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L’Encéphale (2012) 38, 480—487 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP SANTÉ PUBLIQUE Stress et épuisement professionnel des enseignants tunisiens Stress and burnout among Tunisian teachers L. Chennoufi, F. Ellouze , W. Cherif , M. Mersni , M.F. M’rad Service de psychiatrie « Ibn Jazzar », hôpital Razi, Razi, Tunisie Rec ¸u le 11 octobre 2010 ; accepté le 1 er septembre 2011 Disponible sur Internet le 11 juillet 2012 MOTS CLÉS Épuisement professionnel ; Enseignants ; Échelle de Maslach ; Stress professionnel Résumé Dans notre pratique clinique, nous sommes de plus en plus confrontés aux souffrances et au malaise des enseignants. Ils se sentent harcelés par l’accumulation des « demandes » et des exigences. Certains d’entre eux ne parviennent plus à s’adapter, ils ne peuvent plus faire face, ce qui fait d’eux des candidats potentiels à l’épuisement professionnel. Nous avons choisi d’étudier le burnout parmi une population d’enseignants tunisiens et de rechercher les éventuels stresseurs professionnels associés à l’épuisement professionnel chez ces enseignants. Nous avons mené une enquête transversale qui a concerné les enseignants exerc ¸ant dans les lycées publics du gouvernorat de la Manouba (Tunis). Nous avons eu recours à l’échelle du burnout : le Maslach Burnout Inventory (MBI) et à un autoquestionnaire concernant les stresseurs professionnels. Le taux de participation était égal à 45,4 %. Vingt et un pour cent des enseignants présentaient un épuisement professionnel. Le pourcentage de 66,4 d’entre eux ont déclaré être stressés au travail. Les causes de stress étaient essentiellement représentées par les conditions de travail (80,3 %), la surcharge de travail (75,2 %) et les difficultés administratives (70,4 %). Le burnout était significativement associé à trois types de stresseurs professionnels : les conditions de travail (0,0017), les difficultés administratives (0,005) et les problèmes avec les élèves et les parents d’élèves (0,005). Ainsi le stress professionnel vécu par les enseignants tunisiens peut causer chez certains un épuisement avec une grande souffrance psychologique et entraîner des répercussions néfastes. Il est donc souhaitable d’approfondir et de diversifier les perspectives de recherche dans le domaine de la prévention. © L’Encéphale, Paris, 2012. Auteur correspondant. Adresse e-mail : dr ellouze [email protected] (F. Ellouze). 0013-7006/$ see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012. doi:10.1016/j.encep.2011.12.012

Stress et épuisement professionnel des enseignants tunisiens

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’Encéphale (2012) 38, 480—487

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.em-consul te .com/produi t /ENCEP

ANTÉ PUBLIQUE

tress et épuisement professionnel des enseignantsunisienstress and burnout among Tunisian teachers

. Chennoufi, F. Ellouze ∗, W. Cherif, M. Mersni, M.F. M’rad

ervice de psychiatrie « Ibn Jazzar », hôpital Razi, Razi, Tunisie

ecu le 11 octobre 2010 ; accepté le 1er septembre 2011isponible sur Internet le 11 juillet 2012

MOTS CLÉSÉpuisementprofessionnel ;Enseignants ;Échelle de Maslach ;Stress professionnel

