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Solidarité Clanique, Intégration Urbaine et Chômage en Afrique Noire Author(s): A. Schwarz Source: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 3, No. 2, Special Issue: Unemployment in Africa (Summer, 1969), pp. 377-394 Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African Studies Stable URL: http://www.jstor.org/stable/483958 . Accessed: 12/06/2014 22:07 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Taylor & Francis, Ltd. and Canadian Association of African Studies are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.109.119 on Thu, 12 Jun 2014 22:07:42 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Special Issue: Unemployment in Africa || Solidarité Clanique, Intégration Urbaine et Chômage en Afrique Noire

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Solidarité Clanique, Intégration Urbaine et Chômage en Afrique NoireAuthor(s): A. SchwarzSource: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 3,No. 2, Special Issue: Unemployment in Africa (Summer, 1969), pp. 377-394Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/483958 .

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Solidarith Clanique, Integration Urbaine et Ch6mage en A frique Noire

A. SCHWARZ

Ils sont nombreux, en Afrique, a quitter le village pour joindre la ville. Au

d6part ils ne connaissent que les privations et frustrations de leur situation rurale

qu'ils croient sans issue. Ils feront tout pour y 6chapper. Ils pr6ferent l'6vasion dans l'incertitude a la certitude insipide du village et revent d'une r6ussite facile en ville; il suffit de partir pour gagner le pari, puisqu'impatience et imagination leur tiennent lieu d'instruction et de preparation. Ils savent ce qu'ils attendent de la ville, mais ils sont rares ' entrevoir les contraintes de la condition urbaine. Fraichement d6barqu6s en ville, ils se pr6cipitent vite dans le foss6 qui s6pare leurs projets g6n6reux des chances r6elles de promotion. C'est qu'il y a entre la condition imagin6e et la situation r6elle tout un monde de connaissances, de qualifications et de relations que seules une meilleure comp6tence, une exp6- rience plus longue et des protections puissantes peuvent d6meler Ba leur avantage.

Une seule chose compte d6sormais: survivre dans un monde oii tout se paie. Pour ce faire, un seul alli6 et une seule regle de jeu paraissent sfirs, le parent et sa solidarit6. Composer avec le parent pour organiser son 61oignement du clan

(amorce par le depart du village) devient ainsi le premier d'une s6rie de paradoxes et d'ambiguit6s qui jalonnent la lente transformation du villageois en citadin. En

effet, parti pour fuir les obligations et frustrations d'un ordre tribal jug6 trop 6troit et oppressant 1, il n'h6site pas

' en revendiquer en ville les droits et privi- leges en voulant user du droit 'a la solidarit6 clanique. S'appuyer sur un parent, c'est se garantir le toit et le couvert et se voir offrir peut-6tre la chance d'un

emploi. Ainsi l'esp6rance mise dans la ville repose maintenant sur le parent. Qu'advient-il de ces attentes?

A son arriv6e en ville, le jeune villageois se heurte 'a un type inconnu de relations humaines qui le d6sarqonne. Parti d'une communaut6 de parents et de voisins am6nag6e par eux et pour eux, il trouve ici une soci6t6 impersonnelle et

1. Interrog6s sur les motifs de leur venue en ville, 38% des travailleurs et 35% des ch6meurs dont on parlera dans la suite ont mentionne en premier lieu et comme principal motif de depart les privations et vexations de leur situation rurale et tribale.

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THE CANADIAN JOURNAL OF AFRICAN STUDIES

6trangere. Au village le rang et les r6les attribu6s pr6sidaient ia la disposition des relations entre les hommes et les choses; ici, c'est de la disposition des choses et de la competence acquise que decoulent en g6neral les relations entre les hommes 2. ii croit rencontrer un 'frere' et ne trouve souvent qu'un interlocuteur distrait, car trop absorbs par la bonne marche de ses propres affaires. Au village, la vie apparaissait comme l'action concertee du groupe entier, en ville elle n'est souvent que lutte de chacun contre tous. Au village, la r6ussite couronnait la

coop6ration entre tous, vivants et defunts, la collaboration et le partage dominaient jusque dans le detail les affaires villageoises, alors qu'en ville chacun entend se d6brouiller seul et a son profit personnel. Certes, ces oppositions n'apparaissent pas a nu du jour au lendemain; certaines sont latentes, d'autres s'att6nuent sous l'effet d'incessantes retouches alt6rant la puret6 de la tradition et l'id6al de l'ordre nouveau. Les compromis 6vitent de poser des dilemmes trop dechirants en mas-

quant la gravit6 des contradictions mais sans empicher la lente d6t6rioration des formes traditionnelles de sociabilit6 sous la pouss6e des 6goismes nouveaux.

Cette question concerne tous ceux dont l'avenir en ville semble 6troitement lie au d6veloppement futur des formes anciennes de solidarit6. Parmi eux, le ch6meur vit de faqon particulierement dramatique l'effritement des formes tra- ditionnelles de solidarit6 et l'impuissance manifeste du systeme socio-6conomique nouveau, qui ne r6ussit guere ai l'integrer aux structures modernes de production et de consommation. Au village, il connaissait la place de chaque homme et de toute chose. Il pouvait s'y rendre utile de maintes fagons. I1 participait intimement a la vie de la communaut6 entiere. Arriv6 en ville peu instruit des choses nou- velies et ignore de presque tous, il ne sert plus

' rien. Sans travail r6mun6r6

il se trouve a la marge d'une soci6te qui lui refusera de plus en plus le droit d'existence en son sein. Dans cette position de marginalit6 et d'exclusion il r6alise

que le moindre changement des formes coutumieres de solidarit6 peut lui etre fatal. Si son parent prend ses distances et se rend solidaire d'autres groupes et d'autres int6rets selon les exigences d'un ordre socio-6conomique nouveau, le ch6meur perd un atout majeur dans sa quete de l'int6gration et de la participa- tion ia la soci6t6 urbaine moderne.

