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Socie ´te ´ et handicaps. Quels devoirs ? § Society and disabilities, needs and duties C. Hamonet Laboratoire d’e ´thique, universite ´ Paris-5, 45, rue des Saints-Pe `res, 75006 Paris, France Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com L es le ´sions du syste ` me nerveux atteignent les fonctions de l’homme, indispensables a ` son autonomie, c’est-a `- dire a ` la possibilite ´ d’e ˆtre libre, qu’elles soient motrices (marche, pre ´hension), cognitives, sensorielles ge ´nitosexuel- les ou ve ´sicosphincte ´riennes. Elles compromettent donc grandement les possibilite ´s, pour une personne, de trouver sa place dans le dispositif social avec ses exigences physi- ques, psychologiques et surtout culturelles. Il convient donc de se pencher sur cette question de la relation de l’individu avec les difficulte ´s fonctionnelles du fait d’une maladie neurologique stabilise ´e ou e ´volutive. Le point crucial est celui de la de ´finition de la notion de handicap qui fait encore l’objet de controverses et que l’on peut re ´sumer a ` deux conceptions. Le point de vue me ´dical assimile le handicap a ` l’e ´tat de faiblesse de la personne (ce que les me ´decins appellent, a ` tort, « de ´ficience » au lieu de le ´sion ou atteinte d’un organe). Le handicap est pluridimensionnel et ne peut e ˆtre compris que si l’on tient compte simultane ´ment de l’ensemble de ses dimensions corporelles : le corps transforme ´ par la le ´sion neurologique, les fonctions humaines d’autonomie limite ´es, les situations rencontre ´es dans la vie au quotidien ou dans les activite ´s sociales. Le handicap sous le poids de l’infirmite ´ Infirmus vient du latin « firmus », ferme ; «in-firmus » : non ferme, non solide, faible, fragile. D’ou ` : « infirme » et « infirmie `re ». Cette de ´nomination est associe ´e a ` des repre ´sentations de ´gradantes de pauvrete ´ (mendiants) et de malhonne ˆtete ´ (voleur). Il y a une amalgame entre l’anomalie du corps et une pre ´tendue « de ´gradation de l’a ˆme » (fig. 1). Summary Neurological diseases, because of their frequency, severity and progression are among the leading causes of exclusion from social life. When faced with a disability and the apparent monstrosity of the ‘‘deformed’’ person, the society often has a violent reaction of purification, related to satanism in the Middle Ages and racism in modern times. Elsewhere, charity was an alternative solution, because the disabled person was considered incapable of self- reliant life. The new and positive notions of disability offer an opportunity to replace a person’s handicap and exclusion by a process of readaptation and rehabilitation. ß 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Society, Disability, Neurological diseases, Exclusion Re ´sume ´ Parmi les maladies qui excluent les personnes de la vie sociale, les maladies neurologiques occupent une place importante, du fait de leur fre ´quence, de leur se ´ve ´rite ´ et de leur e ´volutivite ´. Face a ` l’infirmite ´ et a ` l’apparente monstruosite ´ de ceux qui en sont atteints, la socie ´te ´ a re ´agit de fac ¸on souvent violente, par une ve ´ritable e ´puration sous pre ´texte de diabolisation au Moyen A ˆ ge ou de racisme avec les nazis. Ailleurs, la charite ´ a constitue ´ une solution alternative, du fait du pre ´juge ´ d’impossibilite ´ de survivre a ` ses besoins. Les notions nouvelles et positives de handicap avec la notion de situation de handicap permettent de renverser les atti- tudes d’exclusion pour les remplacer par des actions de re ´adapta- tion. ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. Mots cle ´s : Socie ´te ´, Handicap, Maladies neurologiques, Exclusion § Ce texte a fait l’objet d’une communication au colloque « E ´ thique et neurologie » organise ´ par l’Association des neurologues d’I ˆ le-de- France le 12 janvier 2008 a ` la cite ´ universitaire de Paris. e-mail : [email protected] Disponible en ligne 3 juin 2008 Handicap et socie ´te ´ 28 0242-648X/$ - see front matter ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. 10.1016/j.jmr.2008.03.019 Journal de re ´adaptation me ´dicale 2008;28:28-30

Société et handicaps. Quels devoirs ?

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Societe et handicaps. Quels devoirs ?§

Society and disabilities, needs and duties

C. Hamonet

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Disponible en ligne sur

Disponible en ligne3 juin 2008

Laboratoire d’ethique, universite Paris-5, 45, rue des Saints-Peres, 75006 Paris, Francewww.sciencedirect.com

SummaryNeurological diseases, because of their frequency, severity and

progression are among the leading causes of exclusion from social

life. When faced with a disability and the apparent monstrosity of

the ‘‘deformed’’ person, the society often has a violent reaction of

purification, related to satanism in the Middle Ages and racism in

modern times. Elsewhere, charity was an alternative solution,

because the disabled person was considered incapable of self-

reliant life. The new and positive notions of disability offer an

opportunity to replace a person’s handicap and exclusion by a

process of readaptation and rehabilitation.