Résumé Dans notre pratique clinique, nous sommes de plus en plus confrontés aux souffranceset au malaise des enseignants. Ils se sentent harcelés par l’accumulation des « demandes »et des exigences. Certains d’entre eux ne parviennent plus à s’adapter, ils ne peuvent plusfaire face, ce qui fait d’eux des candidats potentiels à l’épuisement professionnel. Nous avonschoisi d’étudier le burnout parmi une population d’enseignants tunisiens et de rechercher leséventuels stresseurs professionnels associés à l’épuisement professionnel chez ces enseignants.Nous avons mené une enquête transversale qui a concerné les enseignants exercant dans leslycées publics du gouvernorat de la Manouba (Tunis). Nous avons eu recours à l’échelle duburnout : le Maslach Burnout Inventory (MBI) et à un autoquestionnaire concernant les stresseursprofessionnels. Le taux de participation était égal à 45,4 %. Vingt et un pour cent des enseignantsprésentaient un épuisement professionnel. Le pourcentage de 66,4 d’entre eux ont déclaré êtrestressés au travail. Les causes de stress étaient essentiellement représentées par les conditionsde travail (80,3 %), la surcharge de travail (75,2 %) et les difficultés administratives (70,4 %). Leburnout était significativement associé à trois types de stresseurs professionnels : les conditionsde travail (0,0017), les difficultés administratives (0,005) et les problèmes avec les élèves et lesparents d’élèves (0,005). Ainsi le stress professionnel vécu par les enseignants tunisiens peut

causer chez certains un épuisement avec une grande souffrance psychologique et entraîner desrépercussions néfastes. Il est donc souhaitable d’approfondir et de diversifier les perspectives de recherche dans le domaine de la prévention.© L’Encéphale, Paris, 2012.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : dr ellouze [email protected] (F. Ellouze).

013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012.oi:10.1016/j.encep.2011.12.012

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Stress et épuisement professionnel des enseignants tunisiens 481

KEYWORDSBurnout;Professionalexhaustion;Teachers;Professional stress;Maslach BurnoutInventory (MBI)

SummaryIntroduction. — Burnout, or professional exhaustion syndrome, is defined as a state of emotional,mental and physical exhaustion caused by excessive and prolonged stress at work. Despite thefact that it is not a recognized disorder in the DSM-IV, burnout has been widely describedamong medical and paramedical staff. In Tunisia, all the studies about this syndrome haveonly considered populations of doctors. However, professional exhaustion syndrome is not onlylimited to the medical sector, but can also be seen in any profession involving a relation of help.Thus, the teaching profession seems to be concerned with this syndrome. In fact, in our clinicalpractice, we are increasingly confronted with teachers’ suffering. The latter face increasingdifficulties in their work and moreover some of them can no longer resist and thus becomevulnerable to the professional exhaustion syndrome.Objective. — The aim of this study was to evaluate burnout among a population of Tunisianteachers and to examine the professional stressors associated with teachers’ burnout.Methods. — Our study was a transversal study conducted over five months (from October 2009to February 2010) and it concerned teachers working in the public high schools of Manouba(Tunisia). The participants completed a self-questionnaire dealing with professional stressors.Five types of professional stressors were identified in the literature: bad working conditions,work overload, administrative difficulties, organizational factors and difficulties with pupilsand their relatives. They were also explored by the scale of the burnout: the Maslach BurnoutInventory (MBI), which is the best-studied measurement of burnout in the literature. We usedthe French version of the MBI adapted to educational settings. It is a scale composed of 22items and three dimensions: emotional exhaustion (nine items), dehumanization (five items)and reduced personal accomplishment (eight items). In our study, we considered a teacherwas suffering from burnout when at least two among the three dimensions of this scale werepathological.Results. — From the total number of teachers working in public high schools of Manouba (n = 876),only 398 teachers filled in our questionnaires. Hence the rate of participation was 45.4%. Themean age of those participants was 40.04 years. 52.3% of them were women (sex ratio = 0.91)and the great majority was married (81.8%). The burnout syndrome was found in 21% of thoseteachers: Moderate professional exhaustion was found in 16.4% of cases and severe professionalexhaustion was found in 4.6%. A high emotional exhaustion was found in 27.4% of cases. A per-centage of 16.1 of participants had a high dehumanization and 45.5% of them were susceptibleto reduced personal accomplishment. The majority of teachers (66.4%) declared being stressedat work. The professional stressors reported by the teachers were in decreasing order of rate:bad working conditions (80.3%), overload work (75.2%), administrative difficulties (70.4%), dif-ficulties with pupils and their relatives (64.4%) and finally organizational factors (57.1%). In ourstudy, we found a strong association between burnout syndrome among teachers and three typesof professional stressors which were: bad working conditions (p = 0.0017), administrative diffi-culties (p = 0.005) and difficulties with pupils and their relatives (p = 0.005). The organizationalfactors and the work overload were not associated with the burnout syndrome.Conclusion. — The job of teaching accumulates many difficulties. Some Tunisian teachers cannottolerate this professional stress and develop a burnout. This syndrome leads to a teachers’psychological distress with the risk of an increase in absenteeism at work. So, we hope that thisstudy will give rise to future research on stress, coping and burnout among Tunisian teachers,with theoretical aims as well as practical applications to prevent and reduce the risk of thisproblem.© L’Encéphale, Paris, 2012.

