8
quence Lesprit des Lumières Objet d'étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours Problématique : Qu’est-ce que l’esprit des Lumières ? Lecture d'un groupement de textes Explic n°1 FONTENELLE, Histoire des Oracles (1687) : “La dent d’or” Explic n°2 MONTESQUIEU, Lettres persanes : Lettre n°24, de Rica à Ibben Explic n°3 VOLTAIRE, Traité sur la Tolérance : “Lettre au Jésuite Le Tellier” Explic n°4 VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique : Article “Guerre” Textes complémentaires - MONTESQUIEU, L’Esprit des Lois, “De l’Esclavage des Nègres” - La notion d’apologue Lecture cursive d’un corpus de textes (fabliau, fable, conte) sur les vertus de l’apologue (travail sur la Question d’un Corpus de type-bac) Lectures personnelles - Candide, de VOLTAIRE - Le Mariage de Figaro, de BEAUMARCHAIS - Constitution d’un “livret” personnel sur l’œuvre (résumé, avis personnel, choix argumenté d’un extrait). Etudes d'ensemble - Mouvement littéraire : notions sur les Lumières - Transversale : La satire dans Candide - Transversale : Le personnage de Candide - Transversale : Les armes et les cibles de la contestation chez les philosophes des Lumières Histoire de l'art Comparaison de deux tableaux (p. 364 du livre) : - BOUCHER, La Marquise de Pompadour - “Anonyme” d’après QUENTIN DE LA TOUR, Madame du Châtelet 1/ 8 Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow - Année 2013-2014

Séquence ③ Lesprit des Lumi€¦ ·  · 2014-05-26Séquence ③: L’esprit des Lumières Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI°

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Séquence ③ Lesprit des Lumi€¦ ·  · 2014-05-26Séquence ③: L’esprit des Lumières Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI°

Séquence ③ L’esprit des LumièresObjet d'étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours

Problématique : Qu’est-ce que l’esprit des Lumières ?

Lecture d'un groupement de textes

Explic n°1 FONTENELLE, Histoire des Oracles (1687) : “La dent d’or”

Explic n°2 MONTESQUIEU, Lettres persanes : Lettre n°24, de Rica à Ibben

Explic n°3 VOLTAIRE, Traité sur la Tolérance : “Lettre au Jésuite Le Tellier”

Explic n°4 VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique : Article “Guerre”

Textes complémentaires

- MONTESQUIEU, L’Esprit des Lois, “De l’Esclavage des Nègres”- La notion d’apologueLecture cursive d’un corpus de textes (fabliau, fable, conte) sur les vertus de l’apologue (travail sur la Question d’un Corpus de type-bac)

Lectures personnelles - Candide, de VOLTAIRE- Le Mariage de Figaro, de BEAUMARCHAIS - Constitution d’un “livret” personnel sur l’œuvre (résumé, avis personnel, choix argumenté d’un extrait).

Etudes d'ensemble - Mouvement littéraire : notions sur les Lumières

- Transversale : La satire dans Candide

- Transversale : Le personnage de Candide

- Transversale : Les armes et les cibles de la contestation chez les philosophes des Lumières

Histoire de l'art Comparaison de deux tableaux (p. 364 du livre) :- BOUCHER, La Marquise de Pompadour- “Anonyme” d’après QUENTIN DE LA TOUR, Madame du Châtelet

1/ 8 Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow - Année 2013-2014

Page 2: Séquence ③ Lesprit des Lumi€¦ ·  · 2014-05-26Séquence ③: L’esprit des Lumières Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI°

Séquence ③ : Qu’est-ce que l’esprit des lumières ?Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours

FONTENELLE, Histoire des oracles (1687), Première Dissertation, chapitre IVLa dent d’or

Dans son essai Histoire des Oracles, Fontenelle explique que les oracles dont l’Antiquité était si friande n’étaient que des illusions auxquelles les Anciens eux-mêmes ne croyaient guère. Mais au-delà des Anciens, Fontenelle s’en prend à l’esprit religieux en général, dans lequel il voit, chez les prêtres de la fourberie, et chez le peuple de la naïveté.

Assurons nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point. Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d'Allemagne, que je ne puis m'empêcher d'en parler ici. “En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or à la place d'une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l'université de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent, et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs ! Figurez vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens ni aux Turcs ! En la même année, afin que cette dent ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit l'histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eut examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent, avec beaucoup d'adresse ; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre.” Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que, non seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent très bien avec le faux.

