5
(~ Masson, Paris. Ann Fr Anesth R6anim, 11 : 685-689, 1992 RE-UNION Sddation et ddpense 6nergdtique chez le patient traumatisd cr&nien Sedation and energy expenditure in head trauma N. BRUDER, J.C. DUMONT, G. FRAN(~OIS D~partement d'Anesthosie-R6animation Adultes, CHU Timone, Boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille Cedex 05 RI~SUME: La s6dation est couramment utilis6e chez les patients neurotraumatis6s graves pour assurer une stabilit6 h6modynamique et respiratoire. Elle entralne une diminution souvent importante de la d6pense 6nergdtique en agissant sur ses prlncipales composantes que sont la douleur, l'6tat d'dveil du sujet, le niveau d'activit6 musculaire et la thermogen6se. Le niveau de s6dation est rarement pr6cis6 darts les 6tudes sur la d6pense 6nerg6tique des patients de r6animation. Ceci explique la variabilit6 des niveaux mdtaboliques rapport6s pour ces patients et la difficult6 de comparer diff6rentes situations pathologiques. Au r6veil, on ne dispose que de donn6es tr6s fragmentaires sur l'6volution de la d6pense 6nerg6tique chez ces patients. Ces donn6es ainsi que les 6tudes r6alis6es dans le cadre de l'anesthdsie sugg6rent une augmentation brutale et majeure de cette d6pense 6nerg6tlque. Mots-cl6s : ANESTH~,SIE : sOdation ; MI)TABOLISME : ddpenses dnergdtiques ; OXYGt~NE : consom- mation ; TRAUMA T1SME : crc~nien. Un des objectifs principaux du traitement des patients neurochirurgicaux est la pr6servation de l'hom6ostasie c4r6brale. Cette notion d'hom6osta- sie est tr~s proche de celle du maintien d'une balance 6nerg6tique stable au niveau c6r6bral, c'est-h-dire d'un 6quilibre entre apport et consom- marion d'oxyg6ne. Les moyens utilis6s pour assu- rer cet 6quilibre sont le maintien d'un 6tat h6mo- dynamique stable, l'absence de troubles ventila- toires, la diminution de l'agitation et le traitement de l'hypertension intracrgnienne. La s6dation est le traitement le plus utilis6 pour assurer ces objec- tifs. I1 est donc licite de s'interroger sur son effet sur la balance 6nerg6tique c6r6brale. Les mesures de consommation d'oxyg6ne au niveau des diff6- rents organes sont encore du domaine exp6rimen- tal mais on commence ~ disposer d'un certain nombre de donn6es concernant l'effet de la s6da- tion sur la consommation en oxyg~ne (902) ou la d6pense 6nerg6tique (DE) de l'organisme entier. M#THODE DE MESURE DE LA D#PENSE I=NERGCTIQUE En clinique, il existe actuellement deux m6thodes de mesure de la ~'Oz et de la d6pense 6nerg6tique. La premi6re et la plus utilis6e est la m6thode de Fick. Elle n6cessite la pr6sence d'un cath6ter de Swan-Ganz dans l'art~re pulmonaire pour la mesure du d6bit cardiaque et de la diff6- rence art6rioveineuse en oxyg~ne. Cette m6thode pr6sente de multiples inconv6nients m6thodo.logi- ques. Tout d'abord, il faut souligner que la VO2, obtenue par cette m6thode, est calcul6e et non pas r6ellement mesur6e. Les 616ments qui entrent dans ce calcul sont le taux sanguin d'h6moglobine, les saturations art6rielle et veineuse en oxyg~ne de l'h6moglobine, et le d6bit cardiaque. Chacune de ces mesures est sujette gt des causes d'erreur qui sont multipli6es lors du calcul final. Au mieux, la pr6cision de la mesure de la ~'O2 par cette m6thode est de + 15 % [21]. En pr6sence d'une instabilit6 h6modynamique ou respiratoire, la pr6- cision de la mesure diminue rapidement. De plus, les mesures obtenues par cette m6thode ne peu- vent 6tre que ponctuelles, alors que la variabilit6 de la xQO 2 pendant la journ6e chez un m6me patient a souvent 6t6 soulign6e. Actuellement, la m6thode de Fick semble insuffisante pour l'6tude des variations de 'QO2 [17]. La deuxi~me m6thode est la mesure des 6changes gazeux au niveau pulmonaire, c'est-a-dire la calorim6trie indirecte. La. pr6cision de cette m6thode sur la mesure de la VO2 ou de la DE est d'environ + 5 % dans les meilleures conditions. Pour que la mesure soit valide, un certain nombre d'imp6ratifs doivent 6tre respect6s. I1 faut princi- palement s'assurer de l'absence de fuite gazeuse rant sur le circuit du respirateur qu'au niveau du patient, 6viter les mesures sous Fio 2 sup6rieure 50 % ou avec un niveau de PEP 61ev6, et ~tre distance d'une anesth6sie par inhalation. Actuelle- Communication pr4sent6e lors des XIV es Journ6es de Neuro- Anesth6sie-R6animation de Langue Fran~aise, Marseille, 1992. Tir~s a part : N. Bruder.