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Introduction

Les études tunisiennes concernant le burnout n’ont consi-déré que des populations de soignants ou de médecins.Or, le corps enseignant semble être, lui aussi, vulné-rable à l’épuisement professionnel. En effet, dans notrepratique clinique, nous sommes de plus en plus confron-

tés aux souffrances et au malaise des enseignants. Ilsse plaignent des difficultés du métier, de la baissede la considération sociale portée à la profession, de

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’incompréhension des parents ou des élèves et de l’absencee soutien administratif. Ils se sentent harcelés par’accumulation des « demandes » et des exigences. Cer-ains d’entre eux ne parviennent plus à s’adapter àette situation, ils ne peuvent plus faire face, ce quiait d’eux des candidats potentiels à l’épuisement pro-essionnel. Dans ce travail, nous avons choisi d’étudier la

révalence du burnout parmi une population d’enseignantsunisiens et de rechercher les éventuels stresseurs pro-essionnels associés à l’épuisement professionnel chez ces
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nseignants dans le but d’instaurer des stratégies préven-ives.

éthodologie

l s’agit d’une enquête transversale qui a duré cinq mois, duer octobre 2009 jusqu’à la fin du mois de février 2010. Elle

concerné les enseignants exercant dans les lycées publicsu gouvernorat de la Manouba (Tunis).

Critères d’inclusion :

enseignants en activité professionnelle durant l’enquête.

Critères d’exclusion :

les enseignants des collèges et écoles primaires, des éta-blissements supérieurs, des établissements privés ou desformations professionnelles ;

le refus de participer.

Nous avions obtenu au préalable l’accord des ministèrese l’Enseignement et de la Santé publique pour le déroule-ent de l’enquête. Au cours de l’année scolaire 2009—2010,

es lycées publics de la Manouba étaient au nombre de dixt comptaient 876 enseignants au total. Au sein de chaqueycée, un ou deux enseignants relais ont accepté de nousider à enquêter. Ils avaient pour rôle de distribuer et deecueillir les fiches.

Nous avons élaboré un autoquestionnaire fait de trois par-ies. La première partie concernait les principales variablesociodémographiques et professionnelles. La deuxième par-ie évaluait les facteurs de stress professionnels ; lesnseignants devaient répondre par oui ou par non selone caractère stressant ou non du facteur en question.inq types de stresseurs professionnels ont pu être iden-ifiés à partir de la littérature [1—4] : les conditionse travail pénibles (le bruit, le manque de moyens, leevenu insuffisant, les conflits avec les collègues de tra-ail), le manque d’organisation au travail (réforme desrogrammes, transformation des méthodes pédagogiques,âches contradictoires), la surcharge de travail (surchargees classes, surcharge des programmes, insuffisance desoraires, nombre de classes à charge), les difficultésdministratives (manque de soutien administratif, manque’autonomie, manque de reconnaissance) et les problèmesvec les élèves et les parents d’élèves (manque de moti-ation des élèves, problèmes disciplinaires, baisse deonsidération, violence des élèves, mauvaise relation aveces parents d’élèves) (Annexe 1).