Texte ②MONTESQUIEU, Lettres persanes (1721) : Lettre XXIV

La lettre XXIV, qui traduit les premières impressions du Persan RICA à Paris, offre une vue d’ensemble sur les principaux thèmes de l’ouvrage : satire légère des mœurs et des habitudes parisiennes, satire plus hardie du système politique et de la religion. La fausse candeur de Persan donne beaucoup de sel à ces remarques critiques, et un comique particulier naît de la désinvolture avec laquelle l’auteur traite des questions sérieuses (ce sera le procédé favori de Voltaire : l’ironie)

RICA À IBBEN. À Smyrne.

Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il faut bien des affaires avant qu’on soit logé, qu’on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu’on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.

Paris est aussi grand qu’Ispahan : les maisons y sont si hautes, qu’on jugerait qu’elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée : et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras.

Tu ne le croirais pas peut-être, depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne. Il n’y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine1 que les Français ; ils courent, ils volent : les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d’allure, j’enrage quelquefois comme un chrétien : car encore passe qu’on m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à la tête ; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement. Un homme qui vient après moi et qui me passe2 me fait faire un demi-tour ; et un autre qui me croise de l’autre côté me remet soudain où le premier m’avait pris ; et je n’ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j’avais fait dix lieues.

Ne crois pas que je puisse, quant à présent3, te parler à fond des mœurs et des coutumes européennes : je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu à peine que le temps de m’étonner.

Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne4 son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre5, et, par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies6, et ses flottes équipées.

2/ 8 Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow - Année 2013-2014

Page 3: Séquence ③ Lesprit des Lumi€¦ ·  · 2014-05-26Séquence ③: L’esprit des Lumières Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI°

D’ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient7. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent, et ils en sont aussitôt convaincus8. Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant9, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits.(...)

De Paris, le 4 de la lune de Rebiab, 1712.

1. organisme, corps2. dépasse3. dès à présent4. Allusion aux mines d’or du Pérou5. Selon les besoins du trésor, des charges (ou “offices”) étaient créées. Elles s’achetaient fort cher car elles conféraient la noblesse.6. fortifiées, mises en état de défense7. Des édits royaux fixaient arbitrairement la valeur des monnaies. Entre 1689 et 1715 interviennent 43 dévaluations...8. C’est en 1716 que John Law crée la Banque Générale qui émettra du papier-monnaie contre de l’or, donc après la date que porte la

lettre XXIV. Il semble bien pourtant que Montesquieu fasse ici allusion au “système de Law” (qui s’écroulera en 1720)9. On attribuait aux rois de France le pouvoir de guérir les écrouelles (tuberculose des ganglions du cou), par imposition des mains.

Texte n°  ③VOLTAIRE, Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763)

“Lettre au Jésuite Le Tellier”

Si Voltaire (1694-1778) était clairement anticlérical, il n'était ni athée ni antireligieux. C'est l'intolérance, fille du fanatisme, qui fut toujours sa cible privilégiée, ce qu’il appelait “l’Infâme” (le fanatisme, la superstition, mais aussi les rites religieux et le clergé)Pour Voltaire, la persécution contre les protestants, qui a ressurgi si vivement deux ans auparavant, au moment de l’affaire Calas, est une manifestation particulièrement odieuse de “l’Infâme”.Dans cette lettre, Voltaire s’en prend aux Jésuites, ses cibles favorites depuis qu’ils avaient contribué à faire interdire L’Encyclopédie. Cette lettre écrite à un père jésuite est un exemple de son génie de la provocation. Il feint en effet d'adopter le point de vue de son auteur supposé, en proposant, pour la défense de la Compagnie de Jésus, les pires méthodes imaginables.

