SIMPLE PASSÉ LOIN D’ÊTRE PLUS QUE PARFAIT

Yvon Morel-Lab

Simple passé loin d’être plus que parfait

Nouvelles

Éditions Persée

Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des per-sonnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.

Consultez notre site internet

© Éditions Persée, 2016

Pour tout contact :Éditions Persée – 38 Parc du Golf – 13 856 Aix-en-Provence

www.editions-persee.fr

5

QUEL DRÔLE DE TEMPS !

Un, deux, trois, c’est parti. La discordance des temps me préoccupe. Je vis au présent, mais le passé pas toujours

simple se décompose. Je ne vois rien de clair dans le futur anté-rieur. D’ailleurs, s’il est antérieur, il devient présent ! Ce présent pourrait être plus que parfait ; c’est loin d’être le cas. Il est impéra-tif que je participe à la recomposition de ce passé sous sa première forme, et si je peux à sa deuxième forme, sans trop m’éloigner d’un passé très ancien, antérieur à quoi : à ma naissance ? Non, c’est trop loin. Revenons à un passé plus simple bien qu’imparfait.

Ma tête tourne dans tous les sens, je ne sais plus où regarder. Du simple au plus-que-parfait, je ne sais où je suis. Mais le plus que parfait me fait peur, je ne pourrais l’obtenir. Parfait serait déjà formidable, inespéré. Alors le plus est de trop. À quoi rime cette cavalcade dans cet espace intemporel où se conjugue pour mon déplaisir ce qui est – ce qui sera – ce qui serait etc. ? Comment vivre simple dans ce remue-ménage où je deviens une toupie ?

Le tourbillon m’entraîne dans une valse discordante où le temps se conjugue sans avoir le temps de le compter, ni de le conter, encore moins de le recomposer. Les trois temps m’ont embrouillé

6

les pieds ! la concordance s’est envolée, il n’est plus temps de lui trouver un indicatif pour le retrouver.

Mais où fuir, où me poser pour un temps ? Ce conditionnel devient impératif pour retrouver mon équilibre. L’irréel vient à mon secours, tant pis si pour un temps, je ne suis plus présent, mais comment m’en sortir, alors que le subjonctif se mêle de mélanger le temps – présent, futur ? rien d’anormal puisque le futur deviendra présent. Mais une fois de plus où je suis ? Dans un futur présent ou dans un présent futur ?

Épuisé, présentement, je m’endors en attendant que le passé s’éloigne, que le présent se dissipe pour rattraper un futur condi-tionnel. Mais je m’en fiche, je ne suis plus présent. Je m’envole dans un rêve hors du temps.

Il y eut un temps où rien de tout cela ne me préoccupait, accord, désaccord, d’accord, pas d’accord, qu’importait le temps.

Maintenant tant que faire se peut, je m’escrime pour un temps de me mettre en accord de temps.

Mais alors ! Un, deux, trois, c’est parti ; la discordance des temps me préoccupe… À moins qu’il soit temps que je m’arrête pour un temps… Tant mieux – tant pis.

7

AH ! L’ATTENTE

Le meilleur moment, ou le pire ?L’imagination sublime ce futur attendu.Mais il existe tant d’attentes.En bien, en moins bien, en pire.En bien pour certains,En pire pour la même attente, en pire.Moi j’attends pour le bien beau.Pourquoi attendre pour le pire ?Quand le moment sera venu,Il sera bien temps.Alors j’attends.Je surveille, j’étudie, je calcule.Le temps devient mon domaine.Le matin un coup d’œil au ciel,Un autre au baromètre,Un troisième au thermomètre.L’espoir se précise,Bientôt je commence à croire.Mon attente sera comblée.Je guette le premier flocon,

... / ...

8

Gentiment il arrive encore indécis,Pas pressé de finir de tomber.Petit à petit ses copains arrivent.Que c’est beau quand tout devient blanc,Le gazon, les arbres, le chemin.Je reste là, j’admire.

