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EHESS Sociologie de la connaissance et sociologie des religions Sociologia e Religione Review by: Jean Séguy Archives de sociologie des religions, 15e Année, No. 30 (Jul. - Dec., 1970), pp. 91-107 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30115437 . Accessed: 14/06/2014 08:52 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sociologie des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.21 on Sat, 14 Jun 2014 08:52:05 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Sociologie de la connaissance et sociologie des religions

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Sociologie de la connaissance et sociologie des religionsSociologia e ReligioneReview by: Jean SéguyArchives de sociologie des religions, 15e Année, No. 30 (Jul. - Dec., 1970), pp. 91-107Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30115437 .

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Arch. Sociol. des Rel., 30, 1970, 91-107. Jean GuY

SOCIOLOGIE DE LA CONNAISSANCE ET SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

Apropos de Sociologia e Religione, Brescia, Morcelliana, 1969, 165 p. (no 6, 1969, de la Rivista internazionale di Dialogo, trad. de l'allemand Internationale Dialog Zeitschrift, II, 1969, 2).

C E num6ro de la Rivista Internazionale di Dialogo, publide sous la direction des R.P. Karl Rahner et Herbert Vorgrimler et spdcialement destinbe

au dialogue chrdtien-marxiste sous auspices catholiques, ne manquera pas d'in- tiresser les sociologues.

Pour des raisons rddactionnelles diverses, quatre des onze articles de cette livraison n'intdressent pas le sujet annonc6 par le titre. Nous les laisserons de c6td. Par contre nous aurons f commenter, plus ou moins longuement selon les cas, les sept autres, dont cinq prennent pour thbme la sociologie de la connaissance dans ses rapports avec l'auto-affirmation religieuse - chritienne, en l'occur- rence. Deux de ces sept contributions, celles de M. Tomka (<< Comment la jeunesse hongroise comprend Dieu et la religion >) et de J. Bielcik (< Le rapport de l'Eglise 6vang6lique slovaque avec le socialisme >), sont ici pr6senties par N. Greinacher, dans son introduction au recueil, comme cohdrentes avec celles traitant de socio- logie de la connaissance. Nous sommes, aprbs lecture, port6 i les considbrer, l'une comme enquite d'opinion (Tomka), l'autre comme rdflexion philosophique d'un point de vue marxiste (Bielcik). Cette divergence classificatoire rev~t valeur de contestation hermineutique, et nous amine i exprimer un doute sur le statut erkenntnissoziologisch des articles ici offerts par Greinacher lui-meme (< Sociologie de la connaissance et religion >, Introduction a la livraison, et << La conception du < monde > dans la thdologie catholique du point de vue de la sociologie de la connaissance e), et par W. Bergmann (< Apropos de l'analyse des phdnomines ecclhsiastiques par les mithodes de la sociologie de la connaissance >). Nous dirons plus bas les raisons de notre hesitation. Mais si on l'admet, il ne reste plus que deux contributions rbellement situdes dans le domaine de la sociologie de la con- naissance, a savoir celles des deux seuls sociologues professionnels appelhs ici en consultation, tous deux, d'ailleurs enseignants dans des institutions non confessionnelles, bien que l'un et l'autre protestants pratiquants: J. Matthes (<< La doctrine sociale des Eglises comme syst~me de connaissances a) et P.L. Berger (<< Contribution i la sociologie des minoritis connaissantes >). Qu'on nous excuse cette remarque pbdante: la simple mise en perspective des collaborateurs

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

par la variante professionnelle met en relief une diff~renciation significative dans l'ordre de la connaissance speculative. Cela ne saurait i vrai dire nous 6tonner, mais nous place ddjh sur le chemin d'une interpretation de la tentative ici faite, pour la premiere fois sans doute sous des auspices confessionnelles et At l'usage d'un large public, de confronter la sociologie de la connaissance et les croyances reli- gieuses. De quo amplius in/ra.

Dans son introduction au recueil (p. 5-13), Greinacher, Privatdozent de theolo- gie pastorale catholique i l'Universit6 de Miinster, d6finit l'objet propre de la sociologie des religions, en citant Troeltsch (Aufsditze zur Geistesgeschichte und Religionssoziologie, Tiibingen, Mohr, 1925, p. 24), comme l'4tude des influences r~ciproques du social et du religieux. Ceci dit, la sociologie de la connaissance repr6sente, pour Greinacher, un secteur particulier de la sociologie g6n6rale, qui ( recherche les rapports existant entre les representations de la r~alit6 d'une part, et les structures et processus sociaux d'autre part > (p. 6). Mais le temps est, selon lui, d(pass6 oii il s'agissait de savoir si les infrastructures d~terminent les superstructures, de la validit6, en d'autres termes, des contenus de conscience. e La thise fondamentale de la sociologie de la connaissance est que les id6es, tant dans leur origine que dans leur d~veloppement, sont influenc6es par les formes de la vie sociale, et se modifient selon les changement sociaux, tandis que, i leur tour, les idles exercent une influence sur le changement social > (p. 7). Il s'agit done d'<~ interaction ) et d'e interd~pendance e. Tout le problkme serait pricis6ment, selon nous, de priciser, de delimiter, de caract~riser ce ph6nombne au double nom. Car selon que l'on insiste sur inter- ou sur -ddpendance et -action, I'on se trouve en face d'options diverses, dont certaines, marxistes-matirialistes ou non, peuvent reposer l'interrogation refus6e plus haut sur les contenus de conscience. Dans une revue de dialogue chr6tien-marxiste, on aurait pu penser a cela. A moins que, de toute fagon et quoi qu'en ait Greinacher, altbrit6 ne soit pas dialectique, et que les ph~nomines religieux ne puissent paraitre sous la lunette du sociologue que comme ph6nomines socio-religieux, c'est-A-dire dans une perspective qui n'oppose pas les ph~nombnes sociaux t un < religieux > peut- $tre ph6nominologique. Autrement dit il n'y aurait m~me pas - selon nous - t s'interroger sur une inter-action ou une inter-d~pendance 6ventuelles, mais sur l'apprdhension sociologique en tant que telle, sur ses visbes, ses outils, ses m6thodes, et, ensuite, sur les consequences de cette approche quant t la v~rit6 comme valeur, si toutefois cette dernibre question demeure, aujourd'hui, t l'ordre de la sociologie de la connaissance, ce que nous ne croyons pas (1).

SEn effet, lorsqu'on parle de valeur, on p6ndtre dans le domaine de l'action, soumise it des normes recherch~es, poursuivies, souhaities ou acceptbes par un choix qu'il n'appartient pas t la science de faire. Mais il existe une autre v~rit6, d'ordre scientifique celle-lit, qui reside dans la coh6rence logique des d6marches mises en oeuvre par une sp~cialit6 donnae. Cette v(rit6 n'a pas n~cessairement i voir avec l'action ou le choix personnel. Le sociologue n'en recherche pas d'autre dans son mttier. Ce qui, bien entendu, ne l'empache pas d'6tudier les valeurs comme ph6nombnes sociaux soumis au changement et de thboriser t leur propos dans sa perspective propre, qui n'est pas normative pour l'action.

(1) Ou, plus exactement, ce que les sociologues de la connaissance ne croient plus; cf. W. STARK, The Sociology of Knowledge. An Essay in Aid of a deeper Understanding of the History of Ideas, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1958. Cet auteur parle des a conditionnements sociaux de la v~rit6 * comme champ propre de la specialit6. Inutile de dire que c'est 1A une extr&- mit6 B laquelle nul n'est tenu. En d6tournerait, d'ailleurs, la lecture d'un autre ouvrage du m~me auteur, chez le m~me &diteur et sous le m~me mill~sime: Social Theory and Christian Thought. A Study of some Points of Contact, Collected Essays on a Common Theme.

