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SENS et NON SENS EN FIN DE VIE reddot/ebim/documents/SENS... · créer du sens dans la fin de vie. ... Et quand le temps de la vie est compté, n’est ce pas ce qui est le plus important,

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SENS et NON SENS EN FIN DE VIE

Dr Corinne Vaysse-van Oost

J’ai choisi de vous parler à partir de mon expérience de médecin en soins

palliatifs, donc de ce qui fait ou pas sens pour moi, peut être aussi pour nous

en tant qu’équipe, dans mon engagement au service des maladies en fin de

vie. Bien sûr, nous allons aussi explorer cette question du point de vue de la

personne en fin de vie et de ses proches, là je peux aussi en parler un peu.

Depuis les origines modernes du mouvement des soins palliatifs, la

question du sens des activités de soins, de leur finalité, de la perspective

que chacun y donne, a été au cœur des réflexions. Venant d’une médecine

scientifique triomphante qui prônait la prise en charge de la maladie avec

comme objectif de soin la guérison, le changement est d’importance,

puisqu’il s’agit, pour les équipes de soins dans un premier temps, puis après

pour le malade et ses proches, d’accepter d ‘être dans d’autres

perspectives de soins : non pas rétablir la santé, mais apporter un confort à

celui qui va quitter la vie. Il s’agit bien d’un renversement de perspective, ,

pour le temps qui lui reste, d’un sens nouveau donné aux soins ; au lieu de

se centrer sur le corps et ses dysfonctionnements pour faire des actes de

soins, il s’agit, d’un prendre soin de l’autre rendu fragile, vulnérable,

souffrant à cause d’une maladie mortelle.

Non seulement, ce nouveau paradigme de l’accompagnement de la fin de vie

est la mission que se donnent les soins palliatifs, mais, avec Jean Michel

Longneaux, je veux souligner que c’est la mission que nous donne la

société ; elle semble parfois, dans le refus de la mort qui la caractérise,

trouver commode que des professionnels s’occupent de la mort. En soins

palliatifs, la mort devient presque belle, douce, idéalisée. Et en plus, les

statistiques le prouvent, la mort est tout à fait médicalisée, elle appartient

de plus en plus au champ de la médecine bien plus qu’au sacré, au mystère..

En tous cas, comme soignants en soins palliatifs, nous acceptons d’essayer

de relever ce défi d’essayer de lutter contre ce non sens de la mort dans nos

sociétés sécularisées.

Je voudrais développer maintenant avec vous la démarche qui nous aide à

créer du sens dans la fin de vie. Je voudrais d’abord expliciter un petit peu

une nouvelle vision du soin sur laquelle nous nous appuyons, puis comment

nous la mettons en place, à travers une écoute pluridisciplinaire et un

projet thérapeutique. Puis nous verrons des difficultés qui surgissent.

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Une démarche qui s’appuie sur trois caractéristiques :

1) Une vision globale du soin

Je voudrais souligner que cette vision du soin , développée en soins

palliatifs, est appliquée à d’autres domaines : la gériatrie en particulier où

la place de la mort est aussi fondamentale, mais aussi la neurologie, les

soins d’urgence, la médecine générale..

Cette philosophie du prendre soin a été développée par de nombreuses

personnes, par exemple dans le mouvement du « Care » en Amérique du

Nord. Je m’inspire d’un infirmier belge, Walter Hesbeen, qui, dans un livre

intitulé « Prendre soin à l’hôpital, inscrire le soin infirmier dans une

perspective soignante » (Paris, Masson 1997) donne cette belle définition :

« Prendre soin, c’est l’attention particulière que l’on va porter à une

personne vivant une situation particulière en vue de lui venir en aide, de

contribuer à son bien être, de promouvoir sa santé » . Sans développer de

façon très large ce thème, il est évident qu’il nous est proposé là beaucoup

plus que de poser des actes de soins, médicaux, infirmiers, kiné ou autres..Il

s’agit de considérer la personne non pas seulement comme un malade, mais

de façon plus globale comme disait dame Cicely Saunders, fondatrice du St

Christopher Hospice, ce qui veut aussi dire comme un sujet pensant,

éprouvant des sentiments, en lien avec d’autres , inséré dans un coin du

monde, souffrant ou apaisé, avec des croyances et des valeurs de vie,

souvent en recherche de plus ..Ainsi, l’objectif de nos soins palliatifs dans un

prendre soin de l’autre s’inscrit dans cette perspective de lui venir en aide ,

de contribuer à son bien être. Et nous sommes alors bien « centrés sur le

malade » comment nous disons dans notre jargon, c’est à dire que nous lui

proposons une attitude de soins, des techniques et un accompagnement qui

correspondent à ses besoins, à ses souhaits. Et quand le temps de la vie est

compté, n’est ce pas ce qui est le plus important, respecter la personne dans

son unicité ? N’est ce pas cela qui fait sens pour nous soignants, et qui , peut

être, permettra à celui qui s’en va de reprendre souffle.