Enfin, les enseignants participants ont également étéxplorés par l’échelle du burnout : le Maslach Burnout Inven-ory (MBI) [5]. Il s’agit d’un inventaire composé de troisimensions : l’épuisement émotionnel, la déshumanisatione la relation à autrui et l’accomplissement personnelAnnexe 2). Le résultat du MBI est un score exprimén « bas / modéré / élevé » pour les trois dimensions.n score élevé d’épuisement émotionnel ou de déshuma-

isation, ou un score bas d’accomplissement personnel,uffisent à définir le burnout. Dans notre étude, nous avonsonsidéré comme présentant un épuisement professionnelniquement les personnes ayant au moins deux dimensions

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L. Chennoufi et al.

athologiques. Le burnout était considéré comme modéréi deux dimensions étaient pathologiques. Il était considéréomme élevé (ou sévère) si les trois dimensions étaientathologiques. Nous avons eu recours à la version validéen langue francaise [6].

Les données ont été saisies et analysées au moyen duogiciel SPSS (version 15). Les comparaisons de pourcentagesur séries indépendantes ont été effectuées par le test duhi2 de Pearson, et en cas de non-validité, par le test exactilatéral de Fisher. Le seuil significatif a été fixé à 0,05.

ésultats

ur les 876 enseignants des lycées publics du Gouvernorate la Manouba, 398 enseignants ont répondu correcte-ent aux questionnaires, ce qui correspond à un taux dearticipation égal à 45,4 %. Les enseignants participantsvaient en moyenne 40,04 ± 8,13 ans. Le pourcentage de2,3 d’entre eux étaient des femmes (sex-ratio = 0,91). Lalupart d’entre eux (81,8 %) étaient mariés. Le nombreoyen d’années d’exercice était de 14,56 ans avec un

cart-type de 8,44. Plus de la moitié (64,9 %) des ensei-nants avaient des classes de terminale. Les enseignantsravaillaient en moyenne 17,90 ± 3,24 heures par semaine.

Parmi les enseignants répondants (n = 398), 21 % pré-entaient un épuisement professionnel : 16,4 % souffraient’un épuisement professionnel modéré et 4,6 % d’un épui-ement professionnel sévère. 27,4 % d’entre eux avaientn épuisement émotionnel élevé, 16,1 % montraient uneéshumanisation de la relation à autrui sévère et 45,5 % pré-entaient un faible accomplissement personnel. Un taux de6,4 % des enseignants ont déclaré être stressés au travail.es personnes étaient significativement plus affectées par

e burnout (p = 0,001).Les causes de stress étaient multiples et le plus souvent

ntriquées ; elles étaient essentiellement représentées pares conditions de travail pénibles (80,3 %), la surcharge deravail (75,2 %) et les difficultés administratives (70,4 %), sui-ies par les problèmes avec les élèves et parents d’élèves64,4 %) et enfin par le manque d’organisation au travail57,1 %) (Tableau 1).

Le burnout était significativement associé à trois typese stresseurs professionnels à savoir les conditions de tra-ail pénibles (p = 0,0017), les difficultés administrativesp = 0,005) et les problèmes avec les élèves et les parents’élèves (p = 0,005). Le manque d’organisation au travail eta surcharge de travail n’étaient pas associés au burnoutTableau 2).

iscussion

lusieurs auteurs considèrent que l’épuisement profession-el est une réponse à la tension émotive générée par leravail auprès d’autres personnes [7], à l’accumulation detress et à l’échec des stratégies d’adaptation [8]. Dans leas particulier de l’enseignant, l’accumulation des échecse rend moins efficace. Avec le temps, il a le sentiment glo-

al de l’inconséquence de son action. C’est le processus deurning out. Il se traduit par une diminution de la satisfac-ion professionnelle, de la motivation, de l’implication etes efforts que l’enseignant fournira au travail. C’est donc
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Stress et épuisement professionnel des enseignants tunisiens 483

Tableau 1 Les facteurs de stress chez les enseignants.

