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Chômage Urbain et Evolution de la Nature de l'Offre de Travail dans les Economies Africaines Author(s): André Lux Source: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 3, No. 2, Special Issue: Unemployment in Africa (Summer, 1969), pp. 395-408 Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African Studies Stable URL: http://www.jstor.org/stable/483959 . Accessed: 12/06/2014 22:58 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Taylor & Francis, Ltd. and Canadian Association of African Studies are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.212 on Thu, 12 Jun 2014 22:58:39 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Chômage Urbain et Evolution de la Nature de l'Offre de Travail dans les Economies AfricainesAuthor(s): André LuxSource: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 3,No. 2, Special Issue: Unemployment in Africa (Summer, 1969), pp. 395-408Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/483959 .

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Ch6mage Urbain et Evolution de la Nature de l'Offre de Travail dans les Economies Africaines

ANDREi Lux

Le concept de dualisme comme outil d'analyse.

II est fr6quent de voir le concept de dualisme associ6 h ceux de ch6mage et de sous-emploi dans les pays en voie de d6veloppement. Ce concept a requ droit de cit6 en sciences humaines depuis les travaux de Boeke, qui pr6sente pr6cis6ment le ch6mage comme une cons6quence in6luctable du dualisme, au point de r6sister a toute forme de th6rapeutique gouvernementale.1 Cet auteur concevait un 'dualisme social' sous la forme d'un choc provoqu6 sur un systime social traditionnel 'oriental' par l'importation d'un systeme social 'occidental', habituellement de type capitaliste industriel. Ce choc ne r6ussissait qu'h d6struc- turer le systeme traditionnel sans parvenir du tout h l'int6grer au systeme mo- derne, de sorte que les deux restaient irr6ductiblement paralleles et 6trangers l'un h l'autre en vertu de leurs fondements socio-culturels incompatibles.

Si la th6se de Boeke ne r6siste guere dans sa pr6sentation radicale h I'examen attentif des faits 2, elle a exerc6 une influence r6elle sur les 6conomistes de langue francaise int6ress6s au tiers-monde. Ils conqoivent en effet le dualisme comme un ph6nomine social total qui se traduit par la non-int6gration du secteur rural traditionnel dans le secteur moderne de l'6conomie de march6.3 Ce qu'il importe de constater ici, c'est que ces auteurs, et plus particulierement Gannage, impu- tent au dualisme, c'est-a-dire au manque d'int6gration entre les deux secteurs, la responsabilit6 du sous-emploi d6guis6 dans le secteur traditionnel, mais des lors aussi celle du ch6mage dans le secteur industriel, puisque 'le passage d'un secteur h l'autre est difficilement concevable'.4

1. J. Boeke, Economics and Economic Policy of Dual Societies (New York 1953), 318-319.

2. Voir notamment B. Higgins, "The 'Dualistic Theory' of Underdeveloped Areas", Econ. Development & Cult. Change, IV, 1, first part, (1955), 99-115.

3. Voir notamment F. Perroux, 'Trois outils d'analyse pour l'4tude du sous-deve- loppement', Cahiers de I'I.S. E. A., s&rie F. 1; R. Barre, 'Le developpement &co- nomique, analyse et politique', Cahiers de 17'I. S. E. A., s&rie F. 11, (1958); E. Gan- nage, 'Economie du ddveloppement', (Paris, 1962).

4. E. Gannage, op. cit., 116; voir aussi 117 et 71-77.

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En fait, cette relation causale prate a confusion dans la mesure oti n'appa- rait pas une distinction claire entre sous-d6veloppement, non-developpement et d6but de d6veloppement. A la limite, cette affirmation n'est qu'un truisme, puis- qu'il est bien 6vident qu'aussi longtemps qu'un pays n'est pas suffisamment d6- velopp6, il comprend certains secteurs et r6gions encore mal et peu reli6s a ceux qui sont davantage d6velopp6s. Ceci revient simplement a dire qu'une r6gion sous-developp6e sous-emploie par d6finition ses facteurs de production, soit qu'elle connaisse le surpeuplement avec ch6mage rural d6guis6, soit que sa faible densit6 dlmographique laisse en friche de larges portions de terres.

Des lors, il n'est pas souhaitable d'aborder le probleme du d6veloppement en privil6giant l'absence de contacts entre deux secteurs pour en d6duire que le secteur traditionnel se referme sur lui-meme et conclure a l'apparition du sous- emploi. En effet, le sous-emploi 6conomique, loin d'etre le fruit d'un dualisme structurel, est anterieur au d6veloppement bien que sans port6e au sein de la soci6t6 coutumiere. II explique pourquoi le processus de d6veloppement ne peut s'enclencher qu'en un nombre r6duit de points du paysage socio-g6ographique s'il veut avoir quelque chance d'irradier ses effets a travers l'ensemble de ce paysage. Le fait meme de pouvoir observer un manque d'int6gration entre sec- teurs indique que le processus de d6veloppement est en branle. Celui-ci n'est pas pour autant infaillible et peut d6vier vers le sous-d6veloppement.

