Sigmund FREUD - Introduction Е la psychanalyse 2 - (1916)

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    Sigmund FREUD (1916)

    Introduction la psychanalyse

    (Leons professes en 1916)Traduit de lAllemand, avec lautorisation de lauteur,par le Dr. S. Janklvitch, en 1921, revue par lauteur.

    Troisime partie : Thorie gnrale des nvrose

    Un document produit en version numrique par Gemma Paquet, bnvole,professeure la retraite du Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected]

    dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"fonde dirige par Jean-Marie Tremblay,

    professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    Sigmund Freud, Introduction la psychanalyse : 3e partie (1916) 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Gemma Paquet, bnvole,professeure la retraite du Cgep de Chicoutimi partir de :

    Sigmund Freud (1916)

    Introduction la psychanalyse.

    (Leons professes en 1916).

    Une dition numriques ralise partir de louvrage franais : Introduction lapsychanalyse. Traduit de lAllemand par le Dr. S. Janklvitch en 1921, avec

    lautorisation de lauteur. Traduction revue par lauteur. Rimpression : Paris :ditions Payot, Petite bibliothque Payot, no 6, 1962, 442 pages. Traductionprcdemment publie dans la Bibliothque scientifique des ditions Payot.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textesMicrosoft Word 2001 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 8 octobre 2002 Chicoutimi, Qubec.

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    Table des matires

    (Premier fichier de deux)Premire partie : les actes manqus

    1. Introduction2. Les actes manqus3. Les actes manqus (suite)4. Les actes manqus (fin)

    Deuxime partie : Le rve

    5. Difficults et premires approches6. Conditions et technique de l'interprtation7. Contenu manifeste et ides latentes du rve8. Rves enfantins9. La censure du rve10. Le symbolisme dans le rve11. L'laboration du rve12. Analyse de quelques exemples de rve13. Traits archaques et infantilisme du rve14. Ralisations des dsirs15. Incertitudes et critiques

    (Deuxime fichier de deux)

    Troisime partie : Thorie gnrale des nvroses

    16. Psychanalyse et psychiatrie17. Le sens des symptmes18. Rattachement a une action traumatique. L'inconscient19. Rsistance et refoulement20. La vie sexuelle de l'homme21. Dveloppement de la libido et organisations sexuelles22. Points de vue du dveloppement et de la rgression. tiologie23. Les modes de formation de symptmes.24. La nervosit commune25. L'angoisse

    26. La thorie de la libido et le narcissisme 27. Le transfert28. La thrapeutique analytique

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    Troisimepartie

    Thorie gnrale

    des nvroses

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    Troisime partie : Thorie gnrale des nvroses

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    Psychanalyse et psychiatrie

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    Je me rjouis de pouvoir reprendre avec vous le fil de nos causeries. Jevous ai parl prcdemment de la conception psychanalytique des actes man-qus et des rves ; je voudrais vous familiariser maintenant avec les phnom-nes nvrotiques qui, ainsi que vous le verrez par la suite, ont plus d'un traitcommun avec les uns et avec les autres. Mais je vous prviens qu'en ce quiconcerne ces derniers phnomnes, je ne puis vous suggrer mon gard lamme attitude que prcdemment. Alors je m'tais impos l'obligation de nepoint faire un pas sans m'tre mis au pralable d'accord avec vous; j'ai beau-coup discut avec vous et j'ai tenu compte de vos objections ; je suis mmeall jusqu' voir en vous et dans votre bon sens l'instance dcisive. Il ne

    peut plus en tre de mme aujourd'hui, et cela pour une raison bien simple. Ettant que phnomnes, actes manqus et rves ne vous taient pas tout faitinconnus, on pouvait dire que vous possdiez ou pouviez possder leur sujetla mme exprience que moi. Mais le domaine des phnomnes nvrotiquesvous est tranger ; si vous n'tes pas mdecins, vous n'y avez pas d'autre accsque celui que peuvent vous ouvrir mes renseignements, et le jugement lemeilleur en apparence est sans valeur lorsque celui qui le formule n'est pasfamiliaris avec les matriaux juger.

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    Ne croyez cependant pas que je me propose de vous faire des confrencesdogmatiques ni que j'exige de vous une adhsion sans conditions. Si vous lecroyiez, il en rsulterait un malentendu qui me ferait le plus grand tort. Iln'entre pas dans mes intentions d'imposer des convictions : il me suffitd'exercer une action stimulante et d'branler des prjugs. Lorsque, par suited'une ignorance matrielle, vous n'tes pas mme de juger, vous ne devez nicroire ni rejeter. Vous n'avez qu' couter et laisser agir sur vous ce qu'onvous dit. Il n'est pas facile d'acqurir des convictions, et celles auxquelles onarrive sans peine se montrent le plus souvent sans valeur et sans rsistance.Celui-l seul a le droit d'avoir des convictions qui a, pendant des annes,travaill sur les mmes matriaux et assist personnellement la rptition deces expriences nouvelles et surprenantes dont j'aurai vous parler. A quoiservent, dans le domaine intellectuel, ces convictions rapides, ces conversionss'accomplissant avec l'instantanit d'un clair, ces rpulsions violentes ? Nevoyez-vous donc pas que le coup de foudre , l'amour instantan font partied'une rgion tout fait diffrente, du domaine affectif notamment? Nous nedemandons pas nos patients d'tre convaincus de l'efficacit de la psycha-

    nalyse on de donner leur adhsion celle-ci. S'ils le faisaient, cela nous lesrendrait suspects. L'attitude que nous apprcions le plus chez eux est celle d'unscepticisme bienveillant. Essayez donc, vous aussi, de laisser lentement mriren vous la conception psychanalytique, ct de la conception populaire oupsychologique, jusqu' ce que l'occasion se prsente o l'une et l'autre puissententrer dans une relation rciproque, se mesurer et en s'associant faire natrefinalement une conception dcisive.

    D'autre part, vous auriez tort de croire que ce que je vous expose commetant la conception psychanalytique soit un systme spculatif. Il s'agit pluttd'un fait d'exprience, d'une expression directe de l'observation ou du rsultatde l'laboration de celle-ci. C'est par les progrs de la science que nouspourrons juger si cette laboration a t suffisante et justifie et, sans vouloir

    me vanter, je puis dire, ayant derrire mot une vie dj assez longue et unecarrire s'tendant sur 25 annes environ, qu'il m'a fallu, pour runir les exp-riences sur lesquelles repose ma conception, un travail intensif et approfondi.J'ai souvent eu l'impression que nos adversaires ne voulaient tenir aucuncompte de cette source de nos affirmations, comme s'il s'agissait d'ides pure-ment subjectives auxquelles on pourrait, volont, en opposer d'autres. Jen'arrive pas bien comprendre cette attitude de nos adversaires. Elle tientpeut-tre au fait que les mdecins rpugnent entrer en relations trop troitesavec leurs patients atteints de nvroses et que, ne prtant pas une attentionsuffisante ce que ceux-ci leur disent, ils se mettent dans l'impossibilit detirer de leurs communications des renseignements prcieux et de faire surleurs malades des observations susceptibles de servir de point de dpart desdductions d'ordre gnral. Je vous promets, cette occasion, de me livrer, au

    cours des leons qui vont suivre, aussi peu que possible des discussionspolmiques, surtout avec tel ou tel auteur en particulier. Je ne crois pas lavrit de la maxime qui proclame que la guerre est mre de toutes choses.Cette maxime me parat tre un produit de la sophistique grecque et pcher,comme celle-ci, par l'attribution d'une valeur exagre la dialectique.J'estime, quant moi, que ce qu'on appelle la polmique scientifique est uneoeuvre tout fait strile, d'autant plus qu'elle a toujours une tendance revtirun caractre personnel. Je pouvais nie vanter, jusqu' il y a quelques annes,de n'avoir us des armes de la polmique que contre un seul savant (Lwen-

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    feld, de Munich), avec ce rsultat que d'adversaires, nous sommes devenusamis et que notre amiti se maintient toujours. Et comme je n'tais pas srd'arriver toujours au mme rsultat, je m'tais longtemps gard de recommen-cer l'exprience.

    Vous pourriez croire qu'une pareille rpugnance pour toute discussionlittraire atteste soit une impuissance devant les objections, soit un extrmeenttement ou, pour me servir d'une expression de l'aimable langage scientifi-que courant, un fourvoiement . A quoi je vous rpondrais que lorsqu'on a,aux prix de pnibles efforts, acquis une conviction, on a aussi, jusqu' uncertain point, le droit de vouloir la maintenir envers et contre tout. Je tiensd'ailleurs ajouter que sur plus d'un point important j'ai, au cours de mestravaux, chang, modifi ou remplac par d'autres certaines de mes opinionset que je n'ai jamais manqu de faire de ces variations une dclaration publi-que. Et quel fat le rsultat de ma franchise? Les uns n'ont eu aucune connais-sance de corrections que j'ai introduites et me critiquent encore aujourd'huipour des propositions auxquelles je n'attache plus le mme sens que jadis.

    D'autres me reprochent prcisment ces variations et dclarent qu'on ne peutpas me prendre au srieux. On dirait que celui qui modifie de temps autreses ides ne mrite aucune confiance, car il laisse supposer que ces dernirespropositions sont aussi errones que les prcdentes. Mais, d'autre part, celuiqui maintient ses ides premires et ne s'en laisse pas dtourner facilementpasse pour un entt et un fourvoy. Devant ces deux jugements opposs de lacritique, il n'y a qu'un parti prendre : rester ce qu'on est et ne suivre que sonpropre jugement, C'est bien quoi je suis dcid, et rien ne m'empchera demodifier et de corriger mes thories avec le progrs de mon exprience. Quant mes ides fondamentales, je n'ai encore rien trouv y changer, et j'esprequ'il en sera de mme l'avenir.