� 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Society, Disability, Neurological diseases, Exclusion

ResumeParmi les maladies qui excluent les personnes de la vie sociale, les

maladies neurologiques occupent une place importante, du fait de

leur frequence, de leur severite et de leur evolutivite. Face a

l’infirmite et a l’apparente monstruosite de ceux qui en sont atteints,

la societe a reagit de facon souvent violente, par une veritable

epuration sous pretexte de diabolisation au Moyen Age ou de

racisme avec les nazis. Ailleurs, la charite a constitue une solution

alternative, du fait du prejuge d’impossibilite de survivre a ses

besoins. Les notions nouvelles et positives de handicap avec la

notion de situation de handicap permettent de renverser les atti-

tudes d’exclusion pour les remplacer par des actions de readapta-

tion.

� 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

Mots cles : Societe, Handicap, Maladies neurologiques, Exclusion

L es lesions du systeme nerveux atteignent les fonctionsde l’homme, indispensables a son autonomie, c’est-a-dire a la possibilite d’etre libre, qu’elles soient motrices

(marche, prehension), cognitives, sensorielles genitosexuel-les ou vesicosphincteriennes. Elles compromettent doncgrandement les possibilites, pour une personne, de trouversa place dans le dispositif social avec ses exigences physi-ques, psychologiques et surtout culturelles. Il convient doncde se pencher sur cette question de la relation de l’individuavec les difficultes fonctionnelles du fait d’une maladieneurologique stabilisee ou evolutive.Le point crucial est celui de la definition de la notion dehandicap qui fait encore l’objet de controverses et que l’onpeut resumer a deux conceptions. Le point de vue medicalassimile le handicap a l’etat de faiblesse de la personne (ce

§ Ce texte a fait l’objet d’une communication au colloque « Ethiqueet neurologie » organise par l’Association des neurologues d’Ile-de-France le 12 janvier 2008 a la cite universitaire de Paris.e-mail : [email protected]

280242-648X/$ - see front matter � 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.10.1016/j.jmr.2008.03.019 Journal de readaptation medicale 2008;28:28-30

que les medecins appellent, a tort, « deficience » au lieu delesion ou atteinte d’un organe).Le handicap est pluridimensionnel et ne peut etre comprisque si l’on tient compte simultanement de l’ensemble de sesdimensions corporelles : le corps transforme par la lesionneurologique, les fonctions humaines d’autonomie limitees,les situations rencontrees dans la vie au quotidien ou dansles activites sociales.

Le handicap sous le poids de l’infirmite

Infirmus vient du latin « firmus », ferme ; «in-firmus » : nonferme, non solide, faible, fragile.D’ou : « infirme » et « infirmiere ».Cette denomination est associee a des representationsdegradantes de pauvrete (mendiants) et de malhonnetete(voleur).Il y a une amalgame entre l’anomalie du corps et unepretendue « degradation de l’ame » (fig. 1).

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Societe et handicaps. Quels devoirs ?

Figure 1. P. Bruegel. Les mendiants, 1568, Musee du Louvre, 21 � 18 cm.

Le poids negatif des mots « infirmite », « invalidite »,« inadaptation » est un element essentiel de la stigmatisa-tion et donc du rejet des personnes en situation de handicap.Il y a resurgence (ou perennisation) de la notion d’infirmite atravers celle, plus recente (OMS, 1980), de deficience assi-milee au danger.

Figure 2. Des malades atteintes de choree de Huntington ont certainement etedesordonnees (extrait de la revue de l’association Huntington France).

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« Abandonner l’idee preconcue de la deficience comme seulecaracteristique de la personne [. . .] pour en venir a la neces-site d’eliminer les barrieres, de reviser les normes sociales,politiques et culturelles, ainsi qu’a la promotion d’un envi-ronnement accessible et accueillant » (Declaration euro-peenne de Madrid, mai 2002).

´ accusees de sorcellerie parce qu’elles effrayaient par leurs gestes

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C. Hamonet Journal de readaptation medicale 2008;28:28-30

« C’est donc le cadre de vie, de proximite et le cadre social quiconditionne la presence ou non des situations de handicap ».D’emblee, il est porteur, avec son corollaire readaptatif,d’une esperance et d’une volonte : celle d’eviter l’exclusionpar la stigmatisation et de changer le sort de ceux que l’ondesignait alors comme infirmes, invalides, incapables etinadaptes

Definition

« Constitue une situation de handicap le fait, pour unepersonne, de se trouver, de facon durable ou transitoire,limitee dans ses activites personnelles ou restreinte dans saparticipation a la vie sociale, qui resulte de la confrontationinteractive entre, d’une part, ses fonctions physiques, sen-sorielles, mentales et psychiques en cas d’alteration de l’une

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ou plusieurs d’entre elles et, d’autre part, les contraintes deson cadre de vie ».Les reactions de la societe ont ete le rejet, parfois brutal,jusqu’a la mort, sous les pretextes d’impurete (Mary Dou-glas) ou de charite avec exclusion organisee (pour leslepreux, puis les cagots) (fig. 2).L’inclusion passe par les notions de normalite pour tous. Lespersonnes handicapees ne doivent plus etre opposees aux« valides ». Elles sont normales.Cela se resume en un mot : readaptation.Les manifestations actuelles du rejet se situent essentielle-ment au niveau du travail (30 a 40 % de chomeurs dans lapopulation des personnes handicapees).Le role du medecin est de se preoccuper precocement desdifficultes potentielles de maintien de l’adaptation sociale etde faire le lien positivement (avec le moins d’interdits possi-bles) avec le cadre de vie.