Il est certes difficile de tracer la frontibre au-delk de laquelle le manque d'int6gration entre secteurs n'est plus imputable

' la phase infantile du d6ve- loppement, mais '

l'6chec meme de celui-ci. Cette delimitation est pourtant d'un grand int6ret pour l'analyse correcte du d6veloppement, qui est un pro- cessus dialectique s'accommodant d'6checs apparents et stimul6 par les tensions et deviations memes qu'il engendre. Faute de faire cette distinction et a cause d'une conception dichotomique et polaire de deux secteurs extremes. la th6orie dualiste de l'6cole franqaise n'offre pas l'outil ad6quat pour l'interpr6tation du ch6mage urbain dans le cadre du dilemme entre d6veloppement et sous-d6veloppe- ment d'un tiers-monde en mutation.5

La conception pr6c6dente du dualisme ne doit pas etre confondue avec la notion de 'dualisme technologique' 6labor6e par Eckhaus 6, Higgins 7 et d'autres, qui est un outil plus valable d'analyse du sous-emploi. Rappelons ici que les

5- On pourrait lui appliquer cette remarque de B. Higgins, op. cit., p. 106: 'Dr. Boeke does say that the term 'dual society' should be reserved for 'societies showing a distinct cleavage between two synchronic and full grown social styles'. But does this qualification help? What is 'full grown'? When does one find a 'full-grown' capitalism side-by-side with a 'full-grown' precapitalistic society, with nothing in between?'

6. R. S. Eckaus, 'The Factor Proportion Problem in Underdeveloped Areas', American Economic Review, Sept 1955.

7- B. Higgins, Economic Development, (New York, 1955).

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CHOMAGE URBAIN ET OFFRE DE TRAVAIL

modeles de ces auteurs sont construits ' partir des deux facteurs capital et tra-

vail et de deux secteurs caract6ris6s l'un par des combinaisons a forte dose de

capital et coefficients techniques rigides, l'autre par des m6thodes a base de travail et de coefficients flexibles; ils visent ' d6montrer l'incompatibilit6 fr6quente entre

plein-emploi et maximation de la croissance du produit national. Le sous-emploi est sans cesse aliment6 par l'explosion d6mographique alors que la marge des combinaisons possibles de travail et de capital est 6troite - ou suppos6e telle - et ne permet donc pas l'absorption des surplus annuels de population.

Sans vouloir analyser ces modeles en d6tails, remarquons cependant qu'il n'apparait pas clairement si le secteur a forte dose de travail est l'agriculture de subsistance ou l'agriculture (partiellement) commercialis6e. Le contexte de

Higgins incline vers la premiere, celui d'Eckaus vers la seconde r6ponse. Dans le premier cas, le parametre de plein-emploi est sans signification, nous l'avons dit; dans le second cas, Eckaus raisonne comme s'il y avait quasi-parfaite mobilit6 du travail entre les deux secteurs, dont le secteur rural serait le d6potoir du ch6- mage urbain. Or, dans la mesure oui ce secteur garde l'empreinte de la mentalit6 et des structures sociales traditionnelles, il n'est pas parfaitement int6gr6 h l'autre et donc inapte a r6absorber n6cessairement le surplus d'offre de travail du secteur urbain. Nous reviendrons '

l'analyse des rigidit6s qui freinent la mobilit6 inter- sectorielle de la main-d'oeuvre.

Par ailleurs, les th6ories, tant du c6t6 franqais qu'anglais, s'appuient sur la situation de pays a forte densit6 et rapide croissance d6mographiques, sans faire toujours par ailleurs une distinction claire entre sous-emploi rural et ch6- mage urbain. C'est pourquoi les pays d'Afrique m6ritent une attention sp6ciale, puwsqu'ils sont g6n6ralement peu peupl6s tout en connaissant depuis vingt ans un ch6mage urbain croissant alors qu'une partie de leurs zones rurales sont encore faiblement reli6es

t l'6conomie moderne.

De la pinurie au surplus de main-d'ceuvre

Le but de cet article est de replacer le ph6nomene du ch6mage dans le contexte historique de l'apparition et de l'expansion du salariat en Afrique, sans vouloir d6boucher sur des g6n6ralisations hatives. A ce continent ne peut pas s'appliquer le module qui relie sous-emploi

' surpopulation. Son histoire 6cono-

mique atteste en effet entre 1880 et 1950 une situation de sous-peuplement relatif

par rapport t 1'essor rapide de la demande de travail. Ce fait prolong6 est capital

pour une perception ad6quate du mode d'apparition ult6rieure du ch6mage urbain. Aussi vaut-il la peine de l'appuyer sur quelques t6moignages.

C'est ainsi que Lord Hailey affirme que la Rhod6sie aurait connu un d6-

veloppement industriel beaucoup plus rapide s'il n'avait 6t6 continuellement frein6