Sédation et dépense énergétique chez le patient traumatisé crânien

  • Upload
    g

  • View
    215

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Sédation et dépense énergétique chez le patient traumatisé crânien

(~ Masson, Paris. Ann Fr Anesth R6anim, 11 : 685-689, 1992 RE-UNION

Sddation et ddpense 6nergdtique chez le patient traumatisd cr&nien

Sedation and energy expenditure in head trauma

N. BRUDER, J.C. DUMONT, G. FRAN(~OIS

D~partement d'Anesthosie-R6animation Adultes, CHU Timone, Boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille Cedex 05

RI~SUME : La s6dation est couramment utilis6e chez les patients neurotraumatis6s graves pour assurer une stabilit6 h6modynamique et respiratoire. Elle entralne une diminution souvent importante de la d6pense 6nergdtique en agissant sur ses prlncipales composantes que sont la douleur, l'6tat d'dveil du sujet, le niveau d'activit6 musculaire et la thermogen6se. Le niveau de s6dation est rarement pr6cis6 darts les 6tudes sur la d6pense 6nerg6tique des patients de r6animation. Ceci explique la variabilit6 des niveaux mdtaboliques rapport6s pour ces patients et la difficult6 de comparer diff6rentes situations pathologiques. Au r6veil, on ne dispose que de donn6es tr6s fragmentaires sur l'6volution de la d6pense 6nerg6tique chez ces patients. Ces donn6es ainsi que les 6tudes r6alis6es dans le cadre de l'anesthdsie sugg6rent une augmentation brutale et majeure de cette d6pense 6nerg6tlque.

Mots-cl6s : ANESTH~,SIE : sOdation ; M I ) T A B O L I S M E : ddpenses dnergdtiques ; OXYGt~NE : consom- mation ; T R A U M A T1SME : crc~nien.

Un des objectifs principaux du traitement des patients neurochirurgicaux est la pr6servation de l 'hom6ostasie c4r6brale. Cette notion d'hom6osta- sie est tr~s proche de celle du maintien d 'une balance 6nerg6tique stable au niveau c6r6bral, c'est-h-dire d 'un 6quilibre entre apport et consom- marion d'oxyg6ne. Les moyens utilis6s pour assu- rer cet 6quilibre sont le maintien d'un 6tat h6mo- dynamique stable, l 'absence de troubles ventila- toires, la diminution de l'agitation et le traitement de l 'hypertension intracrgnienne. La s6dation est le traitement le plus utilis6 pour assurer ces objec- tifs. I1 est donc licite de s'interroger sur son effet sur la balance 6nerg6tique c6r6brale. Les mesures de consommation d'oxyg6ne au niveau des diff6- rents organes sont encore du domaine exp6rimen- tal mais on commence ~ disposer d 'un certain nombre de donn6es concernant l'effet de la s6da- tion sur la consommation en oxyg~ne (902) ou la d6pense 6nerg6tique (DE) de l 'organisme entier.

M#THODE DE MESURE DE LA D#PENSE I=NERGCTIQUE

En clinique, il existe actuellement deux m6thodes de mesure de la ~'Oz et de la d6pense 6nerg6tique. La premi6re et la plus utilis6e est la m6thode de Fick. Elle n6cessite la pr6sence d 'un cath6ter de Swan-Ganz dans l'art~re pulmonaire pour la mesure du d6bit cardiaque et de la diff6- rence art6rioveineuse en oxyg~ne. Cette m6thode

pr6sente de multiples inconv6nients m6thodo.logi- ques. Tout d'abord, il faut souligner que la VO2, obtenue par cette m6thode, est calcul6e et non pas r6ellement mesur6e. Les 616ments qui entrent dans ce calcul sont le taux sanguin d'h6moglobine, les saturations art6rielle et veineuse en oxyg~ne de l 'h6moglobine, et le d6bit cardiaque. Chacune de ces mesures est sujette gt des causes d'erreur q u i sont multipli6es lors du calcul final. Au mieux, la pr6cision de la mesure de la ~'O2 par cette m6thode est de + 15 % [21]. En pr6sence d 'une instabilit6 h6modynamique ou respiratoire, la pr6- cision de la mesure diminue rapidement. De plus, les mesures obtenues par cette m6thode ne peu- vent 6tre que ponctuelles, alors que la variabilit6 de la xQO 2 pendant la journ6e chez un m6me patient a souvent 6t6 soulign6e. Actuellement, la m6thode de Fick semble insuffisante pour l '6tude des variations de 'QO2 [17].

