Sociologie religieuse et sociologie des religions en Italie

EHESS

Sociologie religieuse et sociologie des religions en ItalieAuthor(s): S. S. AcquavivaSource: Archives de sociologie des religions, 6e Année, No. 12 (Jul. - Dec., 1961), pp. 81-88Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30123252 .

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SOCIOLOGIE RELIGIEUSE

ET SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

EN ITALIE

1) La sociologie des religions en Italie: ses caracteres et ses insuffi- fisances.

En lisant les nombreux articles qui s'occupent de sociologie des religions, il est apparemment facile d'~tablir ce que pensent de cette discipline les sp6cia- listes italierns, m~me si en Italie la plupart des essais sont consacris i des consid&- rations trs drales sur ee que cette discipline doit ou ne doit pas 4tre, i des rdsumbs et i des ichos de la dialectique et de la m~thodologie de la sociographie (presque essentiellement de la sociographie) belge, hollandaise, allemande, autri- chienne, anglaise, ambricaine, mais surtout frangaise.

Combien d'essais n'a-t-on pas icrit pour risumer les opinions 4trangbres et la situation g~ndrale des 4tudes en Italie ? Depuis ceux de Leoni jusqu'i ceux de Burgalassi, de Tufari, de Grumelli, de Droulers, de Vogt, de Rimoldi, de Guzzetti, et aux n6tres aussi, tous les travaux montrent qu'on parle vraiment beaucoup de sociologie des religions; beaucoup, surtout par rapport i la production sociologique proprement dite (1). Eu igard au grand nombre d'articles sur la sociologie

(1) Cfr. en particulier: Silvano BURGALASSI, Bilancio e prospettive della sociologia religiosa italiana, Rome, I.C.A.S., 1957, 52 p.; (( La sociologia e gli studiosi cattolici

,, Orientamenti sociali,

XIV, (2), 1958, pp. 47-51; Pier Giovanni GRASSO, (( Ricerca sociologica e sociologia religiosa n, in Enciclopedia sociale, Alba, E. Paoline, 1958, p. 194; Gerolamo GRILLO, (( lYna introduzione alla sociologia religiosa, il pensiero di G. Le Bras

,, Aggiornamenti sociali, VI, (6), 1955, pp. 235-40

e 281-88 ; Antonio GRUMELLI, (( A proposito di sociologia religiosa , Studium, LII, 1956, pp. 680- 85; Aldo LEONI, <J Una nuova scienza: la sociologia religiosa n, Orientamenti sociali, IX, 1953, pp. 82-102; (( La sociologia religiosa e la sociologia politica , Orientamenti sociali, IX, 1953, pp. 196-97; (( La sociologia religiosa

,, Orientamenti sociali, IX, 1953, pp. 331-431; Giovanni

LERCARO, (( Compiti, fini e limiti della sociologia religiosa n, Vita e pensiero, XI, (4), 1954, pp. 183-89; Arturo RIMOLDI, (( La sociologia religiosa , Vita e pensiero, XL, (35), 1952, pp. 71-77; ( Sociologia religiosa e sociologia elettorale

,, Orientamenti pastorali, II, (I), 1954, pp. 46-51;

Rosario SCARPATI, ((a Nota sulla sociologia religiosa ,, Orientamenti sociali, XII, (5), 1956, pp. 172-

75; Paolo TUFARI, (( Problematica della sociologia religiosa ,,

Humanitas, XI, 1956, pp. 680-85; Giovanni BONICELLI, ( Note sulla sociologia religiosa nel 1955

,, La scuola cattolica, LXXXIV,

(3), 1956, pp. 205-13; Antonio FERRARI, (( Relazione sul primo congresso italiano di sociologia religiosa, Milano, 1954 ,, Orientamenti sociali, X, (6-7), 1954, pp. 140-43; Paolo TUFARI, (( Ten- denze attuali in sociologia religiosa ,, Aggiornamenti sociali, IX, 1958; Antonio GRUMELLI, (( Nuovi sviluppi della sociologia religiosa , Studium, LV, (12), 1959, pp. 865-70; Silvano BUR- GALASSI (( La sociologia religiosa in Italia dal 1955 ad oggi n, La scuola cattolica, LXXXVIII,, (2), 1960, pp. 133-145; Antonio (kRUIMELLI, Dalla sociologia alla sociologia religiosa

,, Quaderni

di sociologia e servizio sociale, III, (5), 1950, pp. 87-98.