9

NEWTON

Ma femme et moi avons de graves problèmes de percep-tions avec Newton. Il a beau être devenu le plus intelli-

gent des chiens, il pourrait faire un effort afin de nous comprendre. Tout jeune encore, je devais tous les matins, quand par chance il était là, l’éduquer. Par la suite, j’appris où le trouver.

La première fois qu’il a disparu, je l’ai cherché dans le village et j’ai demandé à tout le monde si on l’avait vu.

Il est prudent lorsqu’il circule, il marche toujours à gauche de la route comme le code le prescrit et s’arrête à la venue d’une voiture. Il n’est pas content à l’arrivée d’un chauffard. Quand il m’emmène me promener, je l’ai vu se taper la tête avec sa patte lorsqu’un jeune fou nous double afin d’essayer de lui faire com-prendre qu’il va bientôt finir sa vie dans le fossé ou dans un pla-tane. Mais il n’a qu’une intelligence de chien, il ne sait pas que cela ne sert à rien.

Ce matin donc, je cherchais Newton. Beaucoup le connais-saient, ils nous voyaient nous balader, moi devant, et lui me tenant en laisse. C’est le maire, lors de sa tournée habituelle afin de véri-fier que rien ne clochait dans sa commune qui, me voyant, m’a fait signe de le rejoindre.

— Bonjour Monsieur Dubois.

10

En fait, je m’appelle Martin mais ici tout le monde me nomme ainsi. Ils ont pris l’habitude de m’appeler de cette façon car quand ils parlent de moi, ils disent : vous savez le Monsieur du bois : effectivement ma maison est dans un bois. Un jour je l’ai appris, cela m’a bien fait rire. Alors, sachant que cela ne me vexe pas, quand ils me croisent ils disent « bonjour monsieur du bois » avec un sourire. Depuis le temps, le sourire malin a disparu et je suis devenu presque officiellement Monsieur Dubois.

Je voyais bien que le maire était ennuyé, qu’il avait une difficulté.

— Monsieur Dubois, j’ai un problème avec vous. Enfin plus exactement avec votre chien. Je sais que vous l’avez très bien dressé et qu’il ne ferait pas de mal à une mouche ni à un chat. Mais ce matin il est entré dans la classe de CP et s’est installé au fond sur un banc. Au début tous les enfants du village, le connaissant, se sont amusés de sa présence. L’instituteur n’était pas content et il l’a fait sortir. Votre chien n’a pas fait de difficultés mais il s’est installé à la fenêtre qui était ouverte avec ce beau temps. Il ne bou-geait pas et petit à petit tout le monde l’a oublié.

À la récréation, les enfants ont joué avec lui et quand ils sont rentrés, il s’est à nouveau installé à la place au fond, et cette fois-ci les enfants s’étant habitués à lui, l’instituteur l’a laissé.

Mais là où cela ne va plus, et c’est pour cela que je vous en parle, il souffle aux élèves les bonnes réponses. Pour le calcul, très vite les enfants autour de lui ont compris que quand il tape sur le bureau de sa patte gauche cela indique une dizaine et de sa patte droite les unités. Oh ! il le fait discrètement. Il surveille si Monsieur Durant l’instituteur regarde, mais quand ce dernier s’est aperçu finalement de son manège, il est venu me voir. Il faudrait que vous en parliez à votre chien pour qu’il cesse de souffler les bonnes réponses aux enfants.

11

Cette remontrance du maire est déjà ancienne, et depuis mon chien a bien progressé. Il a pu sauter des classes car il s’ennuyait ; il est en CM2. L’année prochaine il doit entrer en 6e et cela pose un problème. Le collège n’est pas dans le village. Cela m’ennuie, je vais être obligé de l’inscrire à des cours par correspondance. J’ai demandé au directeur de ce collège de l’inscrire mais faisant preuve d’un comportement raciste, il l’a refusé. Il n’a pas perçu l’intérêt qu’il aurait pu trouver pour son collège dans la cohabita-tion des races.