La deuxi~me m6thode est la mesure des 6changes gazeux au niveau pulmonaire, c'est-a-dire la calorim6trie indirecte. La. pr6cision de cette m6thode sur la mesure de la VO2 ou de la DE est d'environ + 5 % dans les meilleures conditions. Pour que la mesure soit valide, un certain nombre d'imp6ratifs doivent 6tre respect6s. I1 faut princi- palement s'assurer de l 'absence de fuite gazeuse rant sur le circuit du respirateur qu'au niveau du patient, 6viter les mesures sous Fio 2 sup6rieure 50 % ou avec un niveau de PEP 61ev6, et ~tre distance d'une anesth6sie par inhalation. Actuelle-

Communication pr4sent6e lors des XIV es Journ6es de Neuro- Anesth6sie-R6animation de Langue Fran~aise, Marseille, 1992.

Tir~s a part : N. Bruder.

Page 2: Sédation et dépense énergétique chez le patient traumatisé crânien

686 N. BRUDER ET COLL.

ment, plusieurs appareillages sont facilement utili- sables en clinique [12]. Dans la suite de cet expos6, la grande majorit6 des travaux cit6s utili- sent la calorim6trie indirecte comme m6thode de mesure. Nous signalerons les 6tudes utilisant la m6thode de Fick quand les donn6es de calorim6- trie indirecte manquent. S.elon les 6tudes, le para- m6tre mesur6 est soit la VO2 soit la DE. I1 existe entre ces deux param6tres une relation pratique- ment lin6aire et en dehors des 6tudes de nutrition artificielle les deux mesures sont superposables. Par la suite, les deux termes seront donc indiff6- remment utilis6s.

COMPOSANTES DE LA DISPENSE #NERGETIQUE CHEZ LE PATIENT DE REANIMATION

Douleur

I1 est facile de comprendre que la douleur est un facteur d'augmentation de la VO2 et de la DE. En revanche, cette augmentation est difficilement quantifiable du fair de l'absence d'6chelle objective de cotation des ph6nom6nes algiques. De plus, la relation DE-douleur est 6tudi6e par le biais de l'analg6sie qui a presque toujours un effet anxioly- tique ou hypnotique, dont l'effet sur la DE est indissociable de l'analg6sie. Ceci explique la grande variabilit6 de l'effet de l'analg6sie sur la DE en fonction du type de patients 6tudi6s et de la technique analg6sique utilis6e. Chez des patients de r6animation, l'injection d'une faible dose de morphine (0,05 mg • kg -1) entraine une diminution de la DE en moyenne de 8 % mais avec des extr6mes de 4 h 20 % variables selon les patients [22]. Cette variabilit6 est en relation avec le niveau de la DE avant l'injection. Quand la DE est 61ev6e, elle diminue de 2 1 % apr~s l'injection de 0,5 mg - kg -1 de morphine alors que la diminu- tion n'est que de 9 % quand elle est basse [19]. En p6riode postop6ratoire imm6diate, des patients qui b6n6ficiaient d 'une analg6sie morphinique p6ri- durale avaient une VO2 environ 50 % plus basse que les patients t6moins [1]. Cet effet important .est 1i6 en partie h la r6duction des p6riodes d'agi- ration et du frisson qui accompagnent la douleur.

Sommeil

Chez le sujet sain, le m6tabolisme le plus bas est observ6 au cours du sommeil (environ 0,9 kcal • rain -l pour un adulte de 70 kg). Chez le sujet 6vei!16, la DE atteint environ 1,0 kcal - min -~ [14]. Chez des patients de r6anjmation, le sommeil entra[ne une diminution de la VO2 d'environ 15 % par rapport h l'6tat de repos sans activit6 muscu- laire [24]. Cette r6duction de la DE, induite par le sommeil, est h peu pr6s de la m6me amplitude que celle provoqu6e par une pr6m6dication. Nous avons mesur6 pendant une p6riode d'une heure la d6pense 6nerg6tique de huit volontaires sains jeun au repos, avant et 60 minutes apr6s la prise

orale de 1 mg de flunitraz6pam. Elle diminue de 1,07 h 0,96 fois le m6tabolisme de base (.MB), ce qui correspond ?t une baisse de VO2 de 10 + 6,6 %. L'effet est tr6s variable scion les indi- vidus, la VO2 diminuant de - 0 , 0 2 ~ - 2 1 , 8 % [11]. I1 faut remarquer que cette 6tude ne prend pas en compte le facteur d'anxi6t6 pr6op6ratoire et dans ces conditions, la baisse de la DE li6e h la pr6m6dication est probablement plus importante chez certains patients.

