sur la rate (source de l'atrabile), Jupiter sur le foie (source du sang), Mars sur la vésicule (source de la bile), Vénus sur l'estomac (et la faculté appétitive), Mercure sur le cerveau, le soleil sur le coeur (source de la chaleur naturelle), la lune, avec sa respiration, sur le poumon (dont la

respiration tempère la chaleur naturelle) (II, 476, ép. 49, Êtres spirituels). Mais ce qui mérite d'être souligné, c'est que le psychisme individuel est lui aussi virtuellement formé ; et les Ihwãn exposent longuement (II, 434-42) comment, durant son mois de gérance de l'embryon, chaque planète, selon son état et sa position, favorables ou défavorables, le prédispose à tel ou tel trait de caractère, bon ou mauvais, ou à son contraire, et à diverses nuances dans ces traits de caractère ; bien mieux, le prédispose à telle ou telle profession ; au point que le

grand prophète ou l'imam est dès sa naissance préparé à le devenir (II, 437, cf. ma

Philosophie des Ihwãn as-Safď , 3e partie, chap. 1, 3). Lors de la naissance d'Adam (premier prophète envoyé), toutes les planètes étaient à leur exaltation. Quant à Mahomet, le plus parfait des hommes (selon les Ihwãn, le Qâ'im de la résurrection, assimilé à Adam céleste, n'est autre que Mahomet ressuscité), toutes les planètes, même les deux maléfiques, ont rivalisé pour lui donner les meilleurs traits de caractère qui puissent être ; les Ihwãn les énumèrent longuement. On constate donc que même dans le domaine de la prophétie, les astres ont leur rôle à jouer.

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LA DÉTERMINATION ASTRALE DE L'ÉVOLUTION SELON LES FRÈRES DE LA PURETÉ 143

Les cycles de la vie individuelle

Après la naissance, le conditionnement astral ne lâchera pas l'être humain, pas plus que tout autre être, du moins dans le domaine corporel.

Tout d'abord, il restait au soleil à parcourir la troisième triplicité pour avoir effectué un tour complet, 360 degrés, dans la voûte céleste ; et c'est seulement à l'âge de quatre mois que l'enfant sera physiquement complet. Naturellement, tous les cycles qu'on a déjà vus, y compris ceux des saisons, des mois et des heures, continuent à influencer la vie extra-utérine des individus. Mais d'autres vont s'y ajouter.

Lors de la naissance, il y a à l'horizon Est du lieu, un degré ascendant, régi par une planète. Ce degré et cette planète seront le "significateur" de l'enfant, indiquant ce que les circonstances feront de lui jusqu'à l'âge d'un an. L'année d'après, il est déterminé par le degré suivant et l'astre qui le régit. Il en sera de même chaque année, jusqu'à la fin de la vie naturelle de cet homme. Ajoutons que tout homme a "au ciel" deux "parents" : le maître de maison ( kadhudã ) et la maîtresse de maison ( haylãg ) qui influent eux aussi, et sur la durée de vie moyenne, qu'ils peuvent modifier, et sur la prospérité ou le dénuement de cette vie (II, 446, ép. 25, Conception). Mais ce n'est pas tout.

Les grandes étapes de la vie

Chacune des grandes étapes de la vie humaine est elle aussi régie par une planète, les autres participant à cette gérance pour un septième de la durée de cette étape.

Jusqu'à l'âge de quatre ans, l'enfant est régi par la lune, chargée de sa croissance. De quatre à treize ans, la gérance passe à Mercure (la faculté intellectuelle apparaît à l'âge de quinze ans). De treize à vingt et un ans, elle passe à Vénus (qui développe la libido et donne un appétit de parure et de plaisir). De 21 à 31 ans, c'est le tour du soleil, qui vous donne les qualités de chef de famille et vous incite à rechercher puissance et honneur (le soleil, on le sait, donne aussi les qualités de rois et chefs). Après 30 ans peut apparaître éventuellement la faculté philosophique. De 31 à 38 ans, Mars prend le relai (il s'occupe par ailleurs tout spécialement des administrateurs et chefs d'armée). De 38 à 50, c'est le tour de Jupiter, astre de la piété et du renoncement (mais, bien sûr, on peut être sous le signe d'astres qui contrecarrent ces tendances). De 50 à 61, viendra le tour de Saturne. Alors apparaîtra le flétrissement des organes, l'émoussement des sens, le refroidissement de la libido, la disparition progressive des facultés animales. A partir de 61 ans, l'âme n'exercera plus d'activité à travers le corps, ne jouira plus des plaisirs du bas-monde, et peu à peu approchera la mort naturelle (II, 446, ibidem).