2) une évaluation des besoins de la personne malade

Pour rester dans une perspective de soins juste, nous n’avons pas d’autre

chemin, il me semble, que de nous mettre à l’écoute de la personne malade

et de ses proches pour découvrir ce dont elle a besoin pour parcourir le

dernier chemin qui est devant elle. Bien sûr, les médecins traitants,

généraliste et spécialiste de la pathologie, vont attester l’évidence médicale

de la fin de la vie ; ils peuvent aussi , par leur connaissance plus ou moins

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longue de la personne et de son environnement, confirmer les besoins ou

les désirs de leur patient, aussi bien en matière physique que

psychologique, relationnel ou spirituel. Ce travail d’écoute et d’évaluation

de la demande est très important, c’est une des missions des équipes dites

de deuxième ligne en soins palliatifs, mobile dans les hôpitaux ou à domicile

via les plates formes. Comme les soins palliatifs peuvent être donnés dans

tous les lieux de vie des malades, de la maison à la clinique, en passant par

les homes de toutes catégories, il est fondamental de bien adapter l’offre de

soins à la demande, y compris au niveau du lieu : ce langage peut paraître

commercial, mais il rend plutôt compte d’une priorité mise aux souhaits de

la personne plutôt qu’à un choix fait par l’institution médicale seule. Ce

travail nécessite des compétences élargies, il ne s’agit pas, vous le savez

bien, uniquement des symptômes physiques, donc ce sont souvent les

psychologues et les assistants sociaux qui nous permettent de comprendre

la trajectoire de vie de la personne ou de ses proches ; et ce travail de

relecture de vie, de relecture de l’histoire familiale permet souvent à la

personne de comprendre ce qui se joue, et cela peut faire sens.

3) Définir un projet, proposer une alliance thérapeutique

Quand la décision du passage en soins palliatifs a été prise, et qu’un

transfert se fait, nous essayons d’accueillir au mieux cette personne

malade et ses proches. A l’hôpital, l’hospitalité est un devoir , surtout dans

ce service lourd de sous entendus : l’accueil prend son temps, est aussi

soigné, nous savons tous combien le premier moment est crucial pour se

sentir à l’aise quand on est pas encore chez soi. Ecouter pour comprendre

où en est cette personne, comment elle perçoit sa situation médicale, lui

partager tous les possibles en terme de visites, de repas, de relations avec

les uns et les autres tout en veillant à expliquer le fonctionnement du

service, tout cela crée un climat de confiance. La confiance indispensable

pour le respect mutuel, y compris en terme de délai ( hospitalisation ne doit

pas dépasser 28 jours) ; la confiance qui permet de se mettre d’accord pour

un projet de soins, de faire alliance en quelque sorte dans une perspective

la plus précise possible : par exemple, « l’hospitalisation a pour but de

trouver une solution pour soulager vos douleurs » ; ou « je vous propose de

rester avec nous le temps que votre conjoint se repose » ; ou « quand vous

voulez, nous pouvons aider pour l’organisation du retour chez vous ». Ce

qui est le plus confortable pour nous, c’est de pouvoir discuter la

perspective avec le patient pour que celui-ci reste acteur de son existence.

Nous essayons toujours d’obtenir l’assentiment, ou au moins la

compréhension des proches dans cette démarche de mise en perspective.

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Mais des difficultés peuvent surgir, voyons des exemples

a) Soins palliatifs : un non sens en fin de vie, le déni

Aujourd’hui, quasiment tout le monde connaît cette expression et ce qu’elle

signifie. Mais si cela paraît logique aux équipes de soins, oncologiques par

exemple, d’initier auprès de la personne malade un passage vers ce type de

soins, cela n’est pas toujours évident à accepter pour celui ou celle qui doit

l’entendre. Pour certaines personnes, les sons palliatifs, c’est un non sens,

car ils veulent se battre jusqu’au bout, comme ils disent, la fin de vie, ils

voient bien qu’elle se rapproche mais les soins curatifs doivent continuer.