CHAPITRE XVIILettre écrite au Jésuite Le Tellier1 par un bénéficier2, le 6 mai 1714 (1)

Mon révérend père,

J’obéis aux ordres que Votre Révérence m’a donnés de lui présenter les moyens les plus propres de délivrer Jésus et sa Compagnie3 de leurs ennemis. Je crois qu’il ne reste plus que cinq cent mille huguenots4 dans le royaume, quelques-uns disent un million, d’autres quinze cent mille ; mais en quelque nombre qu’ils soient, voici mon avis, que je soumets très-humblement au vôtre, comme je le

5 dois.1° Il est aisé d’attraper en un jour tous les prédicants5 et de les pendre tous à la fois dans une même place, non-seulement pour l’édification publique, mais pour la beauté du spectacle.2° Je ferais assassiner dans leurs lits tous les pères et mères, parce que si on les tuait dans les rues, cela pourrait causer quelque tumulte ; plusieurs même pourraient se sauver, ce qu’il faut éviter

10 sur toute chose6. Cette exécution est un corollaire7 nécessaire de nos principes : car, s’il faut tuer un hérétique, comme tant de grands théologiens le prouvent, il est évident qu’il faut les tuer tous.

3° Je marierais le lendemain toutes les filles à de bons catholiques, attendu qu’il ne faut pas dépeupler trop l’État après la dernière guerre ; mais à l’égard des garçons de quatorze et quinze ans, déjà imbus de mauvais principes, qu’on ne peut se flatter de détruire, mon opinion est qu’il faut

15 les châtrer tous, afin que cette engeance ne soit jamais reproduite. Pour les autres petits garçons, ils seront élevés dans vos collèges, et on les fouettera jusqu’à ce qu’ils sachent par cœur les ouvrages

de Sanchez et de Molina8.4° Je pense, sauf correction, qu’il en faut faire autant à tous les luthériens9 d’Alsace, attendu que, dans l’année 1704, j’aperçus deux vieilles de ce pays-là qui riaient le jour de la bataille

20 d’Hochstedt10.

1. Confesseur de Louis XIV et adversaire passionné des protestants, il poussa le roi à révoquer l’Edit de Nantes en 1685.2. Possesseur d’un bénéfice ecclésiastique, c’est-à-dire de biens et de revenus attachés à l’exercice d’une fonction dans l’Eglise : la

perception des revenus d’une abbaye ou d’un évêché constitue un bénéfice majeur, la perception des revenus d’une simple paroisse constitue un bénéfice mineur.

3. Transposition burlesque du nom de l’ordre des Jésuites : la Compagnie de Jésus4. Ce terme désigne les protestants5. Ministres du culte protestant6. Avant tout

3/ 8 Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow - Année 2013-2014

Page 4: Séquence ③ Lesprit des Lumi€¦ ·  · 2014-05-26Séquence ③: L’esprit des Lumières Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI°

7. Conséquence8. Jésuites espagnols9. Protestants qui suivent la doctrine de l’Allemand Luther10. Défaite française qui rejeta les Français hors d’Allemagne, en 1704, lors de la guerre de succession d’Espagne

(1) Note de Voltaire, ajoutée en 1771 : Lorsqu’on écrivait ainsi, en 1762, l’ordre des jésuites n’était pas aboli en France. S’ils avaient été malheureux, l’auteur les aurait assurément respectés. Mais qu’on se souvienne à jamais qu’ils n’ont été persécutés que parce qu’ils avaient été persécuteurs ; et que leur exemple fasse trembler ceux qui, étant plus intolérants que les jésuites, voudraient opprimer un jour leurs concitoyens qui n’embrasseraient pas leurs opinions dures et absurdes.

Texte n°④VOLTAIRE (1694-1778), Dictionnaire philosophique (1764)

Article “Guerre” (extrait)

Dans sa lutte contre “l’Infâme”, c’est-à-dire le fanatisme et toutes les institutions qui le soutiennent, Voltaire, après le Traité sur la Tolérance (1763), écrivit le Dictionnaire philosophique portatif (à la différence des lourds volumes de l’Encyclopédie) pour défendre les idées de progrès, de justice et de tolérance.

Un généalogiste prouve à un prince qu’il descend en droite ligne d’un comte dont les parents avaient fait un pacte de famille il y a trois ou quatre cents ans avec une maison1 dont la mémoire même ne subsiste plus. Cette maison avait des prétentions éloignées sur une province dont le dernier possesseur est mort d’apoplexie2 : le prince et son conseil concluent sans difficulté que cette province lui appartient de droit divin. Cette province, qui est à quelques centaines de lieues3 de lui, a beau protester qu’elle ne le connaît pas, qu’elle n’a nulle envie d’être gouvernée par lui ; que, pour donner des lois aux gens, il faut au moins avoir leur consentement ; ces discours ne parviennent pas seulement aux oreilles du prince dont le droit est incontestable. Il trouve incontinent4 un grand nombre d’hommes qui n’ont rien à perdre ; il les habille d’un gros drap bleu à cent dix sous l’aune5, borde leurs chapeaux avec du gros fil blanc, les fait tourner à droite et à gauche, et marche à la gloire.