    Je dois donc vous exposer la conception psychanalytique des phnomnes

    nvrotiques. Il m'est facile de rattacher cet expos celui des phnomnesdont je vous ai dj parl, cause aussi bien des analogies que des contrastesqui existent entre les uns et les autres. Je prends une action symptomatiqueque j'ai vu beaucoup de personnes accomplir au cours de ma consultation. Lesgens qui viennent exposer en un quart d'heure toutes les misres de leur vieplus ou moins longue n'intressent pas le psychanalyste. Ses connaissancesplus approfondies ne lui permettent pas de se dbarrasser du malade en luidisant qu'il n'a pas grand-chose et en lui ordonnant une lgre cure hydroth-rapique. Un de nos collgues, qui l'on avait demand comment il se com-portait l'gard des patients venant sa consultation, a rpondu en haussantles paules : je le frappe d'une contribution de tant de couronnes. Aussi nevous tonnerai-je pas en vous disant que les consultants du psychanalyste,mme le plus occup, ne sont gnralement pas trs nombreux. J'ai fait dou-

    bler et capitonner la porte qui spare ma salle d'attente de mon cabinet. Ils'agit l d'une prcaution dont le sens n'est pas difficile saisir. Or, il arrivetoujours que les personnes que je fais passer de la salle d'attente dans moncabinet oublient de fermer derrire elles les deux portes. Ds que je m'enaperois, et quelle que soit la qualit sociale de la personne, je ne manque pas,sur un ton d'irritation, de lui en faire la remarque et de la prier de rparer sangligence. Vous lirez que c'est l du pdantisme pouss l'excs. Je me suisparfois reproch moi-mme cette exigence, car il s'agissait souvent de person-nes incapables de toucher un bouton de porte et contentes de se dcharger de

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    cette besogne sur d'autres. Mais j'avais raison dans la majorit des cas, carceux qui se conduisent de la sorte et laissent ouvertes derrire eux les portesqui sparent la salle d'attente du mdecin de son cabinet de consultations sontdes gens mal levs et ne mritent pas un accueil amical. Ne vous prononcezcependant pas avant de connatre le reste. Cette ngligence du patient ne seproduit que lorsqu'il se trouve seul dans la salle d'attente et qu'en la quittant ilne laisse personne derrire lui. Mais le patient a, au contraire, bien soin defermer les portes lorsqu'il laisse dans la salle d'attente d'autres personnes quiont attendu en mme temps que lui. Dans ce dernier cas, il comprend fort bienqu'il n'est pas dans son intrt de permettre d'autres d'couter sa conversa-tion avec le mdecin.

    Ainsi dtermine, la ngligence du patient n'est ni accidentelle, ni dpour-vue de sens et mme d'importance, car, ainsi que nous le verrous, elle illustreson attitude l'gard du mdecin. Le patient appartient la nombreuse cat-gorie de ceux qui ne rvent que clbrits mdicales, qui veulent tre blouis,secous. Il a peut-tre dj tlphon pour savoir quelle heure il sera le plus

    facilement reu et il s'imagine trouver devant la maison du mdecin une queuede clients aussi longue que devant une succursale d'une grande maisond'picerie. Or, le voil qui entre dans une salle d'attente vide et, par-dessus lemarch, trs modestement meuble. Il est du et, voulant se venger sur lemdecin du respect exagr qu'il se proposait de lui tmoigner, il exprime sontat d'me en ngligeant de fermer les portes qui sparent la salle d'attente ducabinet de consultations. Ce faisant, il semble vouloir dire au mdecin : Aquoi bon fermer les portes, puisqu'il n'y a personne dans la salle d'attente etque personne probablement n'y entrera, tant que je serai dans votre cabinet? Il arrive mme qu'il fasse preuve, pendant la consultation, d'un grand sans-gne et de manque de respect, si l'on ne prend garde de le remettre incontinent sa place.

    L'analyse de cette petite action symptomatique ne nous apprend rien quevous ne sachiez dj, savoir qu'elle n'est pas accidentelle, qu'elle a sonmobile, un sens et une intention, qu'elle fait partie d'un ensemble psychiquedfini, qu'elle est une petite indication d'un tat psychique important. Maiscette action symptomatique nous apprend surtout que le processus dont elleest l'expression se droule en dehors de la connaissance de celui qui l'accom-plit, car pas un des patients qui laissent les deux portes ouvertes n'avoueraitqu'il veut par cette ngligence me tmoigner- son mpris. Il est probable queplus d'un conviendra avoir prouv un sentiment de dception en entrant dansla salle d'attente, mais il est certain que le lien entre cette impression etl'action symptomatique qui la suit chappe la conscience.

    Je vais mettre en parallle avec cette petite action symptomatique une

    observation faite sur une malade. L'observation que je choisis est encore fra-che dans ma mmoire et se prte une description brve. Je vous prviensd'ailleurs que dans toute communication de ce genre certaines longueurs sontinvitables.

    Un jeune officier en permission me prie de me charger du traitement de sabelle-mre qui, quoique vivant dans des conditions on ne peut plus heureuses,empoisonne son existence et l'existence de tous les siens par une ide absurde.Je me trouve en prsence d'une dame ge de 53 ans, bien conserve, d'un

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    abord aimable et simple. Elle me raconte volontiers l'histoire suivante. Elle vittrs heureuse la campagne avec son mari qui dirige une grande usine. Ellen'a qu' se louer des gards et prvenances que son mari a pour elle. Ils ontfait un mariage d'amour il y a 30 ans et, depuis le jour du mariage, nullediscorde, aucun motif de jalousie ne sont venus troubler la paix du mnage.Ses deux enfants sont bien maris et son mari, voulant remplir ses devoirs dechef de famille jusqu'au bout, ne consent pas encore se retirer des affaires.Un fait incroyable, elle-mme incomprhensible, s'est produit il y a un an :elle n'hsita pas ajouter foi une lettre anonyme qui accusait son excellentmari de relations amoureuses avec une jeune fille. Depuis qu'elle a reu cettelettre, son bonheur est bris. Une enqute un peu serre rvla qu'une femmede chambre, que cette dame admettait peut-tre trop dans son intimit, pour-suivait d'une haine froce une autre jeune fille qui, tant de mme extractionqu'elle, avait infiniment mieux russi dans sa vie : au lieu de se faire domes-tique, elle avait fait des tudes qui lui avaient permis d'entrer l'usine enqualit d'employe. La mobilisation ayant rarfi le personnel de l'usine, cettejeune fille avait fini par occuper une belle situation : elle tait loge l'usine

    mme, ne frquentait que des messieurs et tout le monde l'appelait ma-demoiselle . Jalouse de cette supriorit, la femme de chambre tait prte dire tout le mal possible de son ancienne compagne d'cole. Un jour samatresse lui parle d'un vieux monsieur qui tait venu en visite et qu'on savaitspar de sa femme et vivant avec une matresse. Notre malade ignore ce quila poussa, ce propos, dire sa femme de chambre qu'il n'y aurait pour ellerien de plus terrible que d'apprendre que son bon mari a une liaison. Lelendemain elle reoit par la poste la lettre anonyme dans laquelle lui taitannonce, d'une criture dforme, la fatale nouvelle. Elle souponna aussittque cette lettre tait luvre de sa mchante femme de chambre, car c'taitprcisment la jeune fille que celle-ci poursuivait de sa haine qui y taitaccuse d'tre la matresse du mari. Mais bien que la patiente ne tardt pas deviner l'intrigue et qu'elle et assez d'exprience pour savoir combien sont

    peu dignes de foi ces lches dnonciations, cette lettre ne l'en a pas moinsprofondment bouleverse. Elle eut une crise d'excitation terrible et envoyachercher son mari auquel elle adressa, ds son apparition, les plus amersreproches. Le mari accueillit l'accusation en riant et fit tout ce qu'il put pourcalmer sa femme.

    Il fit venir le mdecin de la famille et de l'usine qui joignit ses efforts auxsiens. L'attitude ultrieure du mari et de la femme fut des plus naturelles : lafemme de chambre fut renvoye, mais la prtendue matresse resta en place.Depuis ce jour, la malade prtendait souvent qu'elle tait calme et ne croyaitplus au contenu de la lettre anonyme. Mais son calme n'tait jamais profondni durable. Il lui suffisait d'entendre prononcer le nom de la jeune fille ou derencontrer celle-ci dans la rue pour entrer dans une nouvelle crise de m-

    fiance, de douleurs et de reproches.

    Telle est l'histoire de cette brave dame. Il ne faut pas possder une grandeexprience psychiatrique pour comprendre que, contrairement d'autresmalades nerveux, elle tait plutt encline attnuer son cas ou, comme nousle disons, dissimuler, et qu'elle n'a jamais russi vaincre sa foi dans l'accu-sation formule dans la lettre anonyme.

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    Quelle attitude peut adopter le psychiatre en prsence d'un cas pareil ?Nous savons dj comment il se comporterait l'gard de l'action sympto-matique du patient qui ne ferme pas les portes de la salle d'attente. Il voit danscette action un accident dpourvu de tout intrt psychologique. Mais il nepeut maintenir la mme attitude en prsence de la femme morbidementjalouse. L'action symptomatique apparat comme une chose indiffrente, maisle symptme s'impose nous comme un phnomne important. Au point devue subjectif, ce symptme est accompagn d'une douleur intense ; au pointde vue objectif, il menace le bonheur d'une famille. Aussi prsente-t-il unintrt psychiatrique indniable. Le psychiatre essaie d'abord de caractriser lesymptme par une de ses proprits essentielles. On ne peut pas dire quel'ide qui tourmente cette femme soit absurde en elle-mme, car il arrive quedes hommes maris, mme gs, aient pour matresses des jeunes filles. Maisil y a autre chose qui est absurde et inconcevable. En dehors des affirmationscontenues dans la lettre anonyme, la patiente n'a aucune raison de croire queson tendre et fidle mari fasse partie de cette catgorie des poux infidles.Elle sait aussi que la lettre ne mrite aucune confiance et elle en connat la

    provenance. Elle devrait donc se dire que sa jalousie n'est justifie par rien ;elle se le dit, en effet, mais elle n'eu souffre pas moins, comme si elle poss-dait des preuves irrfutables de l'infidlit de son mari. On est convenud'appeler obsessions les ides de ce genre, c'est--dire les ides rfractairesaux arguments logiques et aux arguments tirs de la ralit. La brave damesouffre donc de l'obsession de la jalousie. Telle est en effet la caractristiqueessentielle de notre cas morbide.

    la suite de cette premire constatation, notre intrt psychiatrique setrouve encore plus veill. Si une obsession rsiste aux preuves de la ralit,c'est qu'elle n'a pas sa source dans la ralit. D'o vient-elle donc ? Le contenudes obsessions varie l'infini ; pourquoi dans notre cas l'obsession a-t-elleprcisment pour contenu la jalousie? Ici nous couterions volontiers le

    psychiatre, mais celui-ci n'a rien nous dire. De toutes nos questions, uneseule l'intresse. Il recherchera les antcdents hrditaires de cette femme etnous donnerapeut-tre la rponse suivante : les obsessions se produisent chezdes personnes qui accusent dans leurs antcdents hrditaires des troublesanalogues ou d'autres troubles psychiques. Autrement dit, si une obsessions'est dveloppe chez cette femme, c'est qu'elle y tait prdispose hrditai-rement. Ce renseignement est sans doute intressant, mais est-ce tout ce quenous voulons savoir ? N'y a-t-il pas d'autres causes ayant dtermin la pro-duction de notre cas morbide ? Nous constatons qu'une obsession de lajalousie s'est dveloppe de prfrence toute autre : serait-ce l un fait indif-frent, arbitraire ou inexplicable? Et la proposition qui proclame la toute-puissance de l'hrdit doit-elle galement tre comprise au sens ngatif, au-trement dit devons-nous admettre que ds l'instant o une me est prdispose devenir la proie d'une obsession, peu importent les vnements susceptiblesd'agir sur elle? Vous seriez sans doute dsireux de savoir pourquoi la psychia-trie scientifique se refuse nous renseigner davantage. A cela je vous rpon-drai : celui qui donne plus qu'il n'a est malhonnte. Le psychiatre ne possdepas de moyen de pntrer plus avant dans l'interprtation d'un cas de ce genre.Il est oblig de se borner formuler le diagnostic et, malgr sa riche exp-rience, un pronostic incertain quant la marche ultrieure de la maladie.