Ce déni est souvent difficile à vivre pour les proches, parfois ils ne sont pas

surpris et soutiennent cette attitude, mais elle peut créer un malaise allant

jusqu’au non sens chez les soignants, particulièrement ceux de soins

palliatifs s’ils ont quand même été introduits. Le temps, et surtout une aide

psychologique et spirituelle peuvent aider la personne et ses proches à

accepter l’inéluctable, et c’est dire toute l’importance d’une écoute

professionnelle quand la violence de la situation déstabilise patients,

proches et équipes soignantes. Un apaisement n’est pas toujours au rendez

vous de la fin de la vie, mais prendre le chemin qui peut y conduire permet

à tous de tenir au quotidien dans les actes de soins pour les soignants, dans

la présence pour les proches. Il me paraît plus respectueux de la personne

en déni d’attendre son accord, même petit, pour un transfert dans une unité

spécialisée de soins palliatifs. Je garderai toujours en mémoire le

« pourquoi pas ? » de ma belle sœur de 52 ans, en fin de vie chez elle,

refusant l’hospitalisation et les soins infirmiers à domicile. Après une nuit

infernale où malgré la vigilance de son mari et de sa fille dormant sur un

canapé près de son lit à barreaux, à 6h du matin, elle s’est levée seule, pour

la quatrième fois de la nuit, elle a enjambé les barrières, ils ne l’ont pas

entendue, elle est tombée, ils l’ont retrouvé avec du sang sur le visage, par

terre. Son médecin traitant, accourue à son chevet a entendu la détresse de

ses proches, et a proposé une hospitalisation dans le service de soins

palliatifs. Avec ces deux mots, « pourquoi pas », elle a déculpabilisé son

mari et sa fille et elle a pu profiter enfin de soins de confort en clinique, sans

jamais réclamer son retour chez elle.

L’hospitalisation en soins palliatifs est aussi un soulagement pour les autres

services lorsqu’ un patient en fin de vie, inconfortable, est dans le déni.

Parfois la personne malade ne donne pas son accord, alors, pour ne pas

être trop en porte à faux, nous définissons l’objectif du séjour dans le

service, ou de la prise en charge en deuxième ligne à domicile, à partir de ce

que le patient en exprime, et avec la perspective que ses proches et son

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médecin traitant ont bien voulu expliciter. Je pense à ce monsieur de 70 ans,

porteur d’une myélodysplasie déjà ancienne, il perd son fils d’une tumeur

cérébrale en septembre ; en octobre, à la consultation mensuelle, la prise de

sang montre une évolution leucémique : monsieur, fatigué, accepte

l’hospitalisation en hématologie ; le spécialiste est d’emblée inquiet, car la

seule possibilité thérapeutique est un nouveau médicament à l’essai à partir

de fin janvier. Monsieur rentre chez lui, confiant. mais 15 jours après, il doit

revenir à cause d’une pneumonie, avec détresse respiratoire, épisodes

confusionnels dus à une anémie ; transfusion difficile vu son agitation, il

fait des cauchemars terribles, découpe ses tuyaux de perfusion, puis sa

sonde urinaire. La thrombopénie lui donne des saignements. L’hématologue

après deux mois de clinique, sent que la partie est perdue. Vu la détresse du

couple, l’agitation de monsieur, il parle à madame d’un transfert dans le

service palliatif pour un accompagnement plus soutenu. Madame est

soulagée, mais monsieur, en le voyant entrer dans sa chambre, lui demande

quand exactement le nouveau médicament sera disponible. Comme il

reconnaît qu’il ne se sent pas toujours en sécurité, la nuit vu ses

cauchemars, il accepte le transfert en soins palliatifs pour madame et les

nuits, à condition d’avoir les mêmes traitements. Nous acceptons, et

pendant deux semaines, l’état de monsieur s’améliore, grâce aux soins, à

l’accompagnement et au traitement, y compris les transfusions. L’équipe, à

certains moments, remet en question le sens de l’hospitalisation chez nous,

vu les projets de monsieur et les traitements prescrits par les médecins ! et

puis, en deux jours, l’infection revient, et monsieur décède. Pendant ses

trois semaines chez nous, monsieur avait pu passer de l’agitation confuse à

la colère exprimée face à la dureté de ses derniers mois de vie, puis il avait

fait de nouveaux projets de vie, de retour chez lui..

b) mort et soins palliatifs : indispensable ?

