24

SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Avez-vous l’impression que les médias s’intéressent seulement aux préoccupations des autres générations ? Les accommodements raisonnables, la guerre en Irak, la montée de la droite religieuse, l’insécurité sont-ils des sujets que vous auriez abordés complètement différemment ? Quand nous avons décidé de mettre sur pied un groupe de réflexion sur l’avenir de notre société, il était devenu urgent de nous rassembler afin de prendre notre place au sein des médias. Au moyen d’une publication trimestrielle, d’un site Internet et d’un blogue, nous voulons offrir une tribune à notre génération (25-35 ans). Il faut nous rassembler et prendre la parole si nous voulons que nos élus mettent à l’ordre du jour des enjeux qui nous préoccupent. Sans parti pris, sans but lucratif et apolitique, Génération d’idées n’est qu’un outil pour y arriver, dont nous espérons que vous profiterez. Par la génération d’idées provenant de tous les horizons, nous sommes d’avis que les

Citation preview

Page 1: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

COUVERTURE C1-C4-LOW.qxd 5/13/08 2:46 PM Page 1

Page 2: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Une idéeà laquelle

on a donnéune mission

Nous sommes un groupe qui discute, réfléchit et prendposition devant les nombreux défis auxquels la sociétéquébécoise et canadienne fait et fera face dans l’avenir. Noussommes une organisation à but non lucratif, indépendanteet non part isane.

Nous partageons la volonté d’avoir un impact positif sur notresociété et cherchons à y jeter un regard nouveau. Noussommes convaincus de la nécessité de s’impliquer au sein dudébat public.

Conscients de l’apport de la diversité et de l’ouverture auxautres, nous prônons le respect envers les opinions divergenteset croyons en la créativité et l’innovation qu’elles engendrent.Nous croyons que l’échange et la mise en commun de pointsde vue généreront des idées nouvelles qui mèneront à unprojet de société.

Nous sommes ouverts d’esprit et examinons chaque question entenant compte des différents points de vue, sans parti pris aupréalable.

Nous faisons partie de la génération montante et désirons offrirà cette génération un espace dans lequel elle peut s’affirmer.Nous voulons également bâtir un pont entre notre générationet celles qui la précèdent .

01 Présentation // Gedi02 Article de Paul St-Pierre Plamondon // Préface de Marc Lalonde04 Article de Mélanie Joly // Préface de Jean Leclair06 Article de Jean-David Tremblay-Frenette // Préface de André Saumier08 Article de Noémie Dansereau-Lavoie // Préface de Serge Bouchard10 ÉDITORIAUX12 Article de Pauline Ngirumpatse // Préface de Daniel Weinstock14 Article de Philippe-André Tessier // Préface de Lorraine Pagé16 Article de Stéphanie Raymond-Bougie // Préface de Claude Béland18 Article de Stéphanie Vig et Grégoire Webber // Préface de André Pratte22 Article de Philippe Santerre // Préface de David Levine

www.generationdidees.ca

ISSN // 1916-8381Dépôt légal // 2e trimestre 2008 // Bibliothèque nationale du Québec //Bibliothèque nationale du CanadaConception graphique // GODRODESIGN // www.godrodesign.comCrédit photo de la couverture // www.jeanmalek.com

Tous droits réservés. Dans Génération d’idées, la forme masculine désigne, lorsque le contexte s’y prête, aussi bien les femmes que les hommes. La rédaction se réserve le droit de ne pas publier un texte soumis ou de le réduire. Les textes publiés ne réflètent nullement l’opinion de la rédaction, ni de Génération d’idées, mais bien celle de leurs auteurs. Les textes signés GEDIn’engagent que les fondateurs de Génération d’idées.

Fondateurs : Paul St-Pierre Plamondon, Mélanie Joly et Stéphanie Raymond-Bougie

GÉNÉRATION D’IDÉES

COUVERTURE C1-C4-LOW.qxd 5/13/08 2:46 PM Page 2

Page 3: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Parce quenotre

avenirnous

préoccupe,prenons

position etparticipons

à notregénération

d’idées

Avez-vous l’impression que les médias s’intéressent seulement aux préoccu-pations des autres générations ? Les accommodements raisonnables, laguerre en Irak, la montée de la droite religieuse, l’insécurité sont-ils des sujetsque vous auriez abordés complètement différemment ? Quand nous avonsdécidé de mettre sur pied un groupe de réflexion sur l’avenir de notre société,il était devenu urgent de nous rassembler afin de prendre notre place au seindes médias. Au moyen d’une publication trimestrielle, d’un site Internetet d’un blogue, nous voulons offrir une tribune à notre génération(25-35 ans). Il faut nous rassembler et prendre la parole si nous voulons quenos élus mettent à l’ordre du jour des enjeux qui nous préoccupent. Sansparti pris, sans but lucratif et apolitique, Génération d’idéesn’est qu’un outil pour y arriver, dont nous espérons que vousprofiterez. Par la génération d’idées provenant de tous les horizons, noussommes d’avis que les meilleures idées jailliront.

Nous aurons plusieurs défis à relever : trouver des collaborateurs variés et ce,dans tous les sens du terme, sortir du milieu juridique (les 3 fondateurs sontavocats !), susciter l’intérêt des plus sceptiques et surtout ne pas rester au stadede la critique mais élaborer des pistes de solutions ou des alternativesaux solutions qui ne nous conviennent pas. Armé d’un sens profond del’urgence de l’état de notre société, Génération d’idées est prêt, avec vous, àrelever ces défis.

Cette première parution est le fruit du travail acharné des fondateurs,collaborateurs, mentors et de tous ceux qui croient à la mission deGénération d’idées. Nous espérons que vous allez vous approprier cettepublication, le site Internet www.generationdidees.ca ainsi que leblogue et nous faire part de vos commentaires tant sur le fond desarticles que sur la forme du projet.

Que la force soit avec vous

GEDI

Génération d’idées est né de l’investissement en temps, en énergie et en réflexion d’une panoplie de personnes passionnées. Le projet est également le fruit de nombreux conseils,rencontres impromptues et discussions animées.Voilà pourquoi nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de GEDI : Anik Trudel, Manon Roberge,Annick Gaudreault, Isabelle Lessard, Louis-Edgar Jean-François, Didier Jutras-Aswad et Alexia Jensen. Merci à tous nos collaborateurs, mentors, artistes et donateurs qui croient en ce projet.Merci également à toutes les personnes qui nous sont chères et qui nous entourent.

01

BROCHURE GEDI_FINALE.qxd 5/6/08 7:09 AM Page 1

Page 4: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

« Je me demandesi les jeunes

de leur générationseront au

rendez-vousauquel ils sont

conviés. »

Lorsque je tente de qualifier l’initiative Génération d’idées,c’est le titre du recueil de nouvelles de William Saroyan, « ThreeYoung Persons on a Flying Trapeze », qui me revient en mémoire.

Lancer une nouvelle revue dans le contexte actuel demande de l’audace et,de toute évidence, les trois personnes concernées n’en manquent pas, d’autantplus que leur tribune se veut rassembleuse, non partisane et libérée de touteidéologie officielle. J’applaudis leur initiative mais je me demande si lesjeunes de leur génération seront au rendez-vous auquel ils sont conviés.Je l’espère sincèrement mais eux seuls ont la réponse.

Je comprends le scepticisme que les jeunes entretiennent à l’égard del’engagement au sein de partis politiques et, heureusement, ils n’ont aucuneobligation de s’engager. J’ai toujours pensé qu’il est très souhaitable qu’unjeune apprenne à gagner sa vie et à payer des impôts avant de commencer unecarrière politique. Par ailleurs, la politique, comme la physique, a horreurdu vide. Si les gens qui veulent contribuer au bien commun etau progrès de leur société se tiennent à l’écart du mondepolitique, d’autres sauront prendre leur place, souvent pour desmotifs moins nobles.

Je reconnais cependant qu’au Québec, la politique a trop longtemps semblésupplanter tout le reste. À l’instar de Paul Plamondon, j’espère seulementque le refus de l’embrigadement n’enfermera pas la jeunegénération dans l’individualisme et l’inaction. L’écriture demeure unextraordinaire instrument de changement et de progrès social; je souhaite àGénération d’idées de devenir la plate-forme où s’affronteront les projets lesplus divers élaborés par ceux qui sont appelés à nous remplacer.

Marc Lalonde

02

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 2

Page 5: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

La finde la guerre

des clansQue l’on pense à l’opposition entre souverainistes et fédé-ralistes, aux querelles entre syndicat et patronat, ou à latraditionnelle dichotomie entre partis bleus et partis rouges,

en passant par la rivalité entre les régions et les grands centres,les 30 dernières années ont été le théâtre d’affrontements répétés entre desgroupes représentant des idéologies et des projets opposés. Plusieurs deces idéologies ont porté le nom de « la cause » au sein de ces groupes, ce quitémoigne bien du degré d’identification et d’engagement des membres deces groupes, de même que d’un certain manque de recul par rapport à eux.Bien que cette polarisation ait contribué à façonner le Québec d’aujourd’huiet encouragé la participation de milliers de personnes dans l’espace public,elle a aussi coûté cher en temps, en instabilité et en manifestationsde toutes sortes. Pour plusieurs jeunes, le bénéfice retiré de cesguerres de clans demeure nébuleux.

Mais voilà qu’il manque de soldats à la guerre desclans. Souverainistes et fédéralistes cherchent péniblement àrecréer de l’engouement, les partis politiques mettent en placedes stratégies pour tenter de recruter et d’intéresser des jeunes, ettant le syndicat que le patronat sont surpris de l’approche tempé-rée et détachée des nouveaux venus en milieu de travail.Plusieurs babyboomers dénoncent le flegmatisme, le laisser-alleret même la paresse de la nouvelle génération. Pourtant, dans lesfaits, les jeunes sont très actifs dans plusieurs domaines : lessignes de cette participation sont évidents, particulièrementen environnement, en développement international et dans lesorganisations à but non lucratif. Nous choisissons donc lesthèmes et les questions qui nous tiennent à cœur et nous nousengageons en ce sens, sans pour autant faire preuve de loyautéenvers une bannière ou une organisation et épouser tout ce quien découle.

L’absence de regroupement collectif et le caractère quelquepeu invisible de notre génération peuvent également êtreexpliqués par d’autres facteurs. D’une part, nos moments libres sont comptésdans la mesure où nous sommes sollicités de toutes parts et où notre emploiprend beaucoup de notre temps. Bien des jeunes ont le sentiment d’êtreconstamment bombardés d’information sans jamais avoir le temps d’agir,ni même de réfléchir. D’autre part, il est fort possible que les véhicules tradi-tionnels de regroupements collectifs, tels les partis politiques, ne conviennentpas aux caractéristiques de notre génération. Le post-matérialisme, le sentimentde sécurité et l’ouverture d’esprit qui animent notre génération entraînent unesaine méfiance envers la partisannerie, les lignes de parti rigides et le dogmeen général. Nous préférons nettement un environnement où laliberté de pensée et la diversité idéologique sont permises etvalorisées. Craignant moins l’opinion divergente, nous ressentons peu lebesoin de nous unir avec ceux qui pensent comme nous.