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    Pouvons-nous attendre davantage de la psychanalyse? Certainement, etj'espre pouvoir vous montrer que mme dans un cas aussi difficilementaccessible que celui qui nous occupe, elle est capable de mettre au jour desfaits propres nous le rendre intelligible. Veuillez d'abord vous souvenir dece dtail insignifiant en apparence qu' vrai dire la patiente a provoqu lalettre anonyme, point de dpart de son obsession : n'a-t-elle pas notamment ditla veille la jeune intrigante que son plus grand malheur serait d'apprendreque son mari a une matresse ? En disant cela, elle avait suggr la femmede chambre l'ide d'envoyer la lettre anonyme. L'obsession devient ainsi, dansune certaine mesure, indpendante de la lettre ; elle a d exister antrieu-rement chez la malade, l'tat d'apprhension (ou de dsir?). Ajoutez celales quelques petits faits que j'ai pu dgager la suite de deux heures d'analyse.La malade se montrait trs peu dispose obir lorsque, son histoire raconte,je l'avais prie de me faire part d'autres ides et souvenirs pouvant s'y ratta-cher. Elle prtendait qu'elle n'avait plus rien dire et, au bout de deux heures,il a fallu cesser l'exprience, la malade ayant dclar qu'elle se sentait tout fait bien et qu'elle tait certaine d'tre dbarrasse de son ide morbide. Il va

    sans dire que cette dclaration lui a t dicte par la crainte de me voirpoursuivre l'analyse. Mais, au cours de ces deux heures, elle n'en a pas moinslaiss chapper quelques remarques qui autorisrent, qui imposrent m31neune certaine interprtation projetant une vive lumire sur la gense de sonobsession. Elle prouvait elle-mme un profond sentiment pour un jeunehomme, pour ce gendre sur les instances duquel je m'tais rendu auprs d'elle.De ce sentiment, elle ne se rendait pas compte, ; elle en tait peine con-sciente : vu les liens de parent qui l'unissaient ce jeune homme, son affec-tion amoureuse n'eut pas de peine revtir le masque d'une tendresseinoffensive. Or, nous possdons une exprience suffisante de ces situationspour pouvoir pntrer sans difficult dans la vie psychique de cette honntefemme et excellente mre de 53 ans. L'affection qu'elle prouvait tait tropmonstrueuse et impossible pour tre consciente ; elle en persistait pas moins

    l'tat inconscient et exerait ainsi une forte pression. Il lui fallait quelquechose pour la dlivrer de cette pression, et elle dut son soulagement au mca-nisme du dplacement qui joue si souvent un rle dans la production de lajalousie obsdante. Une fois convaincue que si elle, vieille femme, taitamoureuse d'un jeune homme, son mari, en revanche, avait pour matresseune jeune fille, elle se sentit dlivre du remords que pouvait lui causer soninfidlit. L'ide fixe de l'infidlit du mari devait agir comme un baumecalmant appliqu sur une plaie brlante. Inconsciente de son propre amour,elle avait une conscience obsdante, allant jusqu' la manie, du reflet de cetamour, reflet dont elle retirait un si grand avantage. Tous les arguments qu'onpouvait opposer son ide devaient rester sans effet, car ils taient dirigs noncontre le modle, mais contre son image rflchie, celui-l communiquant saforce celle-ci et restant cach inattaquable, dans l'inconscient.

    Rcapitulons les donnes que nous avons pu obtenir par ce bref et difficileeffort psychanalytique. Elles nous permettront peut-tre de comprendre ce casmorbide, supposer naturellement que nous ayons procd correctement, cedont vous ne pouvez pas tre juges ici. Premire donne : l'ide fixe n'est plusquelque chose d'absurde ni d'incomprhensible ; elle a un sens, elle est bienmotive, fait partie d'un vnement affectif survenu dans la vie de la malade.Deuxime donne : cette ide fixe est un fait ncessaire, en tant que ractioncontre un processus psychique inconscient que nous avons pu dgager d'aprs

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    d'autres signes ; et c'est prcisment au lien qui la rattache ce processuspsychique inconscient qu'elle doit son caractre obsdant, sa rsistance tousles arguments fournis par la logique et la ralit. Cette ide fixe est mmequelque chose de bienvenu, une sorte de consolation. Troisime donne : si lamalade a fait la veille la jeune intrigante la confidence que vous savez, il estincontestable qu'elle y a t pousse par le sentiment secret qu'elle prouvait l'gard de son gendre et qui forme comme l'arrire-fond de sa maladie. Ce casprsente ainsi, avec l'action symptomatique que nous avons analyse plushaut, des analogies importantes, car, ici comme l, nous avons russi dga-ger le sens ou l'intention de la manifestation psychique, ainsi que ces rapportsavec un lment inconscient faisant partie de la situation.

    Il va sans dire que nous n'avons pas rsolu toutes les questions se ratta-chant notre cas. Celui-ci est plutt hriss de problmes dont quelques-unsne sont pas encore susceptibles de solution, tandis que d'autres n'ont pu trersolus, cause des circonstances dfavorables particulires ce cas. Pour-quoi, par exemple, cette femme, si heureuse en mnage, devient-elle amou-

    reuse de son gendre et pourquoi la dlivrance, qui aurait bien pu revtir uneautre forme quelconque, se produit-elle sous la forme d'un reflet, d'une pro-jection sur son mari de son tat elle ? Ne croyez pas que ce soit l desquestions oiseuses et malicieuses. Elles comportent des rponses en vue des-quelles nous disposons dj de nombreux lments. Notre malade se trouve l'ge critique qui comporte une exaltation subite et indsire du besoinsexuel : ce fait pourrait, la rigueur, suffire lui seul expliquer tout le reste.Mais il se peut encore que le bon et fidle mari ne soit plus, depuis quelquesannes, en possession d'une puissance sexuelle en rapport avec le besoin de safemme, mieux conserve. Nous savons par exprience que ces maris, dont lafidlit n'a d'ailleurs pas besoin d'autre explication, tmoignent prcisment leurs femmes une tendresse particulire et se montrent d'une grande indul-gence pour leurs troubles nerveux. De plus, il n'est pas du tout indiffrent que

    l'amour morbide de cette dame se soit prcisment port sur le jeune mari desa fille. Un fort attachement rotique la fille, attachement qui peut tre rame-n, en dernire analyse, la constitution sexuelle de la mre, trouve souvent lemoyen de se maintenir la faveur d'une pareille transformation. Dois-je vousrappeler, ce propos, que les relations sexuelles entre belle-mre et gendreont toujours t considres comme particulirement abjectes et taient frap-pes chez les peuples primitifs d'interdictions tabou et de fltrissures rigoureuses 1 ? Aussi bien dans le sens positif que dans le sens ngatif, cesrelations dpassent souvent la mesure socialement dsirable. Comme il ne m'apas t possible de poursuivre l'analyse de ce cas pendant plus de deux heures,je ne saurais vous dire lequel de ces trois facteurs doit tre incrimin chez lamalade qui nous occupe ; sa nvrose a pu tre produite par l'action de l'un oude deux d'entre eux, comme par celle de tous les trois runis.

    Je m'aperois maintenant que je viens de vous parler de choses que vousn'tes pas encore prpars comprendre. Je l'ai fait pour tablir un parallleentre la psychiatrie et la psychanalyse. Eh bien, vous tes-vous aperus quel-que part d'une opposition entre l'une et l'autre? La psychiatrie n'applique pasles mthodes techniques de la psychanalyse, elle ne se soucie pas de rattacherquoi que ce soit l'ide fixe et se contente de nous montrer dans l'hrdit un

    1 Cf. Totem et tabou, Payot, Paris.

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    facteur tiologique gnral et loign, au lieu de se livrer la recherche decauses plus spciales et plus proches. Mais y a-t-il l une contradiction, uneopposition? Ne voyez-vous pas que, loin de se contredire, la psychiatrie et lapsychanalyse se compltent l'une l'autre en mme temps que le facteur hr-ditaire et l'vnement psychique, loin de se combattre et de s'exclure, colla-borent de la manire la plus efficace en vue du mme rsultat? Vous m'accor-derez qu'il n'y a rien dans la nature du travail psychiatrique qui puisse servird'argument contre la recherche psychanalytique. C'est le psychiatre, et non lapsychiatrie, qui s'oppose la psychanalyse. Celle-ci est la psychiatrie peuprs ce que l'histologie est l'anatomie : l'une tudie les formes extrieuresdes organes, l'autre les tissus et les cellules dont ces organes sont faits. Unecontradiction entre ces deux ordres d'tudes, dont l'une continue l'autre, estinconcevable. L'anatomie constitue aujourd'hui la base de la mdecine scien-tifique, mais il fut un temps o la dissection de cadavres humains, en vue deconnatre la structure intime du corps, tait dfendue, de mme qu'on trouvede nos jours presque condamnable de se livrer la psychanalyse, en vue deconnatre le fonctionnement intime de la vie psychique. Tout porte cependant

    croire que le temps n'est pas loin o l'on se rendra compte que la psychiatrievraiment scientifique suppose une bonne connaissance des processus profondset inconscient de la vie psychique.