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SOCIOLOGIE DE LA CONNAISSANCE

Ces distinctions classiques eussent aid6 Greinacher, qui ne saurait les ignorer, i ne pas se poser - en th~ologien ou en pasteur - un faux problime de soi-disant sociologie de la connaissance, dans son article sur < La conception du monde dans la thdologie catholique ~ (pp. 35-56). Les concepts et les relations Eglise- monde se sont en effet transform~s au cours de l'histoire. Le rapide dossier ici fourni montre bien ce fait et son rapport avec les mutations sociales. On s'atten- drait, d~s lors, it une thborisation sociologique minimale sur le lien entre change- ment et valeurs. Rien de tout cela ne nous est offert. S'agissant de l'dpoque r~cente, on a simplement droit a une < explication a par la < s~cularisation >, sans aucune critique du concept. Cet emploi fid6iste d'un mot t la mode ne rdsout rien, bien entendu. Il donnerait presque raison & David Martin, lorsqu'il voit dans le recours at ce terme, une fagon de simplifier la complexit6 des faits dans l'intir~t d'une id~ologie (2). La conclusion de Greinacher semble bien, en effet, id~ologico- praxique, lorsqu'il nous confie, en definitive, qu'il faut sauver les chr~tiens d'un pessimisme pr6visible devant les affirmations scientifiques non r~futables de sa propre recherche. Aussi bien, s'agissant des interpretations actuelles - celles, en particulier, de Karl Rahner et de son disciple Jean-Baptiste Metz -, de la nature et des rapports de l'Eglise et du monde, qualifites de < volte-face > eu &gard A toute la tradition pric6dente, et ce, m~me dans sa diversit6, l'auteur s'exprime ainsi: < Ceci ne signifie pas que les conceptions thdologiques plus haut exposbes [de Rahner et de Metz] n'auraient pas un fondement dans le message nao-testa- mentaire, mais que le kairos propre B ces r~flexions ne fait qu'arriver maintenant n (p. 54). ( L'histoire humaine, y compris celle de l'Eglise, est un processus d'appro- ximation qui n'atteindra son but que dans le monde & venir. Mais nous savons par la foi que dans ce processus m~me, dans ce ph~nomi~ne de d6veloppement, tant de l'humanit6 que de l'Eglise en particulier, l'Esprit du Christ ophre > (p. 56).

Comment est-on passe ainsi de l'analyse sociologique de croyances A I'affirmation qu'une croyance particulibre m~rite crdance dans une probl~matique confessionnelle precise ? Nous pourrions croire le mystbre entier, s'il n'6tait r~v&- lateur. On prend ici la sociologie de la connaissance pour une forme de discours philosophique sur la soci6t6 ?t mettre - 6ventuellement - au service d'une pasto- rale par la m~diation d'une r~flexion th~ologique, dont - paradoxe - on recon- nait le caractbre f humainement b d6termin6. En toute libert6 d'esprit, comme en toute sinc6rit6. Pourquoi en douterions-nous, devant cette publication 6clatante de bonne foi ? Mais, bonne foi ou non, I'auteur a, sans mbme s'en apercevoir lui- m~me, trait& de la validit6 des contenus de conscience, aprbs nous avoir assure que c'4tait l& question de vieilles lunes, et il l'a fait, fine finali, d'un point de vue matirialiste, reni6 d'autant plus vite qu'il est plus subreptice: la superstructure nait de l'infrastructure, et puisque nous n'y pouvons rien, admettons done que Dieu nous parle de cette fa~on. Cette dernibre affirmation n'a plus rien de matiria- liste, certes, mais n'emp~che pas la prc6dente de l'4tre. De toute fagon, elle em- pache la recherche s6rieusement sociologique de se poursuivre, qui aurait montr6 les continuites qui se font jour au travers des discontinuit~s d~busquies, et la coh6rence de ce processus dialectique avec le fonctionnement reel de structures de type-Eglise. De cela on n'aurait peut-$tre rien tire quant it une thdologie, mais on aurait pu pr6tendre avoir mis en acte des m~thodes et des problhmatiques sociologiques, ce qui semblait ~tre le but - avou~ sinon latent - de l'entreprise.

En fait, c'est-8-dire selon nous, Greinacher n'a pas trait6 ici des conceptions du

( monde a dans la thdologie catholique de fa~on erkenntnissoziologisch. II a

(2) D. MARTIN, The Religious and the Secular, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1969, p. 6.

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tent&, de fagon r~duite mais rbelle, une mise en perspective sociologique de son sujet, mais a 6vit6 le problime de sociologie de la connaissance pose par son dossier, au profit d'un discours de theologie pastorale. Cela ne saurait nous sur- prendre. La fameuse inter-action ou inter-d~pendance entre soci~th et religion, dont il a 6td question plus haut, interdit en effet tout discours dialectique. Elle r~duit A 1' < ou bien... ou bien >, au < premiirement, oui..., deuxiimement, mais... 1. Seule une decision 6trangire peut mettre fin au chass&-crois6. Ici ce r61e est 6chu & la theologie. Qui pourrait s'en ~tonner, puisque, dis le d~part, la question est - en fait - de savoir comment une virit6 d'ordre thdologique pourra stre main- tenue comme valeur malgr~ l'analyse sociologique, pourtant utile. Max Weber, il est vrai, se voit appelh B timoigner. Comparution pour le moins inattendue, qu'avocats et magistrats ne piseront pas i la m~me balance. Qu'on en juge : < ... A. von Schelting et surtout Max Weber rappellent i bon droit l'attention sur le fait que le conditionnement social du savoir ne doit pas repr6senter un obstacle insurmontable i la d6couverte de la v~rit6. En effet les forces sociales d~terminent le sens des int~r~ts de la science; c'est-i-dire que les forces sociales influencent ce qui est 6tudi6, et non la fagon dont on l'6tudie (ibid., p. 10). Peut-$tre, encore Max Weber ne fait-il pas allusion, dans les passages de son oeuvre ici implicitement invoqu~s (3), A une v~rit6 d'ordre m6taphysique, mais au caractire probable, pourvu qu'il soit coherent, du rdsultat de recherches scientifiquement conduites. Quant i la v~rit6 ultime - et pour lui, elle n'est pas mdtaphysique - elle appar- tient au domaine des choix de l'action, c'est-i-dire de l'<( anarchie des choix n, selon l'expression si heureuse de Raymond Aron. Le passage de la science A l'action ne s'impose pas, ni encore moins son sens. Et de toute maniire, ces choix et ce passage sont n~cessairement d~terminls. Comme sont socialement d6terminds - selon Max Weber lui-mbme - les outils, les m~thodes, les approches des sciences. C'est dans ce langage, A nous impose par la

soci(t6 ofi nous vivons, que la coherence des d~marches fait ressortir le probable, et non une v~riti m~ta- physique ou thbologique (4). On ne saurait, ni en invoquant Weber, ni en ajoutant i son autoritt celle de Mannheim (ibid., p. 10-11), batir aucun pont entre le discours de la science et celui de la theologie. Le concept de

v(rit6 et celui de

science n'est pas univoque dans ces deux ensembles. Si Greinacher a eu l'impression contraire, c'est qu'il a sans doute lu Weber avec les lunettes de Mannheim. Mais pour ce dernier, la v~rit6 appartient a la fois A l'ordre de la science et i celui de l'action, en ce sens qu'elle ne saurait $tre m~taphysique.

Greinacher entretient, il est vrai, une conception de la v~rit6 relevant d'une thbologie modernise : < Dieu seul est la v~rit6 absolue. La v~rit6 humaine est toujours relative, au sens propre du terme, c'est-8-dire qu'elle a affaire avec les hommes qui la reconnaissent, la considirent, la formulent et la manifestent. (...) Cela vaut, mutatis mutandis, pour la rivblation (...). La rivdlation peut et doit toujours 4tre affirm6e en categories humaines, si elle veut etre simplement comprise. C'est pourquoi la Parole de Dieu est toujours en m~me temps parole humaine. Nous savons, certes, que le contenu de la rivilation divine est vrai;

(3) Cf. en particulier < Objectivit6 de la connaissance scientifique dans les sciences et la politique sociale (1904), dans Essais sur la thdorie de la science, (trad. frangaise par Julien Freund) Paris, Plon, 1965, pp. 119-213.

(4) < La validit6 objective de tout savoir empirique a pour fondement et n'a d'autre fonde- ment que le suivant: la r~alit6 donn~e est

ordonnle selon des categories qui sont subjectives

en ce sens sp6cifique qu'elles constituent la prdsupposition de notre savoir et qu'elles out lides g la pr6supposition de la valeur de la v~rit6 que seul le savoir empirique peut fournir. (...) La croyance en la valeur de la v~ritt scientifique est un produit de certaines civilisations et n'est pas une donn~e de la nature

, (ibid., p. 211). On ne saurait se placer plus loin de toute m6taphysique.

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SOCIOLOGIE DE LA CONNAISSANCE

mais nous ne pouvons jamais dire avec une certitude d6finitive: ceci est Parole de Dieu et cela est parole humaine. Nous ne pouvons jamais que nous en approcher. Et nous pouvons dire : ceci contredit la Parole de Dieu, c'est-&-dire la rivdlation; mais nous devons toujours 6tre conscients que toute formulation d'un dogme, tout discours sur Dieu et sur la ridemption, sur la grace et sur les sacrements n'est jamais qu'approximation (...). Mais nous savons par la foi que dans ce processus d'approximation, dans ce continuel ph6nomine de d6veloppement, tant dans l'humanit6 que, tout particulibrement dans 1'Eglise, l'Esprit du Christ opere )> (p. 55-56).