Facteur de stress Nombre de réponses Réponses positives Pourcentage

Conditions de travail 375 301 80,3Surcharge de travail 387 291 75,2Organisation du travail 364 208 57,1Difficultés administratives 371 261 70,4

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Problèmes avec parents et élèves 376

le décalage entre les efforts, le but idéal de l’enseignant, etle résultat de ces efforts qui mène progressivement à l’étatde burnout [9].

En Tunisie, il y a quelques décennies, la priorité aporté sur la formation des enseignants tunisiens. Un desbuts majeurs a été de constituer un contingent solided’enseignants qui couvrirait tous les besoins du pays.L’enseignement a été unifié et généralisé à tous les enfantset adolescents ; la colonne vertébrale de tout ce sys-tème, c’était l’enseignant. L’enseignant disposait alors desmeilleures conditions pour s’épanouir, se réaliser et ainsiaccomplir sa tâche avec ardeur. De nos jours, la situationa changé et le métier d’enseignant semble être marqué pardes modifications de l’environnement social et professionnelet par une plus grande pénibilité rendant ainsi l’enseignantvulnérable au risque de burnout.

Nous avons donc étudié les principaux stresseurs pro-fessionnels associés au burnout parmi une populationd’enseignants tunisiens. Notre choix a porté sur le gouverno-rat de la Manouba qui figure parmi les quatre gouvernoratsde l’agglomération de Tunis et qui compte dix établis-sements secondaires publics avec 876 enseignants (annéescolaire 2009—2010), ce qui représente une populationenseignante importante en nombre.

En Tunisie, aucune étude n’avait encore été réalisée

chez les enseignants. Toutes les études consacrées au bur-nout concernaient les professions soignantes. Il ressort deces études que le taux de burnout parmi les populations

Tableau 2 Burnout et stresseurs professionnels.

Facteur de stress Burnoutprésent (%)

p

Conditions de travailOui (n = 296) 71 (24) 0,0017Non (n = 72) 8 (1,1)

Surcharge de travailOui (n = 286) 63 (22) NSNon (n = 94) 18 (19,1)

Organisation du travailOui (n = 205) 49 (23,9) NSNon (n = 152) 25 (16,4)

Difficultés administrativesOui (n = 256) 61 (23,8) 0,005Non (n = 109) 12 (11)

Problèmes avec parents et élèvesOui (n = 237) 62 (26,2) 0,005Non (n = 132) 18 (13,6)

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242 64,4

oignantes tunisiennes varierait de 30 à 34 % [10,11]. Cesaux de burnout sont globalement supérieurs à ceux retrou-és parmi nos enseignants. En effet, le concept même deurnout a été créé la première fois pour décrire la souf-rance des populations soignantes ; l’échelle MBI dans saremière version a été concue pour les soignants et un trèsrand nombre d’articles parus dans le monde est consacréu burnout des soignants [12]. Cependant, le burnout n’estas le propre de la profession soignante, l’enseignant peutussi être exposé à cette pathologie, comme le confirme unon nombre d’études étrangères [9,13—16]. Ainsi, selon cestudes, la prévalence du burnout parmi les enseignants variee 18,8 à 30 % [13—16]. La prévalence du burnout retrouvéeans notre étude est donc comparable à celles figurant dans’autres études.

Dans notre étude, 66,4 % des enseignants répondantsnt déclaré être stressés au travail et ces derniers étaientignificativement plus atteints par le burnout. Plusieursuteurs avaient déjà attiré l’attention sur l’importanteu stress parmi les enseignants et sur sa sévérité. Cetteonstatation est d’ailleurs universelle puisqu’on la retrouveussi bien chez des enseignants anglais, australiens, néo-élandais, japonais, algériens, francais ou américains9,17,18]. L’enseignement est considéré comme stressantans des proportions variant de 43 à 74 % selon les étudest les moyens d’estimation [9,13]. Selon certains auteurs,es enseignants rapportent un des plus hauts niveaux detress professionnel comparativement à d’autres professions9]. Ceci peut s’expliquer par le haut niveau d’interactionsociales et le climat dans lequel se déroule le métier’enseignant.