Le danger de ce libéralisme qui nous caractérise, c’est qu’il dérape versl’individualisme et l’inaction. Au moment où l’endettement, le vieillissementde la population et d’autres problématiques sont à nos portes, nous devonsnous responsabiliser, et cette responsabilisation doit passer par un regrou-pement collectif permettant l’échange et la mise en chantier de projetscommuns. La créativité, l’innovation et les projets ne naissent pas en vase clos.Il était donc essentiel de trouver un véhicule qui respecte nos contraintes detemps et qui soit à l’image de nos valeurs.

Au cours des dernières années, les projets open source ont fait des miracles.Ces projets reposent sur la contribution volontaire et gratuite des participants.Ceux-ci choisissent tant leur domaine que leur degré de participation, et lecontrôle exercé sur leur contribution est minime. Ces véhicules sont surtoutextraordinaires en ce qu’ils rassemblent sous un même projet des gens ayantdes nationalités, des valeurs et des opinions différentes, mais qui ont tous lavolonté de contribuer à un projet commun. Outre des exemples de projetstels Wikipédia et Linux, les domaines de l’entrepreneuriat social et dudéveloppement international regorgent de projets dont la réussite découleavant tout d’une multitude d’individus sur lesquels aucun dogme, lignedirectrice ou organisation précise du travail n’est exercé.

Je déclare donc la fin de la guerre des clans et le départ d’une nouvelle plate-forme à notre image. J’invite les 25-35 ans à générer les idées qui nousdéfiniront dans 20 ans. La liste des secteurs dans lesquels on peut agir estillimitée, et la diversité des opinions exprimées sera au rendez-vous, car noussommes convaincus que de la rencontre de ces idées naîtra l’innovation.

Paul St-Pierre Plamondon

« J’inviteles 25-35 ans

à générer les idées qui nous définiront

dans 20 ans»03

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 3

Page 6: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

04

« Ce que proposel’auteure, c’est donc

une formed’individualismequi rend possible

la vie à deux,ou même

à plusieursmillions. »

Dans son court essai, Mélanie Joly relève le défi qui consisteà cerner l’ineffable « identité » de sa génération. Une géné-ration qui, selon elle, accepte de manière radicale la différence de tout

un chacun et pour qui la « centralité du soi » envisagée sous l’angle del’autodétermination personnelle s’ouvre sur un « besoin de contribuer àsa société ».

Sans le vouloir, Mélanie Joly marche sur le sentier tracé par la psychanalyse.La « sortie de la névrose », c’est-à-dire la juste compréhension de soi,nous permettrait, une fois affranchis de nous-mêmes, de mieux nous ouvriraux autres. Ce que propose l’auteure, c’est donc une forme d’individualismequi rend possible la vie à deux, voire à plusieurs millions. Cette indispensablequête de sens individuelle ne pourrait-elle pas, comme l’espère l’auteure, êtretransposée à l’échelle collective ?

Cette approche, si rafraîchissante soit-elle, n’est pas pour autant naïve, et jesouhaite sincèrement que les contemporains de Mélanie Joly la partagentréellement. Toutefois, cette centralité du soi ne risque-t-elle pas d’entraîner unsentiment d’indifférence à l’égard d’autrui ? Tocqueville disait : Je tremble,je le confesse, que [les citoyens] ne se laissent enfin si bien posséder par unlâche amour des jouissances présentes, que l’intérêt de leur propre aveniret de celui de leurs descendants disparaisse, et qu’ils aiment mieux suivremollement le cours de leur destinée que de faire au besoin un soudainet énergique effort pour le redresser. Espérons que, comme le souhaiteMélanie Joly, la génération à laquelle elle appartient trouverala force de combattre l’inertie qui nous guette tous.

Jean Leclair

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 4

Page 7: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Le « nous » nous a récemment beaucoup préoccupés auQuébec. Politiciens et intellectuels ont tenté de nous définir

collectivement. Or, ma génération semblait manquer à l’appel. Parlons-en de ma génération, comme chantait The Who. Afin de

comprendre nos comportements, parlons de qui nous sommes, de commentl’on se perçoit, de ce qui nous anime. Après mûre réflexion, tout cela se tient entrois temps. Trois énoncés qui lancent le débat. Parlons surtout d’un change-ment de paradigmes. Parlons du nous. Parlons du moi.

Tout d’abord, notre génération ne veut pas être déterminée par quiconque.Nous voulons tous nous déterminer nous-mêmes. En d’autres mots, le « nous »des jeunes québécois se forme avant tout par la création du « moi ». Voilà doncle premier postulat : chaque individu veut s’autodéterminer.Cessez le discours trop définissant collectivement, chacun se détermine selonson cadre, selon sa perception. C’est pourquoi ma génération accepte queses membres soient tous uniques. Étrangement, c’est ce qui nous unit. Unecommunion d’esprits différents, qui exigent d’être respectés pour ce qu’ilssont, pour ce à quoi ils adhèrent.

Si vous tentez de nous définir, les membres crieront que nous ne pouvonsêtre définis, que nous sommes tous distincts. Et c’est vrai. Nous le sommes.Cette tentative de généralisation, qui se veut ironiquement une tentatived’explication de qui nous sommes et de comment nous pensons, m’amèneinéluctablement à la même réponse : je ne peux définir un ensemble composéde « touts » si uniques. Appelez cela le triomphe de l’individualisme, celaimporte peu. L’individualisme passe par la liberté de choix et l’autonomiemorale. Mais à cette liberté et à cette autonomie s’ajoute cette distinctionnécessaire entre semblables. Nous sommes libres de nos choix,autonomes dans notre moralité, mais même si nous faisionstous les mêmes choix et avions la même moralité, nous serionstous intrinsèquement différents. Notre génétique et notre vécu font denous des particules différentes composant un tout.

Nécessairement, cette autodétermination est l’essence même de la liberté.Une personne qui se définit activement est en harmonie avec ses choix.Elle peut donc donner aux autres sans se nier elle-même. C’est en soi uneformidable manière d’assurer la paix sociale. Or, notre génération épouseégalement des valeurs collectives. Elle veut transporter cette individualitédans la communauté.

Ainsi, détrompez-vous, nous ne sommes pas un tout mouvant et qui ne peutêtre saisi, déresponsabilisé, sans cause commune célèbre et sans porte-étendard souillé. Plutôt, notre individualité conditionne nos interactions. Unechose est donc claire pour nous : chacun peut contribuer. Cette possibilitéest la base même de notre compréhension du monde, de nos interactions.Second postulat de ma génération : une fois déterminé,l’individu ressent le besoin de contribuer à sa société.C’est cette contribution qui nous fait vibrer, qui nous motive, qui conditionnenos choix. Nous avons non seulement le désir, mais le besoin de recréer notremonde, qu’il soit ici ou ailleurs. Les époques ont toutes connu leurs héros.L’archétype de notre génération n’a pas de nom, mais il est accessible : c’estcelui ou celle qui voyage à travers le monde, entre en contact avec d’autresréalités et contribue à résoudre les enjeux planétaires.

Nous le savons : de tous temps, les générations ont rêvé. Mais nous, nousvoulons réaliser nos rêves. Nous sommes exigeants : nous voulons atteindrenos idéaux, nous dépasser. Tout de suite. Sans attendre Liberté 55. Non pas parimpatience, mais par pure quête de sens. Par le fait de contribuer, chaqueindividu se rapproche de son monde idéalisé. Voilà pourquoi notrecontribution est partie intégrante de notre raison d’être.(troisième postulat). Nous cherchons des projets qui nous interpellentet où l’on réclame notre participation.

Ces trois postulats nous amènent à refuser tout groupe trop définissant,à fuir toute plate-forme trop polarisante. Voilà pourquoi la structuresociopolitique actuelle ne nous convient pas. On se choisit des opinionstaillées sur mesure, sans égard aux programmes établis. On refuse le « nous »organique où l’organe impose une définition à ses membres. Pourquoi ?Parce que notre façon de nous définir s’inscrit également dans un contexteparticulier où les problèmes qui nous guettent devront être solutionnéscollectivement. Nul besoin des grandes déchirures sociales d’antanpour améliorer notre sort. Notre contribution implique un lien fortavec autrui, peu importe l’âge, l’origine ou le bagage culturel, qui permettraultimement d’aboutir aux solutions recherchées. Nous nous activons à mettresur pied les véhicules qui permettront la réalisation de ces solutions.

C’est pourquoi, chacun détermine sa voie. Nous voulons, individuellementet collectivement, notre voie. L’individu en appelle au collectif. Nous assistonsà un changement de paradigmes. Alors qu’autrefois c’était par la formationdu « nous » qu’au Québec on s’identifiait, c’est par la création du « moi »que l’on se valorise désormais. Mais, ne vous y trompez pas, notre désirintense de contribuer est essentiel à notre quête. Ainsi, il y a du nous enmoi.

Qu’on se le dise : notre génération ne nie pas le « nous » québécois, elle ledéfinit autrement.

Mélanie Joly

Du nousen moi

«Qu’on se le dise :notre génération ne nie pasle «nous »québécois, elle le définit autrement. »

05

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 5

Page 8: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

06Crédit photo // www.anothersidewalk.tv

Rares sont les Montréalais qui, après une première visite enAsie, ne reviennent pas impressionnés par la croissance

spectaculaire des grandes villes de la région : Pékin, Shanghai,Bangkok, Kuala Lumpur, Séoul, Jakarta, Singapour, Saigon, et j’en

passe, toutes des villes que je connais assez bien. Le contraste entre les forêtsde grue que l’on observe et leur absence quasi-totale à Montréal crée unepénible impression de stagnation chez nous et suscite des comparaisons quine sont pas flatteuses ou rassurantes. Ces interrogations sont légitimes etutiles, car elles nous amènent à scruter notre situation d’un œil critique aulieu de la croire inévitable ou la seule possible. Il faut cependant placer toutcela dans le contexte approprié.

L’extraordinaire croissance des grandes villes d’Asie présente en effetdeux caractéristiques importantes qu’il ne faut pas perdre de vue. Primo,elle découle essentiellement du développement économiqueaccéléré de ces régions, qui alimente à son tour la croissance(pour ne pas dire le gigantisme) de leurs métropoles respectives.Ce phénomène repose pour une part importante sur le défoulement rapideet soutenu de l’énorme demande contenue (pent-up demand) de leurspopulations, qui vivaient jusqu’à récemment dans une pauvreté aussi dureque générale. Cette pauvreté n’a pas disparu, loin de là.

Nous assistons toutefois depuis quelques années à une explosion des classesmoyennes, qui exhibent toutes une insatiable soif de biens de consommationde toutes sortes, dont elles étaient complètement privées jusqu’alors et qu’ellespeuvent maintenant –enfin !– se procurer. Elles le font avec un enthousiasmeque nous ne connaissons plus, car nous avons dépassé ce stade depuisplusieurs générations. Cette croissance des classes moyennes d’Asie n’est passur le point de s’essouffler. Le développement économique s’accompagne enoutre, en Asie comme ailleurs, d’une urbanisation rapide et grandissante, quivient nourrir encore davantage la croissance des grandes villes.