La moindre familiariti avec la sociologie de la connaissance aurait averti l'auteur que, par opposition B la connaissance scientifique, on appelle le genre d'affirmations prec6dent des formules d6pourvues de contenu empirique (Leer- formeln), et qu'elles ne sont pas recevables. Dire que la Parole de Dieu est aussi parole humaine ne change rien i la situation, ou n'intiresse pas le sociologue, sinon comme objet de son observation et de ses mises en perspective.

Une dernikre remarque s'impose, enfin, au sujet de ces deux contributions de Greinacher. Celui-ci note: << Soit du cbt6 des sociologues, soit, encore plus, de celui des Eglises chritiennes, les notions de sociologie de la connaissance ont 6t6 jusqu'ici bien peu appliqu6es aux ph~nom~nes religieux ou ecclhsiaux> (p. 6). Ceci nous semble i la fois vrai et moins vrai. En tout cas il faudrait s'entendre sur ce que recouvrent les mots. Le problkme concernant la validit6 ultime des affirmations religieuses est, en effet, rarement dvoqu6. Et pour cause, car sociologie n'est pas philosophie, m~me si, i un certain niveau de thdorisation, il devient parfois difficile de savoir si l'on se place encore en sociologie ou d~ji en philosophie. Quoi qu'il en soit, Greinacher et son ami W. Bergmann - dont on parlera plus bas - semblent bien donner leur pr~firence A une philosophie sociale de la connais- sance prenant en compte les affirmations de la sociologie, plut6t qu'it une sociologie de la connaissance i proprement parler. Celle-ci ne saurait, en effet, s'exprimer normativement. Le dialogue chr~tien-marxiste, qui fait ddcouvrir Mannheim, en meme temps qu'Ernst Bloch, aux thfologiens, a peut-&tre sa part de respon- sabilit6 dans cette confusion entre deux sp6cialitis voisines. Peu importe, pour l'instant. On voudrait en tout cas souligner que route sociologie - ffit-elle fone- tionaliste et se refusat-elle i toute riflexion sur elle-meme -, est nfcessairement critique. Qu'elle applique ou non < les notions de sociologie de la connaissance >, comme dit Greinacher, aux ph~nomines 6tudids, elle soulkve toujours, implici- tement au moins, des problkmes de cet ordre. Ceci se rivble vrai dis la plus C1l- mentaire enqubte de pratique mettant en perspective r~ciproque participation au culte et appartenances socio-professionnelles. Cette d6marche - finalement tri~s peu anodine - signifie que l'on admet un rapport causal de quelque sorte entre deux phdnombnes socio-culturels dont l'un pr6tend pourtant, dans son auto- interpr6tation, i une signification et une sanction d'un ordre supraph6nominal, mais qui se trouve, en l'occurrence, consid~r6 comme variable d6pendante. On se trouve en face, ici, d'une v6ritable relativisation, en tout cas devant une critique sociale implicite de la pratique religieuse, ce qui exige - au minimum et de la part des demandeurs de ces enqu~tes - une rbvision des concepts thbologiques habituellement associbs avec l'acceptation ou le refus de la loi eccldsiastique. Le sociologue n'a pas besoin de quitter son domaine pour sugg~rer implicitement ce problkme. II lui suffit de pratiquer sa science. Il constate des faits et les inter- prite dans les perspectives de sa sp6cialit6. C'est i d'autres d'en tirer 4ventuelle- ment, quant i eux et pour eux, des consdquences d'un autre ordre qui int6resse- ront les sciences humaines comme objet d'4tude. Et si, de l'observation de la pratique, le sociologue passe i la sociologie de la connaissance, il n'entre pas, pour autant, dans le domaine de la normativit6. Il constate simplement les conditions

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

sociales du savoir (Wissen) et de l'exp6rience du savoir ou du connaitre (Kennen). Au moins dans une perspective d'inspiration non-normative, wertfreie, comme dit Weber. Qu'on veuille ensuite passer, de 1l, i la philosophie de la connaissance ou de l'exp6rience, ou a un discours th~ologique, c'est une autre affaire. Elle n'a, il faut le savoir, qu'un rapport occasionnel avec la pr6c6dente. On risque de sauter, ce faisant, des formulations scientifiques aux Leerformeln ou aux faux problkmes. De cela, croyons-nous, Greinacher donne l'exemple, lorsqu'il constate, d'une part, une relation entre changement social et conceptions th~ologiques, pour affirmer, ensuite, qu'apris tout l'appr6hension thbologique est relative et conclure que le Saint-Esprit se manifeste dans ce processus m~me de mutation. Si la premibre d6claration appartenait i l'ordre de la constatation sociologique, la deuxibme s'apparente i la philosophie, sans qu'on sache oh se situe le pont qui permet le passage; la troisibme, enfin, nous rambne i la th6ologie, au-deli de toute coh6rence scientifique.

Nous ne soupgonnons pas Greinacher de machiav61isme. Nous constatons un processus qui tient du cercle vicieux. Le problkme pos6eau d6part n'est pas, en effet, sociologique; il appartient i l'ordre de la praxis pastorale et de ses impli- cations thdologiques. C'est pourquoi nous parlons de cercle vicieux. Ii s'agit de poser les dogmes chritiens dans une perspective nouvelle permettant - pour des raisons diverses - un dialogue avec les marxistes dans l'6quation implicite: marxisme = science de l'homme. Laissons de c6t6 ce dernier point, dont le carac- thre douteux n'6chappe pas aux sociologues (5). Ceux-ci remarquent par contre des affirmations de ce genre: ( Je pense que, aussi et surtout, le th6ologien doit s'intdresser au premier chef & une analyse du genre de la sociologie de la connaissance, parce que celle-ci pourrait pr6cis6ment l'aider & mieux distinguer, dans les assertions du magist~re ecclcsiastique ou dans toutes autres declarations similaires, ce qui est conditionni par l'dpoque et ce que ces d6clarations voulaient rbellement dire et comment on doit les comprendre, les interpreter et les enseigner de fagon nouvelle et r6nov6e aujourd'hui n> (ibid., p. 12). De Greinacher, auteur de cette assertion dans la pr6sentation de ce num6ro de Dialogo, W. Bergmann partage les points de vue, quoiqu'avec plus de retenue : < L'analyse, par les m6- thodes de la sociologie de la connaissance, des ph6nombnes eccl6siastiques, celle des structures ecclbsiastiques et des intir6ts qu'elles prothgent, celle aussi des interpr~tations et des systhmes thdologiques, suscit6s pour les 16gitimer, tout cela est exig6 par la conscience critique actuelle, comme d6monstration de la cr6dibilit6 de l'Eglise et de ses institutions )> (p. 114-115). Il s'agit done bien de passer, pour des raisons de pastorale, a une forme nouvelle de th~ologie, par la m6diation inattendue de la sociologie. Op6ration d'ailleurs pleine d'ambiguit6 & l'int6rieur m~me de l'institution porteuse, car Greinacher comme Bergmann sollicitent de fagon permanente la bonne volont6 des th~ologiens plus traditionnels et de la hi6rarchie. Op6ration done fractionnelle - ou sp6ciale, au sens oi la sociologie de la connaissance est une sociologie sp6ciale. II vaudrait la peine d'en faire une socianalyse. Elle d6montrerait, sans doute, ce que l'on sait ddjh, & savoir que les conflits internes des Eglises chritiennes actuelles ne sont pas 6trangers & cet aggiornamento particulier.

On ne saurait d'ailleurs en vouloir aux thbologiens d'avoir leurs problmes ; comment pourraient-ils, autrement, avoir des probl6matiques ? Nous ne leur reprocherons pas plus d'entretenir des pr6jug6s; sans eux, comment formeraient-

(5) Mais qui peut 6chapper a un cardinal et C un marxiste, si l'on en juge par la confron- tation t616viste, sur la premiere chaine de I'O.R.T.F., le 19 mai 1970, entre le cardinal Daniblou et le professeur Garaudy.

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SOCIOLOGIE DE LA CONNAISSANCE

ils des hypothises ? Il n'y a de science que de l'4tonnement; cela est bien connu. Et toute l'asepsie des m6thodes scientifiques ne rdussit qu't condition de ne pas aseptiser les esprits. Mais le langage des sciences 6tant ce qu'il est, le jeu ayant des rbgles, il faut s'y soumettre pour 6tre compris dans ce dialecte localisb, et trouver des partenaires pour la partie. Autrement dit, il importe de respecter l'autonomie des mithodes. Tout problkme doit s'6purer pour devenir probl6ma- tique; tout pr6jug6 s'affiner pour donner lieu i hypothbse. II faut savoir ensuite suivre les rails, si l'on tient a arriver i la gare et non i l'h6pital. Tout changement de langage en cours de route provoque l'accident; emp~che, donc, la solution du problkme pose.

