Structure du désir et corps ŕ l’épreuve

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    Lvolution psychiatrique 73 (2008) 239253

    Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

    Lpreuve du corps

    Structure du dsir et corps lpreuveDesire structure and body in test

    Sliman BouferdaPsychologue clinicien, docteur en psychopathologie fondamentale

    et psychanalyse, institut mdico-ducatif Le-Moulin-Vert,2, rue Bernard-Potier, 02300 Blrancourt, France

    Recu le 24 juin 2007 ; accept le 20 f evrier 2008Disponible sur Internet le 15 avril 2008

    Rsum

    Cet article tente danalyser les conditions dans lesquelles lmergence dun discours structur autoude lesthtique du corps aboutit lannulation de lidal du moi au prot dun modle canoniquedont le sujet adopte les critres de perfection, an de positionner son dsir par rapport au regard delautre. Ce discours dambiance qui fait partie du systme de signication instaur par la postmodernit concourt faire de lalination une doublure psychologique de la norme imaginaire. On reprendrici les rpercussions psychopathologiques qui se manifestent travers lalination intgre par le sujecomme issue possible pour affronter les blessures narcissiques qui peuvent survenir dans les rapports acorps. 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits rservs.

    Abstract

    This paper tries to analyze occurrences from where cangrow speeches, structured by body aesthetic. Sucha speech leads both to cancelling the ego ideal and adopting a canonical model, erecting its criteria in

    a perfection pattern in order to expose ones desire to anothers foresight. Such an ambiance speech, paof the signication system, established by postmodernity, contribute to turn alienation into a psychologicalining of imaginary standard. We will talk further about the psychopathological repercussions observed

    Toute rfrence cet article doit porter mention : Bouferda S. Structure du dsir et corps lpreuve. Evol psychiat2008; 73.

    Auteur correspondant. 57, rue de Francires, 60190 Rmy, France. Adresse e-mail : [email protected].

    0014-3855/$ see front matter 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits rservs.doi:10.1016/j.evopsy.2008.02.007

    mailto:[email protected]://localhost/var/www/apps/conversion/tmp/scratch_5/dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2008.02.007http://localhost/var/www/apps/conversion/tmp/scratch_5/dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2008.02.007mailto:[email protected]
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    through alienation, integrated by a subject, as a possible outlet to face narcissistic injuries that may occur inintercourse with body. 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits rservs.

    Mots cls : Dsir ; Discours ; Corps ; Norme imaginaire ; Clinique

    Keywords: Desire; Speech; Body; Imaginary standard; Clinic

    En tant que jai un corps, je peux tre rduit en objet sous le regard dautrui et ne pluscompter pour lui comme personne, ou bien, au contraire, je peux devenir son matre et leregarder mon tour, mais cette matrise est une impasse, puisque, au moment o ma valeurest reconnue par le dsir dautrui, autrui nest plus la personne par qui je souhaitais dtrereconnu, cest un tre fascin, sans libert, et qui ce titre ne compte plus pour moi.

    Maurice Merleau-Ponty [1]

    1. Monocentrisme, sujet en situation : les effets dun discours

    Lapostmodernit, y entendreunediscontinuit historique qui nouspropulse vers le savoir desvrits, ouvre maintenant sur lmergence dun discours amen loger toute tentative dinjecterdes normes prsupposes pour rajuster les relations entre sujet et monde extrieur. Ce discours,on peut lappelerdiscours monocentrique eton peut lednir, avant de revenir sur cequi larticuleaux modes dalination quil impose la subjectivit, comme territoire dexplications, de gui-dances et dincitations rendant possible que les mtaphores esthtiques du Canon , comme celamme reprsent par la statue de Polyclte, soient prises la lettre dans une gestion spcique despulsions.Assez spcique pour que lidal du Moi sy retrouve substitu par unmodle canoniqueintgr comme incontournable dans ltablissement des rapports lobjet. Ainsi, peut-elle appa-ratre en adquation avec une dynamique psychique o le sujet sinvente des critres dadmissionan de satisfaire ses constructions imaginaires.