Deuxio, il faut remarquer que ces métropoles sont dansl’ensemble de fort piètre qualité. La rapidité de leur développement etle fait qu’elles se trouvent dans des pays qui sont pour la plupart pauvreset donc dotés de ressources financières faibles (et doivent combler des besoinsélémentaires pressants), font en sorte que les infrastructures n’ont en généralpas suivi.

Ainsi, Singapour est l’une des très rares grandes villes d’Asie, hors Japon,dont l’eau du robinet est vraiment potable. Les égouts à ciel ouvert foisonnent,les déchets s’accumulent dans les rues et on en dispose de façon erratique. La pollution atteint des niveaux intolérables et compromet la santé desrésidants. Les hôpitaux et les écoles sont dans un état lamentable. La qualité del’habitation, et la qualité de vie en général, sont nulles pour l’immensemajorité des résidants de ces métropoles. L’ampleur des problèmes et larapidité soutenue de l’urbanisation font en sorte qu’il demeure difficile deprévoir des améliorations significatives, sur ces divers plans, dans un procheavenir : la situation de ces métropoles risque donc de se détériorer davantageavant de s’améliorer.

En comparaison, notre propre croissance qui est lente (mais a déjà été trèsrapide), a un coût et on peut légitimement déplorer que trop de choses soientchez nous inutilement compliquées ou sujettes à une réglementationenvahissante. Elle n’a cependant pas que des conséquences néga-tives: elle nous permet un cadre et un mode de vie qui, sansêtre parfaits, n’en feraient pas moins l’envie de ceux et cellesqui essaient vaille que vaille de survivre dans les métropolestentaculaires d’Asie. La qualité de ce cadre de vie n’est cependant pas undroit acquis : il nous faut veiller sans relâche à son maintien, qui dépend à sontour de la vigueur de notre économie.

André Saumier

« Notre propre croissance qui est lentea un coût et on peut légitimement déplorer

que trop de choses soient chez nousinutilement compliquées.»

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 6

Page 9: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

L’immobilismeéconomique

québécois devantles grands projets :

suis-je mégalomane ?

J’ai séjourné quelques jours en Asie en novembre dernier,entre autres à Macau. À mon retour au Québec, je me suis

demandé si j’étais mégalomane. Dans le taxi, j’affichais une minesombre en songeant à l'effervescence qui anime Macau et au développementextraordinairement rapide de son industrie du jeu et des casinos. En effet, lecontraste entre les acteurs en présence est frappant : d’un côté Macau, avec sesgrues et soirées d'ouverture d'hôtels innombrables, ses salles de spectacles etses nouveaux casinos où fourmillent des milliers de touristes en provenance de Chine continentale, affiche un dynamisme à faire pâlir d'envie Las Vegas,et de l’autre, Montréal, aux prises avec ses sempiternelles querelles de clocher

sur la mise en oeuvre de grands projets porteurs de richesse économique.Ces tergiversations ont entraîné l'abandon du projet de relocalisation duCasino de Montréal au bassin Peel et, par ricochet, la mise au rancart duprojet de salle de spectacle permanente du Cirque du Soleil qui auraitconstitué un attrait touristique majeur pour le Québec.

Lorsque l'on songe au fait que 50% des visiteurs au Canada se rendent dansles casinos 1 et que près de 100 millions de Chinois qui ont un pouvoir dedépenser grandissant vont, au cours des quinze prochaines années, voyagerpartout dans le monde, on ne peut que déplorer la perte économique quereprésente le retrait de ce projet par Loto-Québec et le Cirque du Soleil.L’immobilisme est probablement à l’origine de cette situation et nous avonsperdu une occasion inespérée de commencer la revitalisation des bergesdu Saint-Laurent imaginée par la Société du Havre. Malheureusement, lesexemples d’abandon ou de report de dossiers ont été nombreux récemment:échec des projets du Suroît, du port méthanier de Rabaska, du nouvelemplacement du CHUM à Montréal, etc.

Selon nous, rêver d'une société québécoise avant-gardiste à différentsniveaux, où la richesse économique ferait progresser toutes les formes desavoir et qui constituerait le véritable foyer d’une social-démocratie donttous les leviers économiques seraient maîtrisés, ne relève pas de la foliedes grandeurs. Dans le passé, nous avons su nous distinguer etréaliser de grands projets aux retombées économiques

majeures. Pensons, par exemple, à l’aménagement du complexe hydro-électrique de la Baie James, à Expo 67 et, plus récemment, à la GrandeBibliothèque, au Quartier international de Montréal, au projet de complexerécréotouristique dans Charlevoix et au futur Quartier des spectacles ducentre-ville de Montréal.

Je ne peux que joindre les rangs de ceux qui dénoncent une certaine inertiequi a cours au Québec (dixit Gilbert Rozon 2). La recherche du consensussemble limiter notre potentiel de développement. Nous ne voulons pasaccréditer l'idée que les regroupements sociaux, qui sont à la fois des acteurs,des témoins et des gardiens privilégiés de la réalité sociale et environne-mentale dont notre société démocratique a ardemment besoin –réalité quipourrait, à l'occasion, échapper aux décideurs économiques– sont des« empêcheurs de tourner en rond ». Cependant, nous devons mieux encadrerl'intervention des divers groupes d'intérêt: nous sommes favorables à ladémocratie représentative mais pas à n'importe quel prix. Il faut, comme lesuggère le document publié par la Fédération des chambres decommerce du Québec 3, revoir certains des mécanismes décisionnels relatifsaux grands projets économiques communs. Par contre, nous n’appuyonspas la suggestion faite dans le mémoire de créer une nouvelle instancedécisionnelle comme une agence d'analyse économique. Nous devrionsplutôt miser sur les compétences existantes et mettre sur pied un comité de« sages de l’économie » chapeauté par les têtes pensantes du MDEIE 4 dansle cadre des analyses qu’il effectuera.

En pratique, Montréal est le moteur économique du Québec. En somme,« quand Montréal va, tout va ». Aussi, faire en sorte que Montréal soitperçue comme une ville de niveau international doit redevenir notrepriorité. Depuis l'Antiquité, une métropole forte a toujours été l'apanage dessociétés qui possèdent les moyens de leurs ambitions économiques et sociales.

Montréal qui a été désignée « Ville UNESCO de design » cache bienles cartons qui devraient contenir les plans des nouveaux ensemblesimmobiliers d'envergure destinés à faire honneur à cette distinction. De plus,Montréal, avec les quatre universités qu’elle abrite, devrait devenir uneplaque tournante de l'industrie biomédicale.

Il faut évidemment agir de manière raisonnée et précautionneuse en gardantà l’esprit le principe de l'écrivain financier Nicholas Taleb selon lequel toutprojet comporte une part de risque et sa métaphore du « cygne noir », soit unévènement extraordinaire et imprévisible qui peut changer le cours d’un projet(par exemple : le dépassement des coûts du prolongement du métro à Laval).Mais, plus que cela, il faudrait parler du coût de renonciationassocié à la non-réalisation de ces grands projets.

Jeunes et moins jeunes doivent maintenant s’engager sur le chemin sansretour de la prospérité, qui nous permettra d'investir dans des domaines quinous tiennent à coeur comme l'éducation et la santé. Tous ensemble pour unQuébec à l'avant-garde !

Jean-David Tremblay-Frenette

1 // Euromonitor, Travel and Tourism in Canada, avril 2005, 120p., pages 87,88,89 et 93.2 // « Dans l'antichambre de l'amertume », Fabien Deglise, Journal le Devoir, 11 juillet 2007.3 // « Échec aux projets créateurs de richesse au Québec »,Yves Rabeau, FCCQ, septembre 2006.4 // Ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation

07

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 7

Page 10: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

08

« Qui sommes-nous,que voulons-nous être

et devenir ? »Le texte de Noémie frappe simplement dans le mille. Toutefois,

l'évidence est notre pire ennemi. Le mot culture est fort mal comprisdans les échanges publics et dans la politique. Nous vivons bel et

bien dans un monde économique et notre raison collective est officiellementinstrumentale. Or, la culture, elle, est fondamentale. Il y a bel et bien une colli-sion frontale entre le simplisme économique quantitatif et la nature humainequalitative. Cela définit notre temps et cette dure époque.

Qui sommes-nous, que voulons-nous être et devenir ? Voilà la question.L'humain est culturel mais nous ne respectons en rien sa nature. Si nous lefaisions, nous serions des humanistes. Être humain et toujours plus humain,ce n'est pas trop demander. Oui, Noémie frappe dans le mille: l'appétit culturelfondamental de l'humain n'est pas satisfait par ce qui est devenu une brutale« industrie ». Nous sommes des atomes isolés en mal d'humanité,c'est-à-dire en mal de liens, en mal d'identité collective. Je suis un anthro-pologue qui prend de l'âge. Toute ma vie, je fus le témoin impuissant de lapauvreté moderne de nos discours sur la dimension culturelle de l'humain,toutes régions du monde confondues, où, semble-t-il, tout n'est que produit, querentabilité, que performances chiffrables. Tout poète est un raté qui n'a pas faitfortune, le fond des choses n'intéresse guère.

Le monde de la productions'est éloigné du monde de lacréation. Produits culturels,lois et règlements, le corridor

se rétrécit de jouren jour.

Serge Bouchard

Crédit photo // www.anothersidewalk.tv

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 8

Page 11: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Une conception de la culture ancrée dans une perspective...« humaniste ». Voilà ce que nous proposons. Rien de moins.

Or, si l’on se fie à la manière dont la culture est abordée dans l’espacepublic depuis quelques années, force est de constater qu’il lui est attribué uneconnotation essentiellement marchande et ce, au détriment d’une conceptionélargie, s’inscrivant au-delà de la sphère artistique et de la dimension identitaire.

Si les premières politiques publiques dans le secteur culturel avaient pourobjectif de promouvoir un sentiment d’appartenance et une identité culturelledistincte, une autre logique semble maintenant guider l’intervention de l’État,qui attribue souvent ses ressources en fonction de critères essentiellementmarchands. En d’autres mots, pour paraphraser Florian Sauvageau, professeurà l’Université Laval : « Nos politiques culturelles, plus souventqu’autrement, sont devenues des politiques industrielles dans lesecteur de la culture ».

Cette confusion n’est pas sans soulever de sérieuses interrogations dans uncontexte où la sphère artistique est de plus en plus abordée sous le prisme dudivertissement. Ce faisant, elle se trouve affublée d’une étrange identité, soitcelle d’une curieuse mosaïque regroupant en son sein les Beaux Arts au sensclassique (les arts et les lettres), mais également les secteurs du spectacle,du cinéma, de la radiodiffusion, de la musique, du multimédia, bref,des différentes activités réunies sous la très vaste (et élastique) bannièredes « industries culturelles ». Ainsi, de quelle culture est-il maintenantquestion lorsque l’on parle d’« industries culturelles » porteuses« d’identité nationale » ?

Il nous apparaît donc urgent de repenser les bases sur lesquellesrepose l’idée de « développement culturel ». Au lieu de concevoircelui-ci dans le sens de la promotion de la culture nationale et du développe-ment des industries de la culture, il faut le voir comme « le processus parlequel l’être humain, de même que les collectivités, acquièrent les ressourcesnécessaires pour participer à la vie publique de leur communauté »1. End’autres mots, l’idée est de fournir aux citoyens les outils pour qu’ils puissentdévelopper leur esprit critique et leur droit de parole, pour ensuite participeractivement au débat public.