Les autres princes qui entendent parler de cette équipée y prennent part, chacun selon son pouvoir, et couvrent une petite étendue de pays de plus de meurtriers mercenaires que Gengis-kan, Tamerlan, Bajazet6, n’en traînèrent à leur suite.

Des peuples assez éloignés entendent dire qu’on va se battre, et qu’il y a cinq ou six sous par jour à gagner pour eux, s’ils veulent être de la partie ; ils se divisent aussitôt en deux bandes comme des moissonneurs, et vont vendre leurs services à quiconque veut les employer.

Ces multitudes s’acharnent les unes contre les autres, non seulement sans avoir aucun intérêt au procès, mais sans savoir même de quoi il s’agit.

On voit à la fois cinq ou six puissances belligérantes7, tantôt trois contre trois, tantôt deux contre quatre, tantôt une contre cinq, se détestant toutes également les unes les autres, s’unissant et s’attaquant tour à tour ; toutes d’accord en un seul point, celui de faire tout le mal possible.

Le merveilleux de cette entreprise infernale, c’est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d’aller exterminer son prochain. Si un chef n’a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il n’en remercie point Dieu ; mais lorsqu’il y en a eu environ dix mille d’exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue, composée dans une langue inconnue à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes. La même chanson sert pour les mariages et pour les naissances, ainsi que pour les meurtres ; ce qui n’est pas pardonnable, surtout dans la nation la plus renommée pour les chansons nouvelles.

1. Famille, en parlant d’une lignée illustre ou noble2.L’apoplexie est l’ancienne dénomination de l’AVC (accident vasculaire cérébral)3.La lieue faisait 4 km4.sans tarder, sur-le-champ5. l’aune faisait environ 1,15m6. Gengis Khan (1155-1227), fondateur de l’Empire mongol, Tamerlan (1336-1405), fondateur de la dynastie des Timourides, Bajazet

(1360-1403) : conquérants turco-mongols des XIII° et XIV° siècles, réputés pour leur férocité.7. qui sont en guerre

Ci-contre : WATTEAU, Trois études de soldats portant des fusils

4/ 8 Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow - Année 2013-2014

Page 5: Séquence ③ Lesprit des Lumi€¦ ·  · 2014-05-26Séquence ③: L’esprit des Lumières Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI°

La prospérité de Bordeaux, patrie de Montesquieu, repose en partie sur la traite des Noirs1, commerce admis au XVIII° siècle et jugé indispensable à l’exploitation des colonies antillaises. Avec Bordeaux, ce sont plusieurs villes de la façade atlantique (Nantes, La Rochelle) qui tirent leur opulence du commerce triangulaire.Montesquieu n’en a que plus de mérite de dénoncer ce qu’il considère comme la honte de l’humanité, et de la chrétienté, et à en chercher les causes. Sa démonstration par l’absurde (une défense de l’esclavage dont tous les arguments sont faux) constitue la première dénonciation de l’esclavage colonial, dont l’Encyclopédie se fera l’écho.

Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais : Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû2 mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre.On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence3 de l'humanité, que les peuples d'Asie4, qui font des eunuques5 , privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous6 d'une façon plus marquée7.On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d'une si grande conséquence8, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d'une si grande conséquence.Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?

5/ 8 Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow - Année 2013-2014

1 Au XVIII° siècle, un nègre était un esclave noir. De nos jours, le terme est devenu péjoratif (raciste) sauf lorsqu’il est employé par les Noirs eux-mêmes.2 ils ont été obligés de3 Ce qui définit l’homme, ce qui en constitue l’essentiel4 Ceux que les Lettres persanes dénoncent pour leur ignorance et leur brutalité5 Qui pratiquent la castration (sur les hommes qui gardent les harems)6 Les organes masculins7 On pratiquait sur les eunuques noirs une castration “plus marquée”, c’est-à-dire plus mutilante (“eunuques parfaits”). Le raisonnement est le suivant : puisque les Noirs sont traités différemment, c’est qu’ils sont différents dans leur essence.8 Importance