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

italienne des religions, trks peu sont les essais de sociologie des religions: dans le cours d'une annie, les travaux de sociologie des religions proprement dite ne ddpassent pas quatre ou cinq titres qu'on peut encore riduire si l'on considbre que la plupart concernent la m~thodologie g6ndrale et les problkmes sociogra- phiques, toujours en g6ndral. Pour gviter d'etre accus~ de pessimisme, citons une source impartiale: la bibliographie de la sociologie italienne dans sa mise h jour jusqu'a 1959 (2). Sur 382 titres d'ouvrages sociologiques qui sont citis pour 1959, neuf seulement sont consid~rds comme ouvrages de sociologie religieuse ou ayant trait B la sociologie religieuse. Tous, i une exception pros, traitent des sujets introductifs ou pas essentiellement de sociologie religieuse (3). Eu igard au diveloppement ficond et rapide des autres branches de la sociologie italienne en giniral, l'expansion de la sociologie des religions est done riduite.

Quelles sont les causes de cette situation ? S'agit-il d'une discipline (C jeune n, selon l'assertion de quelqu'un, ou d'une discipline <<malade) ? Mieux: l'dtat de disiquilibre profond qui existe entre la sociologie des religions et les autres sociologies, entre les etudes g6ndrales et les ttudes spcifiques, entre sociologie et sociographie, entre les essais sur la m~thodologie et son application, est-il le r6sultat d'une naissance et d'une croissance dysharmonique, ou plut6t du fait que les spicialistes sont peu nombreux, parfois peu prdpares sur le plan sociologique, et mal distribuds, i cause de leur petit nombre, dans les difflrentes spdcialitis (mithodologie, sociographie, etc.)? Un panorama de ce qui a iti fait jusqu'ici nous aidera i rnpondre i~ cette question. On peut citer les ouvrages de Silvano Burgalassi Classifications et Typologies en sociologie religieuse (4), de Paolo Tufari, Recherche et intervention en sociologie (5), qui sont sur un plan mithodologique; d'Aldo Leoni, Sociologie et gdographie religieuse d'un diocese (6); puis un ouvrage collectif, Recherches dans la zone de Turin-Lucento (7), sur un plan sociographique ; ces deux derniers sont les seuls essais complets et organiques, de ce type, parus jusqu'ici; encore de Paolo Tufari, L'analyse fonctionnelle en sociologie religieuse (8), ce dernier sur un plan sociologique proprement dit. Dans le domaine de l'information ou de la psychologie sociale plut6t que de la sociologie religieuse, on pourrait enfin rappeler le nom de Pierre Grasso ? cause de son argumentation subtile.

(2) F. BARBANO e M. VITERBI, < Bibliografia della sociologia italiana, Aggiornamento n, II Politico, XXV, (1), 1960, pp. 176-98.

(3) S.S. ACQUAVIVA, (( La sociologia studia il fenomeno religioso come fatto sociale, a Stato Democratico, III, 1959, (26), p. 10; S. BURGALASSI, (( Classificazioni e tipologie nella sociologia religiosa

,, Sociologia Religiosa, III, (3-4), 1959, pp. 95-150; A. GRUMELLI, ( Dalla sociologia alla

sociologia della religione ,, Quaderni di sociologia e di servizio sociale n, 1959, III, pp. 87-98; E Nuovi sviluppo della sociologia religiosa n, Studium, LV, 1959, (12), pp. 865-870; G.M. MANZINI,