Si ce changement d'attitude du parent, la dispersion des solidarit6s, est ressenti de maniere particulierement dure par le ch6meur arriv6 recemment du village, il n'6pargne cependant pas le ch6meur plus longtemps urbanis6. L'exp6rience de ce dernier lui fournit certes des armes supplementaires pour s'accrocher et se maintenir en milieu urbain, mais elles ne lui permettent pas de se dispenser totalement du recours a la solidarit6 et a l'aide des parents.

D'embl6e apparait la port6e theorique d'une pareille situation. Dans l'6tude du changement social en general et plus particulierement dans l'observation de

2. T. Parsons, The Social System, (New York, 1964), 180-200.

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INTEGRATION URBAINE ET CHOMAGE

l'6volution des types de sociabilit6 en milieu urbain africain, le ch6meur est un 616ment clef. Son passage de la 'communaut6' villageoise a la 'soci6t6' urbaine et ses tentatives d'integration ou de maintien dans le secteur d'activit6 moderne s'averent particulierement probl6matiques et conflictuels. Il cherche en effet cette

integration a la soci6t6 moderne en se fiant aux formes traditionnelles d'interaction et d'interd6pendance. I1 essaie d'exploiter son statut particulier de parent pour obvier aux normes plus 'universalistes' fond6es sur le contrat et la competence dans une soci6t6 qui se veut plus technicienne. La complexit6 de la situation rend toute conclusion simpliste. Aussi ne cherchons-nous ici qu'a sugg6rer quel- ques hypotheses concernant les orientations possibles des modules de redistri- bution et de partage claniques dans l'avenir. Ces hypotheses reposent sur plu- sieurs enquetes men6es entre 1964 et 1967 aupres de quelques centaines de tra- vailleurs et de ch6meurs de Kinshasa, capitale de la R6publique D6mocratique du

Congo.3

Solidarite clanique et ch6mage en milieu urbain congolais

Un fait s'impose avec evidence et corrobor6 par de tris nombreux t6moi-

gnages: la solidarit6 clanique existe en milieu urbain. Son impact r6el sur les

budgets des familles n'a certes que rarement 6t6 mesur6,4 mais les r6ponses fournies par les nombreuses personnes interrog6es a Kinshasa suggerent assez bien les contours d'un probleme dont l'6tude en profondeur devient n6cessaire.5

Tableau 1: L'importance de l'entraide clanique pour les ch6meurs de Kinshasa, automne 1966.6

Ce tableau montre clairement l'importance de premier ordre prise par l'entraide familiale dans l'organisation des budgets familiaux des m6nages de ch6- meurs. Cette entraide diminue cependant quand s'allonge la dur6e du ch6mage

Il s'agit dans le cas des travailleurs interrog6s d'un 6chantillon comprenant 625 travailleurs (&chantillonnage simple au hasard). Cet 6chantillon est representatif de l'ensemble des travailleurs des entreprises priv6es de Kinshasa occupant plus de 50 employes. Dans le cas des ch6meurs on proc6dait par 6chantillonnage par cluster et sur jugement. 320 ch6meurs 6taient interrog6s: 118 n'avaient aucune experience professionnelle en ville; 64 avadent d6ja travaill6 dans le secteur moderne d'activite, leur incursion dans le monde de travail moderne etait cependant restee plus on moins eph6nmre; 138 ch6meurs avaient une r6elle experience professionnelle en milieu urbain ou industriel (au moins 3 ans d'activit6 dans le secteur moderne).

4. A. Lux, Le march6 de travail en Afrique Noire (Louvain, 1962), 294.

5. Une equipe de deux professeurs et de trois assistants de 1'Universite Laval entreprendra prochainement de telles recherches en milieu rural et urbain came- rounais.

6. I1 s'agit de la reponse donn6e par 320 chomeurs a la question 'De quoi vivez- vous actuellement?'.

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LE JOURNAL CANADIEN DES ETUDES AFRICAINES

Tableau 1: L'importance de l'entraide clanique pour les ch6meurs de Kinshasa, automne 1966.6

En pourcentage de r6ponses 10 20 30 40 50 60 70

Ensemble des ch6meurs N - 320

57

Ch6meurs r6sidant en ville 24

depuis moins de 12 mois 40

A40 Ch6meurs r6sidant en ville 22 depuis 1

' 3 ans 54

Ch6meurs r6sidant en ville depuis plus de 3 ans 62

Ch6meurs dont la dur6e du 10 ch6mage actuel est inf6rieu- 22 re

' 3 mois 68

Ch6meurs dont la dur6e du 25

ch6mage actuel est de 3 a 31 12 mois 44

Ch6meurs dont la dur6e du 8

ch6mage actuel est sup6- 20 rieure ' 12 mois 72

=11

Solidarit6 clanique nomm6e comme UNIQUE source de subsistance

Solidarit6 nomm6e avec d'autres sources de subsistance Autres sources de subsistance SANS solidarit6 clanique (Exemples: Petits travaux du chef de m6nage, petit com- merce, travail de la femme (champ, march6, etc.)