La Porte du Non-retour, au Bénin (voir de plus près le haut de la porte, ci-

dessus derrière le titre du texte)

Séquence ③ : L’esprit des LumièresObjet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours

Texte complémentaireMONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748) : Livre XV, chapitre 5

De l’Esclavage des nègres

Page 6: Séquence ③ Lesprit des Lumi€¦ ·  · 2014-05-26Séquence ③: L’esprit des Lumières Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI°

CORPUS DE TYPE-BAC : Les vertus de l’apologue

A – Anonyme, Le Prud’homme qui sauva son compère, XIIIe siècle.B – Jean de La Fontaine, « L’Huître et les Plaideurs », Fables, IX, 9, 1678.C – Voltaire, Zadig, chapitre 6, 1747.

Questions1) Quel problème commun posent ces trois textes ?2) Quel(s) texte(s) présente(nt) une morale clairement exprimée ?

a) Vous reformulerez cette morale.b) Vous rédigerez la morale du (ou des) texte(s) qui ne l’exprime(nt) pas clairement.

La réponse à ces deux questions doit être rédigée mais brève, de l’ordre d’une demi-page par question.Après avoir répondu à ces questions, les candidats devront traiter au choix l’un des trois sujets suivants.EcritureSujet 1 : CommentaireVous ferez le commentaire du texte de Voltaire, de “Il fit sentir à tout le monde...” à “vous qui aimez le mieux votre père.” Sujet 2 : DissertationL’apologue est-il simplement un récit divertissant ou peut-il éveiller la réflexion du lecteur ? Sujet 3 : Ecriture d’inventionVous écrirez à votre tour une fable moderne dont la moralité sera : « L’essentiel est invisible pour les yeux. » Vous prendrez soin de réutiliser les caractéristiques du genre de la fable, sans vous astreindre nécessairement à une forme versifiée.

Document A Un jour un pêcheur s’en allait en mer pour tendre ses filets. Regardant devant lui il vit un homme près de se noyer. Il était vaillant et agile ; il bondit, saisit un grappin et le lance, mais par malchance il frappe l’autre en plein visage et lui plante un crochet dans l’œil. Il le tire dans son bateau, cesse de tendre ses filets, regagne la terre aussitôt, le fait porter dans sa maison, de son mieux le sert et le soigne jusqu’à ce qu’il soit rétabli.Plus tard, l’autre de s’aviser que perdre un œil est un grand dommage. « Ce vilain m’a éborgné et ne m’a pas dédommagé. Je vais contre lui porter plainte : il en aura mal et ennui. » Il s’en va donc se plaindre au maire qui lui fixe un jour pour l’affaire.Les deux parties, ce jour venu, comparaissent devant les juges. Celui qu’on avait éborgné parla le premier, c’était juste.« Seigneurs, dit-il, je porte plainte contre cet homme qui naguère me harponnant de son grappin m’a crevé l’œil : je suis lésé1. Je veux qu’on m’en fasse justice ; c’est là tout ce que je demande et n’ai rien à dire de plus. »L’autre répond sans plus attendre : « Seigneurs, je lui ai crevé l’œil et je ne puis le contester ; mais je voudrais que vous sachiez comment la chose s’est passée : voyez si vous m’en donnez tort. Il était en danger de mort, allait se noyer dans la mer ; mais ne voulant pas qu’il périsse, vite, je lui portai secours. Je l’ai frappé de mon grappin, mais cela, c’était pour son bien : ainsi je lui sauvai la vie. Je ne sais que vous dire encore ; mais, pour Dieu, faites-moi justice. »Les juges demeuraient perplexes, hésitant à trancher l’affaire, quand un bouffon2 qui était là leur dit : « Pourquoi hésitez-vous ? Celui qui parla le premier, qu’on le remette dans la mer, là où le grappin l’a frappé et s’il arrive à s’en tirer, l’autre devra l’indemniser. C’est une sentence équitable. »Alors, tous à la fois s’écrient : « Bien dit ! La cause est entendue. »Et le jugement fut rendu. Quant au plaignant, ayant appris qu’il serait remis dans la mer pour grelotter dans l’eau glacée, il estima qu’il ne saurait l’accepter pour tout l’or du monde. Aussi retira-t-il sa plainte ; et même beaucoup le blâmèrent3.Aussi, je vous le dis tout franc : rendre service à un perfide4, c’est là vraiment perdre son temps. Sauvez du gibet5 un larron6 qui vient de commettre un méfait, jamais il ne vous aimera et bien plus, il vous haïra. Jamais méchant ne saura gré à celui qui l’a obligé7 : il s’en moque, oublie aussitôt et serait même disposé à lui nuire et à le léser s’il avait un jour le dessus.