( Autori e temi della recente etnologia religiosa in Italia n, Sociologia Religiosa, III, (3-4), 1959, pp. 33-78; G. NIRCHIo, ((La sociologia religiosa in Francia , Idea, XV, (9), pp. 514-521; L. STURZO, < Religione e sociologia n, Gli oratori del giorno, (2), 1959; Guido VINCELLI, (( Le fonti della sociologia religiosa : i sinodi dioceasani n, Orientamenti sociali, (II), 1958, pp. 2 ; C.K. WARD, ( Sociological Research in the Sphere of Religion in Great Britain i, Sociologia Religiosa, III, (3-4), 1959, pp. 79-94.

(4) S. BURGALASSI, <<Classificazioni e tipologie nella sociologia religiosa ,, loc. cit.

(5) P. TUFARI, (( Ricerca e intervento in sociologia della religione n, Rassegna italiana di sociologia, I, 1960, 2, p. 109-21.

(6) Aldo LEONI, Sociologia e geografia religiosa di una diocesi, Rome dd. Gregoriana, 1952.

(7) F. BARBANO, F. BOLGCIANO e altri, Ricerche sulla zona di Torino-Lucento, Turin, Istituto di Scienze Politiche de l'Univ. de Turin, 1955, XV-238 p.

(8) Paolo TIUFARI, ( L'analisi funzionale in sociologia religiosa , Sociologia Religiosa, IV, 1960, (5-6), p. 5-37. Du m~me auteur, citons 6galement: <Religiosith e

cultural(in Aggiornamenti sociali, IX, 1958, (6), p. 321-36.

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SOCIOLOGIE RELIGIEUSE ET SOCIOLOGIE DES RELIGIONS EN ITALIE

Il existe d'autres essais dont le caractbre est moins d~fini : rappelons les recherches de Burgalassi et de Leoni ? propos des vocations qui, d'un c6t6, sont trbs remarquables (9); les nombreuses enquates purement statistiques (10); les travaux de sociologie religieuse orientis toutefois vers d'autres intirets (11); toute une s(rie d'ouvrages i caractbre pastoral que l'on pourrait faire entrer parmi les travaux de sociologie religieuse en forgant sur le sens du terme; enfin un ensemble de sondages statistiques que la m~diocriti des donnies ou I'imper- fection des mithodes emp~che de situer sans hisitation parmi les ouvrages de sociologie religieuse. En outre nous ne consid~rons pas les travaux de spicialistes 6trangers qui travaillent ou ont travaill6 en Italie, comme Droulers, Pin, Vogt (12). Malgrb leur influence sur I'4cole italienne et les contacts qu'ils ont avec elle, ils sont plut6t l'expression d'un milieu scientifique qui aboutit i Rome mais qui est

orient( vers le monde culturel international. En lisant les titres, il est dej&

possible de se faire une idie de la situation, de se rendre compte des disdquilibres. Une mdprise fondamentale nuit i notre discipline et gdne son diveloppement: on identifie, en grniral, la sociologie des religions avec la sociographie du catholicisme contemporain et les mdthodes pour l'itudier. C'est prendre la partie pour le tout, et cela au pr(judice de la sociographie du catholicisme qu'on voudrait justement d~velopper. Dans ce domaine-ci en outre, on confond tras souvent la sociologie religieuse avec d'autres disciplines, meme pratiques, ce qui nuit ? la premiere mais aussi aux autres.

2) Le milieu oi$ se d6veloppe la sociologie religieuse italienne.

a) Le milieu historique et culturel.

En v6riti, si la recherche sociologique rdduite 4 une simple recherche sociographique est toujours insuffisante et incomplete, en Italie elle peut amener plus facilement qu'ailleurs, i des altirations de la rdalit6. Les diffirences de caractire ethnique, politique et culturel entre r~gions sont si bien enracinbes et si apparentes que toute recherche qui n'en tient pas compte, ou meme qui les considbre comme secondaires, ne peut 6tre tenue pour valable.