    Le discours monocentrique aboutit la cration dun seul et unique axe de vrit qui sinstituecomme rfrence exclusive et comme stylistique de contrle sexercant stimuler des contradic-tions. Cet axe, nourri de prtentions que les individus peuvent saccaparer, nit par opposer un

    centre une priphrie ; celle-ci devant se dissoudre dans et travers celui-l. Paradoxalement, ildclenche chez le sujet dont il fabrique lui-mme la typicit, une logique de dcentration qui faitressurgir le sexuel comme gure de communication lusage du corps. Dans cette communica-tion et pour en avoir plus, le sujet se manifeste au nom de la libert alors mme quil entreprendune ritualisation de laveu [2]. Justement, cest parce que ce discours annule la demande par lafabrication de rponses prconcues et anticipes, quil est port restreindre la libert. L o ilest suppos porter secours , il vient initier, par effraction, la ngation du choix et assombrir, parintrusion, le travail psychique qui tmoigne de telle ou telle souffrance, de tel ou tel dsquilibre.On pourrait le considrer comme une doublure morale et moralisante de la normalit convoqueen savoir, cest--dire susceptible de se raliser par le biais de techniques aussi diverses que sont

    divers les champs dhumanisation sur lesquels celles-ci sexercent et saccomplissent. Do lunede ses caractristiques les plus fondamentales: il saisit son efcacit, non pas parce quil est enparfaite concordance avec tous ces champs dhumanisation, mais parce quil arrive atteindre lenoyau partir duquel les uns se raccordent aux autres. Ce noyau nest autre que le corps qui se

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    manifeste dans tous ses tats et qui tente de se reprsenter sous lemprise dun double souci, celudu rapport la sexualit dune part et celui du rapport la mort dautre part.

    Ce double souci, rendant le corps sensible aux regards qui se posent sur lui, aux dmonstrationsquiconsistent linvestiret auxaltrations du temps,permetque le discours monocentrique puisse

    oprer des transferts smiologiques du culturel vers le libidinal. Et on voit apparatre toute uningnieriedelimagequivautiliserlecorpscommepointpartirduquelilestpossibledebrancherles individus en permanence au mythe de la perfection qui les renvoie leurs insufsances etpar un retournement publicitaire, aux possibilits inpuisables dy remdier. Il sagit, en effetde crer un rgime qui provoque les individus jusqu ce quils se dclarent par leurs dfauts jusqu ce que leurs dfauts les engagent dans une dynamique dautodprciation. Dans ce rgime,la vrit est pointe partir de ce quon tablit comme critres de vrit ; la vrit de ce qui nepas bon garder et donc de ce qui fait de son propre corps le prtexte toutes les blessurenarcissiques. Analogie avec le modle canonique et circularit pernicieuse de ses propritsvoil comment on pousse manifester les rapports au corps dans ce quil a de plus intimemais aussi de plus monstrueux. Livr une expertise qui le saisit dans sa diffrence pour luproposer de lhomologuer, le corps savoue ses secrets, ses dfaillances, ses mdiocrits, sesimpuissances. Il sabandonne un processus de rgulation o le dsir est jamais revoir selodes paramtres dpourvus daffect, mais chargs dune forte intensit affective. Cest cela qui msembleconstituer lun descouplageslesplus opratoiresque lapostmodernit estvenue introduirean de produire son systme de signications. Couplage du savoir et de la vrit qui implique qutout individu doit, pour tre dans la communication avec lautre, apprendre le matriser jusqului prter des yeux pour le regarder. Et cest effectivement parce que lindividu est la fois relaet consommateur de ce systme de signications par le fait quil doit sy inscrire dune manirou dune autre quil est manipul dans ce quil possde de plus singulier, cest--dire le travapsychique lui permettant dassumer sa subjectivit sans se sentir oblig de ltalonner. L o il esujet de relations, il est soumis des procdspar lesquels son humanit est calcule, value etducoup calque sur les manuels qui prolifrent comme pour dire jusqu maintenant vous vous testromps sur tout. Dsormais, on va soccuper de vous, suivez nos conseils, vous verrez commenvotre vie sera immdiatement change. On peut, par o cest devenu banal, se frayer un chemiqui nous autorise poser ces questions : Que sont-ils ces hros de la postmodernit qui savent toutsur tout et qui veulent, tout prix, conclure sur la vrit ? quel besoin rpondent-ils ? Quest-cquils cherchent capturer quand ils se mettent produire un savoir qui devient rfrenc dseul fait quil prtend remplir un vide ? Quest-ce qui se dit travers cette philanthropie