En d~pit de ses vis~es thdologiques non moins avoudes, W. Bergmann semble avoir compris ces principes mieux que Greinacher. Ainsi, lorsqu'il se range h l'avis de Knoll pour qui < la sociologie de la religion ne se confond pas avec une tentative pour sociologiser la thdologie, c'est-i-dire i vouloir comprendre la < religion b par la mddiation exclusive de la < soci~t6 >. Seul le < sociologisme >, abus de la sociologie comme sp6culation moniste d la baisse (en frangais dans le texte), se permet pareille r(duction des problhmes religieux... Seul l'a posteriori appartient i l'dlaboration sociologique, qui met en relief les diff~renciations v~cues et la configuration varide des contenus observes dans la soci~t6 r~elle. Elle trouve son objet dans les relations sociales existantes entre les ~coles, les controverses th~ologiques, etc., et leur milieu historique au sens le plus g6nbral, politique et 6conomique inclus a (p. 110). Encore que ce genre de sociologie, peut- 6tre inspire de Wach, avec sa distinction implicite de l'exp~rience et de l'expres- sion, risque de limiter le domaine propre de la sociologie, qui inclut l'exp~rience elle-meme en tant que phenomine, il permet une recherche veritablement ficonde. Bergmann le montre de fagon convaincante, en exposant rapidement la m~thode et les r~sultats des travaux de Knoll. Ce th~ologien a pratique d'int~ressantes mises en perspectives sociologiques de certaines representations catholiques, dans des recherches sur le thomisme et le scotisme comme theologies de groupes sociaux (6) et sur les theories de la grace en relation avec les conceptions du pret i intir~t (7). Nos Archives n'ont pas releve ces parutions en leur temps. La pr6- sentation que fait Bergmann de leur contenu nous le fait ambrement regretter. D'apris lui, Knoll a mis en 6vidence le rapport existant, dans les cas dejh dits, entre des systbmes th6ologiques (l'incarnation, la grace, le pr6t i interet) et la position sociale de leurs groupes porteurs (des ordres religieux divers). Nous ne saurions commenter plus longuement une oeuvre que nous connaissons seulement par un r6sum6 rapide. Cependant, si l'analyse de Bergmann est exacte, il en ressort que Knoll s'arr6te aux ( facteurs internes >; il se contente done de consid6rer la position des ordres religieux porteurs de th6ologies sp6cifiques dans le cadre de la soci6t6 eccl6siastique. Si cette manibre de faire est 16gitime, elle ne peut cepen- dans se justifier que comme une 6tape methodologique. La pleine signification sociologique d'une ideologie apparait seulement dans sa mise en perspective avec l'ensemble social global dans lequel elle se manifeste. On aura toujours raison d'insister sur les m6diations internes, sur le d6veloppement logique des contenus objectifs, pour autant qu'ils se manifestent, mais on saisit une partie seulement des phenombnes si on arrete 1 l'analyse. En d'autres termes, il s'agit, pour nous,

(6) Dans Festschrift fiir Karl Adam zum 75. Geburtstag, Diisseldorf, 1952. Nos Archives n'existaient pas encore a cette date, ce qui n'est pas le cas pour la seconde parution de l'6tude signalee B la note suivante.

(7) Zins und Gnade. Studien zur Soziologie der christlichen Existenz, Neuwied-Berlin, Luchterhand, 1967. D'abord paru dans Jahrbuch der Osterreichischen Leo-Gesellschaft, Vienne (Autriche), 1934.

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d'4chapper i l'alt6rit6 pour saisir la dialectique. Le sociologue des religions appr&- hende des ph6nomines vivants - m~me s'ils appartiennent chronologiquement au passe - qui sont, pour lui, en meme temps sociaux et religieux, jamais l'un sans l'autre, internes et externes i la fois, par rapport aux soci~tis (civiles et religieuses) dans lesquelles ils existent - au moins dans les religions fondies -, cr6s et cr~ant, cr&6s dans l'acte meme oi ils crbent et vice-versa. M6thodologi- quement il faut bien distinguer ce qui est uni; mais on s6pare ce qui est joint si l'on limite l'investigation i l'un des balancements du pendule. Le drame du sociologue tient en ceci qu'il doit diff~rencier ce que la vie confond; sa joie, en ce qu'il promeut par 1 une comprehension sui generis qui lui permet de vivre comme participant a la communion scientifique. Mais sa joie n'est pas parfaite lorsqu'au lieu de saisir les phinombnes dans leur mouvement reel il les voit arti- ficiellement arr~tis t une des 4tapes de la recherche. Ne pas restreindre par prin- cipe le domaine de l'investigation se rbvile essentiel i la comprehension sociolo- gique. Or, ici, soit Knoll soit Bergmann - peut-&tre l'un et I'autre - semblent bien y avoir tendance. Et l'on comprend pourquoi, en lisant les conclusions de l'article dont nous parlons. En effet, Bergmann voudrait pouvoir montrer que les conceptions nouvelles de la thbologie (theologies du travail, de la politique, de la technique, etc...) exigent et promeuvent un changement des structures ecclsiastiques actuelles. D'autre part, il d~sire que l'ensemble des representations thbologiques jusqu'ici admises soient relativisbes par une analyse montrant leur d~pendance par rapport it des structures ecclhsiastiques non adapt6es t la conjonc- ture actuelle (p. 113-114). Aussi ne s'6tonnera-t-on pas qu'il cite comme utilisa- teurs des ( points de vue de la sociologie de la connaissance : J.B. Metz, M. Becker, A. Kiing, H.R. Schlette (p. 114), tous, ce nous semble, collaborateurs de la revue thdologique Concilium. Non seulement le champ de l'investigation sociologique est ici restreint; il est encore subordonni t une entreprise pastorale- thdologique. Mais il faut se demander, de toute manibre, si le genre d'analyses prbn6 par Bergmann ressortit t la sociologie de la connaissance. D'une certaine fagon oui, puisqu'il s'agit de d~couvrir les liens existant entre coordonnies sociales et representations (religieuses). Mais, de m~me que toute sociologie est, selon nous, critique, quoi qu'elle en veuille, de m~me toute sociologie - it moins d'en rester au palier sociographique - se donne n~cessairement pour but ultime l'analyse des rapports entre structures et croyances. La citation de TroAeltsch faite par Greinacher, en introduction a ce recueil, le suppose en tout cas: < L'influence essentielle et intime subie par la vie religieuse du fait de la vie dconomique, de l'organisation en classes et de la stratification sociale... >. Cela semble assez clair, m~me si Trceltsch demande aussi que l'on prochde t une analyse du m~me genre, s'agissant des rapports inverses. Que ce souci ait disparu des preoccupations de la neuere Religionssoziologie n'emp~che pas que sa pratique-m~me ait - au moins implicitement - pose tous les problkmes que nous disons. Oh commence d~s lors la sociologie de la connaissance ? R~pondons au moins de fagon ndgative: il n'y a pas de sociologie de la connaissance, stricto sensu, si l'on ne tend pas i un mini- mum de g~nbralisation thborique dans le domaine sociologique. Autrement dit, une analyse qui bifurque de la constatation sociologique limitde & la prise de position thdologique - ce que l'on nous propose ici -, ne saurait se presenter comme sociologie de la connaissance.