Traduction en prose de G. Rouger. Anonyme, Le Prud’homme8 qui sauva son compère, XIIIe siècle.

1. Lésé : qui a subi un tort. 2. Bouffon : homme moqueur, insolent. 3. Blâmer : désapprouver. 4. Perfide : trompeur et dangereux. 5. Gibet : instrument servant au supplice de la pendaison. 6. Larron : voleur, brigand. 7. Obligé : qui lui a rendu service.8. Prud’homme : homme sage, avisé.

Document BUn jour deux Pèlerins1 sur le sable rencontrent Une Huître, que le flot y venait d’apporter :Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ; À l’égard de la dent il fallut contester.L’un se baissait déjà pour amasser2 la proieL’autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoirQui de nous en aura la joie3. Celui qui le premier a pu l’apercevoirEn sera le gobeur ; l’autre le verra faire. – Si par là l’on juge l’affaire,Reprit son compagnon, j’ai l’œil bon, Dieu merci. – Je ne l’ai pas mauvais aussi,Dit l’autre, et je l’ai vue avant vous, sur ma vie.– Eh bien ! vous l’avez vue, et moi je l’ai sentie. »

6/ 8 Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow - Année 2013-2014

Page 7: Séquence ③ Lesprit des Lumi€¦ ·  · 2014-05-26Séquence ③: L’esprit des Lumières Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI°

Pendant tout ce bel incident,Perrin Dandin4 arrive : ils le prennent pour juge.Perrin, fort gravement, ouvre l’Huître, et la gruge5,Nos deux Messieurs le regardant. Ce repas fait, il dit d’un ton de Président :« Tenez, la Cour vous donne à chacun une écaille, Sans dépens6, et qu’en paix chacun chez soi s’en aille. »

Mettez ce qu’il en coûte à plaider7 aujourd’hui ; Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles, Vous verrez que Perrin tire l’argent à lui,Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles8.

Jean de La Fontaine, Fables, IX, 9, 1678.1. Pèlerins : voyageurs qui se rendent dans un lieu sacré. 2. Amasser : ramasser. 3. Joie : le plaisir de la manger. 4. Perrin Dandin : juge qui termine tous les procès de manière expéditive. 5. Gruger : manger. 6. Dépens : frais. 7. Plaider : défendre oralement une cause en justice. 8. Sac et quilles : le juge prend l’enjeu de la partie, et il ne reste plus aux plaideurs que les accessoires du jeu.

Document CLE MINISTRE

Le roi avait perdu son premier ministre. Il choisit Zadig pour remplir cette place. Toutes les belles dames de Babylone applaudirent à ce choix, car depuis la fondation de l’empire, il n’y avait jamais eu de ministre si jeune. Tous les courtisans furent fâchés ; l’Envieux en eut un crachement de sang, et le nez lui enfla prodigieusement. Zadig, ayant remercié le roi et la reine, alla remercier aussi le perroquet1 « Bel oiseau, lui dit-il, c’est vous qui m’avez sauvé la vie, et qui m’avez fait premier ministre : la chienne et le cheval de Leurs Majestés m’avaient fait beaucoup de mal, mais vous m’avez fait du bien. Voilà donc de quoi dépendent les destins des hommes ! Mais, ajouta-t-il, un bonheur si étrange sera peut-être bientôt évanoui. » Le perroquet répondit : « Oui. » Ce mot frappa Zadig. Cependant, comme il était bon physicien, et qu’il ne croyait pas que les perroquets fussent prophètes, il se rassura bientôt et se mit à exercer son ministère de son mieux.Il fit sentir à tout le monde le pouvoir sacré des lois, et ne fit sentir à personne le poids de sa dignité. Il ne gêna point les voix du divan2, et chaque vizir pouvait avoir un avis sans lui déplaire. Quand il jugeait une affaire, ce n’était pas lui qui jugeait, c’était la loi ; mais quand elle était trop sévère, il la tempérait ; et quand on manquait de lois, son équité en faisait qu’on aurait prises pour celles de Zoroastre3.