    Cette psychanalyse tant combattue a peut-tre parmi vous quelques amisqui la verraient avec plaisir s'affirmer aussi comme un procd thrapeutique.Vous savez que les moyens psychiatriques dont nous disposons n'ont aucuneaction sur les ides fixes. La psychanalyse, qui connat le mcanisme de cessymptmes, serait-elle plus heureuse sous ce rapport? Non ; elle n'a pas plusde prise sur ces affections que n'importe quel autre moyen thrapeutique.Actuellement du moins. Nous pouvons, grce la psychanalyse, comprendrece qui se passe chez le malade, mais nous n'avons aucun moyen de le fairecomprendre au malade lui-mme. Je vous ai dj dit que, dans le cas dont je

    vous ai entretenus dans cette leon, je n'ai pas pu pousser l'analyse au-del despremires couches. Doit-on en conclure que l'analyse de cas de ce genre soit abandonner, parce que strile? Je ne le pense pas. Nous avons le droit et m-me le devoir de poursuivre nos recherches, sans nous proccuper de leurutilit immdiate. A la fin, nous ne savons ni o ni quand le peu de savoir quenous aurons acquis se trouvera transform en pouvoir thrapeutique. Alorsmme qu' l'gard des autres affections nerveuses et psychiques la psychana-lyse se serait montre aussi impuissante qu' l'gard des ides fixes, elle n'enresterait pas moins parfaitement justifie comme moyen irremplaable derecherche scientifique. Il est vrai que nous ne serions pas alors en mesure del'exercer ; les hommes sur lesquels nous voulons apprendre, les hommes quivivent, qui sont dous de volont propre et ont besoin de motifs personnelspour nous aider, nous refuseraient leur collaboration. Aussi ne veux-je pas

    terminer cette leon sans vous dire qu'il existe de vastes groupes de troublesnerveux o une meilleure comprhension se laisse facilement transformer enpouvoir thrapeutique et que, sous certaines conditions, la psychanalyse nouspermet d'obtenir dans ces affections difficilement accessibles des rsultats quine le cdent en rien ceux qu'on obtient dans n'importe quelle autre branchede la thrapeutique interne.

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    Troisime partie : Thorie gnrale des nvroses

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    Le sens des symptmes

    Retour la table des matires

    Je vous ai montr dans le chapitre prcdent qu'alors que la psychiatrie nese proccupe pas du mode de manifestation et du contenu de chaque symp-tme, la psychanalyse porte sa principale attention sur l'un et sur l'autre et arussi tablir que chaque symptme a un sens et se rattache troitement lavie psychique du malade. C'est J. Breuer qui, grce l'tude et l'heureusereconstitution d'un cas d'hystrie devenu depuis lors clbre (1880-1882), a lepremier dcouvert des symptmes nvrotiques. Il est vrai que P. Janet a fait lamme dcouverte, et indpendamment de Breuer ; au savant franais appar-

    tient mme la priorit de la publication, Breuer n'ayant publi son observationque dix ans plus tard (1893-95), l'poque de sa collaboration avec moi. Ilimporte d'ailleurs peu de savoir qui appartient la dcouverte, car une d-couverte est toujours faite plusieurs fois ; aucune n'est faite en une fois et lesuccs n'est pas toujours attach au mrite. L'Amrique n'a pas reu son nomde Colomb. Avant Breuer et Janet, le grand psychiatre Leuret a mis l'opinionqu'on trouverait un sens mme aux dlires des alins si l'on savait les tra-duire. J'avoue que j'ai t longtemps dispos attribuer P. Janet un mritetout particulier pour son explication des symptmes nvrotiques qu'il con-

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    cevait comme des expressions des ides inconscientes qui dominent lesmalades. Mais plus tard, faisant preuve d'une rserve exagre, Janet s'estexprim comme s'il avait voulu faire comprendre que l'inconscient n'tait pourlui qu'une faon de parler et que dans son ide ce terme ne correspondait rien de rel. Depuis lors, je ne comprends plus les dductions de Janet, mais jepense qu'il s'est fait beaucoup de tort, alors qu'il aurait pu avoir beaucoup demrite.

    Les symptmes nvrotiques ont donc leur sens, tout comme les actes man-qus et les rves et, comme ceux-ci, ils sont en rapport avec la vie des person-nes qui les prsentent. Je voudrais vous rendre familire cette importantemanire de voir l'aide de quelques exemples. Qu'il en soit ainsi toujours etdans tous les cas, c'est ce que je puis seulement affirmer, sans tre mme dele prouver. Ceux qui cherchent eux-mmes des expriences finiront par treconvaincus de ce que je dis. Mais, pour certaines raisons, j'emprunterai mesexemples non l'hystrie, mais une autre nvrose, tout fait remarquable,au fond trs voisine de l'hystrie, et dont je dois vous dire quelques mots

    titre d'introduction. Cette nvrose, qu'on appelle nvrose obsessionnelle, n'estpas aussi populaire que l'hystrie que tout le monde connat. Elle est, si je puism'exprimer ainsi, moins importunment bruyante, se comporte plutt commeune affaire prive du malade, renonce presque compltement aux manifesta-tions somatiques et concentre tous ses symptmes dans le domaine psychique.La nvrose obsessionnelle et l'hystrie sont les formes de nvrose qui ontfourni la premire base l'tude de la psychanalyse, et c'est dans le traitementde ces nvroses que notre thrapeutique a remport ses plus beaux succs.Mais la nvrose obsessionnelle, laquelle manque cette mystrieuse exten-sion du psychique au corporel, nous est rendue par la psychanalyse plus claireet plus familire que l'hystrie, et nous avons pu constater qu'elle manifesteavec beaucoup plus de nettet certains caractres extrmes des affectionsnvrotiques.

    La nvrose obsessionnelle se manifeste en ce que les malades sont proc-cups par des ides auxquelles ils ne s'intressent pas, prouvent des impul-sions qui leur paraissent tout fait bizarres et sont pousss des actions dontl'excution ne leur procure aucun plaisir, mais auxquelles ils ne peuvent paschapper. Les ides (reprsentations obsdantes) peuvent tre en elles-mmesdpourvues de sens ou seulement indiffrentes pour l'individu, elles sont sou-vent tout fait absurdes et dclenchent dans tous les cas une activit intellec-tuelle intense qui puise le malade et laquelle il se livre son corps dfen-dant. Il est oblig, contre sa volont, de scruter et de spculer, comme s'ils'agissait de ses affaires vitales les plus importantes. Les impulsions que lemalade prouve peuvent galement paratre enfantines et absurdes, mais ellesont le plus souvent un contenu terrifiant, le malade se sentant incit com-

    mettre des crimes graves, de sorte qu'il ne les repousse pas seulement commelui tant trangres, mais les fait effraye et se dfend contre la tentation partoutes sortes d'interdictions, de renoncements et de limitations de sa libert. Ilest bon de dire que ces crimes et mauvaises actions ne reoivent jamais mmeun commencement d'excution : la fuite et la prudence finissent toujours paren avoir raison. Les actions que le malade accomplit rellement, les actes ditsobsdants, ne sont que des actions inoffensives, vraiment insignifiantes, leplus souvent des rptitions, des enjolivements crmonieux des actes ordi-naires de la vie courante, avec ce rsultat que les dmarches les plus

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    ncessaires, telles que le fait de se coucher, de se laver, de faire sa toilette,d'aller se promener deviennent des problmes pnibles, peine solubles. Lesreprsentations, impulsions et actions morbides ne sont pas, dans chaqueforme et cas de nvrose obsessionnelle, mlanges dans des proportions ga-les : le plus souvent, c'est l'un ou l'autre de ces facteurs qui domine le tableauet donne son nom la maladie, mais toutes les formes et tous les cas ont destraits communs qu'il est impossible de mconnatre.

    Il s'agit l certainement d'une maladie bizarre. Je pense que la fantaisie laplus extravagante d'un psychiatre en dlire n'aurait jamais russi construirequelque chose de semblable et si l'on n'avait pas l'occasion de voir tous lesjours des cas de ce genre, on ne croirait pas leur existence. Ne croyez cepen-dant pas que vous rendez service au malade en lui conseillant de se distraire,de ne pas se livrer ses ides absurdes et de mettre leur place quelque chosede raisonnable. Il voudrait lui-mme faire ce que vous lui conseillez, il estparfaitement lucide, partage votre opinion sur ses symptmes obsdants, ilvous l'exprime mme avant que vous l'ayez formule. Seulement, il ne peut

    rien contre son tat : ce qui, dans la nvrose obsessionnelle, s'impose l'ac-tion, est support par une nergie pour laquelle nous manquons probablementde comparaison dans la vie normale. Il ne peut qu'une chose : dplacer, chan-ger, mettre la place d'une ide absurde une autre, peut-tre attnue, rempla-cer une prcaution ou une interdiction par une autre, accomplir un crmonial la place d'un autre. Il peut dplacer la contrainte, mais il est impuissant lasupprimer. Le dplacement des symptmes, grce quoi ils s'loignent sou-vent beaucoup de leur forme primitive, constitue un des principaux caractresde sa maladie ; on est frapp, en outre, par ce fait que les oppositions (pola-rits) qui caractrisent la vie psychique sont particulirement prononces dansson cas. A ct de la contrainte ou obsession contenu ngatif ou positif, onvoit apparatre, dans le domaine intellectuel, le doute qui s'attache aux chosesgnralement les plus certaines. Et cependant, notre malade fut jadis un

    homme trs nergique, excessivement persvrant, d'une intelligence au-dessus de la moyenne. Il prsente le plus souvent un niveau moral trs lev,se montre trs scrupuleux, d'une rare correction. Vous vous doutez bien dutravail qu'il faut accomplir pour arriver s'orienter dans cet ensemblecontradictoire de traits de caractre et de symptmes morbides. Aussin'ambitionnons-nous pour le moment que peu de chose : pouvoir comprendreet interprter quelques-uns de ces symptmes.

    Vous seriez peut-tre dsireux de savoir, en vue de la discussion qui vasuivre, comment la psychiatrie actuelle se comporte l'gard des problmesde la nvrose obsessionnelle. Le chapitre qui se rapporte ce sujet est bienmaigre. La psychiatrie distribue des noms aux diffrentes obsessions, et riende plus. Elle insiste, en revanche, sur le fait que les porteurs de ces sympt-

    mes sont des dgnrs . Affirmation peu satisfaisante : elle constitue, nonune explication, mais un jugement de valeur, une condamnation. Sans doute,les gens qui sortent de l'ordinaire peuvent prsenter toutes les singularitspossibles, et nous concevons fort bien que des personnes chez lesquelles sedveloppent des symptmes comme ceux de la nvrose obsessionnelle doi-vent avoir reu de la nature une constitution diffrente de celle des autreshommes. Mais, demanderons-nous, sont-ils plus dgnrs que les autresnerveux, par exemple les hystriques et les malades atteints de psychoses? Lacaractristique est videmment trop gnrale. On peut mme se demander si

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    elle est justifie, lorsqu'on apprend que des hommes excellents, d'une trshaute valeur sociale, peuvent prsenter les mmes symptmes. Gnralement,nous savons peu de chose sur la vie intime de nos grands hommes : cela est daussi bien leur propre discrtion qu'au manque de sincrit de leurs bio-graphes. Il arrive cependant qu'un fanatique de la vrit, comme mile Zola,mette nu devant nous sa vie, et alors nous apprenons de combien d'habitudesobsdantes il a t tourment 1.