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par le manque d'hommes.8 Powesland a montr6 que l'Ouganda souffrait d'une

p6nurie chronique de main-d'oeuvre a cause de la concurrence de l'agriculture, principale source de revenus monetaires, de sorte que la croissance de son economie d6pendait de l'immigration de travailleurs 6trangers.9 Le cas de l'Ou-

ganda est int6ressant, car les entreprises europ6ennes n'y occupaient en 1938 que 85,000 salaries, soit environ 8% de la population masculine adulte. On ne

peut donc imputer la tension sur le march6 du travail au facteur d6mographique et encore moins au dualisme ou manque d'int6gration des secteurs agricole et industriel. En effet, dans la premibre moiti6 du 20e siecle, l'offre de travail

empruntait une tendance anticyclique en fluctuant en sens contraire de celui du volume et des prix des produits agricoles; en periode de haute conjoncture, les fermiers ougandais produisaient des denr6es agricoles en abondance pour le mar- ch6 avec l'aide de travailleurs familiaux et autres, provoquant ainsi une p6nurie de travailleurs disponibles pour r6pondre 'a la demande accrue de travail des

entreprises europ6ennes, d6bord6es par le traitement de stocks accrus de produits agricoles d'exportation ou par la demande enfl6e de biens de consommation

permise par la haute conjoncture. Lorsque par contre, en d6but de basse con-

joncture, les entreprises europeennes relachaient leur demande de travail, beaucoup de fermiers ougandais diminuaient a leur tour leur production en r6ponse a la baisse des prix et affluaient sur le march6 du travail des villes en meme temps que les travailleurs agricoles licenci6s par eux, pour r6int6grer cependant leurs fermes dis la prochaine remont6e des prix.'o

Meme au K6nya, dont la population 6tait plus dense, les surplus de deman- de de travail 6taient fr6quents. En 1921 par exemple, le 'Report of the Labour Commission' pr6voyait pour 1926 un exc6dent de la demande de l'ordre de 32,000 hommes.11 Durant la seconde guerre, la hausse du prix des vivres locaux assurait aux villageois des revenus suffisants qui les dispensaient d'offrir leurs services sur les march6s de l'emploi.12

C'est au Congo cependant que la p6nurie de main-d'oeuvre atteignit des

proportions alarmantes. En 1924-25, une 'Commission de la Main-d'oeuvre' dut

r6glementer s6verement les recrutements de travailleurs dans les villages en fixant un plafond de 2570 des hommes valides. En passant de 53,000 en 1918 '

416,000 en 1926, le volume de l'emploi creva largement ce plafond tout en laissant encore 50,000 emplois vacants. Apres la grande crise, l'emploi monta en fliche jusqu'h 523,000 en 1938 contre 292,000 en 1932, sans guere r6duire

l'exc6dent de la demande, qui se situait autour de 40,000. Au lendemain de la

8. Lord H. Hailey, An African Survey, Revised 1956 (London, 1957), 1292. 9. P. Powesland, Economic Policy and Labour (Kampala, 1957), 67.

10. Ibid., 54-55. 11. Report of the Labour Commission, (Nairobi, 1921), 10-12. 12. Government of Kenya, Labour Department, Annual Report, (1943), 1.

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guerre, la tension sur le march6 du travail ne se relicha pas, en apparence on d6nombrait dans les trois provinces de L6opoldville, du Katanga et du Kivu 45% des hommes comme salari6s en 1951. En 1955, le pays entier comptait 1,200,000 salari6s repr6sentant 39% de la population masculine adulte.13

Cependant, la simple juxtaposition chronologique de chiffres cache une evolution capitale de la structure de l'offre de travail.

Pendant les premieres d6cades de l'6re coloniale, l'exc6dent de la demande de travail, si prononc6 fut-il dans les statistiques, sous-estimait l'ampleur des distorsions provoqu6es par 1' 'offre forc6e' extorqu6e a des paysans non pr6par6s et tres r6ticents. Quelques d6cades plus tard, l'on pouvait constater, notamment au Congo, que l'extraordinaire hausse de la demande de travail n'avait pas accru dans les memes proportions la tension sur le march6 de l'emploi et devait meme

s'accompagner d'une diminution de cette tension au point qu'apparaisse apres 1950, et parfois plus t6t, du ch6mage dans les centres urbains. I1 faut en effet

souligner que celui-ci pr6cede la baisse de la demande de travail, qui ne se

g6n6ralise, au Congo du moins, qu'apres 1955.14

Comment concilier ce renversement de tendance de la p6nurie au surplus de travail avec la persistance au Congo d'un taux tris 61ev6 d'expansion 6co- nomique, si l'on se rappelle qu'entre 1920 et 1956 le produit national brut et les exportations agricoles s'accroissent en termes r6els de 8% l'an et la pro- duction industrielle de 11.2% l'an? 15

Au point de d6part des relations entre offre et demande de travail, 1'initia- tive 6mane de la demande alors que la raret6 initiale de l'offre s'explique moins par la faible densit6 d6mographique que par l'organisation sociale et le systeme des valeurs des communaut6s villageoises, qui sont inaptes et pas int6ress6es 'a jouer le r6le d'offreuses de travail salari6. L'apparition apres 1950 d'un ch6-

mage urbain toujours plus aigu dans une 6conomie congolaise progressive avec une demande de travail croissante ne doit done pas s'expliquer du c6t6 de cette derniere, comme c'est fr6quemment le cas dans les pays industriels d'Occident, mais dans la mutation radicale des conditions qui d6terminent l'offre de travail.

Quelle est cettte mutation? Avant de l'examiner, pr6cisons qu'il s'agit d'expliquer la genese d'un ch6mage structurel de longue dur6e r6sultant du pro- cessus meme de l'insertion des populations dans l'6conomie mon6taire. Il n'exclut

13. Pour plus de details, voir A. Lux, La marche du travail en Afrique Noire, (Louvain, Paris, 1962), 48-50.

14. Selon les Rapports annuels sur La situation economique au Congo Belge et au Ruanda-Urundi, l'augmentation annuelle relative de l'emploi est de 7.2% en 1951, 4.5% en 1952, 3.0% en 1953, 3.3% en 1954, 3.2% en 1955, tandis que l'emploi baisse de 9% entre 1956 et 1958.