Tout cela devient evident si l'on envisage la formation et la transformation des rigions italiennes i travers le temps. Quelques exemples suffiront. Combien, parml ceux qui ont traversi en touriste la zone entre l'Adige et le P6 pour se rendre i Venise, en venant du Sud de l'Italie, ont pens6 qu'ils franchissaient des seuils trbs anciens qui ont 6t6 des frontibres politiques pendant plus de mille ans,

(9) Cfr. Silvano BURGALASSI, c(Le vacazioni in rapporto all'ambiente socio-religioso n, Sociologia Religiosa, I, 1957,(1), p. 71-99;Aldo LEONI, Aggiornamento e processo di adeguamento degli istituti religiosi femminili, Rome, Ala, 1958, XV-151 p.

(10) Cfr. par ex. Giuseppe BRUNETTA, (( Statistica religiosa in Italian, Sociologia Religiosa, I, 1957, (1), p. 103-18; Sabino S. ACQUAVIVA, ((Alcune note introduttive al problema della pratica religiosa nella regione di Alessandria n, Sociologia Religiosa, I, 1957, 1, p. 141-47; etc.

(11) Cfr. par ex. Giorgio BRAGA, ( Tipologia delle sottostrutture delle parrocchie siciliane , Sociologia Religiosa, I, 1957, (1), p.119-38. Nous devons & Carlo FALCONI quelques 6tudes remarquables, en particulier son ouvrage r4cent sur l'Eglise catholique en Europe, La chiesa e le organizzazioni cattoliche in Europa, Milan, Comunitd, 1961, bien qu'il s'agisse en r6alit6 plut6t d'un essai sur I'histoire de l'Eglise que d'une itude de sociologie religieuse.

(12) Soulignons cependant I'int6r~t de l'6tude d'Edvard VOaT, (c La definizione della sociologia religiosa a, Sociologia religiosa, I, 1957, 1, p. 9-20, qui a suscitd de nombreuses discussions en Italie.

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et qui depuis seulement 94 ans sont des bornes administratives (13) ? Combien ont pens6 qu'a Ferrare, quelques kilomatres seulement au sud de ces fronti~res, on s'est battu, pendant des sitcles de guerres sanglantes, contre les Etats de l'Eglise ? Comment ne pas se rappeler les dues d'Este, seigneurs de la region au sud du fleuve, qui ont it& pendant des si~cles des ennemis acharn~s du clerg~ et de l'Eglise ? Comment oublier que les naissances illigitimes 4tait tris rdpandues dans la region de Ferrare das le XIVe si~cle, a tel point que Hercule Ier d'Este, a cause du grand nombre d'enfants naturels qu'il avait eus, 4tait appel6 ((le pare de la patrie n (14)? Cela dit, on peut facilement conclure que l'irrdligiosit4 des provinces de la Romagne et de Ferrare revet un caractbre historique et prend ses origines loin dans le temps.

Ainsi toute tentative d'interpritation parait nettement insuffisante si elle se fonde seulement sur les donnies de la sociographie interprities dans un cerele restreint en alliguant toujours la grande proprietY, la propagation du marxisme, etc. I1 est vrai qu'au-dela du P6 la pratique du catholicisme atteint 85 a 90% et qu'en dea elle baisse, parmi les hommes, a 0 ou 5%, tandis que les enterrements civils atteignent 60 70% ; mais les mille annies pendant lesquelles une frontibre et deux politiques diff~rentes, ou m~me divergentes, ont sipari les deux rigions nous donnent une explication sinon exhaustive du moins plus complete que la grande