Poussés par leur désir de perfection, certaines familles demandent

l’hospitalisation en soins palliatifs pour accompagner leur proche âgé en

fin de vie. S’il n’y a pas de symptôme gênant : symptôme physique comme

douleur, dyspnée, nausées.. mais aussi souffrance morale avec agitation,

angoisse, confusion.., il ne nous paraît pas toujours indispensable de

prendre en soins palliatifs ; il est vrai que nous sommes des soignants

spécialisés dans la fin de vie, mais la personne âgée préfère souvent être là

où elle vit habituellement, entourée de ceux qu’elle connaît pour y finir ses

jours. Une équipe de deuxième ligne peut aider, si vraiment c’est nécessaire.

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Ce qui est souvent interrogé là, c’est la capacité de chacun, soignants,

directeurs ou aumôniers, proches et amis, d’accompagner une fin de vie

ordinaire sans la médicaliser.

Certaines personnes, âgées par exemple, ou avec des troubles cognitifs,

parcourent la fin de leur existence sans souffrance, c’est comme si le terme

de la vie était déjà anticipé, pourquoi l’importuner ? Ce sont parfois les

proches qui ont besoin de soutien ou d’explications pour voir comment

respecter celui qui s’en va. Je suis parfois très choquée par le fait que des

confrères, sous la pression, ne peuvent pas ne rien faire alors qu’une

personne démente demande instamment qu’on « lui foute la paix ». Ces

actes de soins violents comme le gavage par sonde gastrique , ou la mise

sous perfusion IV avec contention physique n’ont souvent pas d’autre sens

que de satisfaire une famille , mais sans respect pour la personne soit disant

perdue. En soins palliatifs, pas de sonde gastrique pour gaver, pas de

contention physique, pas de mensonge quant aux objectifs de soins : nous

ne pouvons pas tenir devant la mort par le mensonge ou la toute puissance

médicale. L’approche de la mort, toujours connue par celui qui la sent venir,

nous impose de l’humilité car elle est plus forte que nous. Pour aider ceux

qui y vont, notre seule arme est une présence d’humain à humain, sans fuir.

c) le refus d’avancer sur le chemin, de l’accompagnement

Si nous essayons de définir des objectifs de soins et d’accompagnement lors

d’un séjour en soins palliatifs, il arrive que les objectifs soient atteints assez

rapidement. Alors, il est important de ne pas laisser le flou s’installer, sans

mettre des mots sur le vécu. La prise en charge d’une équipe de soins

palliatifs, en unité hospitalière ou en deuxième ligne à domicile peut être

très apprécié par le patient, ses proches, et/ou les autres soignants. Mais

cette intensité de soins et d’accompagnement que cela représente doit être

modulée en fonction des besoins et des désirs de la personne malade. Offrir

des soins palliatifs, c’est pour la personne concernée accepter de parcourir

avec d’autres le chemin de la fin de sa vie. Si elle veut le parcourir seule, ou

seulement avec ses proches et soignants habituels, une équipe

supplémentaire n’est pas nécessaire. Accepter une équipe, c’est ouvrir la

porte de sa maison ou de sa chambre à des inconnus qui vont non

seulement chercher un meilleur confort, mais aussi essayer d’explorer les

obstacles à une fin de vie paisible. Si la personne ou ses proches refusent ce

cheminement, il nous arrive de nous demander le sens des soins palliatifs.

Cela peut bien sûr entrainer un arrêt- parfois momentané, ou définitif, de la

prise en charge par une équipe de soins palliatifs. Le trajet de soins

palliatifs suppose pour la personne malade une interdépendance acceptée

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avec ses proches, une confiance dans l’équipe qui permet de prendre les

mains qui se tendent pour permettre de passer en sécurité les obstacles. ni

tricher, très souvent sans mot, mais en restant auprès d’eux, à tour de rôle,

chacun à son poste. Si d’autres prennent le relais, les proches à domicile, les

soignants en institution, c’est parfait. Une chaine qui témoigne de notre

humanité commune, toujours confrontée à cette limite de la mort.

d) vouloir aller trop loin, dans les situations difficiles..