15. Voir B?,ulletin de la Banque Centrale du Congo Belge et du Ruanda-Urundi, mars 1956, 99-123 et juin-juillet 1959, 225-241

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pas l'apparition d'un ch6mage de type conjoncturel de courte dur6e, tel qu'on l'a observe en Ouganda (voir supra). D&s lors, cette mutation est completement etrangere au module du dualisme fonctionnel propos6 par Gannage et d'autres pour expliquer le sous-emploi et le ch6mage.

Evolution de la nature de l'ofjre de travail

On ne peut comprendre cette mutation sans r6aliser qu'au stade initial du developpement n'existe pas d'offre de travail au sens 6conomique du terme, c'est-a-dire d'offre d'une certaine quantit6 de travail en fonction d'un niveau de sa- laire. L'amorgage d'un courant de travail migrant temporaire se fait soit par coerci- tion qui provoque 1' 'offre forc6e', soit par le stimulant positif des biens de consom- mation; lorsque l'attrait exerc6 par ceux-ci d6passe un seuil psychologique, le paysan d6cide d'6migrer, il 'vend' en quelque sorte sa d6cision de partir travailler, mais il n'6tablit aucune relation precise entre quantit6 et prix de son travail, notamment a cause de la conception sp6ciale de la valeur qui prevaut dans une economie de subsistance.16 D'un point de vue psychologique, un travailleur mi- grant inexp6riment6 se comporte plut6t comme s'il 6tait demandeur de tel bien

precis de consommation qui le fascine assez pour le forcer ' 'acheter' la somme d'argent qui est tout juste n6cessaire a son acquisition.'7

En tant que 'target worker', il peut avoir un double objectif, dont les deux composantes sont autonomes: d'une part I'acquisition de tel(s) bien(s), d'autre part l'absence du village pour une duroe li6e au cycle agricole et non pas au temps requis pour 1' 'achat' de l'argent n6cessaire " l'obtention du bien. C'est pourquoi la courbe de 'disponibilite de travail' 18 est d'6lasticit6 nulle plut6t que

16. Dans son Economic Anthropology (New York, 1952), 16, M. Herskovits disait que dans les &conomies de subsistance, 'the utilities are of the all-or-none variety'.

17. Par contre, dans la societe industrielle, si le march6 du travail est egalement le passage plus ou moins oblige pour qui veut consommer, les travailleurs ont un comportement d'offreurs de services sur ce marche, bien distinct de leur comporte- ment d'acheteurs sur le marche des biens de consommation; ils sont en effet interesses a acquerir d'abord un pouvoir d'achat qu'ils distinguent d'autant plus facilement des biens acquerables par ce pouvoir qu'ils ont un 6ventail plus ouvert de besoins. Cet eventail explique justement l'interet porte a la conquite du pouvoir d'achat le plus 6leve et le plus regulier possible. - Nous ne prenons pas ici position dans le d6bat entre 'substantivistes' et 'formalistes' de l'anthropologie 6conomique. Voir a ce propos G. Dalton, 'Theoretical Issues in Economic Anthropology' et les 23 commentaires annexes (notamment ceux de E. Leclair et de R. Salisbury) dans Current Anthro- pology, fevrier 1969, 63-102, ainsi que E. Leclair & H. Schneider eds., Economic Anthropology (New York, 1968). Nous affirmons seulement qu'un cultivateur tradi- tionnel ignore au depart les regles du jeu du marchA du travail, lorsqu'il y penitre pour la premiere fois et qu'il n'a pas etA prepare par l'experience d'autres villageois.

is. 'Disponibilit6 de travail' par distinction de 'offre de travail', laquelle suppose une relation consciente entre les deux dimensions de prix et de quantit6 du travail a fournir.

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n6gative. L'autonomie de la composante-duree de son objectif explique que le travailleur puisse glaner en fin de sejour un revenu sup6rieur a la somme indis-

pensable a l'achat du bien convoit6. Aussi, le surplus va-t-il lui apparaitre pour la premiere fois sous sa forme de pouvoir d'achat pur, non encore lie a un besoin pr6alable. Cette d6couverte constitue un moment privil6gi6 de son acculturation et elle va l'inciter a allonger la duree de ses s6jours suivants en milieu de travail par le fait meme qu'elle contribue a l'actualisation d'autres besoins, restes latents jusqu'alors. L'interconnection de mieux en mieux perque entre la duree du travail fourni et la quantit6 de biens achetables peut alors con- vaincre le travailleur de l'avantage