Cette conception sociopolitique du développement culturel comporte l’idéed’aborder la culture selon une perspective humaniste, qui met de l’avant ledéveloppement de l’individu. Elle comporte une dimension réflexive, car ellefait appel à notre capacité de prendre nos distances et de réfléchir sur notresituation dans le monde; elle renvoie ainsi à ce lien réfléchi qu’est le politique.

Selon cette perspective, l’éducation et les médias occupent une place depremier plan, car ils sont tous deux liés à l’épanouissement de l’idéal démo-cratique moderne. Or, depuis quelques années, nous observons une certainetendance à instrumentaliser l’éducation, c’est-à-dire à la mettre au servicedu développement économique et du marché du travail. Les programmesd’enseignement, du moins en Amérique du Nord, semblent de plus en plusfaçonnés en fonction d’intérêts externes, valorisant ainsi une formation« technique » par opposition à l’acquisition de connaissances générales(histoire, lettres, philosophie et autres). L’éducation devrait constituer une finen soi, indépendamment de l’objet d’études, l’idée n’étant pas d’apprendre envue d’accumuler passivement un maximum de connaissances, mais plutôt de

cultiver, tout au long de son existence, cette curiosité intellectuelle etartistique permettant à chaque citoyen de se sentir interpellé par les enjeuxde sa communauté.

Or, l’hégémonie de l’économisme, qui envahit maintenant toutes les sphèresde la société, semble saper les bases même de ce projet collectif. Quant auxmédias, étroitement liés à la notion d’espace public, ils tendent de plus en plusà faire circuler l’information et les « produits culturels », au lieu de faireémerger les idées et de favoriser la réflexion. Le culte de la nouveauté etl’établissement du star system, créés de toutes pièces par l’industrie culturelle,en étroite collaboration avec les médias de masse, illustrent concrètement lesdérives médiatiques actuellement en place dans notre société.

Un faux débatEnfin, il nous apparaît essentiel de clarifier cette fausse opposition entre laculture au sens humaniste, parfois associée à l’élitisme, et le divertissement,perçu comme davantage démocratique parce que « plus près du peuple ».Cette logique, pourtant de plus en plus répandue dans l’espace public, poseselon nous de sérieuses difficultés. D’une part, elle vide l’idéal démocratiquede toute dimension critique : au nom du relativisme culturel, toutes lesmanifestations symboliques doivent se valoir, peu importe leur contenu réel(artistique, intellectuel et autre). Les œuvres réputées plus « difficiles »parce que moins accessibles se retrouvent donc marginalisées dans l’espacepublic, tandis que les produits plus populaires occupent le premier rang enraison de la logique marchande. À l’inverse, toute manifestation jouissantd’une très grande popularité serait ipso facto qualifiée de « démocratique ».

Ce faux débat entre culture humaniste et divertissementsoulève un enjeu d’une importance fondamentale : il contribueà vider la démocratie de son sens politique. Une telle associationtémoigne, selon nous, d’une profonde crise de sens, soit la préséance descritères marchands sur notre propre rapport au monde.

Ainsi, si nous reconnaissons l’importance des entreprises culturelles pour lavitalité et le dynamisme de notre paysage culturel, c’est plutôt leur prédomi-nance dans la stratégie d’intervention du gouvernement qui nouspréoccupe. C’est parce que nous croyons qu’une sérieuse réflexion s’imposeque nous proposons de revoir dès maintenant les bases sur lesquelles reposenotre conception de la culture et, par conséquent, celle du développementculturel. C’est aussi parce que nous refusons d’adhérer à la logique simplistequi prévaut à l’heure actuelle, à savoir que la culture est essentiellement unmoteur économique, un catalyseur, bref, quelque chose qui « s’exporte »,au même titre que l’hydroélectricité.

D’où la nécessité de s’interroger sur cette transformation fondamentaleque notre perception de la culture est en train de subir et sur la significationpolitique d’un tel changement de paradigme. Faute de quoi, nous risquonsde sombrer vers une véritable « indifférenciation » de la culture. Unscénario des plus... alarmants.

Noémie Dansereau-Lavoie

1 // Marc Raboy et al, Développement culturel et mondialisation de l’économie.Un enjeu démocratique, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 1994, p.48

Vers une« indifférenciation »

de la culture ?

09

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 9

Page 12: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

J’écris avec une hache, comme disait le Frère Untel. J’ajoute que j’écrisavec une hache et un linceul. Il n’y a pas lieu de nuancer quand on dénonce;il convient également de respecter les victimes du mal que l’on accuse. Ça faitmal de s’attaquer à l’establishment, on tombe parfois au combat. Ici, on tombede haut et on se fracasse les membres sur des morceaux de verre tranchants.

C’est l’histoire d’une échelle, d’une horloge et d’un plafond, qui met en vedetteune génération complète de jeunes femmes hautement scolarisées. Prologue :près de 60 % des jeunes diplômés des universités québécoises sont desfemmes. Action : elles accèdent au marché du travail. Elles travaillent assi-dûment, tentent de faire respecter leurs compétences, montent les échelons del’organisation. Tic, tac. L’horloge progresse. Dring ! La trentaine, la bedaineet les enfants. Elles continuent leur boulot et travaillent toujours aussi résolu-ment. Épilogue : leurs collègues masculins accèdent aux hautes sphères deleurs organisations. Quant à elles, ayant atteint le plafond de verre, elleschutent comme frappées par la malchance à Quelques arpents de piège.

L’histoire n’a rien d’exceptionnel. Elle est bien connue. Souvent répétée. Toujoursaussi frustrante. Voilà pourquoi il n’y a pas lieu de nuancer notre propos.

Nos employeurs nous vantent les mérites de leurs organisations. Ils paient àgros sous des consultants de toutes sortes pour nous parler des valeurs de nosentreprises. Comme si le bureau avait un corps, un esprit et un cœur. Ils sedisent ouverts aux femmes, aux jeunes, qu’ils soient bleus, blancs ou rouges. Ilsdisent respecter les choix de chacun. Le discours travail-famille et tout letralala. Ils donnent à des œuvres de charité, investissent dans de bellesbrochures, nous présentent une ou deux élues qui ont sacrifié leur vie à l’autelde leur ouvrage pour nous vendre les bienfaits de l’emploi. On accepte l’offre.On est contente.

Peu à peu, on détecte les codes. On découvre la vérité à force d’entendre lebruit des corps qui tombent, lourds de leur épuisante ascension.

Toutes ces vérités cachées, tous ces non-dits, on s’en imprègne. Ils modulentnotre façon de penser et d’agir. Si l’on est ambitieuse, on ne parle pas tropde maternité : on ne veut surtout pas être perçue comme étant la fille sur la voiede service. Quant aux congés de paternité ? Non mais sérieusement, vousblaguez ou quoi ? Les jeunes hommes, bien que souvent frustrés par cettesituation, protestent en silence. Comme si le bon vieux modèle du pèrepourvoyeur et de la mère à la maison, on y croyait encore. Le problèmec’est qu’être parent exige la participation des deux sexes. Alors on continueet on se la ferme (tout en sachant l’ascension hautement risquée), ou on décroche.

La désillusion est cruelle, car elle est fondée sur des années d’études etd’efforts. Tout au long de notre éducation, nos pères et nos mères nous ontincitées à étudier. La scolarisation était garante du succès. Plus on l’est, mieuxc’est. Alors on étudie. Longtemps. On répond au profil recherché par l’em-ployeur. On arrive soi-disant outillée sur le marché du travail. Pures facéties.

Dans plusieurs secteurs, le monde professionnel a profon-dément évolué au cours de la dernière décennie. La révo-lution des moyens de communication a été telle que l’ons’attend maintenant à une réponse dans l’heure qui suit,ou encore une explication sur les raisons de ce délai. Lesexigences sont énormes. Or, bien que nos lieux de travailaient été bouleversés par de nombreux changements etque l’on soit prêt à y contribuer, les normes d’évaluationsont encore basées sur d’anciennes conceptions deprésence au bureau, de facturation à l’heure et d’affinitéssociales avec les patrons. La bonne vieille méthode à ladure est encore très souvent mise de l’avant.

À tous ces patrons, présidents, vice-présidents etdirecteurs, je vous dis, avec toute ma ferveur et maférocité, la hache de guerre dans les airs, Walk the talk.Faites ce que vous dites, et non ce que vous faites. Cessezde penser que notre génération détraque les organi-sations : elle les change. Les règles sont faites pour êtremodifiées. C’est ce que nous faisons. Nous nous adaptonsà vos demandes professionnelles, rétribuez-nous enconséquence et adaptez-vous à notre réalité. Il en vacollectivement de notre survie économique et sociale.

Voilà ce que nous revendiquons : notre perfectionnementprofessionnel ne doit pas s’accomplir au détriment desdéfis de notre vie personnelle. Il est grand temps que nosemployeurs adoptent une nouvelle façon d’apprécier letravail accompli qui soit basée sur l’atteinte des objectifs,la satisfaction de la clientèle, l’efficacité, la flexibilité dela charge de travail et une nouvelle répartition des tâches.Il faut compenser les heures facturables et le temps passéavec son conjoint, entre les dîners avec les clients et lesdevoirs des enfants. La hiérarchie des milieux de travaildoit également être modifiée : on pourrait aisémentralentir son rythme de travail pendant une certainepériode pour ensuite reprendre la cadence et se voirrétribuer de la même manière. Enfin, le climat psycho-logique du lieu de travail doit êtresain et basé sur la collaboration.La hiérarchie n’est pas une finen soi, mais tout simplement unmoyen de transmettre les connais-sances. Bref, ces demandes ontdes buts bien avoués : éviter lesruptures conjugales, gonfler letaux de natalité, valoriser laparticipation des deux parents àl’éducation de leurs enfants etvivre sainement ses quatre-vingtannées potentielles sur terre.

CE N’EST PAS QU’ON N’AIMEPAS CE QUE VOUS DITES, AUCONTRAIRE. ON AIME ET ONY CROIT. DÉSORMAIS, ONVOUS LE FERA RESPECTER.

GEDI

LA HACHE,L’ÉCHELLE,

L’HORLOGE ETLE PLAFOND

10

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 10

Page 13: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

La question de l’équilibre vie-travail est souvent présentée comme une ques-tion au féminin, mais il n’en est rien. Bien que la discrimination systémiquefondée sur les responsabilités familiales, c'est-à-dire une discriminationneutre en apparence qui se traduit en l’impossibilité de progresser et d’êtrereconnu en raison d’un apport en temps moindre que ceux entièrementconsacrés au travail et sans responsabilités familiales, touche le plus souventles femmes, il demeure que les hommes sont également victimes du manqued’avenues au sein de plusieurs entreprises pour marier adéquatement letravail avec les autres aspects de leur vie. Cette discrimination se présentesous le couvert des chances égales : à talent égal, toute personne qui consacrel’entièreté de son temps à son employeur obtiendra de l’avancement, qu’ellesoit homme ou femme. Or, dans les faits, le caractère discriminatoirede cette approche est indéniable, lorsqu’on constate l’absence de femmesdans les sphères décisionnelles. Et celles qui y sont présentes ne sont pastoujours un message d’espoir pour la nouvelle génération de femmes puisqueplusieurs d’entre elles y sont parvenues en sacrifiant leur projet familial.Il s’agit donc d’un modèle qui encourage toujours le père pourvoyeur et lamère à la maison. Nous sommes donc toujours à la case départ.