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INTEGRATION URBAINE E'r CHOMAGE

ou celle de la r6sidence en milieu urbain. La diminution apparait surtout dans les cas oh l'entraide est cit6e comme l'unique source de subsistance. Ceci peut s'expliquer soit par l'acculturation urbaine progressive, soit par le relichement de l'aide lorsque le ch6mage devient chronique: il est plus difficile de pouvoir compter sur une assistance prolong6e sans faire preuve de ses propres efforts. A l'exception de quelques ch6meurs chroniques 7 qui semblent s'&tre acquis un droit durable a l'entraide familiale (81%o), les ch6meurs d6veloppent avec le passage du temps des strategies de survie qui leur rendent une certaine autonomie a 1'6gard du parent. Ils am6nagent leur situation de ch6mage, vivent d'exp6dients et d'illu- sions et exp6rimentent toute une gamme de solutions possibles ou imaginaires: '... quand tu souffres un jour, tu peux aller chez le parent, meme une semaine ou un mois si tu te fais bien voir. Mais si tu manques longtemps ta chance, ils seront fatigu6s de te voir. Alors, c'est le vrai purgatoire pour toi et ta femme et tes enfants et tu dois tout essayer, tout, l'article 15 s peut te sauver si tu as la chance. Tu fais le commerce ou ta femme peut aller au champ et au march6, le mieux c'est de travailler au compte personnel...' (m6canicien de 38 ans, a Kinshasa depuis 13 ans et ch6meur depuis 15 mois). L'insuffisance de chaque ressource individuelle impose la multiplication de ces subterfuges, a la faveur surtout d'une plus grande exp6rience de la ville et de 1'hostilit6 croissante d'une parent6 lasse d'assurer un soutien on6reux. Le nombre moyen des sources de sub- sistance indiqu6es par les ch6meurs r6sidant en ville depuis plus de deux ans (2.5) est sensiblement plus 61ev6 que le nombre correspondant chez les ch6meurs s6jour- nant en ville depuis moins de deux ans (1.6). La meme diff6rence apparait si l'on tient compte de la dur6e de la p6riode de ch6mage en cours: le nombre moyen de sources de subsistance 6voqu6e est de 1.8 pour les individus dont la dur6e de ch6mage actuel est inf6rieure a 6 mois; il est de 2.4 pour ceux qui sont en ch6- mage depuis plus de 6 mois. De toute maniere la multiplication et la diversi- fication des sources de subsistance s'imposent

' un moment oui s'accentuent dans

l'6volution du rapport num6rique entre population active et salari6e et population inactive et d6pendante des tendances fatales aux d6veloppements futurs de la solidarit6 traditionnelle.

7- II faut se demander si une bonne partie de ces ch6meurs-'assist6s permacnents', n'est pas form&e d'une part par la 'clientele politique' rassemblee autour des hauts fonctionnaires et politiciens (durant la periode d'observation plus que la moitie des d6penses de personnel d'etat 4taient effectuees a Kinshasa, ce qui a certainement favoris6 une redistribution 'a large 6chelle) et d'autre part, par les 'travailleurs familiaux', le plus souvent des parents pauvres en charge des corvees et menus travaux de menage.

8. Expression tres repandue a Kinshasa pour designer toute sorte de debrouillar- dise, les operations d6signees sous ce nomn se trouvent souvent ' la marge de la 1galite. C'est en quelque sorte le pendant congolais du 'systime D' en France.

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Evolution de l'emploi salarid, pouvoir d'achat et solidarite clanique en ville.

Les statistiques disponibles fournissent un tableau franchement sombre, qui sert de cadre de ref6rence objectif a une meilleure compr6hension des exp6riences subjectives individuelles exprim6es dans les t6moignages dont se sert l'analyse pr6sente.

Tableau 2: Evolution du rapport entre la population salari6e et la population masculine en Age de travailler (plus de 15 ans) a Kinshasa, 1955-1967. Nombre de personnes a charge.

en milliers de personnes

300

Nombre moyen de personnes '

charge: / 295,000 1955: 1 salari6 - 3.1 personnes / 1958: 1 salari6 = 4.2 personnes / 1967: 1 salari6 - 9 personnes /

200 /

/- - - population masculine / ag6e de plus de 15 ans

./ .population masculine 120 - - " salaride

119,073 120,952

98,400

80 96,615 86,095

1955 1958 1965 1967

Source: A. Schwarz, 'Croissance urbaine et ch6mage a Kinshasa', Manpower and Unemployment Research in Africa, LL, 1, (avril 1969) 42.

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INTEGRATION URBAINE ET CHOMAGE

Tableau 3: Diminution du pouvoir d'achat du travailleur mari6 avec trois enfants pays au salaire minimum l6gal

' Kinshasa, 1960-1965. Evo-

lution des indices r6els.9

Indice du revenu r6el Base: 30 juin 1960 = 100

100

80

60

40

1960 1961 1962 1963 1964 1965

Source: G. Dupriez, 'Le march6 du travail en R6publique D6mocratique du Congo 1960-1965' dans 'Ind6pendance, inflation et d6veloppement' (a' paraitre chez Mouton-IRES, Paris, Kinshasa).

La d6t6rioration persistante du rapport entre population salari6e et popula- tion inactive et d6pendante et l'effondrement brutal du pouvoir d'achat des tra- vailleurs posent impitoyablement le probleme du r6am6nagement des budgets fa- miliaux et de leur utilisation 6conomique et sociale. La fonte des disponibilit6s financieres et l'augmentation rapide du nombre de personnes a charge (96 615 salari6s pour une population totale de 307 172 habitants en 1955 contre environ 100 000 salari6s pour une population de 901 000 habitants 12 ans plus tard en 1967) forcent a faire un choix minutieux des personnes 'a secourir et des types d'aide a maintenir. En effet, en voulant respecter le module traditionnel de r6- partition, on aboutit vite A une compression budg6taire telle qu'elle supprime l'efficacit6 meme de l'entraide et menace directement les chances d'int6gration et de promotion sociale et 6conomique du donateur lui-meme. Ainsi, a la limite, le souci du maintien des formes traditionnelles de solidarit6 n'offre pas au ch6- meur une perspective plus rassurante que l'adh6sion d6clar6e a des formes de consommation et d'accumulation plus individualistes qui r6duisent d'embl6e le nombre des personnes dont on accepte la charge.