' retirer d'une carriere prolong6e dans le secteur moderne de l'6conomie, de sorte qu'il renonce au systeme du travail

migrant. Ceci peut fournir une explication partielle de la tendance a la stabilisation

des populations urbaines d'Afrique centrale. Ainsi s'acc6lre la phase de tran- sition de l'6conomie de subsistance i l'6conomie de march6, grace a l'acc6l6ration du rythme de l'offre de travail stable, qui comble progressivement son retard sur le taux de croissance de la demande de travail.19 Ce mouvement implique des mutations structurelles fondamentales dans l'hinterland rural des centres

d'immigration. L'ambiguit6 de ces mutations doit tre soulignee, car elle explique certains aspects du ch6mage urbain. Elle r6sulte de la combinaison de deux tendances contraires: d'un c6t6, le d6part des jeunes vers la ville appauvrit cet hinterland en le privant de ses forces vives et en y d6gradant l'ambiance sociale; le statut privil6gi6 des anciens est contest6 par les jeunes qui cherchent en ville une alternative et une 6chappatoire. D'un autre c6t6, I'expansion urbaine 61argit les d6bouch6s pour la production vivriere et intensifie donc l'int6gration de l'hin- terland a l'6conomie de march6, puisqu'en retour d'un effort productif accru, les

paysans se procurent plus de produits manufactur6s en ville. De ce processus 6merge lentement mais sfirement l'individualisme des jeunes paysans qui s'oppo- sent a la fois a la rapacit6 des vieux ruraux et aux 'pr6tentions' des citadins qu'ils apergoivent comme des 'nouveaux riches'. La jalousie, cette seconde nature des soci6t6s paysannes, sert alors de frein au retour 6ventuel des citadins tomb6s en

ch6mage.

Changements induits dans la nature du ch6mage urbain.

Le contexte mouvant de l'int6gration progressive des salari6s et des pay- sans a l'6conomie moderne pose la question de l'6volution de la nature du ch6- mage. Celui-ci change de nature et d'ampleur selon les 6tapes de cette int6gration, marqu6es par la pr6dominance du travail migrant, quasi-migrant ou stabilis6.

19. L'6volution du march6 du travail est analysee plus en detail dans A. Lux, op. cit., chapitres 3 et 4.

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Le travail migrant n'est offert au sens strict qu'd temps limit6 par quelqu'un qui reste fondamentalement attache a sa communaut6 et a son 6conomie tradi- tionnelles; c'est donc un ph6nomene marginal, motiv6 non pas tant par le d6sir de participer h l'6conomie de march6 que par des impdratifs culturels d'inspi- ration coutumiere.2? Pour autant que puisse apparaitre dans ces circonstances un peu de ch6mage, la responsabilit6 en incombe au manque de flexibilit6 de l'offre de travail. Le travail migrant est en effet en porte-a-faux par rapport a l'6conomie moderne, si bien que les volumes de l'emploi et du ch6mage ne sont pas des quantit6s compl6mentaires, comme c'est le cas d'une 6conomie indus- trielle a l'int6rieur de laquelle les travailleurs en emploi et ceux qui ch6ment font tous partie int6grante d'une classe bien d6fini et mesurable de salari6s profes- sionnels.

Celui qui est paysan traditionnel et salari6 occasionnel ne peut en effet pas esp6rer jouer sur les deux tableaux sans jamais de d6s6quilibre. Les p6riodes d'intense activit6 agricole au village coincident souvent avec la haute saison dans les plantations modernes, de sorte que ces dernieres souffrent de p6nurie de bras lorsqu'elles en ont le plus besoin et s'en voient offrir en relative abon- dance quand elles r6duisent leurs travaux; la meme raison explique l'immigra- tion et le ch6mage saisonniers en ville.21

Dans le cas du travail quasi-migrant des paysans de l'agriculture commer-

cialisde, deux situations peuvent intervenir 2: premierement, de tels paysans, no- tamment en Afrique occidentale, s'en vont en saison seche dans un centre rela- tivement proche s'embaucher comme salarids temporaires pour arrondir leur re- venu annuel, mais rien ne leur garantit de trouver de l'embauche. Ensuite,

l'instabilit6 conjoncturelle peut provoquer des flux et reflux de main-d'oeuvre entre la campagne et la ville, dont Powesland nous a donn6 un exemple frappant en Ouganda, d6jai relate plus haut. (Voir note 10)

Dans une phase ulterieure du d6veloppement, caract6ris6e par la stabili- sation des populations urbaines, l'offre de travail devient endogene au milieu urbain et peut des lors 6tre consid6r6e comme constante a court terme (abstrac- tion faite des r6sidus d'offre migrante). Pour cette tranche d'offre, emploi et ch6- mage sont devenus des grandeurs compl6mentaires. A l'encontre du cas du travail migrant, la stabilisation traduit l'option prise en faveur d'une sp6cialisation

20. Le travail migrant, incorpore parmi les epreuves d'initiation ' la vie adulte,

est ainsi 'naturalise' par la coutume et peut contribuer h la consolider; voir notam- ment le cas des Mambwe de Zambie, analyse par W. Watson, Tribal Cohesion in a Money Economy (Manchester, 1958).

21. Voir A. Lux, 'Agriculture as an Alternative to Wage Labour in African Eco- nomies', Cahiers Economiques et Sociaux, I, 4, (1963).

22- Le concept de travail migrant est reserve aux seuls individus dont l'activith 6conomique de base est l'agriculture de subsistance.