Dans le modèle traditionnel de la carrière, le père pourvoyeur travaille trèsfort dans un poste sous pression et prestigieux. Il est entièrement consacréà cette carrière et se fie à son épouse pour s’occuper des responsabilitésfamiliales. Ce rôle s’explique entre autres par le fait que la rentabilité desentreprises est souvent servie par un engagement total envers celles-ci. Lesclients ont des besoins 24 heures sur 24. Le nombre élevé d’heures de travailcontribue à la rentabilité, rendant impossible de concilier le travail et lafamille. Du point de vue de l’entreprise, ce n’est donc pas nécessairementrentable de faciliter cette conciliation : baisse de productivité par individu,davantage de gestion des ressources humaines, de coordination et de modèlesd’horaires flexibles, etc. Le modèle encourage ainsi la poursuite d’un seulintérêt, l’avancement de l’individu et de l’entreprise. Dans un tel contexte, lerôle du père pourvoyeur au sein de sa famille, vu le peu de temps dont ildispose, consiste à fournir ce dont la famille a besoin. Ce rôle, lorsqu’on s’yattarde, est tout aussi problématique que celui de la femme qui ne peuttravailler et s’accomplir en raison de l’entièreté des responsabilités familiales.

En effet, plusieurs hommes pourvoyeurs font aujourd’hui le bilan et ontl’impression d’avoir raté une partie de leur vie. Ils n’ont pas connu leursenfants, et leurs liens avec eux se limitent dans plusieurs cas à pourvoir, ce quin’est ni humain ni valorisant. Il faut donc arrêter de ne parler que des femmes,les hommes n’y gagnent pas beaucoup. Dans plusieurs cas ce sont les enfantsqui ont payé le prix en termes d’attention et de développement. Les enfantsen question, nous le savons, ce sont nous. Et je ne parle pas de la collectionde divorces de plusieurs de ces pères pourvoyeurs.

La participation en société via le travail est une composante essentielle denotre cohésion sociale et de notre productivité, et constitue un droit fonda-mental des femmes. Le décrochage de carrière, un chemin que plusieursfemmes de qualité empruntent lorsqu’elles réalisent l’étendue de cettediscrimination et le fait qu’elles doivent accepter des responsabilités en deçàde leurs connaissances, de leur expérience et de leur potentiel lorsqu’ellesdeviennent enceintes ou tentent de conjuguer famille et carrière, doit prendrefin. Il peut sembler bizarre de discuter de ces questions à nouveau en 2008,mais le problème est bel et bien réel dans plusieurs milieux professionnels.Il est dans notre intérêt collectif de faire réaliser aux femmes leur pleinpotentiel, et la réussite de ce défi passe par les hommes, tant dans le milieufamilial que professionnel.

GEDI

Ne vous fiez pas à la sonorité folklorique de ce titre puisque le sujet abordé esttrès contemporain. Vous avez eu l’occasion de lire les deux textes sur l’équilibrevie-travail, un sujet d’actualité pour tous ceux sur le marché de l’emploi.Chaque édition de Génération d’idées va contenir une chronique qui viendraébranler nos dirigeants, politiciens et nos façons de faire. À l’encontre des autresarticles, nous n’aurons pas de mentors pour cette section, car l’objectif est dedénoncer haut et fort une réalité qui touche profondément notre génération etpour laquelle les solutions doivent émerger de notre génération.

Avant de trouver des solutions aux problèmes d’équilibre vie-travail, il fautreconnaitre qu’il n’y a pas de contradiction entre équilibre et productivité. Aucontraire, à long terme l’équilibre peut mener à une plus grande productivité(moins de dépression, plus de loyauté). Il est aussi important de préciser quel’équilibre n’est pas une question qui touche uniquement les salariés ayantdes enfants. Les personnes sans conjoint ou sans enfant recherchent éga-lement une qualité de vie. Il faut donc penser à eux dans la mise sur pied demesures spécifiques.

Finalement, nous travaillons avec la prémisse que peu importe les méthodesmises en place, il faut encourager et mettre sur pied le cadre nécessaire pouren faciliter l’utilisation. Nous sommes également d’avis que peu importele milieu de travail et le type de travailleur, cette question est au cœur despriorités de notre génération.

PRENEZ NOTE :1. Que vous soyez une PME, une association sans but lucratif, une grandeentreprise ou un organisme gouvernemental, si vous n’avez pas de politiqueconciliation vie-travail, il serait bien de vous pencher sur cette question avantde subir les contrecoups d’une mauvaise gestion des expectatives. Formez ungroupe de travail et soyez sincère dans votre démarche.2. Lorsque vous élaborez une politique, vous devez avoir en tête la premièrepersonne qui pourra en bénéficier, lui en parler et assurer une bonne transi-tion pour cette personne (4 jours/semaine, prendre soin d’un parent malade,congé parental, retour aux études, maladies graves etc.).3. Si vous avez mis sur pied une politique visant à favoriser l’équilibre vie-travail et que plus de 6 mois après la mise en place, personne n’a bénéficié decette politique, vous avez échoué et vos employés seront convaincus soit quel’équilibre vie-travail n’est pas une priorité pour votre organisme, soit que lapolitique n’était pas nécessaire, ce dont nous doutons fort !4. Si vous croyez que l’équilibre vie-travail nuit à vos performances, n’enfaites pas une fausse priorité. Vos employés vont saluer votre honnêteté etferont des choix en conséquence et vous attirerez des employés à votre image.

Dans un autre ordre d’idées, vous, qui voulez faire bouger les choses, devezêtre conscients que les changements peuvent prendre du temps. Vous deveztrouver des alliés et accepter que votre employeur récupère vos bonnes idées.N’en soyez pas offusqués, au contraire, c’est signe que l’évolution est enmarche (restez tout de même impliqués !).

Nous invitons également les dirigeants de tous les secteurs à ne pas tomberdans les clichés du type : « Dans mon temps... J’avais droit à trois mois decongé de maternité et mes enfants s’en portent bien... Ah ces jeunes, ils veulenttout cuit dans le bec ». Aucun pont solide ne pourra être bâti à partir de cesréflexions.

AVEZ-VOUS DES SOLUTIONS, DES NOUVELLES IDÉESÀ LANCER RELATIVEMENT À CE SUJET ? METTEZVOS BOTTINES DANS LA MÊME DIRECTION QUEVOS BABINES ET ÉCRIVEZ-NOUS – FAITES UNEDIFFÉRENCE DANS VOTRE MILIEU !

GEDI

A L’ATTAQUEDE L’EMPIRE DU PÈREPOURVOYEUR

QUAND LES BOTTINESSUIVENT LES BABINES

11

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 11

Page 14: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

12

« J’ai toujours étésurpris par la peur

identitaire desQuébécois. »

Pauline Ngirumpatse voit juste sur deux points fondamentauxressortant de l’épisode des accommodements raisonnables que

la société québécoise est en train de vivre. Premièrement, nousaurons échoué à prendre la réelle mesure du défi qui s’impose à nous si nousn’en arrivons au terme de ce processus qu’à des balises juridiques permettantà des administrateurs de déterminer dans quelles conditions ils pourrontaccepter le port du voile, du kirpan, ou de tout autre accoutrement porté pourdes raisons qui continueront à leur sembler obscures par ces Autres qui lesentourent. C’est véritablement à une nouvelle conception du liensocial et du dialogue que nous sommes conviés. Et cet objectif, nousne l’atteindrons que si nous réussissons à surmonter cette peur de l’autre quinous pousse à le transformer en Autre.

J’ai toujours été surpris par la peur identitaire des Québécois. Certes, noussommes locuteurs d’une langue minoritaire en Amérique du Nord, qui setrouve également être la langue de la mondialisation. Mais nous contrôlonsd’importants leviers étatiques. Et notre langue, toute minoritaire qu’elle soit,est parlée par 350 millions d’humains, et est officielle dans 31 pays. Ces deuxfaits distinguent notre situation de celle des Catalans, des Basques, desGallois, et j’en passe. Ils devraient nous instiller une plus grandesérénité dans notre contact avec ceux qui décident de venirs’installer ici. Qu’il me soit permis de terminer par une note auto-biographique :mes enfants sont à deux générations du shtetl polonais, où la langue d’usageétait le yiddish. Ils fréquentent aujourd’hui l’école franco-phone publiquequébécoise, ont des références culturelles bien d’ici, et parlent le françaisavec leurs amis d’origine chinoise, russe, bulgare, et canadienne-anglaise !Cela s’est fait en deux générations, ce qui représente à peine un clin d’œil dansl´histoire d’un peuple.

Cela témoigne de la force d’intégration de notre culture et de nos institutionspubliques, et notamment nos écoles. Elle devrait nous permettre d’accueillirnos nouveaux concitoyens dans la sérénité et la joie plutôt que dans la peur.

Daniel Weinstock

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 12

Page 15: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Les autres dessousdes accommodements

Le tourbillon Accommodements qui s’était emparé duQuébec s’est calmé, mais il laisse sur son passage une sensation

vertigineuse. Difficile, en effet, de ne pas être saisie par une certaineangoisse existentielle devant les passions soulevées par les « accommo-dements raisonnables », dans leur nouvelle acception générale du rapportà l’interculturel. Angoisse existentielle dis-je, parce qu’il m’est impossible dene pas voir dans cette saga une répétition lancinante de l’histoire de l’humanité.

Si la trajectoire historique du Québec (question linguistique, rapport à lareligion) permet, certes, de comprendre le malaise suscité par les« accommodements », elle ne l’explique pas entièrement. Rabelais le disait :« Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ». La levée deboucliers des derniers mois relève aussi de l’instinct de territorialité qui est lepropre de l’humain. Ce même instinct de territorialité qui, depuis la nuit destemps, pousse les Hommes à croiser le fer pour défendre un territoire où ilssont à l’abri de cette potentielle menace incarnée par l’Autre. Ne perdons pascela de vue histoire de ne pas crier au feu pour rien. Parfois, quand brasier il y a,il s’agit aussi de notre condition humaine à assumer, à apprivoiser.