ActivitO musculaire

L'activit6 musculaire est le principal facteur de variabilit6 de la DE. Chez le sujet sain, la DE de repos est multipli6e par un facteur de 2 h 5 lors de la marche, de 20 lors d'un effort maximal [14]. En anesthEsie, le frisson est la principale cause d'augmentation de la DE. Un frisson g6n6ralis6 peut augmenter la VO 2 de plus de trois lois [1]. Au r6veil chez des patients op6r6s d'une chirurgie cardiaque, la VO2 des patients qui frissonnent est en moyenne plus 61ev6e de 50 % que la VO2 des patients sans frisson. Cette augmentation s:accom- pagne d'une 616vation de la fr6quence cardiaque, de la pression art6rielle moyenne, de l'index car- diaque, et d'une diminution de la saturation du sang veineux m~16 en oxyg6ne [18]. Chez les trau- matis6s crfiniens, l'agitation est fr6quente mais dif- ficilement quantifiable. Ceci explique certainement une partie importante de l 'hyperm6tabolisme de ces patients.

Autres eomposantes (ventilation artifieielle, nutrition, thermogenese)

Le cofit en oxyg6ne de la ventilation repr6sente moins de 5 % de la VO2 totale de l'organisme chez le sujet sain non anesth6si6. Chez l'op6r6, ce cofit est plus 61ev6 et correspond ~a environ 10 % [23]. Chez des patients indemnes de maladie respi- ratoire, la diminution de la DE, provoqu6e par la ventilation artificielle, est donc peu importante. Cependant, chez ceux qui ont une insuffisance respiratoire ou qui requi6rent une ventilation arti- ficielle de longue dur6e en r6animation, le sevrage de celle-ci s'accompagne d'une augmentation de la VO2, de l 'ordre de 30 % [20].

L'hyper ou l 'hypothermie influence 6galement le niveau de la DE m6me en l'absence de frisson. La variation de la VO 2 est d'environ 13 % par degr6 centigrade. II est fr6quent d'observer chez des traumatis6s crfiniens des troubles de la thermor6- gulation. I1 s'agit le plus souvent d'une hyperther- mie chez les patients ayant une h6morragie intra- c6r6brale mais une hypothermie peut aussi 6tre observ6e, surtout si une s6dation profonde est institu6e. La figure 1 rapporte l'6volution de la DE et de la temp6rature d'une patiente neurotrau- matis6e grave trait6e par thiopental. Tout au long du r6chauffement de la patiente, on peut voir que la DE et la temp6rature 6voluent en parall61e e t

Page 3: Sédation et dépense énergétique chez le patient traumatisé crânien

SI~DATION ET DISPENSE I~NERGCTIQUE 687

40- • T ° ' 2200

~ ' 2000

38- ~

. t s o o

~. ,~ - 16oo

,6 . 14oo

" ~ " 1200

T e m p s Oa) 3 2 , 1000

1'~ 14 1~ 11 2o ':,2 24 o l 03 os o7 o9

Fig. 1. - - Evolution de la d6pense 6nerg6tique et de la temp6rature corporelle lors du r6chauffement d'une patiente neurotraumatis6e. I1 s'agit d'une patiente sous s6dation par thiopental en raison de troubles neurov6g6tatifs graves. Une hyperthermie avait justifi6 un refroidissement externe s'av6rant excessif et une hypothermie h 33 °C est constat6e h 12 heures. Un r6chauffement externe et interne est prescrit de 12 ~ 19 h. Malgr6 l'arrEt des th6rapeutiques de r6chauffement, la temp6- rature corporelle et la d6pense 6nerg6tique continuent d'aug- menter jusqu'~ 40 °C et 2 100 kcal • j-~ respectivement.

que la D E augmente de 13 ~ 14 % p a r d e g r 6 . Ent re 33 et 37 °C, elle augmente de plus de 50 % passant de 1 034 a 1 598 kca l . j - l . La thermoge- n~se induite par les nutriments peut l'61ever mod6- r6ment. Ce facteur est ind6pendant du niveau de s6dation et ne sera donc pas 6tudi6 dans cet expos6.