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dans le r61e du salariat comme indice d'un progres de l'acculturation et en r6ponse aux avantages consentis par les demandeurs de travail soucieux d'6liminer les causes profondes de la raret6 de main-d'ceuvre; le processus de stabilisation des

populations en milieu urbain ne peut donc &tre rendu responsable d'un d6s6qui- libre subsequent sur le march6 du travail. En effet, ce sont les tensions n6es de la p6nurie de travailleurs qui ont suscit6 les initiatives tendant a accel6rer le

processus d'acculturation pour aboutir ' la constitution d'une classe permanente de salari6s urbains, pleinement adapt6s aux exigences d'une 6conomie industrielle. Si du ch6mage vient '

paraitre subs6quemment, il ne relive pas d'une quelconque inaptitude d'adaptation de ces salaries, mais bien au contraire, d'un taux mal ajust6 de croissance de la demande de travail.

Un tel malajustement est fr6quent et caract6ristique d'une 6conomie en voie de d6veloppement. Le rythme de croissance du secteur moderne ne se maintient

pas automatiquement '

un niveau suffisant pour absorber l'accroissement subs6-

quent normal de l'offre de travail (par suite de l'accroissement naturel des villes notamment), sans oublier que ces 6conomies souffrent de rigidit6s structurelles

qui les empechent de se reconvertir a temps; elles restent trop longtemps orientees vers les secteurs d'exportation au lieu de se diversifier et de s' 'internaliser'. Si elles s'internalisaient plus t6t, l'efficacit6 marginale anticip6e par les investisseurs

pour les capitaux orient6s vers le secteur des biens de consommation augmen- terait a la suite des pressions accrues de la demande potentielle de ces biens, pression li6e au processus d'acculturation 6conomique. II en r6sulterait, ceteris paribus, de nouveaux d6bouch6s sur le march6 du travail. Le ch6mage apparait donc, dans ce contexte, comme le r6v61ateur d'une crise structurelle de croissance, qui ne pourra se r6soudre en une phase nouvelle de vrai d6veloppement que moyennant une naturalisation, ou encore une internalisation, des structures socio- economiques.

Reactions de l'offre globale de travail aux variations de la demande

L'existence d'un ch6mage au cours des phases successives du d6veloppement 6conomique de l'Afrique n'implique pas une compl&te insensibilit6 de l'offre globale de travail aux variations de la demande globale.

(a) Prenons d'abord le cas du travail migrant. Le processus qui r6git le volume de l'immigration temporaire en milieu moderne est bas6 sur l'hypothese selon laquelle les incitations 6conomiques jouent un r61le important dans cette immigration, meme si elles sont inspir6es d'une logique traditionnelle. Il en r6- sulte que pour une demande de travail donn6e, l'offre globale ne peut d6passer un certain plafond sous peine de rendre impossible la r6alisation de l'objectif 6conomique d6sir6; en effet, si les travailleurs migrants ne peuvent, dans le laps

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de temps limit6 dont ils disposent, se procurer les 'target goods' convoit6s, l'aspect 6conomique de leur motivation d'immigrer dans le secteur moderne s'6vanouit.

L'objection selon laquelle le villageois n'a rien a perdre d'une aventure en ville, meme sans y trouver embauche, ne tient pas, si l'on se rappelle qu'il ne peut :se permettre de rentrer au village les mains vides sans d6choir aux yeux de ses

pairs et des aines de son lignage. En tout 6tat de cause, l'hypothese 6mise ici s'est v6rifiee a plus d'une reprise.

En Rhod6sie du Sud, le 'Report of the Secretary for Labour' de 1958 constatait

que la recession 6conomique entrainait une baisse sensible de l'immigration sai- sonniere.23 A Brazzaville, selon Devauges, la crise 6conomique commengant en 1951 a ralenti l'immigration et provoqu6 un reflux vers la brousse.24. A Lulua-

bourg, au Congo, environ 5% des jeunes adultes quitterent la ville entre 1955 et 1957, alors que le ch6mage y frappait 15% des travailleurs et que les d6bou- ch6s habituels sur les march6s de l'emploi du Katanga 6taient largement satures; des lors, le reflux de ces jeunes, originaires des environs de la ville, ne pouvait guere qu'emprunter le chemin des villages.-5

(b) Prenons maintenant le cas de la main-d'oeuvre urbaine stabilis6e. Nous trouvons ici une adaptation au moins partielle de l'offre a la demande a la suite meme du d6veloppement 6conomique; celui-ci assure une compl6mentarit6 entre zones et march6s urbains et ruraux, qui rend d6suet le systeme du travail migrant, puisque les gens sont amends a faire un choix entre deux fonctions modernes

sp6cialis6es, l'agriculture de rapport ou le salariat.

On en trouve des exemples (1) au Buganda, dont les fermiers moins riches

quittent leur terre et renoncent au travail quasi-migrant pour s'installer d6finiti- vement h Kampala et ' Jinja et y trouver des emplois suffisamment r6mun6rateurs pour leur permettre de concurrencer le niveau de vie des fermiers plus riches,2 (2) dans les paysannats du Kasai au Congo peupl6s d'anciens ouvriers qualifi6s des centres industriels du Katanga, qui y commencent une nouvelle carriere mo- derne apres 1950, (3) et plus g6n6ralement aux alentours de la plupart des grands centres, tels que Kinshasa, dont les besoins alimentaires stimulent l'agriculture vivriere et maraichere.

Une fois encore, le processus de sp6cialisation repose sur l'hypothise vou- lant que les Africains soient sensibles aux perspectives de mieux-&tre 6conomique.