9•-Salaires nominaux divises par I'indice des prix de detail aux marches de

L6opoldville (maintenant Kinshasa).

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LE JOURNAL CANADIEN DES ETUDES AFRICAINES

Graphique 1: Quelques perspectives sur 1'6volution de la propension 'a parta- ger en milieu urbain congolais.

respect de la morale dis- rejet des normes distri- | F tributive traditionnelle,

rp n pt • butives traditionnelles | propension au partage

i I

I augmentation du nombre diminution du nombre des personnes 'a charge des personnes 'a charge

U I

compression des budgets diff6renciation socio-6co- familiaux I nomique croissante

I r6duction des possibilit6s individualisme 6conomi- objectives de venir en que aide

La question se pose des lors de savoir laquelle de ces deux possibilit6s l'em- portera 'a la longue. S'il est evident que la propension au partage se nourrit des sentiments d'appartenance au clan et 'a ses regles morales,10 il n'est pas moins certain que cette morale traditionnelle distributive se heurtera progressivement aux modeles de consommation et d'accumulation individuelles valoris6s dans le

systeme 6conomique nouveau, sans oublier les limites impos6es a la bonne volont6 par les compressions budgetaires d6j~i mentionnees. Certes, le calcul de ce qui

0o. L'invitation au partage et une certaine tradition '4galitaire' clanique sont en de nombreuses circonstances renforc6es par des pressions et des sanctions magiques.

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INTEGRATION URBAINE ET CHO^MAGE

est 'moralement souhaitable' et '6conomiquement possible' ne se fera pas de la meme fagon dans toutes les strates socio-professionnelles, dont les salaires ont

progress6 de mani&re tr&s variable depuis l'acces du pays '

l'independance comme l'atteste le tableau suivant:

Tableau 4: Augmentation des r6munerations par categories socio-professionnelles a Kinshasa, 1960-1965.

(Indices au 31/12/1965 sur base 30/6/1960 - 100)

En termes

Nominaux R6els (a)

Agents de la fonction publique

Agents auxiliaires (huissiers) ..... 498 102 Commis ....................... 678 A 1,073 139 A 219 Chefs de bureau ................ 241 49 Secretaires g6n6raux ............. 153 31

Militaires Soldats de ire classe ............. 414 85

Sergents ....................... 571 117

Enseignants Instituteurs auxiliaires . . .......... ... 333 68 Moniteurs non dipl6m6s .......... . 566 116

Salari6s du secteur priv6

Salaire minimum (c61ibataire) .... 306 63

Revenu minimum (salari6 mari6 ayant trois enfants) ........... 255 52

Source: G. Dupriez, 'Le march6 du travail au Congo', a paraitre dans Inflation, inddpendance et ddveloppement. Mouton, Paris). (a) Salaires nominaux divis6s par l'indice des prix de d6tail aux mar-

ch6s de Kinshasha: 489 en d6cembre 1965.

Les avantages nouvellement acquis par certaines strates (militaires, commis de la fonction publique, moniteurs) contrastent nettement avec la degradation du niveau de vie de la masse des travailleurs. L'in6gale 6volution des salaires, qui annonce un systeme nouveau de diff6rentiation sociale, infl6chira-t-elle aussi les normes de redistribution traditionnelles? Quelle influence exerceront a cet 6gard

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THE CANADIAN JOURNAL OF AFRICAN STUDIES

les positions socio-6conomiques nouvellement acquises ' titre individuel dans une

soci6t6 tendue entre les pressions communautaristes du clan et les tentations de l'individualisme 6conomique nouveau? Cette question a d'autant plus d'int6ret qu'elle permettra de mieux connaitre les comportements effectifs des diff6rentes strates socio-professionnelles en matibre de 'politique sociale traditionnelle.'

Tableau 5: Cat6gorie professionnelle et nombre moyen de personnes '

charge, Kinshasa 1966.11

Nombre moyen de personnes assistees 1 2 3 4 5 6 7 8 9

Travailleurs non quali- fids, manoeuvres 1 3.8 9.2 N 458

Travailleurs qualifis 1.6 3.7 8.9 N 113

Agents de maitrise N - 54 1 3.7 18.7

Employds de bureau 1.8 3.8 9.2 N 119

Cadres superieurs 1.5 3.6 9.1 N - 38

ch6meurs lautres famille total des personnes '

charge.

Une premibre constatation s'impose: il n'y a pratiquement pas de corres- pondance entre la situation 6conomique effective de ceux qui aident et le nombre moyen de personnes prises en charge; ceci peut signifier deux choses diff6rentes:

11. Une r6serve s'impose '

propos de ce tableau: on n'a pu 6tendre les enquetes systr6matiques sur les groupes socio-&conomiques les plus privil6gi6s (politiciens, grands commerqants, etc.) susceptibles d'entretenir la clienthle la plus nombreuse.