    Pour ces nvross suprieurs, la psychiatrie a cr la catgorie des dg-nrs suprieurs . Rien de mieux. Mais la Psychanalyse nous a appris qu'ilest possible de faire disparatre dfinitivement ces symptmes obsdants sin-guliers, comme on fait disparatre beaucoup d'autres affections, et cela aussibien que chez des hommes non dgnrs. J'y ai moi-mme russi plus d'unefois.

    Je vais vous citer deux exemples d'analyse d'un symptme obsdant. Unde ces exemples est emprunt une observation dj ancienne et je ne saurais

    lui en substituer de plus beau ; l'autre est plus rcent. Je me contente de cesdeux exemples, car les cas de ce genre demandent tre exposs tout au long,sans ngliger aucun dtail.

    Une dame ge de 30 ans environ, qui souffrait de phnomnes d'obses-sion trs graves et que j'aurais peut-tre russi soulager, sans un perfideaccident qui a rendu vain tout mon travail (je vous en parlerai peut-tre unjour), excutait plusieurs fois par jour, entre beaucoup d'autres, l'action obs-dante suivante, tout fait remarquable. Elle se prcipitait de sa chambre dansune autre pice contigu, s'y plaait dans un endroit dtermin devant la tableoccupant le milieu de la pice, sonnait sa femme de chambre, lui donnait unordre quelconque ou la renvoyait purement et simplement et s'enfuyait denouveau prcipitamment dans sa chambre. Certes, ce symptme morbide

    n'tait pas grave, mais il tait de nature exciter la curiosit. L'explication at obtenue de la faon la plus certaine et irrfutable, sans la moindre inter-vention du mdecin. Je ne vois mme pas comment j'aurais pu mme soup-onner le sens de cette action obsdante, entrevoir la moindre possibilit deson interprtation. Toutes les fois que je demandais la malade : pourquoile faites-vous ? elle me rpondait : je n'en sais rien . Mais un jour, aprsque j'eus russi vaincre chez elle un grave scrupule de conscience, elletrouva subitement l'explication et me raconta des faits se rattachant cetteaction obsdante. il y a plus de dix ans, elle avait pous un homme beaucoupplus g qu'elle et qui, la nuit de noces, se montra impuissant. Il avait pass lanuit courir de sa chambre dans celle de sa femme, pour renouveler latentative, mais chaque fois sans succs. Le matin il dt, contrari : j'ai hontedevant la femme de chambre qui va faire le lit . Ceci dit, il saisit un flacon

    d'encre rouge, qui se trouvait par hasard dans la chambre, et en versa lecontenu sur le drap de lit, mais pas l'endroit prcis o auraient d se trouverles taches de sang. je n'avais pas compris tout d'abord quel rapport il y avaitentre ce souvenir et l'action obsdante de ma malade ; le passage rpt d'unepice dans une autre et l'apparition de la femme de chambre taient les seulsfaits qu'elle avait en commun avec l'vnement rel. Alors la malade, m'ame-nant dans la deuxime chambre et me plaant devant la table, me fit dcouvrir

    1 E. Toulouse. - mile Zola, Enqute mdico-psychologique. Paris, 1896.

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    sur le tapis de celle-ci une grande tache rouge. Et elle m'expliqua qu'elle semettait devant la table dans une position telle que la femme de chambrequ'elle appelait ne pt pas ne pas apercevoir la tache. Je n'eus plus alors dedoute quant aux rapports troits existant entre la scne de la nuit de noces etl'action obsdante actuelle. Mais ce cas comportait encore beaucoup d'autresenseignements.

    Il est avant tout vident que la malade s'identifie avec son mari ; elle joueson rle en imitant sa course d'une pice l'autre. Mais pour que l'identifica-tion soit complte, nous devons admettre qu'elle remplace le lit et le drap delit par la table et le tapis de table. Ceci peut paratre arbitraire, mais ce n'estpas pour rien que nous avons tudi le symbolisme des rves. Dans le rveaussi on voit souvent une table qui doit tre interprte comme figurant un lit.Table et lit runis figurent le mariage. Aussi l'un remplace-t-il facilementl'autre.

    La preuve serait ainsi faite que l'action obsdante a un sens ; elle parat

    tre une reprsentation, une rptition de la scne significative que nous avonsdcrite plus haut. Mais rien ne nous oblige nous en tenir cette apparence ;en soumettant un examen plus approfondi les rapports entre la scne etl'action obsdante, nous obtiendrons peut-tre des renseignements sur des faitsplus loigns, sur l'intention de l'action. Le noyau de celle-ci consiste mani-festement dans l'appel adress la femme de chambre dont le regard est attirsur la tache, contrairement l'observation du mari : nous devrions avoirhonte devant la femme de chambre . Jouant le rle du mari, elle le reprsentedonc comme n'ayant pas honte devant la femme de chambre, la tache setrouvant la bonne place. Nous voyons donc que notre malade ne s'est pascontente de reproduire la scne : elle l'a continue et corrige, elle l'a renduerussie. Mais, ce faisant, elle corrige galement un autre accident pnible de lafameuse nuit, accident qui avait rendu ncessaire le recours l'encre rouge :

    l'impuissance du mari. L'action obsdante signifie donc : Non, ce n'est pasvrai ; il n'avait pas avoir honte ; il ne fut pas impuissant. Tout comme dansun rve, elle reprsente ce dsir comme ralis dans une action actuelle, elleobit la tendance consistant lever son mari au-dessus de son chec dejadis.

    A l'appui de ce que je viens de dire, je pourrais vous citer tout ce que jesais encore sur cette femme. Autrement dit : tout ce que nous savons encoresur son compte nous impose cette interprtation de son action obsdante, enelle-mme inintelligible. Cette femme vit depuis des annes spare de sonmari et lutte contre l'intention de demander une rupture lgale du mariage.Mais il ne peut tre question pour elle de se librer de son mari ; elle se sentcontrainte de lui rester fidle, elle vit dans la retraite, afin de ne pas succom-

    ber une tentation, elle excuse son mari et le grandit dans son imagination.Mieux que cela, le mystre le plus profond de sa maladie consiste en ce quepar celle-ci elle protge son mari contre de mchants propos, justifie leursparation dans l'espace et lui rend possible une existence spare agrable.C'est ainsi que l'analyse d'une anodine action obsdante nous conduit directe-ment jusqu'au noyau le plus cach d'un cas morbide et nous rvle en mmetemps une partie non ngligeable du mystre de la nvrose obsessionnelle. Jeme suis volontiers attard cet exemple parce qu'il runit des conditionsauxquelles on ne peut pas raisonnablement s'attendre dans tous les cas. L'in-

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    terprtation des symptmes a t trouve ici d'emble par la malade, en dehorsde toute direction ou intervention de l'analyse, et cela en corrlation avec unvnement qui s'tait produit, non une priode recule de l'enfance, maisalors que la malade tait dj en pleine maturit, cet vnement ayant persistintact dans sa mmoire. Toutes les objections que la critique adresse gnrale-ment nos interprtations de symptmes, se brisent contre ce seul cas. Il vasans dire qu'on n'a pas toujours la chance de rencontrer des cas pareils.

    Quelques mots encore, avant de passer au cas suivant. N'avez-vous pas tfrapps par le fait que cette action obsdante peu apparente nous a introduitsdans la vie la plus intime de la malade? Quoi de plus intime dans la vie d'unefemme que l'histoire de sa nuit de noces ?

    Et serait-ce un fait accidentel et sans importance que notre analyse nous aitintroduits dans l'intimit de la vie sexuelle de la malade ? Il se peut, sansdoute, que j'aie eu dans mon choix la main heureuse. Mais ne concluons pastrop vite et abordons notre deuxime exemple, d'un genre tout fait diffrent,

    un chantillon d'une espce trs commune : un crmonial accompagnant lecoucher.

    Il s'agit d'une belle jeune fille de 19 ans, trs doue, enfant unique de sesparents, auxquels elle est suprieure par son instruction et sa vivacit intel-lectuelle. Enfant, elle tait d'un caractre sauvage et orgueilleux et taitdevenue, au cours des dernires annes et sans aucune cause extrieure appa-rente, morbidement nerveuse. Elle se montre particulirement irrite contre samre ; elle est mcontente, dprime, porte l'indcision et au doute et finitpar avouer qu'elle ne peut plus traverser seule des places et des rues un peularges. Il y a l un tat morbide compliqu, qui comporte au moins deuxdiagnostics : celui d'agoraphobie et celui de nvrose obsessionnelle. Nous nenous y arrterons pas longtemps : la seule chose qui nous intresse dans le cas

    de cette malade, c'est son crmonial du coucher qui est une source desouffrances pour ses parents. On peut dire que, dans un certain sens, tout sujetnormal a son crmonial du coucher ou tient la ralisation de certainesconditions dont la non-excution l'empche de s'endormir ; il a entour lepassage de l'tat de veille l'tat de sommeil de certaines formes qu'il repro-duit exactement tous les soirs. Mais toutes les conditions dont l'homme sainentoure le sommeil sont rationnelles et, comme telles, se laissent facilementcomprendre ; et, lorsque les circonstances extrieures lui imposent un chan-gement, il s'y adapte facilement et sans perte de temps. Mais, le crmonialpathologique manque de souplesse, il sait s'imposer au prix des plus grandssacrifices, s'abriter derrire des raisons en apparence rationnelles et, l'examen superficiel, il ne semble se distinguer du crmonial normal que parune minutie exagre. Mais, un examen plus attentif, on constate que le

    crmonial morbide comporte des conditions que nulle raison ne justifie, etd'autres qui sont nettement antirationnelles. Notre malade justifie les prcau-tions qu'elle prend pour la nuit par cette raison que pour dormir elle a besoinde calme; elle doit donc liminer toutes les sources de bruit. Pour raliser cebut, elle prend tous les soirs, avant le sommeil, les deux prcautions suivan-tes : en premier lieu, elle arrte la grande pendule qui se trouve dans sachambre et fait emporter toutes les autres pendules, sans mme faire uneexception pour sa petite montre-bracelet dans son crin ; en deuxime lieu,elle runit sur son bureau tous les pots fleurs et vases, de telle sorte qu'aucun

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    d'entre eux ne puisse, pendant la nuit, se casser en tombant et ainsi troublerson sommeil. Elle sait parfaitement bien que le besoin de repos ne justifie cesmesures qu'en apparence; elle se rend compte que la petite montre-bracelet,laisse dans son crin, ne saurait troubler son sommeil par son tic-tac, et noussavons tous par exprience que le tic-tac rgulier et monotone d'une pendule,loin de troubler le sommeil, ne fait que le favoriser. Elle convient, en outre,que la crainte pour les pots fleurs et les vases ne repose sur aucunevraisemblance. Les autres conditions du crmonial n'ont rien voir avec lebesoin de repos. Au contraire : la malade exige, par exemple, que la porte quispare sa chambre de celle de ses parents reste entrouverte et, pour obtenir cersultat, elle immobilise la porte ouverte l'aide de divers objets, prcautionsusceptible d'engendrer des bruits qui, sans elle, pourraient tre vits. Maisles prcautions les plus importantes portent sur le lit mme. L'oreiller qui setrouve la tte du lit ne doit pas toucher au bois de lit. Le petit coussin de ttedoit tre dispos en losange sur le grand, et la malade place sa tte dans ladirection du diamtre longitudinal de ce losange. L'dredon de plumes doit aupralable tre secou, de faon ce que le ct correspondant aux pieds

    devienne plus pais que le ct oppos ; mais, cela fait, la malade ne tarde pas dfaire son travail et aplatir cet paississement.