Mais, on peut en convenir, la nature humaine n’est pas ici la seule en cause.Dans le cas des accommodements, d’autres facteurs sont venus activercet instinct de territorialité. Le principal en cause : une narrationhomogène et monologique du monde. En effet, quand la seuleconnaissance que nous avons de l’Autre se résume tantôt aux images d’enfantsrachitiques tantôt aux camps de réfugiés ou alors aux belles savanes exotiquesde sa terre de provenance. Quand ces symboles ne sont vus que comme signesde soumission. Quand les sonorités de son nom ne riment plus qu’avec terro-risme. On peut difficilement concevoir qu’il puisse faire partie de Nous. Desreprésentations réductrices qui contribuent à figer le « Nous » et le« Eux » et tendent à inscrire l’Autre dans un écart, à le maintenir à distance.On ne s’identifie pas à quelqu’un qui n’a ni Histoire, ni Culture,ni donc Civilisation. Instinctivement, on s’en protège, on ne s’en rapprochepas. Et il est vrai que ce procès devrait se faire dans le sens inverse également.Le procès de cet Autre qui ne prend pas le temps de saisir la complexité del’histoire de sa société d’accueil, les subtilités de sa culture, se contentant d’uneperception simpliste de celle-ci. En ce sens, les réactions provoquées par laquestion des « accommodements raisonnables » sont donc aussi à l’image età la mesure de ces macro-narrations véhiculées dans notre espace public, avectrop peu de nuance, d’hétérogénéité, d’épaisseur historique. Elles sont le fruitd’une division continentale et géopolitique du monde productrice de récitsdes mondes et de représentations de l’Autre stéréotypés.

Voici arrivé le temps de donner suite à cet exercice auquel nous venons denous livrer collectivement avec la Commission Bouchard-Taylor. Laréponse qui sera donnée aux « accommodements raisonnables »

constituera aussi un tracé des contours du « vivre ensemble »,de la trame du lien social. Il faudra donc porter une attentionparticulière au fonctionnement de notre espace public. Les conflits de valeursétant inévitables dans une société pluraliste, nous avons besoin d’un espacepublic fort de ses propriétés de médiation, lieu d’expression et de négociationde systèmes de sens multiples et parfois contradictoires. Pour que le liensocial qui nous unit soit fécond, il se doit d’être tissé de façon plurielle au seind’un espace symbolique où les multiples voix, subjectivités et représentationsqui composent notre société arc-en-ciel se fassent entendre et interagissent.

Reste à espérer que la polémique suscitée par les accommodements ne serapas uniquement interprétée comme une simple exigence de mise en place debalises claires. Elle est surtout un appel criant à un véritable travail de fond,en amont parce que le vivre ensemble est plus qu’une série de politiques, derèglements et de lois.

Reste à savoir aussi si, en tant que société, nous saisirons la véritable mesurede cette problématique. Aurons-nous la volonté d’exiger de nos politiques(et de nous-mêmes d’ailleurs) de faire usage de cette mémoire exemplairedictée par notre devise « Je me souviens » pour écrire l’histoire autrement ?Ou nous contenterons-nous tout simplement de reproduire les tics du passé ?

Pauline Ngirumpatse

«Je me souviens»

13

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 13

Page 16: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

14

« Quand l’injustice devient loi, la résistance est undevoir » pouvait-on lire sur une immense banderole déployée pardes étudiants de l’UQAM dans le cadre de leur grève récente. Le

gouvernement procédait au dégel des droits de scolarité, mais seules quelquesfacultés de l’UQAM avaient recours à la grève pour contester cette décision...

Signe des temps, d’aucuns ont conclu que les jeunes d’aujourd’hui sont plus« réalistes » face à ce « vieux » rêve de gratuité scolaire inscrit dans leRapport Parent. Plus « individualistes », voire « égoïstes » comme l’a laisséentendre un sondage Léger & Léger sur la perception des jeunes parles baby-boomers 1. Pourtant, en 2005, le plus gros mouvement de grève jamais vuavait lieu dans les institutions scolaires québécoises en réaction à unecompression de 103 millions dans le programme de prêts et bourses qui visaitparadoxalement une minorité de jeunes alors que le dégel les frappe tous...curieuse manifestation d’individualisme pour une génération« égoïste » !

Revenons à cette banderole : l’injustice comme loi. Là réside la différenceentre les deux scénarios que nous évoquons : la présence d’unprofond sentiment d’injustice. Le même qui est à la source de presquetoutes nos lois sociales et la matière de base de toute l’activité syndicale,qu’elle soit menée par des étudiants ou des travailleurs, depuis plus de centans ! Activité nécessaire en raison des graves problèmes affectantplus particulièrement les travailleurs tant en ce qui a trait aux conditionssalariales qu’aux risques encourus par le simple fait d’être au travail...Le cas célèbre de la grève de l’amiante de 1949 où les demandes des travailleurscomprenaient « l’élimination de la poussière d’amiante de l’usine et une augmen-tation de 15 cents de l’heure » (!) est l’exemple parfait de cette dynamique.

Suite page suivante�

«Il se pourraitbien que le

syndicalismene puisse être

véritable forcede changement

qu’en étantd’abord force

d’opposition. »

Le syndicalisme, expression de lutte contre des conditionsde travail inhumaines et l’injustice la plus totale, est né en pleinerévolution industrielle. Depuis cette époque, beaucoup de choses

ont changé. Cela peut nous faire perdre de vue que les progrès intervenus sontle fruit des batailles menées. Et nous amener à oublier, qu’en cedomaine, rien n’est jamais acquis. Les travailleuses et les travailleursdes pays en développement, souvent des enfants, sont d’ailleurs aux prisesavec des conditions de travail et de vie semblables à celles qui avaient coursdans les pays occidentaux à une certaine époque. Pendant ce temps, chez nous,la course au rendement et à la compétitivité justifie les délocalisations et lesfermetures d’usine qui en laissent plus d’un et d’une sur le carreau.

D’aucuns prétendent que les jeunes ont renoncé à l’actioncollective et aux grands combats; pas moi. Mais, ils évoluent dansun monde où le modèle même d’une croissance économique qui reposeessentiellement sur la consommation et l’exploitation des ressourcesnaturelles est à repenser totalement, puisqu’il mène la planète à sa perte.Dans ce monde, les riches sont de plus en plus riches et les pauvresde plus en plus pauvres ; les écarts s’accroissent et les injusticesaussi. Dans ce contexte, il se pourrait bien que le syndicalisme ne puisse êtrevéritablement force de changement qu’en étant d’abord force d’opposition. Enmettant de l’avant la lutte contre l’injustice comme base de l’action syndicale àl’avenir, Philippe-André Tessier invite en fait à renouer avec le fondementmême du syndicalisme.

Lorraine Pagé

Les jeunes et le collectif« Les unions qu’ossa donne ? »

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 14

Page 17: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Mais de nos jours, de quelles injustices parle-t-on ? Et comment créer denouvelles solidarités que l’on soit étudiant, syndiqué, jeune ou vieux ?

En effet, tout le rapport de dépendance du salarié, qui a été à la base de toutesles lois sociales, est en train d’être redéfini par le choc démographique et la plusgrande scolarisation des salariés. On augmente même les niveaux d’immi-gration pour faire face à une pénurie de main-d’œuvre... défi radicalementdifférent de celui relevé par les grévistes de l’amiante !

De plus, on a introduit dans les lois sociales et du travail diverses normesimpératives d’ordre public qui viennent diminuer l’assiette traditionnelle dela négociation syndicale, comme récemment, les dispositions sur les congésparentaux et sociaux ou les lois relatives à la santé et la sécurité au travail.Devant ce problème, un militant syndical a avancé que l’« un des piresennemis du syndicalisme, c’est la déception et la démobilisationque les syndiqués vivent à l’interne. Le syndicalisme « de secondegénération », comme c’est le cas du secteur public, connaît desproblèmes. Plusieurs syndiqués n’ont jamais eu à mener unelutte pour les conditions actuelles de travail. »2

On est également témoin de la plus grande place accordée aux droitsindividuels dans la sphère des relations de travail, par exemple, par le biais del’obligation d’accommodement qui est au cœur de tant de débats à l’heureactuelle. Les gens acceptent moins l’un des corollaires du syndicalisme,à savoir la mise en échec de leurs avantages personnels pour le bien d’unecollectivité.

Les problèmes du syndicalisme de tout genre sont plus globaux et n’affectentpas que les « jeunes » étudiants ou les « vieux » syndiqués de la fonctionpublique... On assiste actuellement à une véritable mutation des valeurscollectives et ces nouvelles valeurs interpellent les syndicats et les mouve-ments sociaux organisés. Devant une impression d’absence d’injusticescollectives, le « moi » a pris la place du « nous » dans l’ensemble de lasociété. Pourtant, on assiste encore à de véritables mobilisations comme celledes jeunes contre la compression de 103 millions dans les prêts et bourses.

Bref, comment réconcilier l’action syndicale avec une société en pleinemutation régie par des mécanismes de protection sociale multiples et unegénération qui n’a pas vécu les difficultés évoquées précédemment ?

À notre avis, il faut à nouveau trouver ce qui est injuste dans notre sociétépour créer de nouvelles solidarités. En effet, ces mêmes jeunes (plus instruits,moins nombreux et plus mobiles) qui ont manifesté pour les 103 millionsseront des travailleurs, qui, contrairement à ce que l’on peut penser, serontmoins bien couverts par les mécanismes de protection mis en place par leursparents, en raison de leurs emplois atypiques (ex. syndrome du fauxtravailleur autonome), de la mondialisation de la concurrence (ex. transfertsd’emplois d’ingénieurs en Inde) et plus pauvres tel que le rapporteMarie-Hélène Proulx dans le magazine Jobboom :

« […] les jeunes travailleurs d’aujourd’hui forment la premièregénération à être plus pauvre que celle de leurs parents aumême âge, et ce, depuis les 50 dernières années. Résultat : denos jours, un diplômé universitaire de 25 ans gagne 1 000 $ demoins par mois, en dollars constants, qu’en 1985. Soit le coûtmensuel moyen d’une hypothèque au Québec ! »3

La pénurie de main-d’œuvre qui devrait nous frapper est l’occasion pourle mouvement syndical et les mouvements sociaux de créer de nouvellessolidarités à partir de nouveaux enjeux. À bas les idées reçues sur le sujet !

D’un côté, il faudra repenser la notion d’ancienneté comme meilleur véhiculede protection des droits, surtout dans un contexte où les « clauses orphelins »ont mis à mal la solidarité syndicale en opposant les « jeunes » et les« vieux »... Ce qui a fait dire à certains que les syndicats visent surtout laprotection de leurs membres et non une certaine justice sociale ! D’un autrecôté, pour contrer cette vision, il faudra se rappeler que la liberté syndicales’est affirmée contre le droit, par exemple dans le cas des travailleurs del’amiante 4.

Ainsi, le mouvement syndical devra se poser de nouveau enagent de changement plutôt qu’en agent de résistance auxtransformations du marché du travail ou de maintien desacquis. Selon nous, cela forcera ce mouvement à se redéfinir, à repérer denouvelles injustices dans le contexte actuel et à faire appel à de nouvellessolidarités entre jeunes et moins jeunes... Il devra cependant accepter que cesinjustices ne sont pas celles du passé et certains dogmes devront tomber.Comme la lutte des 103 millions l’a démontré, malgré les similitudes, les luttessociales n’auront plus le même visage...