    pour laquelle ils se donnent tant de peine?Et on peut esquisser une rponse. Ces hros, on ne peut les considrer que par analogie lstructure du mythe puisque leur existence physique, aprs tout, nest pas dun grand intrt parapport ce qui se produit travers eux comme ction. Encore faut-il chercher au discours uprcurseur qui se charge de dire do il vient. Car le discours ne qualie que celui qui le recoit amoment o il est constitu, dans son tat de langage, de ce qui otte au dessus de nos ttes pouatteindre nos systmes de perception. Le discours est rfractaire tout aspect unitaire puisquiimpulse le renouveau de la culture en impliquant la pratique individuelle des objets dans depropositions transformes en des choix appropris. Cest ce quon appelle communment laidu temps . Donc, structure du mythe qui implique que tout lment qui en est constitutif rempl

    une fonction bien particulire : se laisser interprter selon la disponibilit de tout sujet en prisavec ses ignorances et ses dsquilibres. Il en rsulte que la gure du grotesque vient transformele savoir en un ensemble de rituels qui permettent dexercer le pouvoir par lexploitation dumalheur. Cette gure du grotesque serait, par les prtentions qui animent ses tenants, la vrit en

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    soi et pour soi ; celle qui nest ni vriable, ni dmontrable, ni mme discutable. Aussi, le savoirqui ne tient qu condition davoir une cible atteindre, une demande stimuler ou une plainte traduire, explique comment sa mise en discours tente de prouver que la vrit doit concideravec lexistence dun sujet qui ne peut tre en harmonie avec le monde sans tre le symptme

    de sa propre vie. En ce sens, tre candidat et adresse du discours monocentrique, cest laisser lemodle canonique venir en butte lidal du moi, demeurer en contradiction avec le parcoursde symbolisation qui doit raccorder une pense une ralit.

    Ainsi, la vrit correspondrait quelque chose comme une performance qui ouvre les relationsintersubjectives sur la dispute du pouvoir. Il faut tre performant, ou, dfaut, avoir le sentimentde ltre pour exercer le pouvoir sur lautrepar le fait mme dtre regard par lui. Tel est lemessage qui en mane. Du coup, le savoir advient et tire ses formes daccomplissement en cho ce quon peut dsigner sous le terme de norme imaginaire qui renvoie lalination lactedignorer lobjet de son dsir tout en tant prdispos en dnir les exigences par rapport cellesquon impose soi-mme. Cette norme imaginaire ne se signie pas et doit, pour signier quelquechose, articuler trois aspects qui concourent ce que la subjectivit soit apprhende partir deses avidits libidinales : le non-sens originaire, lirrmdiabilit de la jouissance et la dformationde la ralit. Aussi, sinscrit-elle dans un registre dinterprtation et de recomposition, dans lequelle sujet se situe comme pour se donner limpression de matriser ses investissements pulsionnels,alors mme quil est terriblement assujetti leurs caprices. On voit par consquent comment lediscours monocentrique, du moment o il na pas dire do il vient, tend toujours rattraper lesujet en pointant ses insatisfactions. Ainsi, dans ses stratgies dexpliquer comment on arrive la satisfaction, il cible ce que cela pourrait entraner comme dgts pour les rcuprer aprs coupdans une instrumentalisation implacable. Il provoque des interrogations dordre narcissique touten induisant les hypothses qui peuvent les combler. Mais considrer comment le sujet procdepour quil en soit dpositaire, on sapercoit quil est, non pas celui qui a le dsir, mais celui quise produit comme effet dune problmatique de dsir. Il est, do la norme imaginaire lagressepour le domestiquer, celui qui on ne doit rien puisque lorigine, il ne sagit pas dune demandede sa part, mais dune plainte repousse comme telle pour navoir nullement t subjective. Ilreprsente donc le sujet en situation. Situation de faire siennes les vrits quil ne peut contestertant quelles correspondent des rfrentiels de normation. On peut rapporter ce processus ceque Freud nomme espoir libidinal qui, tout en dsignant linsatisfaction, montre commentla recherche de prototypes capables damorcer les conditions de la satisfaction demeure orientvers un investissement par procuration , cest--dire conformment lun des clichs dj

    prsents chez le sujet en question [3]et, pouvons nous ajouter, ce qui scinde lattente de lobjetet la production du symptme dans la rponse idale.