    Je vous fais grce des autres dtails, souvent trs minutieux, de cecrmonial ; ils ne nous apprendraient d'ailleurs rien de nouveau et nousentraneraient trop loin du but que nous nous proposons. Mais sachez bien quetout cela ne s'accomplit pas aussi facilement et aussi simplement qu'on pour-rait le croire. Il y a toujours la crainte que tout ne soit pas fait avec les soinsncessaires : chaque acte doit tre contrl, rpt, le doute s'attaque tantt l'une, tantt une autre prcaution, et tout ce travail dure une heure ou deuxpendant lesquelles ni la jeune fille ni ses parents terrifis ne peuvents'endormir.

    L'analyse de ces tracasseries n'a pas t aussi facile que celle de l'actionobsdante de notre prcdente malade. J'ai t oblig de guider la jeune fille etde lui proposer des projets d'interprtation qu'elle repoussait invariablementpar un non catgorique ou qu'elle n'accueillait qu'avec un doute mprisant.Mais cette premire raction de ngation fut suivie d'une priode pendantlaquelle elle tait proccupe elle-mme par les possibilits qui lui taientproposes, cherchant faire surgir des ides se rapportant ces possibilits,voquant des souvenirs, reconstituant des ensembles, et elle a fini par acceptertoutes nos interprtations, mais la suite d'une laboration personnelle. Amesure que ce travail s'accomplissait en elle, elle devenait de moins en moinsmticuleuse dans l'excution de ses actions obsdantes, et avant mme la findu traitement tout son crmonial tait abandonn. Vous devez savoir aussique le travail analytique, tel que nous le pratiquons aujourd'hui, ne s'attache

    pas chaque symptme en particulier jusqu' sa complte lucidation. On estoblig chaque instant d'abandonner tel thme donn, car on est sr d'y treramen en abordant d'autres ensembles d'ides. Aussi l'interprtation dessymptmes que je vais vous soumettre aujourd'hui, constitue-t-elle une syn-thse de rsultats qu'il a fallu, en raison d'autres travaux entrepris entre-temps,des semaines et des mois pour obtenir.

    Notre malade commence peu peu comprendre que c'est titre desymbole gnital fminin qu'elle ne supportait pas, pendant la nuit, la prsence

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    de la pendule dans sa chambre. La pendule, dont nous connaissons encored'autres interprtations symboliques, assume ce rle de symbole gnitalfminin cause de la priodicit de son fonctionnement qui s'accomplit desintervalles gaux. Une femme peut souvent se vanter en disant que sesmenstrues s'accomplissent avec la rgularit d'une pendule. Mais ce que notremalade craignait surtout, c'tait d'tre trouble dans son sommeil par le tic-tacde la pendule. Ce tic-tac peut tre considr comme une reprsentation sym-bolique des battements du clitoris lors de l'excitation sexuelle. Elle tait eneffet souvent rveille par cette sensation pnible, et c'est la crainte del'rection qui lui avait fait carter de son voisinage, pendant la nuit, toutes lespendules et montres en marche. Pots fleurs et vases sont, comme tous lesrcipients, galement des symboles fminins. Aussi la crainte de les exposerpendant la nuit tomber et se briser n'est-elle pas tout fait dpourvue desens. Vous connaissez tous cette coutume trs rpandue qui consiste briser,pendant les fianailles, un vase ou une assiette. Chacun des assistants s'enapproprie un fragment, ce que nous devons considrer, en nous plaant aupoint de vue d'une organisation matrimoniale pr-monogamique, comme un

    renoncement aux droits que chacun pouvait ou croyait avoir sur la fiance. Acette partie de son crmonial se rattachaient, chez notre jeune fille, unsouvenir et plusieurs ides. tant enfant, elle tomba, pendant qu'elle avait lamain un vase en verre ou en terre, et se fit au doigt une blessure qui saignaabondamment. Devenue jeune fille et ayant eu connaissance des faits serattachant aux relations sexuelles, elle fut obsde par la crainte angoissantequ'elle pourrait ne pas saigner pendant sa nuit de noces, ce qui ferait natredans l'esprit de son mari des doutes quant sa virginit. Ses prcautionscontre le bris des vases constituent donc une sorte de protestation contre toutle complexe en rapport avec la virginit et l'hmorragie conscutive auxpremiers rapports sexuels, une protestation aussi bien contre la crainte desaigner que contre la crainte oppose, celle de ne pas saigner. Quant aux pr-cautions contre le bruit, auxquelles elle subordonnait ces mesures, elle

    n'avaient rien, ou peu prs rien, voir avec celles-ci.Elle rvla le sens central de son crmonial un jour o elle eut la com-

    prhension subite de la raison pour laquelle elle ne voulait pas que l'oreillertoucht au bois de lit : l'oreiller, disait-elle, est toujours femme, et la paroiverticale du lit est homme. Elle voulait ainsi, par une sorte d'action magique,pourrions-nous dire, sparer l'homme et la femme, c'est--dire empcher sesparents d'avoir des rapports sexuels. Longtemps avant d'avoir tabli soncrmonial, elle avait cherch atteindre le mme but d'une manire plusdirecte. Elle avait simul la peur ou utilis une peur relle pour obtenir que laporte qui sparait la chambre coucher des parents de la sienne ft laisseouverte pendant la nuit. Et elle avait conserv cette mesure dans son cr-monial actuel. Elle s'offrait ainsi l'occasion d'pier les parents et, force de

    vouloir profiter de cette occasion, elle s'tait attir une insomnie qui avait durplusieurs mois. Non contente de troubler ainsi ses parents, elle venait detemps autre s'installer dans leur lit, entre le pre et la mre. Et c'est alors quel' oreiller et le bois de lit se trouvaient rellement spars. Lorsqu'elleeut enfin grandi, au point de ne plus pouvoir coucher avec ses parents sans lesgner et sans tre gne elle-mme, elle s'ingniait encore simuler la peur,afin d'obtenir que la mre lui cdt sa place auprs du pre et vint elle-mmecoucher dans le lit de sa fille. Cette situation fut certainement le point de

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    dpart de quelques inventions dont nous retrouvons la trace dans soncrmonial.

    Si un oreiller est un symbole fminin, l'acte consistant secouer l'dredonjusqu' ce que toutes les plumes s'tant amasses dans sa partie infrieure yforment une boursouflure, avait galement un sens : il signifiait rendre lafemme enceinte ; mais notre malade ne tardait pas dissiper cette grossesse,car elle avait vcu pendant des annes dans la crainte que des rapports de sesparents ne naqut un nouvel enfant qui lui aurait fait concurrence. D'autre part,si le grand oreiller, symbole fminin, reprsentait la mre, le petit oreiller dette ne pouvait reprsenter que la fille. Pourquoi ce dernier oreiller devait-iltre dispos en losange, et pourquoi la tte de notre malade devait-elle treplace dans le sens de la ligne mdiane de ce losange? Parce que le losangereprsente la forme de l'appareil gnital de la femme, lorsqu'il est ouvert. C'estdonc elle-mme qui jouait le rle du mle, sa tte remplaant l'appareil sexuelmasculin. (Cf. : La dcapitation comme reprsentation symbolique de lacastration. )

    Ce sont l de tristes choses, direz-vous, que celles qui ont germ dans latte de cette jeune fille vierge. J'en conviens, mais n'oubliez pas que ceschoses-l, je ne les ai pas inventes : je les ai seulement interprtes. Le cr-monial que je viens de vous dcrire est galement une chose singulire et ilexiste une correspondance que vous ne devez pas mconnatre entre cecrmonial et les ides fantaisistes que nous rvle l'interprtation. Mais cequi m'importe davantage, c'est que vous ayez compris que le crmonial enquestion tait inspir, non par une seule et unique ide fantaisiste, mais par ungrand nombre de ces ides qui convergeaient toutes en un point situ quelquepart. Et vous vous tes sans doute aperus galement que les prescriptions dece crmonial traduisaient les dsirs sexuels dans un sens tantt positif, titrede substitutions, tantt ngatif, titre de moyens de dfense.

    L'analyse de ce crmonial aurait pu nous fournir d'autres rsultats encoresi nous avions tenu exactement compte de tous les autres symptmes pr-sents par la malade. Mais ceci ne se rattachait pas au but que nous noustions propos. Contentez-vous de savoir que cette jeune fille prouvait pourson pre une attirance rotique dont les dbuts remontaient son enfance, et ilfaut peut-tre voir dans ce fait la raison de son attitude peu amicale envers samre. C'est ainsi que l'analyse de ce symptme nous a encore introduits dansla vie sexuelle de la malade, et nous trouverons ce fait de moins en moinstonnant, mesure que nous apprendrons mieux connatre le sens et l'inten-tion des symptmes nvrotiques.

    Je vous ai donc montr sur deux exemples choisis que, tout comme les

    actes manqus et les rves, les symptmes nvrotiques ont un sens et serattachent troitement la vie intime des malades. Je ne puis certes pas vousdemander d'adhrer ma proposition sur la foi de ces deux exemples. Mais,de votre ct, vous ne pouvez pas exiger de moi de vous produire des exem-ples en nombre illimit, jusqu' ce que votre conviction soit faite. Vu en effetles dtails avec lesquels je suis oblig de traiter chaque cas, il me faudrait uncours semestriel de cinq heures par semaine pour lucider ce seul point de lathorie des nvroses. Je me contente donc de ces deux preuves en faveur dema proposition et vous renvoie pour le reste aux communications qui ont t

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    publies dans la littrature sur ce sujet, et notamment aux classiques inter-prtations de symptmes par J. Breuer (Hystrie), aux frappantes explicationsde trs obscurs symptmes observs dans la dmence prcoce, explicationspublies par C.-G. Jung l'poque o cet auteur n'tait encore que psycha-nalyste et ne prtendait pas au rle de prophte ; je vous renvoie en outre tous les autres travaux qui ont depuis rempli nos priodiques. Les recherchesde ce genre ne manquent prcisment pas. L'analyse, l'interprtation et la tra-duction des symptmes nvrotiques ont accapar l'attention des psychana-lystes au point de leur faire ngliger tous les autres problmes se rattachantaux nvroses.