Depuis qu’il va en classe, je lui ai construit un clavier d’ordi-nateur avec des touches plus grandes, car maladroit il en tapait plusieurs en même temps, et aussi parce qu’avant il écrivait trop mal. Je ne pouvais même pas le relire.

Il ne nous l’a jamais dit, et c’est là notre problème de fond, nous n’arrivons pas à percevoir si son bonheur est de vivre avec nous. Pourtant, avec ma femme nous faisons tout pour qu’il le soit. Dans le fond ce refus de le prendre au collège nous enchante. Il pourra rester plus longtemps à la maison.

Un soir, une fois de plus inquiet de son absence depuis le matin, je décide de partir à sa recherche. Il me l’a souvent fait com-prendre, il n’aime pas cela. Mais que voulez-vous, l’attachement que je lui porte est trop fort. Je ne peux pas rester passif sur le pas de la porte à scruter le mouvement des buissons qui me signalerait son retour. Je prends alors ma voiture et circule au ralenti sur les routes et chemins environnants. C’est ainsi que par hasard, il m’est arrivé quelquefois de l’apercevoir. Par chance pour moi, je pou-vais retrouver ma tranquillité, mais bien moins pour lui. Dès qu’il voyait ma voiture, il comprenait, et me faisait la tête, bougonnant. Après mes appels répétés, il décidait enfin de me rejoindre mar-chant comme un estropié, alors que dans les secondes précédentes il gambadait avec joie. Il voulait ainsi me faire comprendre que

12

je m’occupais de ce qui ne me regardait pas. Devant la portière ouverte il s’asseyait. Sa soumission n’allait pas jusqu’à monter volontairement dans la voiture. C’est moi qui devais le prendre et le poser sur la banquette. Il se laissait alors tomber et s’affalait de tout son long dans sa bouderie réprobatrice ; j’avais interrompu son temps de liberté.

Je percevais quelque chose de changé dans Newton. Cette nouvelle fugue ne ressemblait pas aux autres. Déjà hier, il avait disparu, mais bizarrement il était rentré tôt. J’avais supposé qu’il n’avait pas retrouvé ses copains habituels avec lesquels il cha-hutait. Contrairement aux autres fois, il ne s’était pas précipité sur sa gamelle. Il n’avait mangé que du bout des lèvres quelques croquettes, mais avait bu longuement pour ensuite aller s’installer dans son panier. Je le surveillais, il avait un regard perdu, flou, indifférent à son entourage. Mais, plus bizarre encore son pelage était brillant et immaculé, c’était la première fois.

Ce soir donc, ma tournée à sa recherche se clôtura par un échec jusqu’à ce que j’arrive à l’entrée de mon bois. Il était là mais pas seul. Les phares de ma voiture les éclairaient. Ce fut un choc pour moi. Tout devenait clair. Leurs positions respectives montraient à l’évidence que lui voulait l’entraîner à entrer dans la maison, mais, elle, hésitait à faire les pas nécessaires pour l’accompagner. À l’évidence, il éprouvait des difficultés à la convaincre. Fallait-il que j’intervienne ? Je ne suis pas raciste mais imaginer une chienne noire devenant la compagne de mon chien : c’était beaucoup me demander ! Je savais d’avance que mon avis ne changerait rien. Je n’eus pas un regard de sa part en passant lentement à leur hauteur.

Quelques longues minutes plus tard, après avoir brièvement informé mon épouse, j’étais sur le pas de la porte dans une attente inquiète. J’attendis longtemps, et enfin il arriva mais seul. Pourquoi le nier, j’en fus ravi mais me gardais bien de le lui montrer. Mes caresses de consolation furent reçues avec indifférence. Cette pre-

13

mière déception amoureuse devait être prise au sérieux. On ne sait jamais exactement où elle conduit. Dans les jours qui suivirent, il fallut employer des trésors de patience pour la lui faire oublier.

Nous avons bien invité de bons amis cohabitant avec des chiennes plus conformes à nos vœux, mais sans succès. À l’arri-vée de la prétendante, toute pomponnée, Newton levait un œil au-dessus de son panier afin de jauger l’intruse et détournait ensuite le regard.