    2. La smioclinique

    Je tenterais de soumettre le discours monocentrique, du fait mme quil atteste lexistence dunsujet lui demeurant redevable dans ses manifestations, une approche qui larticule aux effets decommunication produits au moment o il trouve adresse. Ce serait le situer par rapport la ctionquil destine tous ceux qui peuvent en faire quelque chose et par rapport aux oprations psy-chiques adoptes pour y rpondre. Cette approche, pour peu quelle double ma rexion de plus

    de rigueur, est smioclinique : elle vise saisir comment la formation dun discours ne concernepas uniquement lenvoi dun message dont on peut sapproprier le contenu, mais aussi les pro-cessus qui expliquent ce que recevoir un message veut dire dexceptionnel pour le sujet supposen tre le destinataire. Et cest le concept de sujet lui-mme quil faudrait revisiter partir de

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    cette adquation de surface entre le dsir comme signiant dune hypothse de satisfaction elinterfrence du modle canonique qui rend celle-ci incompatible avec la reprsentation actuelldu corps. Le sujet serait ici un enjeu aussi bien pour le discours qui le saisit comme cible que pola clinique qui le saisit comme victime . Cette double conguration du sujet lintrieur dun

    mme unit smiologique nit par crer un domaine o la psychopathologie adopte la mtapsychologie comme dsignation du normal amene faire le procs du pathologique. Cesen partant de ce que le discours monocentrique exprime comme mtaphores dalination, quopourrait voir comment la dialectique du sens et du psychique qui se conclut par un remodelage dsigniant, est en elle-mme une condition la signiance. Do la situation du sujet en tant qupeut tout moment faire sienne une logique expressive retourne contre lobjet du dsir an dprivilgier lobjet de lnonciation. Ce retournement concorde avec limpasse devant laquelle ole met ds quon commence le faire douter de ses capacits de dsirer. Le dsir serait suspend tout ce que le corps donne penser de ngatif. On peut en rendre compte par le rcit de JeaCocteau au titre rvlateur, La difcult dtre , o le narrateur fait une description dtaille deson physique quil juge ingrat. Cette ingratitude, artistiquement accepte, le met toutefois danune situation de semblant . Et faire semblant devient lquivalent existentiel dune spiritualit amene fausser le regard de lautre pour ne pas y voir son reet en miroir et entamer, dcoup, le paradoxe de lambivalence : Cette fausse morgue vient de mon dsir de vaincre la gnque jprouve me montrer tel que je suis, et sa promptitude fondre, de la crainte quon puissla prendre pour une morgue vritable [4].

    Il sagit de capter, par rapport cette ngativit diffuse, les enjeux de la signiance dans et travers les dynamiques psychiques qui font du sujet une zone daffrontement entre des forcecontradictoires qui impliquent le travail sous-jacent du symptme. Donc: quest-ce qui se joue surleplan des rapportsentre le dsir et lecorps au momento la rfrence au discoursmonocentriquevientattesterunconitpsychiquedont lesujetdtourne lexpression?Quelleplacelesujetoccupe-t-il quand ses pulsions sont sensibilises des canaux de satisfaction selon un modle parfait eirrmdiablement idalis?

    Si lon revient au discours monocentrique comme articul une norme imaginaire, on pourraconstater le fait que ni lun, ni lautre ne sont en mesure doprer indiffremment. Il leur faulexistence dune plainte suppose en tant quelle leur permet dtre vrais , cest--dire dtren adquation avec le prdicat initial qui anime et renforce leur nalit : assujettir par le principde la consommation en rendant possible que la consommation soit un principe de plaisir. Le sujeest pos demble, de par le doute qui le traverse, comme point dintersection o le discour

    monocentrique et la norme imaginaire font rencontre pour le toucher aprs coup. Et la vritdu dsir, plus que son savoir, se localiser dans des mcanismes qui rvlent le clinique commmanifestation singulire dun non-dit selon un doublepositionnement, lun par rapport au systmesymbolique qui vient contraindre telle ou telle expression et lautre par rapport la volont dcommuniquer. Si la communication doit choisir lintrieur de lunivers signiant certainessignications et en exclure dautres , si elle demeure lexercice dune libert limite [5], cest quele langage ne permet pas aux objectifs du sujet dtre aussi conformes ses intentions. Cela msemble recouvrir, en la dterminant, une disqualication du fantasme au prot de la reprsentationen mme temps quelle induit la communication comme exprience resserre autour de substitutidaliss et donc inexistants. Quand il souhaite communiquer, le sujet se met en position de s

    soutenir de la sexuation quil sattribue tandis que sa pense est submerge par des prtentionnarcissiques transformes en critique de ce que le corps ne manifeste pas pour rpondre au dsiIci, la chose, du fait de son caractre indniment mythologique, tend carter lobjet poususpendre linni le moment de conclure. Conclure veut dire ici cultiver son dsir en sorte