proprietL. Presque toutes les r~gions italiennes offrent de telles diff&- rences de caractbres; et chacune des nombreuses fronti~res anciennes, tras anciennes, qui se partagent notre plninsule pourrait 4galement servir d'exemple: pendant plusieurs siacles ceux qui franchissaient les Apennins entre Bologne et Florence, entre Genes et Milan, ont dii payer des droits de douane. 1l faut aussi parler des diffdrences ethniques et linguistiques. Tout Italien salt que le latin n'a pas rdussi a unifier, au point de vue ethnique, les peuples qui habitaient l'Italie avant Rome. Au Moyen Age, la force des dialectes r~gionaux a 6td inorme a cause de l'absen- ce d'une capitale nationale, comme Paris ou Londres par exemple. En ce temps-la Rome n'itait qu'une ville de province et ce qu'elle poss~dait d'universel ne regardait qu'en partie l'Italie et sa langue. Chaque dialecte a it6 un v~ritable fait national pour nombre de royaumes, de rdpubliques, de duchds qui formaient la fresque politique de l'Italie, et non pas un caractbre rigional et secondaire, tandis que l'italien 4tait une langue internationale pour diffdrents Etats. L'an- cienne frontibre ethnique, linguistique, politique, culturelle entre les pays habitis par les populations italiques et par les Gaulois ou Gallo-celtiques est encore aujourd'hui la ligne de ddmarcation entre les territoires habitis par les populations qui parlent des dialectes gallo-italiques (Pidmont, Lombardie, Emilie, Romagne, etc.) et celles qui parlent des dialectes italiques.

En conclusion on peut souligner ceci: que les diffdrences psychologiques, ethnologiques, culturelles, etc., jouent chez nous un r61e plus important qu'ailleurs. En d'autres pays on peut nigliger ou souligner avec moins de force ces m~mes diffdrences, sans que cela porte prdjudice a l'ensemble de la recherche; tandis qu'en Italie cela empacherait meme d'6baucher une enquate sociographique interprdtative dans un but scientifique. I1 faut aussi avoir recours au soutien des autres disciplines et a une interpenetration de diff~rentes disciplines, ce dont

(13) N'oublions pas non plus que c'est quasi certainement par cette m~me zone que passait, ddj& aux debuts de l'histoire, la ligne de partage entre les rdgions ethniques dtrusque et paleo- v~nitienne, puis, a l'6poque impiriale, la frontidre entre la Vdnitie et 1'Emilie et, enfin, au Moyen Age, celle entre Byzantins et Lombards. Une frontibre qui demeure done inchangde (sauf de breves interruptions) depuis la fin de la pr~histoire italienne jusqu'en 1866.

(14) I1 s'agit du mgme HIercule Ier d'Este qui le premier en Europe concut et realisa un plan d'urbanisation, connu sous le nom d'< addition herculeenne > de Ferrare.

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SOCIOLOGIE RELIGIEUSE ET SOCIOLOGIE DES RELIGIONS EN ITALIB

G. Le Bras affirme depuis longtemps la nicessitL. Cette interpinetration, i notre avis, est en Italie la condicio sine qua non de la recherche en sociologie des religions. Mais (et ceci est vrai pour toute sociologie des religions) ce qui est surtout n~cessaire est une ricapitulation des recherches r~alisdes par l'histoire des religions, de fa9on i partir avec precision des sources des ph~nomi~nes religieux actuels. Il est indispensable, par exemple, de tenter I'interpritation en termes de religiosit6 sociale, de la persistance de noyaux de religiosit6 chr~tienne active, B oii ii existait ddji des noyaux religieux palens. De telles d~marches auraient au d~but un caract~re de simple hypothise, mais elles deviendraient un soutien thdorique efficace si la recherche se ddveloppait systimatiquement, avec l'appui des compa- raisons nicessaires et des op6rations statistiques ou classificatoires. Pour ce qui est de l'Italie, il nous suffira de citer l'exemple du sanctuaire de Monte Vergine pros de Naples qui, autrefois, fut le but de phlerinages paiens dont I'origine se perd dans la nuit des temps, et qui est encore aujourd'hui un centre sacrd de grande importance. A partir de cela, on peut s'orienter vers la luxuriante reli- giositi des Osques (population italique prd-romaine qui habitait la region), dont on a des timoignages dans la grecque Neapolis, et qui existe encore chez les Napolitains, population qui a conserv4 beaucoup de ces caractbres.

