Sistemas de Numeración de La Grecia Antigua. Franccés

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    Samuel Verdan Systmes numraux en Grce ancienne CultureMATH2007

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    Systmes numraux en Grce ancienne:description et mise en perspective historique

    Samuel VerdanInstitut d'archologie et des sciences de l 'Antiquit (IASA), Universit de Lausanne

    [email protected]

    SOMMAIRE

    Introduction.................................................................................................................................1La numration acrophonique ......................................................................................................2

    La numration alphabtique........................................................................................................6

    Les numrations grecques au fil du temps ..................................................................................9

    En guise de conclusion..............................................................................................................13

    Bibliographie.............................................................................................................................14

    Introduction

    La manire ou plutt les manires dont les Grecs anciens crivaient les nombres sont bien

    connues. Les meilleurs renseignements ce sujet nous viennent des inscriptions sur

    pierre, mais des informations importantes sont aussi glaner parmi les graffiti sur

    cramique et, bien entendu, dans les sources littraires. Il est donc relativement ais de

    rendre compte des principales numrations employes. Il serait plus compliqu, en

    revanche, de faire tat de toutes les variations pouvant exister selon les rgions ou selon

    les priodes considres. Ici, on se contentera d'aborder la question d'un point de vue

    gnral, en prsentant les deux systmes numraux les plus utiliss en Grce ancienne;

    cette partie descriptive sera suivie de quelques considrations d'ordre historique.

    Les anciens Grecs comptaient en base 10, comme les autres peuples indo-europens, et

    comme leurs proches voisins mditerranens, notamment les Egyptiens et les Phniciens.

    Le systme dcimal apparat clairement dans le vocabulaire employ pour dsigner les

    nombres et, bien entendu, dans la manire de les crire. Relevons aussi que la symbolique

    des nombres en est imprgne, et que le chiffre dix ainsi que ses puissances y sont

    souvent dots d'une valeur particulire. Prenons quelques exemples dans l'Iliade, la

    premire uvre de la littrature grecque: le pote dit que, pour numrer tous les soldats

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    de l'arme grecque, il n'aurait pas assez de dix langues et de dix bouches, formule qui

    comporte l'ide d'une totalit (Il. II, 489); dans le domaine religieux, le sacrifice animal

    vraiment parfait est celui o l'on gorge cent bufs (Il. I, 65, 93, 99, etc.; le mot grec,

    compos de "cent" et de "bufs", a donn "hcatombe" en franais); on retrouve la mme

    mesure parfaite avec le bcher funraire qu'Achille a fait lever pour son ami Patrocle,

    (cent pieds de ct:Il. XXIII, 164); murioi, le mot pouvant signifier 10'000, est galement

    employ pour dsigner quelque chose d'innombrable (Il. I, 2, etc.; le franais a conserv

    cet usage avec le terme "myriade").

    L'originalit des Grecs, dans le domaine qui nous intresse, tient au fait qu'ils ont utilis

    plusieurs systmes de numration diffrents, dont les deux principaux sont appels

    respectivement "acrophonique" et "alphabtique". Comme on le verra par la suite, ces

    deux systmes ont eu leur existence propre. Ils sont apparus indpendamment l'un de

    l'autre, ils ont coexist, en trouvant des applications dans des contextes diffrents, mais ils

    ont aussi t concurrents, prenant tour tour de l'importance aux dpens de l'autre.

    La numration acrophonique

    Cette numration est nomme acrophonique parce que les signes dont elle se compose

    sont les initiales des mots dsignant les nombres (de akros= "ce qui est l'extrmit, au

    dbut", et de phon= "le son, le mot"; voir tableau 1); noter que ce terme, bien que

    form de racines grecques, est une cration moderne, et que l'on ignore son quivalent

    antique (Tod 1911/12, 125-128). Le systme est dit "additif". Les signes y ont une valeur

    fixe; lorsqu'on les associe pour crire un nombre, il faut additionner chacune de leur

    valeur pour obtenir celle du nombre en question. Ce systme se distingue d'une

    numration "de position" comme celle que nous pratiquons avec nos chiffres arabes. A

    noter que les Grecs ne possdaient pas de zro, une notion lie la numrationpositionnelle. Les signes de base sont ceux qui dsignent l'unit, la dizaine et les

    puissances de 10: ainsi, on crivait D pour 10, H pour 100, C pour 1'000, et M pour

    10'000 (tableau 1).