Philippe-André Tessier

2 // Jacques Fournier dans http://www.dabordsolidaires.ca/article.php3?id_article=1283 // Marie-Hélène Proulx, Magazine Jobboom,Vol. 7, no 9, octobre 20064 // Gagné 2006

1 // Source : Le Journal de Montréal - Les jeunes sont impolis, paresseux etégoïstes, jugent les baby-boomers, qui ne se gênent pas pour critiquer sévèrementla nouvelle génération, révèle un vaste sondage […] réalisé par Léger Marketingpour le compte du Journal de Montréal, de TVA, du 98,5 FM, de Canoë et du24 Heures.Trois boomers sur quatre affirment aussi que les gens de la générationY sont plus égoïstes qu'eux.

15

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 15

Page 18: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

16

Les experts de la gestion des entreprises modernes ne cessentde le répéter : il est risqué de nos jours de miser sur un seul

cerveau. La complexité du monde globalisé exige desdécisions enrichies d’équipes de gens ayant des formations, desexpériences et même des cultures différentes. Me StéphanieRaymond-Bougie, en quelques mots, non seulement en fait le constat maisélargit la portée de cette exigence nouvelle. Elle soumet, sans craindre uneapparence de contradiction, que la reconnaissance de l’importance de ladiversité est garante de la nécessaire concertation à la réussite de tout projet,qu’il soit économique, social ou politique. Autrement dit, l’auteure nous faitcomprendre que toute prise de décision est faite de différentes étapes et quechacune d’elles a ses caractéristiques propres. La première étape, celle dela consultation et de la mise en commun des idées, s’enrichit, de toute évidence,de la diversité, en autant que celle-ci soit réelle, c’est-à-dire en autant qu’ellesoit tant culturelle qu’ethnique et sans discrimination des sexes. Cettediversité comporte en elle-même une plus-value puisqu’elle permettra l’iden-tification non seulement des besoins des gestionnaires, mais aussi desdifférentes clientèles de l’organisation. C’est à cette étape que la diversitédémontre toute sa valeur et sa richesse. La deuxième étape, d’apparencecontradictoire avec la première, est celle de la synthèse des opinions et desdifférents besoins exprimés puisque cette étape exige la concertation. En effet,comment progresser sans la poursuite d’un objectif commun. Si la premièreétape –celle de l’ouverture à la diversité– est bien réussie, la seconde le serapuisqu’elle conduira nécessairement à rallier les partenaires à partagerl’objectif en tenant compte des besoins et des particularités de chacun.Finalement, la troisième étape, celle de la décision, sera nécessairementmarquée du sceau de la cohésion et d’une unité de pensée incarnées en desactions efficaces et cohérentes.

En fait, il en va du processus de décision comme de l’écriture d’un texte. Àl’instar des êtres humains, les mots ne vivent pas seuls. Ils s’enrichissent aucontact des uns et des autres. Seuls, ils disent peu ou rien. Réunis dans unephrase et dans un texte, ces mots divers et différents expriment finalement uneidée claire. Le texte aura alors une identité ! Or, il en va de même des orga-nisations. Profitant de la diversité des opinions et des cultures, l’organisationdoit toutefois s’inspirer d’une mission claire, canalisant la richesse des opinionsdiverses en une volonté unique de réaliser un objectif commun. À l’exempled’un texte, l’organisation, aussi, se doit d’avoir une identité.

Comme quoi la diversité peut fairebon mariage avec... l’identité !

Claude Béland

« Il est risquéde nos jours

de miser sur unseul cerveau. »

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 16

Page 19: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Quand la performanceréside dans la différence

Un terme très utilisé qui désigne tout et rien à la fois. Diversitéculturelle, de religion, de langue, de génération, de sexe, de

croyance, de provenance, d’intérêts. Diversité dans un quartier,dans une école, au sein d’une profession. En quoi la diversité peut-elle êtresi bénéfique ? Évidemment, la mondialisation trace le chemin de cettenécessaire diversité. Cet article se veut une brève réflexion sur la diversitécomme moyen de mesurer la performance et veut susciter une prise deconscience du fait que la diversité ne se résume pas à la présence de femmes,d’hommes et de communautés culturelles.

La diversité, selon moi, c’est (i) la capacité de réunir des gens ayant unbagage différent et (ii) d’en retirer une plus-value pour la réussite d’un projet.Vous devinerez que la deuxième partie de cette définition fait toute la différencelorsqu’on veut « réussir la diversité » ! Un conseil d’administration, unparti politique, un groupe de travail, et, en fait, toute concertation, requiertun élément de diversité en l’absence duquel parler de concertation relève del’utopie. En effet, il est facile de s’entendre lorsque tout le monde autour d’unetable a la même opinion. Je suggère que les idées véritablement novatricesnaissent souvent du choc des idées et de la confrontation des opinions diver-gentes. Toutefois, on ne peut en rester là : il faut faire converger cette diversitévers un objectif commun où réside le facteur de plus-value qu’elle amène.

Malheureusement, la diversité est souvent vue en opposition avec un groupedominant. Évidemment, un équilibre entre hommes et femmes s’inscrit dansla confrontation des idées puisqu’il est généralement reconnu que la femme etl’homme n’abordent pas un problème de la même manière. Vous conviendreztoutefois qu’un homme et une femme dans la trentaine, de race blanche,francophones et tous deux montréalais, questionnés sur les accommodementsraisonnables ou l’utilisation d’un produit donné ont plus de chance d’être surla même longueur d’onde. De la même manière, il est fort possible que deuxpersonnes ayant des antécédents fort similaires soient fondamentalementdifférentes. C’est pour pallier cette incertitude de l’esprit humain que la diver-sité vient apporter une dose de prévisibilité au moyen de la capacité de seconcerter. Plus votre groupe est diversifié plus il sera une sourcede concertation qui permettra de répondre aux divers besoinsde notre société. Il ne faut donc pas limiter notre approche de la diversitéau sexe et la culture. En effet, circonscrire ainsi la diversité crée des situationsplutôt contre-productives. Prenons l’exemple des conseils d’administrationqui, bien souvent, semblent considérer la diversité uniquement sous l’angledes professions et tout récemment de la représentation féminine. Comme sis’attacher à la représentativité des femmes était déjà bien contraignant etqu’on ne pouvait s’attaquer qu’à un problème à la fois. Au contraire, je croisque la diversité attire la diversité et que nos conseils d’administration et nosinstitutions devraient déployer moins d’énergie à trouver LA femme quipourrait siéger à leur conseil et plutôt sortir de leur réseau habituel, à savoirfréquenter les chambres de commerce des divers groupes ethniques,réapprendre à « réseauter » dans d’autres cercles que les clubs de golf et lesclubs privés.

La diversité : Un empêcheur d’avancer !La mondialisation et le multiculturalisme de notre société tracent le cheminde la diversité. Plusieurs produits et services sont destinés à une clientèlevariée et doivent donc être adaptés ou adaptables. La diversité est un peucomme la technologie au début des années 90 : ceux qui voientles occasions qu’elle recèle sortiront grands gagnants alors queceux qui se braquent devant cette nouveauté seront vite dépassés et nepourront plus être compétitifs. Toutefois, contrairement à la technologie,appliquer la diversité demande plus qu’un programme de formation continue.La recette comprend une bonne dose d’intelligence émotionnelle car il va desoi qu’il est plus difficile d’arriver à un consensus, si nécessaire, lorsqueplusieurs idéologies s’affrontent. Dans ces circonstances, plusieurs jouent lacarte de l’efficacité pour renier les bienfaits de la diversité. À cet argument,je répondrais que l’efficacité perd de sa valeur s’il faut repenser notre produitou notre service à la lumière des situations qui se présentent parce que certainsbesoins n’ont pas été pris en compte par un groupe très efficace mais trophomogène...

Bien entendu, avant de parler DIVERSITÉ, il faut connaître sesobjectifs, la mission et les valeurs qui nous gouvernent et les communiquer.S’il y a lieu, il faut discuter de ces bases et être certain que tous s’entendent.Créer une cohésion au sein de la diversité constitue le vrai défi.

J’invite les dirigeants d’entreprises, les fonctionnaires, lespoliticiens et les professionnels à sortir de leur réseau etprendre le risque de la diversité. Oui, les décisions vont se prendremoins facilement au début et vous ne serez pas aussi à l’aise de partager vospensées mais vous en sortirez grand gagnant tant sur le plan professionnelque personnel. La personne ou l’entreprise performante est celle qui obtientd’excellents résultats en fonction des moyens mis en œuvre; la diversitéest par conséquent sans aucun doute un outil de base pour avoir de bonsrésultats.

Stéphanie Raymond-Bougie

«La diversité est parconséquent sans aucun doute

un outil de base pour avoirde bons résultats. »

17

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 17

Page 20: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

18

« La démocratieest terriblement

exigeante.L’humain,

avec toutes sesimperfections,

n’est jamaisà la hauteur. »

Stéphanie Vig et Grégoire Webber sont à la recherche d’un« vrai discours public ». Ils sont loin d’être les seuls. Leurréflexion, j’y suis d’autant plus sensible qu’elle est aussi la mienne

et qu’elle m’a conduit à écrire deux ouvrages, « Le syndrome de Pinocchio »(Boréal, 1997) et « Les oiseaux de malheur » (VLB, 2000). J’ai dressé le mêmeconstat que Stéphanie et Grégoire.

Comme eux, j’ai constaté que le problème avait des causes « complexes etmultiples ». J’ai réalisé qu’il n’y avait pas qu’un coupable, mais que tous

–élus, journalistes, citoyens– avaient une part de responsabilité dans laconstruction de cette culture du discours politique futile et mensonger.

Curieusement, j’ai développé au fil de mes recherches un étrange optimisme.Il faut se garder d’une perception nostalgique du passé, qui nous ferait voir lespoliticiens d’antan comme de grands démocrates, au discours plus substantielet noble que celui de nos élus d’aujourd’hui. Les médias modernes, malgrétous leurs travers, informent certainement beaucoup mieux lescitoyens d’aujourd’hui que leurs ancêtres. Quant aux électeurs, ils sontplus instruits, mieux au fait de ce qui se passe dans leur monde et dans lemonde.

« L’idéal démocratique est en crise », écrivent Stéphanie et Grégoire.Sans doute. Il l’a toujours été. La démocratie est terriblement exigeante.L’humain, avec toutes ses imperfections, n’est jamais à la hauteur. La démocratie,comme le vrai discours public, constitue une quête incessante. Elle ne serajamais achevée; elle se trouve dans cette quête même.

Par conséquent, le réalisme s’impose, pas le pessimisme. L’important, c’est depoursuivre la quête d’un vrai discours public et, en particulier, de contribuerà son élaboration. Stéphanie Vig et Grégoire Webber sont visiblementdéterminés à le faire. Ils sont d’authentiques démocrates.

André Pratte

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 18

Page 21: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Pour un vraidiscours public

Nous sommes à la recherche d’un vraidiscours public. Les échanges qui animent

notre espace public sont trop souvent empreintsd’une simplicité qui trahit la complexité des enjeux qui nous intéressent.Ils cherchent à présenter l’espace public dans un esprit conflictuel où l’orateurprétend qu’il est le seul à détenir la bonne vision et que ceux qui s’opposentà ses dires cachent ou trahissent la vérité. Le discours public estdépouillé de sa vraie vocation : chercher à déterminer quelle visionreprésente le mieux le bien commun, au lieu de prétendre qu’une seule d’entreelles puisse atteindre cet idéal. Le vrai discours public a été remplacé par undiscours qui dénature, par sa simplicité, les vrais enjeux qui le caractérisent.En mettant l’accent sur le conflit d’opinions plutôt que sur la teneur même deces opinions, ce discours divise, déroute et positionne le citoyen à titre despectateur plutôt que de participant.