Le modèle du syndrome général d’adaptation de Selyeécrit trois phases qui suivent l’exposition aux stresseurs,

savoir l’alarme, la résistance et l’épuisement. Ce modèleostule une chaîne causale dans laquelle l’expérience dutress contribue à l’étiologie du burnout. On parle générale-ent d’épuisement professionnel après exposition au stressrofessionnel durant des périodes allant de un à cinq ans12].

Concernant le burnout des enseignants, la littérature nettement objectivé le lien entre les stresseurs profes-ionnels et le développement du burnout. D’ailleurs, unetude a montré que les mesures de prévention ciblées sures stresseurs professionnels ont permis d’obtenir une dimi-ution significative du burnout parmi les enseignants [19].es principaux facteurs de stress décrits dans la littérature

nternationale sont les mauvaises conditions matérielles,a surcharge de travail, les facteurs organisationnels, maisussi les difficultés administratives et les conflits de rôles1—3,15]. Ces facteurs de stress semblent agir en premier
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ur l’épuisement émotionnel qui entraîne à son tour lesutres composants du burnout [1]. Il a également étéonstaté que plus le nombre de facteurs de stress auxquelsont soumis les enseignants était élevé, plus l’épuisementtait marqué [1].

Dans notre étude, les causes de stress étaient men-ionnées dans l’ordre décroissant suivant : les conditionsénibles de travail (80,3 %), la surcharge de travail (75,2 %),es difficultés administratives (70,4 %), les problèmes aveces élèves et parents d’élèves (64,4 %) et enfin le manque’organisation au travail (57,1 %). Le burnout était significa-ivement associé à trois types de stresseurs professionnels :es conditions de travail pénibles, les difficultés adminis-ratives et les problèmes avec les élèves et les parents’élèves.

Les conditions de travail étaient donc les stresseurses plus fréquemment cités par les enseignants dans notretude (80,3 %) et étaient significativement associées au bur-out. En effet, selon la littérature, les conditions de travailénibles des enseignants figurent parmi les facteurs detress les plus significativement associés à la détresse psy-hologique [20—22]. Plusieurs études ont estimé que lesonditions matérielles du milieu scolaire jouaient un rôlemportant dans la pénibilité et l’insatisfaction des ensei-nants [9,17]. En effet, le milieu scolaire a souvent étéeconnu comme étant générateur de multiples nuisanceshysiques qui ont des effets indésirables non seulement sura santé physique mais aussi sur la santé mentale des ensei-nants [9].

Dans notre étude, 75,2 % des enseignants ont signalé êtretressés par la surcharge de travail. Ceci rejoint les données’une étude menée en 2002 sur 410 enseignants francais etui a rapporté que le facteur de stress le plus important étaita surcharge de travail, estimée à 70 % [2]. Seulement, dansotre travail il n’existait pas de lien significatif entre le bur-out et la surcharge de travail. Or, de manière générale, ilst rapporté que les indices quantitatifs de charge de travailont directement corrélés avec ceux de l’épuisement pro-essionnel [8]. Cette différence de résultat peut s’expliquerar le fait que dans notre questionnaire la rubrique concer-ant la surcharge de travail ne mentionnait que la chargee travail en rapport avec les heures de cours (surchargee classe, surcharge des programmes, nombre de classes

charge et insuffisance des horaires). Or, le travail de’enseignant ne se limite pas aux heures enseignées, maisomprend également le temps de préparation des cours, leseures de surveillances et les différentes tâches administra-ives parfois très contraignantes et de nos jours, nombreuxont les enseignants de plus en plus contraints à enseigneres cours de rattrapage pour les élèves en difficulté sco-aire. L’hétérogénéité du niveau de compétence scolaire deslèves est également un facteur de stress supplémentaireui peut accentuer la surcharge de travail des enseignants.