    Le 1 tait cependant reprsent par un signe non acrophonique, savoir un simple trait

    vertical. Cet usage est tout fait naturel, et se retrouve dans les numrations du monde

    entier. Dans ce cas prcis, les Grecs auraient d'ailleurs t emprunts pour choisir une

    lettre car le nom de l'unit est variable et n'a pas la mme initiale suivant qu'il est au

    masculin (eis) ou au fminin (mia).

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    Lettres initiales de qui signifie

    (pi)pevnte(pente)

    cinq

    (delta)devka(dka)

    dix

    (ta)hekatovn(hkaton)

    cent

    (chi)civlioi

    (chilioi)mille

    (mu)muvrioi

    (murioi)dix mille

    Tableau 1: le principe acrophonique

    Il faut souligner que le principe consistant tablir un lien troit entre le nom d'un nombre

    et le signe qui le dsigne est tout fait original; il ne se retrouve chez aucun autre des

    peuples avec lesquels les Grecs anciens taient en contact. Il comporte un avantage

    certain, d'ordre mnmotechnique: pour un hellnophone en tous cas, il tait plus facile de

    se souvenir de ces lettres/chiffres que de signes qui auraient t choisis de manire

    arbitraire.

    Aprs l'unit et les puissances de 10 qui viennent d'tre voques, il reste considrer les

    chiffres intermdiaires. Pour le chiffre 5, la rgle acrophonique est applique: on emploie

    la lettre P, initiale de Pente. Pour 50, 500, 5'000 et 50'000, on a ensuite recours un

    principe multiplicatif. Dans une notation quasi stnographique, le Pdu 5 est ainsi associaux lettres des puissances de 10: un petit Dinscrit dans le Pdsignera 50, et ainsi de suite

    (tableau 2). A la suite d'Alain Schrlig (2001, 45), on peut qualifier ces chiffres de

    "quinaires". On considre gnralement que ces chiffres, qui n'appartiennent pas

    proprement parler au systme dcimal et qui drogent au principe de la numration

    acrophonique, sont apparus plus tard que les autres, mais cela reste prouver. On les

    trouve en tous cas attests sur des documents relativement prcoces (Lang 1956, 19-20).

    Quoi qu'il en soit, ces chiffres quinaires prsentent un avantage certain, car ils permettent

    de ne pas devoir crire les chiffres de base plus de quatre fois. A l'origine, leur usage est

    sans doute li la pratique de l'inscription sur pierre: dans ce domaine, tous les moyens

    taient bons pour conomiser de la place sur la stle, et aussi du travail au graveur. Sur ce

    point encore, les Grecs firent preuve d'originalit par rapport la plupart de leurs voisins

    orientaux, qui employaient des numrations ncessitant une criture plus rptitive (sur le

    systme phnicien, par exemple, voir tableau 8, p. 10); signalons une exception notable,

    celle de la numration dmotique gyptienne, elle aussi conomique (sur ce systme, voir

    infra, p. 12).