Peut-$tre Bergmann n'est-il pas totalement inconscient de cette difficult6, car il distribue la bibliographie jointe i son article en quatre parties, dont les inti- tulhs m~ritent attention: a) sociologie de la connaissance (E. Grunwald, H.J. Lieber, W. Stark, G. Lukhcs, M. Scheler); b) critique de la religion (Feuerbach, Marx, Engels, d'Holbach, K. Lenk); c) religion et soci~td (Durkheim, Eliade, E.O. James, Lenski, Matthes, Miiller-Armack, Schelsky, Weber); d) analyse de

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ph6nom~nes ecclhsiaux par les mdthodes de la sociologie de la connaissance (C. Amery, M. Becker, Y. Congar, R. Engenter et P. Matussek, T. Fuse, E. H6flich, A.M. Knoll, H. Kiing, J.-B. Metz, J. Ratzinger, H.R. Schlette). Aux yeux de Bergmann, il existe donc - au moins - une sociologie de la connaissance pro- prement dite, reprdsentde par des auteurs effectivement connus dans ce domaine comme lui appartenant, et une spdcialit6 spdcifique, ici non ponddrde adjectiva- lement, dite <( analyse des phdnombnes ecclhsiaux par les mdthodes de la sociologie de la connaissance >. Ces deux spdcialit6s se distinguent encore de la critique de la religion, marxiste, pr6-marxiste ou para-marxiste, et d'un quatribme champ de recherche qualifid curieusement << religion et socidt6 >. Etiquette inattendue, qu'on aurait heureusement remplac~e par celle de < sociologie des religions >, bien que le statut sociologique d'Eliade, nomm6 ici apris Durkheim alphabetici ordinis causa, ne laisse de paraitre douteux. Si cette ventilation bibliographique revet une signification, c'est pour nous la suivante: Bergmann se sent g~nd, et pour cause, d'intituler sociologie de la connaissance un discours qu'il sait th~olo- gique, et tient, de plus, i distinguer son propos de celui des critiques marxistes, comme aussi, apparemment, de celui des sociologues tout court. Est-ce fagon de sugg~rer que l'analyse sociologique - pourvu qu'on la dise de la connaissance - peut se passer d'enquetes et se contenter de raisonnements ? Et n'aurait-il pas fallu aussi diff~rencier cette <( analyse des phinombnes ecclhsiaux, etc... > de la theologie classique et de la regulation sociale de toute pensie th0ologique, ffit- elle par < les mdthodes de la sociologie de la connaissance a ? Car, il s'agit bien, nous croyons l'avoir montrd, d'un discours thdologique, dans une revue lide (de fa0on plus ou moins dialogale, et ce c6td de protestation intigrde L

ddfaut d'etre intigrale cut mdrit6 mention dans la presentation du recueil) avec les milieux du secrdtariat romain pour les non-croyants. Discours thdologique de toute fagon tenu dans une institution dont les modes d'intervention dans ce domaine font partie de sa structure m~me, en d6pit de modalit6s changeantes et &ventuellement diff~rencides. Nous ne disons rien de ce qui precede par plaisir ni malice. Simple- ment pour souligner les difficultis inh~rentes i toute entreprise de < pluridisci- plinaritn s, et marquer quelques-une des rigles qui devraient en rigir, selon nous, le jeu.

Les distinctions 6tablies par Bergmann dans sa bibliographie sommaire ne manquent cependant pas de fondement par rapport i l'histoire et aux contenus chronologiquement diffirencids de la sociologie de la connaissance. Cette dernibre, avant m~me de porter ce nom, et pour cause, a d'abord &td confondue avec la sociologie tout court, i une 4poque oh le discours sociologique rev~tait un carac- thre id6ologique ou praxiologique ivident. Ainsi chez Saint-Simon, Comte, Marx, Engels et les classiques marxistes, tout comme chez les auteurs de < sociologies confessionnelles >. La normativit6 6tait alors la rbgle. Chez les grands classiques de la sociologie, Spencer, Durkheim, Weber, et quelques autres i eux rattach6s, les problhmes du conditionnement social de la connaissance apparaissent encore lies avec l'analyse sociologique elle-m~me, sans distinction nettement 6tablie. Mais i partir de Max Scheler et de Karl Mannheim, on tente de d~finir des fron- tibres pr~cises, entre philosophie, critique de la religion, sociologie pratiquie et sociologie proprement dite de la connaissance. Par le m~me mouvement, beau- coup de sociologues ddji fort alourdis par la complication croissante des m~thodes sociographiques et de plus en plus en mal de thdoriser a partir de l'atomisation inevitable de leur recherches, croient pouvoir pratiquer une science denube de toute critique soit implicite soit explicite. Ils abandonnent alors h de < quasi-philo- sophes ) le soin et de

theoriser sociologiquement et de tirer les consequences de leur propre pratique quant aux problkmes de la connaissance. Dans bien des cas, ils affectent de croire que tout cela n'a d'ailleurs rien a voir avec leur science.

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A la limite, ces attitudes ont d6bouch6 sur la sociologie pastorale, cette neuere Religionssoziologie qui confond, & toutes fins pratiques, Religion et Kirchlichkeit. Le ph6nomine a 6t6 d6nonc6 avec justesse et virulence par Thomas Luckmann (8), D6nonciation orchestr~e par lui-m~me et P.L. Berger (9), rdpercut6e par D. Savramis (10), r6pandue par - entre autres, mais principalement - l'Interna- tionales Jahrbuch filr Religionssoziologie. Nos Archives avaient d'ailleurs d6j& agit6 le grelot, pratiquement depuis leur fondation, mais avec moins d'enthou- siasme pour des thborisations g6n6ralisatrices. Henri Desroche 6tait sans doute le seul, dans ses Sociologies religieuses, entre autres et non exclusivement, &

pr~cher en faveur de points de vue globaux. Cependant, tous les sociologues le savent, et cela explique la discr6tion de notre revue en ce domaine, la globalisation pr6sente l'inconvinient, par son caractbre m~me, de ne pouvoir pr6senter de garanties absolues quant au domaine de la preuve. D'oi' la n6cessit6 d'accumuler les dossiers avant toute thdorisation. Mais quand a-t-on assez rdcolt6 de donn6es pour pouvoir g.n6raliser ? La question n'admet pas de r6ponse facile. C'est pour- quoi, en certains quartiers au moins, elle risque de n'en jamais recevoir. Pourtant l'objectif et l'id6al demeurent, pour la sociologie des religions, d'une part de d6bou- cher, au-deli de l'implicite, dans une sociologie de la connaissance religieuse et dans une thdorie plus vaste, et globalisante i son niveau, des ph6nomines reli- gieux comme ph6nombnes sociaux. Ne tentons pas de r6soudre ici, pour le moment, ce qui ressemble, dans la pr6sentation que nous en faisons, i la quadrature du cercle. Il conviendra sans doute d'y revenir quelque jour. Mais notons comment ce problkme s'est aussi pose i la sociologie de la connaissance. Ayant, jusqu'd un certain point, abandonni le problkme de la <( conscience fausse >, au profit de la rbflexion sur la genise du savoir scientifique, celle de la < conscience droite >, en quelque sorte, elle a, par 1I-m~me et i tort selon nous, exclu de ses perspectives l'6tude des opinions non-scientifiques, d~clarbes, a priori, vides de signification (Leerformeln). Autrement dit, elle s'est priv~e du droit d'examiner la port6e socio- logique des cat6gories de la pensbe religieuse. Dans les faits cela revient i reposer, en creux si non en relief, la question de la <( conscience fausse >.

Dans sa contribution (< La doctrine sociale de l'Eglise comme systime de connaissance e, p. 14-82), Joachim Matthes, professeur de sociologie i l'Universit6 de Miinster et r6dacteur-en-chef de l'Internationales Jahrbuch filr Religionssozio- logic, analyse bien ce < cercle vicieux > de la sociologie de la connaissance. Pour le rompre, il propose d'abandonner les vastes discussions thdoriques au profit de recherches plus limities dans leur propos mais qui pourraient, cependant, se rbvdler 6clairantes. Son article se pr~sente comme une contribution i cette approche nouvelle. Consid~rant les doctrines sociales des Eglises chritiennes comme un syst~me de connaissance coherent et obbissant i une stricte logique interne, se donnant pour but de crier un savoir op6ratoire, Matthes se demande comment ce systhme se forme, qui le forge, & quelles fins et pour qui. L'analyse, baste sur des travaux prec6dents de l'auteur, est particulibrement serrie. Ici, aucun passage d'un domaine & un autre: le problkme sociologique pos6, on recher- che son explication dans le m~me langage. L'article comprend cinq parties: 1) sociologie des religions, sociologie de la connaissance et 6tat actuel de la discussion; 2) la structure th6orique de la doctrine sociale de l'Eglise et ses composantes;

(8) Thomas LUCKMANN, Das Problem der Religion in der modernen Gesellschaft, Fribourg-en- Brisgau, Rombach, 1963.

(9) P.L. BERGER et Th. LUCKMANN, The Social Construction of Reality. A Treatise in the Sociology of Knowledge, New York, Doubleday and Cy, 1966.

(10) D. SAVRAMIS, Religionssoziologie; eine Einfiihrung, Munich, Nymphenburger, 1968, et Entchristlichung und Sexualisierung; zwei Vorurteile (ibid., 1969).