Heureusement que les études par correspondance créent des obligations. C’était en général un élève studieux et travailleur. Pour une fois, il n’avait pas la tête à se plonger dans son travail. Il fallut insister beaucoup pour qu’il retrouve son rythme antérieur. Mais, doué comme il était, au bout d’une courte semaine, il reprit bien vite le collier.

Depuis cette confirmation qu’il a grandi, sur son ordinateur, il faut surveiller ce qu’il regarde, son plaisir étant de surfer sur Internet, nous avons été obligés de mettre en place le contrôle parental. Nous ne tenons pas à ce qu’il devienne un chien dévoyé.

Après son échec sentimental, il se sauve à nouveau, et nous n’osons pas imaginer ce qu’il fait dans ces instants de liberté. Il sait que nous n’aimons pas ça quand il rentre tout crotté et épuisé. Il voit bien que nous ne sommes pas contents.

Mais, il y a bien pire, il n’accepte plus de venir avec nous se balader. Le mot « laisse » le fait fuir, il préfère rester à la mai-son, planté devant son ordinateur à jouer à des jeux débiles, plutôt que de tranquillement parcourir les petits chemins bucoliques qui entourent notre village. Cela nous attriste beaucoup ma femme et moi, mais que faire ? Aurait-il honte de nous, si par hasard nous croisions un de ses copains et qu’il le voit nous accompagnant ?

14

Depuis peu, nous ne pouvons plus approcher de son ordinateur, il grogne si nous essayons. Nous ne pouvons voir que de loin qu’il tape un texte.

Une fois, profitant de son absence, nous avons enfin pu décou-vrir son travail caché.

Osant lire les premières pages nous pûmes percevoir enfin ses pensées profondes. Lui qui ne parle pas beaucoup développe dans ses écrits son énorme complexe. Mais notre surprise fut grande quand il fut évident de constater qu’il est de supériorité. Nous n’étions pas classé très haut dans l’échelle de ses valeurs. Comme quoi, se dévouer pour un être, n’est pas perçu comme une qualité. Ce fut ressenti comme une grande déception mais sans doute pro-visoire, probablement dû à son âge.

Cela ne nous empêcha pas d’émettre une critique sur son œuvre.Cela s’intitule : Mémoire d’une vie de chien.C’est d’un commun, souvent c’est par cela que les débutants

commencent : une autobiographie !Mais le plus embêtant, maintenant qu’il se croit écrivain, il en

a pris les défauts. Il est devenu un vrai cabot !

15

LES TROIS « PETITS », SEPT NAINS !

Ce matin, rien ne vient troubler le magnifique paysage que j’ai autour de moi. La neige recouvre tout, modifie tout.

Sur cette piste de ski de fond du plateau de Retord j’avance seul, dans le silence qu’apporte cette présence neigeuse.

Je n’entends que le crissement régulier de mes skis dans la trace existante, rythmé par le petit craquement de la pointe de mes bâtons quand ils s’enfoncent dans la neige croûtée.

La piste tracée me conduit pour l’instant, dans une grande combe. La neige tombée les jours précédents a chargé les branches de sapins de toute sa blancheur. Ni le vent, ni le soleil ne sont intervenus pour les soulager. Les plus basses et les plus grandes rejoignent le sol. Les suivantes sont presque verticales. Tous les sapins ont perdu leur volume. Le paysage en est complètement changé. J’ais l’impression de vivre dans un monde irréel.

Nous sommes à la veille des vacances de Noël, les vacanciers ne sont pas encore arrivés. J’avais décidé d’en profiter pour venir m’oxygéner en faisant de l’exercice dans cette grande solitude provisoire. À mon arrivée, le parking est complètement désert. D’ailleurs, depuis mon départ, je n’ai rencontré personne.

Il va bientôt être l’heure de mon arrêt casse-croûte. Mon esto-mac, depuis quelque temps, cherche à attirer mon attention sur sa préoccupation majeure, la peur du vide.