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    50 (5 x 10)

    500 (5 x 100)

    5 000 (5 x 1 000)

    50 000 (5 x 10 000)

    Tableau 2: chiffres "quinaires"

    Figure 1: 1974 crit en chiffres acrophoniques

    Tableau 3: les dix signes de la numration acrophonique (systme attique)

    En principe, il n'aurait pas t ncessaire d'crire les chiffres acrophoniques dans un ordre

    prcis, puisque les valeurs taient lies aux signes eux-mmes et ne dpendaient pas de la

    position de ces derniers l'intrieur du nombre. Pour faciliter la lecture, il tait toutefois

    ncessaire qu'un ordre s'impose. En gnral, on trouve donc les chiffres inscrits dans

    l'ordre dcroissant, de gauche droite (figure 1). Ce sens parat logique, puisqu'il

    correspond celui de l'criture grecque. Il faut savoir cependant que le grec ne s'est pas

    toujours crit de gauche droite. Lorsque les Grecs empruntrent l'alphabet aux

    Phniciens, quelque part entre le IXe et le VIII

    e sicles av. J.-C., ils commencrent par

    crire de droite gauche, comme les Smites dont ils s'taient inspirs. Il n'est donc pas

    exclu que les premiers nombres acrophoniques aient t poss dans ce sens. Par la suite,

    on en trouve des attestations en Sicile, partie du monde grec o l'influence phnicienne

    tait particulirement forte (Nenci 1995).

    Il reste considrer, pour finir, les emplois auxquels la numration acrophonique tait

    destine. Relevons d'abord que cette dernire ne servait qu' noter des nombres cardinaux;

    les nombres ordinaux, quant eux, taient crits en toutes lettres. Ce sont donc des

    quantits qui taient exprimes: des poids, des mesures, des capacits, et surtout des

    sommes montaires. Le systme tait prvu pour indiquer quoi l'on avait affaire: le signe

    de l'unit, qui, comme on l'a vu plus haut, tait normalement un simple trait vertical,

    pouvait en effet revtir diffrentes formes. En Attique, le signe que l'on rencontre le plusfrquemment est celui de la drachme, unit montaire de base: au trait vertical venait

    1 5 10 50 100 500 1 000 5 000 10 000 50 000

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    s'ajouter un petit trait horizontal. Dans le domaine de la monnaie toujours, il existait

    plusieurs autres units: l'obole, qui valait 1/6 de drachme, le chalkos, qui valait 1/8 de

    drachme, et enfin le talent, qui valait 6'000 drachmes. Pour la premire, les Athniens

    employaient nouveau le trait vertical, inutilis dans ce contexte puisque la drachme avait

    son signe propre; pour les deux autres, c'tait l'initiale du nom qui faisait office d'unit,

    conformment au principe acrophonique: on avait donc pour 1 chalkos et pour 1

    talent(tableau 3). Le mme principe est attest pour des units de capacit: 1 kotyle (=

    0.2736 litre) tait note K, 1 chous(3.283 litre) tait note C(figure 2).

    Figure 2: indication decapacit inscrite sous

    le fond d'un vase (K=

    kotyle)(Lang 1954, pl. 5)

    Tableau 4: signes pour les units montaires attiques

    Comme on peut le constater, le systme n'est pas tout simple et prsente des risques de

    confusion, notamment parce que certaines lettres ont plusieurs sens. On peut trouver C

    pour 1'000, mais aussi pour 1 chalkos ou 1 chous. Les Athniens de l'poque devaient

    rarement se tromper, car le contexte dans lequel s'insraient les indications chiffres leur

    tait en principe connu. Il en va autrement pour nous, qui ne disposons souvent que

    d'inscriptions fragmentaires.

    A cela s'ajoute encore le fait que la forme des chiffres acrophoniques taient susceptibles

    de varier d'une cit l'autre. Le systme que nous connaissons le mieux, et qui nous a

    servi d'exemple ici, est celui de l'Attique, qui est attest sur un nombre considrable de

    documents. Comme il s'tait rpandu en mme temps que l'influence athnienne, on le

    rencontre galement en d'autres endroits du monde grec. Mais, sur un fond commun, il

    existait beaucoup de particularits rgionales (voir Tod 1911/11, 1913, 1926/27 et

    1936/37), principalement lies aux variations de l'alphabet lui-mme. Pendant longtemps

    en effet, les diffrentes rgions de Grce ont conserv des alphabets se distinguant les uns

    des autres par certains traits (on les nomme les alphabets pichoriques), et la forme des

    lettres/chiffres s'en trouvait naturellement affecte; tel point que des Grecs se rendant

    dans une cit voisine risquaient fort de ne pas pouvoir y lire correctement les indicationschiffres.