I~VOLUTION DE LA CONSOMMATION D'OXYGF:NE EN ANESTHESIE GENERALE

Plusieurs m6canismes sont responsables de la diminution perop6ratoire de la VO2 li6e h l 'anes- th6sie g6n6rale. La demande musculaire en oxyg6ne diminue du fait de l ' immobilisation, de la baisse du tonus qui est maximale en cas de curarisation, et de la ventilation artificielle. L 'effet des curares d6pend de la profondeur de l 'anesth6sie. Dans l '6tude de B]sHoP [3], utilisant la m6thode de Fick chez des patients .sous s6dation 16g~re, la curarisation dimi- nue la VO2 de 22 % chez les patients ayant une activit6 musculaire importante, alors que la dimi- nution n 'est que de 15 % chez les patients moins actifs. Sous anesth6sie g6n6rale profonde, la dimi- nution de la VOz provoqu6e par la curarisation est cer tainement encore plus faible, inf6rieure h 10 %. L 'hypothermie est fr6quente en p6riode perop6ra- toire. Nous avons vu qu'elle entraine une diminu- tion de la "QO2 d'environ 13 % par degr6 centi- grade. Enfin, la plupart des agents anesth6siques dimi- nuent la consommation en oxyg6ne de certains organes no tamment du cerveau et du coeur. Ces deux organes, chez un sujet au repos, correspon- dent h eux seuls ~ 3 0 % de la VO2 totale de l 'organisme [2].

• Cependant , si les causes de diminution de la VO2 pendant l 'anesth6sie sont bien connues, l 'ampli tude de leurs effets est plus difficile appr6cier. D 'une part , on ne dispose souvent que de mesures ponctuelles de la D E dont l 'extension sur des p6riodes plus longues est al6atoire. D 'au- tre part , la valeur de r6f6rence ~ laquelle elle est compar6e varie d 'une 6tude ~ l 'autre : valeur th6o- rique calcul6e, valeur obtenue avec ou sans pr6- m6dication, valeur mesur6e pendant le sommeil. Enfin la baisse de la "QO2 induite par l 'anesth6sie d6pend probablement des agents anesth6siques uti- lis6s. Globalement , par rapport ~ la valeur obte- nue sous pr6m6dication, elle diminue de 10 30 % sous anesth6sie. Cette diminution semble plus importante sous anesth6sie halog6n6e que sous anesth6sie intraveineuse (flunitraz6pam-fenta- nyl) mais ceci reste ~a confirmer [23]. I1 faut souli- gner que dans un protocole exp6rimental chez des chiens, la "VO2 est cons tamment plus basse pen- dant le sommeil que sous anesth6sie, et ceci, quel que soit le produit utilis6 (m6thohexital, thiopen- tal, 6tomidate, halothane) [15]. La notion d 'hypo- m6tabolisme induit par l 'anesth6sie g6n6rale est nuancer et d6pend de la valeur de .r6f6rence choisie.

SI~DATION ET DISPENSE ENERGETIQUE CHEZ LE TRAUMATISE CRANIEN

Effet de la s6dation sur la d6pense ~nerg6tique

Classiquement, le patient traumatis6 cr~nien a un m6tabolisme exag6r6. Dans les 6tudes de HAI- DER et coll., CLIFTON et coll. ou MOORE et coll., les D E moyennes mesur6es varient entre 140 et 180 % du m6tabolisme de base calcul6 [9, 13, 16]. Cet hyperm6tabol isme est reli6 h l'intensit6 de la r6action hormonale qui suit le traumatisme. En effet, des taux de cortisol, de glucagon, d'insuline et de cat6cholamines 50 ~ 600 % au-dessus des valeurs de r6f6rence ont 6t6 mesur6es dans les cinq jours qui suivent le t raumatisme. Cette r6ac- tion hormonale est aussi intense en cas de t rauma- tisme cr~nien grave isol6 qu 'en cas de polytrauma- tisme [6]. Mais la d6charge adr6nergique n'expli- que qu 'une partie de l 'augmentat ion de la DE. Chez des traumatis6s cr~niens, le propranolol diminue la D E de 6 %, c'est-~-dire d 'un quart seulement l 'hyperm6tabolisme observ6 (diff6rence entre la D E mesur6e et th6orique) [7].