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INTEGRATION URBAINE ET CHOMAGE

(1) la reconsid6ration critique des normes traditionnelles de solidarit6 de la part d'individus mieux situ6s dans la hi6rarchie professionnelle et done mieux int6gr6s dans l'6conomie moderne et plus au courant de ses usages; (2) la 'sophistication de l'aide' accord6e de pr6f6rence ia quelques groupes privilgi6s plut6t que frag- ment6e au profit d'un nombre accru de d6pendants sans distinction. Dans le

premier cas, il s'agirait d'un abandon partiel de la morale distributive tradition- nelle au profit d'une valorisation progressive des formes d'accumulation indivi- duelle, on entend pr6server, dans la mesure du possible, sa fortune personnelle de la convoitise des membres du clan; tandis que le second cas exprimerait des transformations 'qualitatives' d'une aide devenue plus s6lective et exigeante.

Ces deux interpr6tations n'ont que la valeur de simples suggestions, car les informations disponibles sont insuffisantes. On connait le nombre moyen approxi- matif de personnes et de ch6meurs ai charge par m6nage et par strate socio-

professionnelle, mais on ne peut pas en d6gager l'importance effective de l'aide accord6e. S'agit-il d'actes sporadiques de solidarit6 ou d'une aide plus continu6e et prolong6e? Quelle est la valeur absolue de cette aide et sa part relative dans le budget des donneurs et des preneurs? En ne disposant que de quelques donn6es sommaires, on ne peut sans s6rieuses difficult6s pr6dire les orientations futures de l'entraide clanique. Elles devront de toute maniere 6tre mesur6e non

pas seulement en nombre de personnes assist6es ou d6clar6es telles, mais aussi

par la qualit6 objective des services rendus et leur extension dans le temps. Pour le moment, on dispose cependant d'un autre indice susceptible de nous

renseigner sur l'6volution 'qualitative' des rapports entre population assistante et

population assist6e. Il1 s'agit des opinions critiques 6mises sur les ch6meurs par les travailleurs en milieu urbain congolais.

Discrddit moral du chBmeur et ses implications sur la solidaritd.

Les descriptions que les travailleurs de Kinshasa font du ch6meur traduisent un r6ajustement des attitudes en sa d6faveur. La d6pr6ciation morale annonce une distanciation psychologique et pr6pare peut- tre l'6cartement social d6finitif. Enlever du cr6dit moral au ch6meur, c'est lui refuser davantage le droit au soutien et 'a la sympathie. Or, de nombreux t6moignages affligeants attestent cette d6pr6ciation morale: 'un seul travailleur, beaucoup de mangeurs', 'ils sont comme les l6zards qui entrent dans les trous creus6s par les autres', 'ils sont barbares (sic), tres sauvages dans la maniere d'agir', 'des paresseux qui ne pen- sent qu'a manger le fruit du travail des autres', 'le ch6mage est la profession de qu6mander les autres', 'ils profitent de la sueur des autres', 'incapables, ils ont peur de la fatigue'. Les st6r6otypes suivants, la somme de 625 r6ponses indi- viduelles, montrent bien qu'il ne s'agit pas lt de propos isoles:

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Graphique 2: L'auto-st6r6otype de 625 travailleurs congolais et leur h6t6ro- st6r6otype du ch6meur urbain, Kinshasa, 6t6 1965.12

12 1 2 3 4 5

gal triste instruit .

- ignorant

d6pendant libre

juste injuste incapable o i capable propre

n::e:• to. sale

paresseux -

laborieux vieux jeune d6brouillard maladroit mauvais bon chaud

•froid reconnaissant ingrat tradition moderne guerelleur pacifique ob6issant-

ago indisciplin6

exoloiteur exploit6 respectable

MMl deconsid6r6

malade sain

egoiste entraide

fanatique doux honnete , voleur

pauvre Q riche sobre " fumeur de chanvre

civilise6 ,

sauvage isolk associe

- - - - - ch6meur

travailleur

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L'image du ch6meur ne pourrait etre plus mauvaise. On le dit ignorant, paresseux, sale, voleur, indisciplin6 et querelleur. Le contraste avec l'auto-

st6r6otype du travailleur est frappant. Cette diff6rence de perception subjective ne peut qu'influencer t6t ou tard les rapports objectifs entre travailleurs salari6s et ch6meurs. Le parent d6sceuvr6 se verra de plus en plus contest6 par ses

propres parents. La consid6ration initiale du parent deviendra graduellement m6pris du ch6meur. La condition mat6rielle d6favorable du ch6meur estompera de plus en plus sa situation privil6gi6e de collat6ral. La parent6 plus fortunbe r6servera davantage l'aide a ceux qui en ont vraiment besoin sans apparaitre moralement condamnables (e. g. les enfants d'age scolaire, les parents malades) ou a ceux dont elle a besoin, dont elle a peur: les vieux et les notables du village.

La pratique du partage en milieu urbain tiendra compte ainsi d'un ensemble de consid6rations dans un faisceau de ragles sociales et morales; plut6t qu'un simple acte de charit6, le partage apparaitra comme un fait social total.

Solidarite, relations d'&change et condition urbaine.