    signe pour valeur

    1 talent 6 000 drachmes

    1 drachme -

    1 obole 1/6 de drachme

    1 chalkous 1/8 d'obole

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    Figure 3: abaque de l'Acropole d'Athnes(d'aprs Schrlig 2001, planche hors-texte, fig. 3)

    Avant de passer la numration alphabtique, il faut encore voquer un type de documentparticulirement intressant sur lequel apparaissent les chiffres acrophoniques. Il s'agit de

    l'abaque, la table calculer ou, s'il l'on prfre, la machine calculer de l'poque, dont

    quelques exemplaires en pierre sont parvenus jusqu' nous (figure 3). L'objet portait des

    colonnes (non visibles sur la figure 3) dont les valeurs taient indiques par des chiffres et

    entre lesquelles on dplaait des jetons ou des cailloux pour effectuer les calculs. Ces

    abaques ont rcemment fait l'objet d'une tude trs approfondie, apportant des prcisions

    sur la manire dont les Grecs s'y prenaient pour raliser les oprations mathmatiques de

    base, et ce avec des numrations qui ne facilitaient pas le travail (Schrlig 2001 et 2006).

    La numration alphabtique

    Cette numration est appele alphabtique non seulement parce qu'elle fait appel toutes

    les lettres de l'alphabet grec, mais aussi parce qu'elle en conserve l'ordre logique. Le

    principe consiste en effet attribuer une valeur chaque lettre, en commenant par A

    (alpha) = 1, puis B(bta) = 2, et ainsi de suite. Les neuf premires lettres concernent les

    units (de 1 9), les neuf suivantes les dizaines (de 10 90) et les neuf dernires les

    centaines (de 100 900) (tableau 5).

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    Units Dizaines Centaines

    1A

    alpha10

    Iiota

    100R

    rh

    2B

    bta20

    Kkappa

    200S

    sigma

    3 Ggamma 30 Llambda

    300 Ttau

    4D

    delta40

    Mmu

    400U

    upsilon

    5E

    epsilon50

    Nnu

    500F

    phi

    6

    digamma60

    Xxi

    600Cchi

    7Z

    zta70

    Oomicron

    700Y

    psi

    8Hta

    80Ppi

    800W

    omga

    9 Qthta

    90 qoppa

    900 sampi

    Tableau 5: numration alphabtique

    On fait gnralement remarquer que l'alphabet grec traditionnel a 24 lettres, que le

    systme en ncessitait 27, et donc qu'il fallut recourir trois lettres additionnelles, en

    l'occurrence le digamma (6), le qoppa (90) et le sampi (900). Les deux premires

    existaient bel et bien dans certains alphabets archaques, et notamment dans celui de

    l'Ionie (Asie Mineure actuelle), rgion o l'on situe l'origine de la numrationalphabtique (que l'on appelle aussi parfois "ionienne" ou "milsienne"). Elles taient

    donc certainement employes au moment de la cration du systme. C'est d'ailleurs la

    raison pour laquelle elles ne se trouvent pas aprs les autres lettres mais qu'elles occupent

    leur place "normale" dans la squence alphabtique que les Grecs ont hrite des

    Phniciens. Il en va autrement pour le sampi. Cette lettre se trouvait aussi dans l'alphabet

    phnicien, mais, dans un premier temps, elle n'avait pas t reprise par les alphabets grecs

    car elle faisait double emploi avec le sigma. Elle a donc t emprunte dans un second

    temps, peut-tre spcialement pour les besoins de la numration. Une des preuves qu'il

    s'agit d'un vritable ajout, c'est que le sampia t plac en fin de liste.

    Les 27 lettres ainsi obtenues, ainsi que leurs associations, permettaient d'aller jusqu' 999.

    Pour noter des nombres plus levs, on ne rechercha pas d'autres lettres additionnelles,

    qu'il aurait d'ailleurs t bien difficile de trouver. La solution adopte est plus simple.