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    quil puisse autoriser ne pas y cder. La pratique smiotique supposerait alors une multitudede mutations dans lusage de la communication recue, celle que le sujet estime sorienter ensa direction pour le faire ragir. Le sujet, au lieu de ragir, se conduit en interprte dunensemble dont il revendique la proprit intellectuelle une fois intgr comme vrit de cette

    chose dont il continue pourtant rechercher limpact. travers une telle opration, on assiste lmergence dun paradoxe o le corps critiqu aboutit plutt au sentiment de grandeur qui vient rendre supportable le fait dattendre. Car cest en connaissance de cause et pour causeque lautostigmatisation est en passe de devenir une volont appele non pas rejeter le corpspropre, mais louvrir sur le meilleur sans prter attention au pire. On assiste une grandetransformation dans le rle de lalination ; celle-ci favoriserait que le sujet, en perte du librearbitre, trouve ncessaire de calquer son espoir libidinal sur labstraction du Moi et du coup dene plus y prter attention. Ce qui veut dire : je veux tre le modle et je ne peux y parvenirque l o on me dit que je le suis. Ce on me dit , qui reprsente laboutissement nalis etconcentr du discours monocentrique, me parat constituer, excut la lettre, ladquation entrele sujet comme cible et le sujet comme victime. On passe alors de la clinique lexpression duclinique avant que cela ne nous conduise la psychopathologie du sujet mis en situation. En effetsi on se rfre lanalyse de cette conversion par rciprocit smantique de tre suivre quand ils sont pris dans lappropriation du je , quest-ce quon dcouvre ? On dcouvre que lelangage permet que la pense puisse avoir ses dtours, quelle est mobile dans le rapport que lesujet entretient avec les lments qui la composent et la dcomposent selon la porte quordonne,malgr lui, linconscient. Le langage, du moins dans le cas qui nous concerne, parle la pense, ilnest pas aussi arbitraire dans les glissements quil effectue que le signe en lui-mme. Compos,articul, potis, le langage nous ramne toujours, tant lexemple est la chose mme, aux secretsde limaginaire. Et on peut constater :

    que le signiant tre conduit lclosion dun reprsentant smiotique qui vient comme encalquage sur le signiant suivre permettant une mutation dans la signication par transfertdu sens initial des deux signes tre et suivre et revient indiquer ce que cela veut dire pour qui a lentendre. Ce reprsentant smiotique est le symptme ;

    que par ce fait, suivre ne vient pas remplacer tre, mais oprer une surcharge smantiquequi va les in-sparer , les rendre dialectiquement enchevtrs jusqu ce que la confusionentre avoir et dsirer devienne leur seul mode dexpression et atteste ce qui fait justementsymptme ;

    quil y a lmatire considrerque lesmiotiquedevient prcurseur, quand il serfreau je,dun lieu o linconscient parle au nom de celui qui lignore. En ignorant, le sujet continue reprsenter.

    Sous lgide de cette inclusion du Je dans lappropriation de ce qui est suppos le sortir deses doutes par rapport lobjet, le sujet adopte la position de ne pas avoir besoin de reconnatreson dsir puisquil na de souverainet sur lui que parce quil estime ncessaire que soit utile la jouissance. Le tre devient un quivalent smiologique de lalination do se ressource uneidentitsecondepar lamutationpulsionnelleque permet le suivre .Ildit comment lasubjectivitest prise dassaut, comment elle demeure en qute didal au moment o elle estime latteindre.

    Effectivement, le recours au modle canonique, avec le mcanisme didentication en moins etlalination en plus, empche lmergence de lautre. Ici, il ny a pas de communication qui puissevenir instaurer lchange par rapport aux glissements imaginaires. Il ny a quun canal uniqueemprunt par le sujet, celui que le modle canonique lui suggre en ce quil est axe de vrit

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    sont les glissements oprs par le sujet pour sen dfendre que la smio-clinique nous permet desaisir: comment le dsir du sujet trouve-t-il sa rsolution quand il est situ dans une dynamique qui,

    tout en limpulsant, sorganise pour ne pas en dterminer lobjet, concluant ainsi sur le travailsous-jacent du symptme?