Le citoyen ne se retrouve pas dans son espace public. Il parle« du gouvernement » comme s’il s’agissait d’une tierce partie –et non de« son gouvernement ». Il parle « des politiques publiques » comme s’ilcommentait une activité étrangère –au lieu de parler de « nos politiquespubliques ». Il se considère « citoyen » seulement en franchissant desfrontières –et non en sa qualité de participant dans un discours public. Bref,l’absence d’un vrai discours public risque de compromettre les assises de ladémocratie : identité entre le citoyen et son gouvernement, identité entre lecitoyen et ses politiques publiques et le rôle du citoyen à titre de participantactif et engagé. L’idéal démocratique est en crise.

Les causes de l’absence d’un vrai discours politique sont complexes etmultiples. Notre époque est non seulement caractérisée par la vitesse àlaquelle l’information circule, mais également par la quantité et la qualitéde l’information qui bombardent continuellement le citoyen. Pris dans cetourbillon, le citoyen doit constamment choisir entre l’infor-mation qu’il absorbe et celle qu’il délaisse. Pris dans le rythmeeffréné de son propre quotidien, il opte trop souvent pour l’information àlaquelle il peut accéder avec un minimum d’efforts. Il ne cherche pas à être uncitoyen informé, mais uniquement un consommateur satisfait.

Or, les choix du citoyen se heurtent inévitablement à ceux des médias qui,par leur sélection et leur traitement de l’information, participent à l’érosiond’un vrai discours public. La couverture médiatique, en s’intéressantdavantage aux nouvelles au contenu provocateur et en n’accordant qu’uneattention superficielle aux débats de fond, n’offre que peu de place et d’opportu-nité pour qu’un vrai discours public puisse s’installer au sein de la société.Il devient ainsi ardu pour le citoyen moderne de prendre part aux débats defond ou même, plus simplement, d’en être informé de manière constructive.

Comment donner au discours public sa noblesse et son rôle fondamental degénérateur d’échanges d’idées ? Comment parvenir à délaisser les faux débatset les faux choix et instiller en nous la volonté de prendre part au débat publicau lieu de le subir ?

La mission est digne, mais la tâche est laborieuse. À prime abord, lecitoyen doit sortir de sa complaisance et réaliser toute la potentialitéde son rôle. Il a le devoir de se satisfaire davantage que de la trivialité aveclaquelle le discours public est médiatisé. Cela exige non seulement plusd’efforts de sa part, mais également la volonté de se montrer davantage critiqueà l’égard de l’information qui lui est présentée. Ce changement doit cependants’opérer dans des conditions qui le pousseront à vouloir assumer ce rôle.La situation actuelle ne présage pas un tel virage.

Aussi longtemps que le discours public sera abaissé à un niveau qui insultel’intelligence du citoyen, qu’il omettra de traiter des vrais enjeux, qu’ils’attardera aux questions de forme plutôt que de fond et qu’il sera, sommetoute, dépourvu d’intérêt, le citoyen se contentera de grands titres et denouvelles qui défilent à grande vitesse sur son écran. Les médias doiventenfin assumer leur devoir et éduquer le citoyen sur les enjeux publics en luifournissant une variété d'outils qui lui permettront de participer de façonplus active au discours public. Par ailleurs, la disparition de figures politiquesqui inspirent, qui rallient et qui soulèvent les bonnes passions continued’alimenter l’indifférence du citoyen face au discours public. L’histoire aconnu de ces grandes personnalités et, a fortiori, révélé que le citoyen peutsortir de sa léthargie. Nos leaders doivent arrêter d’épurer le discours publicde sa substance et cesser de prétendre que leurs réponses sont évidentes etque celles de leurs opposants sont mal fondées.

À ceux qui diront que le discours public ne peut changer, nous répondons :combien de fois dans l’histoire des idées a-t-on fait appel à cette rhétoriquequ’un monde meilleur n’opère que dans le monde des idées ? Ultimement,combien de fois cette réponse a-t-elle été démentie ? Nous croyons, sansaucune réserve, qu’il y a place pour la quête d’un vrai discours public.

Stéphanie Vig et Grégoire Webber

19

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 19

Page 22: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

20

Les trompe-l’œil sont la « marque de commerce » d’Escherdans plusieurs de ses œuvres et cette image est intéressante dans

le domaine de la santé. On y retrouve beaucoup d’illusions et unmanque de compréhension de ce secteur d’activité. On a concentré la plupartde nos efforts sur la guérison et très peu, en comparaison, sur la préventionet les déterminants de la santé. Le Québec possède quand même l’un des systèmesde santé publique les plus développés au monde qui porte une attentionconstante à la prévention. Nous devons soigner notre population avecla technologie la plus moderne qui soit et, malheureusement, cettetechnologie s’avère de plus en plus onéreuse et gruge une grande portionde nos dépenses. La réforme du système de santé québécois en coursest basée sur une approche « populationnelle » mettant l’accent sur ledéveloppement de la santé publique dans tous ses programmes.

Une autre preuve de l’attention que nous portons aux déterminants de la santéest l’investissement, de 400 millions de dollars sur une période de 10 ans,effectué par le gouvernement du Québec de concert avec la FondationChagnon pour réaliser un travail multiministériel sur les déterminants de lasanté des jeunes de 0 à 17 ans, appuyé par des projets provenant du milieucommunautaire.

Il faudrait, selon moi, faire disparaître la principale illusion partagéedans notre société, à savoir celle d’un système de santé en faillite. Cetteillusion, alimentée par les médias, qui soulignent continuellement lesdifficultés plutôt que les succès, donne une image très négative du systèmequi entraîne une perte de confiance de la population, un manque d’intérêt desjeunes pour les différentes professions du domaine de la santé, une inquiétudechez les personnes âgées ainsi qu’une grande morosité chez les travailleursdéjà actifs.

En conclusion, nous aurions tous intérêt à laisser ces illusions à Escher.

David Levine

« Il faudrait,selon moi,

faire disparaîtrela principale

illusion partagéedans notre société,

à savoir celled’un système

de santé enfaillite. »

La santé

BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd 5/13/08 3:05 PM Page 20

Page 23: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Les comportements des sujets ou des groupes nesont pas déterminés par les caractéristiques

objectives de la situation, mais par les représentationsde cette situation. (Jodelet, Moscovici, 1989)

Escher est le génie de la perspective. On observe ses escaliers qui montent etdescendent, croyant y reconnaître une image tout à fait plausible. Puis, yregardant de plus près, on y découvre des paysages existant seulement parla magie de l’illusion d’optique.

Nos interrogations incessantes et la multiplication des rapports d’experts fontcroire que nous aurions avantage à considérer la santé avec circonspection,comme nous le faisons naturellement en face d'un dessin du fameux lithographe.

Le concept de santé est élastique et multiforme. Si on investit ensanté, dans quoi investit-on ? Au Québec, l’argent est injecté dans les soinshospitaliers, les médicaments et l’équipement médical de pointe. Des soinsstrictement biomédicaux qui visent à régler ponctuellement la maladie déjàexistante. S’agit-il véritablement d’un investissement dans la santé des popu-lations ?

Un mythe puissant de la santé publique veut que les services biomédicaux,dirigés par les ministères de la Santé, soient ceux qui contribuent le plus àl’amélioration de notre état de santé collectif. L’étude de Ross, Brownnwellet Ménec, publiée dans l’ouvrage Healthier Societies (2006) et financée parl’Institut canadien des recherches avancées, conclut que dix années d’inves-tissement massif dans les systèmes de soins biomédicaux n’amélioreraientpas de manière notable la santé des populations. Nous avons atteint unplateau. En revanche, l’amélioration des déterminants sociaux de la santé,notamment l’éducation, l’alphabétisation, les conditions socioéconomiques,l’environnement et la réduction des iniquités relatives aux milieux de vie,aurait un effet considérable, à court terme, sur la santé des personnes. Est-ce àdire qu’investir dans la santé en consentant à une augmentation faramineusedes coûts des médicaments sans faire une évaluation précise de leur supérioritén’est pas la solution ? Que de se payer la dernière technologie en imageriemédicale tout en diminuant les programmes sociaux et en ignorant lesfacteurs de risque des produits de consommation quotidiens n’améliore pas lasanté ? Précisément.

Pourtant, d’aucuns diront que la santé, c’est la priorité. À preuve, en 2007, legouvernement du Québec consacrait 44,3 % de son budget à la santé. Cetteproportion était de 30,6 % en 1980. En dix ans, le montant attribué à lasanté, par habitant, a décuplé. Pour chaque personne qui gagne 50 000 $,c’est 5 000 $ que vous investissez chaque année dans ce système. Ensemble, lesQuébécois achètent pour 25 milliards de dollars de soins de santé annuellement.

La facture gonfle rapidement. Le coupable : le vieillissement de la population.Or, de l’aveu même de l’actuel ministre de la Santé, M. Philippe Couillard,l’augmentation des coûts de son ministère n’est pas attribuable au vieillisse-ment de la population, mais à la hausse du coût des médicaments et del’équipement de pointe. Pourtant, l’Agence d’évaluation des technologies etdes modes d’intervention en santé, l’AETMIS, ne reçoit que 3 millions dedollars. On dépense moins du dixième de un pour cent du budget pour évaluerde manière indépendante la pertinence de nos méthodes et de nos achats.Voilà un bel exemple d’escalier d’Escher qui ne mène nulle part.

Question de perspectiveIl existe une prépondérance marquée de l’idée de vaincre la maladie(biologique) sur l’idée de l’atteinte, du maintien et de l’amélioration de la santédes personnes. Apparaissent aux antipodes idéologiques du rôle de l’Étatla primauté de la liberté individuelle, qui mène à la déréglementation et à laprivatisation des soins, et la prépondérance du bien commun. Le gouver-nement américain a fait le choix de la privatisation et investit tout de même500 $ de plus que le Canada par personne. Où est l’économie pour le citoyen ?

Le dernier rapport Castonguay propose de voir le patient comme une sourcede revenu. Un revenu pour qui? Sûrement pas pour le contribuable. On parled’un « marché des soins de santé ». Il y a pourtant une différencefondamentale entre le marché des biens et des services et la santé. Un maladene fait pas face à un choix, il fait face à une nécessité.

Et pour diminuer les coûts ? Renforcer les lois sur la publicité des établisse-ments pharmaceutiques destinée aux consommateurs et aux médecins,donner du mordant à une politique d’évaluation des médicaments et desnouvelles technologies, et implanter une politique de l’usage du médicamentgénérique. Puis, surtout, s’intéresser davantage à créer la santéplutôt qu’à soigner la maladie.

Philippe Santerre

d’Escher

21

COUVERTURE C1-C4-LOW.qxd 5/13/08 2:46 PM Page 3

Page 24: SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

COUVERTURE C1-C4-LOW.qxd 5/13/08 2:46 PM Page 4