Ainsi, les astres, incapables de réaliser à eux seuls l'évolution spirituelle des individus, la facilitent pourtant quand ils sont favorables, dans la mesure de leurs moyens (cette aide à la remontée explique peut-être pourquoi cette gérance commence par la plus basse des planètes et va dans l'ordre ascendant jusqu'à Saturne). Il y a, on le verra, un véritable

parallélisme entre l'action des corps célestes et le progrès psychique qui ne pourrait être assuré sans la prophétie.

Les stades de l'évolution psychique Dès que se manifeste, à quatre ans, 1' « âme parlante », l'enfant exerce ses facultés

psychiques. Il pourra éventuellement franchir un certain nombre de niveaux. 1) La « raison instinctive » qu'on peut atteindre entre 1 5 et 30 ans, et dont les premiers acquis sont les

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«données immédiates » (bada ih) ou "premières" de la raison. C'est le niveau dit des "artisans" et, sur le plan mystique, des « quatre mille ». La connaissance sensible, l'étude et l'apprentissage d'un métier ont amené à la connaissance pratique du monde extérieur. 2) La « raison acquise » (entre 30 et 40 ans). C'est le niveau dit des « chefs et administrateurs » et des quatre cents. Des études rationnelles et la pratique de l'abstraction ont amené à la faculté de démonstration 9. Alors seulement l'âme est suffisamment dégagée de l'emprise des choses matérielles pour jouir de son libre arbitre (si la préparation morale et religieuse est suffisante, on peut déjà bénéficier de l'inspiration). 3) Le niveau de la philosophie (entre 40 et 50 ans). C'est celui des « quarante siddïq- s ». La connaissance de soi et des intelligibles ont donné une connaissance globale de la création et de la prophétie. 4) Le niveau des « quatre abdãl » (à partir de 50 ans). Par une connaissance spirituelle et mystique progressive, certains hommes très exceptionnels ont atteint le niveau des prophètes envoyés et des imams, moteurs de la remontée, qui les ont attirés jusqu'à eux.

Ces 4 444 personnages symbolisent l'ensemble des initiés, qui, sous l'égide de l'imam, constituent la partie terrestre de la « Cité spirituelle » dont la partie céleste est sous l'égide de la « forme humaine » ou Adam céleste, ou Âme parlante humaine universelle, c'est-à-dire en fait de l'Intellect et de l'Âme. Cette Cité spirituelle (qui représente la secte, ou da'wa, ismaïlienne) est inspirée au départ, comme la Cité vertueuse de Fârâbi, de la Cité idéale de Platon 10.

Les cycles de la prophétie et de la société

Les astres ne pouvant à eux seuls assurer le franchissement de ces échelons, la prophétie prend le relai pour cette évolution psychique qui, on l'a vu, ne peut être que très longue ; car si, pour la matière, il était difficile d'accueillir les archétypes, pour les hommes, il est difficile de s'affranchir de la matière. La remontée des âmes dans les sphères ne peut se faire d'un coup ; elle se fait par promotions, à la fin de chacun des cycles de 7 000 ans (6 720 ans environ) commandés par les cycles de Saturne et de Jupiter, le septième de ces "millénaires" étant un millénaire de résurrection et de jugement. Alors les âmes élues monteront d'un échelon dans les sphères célestes ; les plus méchantes, définitivement damnées, deviendront des démons tentateurs torturés par leurs appétits corporels. Quant à celles encore indignes d'émerger parce qu'insuffisamment épurées ou trop ignorantes, elles seront réincarnées et retrouveront leur corps, un corps de même essence et de même forme, au cours du cycle suivant de sept "millénaires".