    Pour les milliers, les lettres correspondant aux units sont nouveau utilises, mais elles

    sont accompagnes d'un signe distinctif, en gnral une sorte d'apostrophe qui prcde le

    chiffre (tableau 6). Le systme change en revanche radicalement avec les dizaines de

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    mille, pour lesquelles on a recours une lettre emprunte la numration acrophonique,

    savoir M (pour Murioi). Cette dernire est surmonte d'une petite lettre ( valeur

    numrique) indiquant combien de myriadesl'on a affaire. Ainsi, Msurmont d'un petit

    alphasignifie 10'000, etc. (tableau 6). De la sorte, on vitait la confusion avec M= 40 (un

    autre moyen de distinction tait d'crire MU pour 10'000). A noter que ce principe

    multiplicatif venant se greffer sur une numration additive n'est pas sans rappeler les

    chiffres quinaires de la numration acrophonique.

    Milliers Dizaines de mille

    1 000 A 10 000(ouMU)

    2 000 B 20 000

    3 000 G 30 000

    4 000 D 40 000

    5 000 E 50 000

    6 000 60 000

    7 000 Z 70 000

    8 000 H 80 000

    9 000 Q 90 000Tableau 6: numration acrophonique, suite

    Thoriquement, ce systme permettait d'aller jusqu' neuf millions (900 x 10'000). Mais

    les nombres si levs n'taient gure employs dans les inscriptions, et lorsqu'ils y

    apparaissaient tout de mme, ils taient plus volontiers crits en toutes lettres. Dans un

    premier temps, le systme n'tait d'ailleurs pas conu pour reprsenter des nombres trs

    importants. Ces derniers se trouvent en revanche dans des traits de mathmatique ou

    d'astronomie tardifs.Comme dans la numration acrophonique, les chiffres taient placs dans l'ordre

    dcroissant, de gauche droite: pour 1974, on crivait donc AOD. Soit dit en passant, il

    suffit de comparer cette notation avec celle de la figure 1 (supra, p.3) pour s'apercevoir

    que le systme alphabtique est beaucoup plus concis, plus conomique que

    l'acrophonique. Le sens gauche-droite tait en gnral respect, surtout pour les nombres

    suprieurs 1'000, donc composs de quatre chiffres; pour des nombres plus petits, il

    existe des exemples o les chiffres sont disposs dans l'ordre inverse (de droite gauche)ou mme sans ordre du tout. Dans l'ensemble cependant, la numration alphabtique

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    prsente trs peu de variations, nettement moins en tous cas que la numration

    acrophonique.

    Par rapport cette dernire, en revanche, elle se prtait des usages plus varis. Elle ne

    servait pas uniquement noter des nombres cardinaux, mais s'utilisait aussi pour les

    ordinaux. Elle tait notamment employe pour donner des informations calendaires (jour

    d'un mois, dcompte d'annes). Enfin, c'est elle que l'on trouvera essentiellement dans les

    manuscrits, pour rendre compte de calculs bien videmment, mais aussi pour toute autre

    indication chiffre (et mme pour la numrotation des pages). Si les documents conservs

    tmoignent d'usages relativement diffrents pour les deux numrations, c'est avant tout

    pour des raisons chronologiques. Cela va nous donner l'occasion de considrer brivement

    la question d'un point de vue historique,

    Les numrations grecques au fil du temps

    Maintenant que l'on a vu comment fonctionnaient les deux principaux systmes numraux

    en Grce ancienne, on peut de demander quand ils sont apparus et se sont dvelopps, et

    pour quelles raisons. En ralit, il est malais de rpondre prcisment ces questions, car

    les arguments permettant de le faire sont peu nombreux. Tout d'abord, on ne dispose

    d'aucune source antique nous renseignant directement sur l'histoire des numrations, soit

    que le sujet ait dj pos problme aux savants de l'poque, soit qu'il n'ait pas t jug