Dans d 'autres 6tudes chez des traumatis6s cr~- niens graves sous s6dation profonde, le niveau de la D E ~ la phase initiale est proche de la valeur du m6tabolisme de base calcul6 [4, 8, 10]. Dans l '6tude de DEMPSEY et coll., la DE des patients sans trai tement barbiturique est 126 % au-dessus du m6tabolisme de base calcul6, alors que celle des patients trait6s par barbituriques est de 86 % [10]. Chez deux patients, il existe une corr61ation entre le niveau de la D E et le taux sanguin de

Page 4: Sédation et dépense énergétique chez le patient traumatisé crânien

688 N. BRUDER ET COLL.

pentobarbital. Chez des patients atteints de neuro- traumatisme grave sans infection, nous avons com- par6 la DE des m6mes patients ~ deux phases diff6rentes du traumatisme. La premiere phase est la p6riode posttraumatique pr6coce (4 + 3 jours apr6s le traumatisme) pendant laquelle l'hyperm6- tabolisme est th6oriquement maximal et la d6pense 6nerg6tique des patients est de 1 737 _ 71 kcal • j-1,(1,04 + 0,05 × MB). La deuxi6me phase correspond h la p6riode posttraumatique tardive (18 + 8 jours apr6s le traumatisme), o4 l'hyperm6- tabolisme est beaucoup moins important et la d6pense 6nerg6tique est de 2 121 + 194 k c a l - j - i (1,34 + 0,10 × MB). Les seules diff6rences th6ra- peutiques majeures entre ces deux p6riodes sont l'arr6t de la s6dation et de la ventilation artifi- cielle [4]. Le principal facteur qui explique la dimi- nution importante de la DE li6e h la s6dation chez les neurotraumatis6s est certainement la baisse de l'activit6 musculaire. Dans une 6tude de CLIFTON et coll. [8], la curarisation diminue la DE en moyenne de 42 % et est h u n niveau de 100 125 % du m6tabolisme de base th6orique.

La variabilit6 de la DE chez les patients de r6animation est importante. Elle est inter [8, 10] et intra-individuelle avec des variations de plus de 50 % dans la m6me journ6e [7, 24]. Ces varia- tions, h l'origine de modifications h6modynami- ques, sont att6nu6es par un traitement s6datif.

R6veil et d6pense energ6tique

L'6volution de la DE suivant l'arr6t de la s6da- tion a 6t6 assez largement 6tudi6e dans le cadre de l'anesth6sie. Sch6matiquement, elle 6volue en deux phases. Dans les quelques minutes ou heures postop6ratoires imm6diates, elle augmente de mani6re parfois importante sous l'effet de l'agita- tion, du frisson, de la douleur et de la reprise d'une ventilation spontan6e [1]. Puis, progressive- ment, elle retrouve des valeurs proches de celles de la p6riode pr6op6ratoire. Cet aspect dynamique de son 6volution apr6s l'arr~t de la s6dation n'a pratiquement pas 6t6 6tudi6 chez des patients de r6animation. On ne dispose que de donn6es ponc- tuelles, 'souvent mesur6es h des moments tr~s dif- f6rents de l'6volution des patients. Or, l'arr6t de la s6dation est un moment d6cisif qui est souvent d6cid6 h de multiples reprises chez les neurotrau- matis6s pour permettre une 6valuation clinique de leur 6tat neurologique. Nous avons mesur6 la DE apr~s l'arr6t de la s6dation chez 12 patients neuro- traumatis6s graves (ISS = 29,7 + 5 ,3 ; score de Glasgow initial = 4,8 + 1,5) [5]. Chez 7 d'entre eux, elle a pu 6tre d6finitivement arr6t6e (groupe 1). Chez 5 autres, elle a dfi 6tre reprise en raison de l'apparition de troubles neurov6g6ta- tifs, d 'une 616vation de la pression intracr~nienne ou d'une agitation incoercible (groupe 2). Dans le groupe 1, la DE a 6t6 mesur6e sous s6dation, pendant les 12 premieres heures du r6veil, puis 24

et 48 heures apr~s l'arr6t de la s6dation. Dans le groupe 2, la DE a 6t6 mesur6e sous s6dation, pendant la p6riode de r6veil et apr~s reprise de la s6dation. Dans les deux groupes, la valeur maxi- male horaire mesur6e pendant le r6veil a 6gale- ment 6t6 retenue. Les r6sultats sont rapport6s dans les figures 2 et 3. I1 n'y a pas de diff6rence significative entre les 2 groupes. Pour les patients du groupe 1, l'6volution de la DE est sch6mati- quement comparable h celle d'un r6veil anesth6si- que mais sur une dur6e plus longue. La DE est basse sous s6dation, passe par un maximum pen- dant la p6riode du r6veil puis revient progressive- ment vers des valeurs plus basses, comparables h celles que nous avions mesur6es chez d'autres neu- rotraumatis6s [4]. Pendant la p6riode de s6dation, la variabilit6 interindividuelle de la DE est faible (DE/MB = 1,12 + 0,1), alors qu'elle est impor- tante pendant la p6riode de r6veil (DE/MB = 1,62 + 0,28). I1 existe une corr61ation significative entre la DE et la pression art6rielle moyenne. Les niveaux maximaux de DE observ6s pendant des p6riodes d'une heure sont trbs 61ev6s. Un patient augmente sa DE jusqu'h 4204 kcal . j - i soit

2,0

1,8

1,6

1,4

1,2

1,0 S~daflon Max 0-12 h 2,1, h 48 h

Fig. 2. - - Evolution du rapport d6pense 6nerg6hque sur m6ta- bolisme de base pour les patients du groupe 1. Les valeurs repr6sentent successivement la p6riode de s6dation, la DE horaire maximale et la valeur moyenne des 12 premieres heures du r6veil, la DE ~ 24 et 48 heures apr~s !'arr6t de la s6dation.