23. Report of the Secretary for Labour, Social Welfare and Housing, 1958 (Salis- bury, 1959), 10.

24. R. Devauges, Le ch6mage a Brazzaville. Etude sociologique. (Paris, 1959), 7-12.

25. A. Lux, 'Migrations, accroissement et urbanisation de la population congolaise de Luluabourg', Zaire, XII, 7, (1958), 721.

26. W. Elkan, Migrants and Proletarians (London, 1960), 47.

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CHOMAGE URBAIN ET OFFRE DE TRAVAIL

Ceci explique que des ch6meurs urbains ou des travailleurs mal pay6s puissent opter pour une agriculture commercialis6e, qui les r6munerera mieux.

Limites de la flexibilite de l'offre globale de travail.

Les r6actions d'adaptation de l'offre globale de travail aux variations de la demande sont n6anmoins limit6es par quatre raisons.

(a) Tout d'abord, le m6canisme d'adaptation ne fonctionne que si le r6ser- voir principal de main-d'oeuvre d'un centre se confond avec l'hinterland agricole de ce centre, plut8t que de se situer dans des zones plus lointaines et 6conomique- ment peu favoris6es. Ces dernieres ne peuvent en effet offrir d'alternative accep- table au statut meme m6diocre que trouvent en ville leurs 6migrants quelque peu ambitieux. Cependant, alors meme que cette condition est remplie, la r6alit6 d6borde l'hypothise, car c'est dans les aires rurales d6ja connect6es structurelle- ment ' un p61le de d6veloppement urbain que les ferments socio-culturels de

d6sint6gration de la soci6t6 traditionnelle sont les plus actifs. C'est pourquoi la jeune g6n6ration risque de s'6vader de villages 6conomiquement relativement

prosperes sous la pouss6e de motivations extra-6conomiques et elle aggrave ainsi la d6structuration sociale de ces villages.

Ceci d6montre l'importance d'une analyse plus approfondie des liens de

compl6mentarit6 reliant entre eux milieux urbains et ruraux. La nature et l'am- pleur du ch6mage d6pendent en partie de ces liens. Ainsi apparait clairement l'erreur de l'approche 'dualiste' du ph6nomene du ch6mage a partir d'un cloi- sonnement qui isole l'un de l'autre ces deux milieux. Le nouveau mode de vie urbain ne peut en effet apparaitre comme une alternative valable en face du mode traditionnel que dans la mesure oih ce dernier a 6volu6 suffisamment au contact du premier pour lui &tre reli6 par un circuit d'6change d'id6es, d'aspi- rations et de biens. Alors seulement peut-on parler de sous-emploi rural et de

ch6mage urbain, dans la mesure oui ils empruntent tous deux leur signification a une commune r6f6rence a des aspirations et objectifs n6s d'une comp6n6tration progressive entre eux.

(b) Une deuxieme limitation au m6canisme d'adaptation de l'offre globale de travail a la demande tient ta la tendance exponentielle de l'accroissement na- turel des populations urbaines stabilis6es, dont la structure par age est parti- culierement jeune.7 Pour reprendre l'exemple de la ville de Luluabourg, il y

27. Ceci ne contredit pas la fin de la section I, oii le modile de dualisme techno- logique s'inspirait manifestement de la situation des pays orientaux ' forte densit6 et rapide accroissement d6mographiques, qui engendrent des reflux massifs de popu- lations prives de terre vers les villes. Il n'en va pas de meme en Afrique, oui l'ex- pansion demographique ne devient comme telle source de ch6mage que par 1'accrois- sement naturel des populations dejh stabilisees en ville.

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avait en 1957 1,350 ch6meurs ayant perdu leur emploi et 300 jeunes a la recherche d'une premiere embauche. Les 1,350 ch6meurs repr6sentaient 15% des travailleurs; cette proportion montait a 20% en 1958. Sur base de la struc- ture par Age de la population et dans l'hypothese d'une demande de travail sta- tionnaire, d'une capacit6 d'accueil scolaire inchang6e et d'une immigration nulle, j'avais calcul6 alors que la proportion de ch6meurs et de jeunes non encore embauch6s aurait atteint en 1961 32% de la population masculine en Age de travailler 28. Entre-temps, les perturbations politiques ont completement modifi6 les donnees.

L'aspect quantitatif du probleme se double d'un aspect qualitatif pour la simple raison que la seconde g6neration urbaine, composee de jeunes n6s et 6du-

qu6s en ville, ne peut &tre refoul6e ais6ment vers un milieu rural encore par- tiellement traditionnel qu'elle ne connait d'ailleurs pas et auquel elle est pra- tiquement incapable de s'assimiler. Pour les jeunes, des lors, le ch6mage est devenu une variable intrinseque de l'6conomie et de la soci6t6 urbaines.

(c) Une troisieme limitation ' la flexibilit6 de l'offre de travail vient de ce que les chomeurs originaires de la campagne et qui d6sireraient y retourner vivre en cultivateurs risquent d'6tre mal accueillis, voire refoul6s par leur com- munaut6 villageoise, nourrie de ressentiments a leur 6gard. D'une part en effet, ils n'ont pu s'int6grer a la vie urbaine qu'en prenant quelque distance vis-h-vis d'un clan dont, neuf fois sur dix, les contraintes leur avaient pes6 quand ils 6taient encore au village. Pendant les ann6es qu'ils ont pass6es a travailler en ville, les membres influents de leur parent6 ont ressenti d'autant plus ambrement ce

qu'ils percevaient comme un manque de g6n6rosit6 des 6migr6s qu'ils voyaient en ceux-ci des privil6gi6s bien nantis.