    digne d'intrt. On doit donc se baser sur les documents attestant directement de l'emploi

    d'un systme numral. Comme on l'a dj mentionn, ces tmoignages peuvent tre

    frquents pour certaines poques et en certains lieux (par exemple dans l'Athnes

    classique). Mais plus souvent, la documentation reste parse et difficile interprter,

    notamment pour les priodes les plus recules, prcisment celles pour lesquelles on

    cherche mettre en vidence l'apparition des systmes. A ce propos, une mise en garde

    est de rigueur: dans les tudes spcialises comme dans les prsentations vulgarises, on

    trouve des propositions trs diverses concernant le moment o sont apparues les

    numrations grecques. C'est que l'avis des chercheurs a beaucoup volu et peut encore

    varier, au gr des nouvelles dcouvertes. Il convient donc de rester prudent lorsqu'il s'agit

    de datations.

    Un problme similaire se pose propos de l'adoption de l'alphabet par les Grecs, et il est

    bien clair que les deux questions sont troitement lies, puisque les numrations qui nous

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    par la suite.

    Une chose certaine, c'est que les systmes numraux dont il a t question jusqu'ici ne

    remontent pas l'Age du Bronze, pas mme dans leurs principes. Les Minoens, et aprs

    eux les Mycniens, possdaient une numration employe conjointement aux critures

    dites "linaire A" et "linaire B" (Dow 1954, 123-125), mais tout cela disparut avec la fin

    du monde mycnien, au XIIesicle av. J.-C. Soit dit en passant, le systme numral du

    linaire est bien connu, puisque les documents qui en tmoignent, des tablettes en argile

    trouves dans les magasins des palais, relvent essentiellement de pratiques comptables

    (figure 4). Il fonctionne en base 10 et se compose d'un rpertoire rduit de signes (tableau

    7). On peut ajouter qu'il a servi crire les nombres de deux langues diffrentes, celle du

    linaire A, qui nous reste pour l'instant inconnue, et celle du linaire B, qui correspond

    un dialecte grec.

    Figure 4: tablette en linaire B avec chiffres

    1 10 100 1 000 10 0000Tableau 7: chiffres des linaires A et B

    La chute des palais mycniens, la cessation de leurs activits conomiques et la

    disparition de l'criture servant la comptabilit marquent donc une coupure nette. Il

    s'ensuit une priode plus ou moins obscure, pour laquelle on ne dispose pas de

    tmoignages crits. Entre le IXe et le VIII

    e sicle av. J.-C. (nous ne suivrons pas ici les

    savants qui proposent une datation plus haute), les Grecs vont emprunter aux Phniciens

    leur alphabet, et l'usage de ce dernier va se rpandre peu peu en Grce. Il est lgitime de

    se demander si l'une ou l'autre des numrations constitues de lettres remonte l'adoption

    de l'alphabet, mais rien, pour l'instant, ne permet d'argumenter dans ce sens. Les

    documents dont on dispose pour cette priode se rsument des inscriptions sur

    cramique, en gnral trs courtes ou trs fragmentaires, et il serait tmraire d'attribuer

    des lettres isoles un systme numral; et si l'criture a t pratique l'origine sur des

    supports prissables (papyrus, cuir, bois), il n'en reste videmment aucune trace.

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    On pourrait cependant s'tonner que les Grecs n'aient pas adopt la numration des

    Phniciens en mme temps qu'ils adaptaient l'alphabet leur langue. Car, en dfinitive, la

    transmission de l'criture s'est effectue dans le cadre des relations commerciales

    qu'entretenaient les deux peuples. Or l'emploi de notations chiffres est en principe

    courant dans ce contexte, et une "uniformisation" de la numration aurait mme t

    possible. Il est vrai que le systme phnicien tait particulier puisqu'il reposait sur deux

    bases, celle de 10 et celle de 20 (tableau 8). Mais les Grecs, en ne conservant que les

    signes pour 10 et pour 100, auraient pu disposer d'une numrations qui les satisft tout en

    restant comprhensible pour les Phniciens. S'il n'y a pas eu d'influence dans ce domaine

    (ce qui reste d'ailleurs prouver), c'est peut-tre que les Grecs disposaient dj de

    pratiques bien tablies.