2,1

1,9

1,7

1,3

1,1

0,9 |

S'~daUon Max R,~veil S~dation

Fig. 3. - - Evolution du rapport d6pense 6nerg6tique sur m6ta- bolisme de base pour les patients du groupe 2. Les valeurs repr6sentent successivement la p6riode de s6dation, la DE horaire maximale pendant l'arr6t de la s6dation, la valeur moyenne apr~s reprise de la s6dation.

Page 5: Sédation et dépense énergétique chez le patient traumatisé crânien

S#DATION ET D#PENSE #NERG#TIQUE 689

2,25 x MB. Ces niveaux m6tabol iques ne peuven t 8tre at te ints qu ' au prix d ' u n e a u g m e n t a t i o n impor- tante du t ranspor t en oxyg6ne, c 'est-h-dire du d6bit cardiaque. Si on consid~re q u ' u n des objec- tifs en neu ro t r aumato log ie est d 'op t imise r le rap- port en t re t ranspor t et d e m a n d e en oxyg~ne au n iveau c6r6bral et de stabiliser la pression intracrfi- n i enne , toute modif ica t ion bruta le de l '6qui l ibre h 6 m o d y n a m i q u e est po ten t i e l l emen t n6faste. La mesure de la D E ~ la phase de r6veil m o n t r e l '6vidence qu ' i l s 'agit d ' u n e p6riode ~ r isque pour ces pat ients . Ces donn6es just i f ient p r o b a b l e m e n t aussi les recherches pe rme t t an t de d iminue r cette phase d ' hype rm6tabo l i sme intense. U n cer ta in n o m b r e de moyens pharmacologiques (drop6ridol , c lonidine) , qui ont 6t6 6tudi6s ~ la phase de r6veil de l 'anesth6sie , devra ien t t rouver une indica t ion chez les neuro t raumat i s6s .

CONCLUSION

Les diff6rents t ravaux publi6s m o n t r e n t que la s6dat ion a une inf luence impor t an te sur le n iveau de la d6pense 6nerg6t ique. Dans les 6tudes sur la d6pense 6nerg6t ique des pat ients de r6an imat ion , il serait donc impor t an t de connaRre ce n iveau de s6dat ion pour adapter l ' appor t nu t r i t ionne l . Or, ceci est r a r emen t pr6cis6, d 'oh la diversit6 des r6sultats publi6s conce rnan t le n iveau m6tabo l ique de ces pat ients . D ' a u t r e part , l 'arr~t de la s6dat ion s ' accompagne f r 6 q u e m m e n t d '6pisodes d 'ag i ta t ion , d 'hyperven t i l a t ion ou d 'hyper t ens ion art6rielle dont les effets d616t~res sont real 6valu6s. La mesure de la d6pense 6nerg6t ique est un m o y e n d 'appr6c ier le re ten t i s sement m6tabol ique du r6veil et 6ven tue l l emen t d '6va luer les m6thodes ayant pour but de r6duire ces modif icat ions m6tabol i - ques. Enf in , il est t en tan t d 'ut i l iser la mesure de la d6pense 6nerg6t ique pour la compara i son des diff6rents n iveaux de s6dat ion mais ceci reste 6valuer.

BIBLIOGRAPHIE

1. ANNAT G, VIALE JP, BERTRAND O. D6pense 6nerg6tique pendant l'anesth6sie et la p6riode de r6veil (pp 209-220). In: Conf6rences d'Actualisation, SFAR, Masson, Paris, 1991.

2. BENHAMOU D, DESMONTS JM. La consommation d'oxyg~ne per et postanesth6sique. Ann Fr Anesth Rdanim, 3 : 205- 211, 1984.

3. BisHoP MJ. Hemodynamic and gas exchange effects of pancuronium bromide in sedated patients with respiratory failure. Anesthesiology, 60 : 369-371, 1984.

4. BRUDER N, DUMONT JC, FRANqOIS G. Evolution of energy expenditure and nitrogen excretion in severe head injured patients_ Crit Care Med, 19 : 43-48, 1991.