D’un autre côté, parmi les enseignants répondants, uneu plus de la moitié (57,1 %) ont signalé que l’organisationu travail représentait un facteur de stress. Dans une étudeenée en Tunisie portant sur les congés de maladie des

nseignants de la région de Sousse, Farjallah [23] avaitgalement constaté que 44 % des personnes enquêtées se

laignaient de devoir réorganiser leur programme de travaillusieurs fois par an. Plusieurs auteurs ont également mon-ré que les facteurs de stress chez les enseignants pouvaient

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L. Chennoufi et al.

tre associés aux caractéristiques propres à l’organisationu travail [1,24]. Récemment, dans plusieurs pays, les chan-ements des programmes et les réformes ont été assezréquents en peu d’années. En Tunisie aussi, les enseignantsu secondaire sont confrontés à des réformes nombreuses.ais dans notre travail, il n’y avait pas d’association signifi-ative entre le burnout et les problèmes organisationnels auravail. Cela peut s’expliquer par le fait que les réformesont plutôt superficielles et permettent en général unedaptation rapide et plutôt aisée de la part de l’enseignant.outefois, les demandes de travail contradictoires sont sou-ent pénibles à supporter et deviennent stressantes pouron nombre d’enseignants.

Les difficultés administratives sont elles aussi fréquem-ent rapportées parmi nos enseignants (70,4 %) avec une

ssociation significative au burnout. Elles ont été large-ent décrites dans la littérature comme étant des facteurse stress ; on cite notamment les exigences administra-ives, le manque d’autonomie, l’excès de « paperasserie » etes tâches imprévisibles [1,3,8,9]. Dans une étude portantur 2558 enseignants francais, une association significativentre les difficultés administratives et le burnout a été notée25]. Genoud et al. [1] avaient également montré que laharge administrative agissait directement sur l’épuisementmotionnel des enseignants et qu’elle était ressentie par lesnseignants comme d’autant plus lourde à supporter qu’ilxistait des tensions avec les autorités administratives.

Enfin, les problèmes avec les élèves et parents d’élèveseprésentent de nos jours un facteur de stress supplé-entaire qui va s’accroissant avec rapidité. En effet, les

nseignants se plaignent de la démotivation des élèves,e leur indiscipline croissante, voire de l’émergence de laiolence verbale et physique dans certains établissementsecondaires d’un côté, et de la non-reconnaissance desarents de l’autre. Ce contexte paraît propice au déve-oppement chez l’enseignant d’un sentiment d’échec et’impuissance. Dans notre étude, 64,4 % des enseignantsépondants considéraient comme stressantes les relationsvec les élèves et les parents d’élèves et ils étaient significa-ivement plus atteints d’un burnout. En effet, la littérature

largement rapporté l’association du burnout avec les pro-lèmes relationnels avec les élèves. Ainsi, dans l’étude déjàitée (portant sur 2558 enseignants francais), une associa-ion significative a été relevée entre les difficultés avec leslèves et les trois dimensions pathologiques du burnout [25].elon Genoud et al. [1], un cercle vicieux se met en place,vec en outre, un comportement oppositionnel, voire anti-ocial des élèves et de l’autre une conduite de plus en plusigide et sévère des enseignants. L’impact d’un comporte-ent fait d’irrespect et d’indiscipline de la part des élèveseut être à l’origine d’une véritable blessure narcissique de’enseignant. Les enseignants doivent également répondreux demandes de plus en plus exigeantes de familles ellesussi stressées, inquiètes du destin scolaire de leurs enfantst souvent suspicieuses vis-à-vis de l’école. Vercambre et al.n 2005 [25], et Genoud et al. en 2006 [1] ont retrouvé,hez les enseignants, une association significative entre lesroblèmes avec les parents d’élèves et un burnout. Il estout de même important de noter qu’un lien causal ne peut

as être établi. Il est en effet possible que l’indiscipline enlasse résulte d’une extrême fatigue de l’enseignant plu-ôt que l’inverse, ou que l’épuisement de l’enseignant au
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Stress et épuisement professionnel des enseignants tunisien

travail soit à l’origine des relations négatives avec lesparents [1].