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3) la probldmatique des divers facteurs linguistiques et de leur statut dans la doctrine sociale de l'Eglise; 4) ambivalences et interferences entre instances diverses dans la structuration de la doctrine sociale de l'Eglise; 5) le poids de 1'Eglise comme systhme et la prdponddrance actuelle de l'ecclhsiologie par rapport i la doctrine sociale de l'Eglise. Lorsque Matthes parle de < l'Eglise >, il faut entendre < les Eglises > chritiennes contemporaines en gdndral. Pour lui, en effet, le processus ne change pas rbellement de nature selon les confessions. Partout, le < problEme social ) est ddfini de la m~me manikre, dans un cercle restreint d'autoritds. Celles-ci consultent les rtsultats de la recherche sociologique dans le domaine objet de leur attention, les confrontent avec leur propre experience et les mettent en perspective avec un catalogue de propositions normatives permet- tant de ddfinir le problkme dans leur langage propre. En d'autres termes, il s'agit, pour un groupe restreint et d'apris ses propres rdactions, de contrbler la rdponse qui sera faite a une interrogation formulae par d'autres. Aussi bien la solution eccl6siastique du problkme consistera en une rd6laboration verbale, i laquelle une nouvelle justification viendra s'ajouter. Selon Matthes, la doctrine sociale des Eglises lgitime les autoritis de ces dernibres aux yeux des autoritis sociales, dans le but d'agir sur elles en termes de prestige social. En d'autres mots, les auteurs de la solution ecclhsiastique d'un problkme social en sont aussi, au moins en partie, les destinataires. Ceci ne doit pas 6tonner, puisque l'eccl&siologie con- centre actuellement une grande part de l'attention des thbologiens et que les clercs en demeurent le centre. Quoiqu'il en soit, entre la constatation d'un problhme et la definition d'une solution en termes de doctrine sociale chritienne, se situent un certain nombre de d~marches intermidiaires dans lesquelles interviennent de dblicates questions de langage : e Dans la doctrine sociale de l'Eglise, comme dans tous les autres systimes pragmatiques de connaissance, la structure linguistique n'est pas univoque, et l'on n'y trouve pas d'instance capable d'apporter cette univociti B la structure linguistique de la r~flexion critique > (p. 21). Si bien que, les institutions li~es aux Eglises et qui transmettent ou explicitent leurs doctrines dans le domaine de l'action sociale, deviennent aujourd'hui des lieux de creation et de propagation de faux problhmes. Mais, par suite du prestige dont elles jouissent, ces instances donnent un poids de rialit6 sociale a des interrogations purement verbales.

Matthes tient son analyse au niveau d'une irbnique g~ndralit6. On trou- verait facilement des exemples parallbles illustrant sa thdorie en pensant i l'emploi ecclhsiastique des sciences humaines des religions. La < d6christianisation >, la < s~cularisation >, et autres verbo-concepts, ne nous viennent-ils pas de tentatives pour transformer la sociologie des religions en systime pragmatique de connais- sance i finalit6 pastorale ? Ici, comme dans la d6finition de la doctrine sociale, le problkme est bien celui du contr61e social des solutions. On pourrait en dire autant de la position de l'ex~ghse ou de l'histoire dans toutes les socidtis religieuses. L'emploi des approches non th~ologiques dans ce cadre reste i 6tudier de fagon critique. On expliquerait ainsi et les conflits, et les accommodements et les colla- borations qui jalonnent la chronique des rapports entre thbologiens et sp~cialitis non thdologiques des religions (11).

A suivre Matthes, et en termes vulgaires, on pourrait parler, de la part des Eglises, d'une r6cup~ration des systhmes sociaux de connaissance du r&el, au prix de gauchissements successifs et contr616s de ces m~mes systhmes. Le processus n'a rien qui doive 6tonner, ou puisse faire parler de machiav6lisme. Dans la

(11) Jalons pour cette etude dans Jean ScUvY, < Panorama des sciences humaines des religions >, Introduction auw sciences humaines des religions, Paris, Cujas, 1970.

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mesure mbme oh les groupes religieux apparaissent, aujourd'hui, comme des minorit~s connaissantes, ils ont, pour survivre, & adapter, & s'adapter ou & accepter un statut minoritaire inconfortable et dangereux. Peter L. Berger (12) se penche pricis6ment sur ce problkme dans sa contribution, intitulde: <( Sociologie des minoritbs connaissantes > (p. 57-66). Toute socibt6 globale, dit-il, posshde un ensemble d'6vidences qui lui sont propres dans I'ordre de la connaissance. Ainsi l'on admet aujourd'hui, dans les soci~tds occidentales, que le systime des connais- sances m6dicales en vigueur constitue la rtponse 6vidente aux problhmes de la maladie. L'individu va, naturellement, consulter un m~decin lorsqu'il se sent, se croit ou est malade. Cette d6marche revat un caractbre obvie par rapport aux syst~mes de valeurs de connaissances de notre ensemble culturel. Certains groupes, cependant, & l'int6rieur de ce mfme ensemble, ne partagent pas cette evidence. Ainsi de la Science chritienne ou de certaines sectes gu6risseuses, pour qui la gu~rison est affaire de rituel religieux ou la maladie une illusion de I'esprit. Peter Berger parle, a leur sujet, de minorit6s connaissantes. Elles ne partagent pas les evidences de la soci6t6 globale sur la r~alit6. De ce fait mfme, elles ont besoin, pour se maintenir et, 6ventuellement, s'6tendre, de s'isoler fortement. L'organi- sation id6ale de la minorit6 connaissante est donc la secte, qui, i l'intbrieur de ses 6vidences et de ses murailles de Chine, d6clare que d les autres >, ceux < du dehors n, se trouvent dans l'erreur, et 6limine impitoyablement ses membres coupables de pactiser tant soit peu avec l'extbrieur. C'est la seule fagon possible de maintenir la plausibilit6 du systhme minoritaire pour ses adherents.

Les Eglises chftiennes ont it6, pendant longtemps, les seules pourvoyeuses de systhmes de connaissance pour les soci6t6s occidentales. Or, dit Berger, depuis des sidcles, ce privilege leur est contest6. Parallklement, le caractire obvie de leurs affirmations diminue. On est arrive, actuellement, au point oh, pour se maintenir comme systhme de plausibilit6, les Eglises se trouvent devant l'alternative suivante: ou adapter leur doctrine aux 6vidences des soci~tis globales, et risquer de la voir perdre toute consistance par rapport & son contenu pass6, ou se retrancher de ces m~mes soci~tis, pour organiser leurs membres en minoritbs connaissantes. Autre- ment dit, pousser jusqu'& leurs ultimes cons6quences les traits du type-Eglise (1'Eglise conscience d'une societ6, ce qui revient, & la limite, & faire de la soci~ti la conscience de l'Eglise), ou virer vers la secte et maintenir ainsi le contenu ancien des croyances, les pratiques reques, etc. A partir de cette constatation, l'auteur analyse rapidement (13) l'dvolution des theologies chritiennes depuis le XIxe sidcle et y trouve confirmation de ses vues thboriques. Quoi qu'elles en aient, les Eglises doivent aujourd'hui choisir le genre de systlme de connaissance auquel elles veulent disormais se rattacher. Mais, dit Berger, I'observation de la conjoncture montre qu'elles se refusent a ce choix. Ce serait-1l la signification sociologique de la politique d'aggiornamento dans le catholicisme et dans les Eglises protestantes.

Matthes et Berger, est-il besoin de le souligner, se livrent implicitement, et sans le savoir sans doute, & une critique, meilleure que nous ne saurions la faire, du reste de la livraison de Dialogo o0 ils paraissent. Leur pratique comme leurs remarques - marginales ou centrales - rejoignent aussi nos propres points de vue. Mais entre l'un et I'autre auteur une diff6rence s'affirme, croyons-nous. Elle mbrite d'$tre relev~e. Le premier occupe la sociologie de la connaissance & des recherches et des problkmes rdduits. Le second aborde au contraire, par le

(12) Professeur i la New School for Social Research, New York. (13) Analyse plus circonstancibe de ces m~mes ph~nomlnes dans P.L. BERGER, The Social

Reality of Religion, Londres, Faber and Faber, 1969; bd. ambricaine sous le titre The Sacred Canopy, Elements of a Sociological Theory of Religion, Garden City, N.Y., Doubleday, 1967,

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biais d'un problEme circonscrit, une question d'ersemble. La lecture de Dialogo ne permettrait pas de tirer de conclusion valable de cette opposition. Elle pourrait 4tre circonstancielle et rien de plus. I1 en va autrement, croyons-nous. Peter Berger se trouve, en effet, avoir r~cemment 6crit un ouvrage de sociologie de la connais- sance, en collaboration avec Thomas Luckmann (14), et un autre, plus particu- laris6, ohi la sociologie de la connaissance vient 6tayer une thdorie globale de la religion comme ph~nomhne social (15). Nous avons longuement rendu compte de ce dernier dans ces colonnes (16), nous n'y reviendrons pas. Sauf pour remarquer que son auteur fait preuve d'un optimisme plus grand que Matthes quant aux capacit~s actuelles de la sociologie de la connaissance & aborder les problbmes les plus g~ndraux. I1 le fait en d~passant l'opposition entre connaissance scientifique et Leerformeln, en remarquant la rdalit6 sociale obvie de ces dernibres et en thdo- risant a partir de l'acquis psycho-sociologique (17) de ces dernibres d~cennies. Le r~sultat, on l'a deja dit, parait convainquant, a quelques restrictions prbs. Mais, s'agissant de Matthes comme de Berger, on aura note le caractbre critique de leurs analyses.