A propos de ces rdgions d'Italie, surtout du Sud, oii des civilisations tris 6voludes se sont superposdes pendant des sitcles, ce n'est pas pur acad6misme que d'affirmer << qu'il est nicessaire de revenir sur le passe religieux des peuples dans le but de formuler quelques hypothises sur le futur de la socidtd religieuse et du sacra, et dans le but aussi de se rendre compte des hidrophanies prc6dentes d'oi ddrivent celles d'aujourd'hui >.

Ainsi nous connaissons cet esprit religieux qui 6tait farouche chez les Lucaniens, tr~s fort chez les Osques; nous pouvons contem- pler les Tables Palatines qui, i Mdtaponte, inspirirent la religiosit6 de Platon; nous pouvons admirer les tombeaux 4trusques de Tarquinies, en tirer des ddduc- tions, faire des rapprochements, nous pouvons distinguer et unir, remarquer des persistances et des changements. Cependant nous ne pouvons pas dans I'6tat actuel des choses, procider systimatiquement i cette 4tude qui serait une t~che trbs intiressante et originale pour la sociologie des religions en Italie, et qui n'a pas meme 4td dbauchde.

Pourtant, nous l'avons fait ddjs remarquer, l'Italie est i ce point de vue une des rares zones gdographiques qui, B cause des persistances ethniques, de la structure politique eonservatrice, de la continuit6 des civilisations, nous per- mette de remonter loin en arribre dans le temps et qui nous offre une documen- tation trbs abondante sur des 6poques B structure politique et culturelle assez complexe, done suffisamment homog~ne pour nous permettre, parfois, des com- paraisons. En considdration de cette stabilit6 B un niveau de civilisation dlev4 qui se ddroule pratiquement sans arrat depuis mille ans avant J~sus-Christ jusqu'5 l'6poque romaine, byzantine, au Moyen Age chritien, h la renaissance, aux temps modernes, notre pdninsule apparait comme un champ oh I'on pourrait ddvelopper en profondeur une recherche dont la richesse et la f~conditd des conclusions seraient pricieuses pour la sociologie des religions. Dans certaines zones de la p~ninsule, nous pouvons suivre les groupes ethniques dans l'dvolution de leur tonus religieux, de leur langue, de leurs mueurs, pendant presque trois mille ans (15) ! Il y a done un veritable trisor scientifique qui est encore & exploiter. Seule la recherche historique peut nous aider d poser les bases de la sociologie religieuse italienne; si nous voulons, pour ainsi dire, ddfricher le champ de la recher-

(15) C'est le cas notamment des peuples de la Vdnitie qui depuis la pr4histoire ont habit6 sans interruption la mSme rdgion, delimitde par des frontibres a peu prls immuables.

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che, nous sommes obliges d'avoir recours B l'histoire, d'essayer de connaitre la terre que nous avons h cultiver, d'stre conscients des differences fondamentales, profondes, parfois surprenantes, sur lesquelles se d~veloppe, dans ses nombreux aspects, la soci~td religieuse italienne. C'est seulement apris une recherche historique, que nous pourrons dire que nous poss~dons les 616ments ndcessaires A un dtveloppement coh6rent et h une interpretation exhaustive de notre recherche dans ce domaine.

b) Le milieu psychologique et le milieu economique et social.