    Quen est-il de la demande par rapport la forte aspiration la jouissance que le corps vcu vient barrer au prol dun corps exister encore ?

    Limaginaire se confond-il, dans ces conditions, la volont den dcoudre avec toute blessurenarcissiquepar voie de rattrapage ?

    Et dmontrer cela :

    les objets culturels visent la consommation en incitant la pulsion demeurer le lieu par o il estpossible que le sujet confonde le manque avec une absence de lobjet et, du coup, la satisfactiondu besoin avec laccomplissement du dsir ; do le problme dune xation qui se balade entreautorotisme et exhibitionnisme ;

    cette opration relve dune construction imaginaire o ce qui manque est ordonn par lediscours monocentrique dans une possibilit de le retrouver plutt que de le fantasmer. Defait, les objets ne sont pas soumis par le sujet un travail de dsir, mais une condition desatisfaction ; do le problme dune rgression qui oscille entre attachement et angoisse desparation;

    Le nimporte quel objet ne suft pas venir au manque, cest lunicit de lobjet imagselon le modle canonique qui dtermine la place du sujet par rapport sa ralit. Cela a desconsquences cliniques : tre dans lutopie de la jouissance serait confondre le dsir de lobjetavec le dsir du corps, autant le sien que celui de lautre. Une telle dynamique est pathogne,elle resitue la pense du sujet dans un stade prmiroir comme en expulsion de limage desoi tant quelle nest pas elle-mme canonique ;

    le manque qui place lobjet condition de ne pas lidentier produit, au lieu de demeurer unecausalit du dsir, une chane darbitraires qui pousse le sujet linterprter comme faisant sensspcialement pour lui, mais toujours en rfrence des qualits requises. Le leurre paranoaquefonctionne ici en annulation du fantasme; do la satisfaction comme rptition de leurres ;

    tre sujet de dsir serait donc une satisfaction entreprise sous la tutelle dun autre quelconque,pas encore identi pour tre ou ne pas tre lAutre. Et cest le modle canonique qui revientcomme gure dun pouvoir exerc sur le corps lui assignant une fonction de loyaut lgard de ce quen pense le sujet. De fait, la bance que laisse natre le manque est occupepar la demande que le manque ne permet pas de formuler autrement que par lavnement dusymptme, aussi insidieux soit-il.

    3. Du psychopathologique

    On peut dire alors que le discours monocentrique, en usant du caractre alatoire de la dif-frence, vient rvler une subjectivit qui, pour tre norme, doit en appeler des mcanismes

    pathologiques et ne faire preuve, au mme moment, daucune de leurs signications supposesalors que la pulsion divise le sujet et le dsir, lequel dsir ne se soutient que du rapport quilmconnat de cette division un objet qui la cause [10]. Le corps comme matrialit est investidans un souci de changement ou de transformation avec une facilit presque mcanique : cest

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    le corps qui dtient les secrets de la pense et cest travers une intervention sur le corps quiest possible de sortir au monde. Cependant, il y a par l mme o les illusions se rassemblent, ltravail dune obsessionalit qui fait que le recours la jouissance, telle que le dsir ne pourraila dsigner, atteste une psychopathologie qui frappe la normativit en ce quelle est toujours et

    jamais -venir . Cette obsessionalit, entendre en elle la rptition de ce qui na pas encort dcid par le Moi idal, manifeste limpossible concordance entre le besoin de satisfactioet le but de la pulsion dont le sujet ignore ou savoue solitairement quil est fondamentalemensexuel [11]. Et on revient la question originelle : quest-ce que le sujet dsire au moment o iladmet un corps propre tout en faisant glisser lesthtique de la perfection dans le rapport sexuelCrer un Matre sans se sentir esclave. Crer le Matre pour pouvoir domestiquer les effetdu symptme, cest bien cela qui est en adquation avec le fait daccoler au modle canoniqules prtentions qui devaient garantir que le dsir soit constamment ajourn en cho lenvie ducorps-autre. Face au modle canonique, il ny a pas possibilit de faire la cour puisque lautrest prtexte survaloris de ce qui nest pas encore dsir. Au fond, lexistence du matre annultoute matrisede lobjet du dsir alors que cest cette matrise qui est recherche. Celle-ci met sousvide toute association qui nest pas ce dont il est question chez le sujet ; on peut la prsenter ainsdsirer en ayant comme plus value de jouissance [12] le fait mme de ne faire que dsirertre la hauteur de la norme imaginaire. Ici, on est dans le registre du non savoir o lordre dmatre est invers, invers parce que le sujet, en refusant dtre esclave, le devient dans le lieu ola pulsion lui prte sa gure sans lui donner la preuve de son existence.