5. BRUDER N, LASSEGUE D, PELISSIER D, GRAZZIANI N, FRAN(~OIS G_ Evolution de la d6pense 6nerg6tique lors de

l'arr6t de la s6dation chez des neurotraumatis6s graves. Ann Fr Anesth ROanim, 11 (suppl) : R141, 1992.

6. CHIOLERO R, SCHUTZ Y, LEMARCHAND TH, FELBER JP, DE TRIBOLET N, FREEMAN J, JEQU1ER E. Hormonal and meta- bohc changes following severe head injury or non cranial injury. JPEN, 13: 5-12, 1989.

7. CHIOLERO RL, BREITENSTEIN E, THORIN D, CHRISTIN L, DE TRIBOEET N, FREEMAN J, JEQUIER E, SCHUTZ Y. Effects of propranolol on resting metabolic rate after severe head injury. Crit Care Med, 17 : 328-334, 1989.

8. CLIFTON GL, ROBERTSON CS, CHOI SC. Assessment of nutritional requirements of head injured patients. J Neuro- surg, 64: 895-901, 1986.

9. CLIFTON GL, ROBERTSON CS, GROSSMAN RG, HODGE S, FOLTZ R, GARZA C. The metabolic response to severe head injury. J Neurosurg, 60: 687-696, 1984.

10. DEMPSEY DT, GUENTER P, MULLEN JL, FAIRMAN R, CROSBY LO, SPEILMAN G, GENNARELLI L. Energy expenditure in acute trauma to the head with and without barbiturate therapy. Surg Gynecol Obstet, 160: 128-134, 1985.

11. DUMONT JC, AUDEBERT C, AUQUIER P, FRANt~OIS JC, AKAGA R, FRANqOIS G. Effets de la pr6m6dication par Rohypnol ® sur la consommation d'oxyg6ne chez le sujet saiD. Ann Fr Anesth Rdanim, 9 (suppl) : R64, 1990.

12. DUMONT JC, BRUDER N, FRANqOIS G- Calorim6trie indi- recte: donn6es r6centes et utilisation pratique. Editions techniques. Encycl Mdd Chir (Paris), Anesth6sie-R6anima- tion, 36880 A 1°, 1991.

13. HAIDER W, LACKNER F, SCHLICK W. Metabolic changes in the course of severe acute brain damage. Eur J Intensive Care Med, 1: 19-26, 1975.

14. JEQUIER E. M6tabolisme 6nerg6tique. Encycl Mdd Chir (Paris). Nutrition, 10371 A TM, 11-1980.

15. MIKAT M, PETERS J, ZINDLER M, ARNDT JO. Whole body oxygen consumption in awake, sleeping, and anesthetized dogs_ Anesthesiology, 60: 220-227, 1984.

16. MOORE R, NAJARIAN MP, KONVOLINKA CW. Measured energy expenditure in severe head trauma. J Trauma, 29 : 1633-1636, 1989.

17. PESCE RR_ Need for oxygen consumption measurement. Chest, 100: 589-590, 1991.

18. RALLEY FE, WYNANDS E, RAMSAY JG, CARLI F, MC SULLI- VAN R. The effects of shivering on oxygen consumption and carbon dioxide production in patients rewarming from hypothermic cardiopulmonary bypass. Can J Anaesth, 35 : 332-337, 1988.

19. ROUBY J J, EURIN B, GLASER P, GUILLOSSON J J, NAFZIGER J, GUESDE R, VIARS P. Hemodynamic and metabolic ef- fects of morphine in the critically ill. Circulation, 64 : 53- 59, 1981.

20. SAVINO JA, DAWSON J, AGARWAL NR, MOGGIO RA, SCALEA TM, The metabolic cost of breathing in critical surgical patients. J Trauma, 25 : 1126-1133, 1985.

21. SMITHIES MN, ROYSTON B, MAKITA K, KONIEZCO K, NUNN JF- Comparison of oxygen consumption measurements: indirect calorimetry versus the reversed Fick method_ Crit Care Med, 19: 1401-1406, 1991.

22. SWlNAMER DL, PHANG PT, JONES RL, GRACE M, GARNER KING E. Effect of routine administration of analgesia on energy expenditure in critically ill patients. Chest, 92 : 4-10, 1988.

23. VIALE JP, ANNAT G, BERTRAND O, THOUVEREZ B, HOLM JP, MOTIN J. Continuous measurement of pulmonary gas exchange during general anaesthesia in man. Acta Anaes- thesiol Scand, 32: 691-695, 1988.

24. WEISSMAN C, KEMPER M, ELWYN DH, ASKANAZI J, HYMAN AI, K1NNEY JM. The energy expenditure of the mechani- cally ventilated critically ill patient. Chest, 89: 254-259, 1986.