    Ceux d'entre vous qui voudront bien s'imposer ce travail de documentationseront certainement impressionns par la quantit et la force des matriauxrunis sur cette question. Mais ils se heurteront aussi une difficult. Noussavons que le sens d'un symptme rside dans les rapports qu'il prsente avecla vie intime des malades. Plus un symptme est individualis, et plus nousdevons nous attacher dfinir ces rapports. La tche qui nous incombe,

    lorsque nous nous trouvons en prsence d'une ide dpourvue de sens et d'uneaction sans but, consiste retrouver la situation passe dans laquelle l'ide enquestion tait justifie et l'action conforme un but. L'action obsessionnellede notre malade, qui courait la table et sonnait la femme de chambre,constitue le prototype direct de ce genre de symptmes. Mais on observeaussi, et trs frquemment, des symptmes ayant un tout autre caractre. Ondoit les dsigner comme les symptmes typiques de la maladie, car ilssont peu prs les mmes dans tous les cas, les diffrences individuellesayant disparu ou s'tant effaces au point qu'il devient difficile de rattacherces symptmes la vie individuelle des malades ou de les mettre en relationavec des situations vcues. Dj le crmonial de notre deuxime maladeprsente beaucoup de ces traits typiques ; mais il prsente aussi pas mal detraits individuels qui rendent possible l'interprtation pour ainsi dire historique

    de ce cas. Mais tous ces malades obsds ont une tendance rpter lesmmes actions, les rythmer, les isoler des autres. La plupart d'entre euxont la manie de laver. Les malades atteints d'agoraphobie (topophobie, peurde l'espace), affection qui ne rentre plus dans le cadre de la nvrose obses-sionnelle, mais que nous dsignons sous le nom d'hystrie d'angoisse,reproduisent dans leurs tableaux nosologiques, avec une monotonie souventfatigante, les mmes traits : peur des espaces confins, de grandes placesdcouvertes, de rues et alles s'allongeant perte de vue. Ils se croientprotgs lorsqu'ils sont accompagns par une personne de leur connaissanceou lorsqu'ils entendent une voiture derrire eux. Mais sur ce fond uniformechaque malade prsente ses conditions individuelles, des fantaisies, pourrait-on dire, qui sont souvent diamtralement opposes d'un cas l'autre. Telredoute les rues troites, tel autre les rues larges ; l'un ne peut marcher dans la

    rue que lorsqu'il y a peu de inonde, tel autre ne se sent l'aise que lorsqu'il y afoule dans les rues. De mme l'hystrie, malgr toute sa richesse en traitsindividuels, prsente de trs nombreux caractres gnraux et typiques quisemblent rendre difficile la rtrospection historique. N'oublions cependant pasque c'est sur ces symptmes typiques que nous nous guidons pour l'tablisse-ment de notre diagnostic. Si, dans un cas donn d'hystrie, nous avonsrellement russi ramener un symptme typique un vnement personnelou une srie d'vnements personnels analogues, par exemple un vomisse-ment hystrique une srie d'impressions de nauses, nous sommes tout fait

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    dsorients lorsque l'analyse nous rvle dans un autre cas de vomissementsl'action prsume d'vnements personnels d'une nature toute diffrente. Onest alors port admettre que les vomissements des hystriques tiennent descauses que nous ignorons, les donnes historiques rvles par l'analysen'tant pour ainsi dire que des prtextes qui, lorsqu'ils se prsentent, sont utili-ss par cette ncessit interne.

    C'est ainsi que nous arrivons cette conclusion dcourageante que s'ilnous est possible d'obtenir une explication satisfaisante du sens des sympt-mes nvrotiques individuels la lumire des faits et vnements vcus par lemalade, notre art ne suffit pas trouver le sens des symptmes typiques, beau-coup plus frquents. En outre, je suis loin de vous avoir fait connatre toutesles difficults auxquelles on se heurte lorsqu'on veut poursuivre rigoureuse-ment l'interprtation historique des symptmes. Je m'abstiendrai d'ailleurs decette numration, non que je veuille enjoliver les choses ou vous dissimulerles choses dsagrables, mais parce que je ne me soucie pas de vous dcoura-ger ou de vous embrouiller ds le dbut de nos tudes communes. Il est vrai

    que nous n'avons encore fait que les premiers pas dans la vole de la com-prhension de ce que les symptmes signifient, mais nous devons nous entenir provisoirement aux rsultats acquis et n'avancer que progressivementdans la direction de l'inconnu. Je vais donc essayer de vous consoler en vousdisant qu'une diffrence fondamentale entre les deux catgories de symptmesest difficilement admissible. Si les symptmes individuels dpendent incon-testablement des vnements vcus par le malade, il est permis d'admettre queles symptmes typiques peuvent tre ramens des vnements galementtypiques, c'est--dire communs tous les hommes. Les autres traits qu'onobserve rgulirement dans les nvroses peuvent tre des ractions gnralesque la nature mme des altrations morbides impose au malade, comme parexemple la rptition et le doute dans la nvrose obsessionnelle. Bref, nousn'avons aucune raison de nous laisser aller au dcouragement, avant de

    connatre les rsultats que nous pourrons obtenir ultrieurement.Dans la thorie des rves, nous nous trouvons en prsence d'une difficult

    toute pareille, que je n'ai pas pu faire ressortir dans nos prcdents entretienssur le rve. Le contenu manifeste des rves prsente des variations et diff-rences individuelles considrables, et nous avons montr tout au long ce qu'onpeut, grce l'analyse, tirer de ce contenu. Mais, ct de ces rves, il enexiste d'autres qu'on peut galement appeler typiques et qui se produisentd'une manire identique chez tous les hommes. Ce sont des rves contenuuniforme qui opposent l'interprtation les mmes difficults : rves danslesquels on se sent tomber, voler, planer, nager, dans lesquels on se sententrav ou dans lesquels on se voit tout nu, et autres rves angoissants seprtant, selon les personnes, diverses interprtations, sans qu'on trouve en

    mme temps l'explication de leur monotonie et de leur production typique.Mais dans ces rves nous constatons, comme dans les nvroses typiques, quele fond commun est anim par des dtails individuels et variables, et il estprobable qu'en largissant notre conception nous russirons les faire entrer,sans leur infliger la moindre violence, dans le cadre que nous avons obtenu la suite de l'tude des autres rves.

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    Troisime partie : Thorie gnrale des nvroses

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    Rattachement une actiontraumatique. L'inconscient

    Retour la table des matires

    Je vous ai dit plus haut que, pour poursuivre notre travail, je voulaisprendre pour point de dpart, non nos doutes, mais nos donnes acquises. Lesdeux analyses que je vous ai donnes dans le chapitre prcdent comportentdeux consquences trs intressantes dont je ne vous ai pas encore parl.

    Premirement : les deux malades nous laissent l'impression d'tre pourainsi dire fixes un certain fragment de leur pass, de ne pas pouvoir s'en

    dgager et d'tre par consquent trangres au prsent et au futur. Elles sontenfonces dans leur maladie , comme on avait jadis l'habitude de se retirerdans des couvents pour fuir un mauvais destin. Chez notre premire malade,c'est l'union non consomme avec son mari qui fut la cause de tout le malheur.C'est dans ses symptmes que s'exprime le procs qu'elle engage contre sonmari ; nous avons appris connatre les voix qui plaident pour lui, quil'excusent, le relvent, regrettent sa perte. Bien que jeune et dsirable, elle arecours toutes les prcautions relles et imaginaires (magiques) pour luiconserver sa fidlit. Elle ne se montre pas devant des trangers, nglige son

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    extrieur, prouve de la difficult se relever du fauteuil dans lequel elle estassise, hsite lorsqu'il s'agit de signer, son nom, est incapable de faire uncadeau quelqu'un, sous prtexte que personne ne doit rien avoir d'elle.

    Chez notre deuxime malade, c'est un attachement rotique son pre qui,s'tant dclar pendant les annes de pubert, exerce la mme influencedcisive sur sa vie ultrieure. Elle a tir de son tat la conclusion qu'elle nepeut pas se marier tant qu'elle restera malade. Mais nous avons tout lieu desouponner que c'est pour ne pas se marier et pour rester auprs du prequ'elle est devenue malade.

    Nous ne devons pas ngliger la question de savoir comment, par quellesvoies et pour quels motifs, on assume une attitude aussi trange et aussidsavantageuse l'gard de la vie ; supposer toutefois que cette attitudeconstitue un caractre gnral de la nvrose, et non un caractre particulier nos deux malades. Or, nous savons qu'il s'agit l d'un trait commun toutesles nvroses et dont l'importance pratique est considrable. La premire

    malade hystrique de Breuer tait galement fixe l'poque o elle avaitperdu son pre gravement malade. Malgr sa gurison, elle avait depuis, dansune certaine mesure, renonc la vie ; tout en ayant recouvr la sant etl'accomplissement normal de toutes ses fonctions, elle s'est soustraite au sortnormal de la femme. En analysant chacune de nos malades, nous pourronsconstater que, par ses symptmes morbides et les consquences qui en dcou-lent, elle se trouve replace dans une certaine priode de son pass. Dans lamajorit des cas, le malade choisit mme cet effet une phase trs prcoce desa vie, sa premire enfance, et mme, tout ridicule que cela puisse paratre, lapriode o il tait encore nourrisson.

    Les nvroses traumatiques dont on a observ tant de cas au cours de laguerre prsentent, sous ce rapport, une grande analogie avec les nvroses dont

    nous nous occupons. Avant la guerre, on a naturellement vu se produire descas du mme genre la suite de catastrophes de chemin de fer et d'autresdsastres terrifiants. Au fond, les nvroses traumatiques ne peuvent tre enti-rement assimiles aux nvroses spontanes que nous soumettons gnrale-ment l'examen et au traitement analytique ; il ne nous a pas encore tpossible de les ranger sous nos critres et j'espre pouvoir vous en donner unjour la raison. Mais l'assimilation des unes aux autres est complte sur unpoint : les nvroses traumatiques sont, tout comme les nvroses spontanes,fixes au moment de l'accident traumatique. Dans leurs rves, les maladesreproduisent rgulirement la situation traumatique ; et dans les cas accom-pagns d'accs hystriformes accessibles l'analyse, on constate que chaqueaccs correspond , un replacement complet dans cette situation. On dirait queles malades n'en ont pas encore fini avec la situation traumatique, que celle-ci

    se dresse encore devant eux comme une tche actuelle, urgente, et nousprenons cette conception tout fait au srieux : elle nous montre le chemind'une conception pour ainsi dire conomique des processus psychiques. Etmme, le terme traumatique n'a pas d'autre sens qu'un sens conomique. Nousappelons ainsi un vnement vcu qui, en l'espace de peu de temps, apportedans la vie psychique un tel surcrot d'excitation que sa suppression ou sonassimilation par les voles normales devient une tche impossible, ce qui apour effet des troubles durables dans l'utilisation de l'nergie.