Lorsque nous aurons une assez bonne connaissance de l'histoire de la soci~ti italienne et que nous aurons compris, h l'aide de la m~thode et des rapprochements dont nous avons parle, ce qui divise les Italiens, nous devrons essayer de comprendre ce qui les unit, de repdrer les 6l1ments humains et religieux, psychologiques et de comportement, qui, ensemble, forment une sorte d'homo italicus. Celui-ci, dans les crises religleuses et dans les manifestations de ferveur, dans l'irrdligion et dans la superstition, donne un ton unique h la dynamique religieuse italienne. C'est au sociologue d'arriver ensuite i une connaissance synth&- tique de l'homme. Cependant, et il faut le dire tout de suite, les types italiens sont au moins deux celui dont la personnalit6 et la psychologie sont tournies surtout vers la Mdditerrande, qui a vu le flux des mardes islamiques, la Sicile envahie pendant longtemps par les Arabes, qui sent dans les ports, dans la cou- leurs des villes des autres pays de la Mdditerrande la m6me chaleur psychologique; et celui qui est tourn6 vers le Nord, vers le reste de l'Europe et qui pendant un nombre illimit6 d'arnnes a vu, presque h chaque printemps, ses fronti~res violdes, d'abord du sud au nord, ensuite, depuis la d~chiance de Rome, presque toujours du nord au sud : par les Allemands, surtout, mais aussi les Frangais, les Espagnols, les Hongrois, les Autrichiens... Le caractbre de ce deuxibme type est essentiellement froid; le caract~re du premier est plus ardent, d'une religiosit6 luxuriante, folklorique. Le premier habite dans le Midi, le second dans les plaines du Pa. Ce sont deux hommes diffdrents, done, mais un scepticisme profond les unit, qui leur vient de leur nationalit6 incertaine (d'un c6t6 ils ne sont pas Italiens, mais d'un autre ils le sont) et des nombreux dl1ments dont nous avons parlh et qui tous ensemble contribuent i crier le type italien. Ce type que presque personne n'a r~ussi, en principe, i faire pratiquer avec conviction une iddologie, ume religion, une foi politique. L'homme du type italien s'empare, avec d'autres aspects de la culture frangaise, de I'anticlhricalisme, mais il ne traduit presque jamais en action ses sentiments; il jure contre la religion et contre l'Eglise, mais il lui donne sa voix.

I1 existe cependant un autre aspect de la soci6t6 italienne, d'une plus grande

actualite, qui est essentiel a l'examen social et religieux de notre socift6 et que nous effleurerons seulement: la rivolution industrielle, qui, bien qu'en retard vis-i-vis des autres pays du centre et du nord de l'Europe et surtout de l'Am~rique, a connu apris la guerre un essor qu'autrefois on n'aurait pu imaginer. La production industrielle a augment6 de presque 100% en 7 ans, et rien qu'en 1960 I'augmenta- tion a t~t de 15,3% : il s'agit du taux de dbveloppement le plus Alev6 de l'Europe et peut-stre du monde, si l'on excepte la Chine populaire. La production de l'acier a augment6 de 2 millions de tonnes des anndes avant la guerre jusqu'i 8 millions de tonnes en 1960, avec une consommation de plus de 9 millions de tonnes. On prdvoit que, si ce rythme continue, le niveau de la production industrielle fran- Saise d'aujourd'hui sera atteint dans cinq ou six ans, alors que notre retard, 6tait de cinquante ou soixante annaes.

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SOCIOLOGIE RELIGIEUSE ET SOCIOLOGIE DES RELIGIONS EN ITALIE

Les transformations que ce ddveloppement provoque sont assez importantes : des millions d'Italiens passent de l'agriculture g I'industrie et aux activitis tertiaires, du sud au nord, des campagnes & la ville, crrant des transformations trbs vastes h tous les niveaux. Il y a un changement persistant des besoins et des intdrats religieux individuels aussi bien que des personnalitis de base, du niveau culturel, du degr6 d'instruction, etc., et les quelques donnies dont nous disposonls nous le confirment. Il y a aussi une autre transformation: celle que subissent les int~rets politiques et iconomiques, ainsi que les systimes religieux eux-mbmes dans leur sein. Tout cela signifie que nous sommes en presence d'une profonde crise religieuse, bien connue des sociologues, qui a d~j& conduit plusieurs r6gions d'Italie & une situation oh la religion est plus affaiblie qu'en auculle rigion de la France. Le lafcisme se diffuse done, ainsi que l'irrdligion, suivant les succs de la revolution industrielle (16). Mais que savons-nous de ce phgnomine? Peu ou rien; car on n'a pas assez fait dans le but d'avoir un examen exhaustif de la socidt6 italienne sur un plan de sociologie religieuse. Cela est trbs grave car, ividem- ment, du fait meme d'une telle transformation des structures, on assiste & la disparition de quelques phinombnes trbs int~ressants qu'& I'avenir on ne pourra plus examiner. Dans des cas assez nombreux, I'insuffisant d~veloppement de la sociologie religieuse italienne est en train de provoquer des pertes irrdparables.