Enfin, notre étude souffre de quelques limites méthodo-logiques :

• d’abord, le taux de participation est égal à 45,4 %. Il restetout de même satisfaisant pour ce type d’études, un tauxde non-réponses étant pratiquement inévitable dans lesenquêtes à base d’autoquestionnaires ;

• mais aussi, l’enquête de type transversal qui autorise larecherche d’associations mais ne permet pas de conclureà des relations de cause à effet ; ce type d’étude demeuretout de même la méthode de travail la plus utilisée dansl’évaluation des problèmes de santé mentale au travail.

Conclusion

En résumé, de nos jours, les enseignants doivent faire faceà de nouvelles exigences de polyvalence et de polycom-pétence. Ils se doivent de répondre aux besoins croissantsdes élèves en manifestant une flexibilité et en s’adaptantà des demandes sans cesse nouvelles. Ils sont donc soumisen permanence à divers stresseurs professionnels. Certainsn’arrivent plus à s’adapter à cet environnement et finissentpar développer un burnout. Or, cet épuisement engendrechez l’enseignant une souffrance psychologique importanteet entraîne des répercussions néfastes essentiellementreprésentées par une augmentation de l’absentéisme au

travail et un sérieux désir de reconversion. Il est donc sou-haitable d’approfondir et de diversifier les perspectives derecherche dans le domaine de la prévention grâce à desinterventions centrées sur une modification et une meilleure

485

daptation de l’environnement psychosocial et physique auxesoins et aux aspirations de l’enseignant.

nnexe 1.

acteurs potentiellement stressants Oui Non

- Conditions de travailLe bruitLe manque de moyensLe revenu insuffisantConflits avec les collègues de travail

- Surcharge de travailSurcharge des classesSurcharge des programmesInsuffisance des horairesNombre de classes à charge

- Organisation du travailRéforme des programmesTransformations des méthodes pédagogiquesTâches contradictoires

- Difficultés administrativesManque de soutien administratifManque d’autonomieManque de reconnaissance

- Problèmes avec les élèves et les parentsManque de motivation des élèvesProblèmes disciplinaires

Baisse de la considérationMauvaise relation avec les parents d’élèvesLa violence des élèves
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4 L. Chennoufi et al.

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nnexe 2. MBI (Maslach Burn out Inventory)

vp remplir en entier pour pouvoir l’exploiterJamais (0) Quelques

fois / an(1)

- Je me sens émotionnellementépuisé(e) par l’activitéd’enseignement

- Je me sens usé(e) à la fin de majournée de travail

- Je me sens fatigué(e) lorsque je melève le matin et que j’ai à affronterune autre journée de travail

- Je peux comprendre facilement ceque mes élèves ressentent

- Je sens que je traite certains élèvescomme des objets impersonnels

- Je me sens surmené(e) par le travailface à des personnes tout au long dela journée

- Je m’occupe très efficacement desproblèmes de mes élèves

- Je sens que je craque à cause de montravail

- J’ai l’impression, à travers montravail, d’avoir une influence positivesur les gens

0- Je suis devenu(e) plus insensible auxgens depuis que j’ai ce travail

1- Je crains que ce travail nem’endurcisse émotionnellement

2- Je me sens plein(e) d’énergie3- Je me sens frustré(e) par mon travail4-Je sens que je travaille

trop dur »5- Je ne me préoccupe plus de ce quiarrive aux élèves

6-Travailler en contact direct avec lesgens me stresse trop

7- J’arrive facilement à créer uneatmosphère détendue avec mes élèves

8- Je me sens vivifié(e) après le travailavec les élèves

9- J’ai accompli tout ce qui estnécessaire dans ce travail

0- Je me sens au bout du rouleau1- Dans mon travail, je traite lesproblèmes émotionnels très

calmement

2- J’ai l’impression que mes élèves merendent responsable de certains deleurs problèmes

Page 8: Stress et épuisement professionnel des enseignants tunisiens

s

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Stress et épuisement professionnel des enseignants tunisien

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