Les autres collaborateurs de Dialogo, dont nous avons d~ja analyse les contributions, se montrent eux aussi, a leur fagon, critiques. D'une fagon diff&- rente cependant, en tant que thbologiens et non comme sociologues. Or la r~gula- tion des langages thdologiques et sociologique n'est pas la m6me, ni le niveau de leur intervention. D'un c8td, une tradition, une societY, des pratiques, une ou des autorit~s canalisent et modulent une critique dont la pertinence n'est pas notre fait. Elle nous semble, cependant, - il faut le dire - Apistimologiquement douteuse d'un point de vue sociologique, pour des raisons de discontinuit~ de

(14) Cf. note 9. (15) Cf. note 13. (16) Arch., 28, no 152. A cette recension louangeuse, dont nous ne retirons rien, on nous

permnettra d'ajouter une remarque sur les dangers des globalisations de ce genre. Elles tendent A r~duire les religions, seules empiriquement observables, g la religion de type h6ghlien, en tout cas philosophique et problhmatique. La grande science et le doigt6 de P.L. B. lui permettent, selon nous, d'6chapper a ce d6faut. Mais peut-6tre faut-il retenir le jugement de Roland ROBERT- SON, The Sociological Interpretation of Religion, Oxford, Blackwells, 1970, p. 32-33, selon qui Luckmann et Berger appartiendraient plus, par leurs travaux, B la Religionswissenschaft qu'a la sociologie proprement dite. Cette remarque met ces deux auteurs en bonne compagnie: Sombart, Trceltsch, Wach. En tout cas, si son tout dernier ouvrage est significatif, il y a un a problkme Berger >. Dans A Rumor of Angels ; Modern Society and the Rediscovery of the Super- natural, Garden City, N.Y., Doubleday, 1969, I'auteur quitte, selon nous, le domaine de la socio- logie pour entrer dans celui de 1'< utopie thbologique s. Dans ce petit livre - tr~s attachant, pourquoi ne pas 'avouer - Berger essaie de dire quelle th~ologie chr6tienne reste possible dans notre soci~t6 sociologiquement analys~e et devant les problhmes de connaissance s poses a la thbologie par la relativisation produite par les sciences humaines. 11 se defend de jouer au thbologien. II pretend delimiter simplement, en sociologue, les domaines qui s'offrent aux thbolo- giens dans les circonstances actuelles. C'est, a notre avis, outrepasser les possibilit6s de la sociologie, car seule une religion v~cue concrdtement peut prendre des decisions dans ce domaine, oh sugges- tions et hypotheses sentent toujours le directoire. La question de la d6cision thbologique (ou religieuse, ce qui est peut-$tre encore autre chose) bchappe entibrement au sociologue, m~me si celui-ci se contente de ddlimiter une aire on une structure de plausibilitY. Autrement, pourquoi y aurait-il des prophhtes, au sens sociologique du terme ? Et de quel droit le sociologue restrein- drait-il le domaine du religieux ou du thbologique i celui de la plausibilit6 de creance ? La decision relkve de l'irrationnel, m~me en religion ! Et il n'apparait pas - d'un point de vue sociologique - qu'une religion doive Stre croyable pour Stre crue. Le sociologue d~montrera a posteriori qu'un message regu avait une plausibilit6 de croyance, non pas que tel message est seul plausible.

(17) Nous n'avons pas assez soulign6, dans notre compte rendu de cet ouvrage, I'impor- tance de cet apport psycho-sociologique.

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langage dbjh signalhes plus haut. D'un autre c6t6, on a par contre une sociologie strictement scientifique qui, par son application m6me aux ph6nombnes religieux, rev6t valeur critique, valeur de jugement - implicite ou explicite selon les cas. En effet, le sujet religieux - pour le th6ologien - devient ici objet, et jamais on ne tente de le r6cup6rer comme sujet. Le faire 6quivaudrait h renoncer au carac- tare d'h6tbro-interpr6tation qui est celui de la sociologie. Celle-ci analyse le social en termes de causalit6 sociale (18) et ne serait plus elle-m~me si elle proc6dait autrement. D'autre part, son niveau d'approche est celui de la preuve scientifique- ment 4tablie et de sa constatation, non pas celui de la valeur normativement acceptie, refusde ou imposde. Autrement dit, la question de savoir comment parer les effets de la pratique sociologique sur l'objet religieux dans l'exp6rience of il est pris pour sujet, n'entre pas dans les soucis de notre sp6cialit6. Son langage ne posshde pas les critbres n~cessaires i cette d6marche, d6nonc6e ici dans les articles de Greinacher et de Bergmann. Mais, demandera le thdologien, quels rapports peuvent done s'itablir entre sa discipline et la n6tre ? La rdponse a cette question, de la part d'un sociologue, restera toujours d6cevante pour le th6ologien, A cause de la discontinuit6 de langage entre les approches - m~me scientifiques - d'un mame phbnom~ne. Le th6ologien peut 6tablir les liens et rapports qu'il voudra entre sa recherche et celle du sociologue. Ce dernier constatera le fait et l'interprbtera en termes de causalit6 sociale. Dans cette perspective, la < thdolo- gie critique > lui apparaitra comme la protestation d'un sous-groupe dans la socidtd eccl6siastique en recherche de r6-intigration dans un monde en changement. Ou bien, il parlera d'une entreprise d'intigration d'un groupe ou sous-groupe social - les intellectuels laics d'une 6poque et d'un lieu - g leur monde profes- sionnel et i la soci6td eccl6siastique, dans le cadre des mutations d'une 6poque. Lorsque la mbme < th~ologie critique >

tentera de passer de l'analyse sociologique au domaine des valeurs, il faudra bien que le sociologue constate que la disconti- nuit6 des langages et la pond6ration diff6rente de leurs r6gulations empechent, dans sa perspective, cette entreprise d'8tre 16gitime.

Il ne s'agit plus ici, comme dans la discussion entreprise il y a une ving- taine d'ann6es, de savoir oh s'arr6te le champ de la sociologie, ou vice-versa (19). Admis que les sciences des religions ont pour domaine de recherche le tout -

l'exp6rience comprise, en tant que ph6nomhne socio-culturel - de toutes les reli- gions, le problkme pos6 apparait 6tre le suivant: quelle plausibilit6 le langage religieux - et pas seulement th6ologique - conserve-t-il dans les socibt6s actuelles? La r6ponse i cette question variera selon les aires culturelles, les soci6t6s, les grou- pes et les sous-groupes. Comme il variera selon les disciplines scientifiques: psychologie, sociologie, etc., et les 6coles i l'intbrieur de ces sp6cialit6s. Notons-le, en tout cas, le problkme de la plausibilit6 n'est pas une affaire de philosophes ou de thbologiens exclusivement, mais bien un problkme relevant d'un ensemble de sciences, de m6thodes et d'approches. Pourra-t-on faire le tour et la somme des r6sultats obtenus par les divers chercheurs I ce sujet ? Non, dans la plupart des cas, toujours pour des raisons de discontinuit6 de langage, dont on salt combien elles sont aigues, m~me et simplement entre l'histoire et la sociologie. Que devient dis lors I'interdisciplinarit6 dont Dialogo, comme Concilium et d'autres revues et milieux confessionnels, font leur pain quotidien ? Sans doute est-elle, d'un point de vue scientifique, strictement impossible.

(18) DURKHEIM l'a bien soulign6 dans les R&gles de la mithode sociologique, Paris, Alcan, 1895.

(19) Discussion a laquelle le Doyen LE BRAS avait apport6 sa contribution. Voir ( Socio- logie religieuse et science des religions s, Arch., 1, janvier-juin 1956, 3-18; s R6flexions sur les diff6rences entre sociologie scientifique et sociologie pastorale s, ibid., 8, juill,-d6c, 1959, 5-14, etc.