    Signe Valeur Emploi(sens de l'criture: de droite gauche)

    1signes nots par groupes de trois pour constituer les units:

    = 7

    10

    20

    signes de 10 et 20 associs pour constituer les dizaines:

    = 70 (20 + 20 + 20 + 10)

    100 signe prcd des units pour indiquer les centaines:= 200 (2 x 100)

    N.B.: il existe plusieurs signes pour chaque valeur, mais un seul d'entre eux est montr ici.

    Tableau 8: numration phnicienne (d'aprs A. van den Branden, Grammairephnicienne, Beyrouth, 1969).

    Encore une fois, il y a peu d'arguments qui permettraient d'tablir l'existence d'une ou de

    plusieurs numrations antrieures l'adoption de l'alphabet. Est-il toutefois irraliste

    d'envisager cette ventualit? Une socit analphabte peut trs bien se servir d'un

    systme numral simple. Dans le cas qui nous occupe, des changes commerciaux

    impliquant les rgions du monde grec entre elles ou avec l'extrieur sont attests, qui

    auraient pu ncessiter l'usage de notations chiffres. Un certain nombre de signes non

    alphabtiques, que l'on trouve inciss sur des vases, seraient interprtables dans ce sens,

    mais il ne s'agit pour l'instant que d'hypothses. Contentons-nous d'voquer ici un cas qui

    a dj t relev par certains chercheurs: plusieurs documents indiquent l'usage d'une

    croix de St-Andr ("X") pour noter 10. On trouve ce signe dans des inscriptions d'poque

    classique Olynthe en Chalcidique (Tod 1936/37, 248-249; Graham 1969), mais aussi

    dans des graffitis sur cramique plus anciens (Johnston 1979, 31; Johnston 2006, 17-18).

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    Comme il ne s'agit pas d'une lettre, on dispose l du tmoignage d'une numration sans

    lien avec l'alphabet, et donc potentiellement antrieure ce dernier. L'emploi d'un tel

    systme est attest en Italie. Bien entendu, on pense immdiatement la manire dont les

    Romains crivent le 10. Mais l'origine du systme numral romain est chercher chez les

    Etrusques (tableau 9; voir Ifrah 1981, 139-159; Keyser 1988; Agostiniani 1994, 53-62).

    Quant ces derniers, ils se sont peut-tre inspirs d'un systme grec, en mme temps

    qu'ils adoptaient l'alphabet grec pour transcrire leur langage, et ce une date relativement

    haute (VIIIe-dbut du VII

    e av. J.-C.). Nous voici donc de retour en Grce, avec la

    prsomption de l'existence d'une numration suffisamment courante pour tre transmise

    un peuple tranger.

    Valeur 1 5 10 50 100trusque

    romain (ancien ?)Tableau 9: numrations romaine et trusque

    Laissons de ct cette question, qui doit faire l'objet de recherches plus pousses, et

    revenons aux systmes acrophonique et alphabtique. On a vu plus haut qu'on ne pouvait

    pas en trouver la trace ds les premiers temps de l'apparition de l'alphabet. En fait,

    pendant longtemps, les chercheurs se sont fonds sur les inscriptions lapidaires pour

    retracer leur histoire. Chronologiquement, on ne pouvait donc gure remonter plus haut

    que la seconde moiti du VIe sicle av. J.-C., tandis que les priodes classique et

    hellnistique focalisaient l'attention. Et comme Tod, qui constituait une rfrence en la

    matire, s'tait en premier lieu intress aux inscriptions attiques, on risquait de percevoir

    le phnomne d'un point de vue "athnocentrique". De la sorte, on pouvait notamment

    avoir l'impression que la numration acrophonique apparaissait au VIe et qu'elle tait

    suivie, au Ve

    , par l'alphabtique, cette dernire ne prenant rellement son essor qu' lapriode hellnistique (ds la fin du IV

    e). D'autres documents, principalement des marques

    commerciales sur vases, modifient cette vision des choses (Lang 1956, Johnston 1979,

    2004 et 2006).