À chacun de ces cycles réapparaissent sept prophètes envoyés. La prophétie est, je l'ai dit, comme "démultipliée". L'évolution des âmes humaines nécessite des cycles prophétiques et ce sont ceux-ci qui produisent des cycles historiques par le canal des cycles astraux. Chacun des sept "millénaires" est inauguré par un de ces prophètes envoyés qui sont

respectivement Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus, Mahomet et le Qà'im de la résurrection, synthèse de tous les précédents et rappel d'Adam (pour les Ihwãn, le Qà'im est aussi Mahomet ressuscité). Sans le besoin de cette longue évolution des âmes humaines et sans la nécessité de l'ésotérisme qu'elle implique, le Qà'im eût sans doute pu être le seul prophète. Les fins ( akwàr ) de cycles astraux ( adwàr ) sont caractérisées par l'éloignement du fluide

9. Aux niveaux supérieurs, 1' « âme parlante » (dont le siège est le cerveau, résumé de l'activité de l'organisme) peut se détacher de la réalité extérieure et, si l'on peut dire, "tourner à vide" sur ses abstractions.

10. Cf. ma Philosophie des Ihwãn as-Safã', 2e partie, chap. II, 8 et 9 ; et IV, 2 .

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spirituel des astres, et donc de l'Âme qui délaisse le bas-monde, ou du moins la région intéressée, l'abandonnant aux troubles provoqués par les méchants. La nouvelle législation qui, en début de millénaire, vient remplacer la précédente, sera mieux adaptée aux conditions de l'époque. Ces lois religieuses dont les trois dernières sont la judaïque, la chrétienne et la musulmane, recouvrent une même réalité profonde qui doit rester cachée aux non-initiés jusqu'à la manifestation du Qď im, qui, lui, la dévoilera à tous avant le jugement de fin de cycle.

Mais entre les prophètes envoyés, il faut en tout temps un imam (équivalent d'un prophète n'apportant pas une nouvelle Loi) pour continuer à guider les hommes. De même que les envoyés sont au nombre de sept, il y a dans chacun des six premiers millénaires huit séries de sept imams ou "heptades" (usbû'-s, par analogie avec la semaine), constituées chacune de cinq imamats et deux moitiés d'imamat, le dernier imam d'une heptade étant le premier de llieptade suivante, ou qâ'im, évoquant le Qâ'im de la résurrection, car il y a un parallélisme des petits cycles à l'intérieur des grands (Adam et le Qâ'im étant un même personnage).

Les huit heptades sont divisibles en deux séries de quatre heptades qui constituent en 480 ans (ou 476 environ) un cycle complet. Ces quatre heptades se partagent en deux groupes : un groupe renaissance-apogée de 240 (238) ans, durant lesquels les imams régnent avec une grande audience, et un groupe décadence-clandestinité, où le nombre des méchants se multiplie, les imams devant même, durant une période, se cacher. Le passage du groupe décadence-clandestinité au groupe renaissance-apogée est censé être déterminé par le prétendu passage de la conjonction de Saturne et de Jupiter des signes de feu aux signes de terre (par exemple en 928), ou des signes d'air aux signes d'eau (par exemple en 1404) ; l'inverse est lui déterminé par le prétendu passage de la conjonction des signes de terre aux signes d'air (par exemple en 1166) ou des signes d'eau aux signes de feu (par exemple en 690). On comprend donc que les Ihwãn aient une fois de plus utilisé la roue pour symbole : c'est le cercle de l'humanité, tracé et mu par le rayon (Adam terrestre, les six autres prophètes envoyés, et vraisemblablement les imams) entraînant le cercle dans son mouvement autour du centre (Adam céleste, "Forme humaine") d'où a émané le rayon n.

Il ne s'agit pas seulement d'une théorie visant à séduire l'imagination des lecteurs ; les ismaïliens ont cherché et cru en trouver confirmation dans l'histoire. La conjonction de l'an 928 allait bientôt passer, croyaient-ils, d'un signe de feu (le Sagittaire) à un signe de terre, annonçant l'approche d'une heptade de renaissance et le moment propice à l'accession de leurs imams au califat. Leurs missionnaires se sont efforcés de gagner à leur cause le maximum de partisans en usant entre autres de cet argument. Et c'est en janvier 910, on le sait, que l'imam 'Abdallãh, proclamé calife, inaugurait la dynastie fatimide.