Au village, I'acte solidaire 6tait toujours un investissement social ' rentabi- lit6 politique et 6conomique certaine. Ce que l'on devait par exemple comme

jeune aux ain6s du clan pouvait &tre

revendiqu6 plus tard au nom de la meme

logique distributive 'a ses propres collat6raux plus jeunes. C'6tait en quelque sorte un 'r6gime de rentes traditionnel'. On donnait toujours pour recevoir a son tour. Au village tout service rendu appelait un autre service ou avantage en retour. Rien ne s'y concevait en dehors du principe sacro-saint de r6ciprocit6. Les 6changes de biens, les relations de service, tout comme les transferts d'influen- ce, ob6issaient a cette meme logique. Dans son remarquable 'Essai sur le don', M. Mauss l'a tres bien d6montr6: 'Entre chefs et vassaux, entre vassaux et tenants,

par les dons, c'est la hi6rarchie qui s'6tablit. Donner c'est maintenir sa sup6riorit6, &tre plus, plus haut, magister; accepter sans rendre ou sans rendre plus, c'est

12. L' laboration de ces stereotypes se faisait & l'aide de la m6thode des 'semantic differentials' proposee par Stagner et Osgood. Il s'agit d'une combinaison de proce- des d'echelle et d'association appliquies

' des etudes d'opinion. Le processus de description ou de jugement peut-etre congu comme l'allocation de concepts (dans le cas present : ch6meur et travailleur) a un continuum experimental d6fini par une paire de termes opposes (polar terms). La structuration de 1'espace s6mantique se fait done par l'attribution des concepts 6tudies l'interieur d'un systeme compose d'une serie d'&chelles (standard system of descriptive scales) a une sIrie de paires de 'descriptive polar terms' (par exemple chaud et froid, gai et triste, etc.). Le graphique no 2 montre les valeurs moyennes obtenues pour les concepts 'chomeur' et 'travailleur'.

Cf. egalement P. R. Hofstlitter, 'Einfiihrung in die Sozialpsychologie', (Stuttgart, 1963), 258-261.

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se subordonner, devenir client et serviteur, devenir petit, choix plus bas . . ..13 Si celui qui donne plus peut ainsi manifester et consolider sa sup6riorit6 sociale, celui qui rend moins par contre accepte d'embl6e une relation de d6pendance qui lui promet le droit rassurant ' l'assistance: le maitre est responsable de son sujet, le client a le droit a la protection. 0. Mannoni dans ses analyses des con- duites de d6pendance chez les Malgaches 14 montre comment peut naitre d'un 6change de service une relation de d6pendance en elle-meme rassurante qui fait croire

t 'l'oblig6' a une sorte de droit sur le donateur. Donner pour obliger, prendre pour d6pendre, ce 'm61ange de droits et de devoirs de donner et de recevoir' 15 contribue a cette maximisation des mouvements d'6change entre tous qui assure un maximum de coh6sion et d'int6gration au clan. La conduite soli- daire n'y repr6sente qu'une simple s6quence d'un long mouvement d'6change d6nud6e de tout sens sans r6f6rence au syst6me complexe des interd6pendances.

Les Africains vivent spontandment cette logique d'un systeme distributif bas6 sur la r6ciprocit6 et qui engage chacun, en tant que donateur et receveur, dans un r6seau 6troit d'interd6pendances qui le rend responsable en meme temps qu'il le fait profiter de tous. Il est grave de faillir a cette regle. Or, le ch6meur la transgresse de nombreuses fois. Son exclusion des structures modernes de pro- duction et d'influence l'empiche en effet souvent de rendre le service ou le bien requ. Que peut-il en effet offrir sans travail ni qualification, sans influence ni rela- tions 'int6ressantes' dans un monde domin6 d6sormais par I'argent, le dipl6me et le 'piston' de quelque personnage haut plac6 dans la hi6rarchie moderne? Le ch6- meur n'est ni un 'sujet' ni un 'client' qu'il est int6ressant de soutenir. Alors l'op6ration 'don' perd beaucoup de son int6ret en ne garantissant plus le profit social, politique ou 6conomique qui en d6coulait traditionnellement. Quand le profit de la transaction parait douteux, les exigences du clan deviennent redou- tables: 'l'6pargne ne vient pas du clan des parents, seulement des menaces et des lamentations', nous disait un jeune menuisier. Il ne faut pas cependant perdre de vue les effets d'un systeme de contr1le et de contrainte qui suscite les 61ans communautaires au-delh des seules consid6rations d'ordre 6conomique ou politique: il s'agit de la crainte des poursuites magiques. En ville, comme au village, mieux vaut-il de ne pas trop exposer fortune et bonheur personnels. Les autres voudront y participer. Le refus de partager peut devenir dangereux, car des gestes trop 6goistes susciteront la convoitise et la jalousie. Or, les pires ennemies du bonheur personnel sont, en Afrique, l'envie et la cupidit6 des autres. C'est la jalousie qui fait le 'mauvais cceur' qui attise les mendes obscures et mal6- fiques contre lesquelles il est difficile de se d6fendre. Le mauvais sort est lanc6 par la personne au 'mauvais cceur' qui est souvent un parent ddqu et envieux.

13. M. Mauss, 'Sociologie et Anthropologie', (Paris, 1960), 269. 14. 0. Mannoni, 'Psychologie de la colonisation', (Paris, 1950), 35-37. 15. M. Mauss, op. cit. 163.

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Aussi est-il pr6f6rable de partager pour 6chapper a d'6ventuelles poursuites ma-

giques. La solidarite a l'gard du parent apparait ainsi souvent comme une pr6- caution prise contre les sanctions magiques que l'on redoute plus que les pertes financieres et mat6rielles selon les normes du nouveau calcul 6conomique.16 C'est donc souvent cette envie qu'on lui prete qui vaut au parent d6soeuvr6, en dernier ressort, le soutien d'une parent6 abus6e. La persistance des croyances magiques vient ainsi temp6rer singulierement l'influence du nouvel individualisme 6cono-

mique. La 'solidarit6 par peur' plus que la 'solidarit6 du coeur' pr6servera pour un temps encore le communautarisme coutumier.

Solidarited et ethique professionnelle nouvelle.