    La numration alphabtique, dont la premire attestation connue actuellement remonte

    environ 575 av. J.-C., semble largement utilise entre la seconde moiti du VIe et la

    premire moiti du Ve(Chrisomalis 2003, 487, 492-493). L'intense activit marchande des

    cits ioniennes, o le systme a vu le jour, explique ce phnomne. On connait par

    ailleurs un remarquable emploi de cette numration dans le "tunnel d'Eupalinos", sur l'le

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    de Samos. A l'intrieur de cet aqueduc, dont la construction est situer vers 550 et qui

    reprsente une prouesse de l'ingnierie grecque, les distances sont notes par des

    lettres/chiffres (Kienast 1995, 148-157).

    Rcemment, S. Chrisomalis (2003) a suggr que le systme alphabtique ne soit pas

    apparu de manire spontane, mais qu'il faille rechercher son origine dans la numration

    gyptienne dite "dmotique". Cette dernire, en effet, possde des signes distincts pour

    chaque unit, chaque dizaine et chaque centaine. L'hypothse est tout fait plausible,

    d'autant que le commerce entre l'Ionie et l'Egypte est bien tabli ds le VIIesicle av. J.-C.

    L'Egypte semble galement tre la source du "renouveau" du systme numral

    alphabtique. Ce dernier, en effet, reste peu attest entre la seconde moiti du Veet la fin

    du IVe, sans doute parce que les Ioniens ne sont plus aussi prsents qu'avant sur les voies

    marchandes de la Mditerrane, et aussi parce que la numration acrophonique prend de

    l'importance en Grce, sous l'influence d'Athnes. Le systme alphabtique ne reviendra

    en force qu' la priode hellnistique ( partir de la fin du IVe), et, pour commencer, il

    semble tre particulirement employ dans le royaume ptolmaque, savoir en Egypte.

    De l, son usage va se rpandre nouveau dans le monde grec, o il restera le systme en

    vigueur durant les priodes romaine et byzantine et jusqu' l'adoption des chiffres arabes.

    Son principe sera galement adopt pour la numration hbraque (Millard 1995).

    Des inscriptions sur vases permettent aussi de faire remonter l'emploi de la numration

    acrophonique au VIesicle av. J.-C. en tous cas (Johnston 1979, 27-30), mais il est clair

    que c'est pour l'poque classique (Ve-IV

    e) que l'on dispose du plus grand nombre

    d'attestations. Comme on l'a dj mentionn, l'importance d'Athnes cette priode

    contribue au succs du systme dans le reste du monde grec. Les Athniens continueront

    d'ailleurs de l'utiliser pendant longtemps, en tous cas dans leurs inscriptions publiques,

    mme aprs que la numration alphabtique aura repris le dessus. Faut-il y voir une

    manire de perptuer une tradition, de se distinguer?

    En guise de conclusion

    Comme on a pu s'en apercevoir dans les pages qui prcdent, la Grce nous donne

    l'exemple d'une tonnante diversit dans le domaine des numrations. Cette diversit

    dcoule certes d'un morcellement gopolitique, mais elle tmoigne aussi du caractre

    individualiste des Grecs, et elle pourrait mme en constituer un des signes les plus nets

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    (Dow 1952, 23). Que l'on conoive de se distinguer des autres par l'criture des chiffres

    indique bien l'importance accorde ces derniers.

    A l'oppos, on peut considrer les traits que les numrations ont en commun, les

    influences qu'elles ont subies ou exerces. Cela nous ouvre d'tonnantes perspectives:

    nouveau, les chiffres reprsentent un lment significatif, tmoignant du formidable

    brassage d'ides et de techniques qui a anim le bassin oriental de la Mditerrane au

    cours du premier millnaire avant notre re.

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