Les cycles prophétiques et les autres

Tous les corps célestes et leurs cycles agissent donc dans tous les domaines à la fois : sur les corps matériels, sur le tempérament et sur les traits de caractère, affirment les Ihwãn (II, 433, ép. 25, Conception), et donc aussi sur les sociétés. Les très grands cycles, on l'a vu, bouleversent la physique du globe et le climat. Même les 48 conjonctions de Saturne et

11. Si les Ihwãn mettent en parallèle les quatre âges de la vie, les quatre phases de la lune, les quatre saisons, avec le cycle des quatre heptades, les huit mois de la gestation (double parcours du soleil dans les triplicités) suivie de la naissance, symbolisent pour eux les huit heptades du millénaire (parcours de la conjonction dans toutes les triplicités) suivies de la résurrection.

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Jupiter au cours d'un "millénaire" exercent un effet parallèle à celui d'un déplacement des fixes égal à un décan, en y mettant une coloration bénéfique ou maléfique. Même la période d'une double heptade de décadence et de clandestinité s'accompagne de toute une série de calamités d'ordre physique et climatique en même temps que de maux d'ordre moral et social (1, 180, ép. 4, Géographie ; III, 267, ép. 36, Cycles). Les cycles que j'appelle "prophétiques" ont donc beaucoup d'autres effets parallèles. Mieux, ils ont joué leur rôle bien avant l'apparition de l'homme sur terre. En fait, tous les cycles pourraient être dits "prophétiques", parce qu'ils ont été créés pour régler et rythmer l'évolution nécessaire à la remontée des âmes qui, dès la venue sur terre du « Premier Adam », se poursuivit par la prise en charge directe des « âmes parlantes » par les prophètes, et cela jusqu'à ce que toutes celles qui en seront dignes aient rejoint la « Forme humaine », "fils" de l'Intellect et de l'Âme.

Conclusion

Tous les philosophes hellénisants de l'époque ont une conception analogue d'une évolution commandée par les astres. C'est le cas de tous les théoriciens ismaïliens, qui cependant ont chacun leur système cosmologique, plus ou moins différent, selon les auteurs, de ceux des autres. Le seul point sur lequel ils soient tous absolument d'accord, c'est le cycle de la prophétie et de l'imamat commandé par les conjonctions de Saturne et de Jupiter ; tout au moins s'agissant du "millénaire" de Mahomet (plusieurs auteurs, notamment Abü Ya'qüb al-Sigistânï, considèrent qu'il y eut dans les millénaires précédents des périodes sans imams et seulement six imams entre deux législateurs).

En ce qui concerne Färäbl, lui vraisemblablement duodécimain, malgré l'étude qu'il consacra à Aristote et l'intérêt primordial que, contrairement aux Ihwàn, il lui portait, son système reste assez proche du leur, à part l'innovation (?) des dix intellects. Le fait que l'âme individuelle soit constituée, à ses yeux, d'une accumulation de facultés envoyées par les astres, et non de facultés de la Nature, tient à ce que pour lui, il n'y a pas ici-bas une Nature « queue de l'Âme » ; et la Matière première est par elle-même sans vie. Différence donc relativement peu importante. Naturellement, il ignore la thèse des cycles de l'imamat déterminés par les grandes conjonctions, qui, bien qu'apparemment fantaisiste, assure si bien la cohérence de la doctrine des Ihwàn et des auteurs ismaïliens médiévaux 12.

12. Dans ma contribution au Yãd-nãma à la mémoire d'Alessandro Bausani (Universita di Roma, « La Sapienza », Studi Orientali , volume X, Rome, 1991), « À propos de l'évolution de la pensée de Färäbl », j'ai eu tort d'écrire que, pour les Ihwàn, l'"âme parlante" descendait dans le corps une fois celui-ci préparé (j'avais mal interprété quelques phrases des épîtres, je m'en rends compte maintenant). En fait, l'évolution du corps est réalisée, on l'a vu, grâce à celle de l'âme (comme chez Färäbl).

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