C’est de lui que les nations tiennent ce grand principe : qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. Il croyait que les lois étaient faites pour secourir les citoyens autant que pour les intimider. Son principal talent était de démêler la vérité, que tous les hommes cherchent à obscurcir. Dès les premiers jours de son administration, il mit ce grand talent en usage. Un fameux négociant de Babylone était mort aux Indes ; il avait fait ses héritiers ses deux fils par portions égales, après avoir marié leur sœur, et il laissait un présent de trente mille pièces d’or à celui de ses deux fils qui serait jugé l’aimer davantage. L’aîné lui bâtit un tombeau, le second augmenta d’une partie de son héritage la dot de sa sœur ; chacun disait : « C’est l’aîné qui aime le mieux son père ; le cadet aime mieux sa sœur ; c’est à l’aîné qu’appartiennent les trente mille pièces.» Zadig les fit venir tous deux l’un après l’autre. Il dit à l’aîné : « Votre père n’est point mort, il est guéri de sa dernière maladie, il revient à Babylone. – Dieu soit loué, répondit le jeune homme ; mais voilà un tombeau qui m’a coûté bien cher ! » Zadig dit ensuite la même chose au cadet. « Dieu soit loué, répondit-il ; je vais rendre à mon père tout ce que j’ai ; mais je voudrais qu’il laissât à ma sœur ce que je lui ai donné. – Vous ne rendrez rien, dit Zadig, et vous aurezles trente mille pièces : c’est vous qui aimez le mieux votre père. » Une fille fort riche avait fait une promesse de mariage à deux mages, et, après avoir reçu quelques mois des instructions de l’un et de l’autre, elle se trouva grosse4. Ils voulaient tous deux l’épouser. « Je prendrai pour mon mari, dit-elle, celui des deux qui m’a mise en état de donner un citoyen à l’empire. – C’est moi qui ai fait cette bonne œuvre, dit l’un. – C’est moi qui ai eu cet avantage, dit l’autre. – Eh bien ! répondit-elle, je reconnais pour père de l’enfant celui des deux qui lui pourra donner la meilleure éducation. » Elle accoucha d’un fils. Chacun des mages veut l’élever. La cause est portée devant Zadig. Il fait venir les deux mages. «Qu’enseigneras-tu à ton pupille5 ? dit-il au premier. – Je lui apprendrai, dit le docteur, les huit parties d’oraison6, la dialectique7, l’astrologie, la démonomanie8 ; ce que c’est que la substance et l’accident, l’abstrait et le concret, les monades et l’harmonie préétablie9. – Moi, dit le second, je tâcherai de le rendre juste et digne d’avoir des amis. » Zadig prononça : « Que tu sois son père ou non, tu épouseras sa mère. »

Voltaire, Zadig ou la Destinée, Romans et contes, 1748.

1. Perroquet : “personnage” du récit qui a précédemment aidé Zadig. 2. Divan : conseil de sultans. 3. Zoroastre : sage de l’Antiquité orientale. 4. Grosse : enceinte. 5. Pupille : enfant dont un tuteur a la charge. 6. Parties d’oraison : parties du discours. 7. Dialectique : art du raisonnement. 8. Démonomanie : délire dans lequel un malade se croit possédé par le diable. 9. Substances, accidents, abstrait, concret sont des termes techniques de l’ancien vocabulaire philosophique ; monades et harmonie préétablie renvoient au lexique de Leibniz, philosophe du XVIII° siècle dont Voltaire se moque volontiers.

7/ 8 Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow - Année 2013-2014

Page 8: Séquence ③ Lesprit des Lumi€¦ ·  · 2014-05-26Séquence ③: L’esprit des Lumières Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI°

Séquence ② : Dom Juan, homme baroque ? Objet d’étude : la question de l’homme dans les genres de l’argumentation

DEUX FIGURES DE LA FEMME AU XVIII° SIÈCLE

François BOUCHER, La Marquise de Pompadour (1756), p.364 du livre

Œuvre anonyme d’après Quentin de La Tour, Madame du Châtelet (XVIII° s), p.364 du livre

8/ 8 Lycée Ella Fitzgerald de Vienne - Cours de Mme Barrow - Année 2013-2014