La logique interne du systeme 6conomique moderne tel qu'il se pr6sente aujourd'hui en Afrique, est I'application des principes de rationalit6 a la maxi- misation du profit individuel, conqu comme condition de la maximisation du profit collectif et de la minimisation des coots sociaux. Des lors, selon Merleau-Ponty, un 'bilan, un calcul du tout social est concevable parce que le systeme est

d1lib6rnment rationnel, fait pour rapporter plus qu'il ne cofite et traduit tout ce

qu'il consomme et tout ce qu'il produit dans le langage universel de l'argent'. Le 'tout social' est evalu6 en termes monetaires, les relations sociales changent de nature et reqoivent un prix. Certes, il ne faut pas preter d'embl6e 'a chacun des

agents africains une connaissance 6tendue du systime entier, mais en ville tous vivent dans et avec ce systeme. Lui empruntant d'abord seuls quelques 616- ments de prestige, ils en assimileront ensuite quelques regles plus fondamentales de fonctionnement telles que l'individualisme 6conomique, la valeur marchande des biens, l'importance de la profession et de compdtences nouvelles, la perfor- mance individuelle au travail. Le ch6meur y apparait vite comme un &tre encom- brant, menagant l'individualisme 6conomique et la conscience tranquille des pro- ducteurs modernes. On le voit d6sceuvr6 et on le dit paresseux. On le voit exercer l'un de ces nombreux petits m6tiers indescriptibles et souvent interlopes et on le croit suspect. On oublie volontiers que la soci6t6 urbaine ne r6serve a ses ch6meurs d'autres activites que celles qui n'6voquent ni respectabilit6 ni

competence. Le ch6meur 'bricoleur de tout' et 'marchand de rien' ne tire de ses activit6s ni honneur ni b6ndfice reels, l'un comme l'autre n6cessaire au respect de ses nouveaux concitoyens. 'Sp~cialiste de rien' 17 le ch6meur se voit con- damn6 au nom de la nouvelle 6thique professionnelle. Lorsque la survie d6pend du travail et des performances personnels plut6t que de la productivite du groupe

16. 96% des travailleurs interroges taient absolument persuades des consequences n'fastes qu'entrainerait un refus non motive d'une demande l1gitime de venir en aide a un parent bien place dans 1'ordre clanique.

17. Definition donnfe pour le chomeur par un jeune mecanicien kinois.

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familial r6uni, les m6rites s'appr6cient a l'effort et a la competence individuels et non a l'ascendance ou aux exploits du groupe parental entier. C'est pourquoi celui qui en ville n'a rien et n'est rien est perqu comme celui qui 'manque l'effort personnel'. On le rendra donc personnellement responsable de son 6tat mis6rable. Or pour les Congolais ch6mage et pauvret6 entretiennent d'6troites relations; interrog6s par A. Lux ' ce sujet,18 ils associaient fr6quemment l'id6e de ch6mage a celle de l'indigence. L'homme d6soeuvr6 vivant a son aise n'est pas consid6r6 comme ch6meur. Ceci montre qu'une perception claire de ce qu'est le ch6mage ne se fait pas toujours sans certaines difficult6s. De meme on se tient davantage aux effets du systeme 6conomique nouveau qu'aux causes de son bon ou mau- vais fonctionnement en 6voquant la responsabilit6 personnelle du ch6meur. On d6cele encore mal derriere des hommes impuissants la puissance d'une situation

qui les pose en victimes et non en responsables de leur marginalit6.

Bref, I'attitude du milieu urbain envers le ch6meur reste ambigue. D6muni de tout, il ne peut rendre le service rendu et contrevient donc a la morale tra- ditionnelle. L'absence de comp6tence et de savoir-faire ou encore l'exercice de

quelque m6tier peu respectable (les seuls qui ne lui soient pas objectivement d6fendus) le rendent suspect aux yeux de la nouvelle 6thique professionnelle. Il est ainsi d6pr6ci6 sous l'influence conjugu6e de la morale traditionnelle et de

l'6thique moderne: la premiere melant la morale a des consid6rations d'ordre social et communautariste, la seconde melant I'6thique a des consid6rations 6co-

nomiques et individualistes.

D'une double compromission vers la perte de la solidaritd.

Tenu ' distance du systeme socio-6conomique nouveau, qui r6duit 'a presque rien ses chances d'int6gration et de participation non conflictuelle, le ch6meur des villes africaines ne participe plus pleinement a la solidarit6 'm6canique' de

l'organisation sociale clanique. Il n'est plus producteur social moralement respon- sable au sein de la communaut6 villageoise et n'est pas encore producteur indi- viduel int6gr6 au r6seau moderne d'interd6pendance; il ne peut donc pr6tendre aux formes nouvelles de solidarit6 issues de la nouvelle division du travail. Il ne trouve pas pour l'instant sa place dans les syndicats, les coop6ratives, les

cagnottes et autres formes spontan6es ou organis6es d'entraide et de coop6ration moderne. Cette solidarit6 nouvelle qui d6placerait le probleme de l'assistance d'une 'morale traditionnelle de partage' vers une meilleure compr6hension de la situation objective partag6e, ne se d6gage que difficilement. De nombreux obstacles

s'y opposent. Les loyaut6s vont davantage a la parent6 qu'a la classe sociale.

N6anmoins, en Afrique, les travailleurs s'opposent nettement aux ch6meurs. A

is A. Lux, op. cit. 270.

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cet 6gard la scene africaine prete effectivement a confusion: alors que dans les

pays industriels le travailleur se pose souvent comme prol6taire, dans les pays peu industrialis6s il fait partie des 'nantis' d'un systeme auquel ils aspirent tous.