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Comment connaissons-nous et quoi? Voili la question ultime posse i toutes nos sciences et nos investigations aujourd'hui. Toute r6ponse globale semble interdite. C'est pourquoi il nous parait souhaitable de s'interroger plus que jamais dans les limites oh des rtsultats - toujours plus probables que certains - peuvent 6tre obtenus. L'ambition de Berger dans The Sacred Canopy est peut-$tre trop englobante. Plus qu'une scociologie de la connaissance appliqu6e B la religion, sans doute faudrait-il s'orienter vers une sociologie de la connaissance de l'objet religieux dans des aires plus r6duites. Qui sera le Troeltsch de cette entreprise pour les Eglises et les groupes chritiens ?

Avant d'en arriver 1, constatons, en guise de conclusion, quelques faits et rappelons quelques principes deja inonc6s plus haut. Cette livraison de Dialogo nous a force f reposer le problkme des relations entre sociologie et theologie. A l'opposition des debuts - depuis Saint-Simon et Comte au moins - a succid6 une p~riode de relative integration r~ciproque, au niveau surtout des m6thodes, puis une utilisation de ces dernibres i des fins pastorales i l'int6rieur des Eglises. Tout s'est passe comme si: 1) les institutions ecclhsiastiques ne pouvaient faire l'6conomie d'une approche qui les avait d'abord combattues et qu'elles avaient refusbe; 2) les m~thodes - cens6ment neutres - pouvaient se dissocier du lan- gage qui les pose et de ses effets sur le langage thdologique - ou meme religieux. Bien entendu, il y a 1l une erreur de perspective, dont les consequences risque- raient de noyer la sp~cificit6 m~me et - i la limite, l'autonomie - de notre sp&- cialitY. R~p~tons-le, toute sociologie est n6cessairement critique - m~me le <( comptage de totes > pastoralement aseptis6 -, et toute sociologie, meme la plus 6lmentaire, prignante d'une th6orie de la connaissance de l'objet religieux. Toute approche scientifique comporte ses cons6quences dans les domaines lies avec l'objet de ses investigations. Seule la politique de l'autruche peut en faire l'6conomie en bonne foi.

Ces considerations n'4puisent pas, on le sait, l'ensemble des problhmes sugg~rds en plein ou en creux dans ces pages. En particulier, il faudrait discuter de la position personnelle du sociologue des religions devant son objet de recherche. Non en termes de participation ou de distanciation, ni de sympathie ou d'indiff~rence, mais en termes de repercussion de la recherche sur le chercheur. Lui aussi a droit, pour vivre, it des valeurs. La <( religion de la science > devrait-elle lui suffire ? Encore que - d'un point de vue sociologique - une religion en a vaille a une autre, cette r~ponse ressemblerait i un pas de clerc. Le seul choix des religions comme sp~cialit6 semble sugg~rer, chez celui qui le fait, une position vis-a-vis des valeurs religieuses : attestatrice, contestatrice, ou de refus-fascinant. Comment l'homme de science, n~cessairement engage par sa science m~me, tiendrait-il un discours non praxiologiquement contamind, tandis que le thdologien ne le pourrait pas, lorsqu'il d~duit une theologie

ou une pastorale d'une sociologie scientifiquement conduite ? De toute &vidence le scientifique est d'autant plus scientifique - nous ne disons pas neutre - qu'il respecte - car lui-m~me peut trbs bien ne pas toujours le respecter - le langage sp~cifique de sa science, dans la coherence des niveaux, des outils et des probl~matiques. Si non, il fait lui aussi le <( thbologien >. Soulignons-le bien, le choix et le respect du langage de la science et de ses limites constitue un engagement, au moins intellectuel. Les sociologues ont des mains; elles ne sont pas pures, mais au contraire engagdes dans un discours qui a ses presupposes anthropologiques. Par contre, le praticien qui desire utiliser des mthodes scientifiques i des fins de pratique pastorale (ou autre) n'a pas de mains, ou ses gestes se font dans le vide par rapport i la science dont il utilise les outils sans en retenir le langage. Entre l'un et l'autre une immense difference se fait jour: le premier regoit le choc en retour, sur lui-meme, dans le domaine des valeurs,

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de sa science; le second croit avoir annulh toute possibilit6 de choc en retour, et, par l1-m~me, 6vit6 i l'objet de la recherche d'etre atteint dans son statut no6tique. Cette dernibre attitude ne nous semble pas satisfaisante. Elle utilise des mithodes d'une science pour r6soudre des questions de praxis, alors que les sciences de l'homme - ici celles des religions - ont pour fin de se poser des ques- tions sur la praxis et les iddologies de ces actions ; non pas de r~soudre les problkmes pratiquis (20).

Que devient, 1l-dedans, la religion du chercheur, lorsqu'il en pratique une, aussi ? En un sens, elle ne devient rien. Le chercheur n'6tudie pas sa religion comme choix de son action - et les choix meme rationalis6s appartiennent tou- jours i la sphbre de l'irrationnel. Pourtant il ne peut pas rester divis6 ind6finiment. Peu i peu il prend conscience des conditionnements sociaux de son choix scienti- fique et doit, dbs lors, envisager l'impact que sa recherche ne manque pas d'avoir sur lui-meme. Ce faisant, il sort du domaine de la science pour entrer dans le particulier individuel. Pourtant, il pose un problkme de signification universelle, celui des choix scientifiques et de leur critique. Peut-on parler, i leur sujet, d'anar- chie, comme dans le domaine de l'action ? De fa9on pond6rbe seulement, ce nous semble. Il n'y a de langages que de soci6t6s, et de choix que relationnels. On emploie un langage, on fait son ( choix >, dans la mesure oh l'on appartient i son groupe porteur. L'homme contemporain dans nos soci6t6s occidentales appartient, on le sait, h une multitude de groupes aux pr6tentions conflictuelles. D'oh l'obli- gation oh il se trouve de parler plusieurs langages, ceux de ses r6les divers. Les theologies, comme dialectes des soci6t6s religieuses, ne sauraient plus s'imposer i tout I'homme pas plus qu'i tous les hommes. Ceux-ci appartiennent ou n'appar- tiennent pas f des soci6t6s religieuses. Ils participent par contre sirement f un grand nombre d'autres groupes, dans lesquels un dialecte scientifique a cours. Lorsque ces deux sortes d'expression entrent en collision, c'est i l'individu de faire le choix de son langage dominant, et de trouver la combinatoire de sa d6cision - non scientifique. Seul un changement total de rapport sociaux pourrait lui permettre d'6chapper a cette n6cessit6 de se situer, en le remettant en position de mono-langage.

En somme : les sciences elles-m~mes apparaissent comme socialement conditionnies. A notre goiit, la sociologie de la connaissance n'a pas encore suffi- samment fouill6 ce problhme. Il n'y a de preuve que dans un cadre logique, de cadre logique que social (21). Si les sciences non thbologiques des religions rela- tivisent leur objet, sans doute convient-il aussi de relativiser les relativiseurs. Non pour redonner espoir aux th~ologiens, mais pour en finir avec une assurance positiviste aussi inadmissible que le rdalisme m~di~val. La science - c'est-a-dire l'apprdhension que nous pouvons avoir du monde - reste toujours i refaire. Cette certitude en vaut une autre mais ne saurait servir de religion. Elle ne saurait non plus servir aux religions f ricup6rer leurs certitudes. D'une certitude A l'autre

(20) M. WEBER, op. cit., p. 123 : 4 Nous ne pensons pas que le r61e d'une science de l'ex- p~rience puisse jamais consister en une d6couverte de normes et d'id6aux ~s caractbres impbratifs d'of I'on pourrait deduire des recettes pour la pratique *.

(21) Encore WEBER: ( La connaissance des propositions les plus certaines de notre savoir thborique - par exemple celles des sciences exactes, math~matiques ou physiques - de m~me que I'acuit6 et la subtilit6 de notre conscience sont d'abord des produits de la culture ) (ibid., p. 127). Durkheim, on le sait, partageait ces points de vue. Voir ses pages sur les origines sociales des categories de la pensbe dans Les Formes dldmentaires de la vie religieuse, (1912), Paris, P.U.F., 1968, 5e 6d., p. 12-28 et 616-638. Ces deux auteurs ne tirent cependant pas les mfmes consequences de ces pr6misses.

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il n'existe pas de pont. Au moins d'un point de vue sociologique et dans nos socidtds telles qu'elles sont. On note cependant avec intdret que, pour les thdologiens, la sociologie de genre < comptage de tate > est ddpassde, implicitement, et devenue apte - 6 consecration ! - h pindtrer jusqu'au saint des saints, a l'intdrieur m~me des representations religieuses. Encore faut-il ne pas l'emp~cher de jouer son r61e.

Jean SfcGUY Centre d'Etudes Sociologiques

(C.N.R.S.)

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