Dis lors, lorsque les travailleurs tomb6s en ch6mage s'en retournent cher- cher refuge dans une communaut6 qui s'estime 16s6e par eux, l'accueil sera d'autant plus froid qu'ils continuent d'6tre catalogu6s comme privil6gi6s et non comme ch6meurs d6munis. Aussi leur r6int6gration exigera le versement de sommes et de cadeaux compensatoires. A d6faut de pouvoir s'acquitter de cette 'dette', beaucoup de ch6meurs ne trouveront plus guere de voie de repli au village, comme c'6tait le cas nagubre.

(d) D'autres facteurs de rigidit6 apparaissent dans le comportement meme des ch6meurs, selon le degr6 de leur int6gration a l'6conomie moderne. Il s'agit des barrieres

' la mobilit6 g6ographique et professionnelle. Un ouvrier qualifi6 qui tombe en ch6mage est moins disponible sur le march6 de l'emploi qu'un

28. Voir reference de la note (13), 267-268; 1l le pourcentage atteignait 37.5% au lieu de 32% parce que l'immigration etait suppos6e reduite de moiti6 plutot quo completement arret&e.

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manceuvre; il limite d'abord ses recherches a son propre m6tier et refuse pendant assez longtemps tout emploi inf6rieur, plus particulibrement si le travail propos6 ne permet pas d'acc6der ' une position de statut plus 61ev6. La barri're du pres- tige attach6 au rang social et professionnel augmente avec les m6tiers classes dans le haut de la pyramide; a Luluabourg, par exemple, elle 6tait plus dure a franchir

par les m6caniciens et les chauffeurs, dont les fonctions ont le prestige attach6 a la technique, que par les magons et les charpentiers, qui travaillent dehors et sont expos6s avec mains et vetements souill6s aux regards des passants.

Ces barrieres ne sont pas que de prestige et peuvent parfois s'appuyer sur la rationalit6 6conomique du ch6meur qui compare l'avantage imm6diat ' tirer d'un emploi de rang inf6rieur aux inconv6nients qui d6couleraient '

long terme d'une d6gradation dans l'6chelle professionnelle. Il peut en effet craindre de ne pas r6ussir a reconqu6rir sa place dans cette 6chelle, une fois que son carnet de travail aura mentionn6 une occupation non qualifi6e; comment alors fournir a l'employeur suivant une preuve certaine de son vrai statut professionnel ante- rieur, 6tant donn6 le manque d'organisation de la plupart des march6s du travail et la concurrence croissante des ouvriers qualifi6s plus jeunes? N'oublions en effet pas que beaucoup d'ouvriers ont acquis leur qualification de faqon empirique sans dipl6me d'6cole technique; ils craignent de desapprendre un m6tier souvent encore assez mal maitris6.

Conclusion

Les concepts de sous-emploi et de ch6mage n'ont de sens que si nous les

appliquons A une communaut6 qui se conforme au moins partiellement au mod1le de la 'soci6t6 economique'; celui-ci suppose qu'une bonne fraction de la popu- lation vit d'un travail rdmundr6 en monnaie du fait que ce travail est consid6r6 comme un facteur de production. Ce n'est guere le cas des populations pr6- mercantiles, meme s'il est souvent vrai qu'elles manient certains signes mon6taires et prennent plaisir au gain.

C'est pourquoi 1'6tude du ch6mage en Afrique ne devient valable que si nous l'ins6rons dans l'analyse plus vaste de la dynamique du d6veloppement 6conomique et du changement socio-culturel. Dans ce cadre 6largi, le point cru- cial porte sur le processus d'acculturation qui transforme plus ou moins rapidement un cultivateur coutumier en un ouvrier pleinement engag6 dans une carriere salariale. Au long des 6tapes de ce processus qui passe par le travail migrant, le travail quasi-migrant et enfin le travail stabilis6, peuvent apparaitre diverses sortes de ch6mage qu'il convient de ne pas confondre.

Les modes de relation entre offre et demande globales de travail se ratta- chent en partie

' la fagon dont sont assimil6es par la population les regles du jeu

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de la 'soci6t6 6conomique'; ils d6pendent aussi, et sans doute davantage encore, de la capacit6 des responsables du secteur 6conomique moderne de remodeler a temps les structures de ce secteur en relation constante avec les progres de cette assimilation. De part et d'autre, la caract6ristique dominante consiste dans

l'interaction de deux cultures qui contribue & l'insertion progressive d'une soci6t6 traditionnelle dans le giron d'un systime d'6conomie de march6. S'il en va bien ainsi, c'est une erreur m6thodologique de vouloir analyser ce ph6nomine au moyen de concepts tels que dualisme, 6conomie d6sint6gr6e, absence de communication entre secteur industriel moderne et secteur traditionnel d'agriculture d'auto- subsistance.

Le ch6mage et le sous-emploi ne sont en effet pas le r6sultat d'une absence de communication entre ces secteurs, mais la cons6quence de leur comp6n6tra- tion progressive. Ils forment un des cofits du d6veloppement; si ce couit vient a d6passer un seuil critique, il peut traduire une d6viation du d6veloppement en

sous-d6veloppement.

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