I1 n'apparait donc guere de communaut6 d'int6r&ts entre travailleurs et chomeurs, au contraire; les organisations ouvrieres pensent plus a prot6ger le travail de

quelques-uns qu'a r6clamer du travail pour tous. Le syndicalisme congolais tend ainsi nettement a se fermer sur quelques strates de privil6gi6s, fonctionnaires, enseignants, travailleurs salaries, plut6t qu'a s'ouvrir aux dol6ances de la masse des sous-privil6gi6s. Ils ne peuvent des lors parler au nom du prol6tariat, note P. Raymackers qui en d6duit que 'toute action de leur part au nom du prol6tariat risque d'etre vou6e e

l'6chec'.,9 Au lieu de se renforcer la solidarit6 clanique et les nouvelles solidarit6s

urbaines s'amoindrissent mutuellement: la solidarit6 clanique freine l'6closion d'une nouvelle conscience de classe qui se tiendrait davantage aux donn6es objectives de la situation 6conomique r6elle; le transfert de sentiments solidaires vers des nouveaux groupes de r6f6rence souvent plus corporatifs que communautaristes enleve aux formes traditionnelles de solidarit6 leur habituelle vigueur. Entre l'entraide clanique coutumiere et les types de solidarit6 d'une soci6t6 plus urbaine et industrielle, les formes de solidarit6 subiront des transformations longues et

complexes. La modernisation des formes traditionnelles d'entraide et de coop6- ration ne se fera pas sans retours ni d6tours. Ainsi par exemple 'face '

l'expan- sion mon6taire qui menace de la cerner et de l'envahir, la soci6t6 traditionnelle se d6fend, elle tente d'int6grer le ph6nomine mon6taire dans son propre systeme et de r6interpr6ter la monnaie en fonction des exigences propres de son organisa- tion. Le ph6nomene de mon6tarisation s'accompagne ainsi d'un ph6nomene de mon6tarisation des relations traditionnelles'.20 Les r6gles coutumieres n'6chappent pas a cette tendance. Elles survivent a la mon6tarisation, peuvent 6tre meme renforc6es par elle, mais elles changent progressivement de sens. Ainsi par exemple, la bourgeoisie nationale peut camoufler sous le paravent des regles tra- ditionnelles de partage l'entretien d'une clientele au sens romain du terme. A

long terme cependant le monde traditionnel 'en accueillant le ph6nomene mon6- taire, integre un facteur qui modcfiera profond6ment ses structures. Le fait de se soumettre, bon gr6 mal gr6, aux lois de partage, implique une reconnaissance du systeme traditionnel, mais en admettant un mode d'acquisition de richesses mat6rielles diff6rentes du monde traditionnel, la soci6t6 coutumiere offre 6gale- ment la possibilit6 d'6chapper 'a son autorit6'.21 Mais ce sont pr6cis6ment ces infractions r6p6t6es l'orthodoxie du clan qui pr6cipiteront

' la longue son d6clin.

19. P. Raymackers, 'L'Organisation des zones de squatting', (Kinshasa, 1963), 170. 20. H. Leclerc, 'L'inflation, cause ou consequence des mutations structurelles

dans une &conomie sous-developpie' dans Cahiers Economiques et Sociaux, I. R. E. S., II, 2, (octobre 1964), 133.

21. Ibid. 393

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Tandis que les formes traditionnelles de partage sont d6vi6es de leur fina- lit6 originelle et appliqu6es d6s lors de maniere de plus en plus d6sabus6e, la familiarisation avec le systeme 6conomique moderne reste trop fragmentaire pour permettre l'avenement d'une conscience de classe et de solidarit6 qui r6unirait tous les travailleurs (ceux qui se trouvent actuellement au travail et ceux qui en sont exclus pour l'instant). En attendant, les ch6meurs trouveront difficile- ment des allies a leur cause au nom de cette solidarit6 entre tous les travailleurs alors que flechit la solidarit6 d'antan entre parents au rythme meme oih s'imposent les ph6nomenes de mon6tarisation et d'accumulation individuelle.

Il existe dans l'Afrique contemporaine de moins en moins de raisons de soutenir au nom de la tradition ceux qui l'ont fuie en 6migrant a la ville. Le soutien ne viendra pas davantage de l'alliance de tous les travailleurs. Le salari6 africain souvent mal paye ne d6sire pas perpetuer des liens d'interd6pendance parentale qui lui cofitent sans lui rapporter alors qu'il appr*cie de mieux en mieux les avantages de l'individualisme economique. Aussi longtemps que les strates sociales plus favorisees ne porteront pas un jugement plus 6quitable sur les possi- bilit6s et responsabilit6s r6elles des ch6meurs dans un monde oih le travail est rare et le parent absent, ceux-ci, prives de types nouveaux de solidarit6 glisseront fatalement d'une vie solidaire entre parents vers une existence marginale en ville. Ils rencontreront une indiff6rence croissante que la diff6rence de leur posi- tion ne pourra qu'accentuer. Si aujourd'hui le ch6meur peut encore compter sur le soutien de quelque parent, demain d6ji on pourrait voir en lui le parasite d'un ordre social r6volu.

Les ch6meurs urbains vivent ainsi 'a chaque instant les pulsions d'une so- ci6t6 entiere tendue entre son passe 'particulariste' et ses aspirations plus uni- verselles. Leur destin apparait comme le sympt6me d'une soci6t6 en transition dont les structures et les formes de sociabilit6 anciennes se d6composent sans

que soient toujours cr66es de nouvelles structures d'int6gration. Si le sort du ch6meur revele donc une crise de transition, c'est de la r6ponse donn6e a ses

problimes que d6pendra sans doute le sort de la soci6t6 africaine toute entiere.

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