    La logique qui prside cet aspect du rapport au corps par dlgation est la suivante : sachanquil na quune seule vie, le sujet jouit en dbordant la mort tre ce que la jouissance repoussle plus loin possible. Telle lattitude quon pourrait lire dans le roman dOscar Wilde : LePortrait de Dorian Gray o la beaut et la jeunesse sont confondues au prot dun sentimentdimmortalit qui donne lquation du dsir le mme sens que celui de jouir de la vie, den uset den abuser jusqu ce que le renoncement devienne pch. Mais jouir de la vie, une fois lreprsentation quon en fait remise en cause, nit par faire aboutir le processus suicidaire contrlequel se dfendait lacte de mettre sur toile ce que la mort ne peut atteindre: des traits, rieque des traits qui font ofce de totalit en recevant du temps ce quil pargne Dorian GrayAinsi, mourir de jouissance conduit au vu de la puret qui ne sera exhauss quau prix dla disparition. Le portrait de Dorian Gray est devenu canonique pour Dorian Gray au momeno il la x en posant pour un peintre qui a admir en lui ce quil ne possdait pas. Il nit patuer son crateur, celui qui la fait passer de ltat de nature un tat de mythe, individuel soit-i

    pour enn conclure sur lacte dune rsolution morbide o se donner la mort quivaut savouelchec narcissique dans toute sa splendeur :

    Ah si je pouvais aimer !. . . Mais je crois que jai perdu toute passion, oubli tout dsir.Je suis trop proccup de moi-mme. Ma propre personne mest devenue un fardeau tropcrasant [13].

    Ds lors, est-ce le modle canonique qui reprsente, auprs de lAutre, le sujet jusqu ce qucelui-ci prouve physiquementce fameux que ta volont soit faite dont parle Lacan ? Que cettevolont soit faite, en sorte que ce que le dsir provoque comme activit psychique ne soit quunmobilit du symptme qui vient signaler, par dplacement, un processus de nvrotisation . E

    elle-mme, la nvrose des postmodernes, ou la nvrose postmoderne, secoue la culture du plaisien tant projection dun plus-de-jouir [12] au moment o la possibilit daccder aux rapportssexuels ne connat pas de limites. Et si toute nvrose ntait au fond que la nvrose de tous? Cserait le lieu o la question de dsirer se montre adquate, dans cette forme mme, une sort

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    de convulsion collective o la conformit reprsente ce qui nest pas a priori du ressort dela libert. Do le paradoxe de la postmodernit : on na pas obligatoirement besoin dtre libretant que nous revendiquons la libert quon veut. Se conformer au modle canonique, peut-treest-ce l la meilleure facon de ne point en souffrir. Devenir tour tour Autre et objet, cest

    linterchangeable qui se recoupe avec le corps pris la lettre dans son essence rogne [14]. Sepose alors une autre question : est-ce dnitif que dimpliquer le Je dans ce qui est idaliscomme -venir?