Parfois, nous nous fixons des objectifs irréalistes à atteindre, ou du moins

certains d’entre nous vivent ce risque. Cela peut être moteur pour un

changement, mais aussi il peut y avoir des gestes ou des paroles vécues

comme intrusives. Heureusement, l’équipe est là, dans sa diversité qui vient

limiter, réfréner des ardeurs réconciliatrices par exemple. L’engagement de

chaque membre de l’équipe est complet, mais chacun doit aussi respecter

ses limites : il est possible d’oser proposer un pas plus loin à un patient ou à

ses proches, mais nous devons aussi accepter qu’ils ne vont pas là où nous

le voulons. La discussion en équipe pluridisciplinaire permet de ne pas

s’envoler seul dans des projets irréalistes. Cela peut ne pas être juste, ou ne

pas être le moment, ou ne pas être le bon rythme, ou surtout, être un projet

pour l’autre, sans être le sien. Avant de mettre un projet, une idée en place,

nous en parlons entre nous pour vérifier l’intuition de l’un ou l’autre, nous

interrogeons en particulier la psychologue quand il s’agit de faire bouger,

évoluer des relations. Mon tempérament me fait espérer contre toute

espérance, et souvent j’ai envie de forcer le destin, comme on dit. C’est avec

un regard de bienveillance sur chacun que nous regardons les personnes,

essayant d’évaluer les capacités et les possibilités d’évolution, de

changement ; Parfois, ce que nous espérions se produit, parfois c’est un

l’inattendu qui arrive, la situation évolue comme on ne l’imaginait pas.

Respecter les personnes tout en espérant le meilleur, un apaisement, c’est

possible si nous le vivons d’abord en équipe ! C’est aussi la force et la

richesse de l’équipe dans sa diversité qui aide à comprendre et accepter les

situations pour les accompagner au plus juste.

e) quand la souffrance de la personne malade persiste

Le passage en soins palliatifs est parfois demandé avec insistance à cause

d’une souffrance de la personne ou de ses proches. Nous acceptons ce pari

de tenter un accompagnement qui peut permettre parfois un apaisement.

Avant de dire oui, nous comptons nos forces pour voir si notre troupe est en

état de suivre, ou si c’est trop risqué car difficile. C’est important de

respecter nos limites, nos faiblesses, de voir si notre énergie actuelle nous

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permet de relever le défi. La souffrance peut être multiple, physique avec

des douleurs insupportables, des nausées, de la dyspnée ; psychologique

avec de l’angoisse liée à la mort qui vient ; relationnelle vu les conflits ou

spirituelle quand le désir de la personne se heurte par exemple à ses

principes religieux.

C’est un peu comme un combat, contre une impuissance face à un inconfort

qui persiste, contre la désespérance liée à la mort, contre un sentiment

d’échec, contre le temps qui est compté, contre le non sens d’une vie pas

achevée, puisque la maladie a le dernier mot. Notre victoire, c’est un

apaisement de la personne qui meurt et de ses proches. Ce qui est

insupportable, ce n’est pas la mort, mais la souffrance liée à la douleur non

soulagée, à une agonie trop longue, au désespoir, aux conflits, aux

séparations, à la violence. Dans ces moments là, quand la souffrance paraît

intolérable malgré tout ce que nous avons tenté, techniquement ( cathéter

intrathécal..), psychologiquement, relationnellement, spirituellement, nous

cherchons ensemble et nous osons proposer une accalmie, transitoire ou

plus longue, la sédation, sans savoir toujours qui nous aidons alors ( le

malade ? les proches ? l’équipe ?) Nous essayons de ne rien cacher à

personne, de prendre la décision après réflexion pluridisciplinaire, de

réévaluer et de relire la situation, après. Nous ne voulons pas laisser le

dernier mot à la violence, au non sens. Sinon ces souffrances là, non

contrôlées, peuvent nous anéantir, en tant que soignants. Je garde le

souvenir de cet homme d’une quarantaine d’années, atteint d’un

glioblastome, avec une épouse et trois jeunes enfants, une sœur proche et

des parents. Monsieur acceptait très mal sa dégradation physique, il avait

demandé l’euthanasie à plusieurs reprises. Mais à chaque fois, devant la

souffrance de sa femme et de ses enfants surtout, il repoussait ses limites.

Ses parents et sa sœur soutenaient sa demande. Et l’équipe naviguait entre

les deux parties, essayant de suivre ses souhaits à lui qui changeait ; nous

lui avons proposé une sédation intermittente ou définitive, plus

acceptable pour les enfants. Un matin, sentant son épouse toujours

hésitante pour l’euthanasie, il est rentré dans une colère violente, se tapant

la tête contre les barrières, puis envoyant des projectiles vers tous ceux qui

approchaient. Cette violence retournée contre lui nous a beaucoup marqué,

traumatisé même, nous avons mis en place, dans l’urgence, une sédation et

il est décédé quelques heures après. Mais quelle souffrance !

Toute personne humaine, surtout fragilisée par la maladie, demeure un

mystère qui invite à une présence respectueuse. Souvent, dans ce

compagnonnage, l’autre peut livrer des bribes de sa recherche de sens.

C’est alors un moment où on en sait plus qui donne et qui reçoit, car ces

liens partagés, tissés peuvent aussi donner sens à notre propre existence.

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