Conclusion.

La sociologie des religions n'a pas fait beaucoup sur le plan historique, ni sur le plan psychologique, ni m~me sur celui de l'4tude de la dynamique religieuse en rapport avec la r~volution industrielle et en rapport avec diff~rents problkmes que nous avons & peine effleurds. Si l'on devait rdsumer en peu de mots les lacunes de notre discipline, il faudrait dire avant tout qu'elle pitit d'une carence de senti- ment de I'histoire (ce qui est peut-~tre le reflet du manque gindral de sens historique qui afflige toute la sociologie italienne, profond~ment influence par la sociologie ambricaine). Ensuite, il lui manque une vision de l'homme en tant que personnaliti globale ins6rde dans un contexte social aux aspects multiformes. L'homme, pour notre sociologie des religions, est un individu social, au sens le plus restreint du mot, et rien d'autre. Les problkmes de la psychologie, du langage, du folklore, de l'anthropologie, etc., sont loin, et ne sont appel~s que peu et sans conviction & donner leur apport au d6veloppement de la recherche scientifique. Cela riduit les possibilitis et l'essor de la sociologie religieuse qui, en Italie, aurait justement les plus amples chances de se divelopper, en raison de la richesse, de I'originalit6, de l'itendue de ses objets. Ce ddveloppement pourrait suivre plusieurs idles directrices. D'abord, & travers la recherche & un niveau m6thodo- logique, en profitant de ce qui a 4ti fait dans les autres pays; en essayant, ~tant donna la richesse du theme, la plus complbte integration entre les diffdrentes disciplines; en favorisant leur intervention au point de vue de la recherche et de la coordination thdorique. Ensuite, il serait possible de d~velopper la recherche historique, ethnologique, etc., en vue du travail & accomplir dans un domaine qui s'est rivl6 extr~mement fertile en sociologie des religions. On pourrait en outre chercher & diceler, & l'aide de la psychologie et de la psychologie sociale, les traits caract6ristiques de I'homme, ou mieux, des hommes qui vivent sur ces terres, soit & l'4chelle rigionale, soit & une ichelle plus 6tendue. Ensuite, il serait utile d'observer les traits essentiels de la grande rdvolution industrielle qui a lieu dans notre pays, d'en 4tudier les cons6quences sur la sociologie religieuse, m~me

(16) Fait facile A constater et qui n'implique de notre part aucune adhesion a un determi- nisme, A une confusion entre conditions sociales et causes n6cessitantes.

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en rapport avec ce qui se passe dans les autres pays. Enfin, mais seulement alors, il serait possible de tirer parti de la sociographie, de tracer une carte, m~me partielle, de la religiosit6 en Italie, et d'arriver ~ une interpretation synth~tique de cette carte et de la pratique religieuse, i l'aide des instruments dont nous avons parl6.

Ce programme, ces possibilitis ne sont rdalisds qu'en partie. Sur le plan m~tho- dologique on a ddji~ avanc6 ; au niveau sociographique, presque tout reste i faire, eu 6gard aux possibilit~s existantes. Ce maigre bilan n'accuse personne: notre responsabilit6 en ce domaine est collective. Et nous avons 4crit les noms de quelques hommes, clercs ou laiques, qui autorisent notre espirance.

S.S. ACQUAVIVA.

Universitd de Padoue.

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Sociologie religieuse et sociologie des religions en Italie