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    Cette analogie nous encourage dsigner galement comme traumatiquesles vnements vcus auxquels nos nerveux paraissent fixs. Nous obtenonsainsi pour l'affection nvrotique une condition trs simple : la nvrose pourraittre assimile une affection traumatique et s'expliquerait par l'incapacit ose trouve le malade de ragir normalement un vnement psychique d'uncaractre affectif trs prononc. C'est ce qui tait en effet nonc dans lapremire formule dans laquelle nous avons, Breuer et moi, rsum en 1893-1895 les rsultats de nos nouvelles observations. Un cas comme celui de notrepremire malade, de la jeune femme spare de son mari, cadre trs bien aveccette manire de voir. Elle n'a pas obtenu la cicatrisation de la plaie moraleoccasionne par la non-consommation de son mariage et est reste commesuspendue ce traumatisme. Mais dj notre deuxime cas, celui de la jeunefille rotiquement attache son pre, montre que notre formule n'est pasassez comprhensive. D'une part, l'amour d'une petite fille pour son pre estun fait tellement courant et un sentiment si facile vaincre que la dsignation traumatique , applique ce cas, risque de perdre toute signification ;d'autre part, il rsulte de l'histoire de la malade que cette premire fixation

    rotique semblait avoir au dbut un caractre tout fait inoffensif et nes'exprima que beaucoup plus tard par les symptmes de la nvrose obsession-nelle. Nous prvoyons donc ici des complications, les conditions de l'tatmorbide devant tre plus nombreuses et varies que nous ne l'avions suppos ;mais nous avons aussi la conviction que le point de vue traumatique ne doitpas tre abandonn comme tant erron : il occupera seulement une autreplace et sera soumis d'autres conditions.

    Nous abandonnons donc de nouveau la voie dans laquelle nous noustions engags. D'abord, elle ne conduit pas plus loin ; et ensuite, nous auronsencore beaucoup de choses apprendre avant de pouvoir retrouver sa suiteexacte. A propos de la fixation une phase dtermine du pass, faisonsencore remarquer que ce fait dborde les limites de la nvrose. Chaque

    nvrose comporte une fixation de ce genre, mais toute fixation ne conduit pasncessairement la nvrose, ne se confond pas avec la nvrose, ne s'introduitpas furtivement au cours de la nvrose. Un exemple frappant d'une fixationaffective au pass nous est donn dans la tristesse qui comporte mme undtachement complet du pass et du futur. Mais, mme au jugement duprofane, la tristesse se distingue nettement de la nvrose. Il y a en revanchedes nvroses qui peuvent tre considres comme une forme pathologique dela tristesse.

    Il arrive encore qu' la suite d'un vnement traumatique ayant secou labase mme de leur vie, les hommes se trouvent abattus au point de renoncer tout intrt pour le prsent et pour le futur, toutes les facults de leur metant fixes sur le pass. Mais ces malheureux ne sont pas nvrotiques pour

    cela. Nous n'allons donc pas, en caractrisant la nvrose, exagrer la valeur dece trait, quelles que soient et son importance et la rgularit avec laquelle il semanifeste.

    Nous arrivons maintenant au second rsultat de nos analyses pour lequelnous n'avons pas prvoir une limitation ultrieure. Nous avons dit, proposde notre premire malade, combien tait dpourvue de sens l'action obsession-nelle qu'elle accomplissait et quels souvenirs intimes de sa vie elle y ratta-chait ; nous avons ensuite examin les rapports pouvant exister entre cette

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    action et ces souvenirs et dcouvert l'intention de celle-l d'aprs la nature deceux-ci. Mais nous avons alors compltement laiss de ct un dtail quimrite toute notre attention. Tant que la malade accomplissait l'action obses-sionnelle, elle ignorait que ce faisant elle se reportait l'vnement enquestion. Le lien existant entre l'action et l'vnement lui chappait ; elledisait la vrit, lorsqu'elle affirmait qu'elle ignorait les mobiles qui la fontagir. Et voil que, sous l'influence du traitement, elle eut un jour la rvlationde ce lien dont elle devient capable de nous faire part. Mais elle ignorait tou-jours l'intention au service de laquelle elle accomplissait son action obsession-nelle : il s'agissait notamment pour elle de corriger un pnible vnement dupass et d'lever le mari qu'elle aimait un niveau suprieur. Ce n'est qu'aprsun travail long et pnible qu'elle a fini par comprendre et convenir que cemotif-l pouvait bien tre la seule cause dterminante de son action obses-sionnelle.

    C'est du rapport avec la scne qui a suivi l'infortune nuit de noces et desmobiles de la malade inspirs par la tendresse, que nous dduisons ce que

    nous avons appel le sens de l'action obsessionnelle. Mais pendant qu'elleexcutait celle-ci, ce sens lui tait inconnu aussi bien en ce qui concernel'origine de l'action que son but. Des processus psychiques agissaient donc enelle, processus dont l'action obsessionnelle tait le produit. Elle percevait bience produit par son organisation psychique normale, mais aucune de ses con-ditions psychiques n'tait parvenue sa connaissance consciente. Elle secomportait exactement comme cet hypnotis auquel Bernheim avait ordonnd'ouvrir un parapluie dans la salle de dmonstrations cinq minutes aprs sonrveil et qui, une fois rveill, excuta cet ordre sans pouvoir motiver sonacte. C'est des situations de ce genre que nous pensons lorsque nous parlonsde processus psychiques inconscients. Nous dfions n'importe qui de rendrecompte de cette situation d'une manire scientifique plus correcte et, quand cesera fait, nous renoncerons volontiers l'hypothse des processus psychiques

    inconscients. D'ici l, nous la maintiendrons et nous accueillerons avec unhaussement d'paules rsign l'objection d'aprs laquelle l'inconscient n'auraitaucune ralit au sens scientifique du mot, qu'il ne serait qu'un pis aller, unefaon de parler. Objection inconcevable dans le cas qui nous occupe, puisquecet inconscient auquel on veut contester toute ralit produit des effets d'uneralit aussi palpable et saisissable que l'action obsessionnelle.

    La situation est au fond identique dans le cas de notre deuxime patiente.Elle a cr un principe d'aprs lequel l'oreiller ne doit pas toucher la paroi dulit, et elle doit obir ce principe, sans connatre son origine, sans savoir cequ'il signifie ni quels motifs il est redevable de sa force. Qu'elle le considreelle-mme comme indiffrent, qu'elle s'indigne ou se rvolte contre lui ouqu'elle se propose enfin de lui dsobir, tout cela n'a aucune importance au

    point de vue de l'excution de l'acte. Elle se sent pousse obir et se deman-de en vain pourquoi. Eh bien, dans ces symptmes de la nvrose obsession-nelle, dans ces reprsentations et impulsions qui surgissent on ne sait d'o, quise montrent si rfractaires toutes les influences de la vie normale et quiapparaissent au malade lui-mme comme des htes tout-puissants venant d'unmonde tranger, comme des immortels venant se mler au tumulte de la viedes mortels, comment ne pas reconnatre l'indice d'une rgion psychiqueparticulire, isole de tout le reste, de toutes les autres activits et manifes-tations de la vie intrieure ? Ces symptmes, reprsentations et impulsions,

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    nous amnent infailliblement la conviction de l'existence de l'inconscientpsychique, et c'est pourquoi la psychiatrie clinique, qui ne connat qu'unepsychologie du conscient, ne sait se tirer d'affaire autrement qu'en dclarantque toutes ces manifestations ne sont que des produits de dgnrescence. Ilva sans dire qu'en elles-mmes les reprsentations et les impulsions obses-sionnelles ne sont pas inconscientes, de mme que l'excution d'actionsobsessionnelles n'chappe pas la perception consciente. Ces reprsentationset impulsions ne seraient pas devenues des symptmes si elles n'avaient paspntr jusqu' la conscience. Mais les conditions psychiques auxquelles,d'aprs l'analyse que nous en avons faite, elles sont soumises, ainsi que les en-sembles dans lesquels notre interprtation permet de les ranger, sont incon-scients, du moins jusqu'au moment o nous les rendons conscients au maladepar notre travail d'analyse.

    Si vous ajoutez cela que cet tat de choses que nous avons constat cheznos deux malades se retrouve dans tous les symptmes de toutes les affectionsnvrotiques, que partout et toujours le sens des symptmes est inconnu au

    malade, que l'analyse rvle toujours que ces symptmes sont des produits deprocessus inconscients qui peuvent cependant, dans certaines conditionsvaries et favorables, tre rendus conscients, vous comprendrez sans peineque la psychanalyse ne puisse se passer de l'hypothse de l'inconscient et quenous ayons pris l'habitude de manier l'inconscient comme quelque chose depalpable. Et vous comprendrez peut-tre aussi combien peu comptents danscette question sont tous ceux qui ne connaissent l'inconscient qu' titre denotion, qui n'ont jamais pratiqu d'analyse, jamais interprt un rve, jamaischerch le sens et l'intention de symptmes nvrotiques, Disons-le donc unefois de plus : le fait seul qu'il est possible, grce une interprtation analyti-que, d'attribuer un sens aux symptmes nvrotiques constitue une preuveirrfutable de l'existence de processus psychiques inconscients ou, si vousaimez mieux, de la ncessit d'admettre l'existence de ces processus.

    Mais ce n'est pas tout. Une autre dcouverte de Breuer, dcouverte que jetrouve encore plus importante que la premire et qu'il a faite sans collabo-ration aucune, nous en apprend encore davantage sur les rapports entrel'inconscient et les symptmes nvrotiques. Non seulement le sens des symp-tmes est gnralement inconscient ; mais Il existe, entre cette Inconscience etla possibilit d'existence des symptmes, une relation de remplacementrciproque. Vous allez bientt me comprendre. J'affirme avec Breuer ceci :toutes les fois que nous nous trouvons en prsence d'un symptme, nousdevons conclure l'existence chez le malade de certains processus incon-scients qui contiennent prcisment le sens de ce symptme. Mais il faut aussique ce sens soit inconscient pour que le symptme se produise. Les processusconscients n'engendrent pas de symptmes