    On en arrive considrer comme pralable quil y a un processus de ddoublement rgulpar la vie psychique et dont le corps devient le lieu davnement : le corps sinscrit dans unrapport dtranget avec celui qui veut en porter les marques. Cest le corps de plaisir [15],do le plaisir autorotique fantasm est une condition au plaisir exhibitionniste. Inversion dansles options du plaisir : tre objet du regard de lautre, cest se satisfaire sans que ce soit nces-saire lacte qui lobjective, cest le moment o la sublimation se maintient comme puret deltre par la profanation du corps. Le rel est transcend par le recours limaginaire : ce quele sujet pense de son corps est cela mme que le corps soit. Cette stratgie, que la division dusujet rend encore plus opratoire, est adopte sans pour autant que le fantasme ne se dplacede la zone o il est dfense la zone o il est rsolution autorfre dun conit libi-dinal. Penser le corps de cette manire pour ladmettre aprs coup, cest dnier lidenticationau prot dun narcissisme archaque qui va ordonner une toute puissance exerce sur soi-mme.Cette admission, qui nest que probable, induit le symptme comme reprsentant smiotiquede ce qui, dans le dsir, est amendement dune satisfaction corrlative laffrontement entresuivre le modle et tre le modle. Dans cette affrontement, le Moi intgre le corps commeune tranget civiliser, encore et encore. On peut y interroger ce quil en est de cette tran-sition vers le dsir plac ailleurs pour quil serve quelque chose dindni. Et on peut estimerque le sujet nest pas en qute de beaut, il est en qute de perfection dont la beaut nestque laspect artistique qui nit par lui convenir au moment o il est contrari par le sentimentdinsatisfaction. En effet, il est question dune rencontre esthtique suscitant un embrasement motionnel qui ncessite une adresse intrapsychique [16], projete sur une valeur supposedmentir les constructions subjectives de base. Telle est la puissance argumentative du modlecanonique qui se confond avec le srieux de ses inuences sans quil soit localis lui-mmecomme adresse.

    Il sagirait alors dune problmatiquenarcissique, nonpas dans le sens o le sujet saime tropou insufsamment, mais dans le sens o, pour saimer, il doit oprer un calquage normatif

    plutt quune identication. Ce qui, nalement, nous renvoie au fait que le sujet nest pas larecherche dun objet de satisfaction, mais quil se situe dans le parcours de devenir objet desatisfaction . Do un phnomne de dnarcissisation primaire , qui implique que le sujet,tout en acceptant davoir un corps, aspire la perfection de celui-ci an dannuler la diffrencepar une majoration de la distinction. Se distinguer en abandonnant son corps aux fantasmes delautre, cest cela mme qui revient maintenir l-venir comme destin de la pulsion. Cetattrait pour la perfection tente darracher une mtaphore de satisfaction ce qui est donncomme substrat biologique du plaisir. linverse, le sujet prend une direction diffrente : par la normation du Moi, il entend inscrire la norme dans ce qui lui permet de ddouaner son dsiraprs avoir esquiss de le mettre lpreuve. Cette manuvre potique lgard du corps lui

    imposant une grammaire de singularit pour le lire et peut-tre sen mouvoir est lie au fait quelamour narcissiquene traduit pas des retours vers le Moi, mais des transactions le naturaliser au mrite fantasm: quil soit ceque jene suispas encore. Telleest lquation que lecorps doitrsoudre en tant le reste faire. Cest mme un chantage infantile qui concerne la rponse

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    par le tout ou le rien [17]. Tout ou rien que le manque dobjet reconduit sous la gure ducorps qui manque . Ce qui explique en quoi la dnarcissisation aboutit une surestimation de lapense par laquelle le sujet saccorde un imaginaire assez dilu pour rver de perversion , sansvouloir en tre le reprsentant dans le rapport sexuel. Et rver de perversion serait justement c

    que le rapport sexuel inscrit dans la constitution dune histoire pour le corps, celle o le dsiavec objet et le dsir en attente de lobjet ne sont jamais disjoints. Cest la rptition de ne fairqutre en dec de la jouissance par la multiplication des ratages. Revenir au corps, sur le corpun acte qui ne se ralise que du moment o le dsir nest pas aboutissement de la jouissancou la jouissance. Il dmontre que seul le regard de lAutre, celui qui ne saccommode jamaide sa propre jouissance, est en mesure de se raccorder parfaitement la plnitude du dsir. CeAutre, lamour narcissique ne le pense que comme alibi ljection dune faille mconnue, maidont le travail sous-jacent indique que le symptme nest pas toujours celui dsign par le suje linstar de ce quil sait ou de ce dont il souffre. Ici, on nest pas la limite de lhystrie o corps est abandonn au symptme comme crit guratif de la psych quand elle est prise danun conit. On est plutt dans une transcription de la norme imaginaire en ce quelle retire acorps toute prtention de jouissance avant quil soit homologu . Ce qui voudrait dire : il na de satisfaction que par ordination, cest--dire que du moment o lamour de soi empche lcorps de se rclamer de la jouissance de tous. Dans la qute de lobjet, cest lobjet qui seffacen tant celui que le sujet ne prlve pas du corps de lautre , mais celui quil tente de forgde toutes pices, partir de ce que le discours monocentrique lui permet dy capter commreprsentations. Dans Fort comme la Mort , Maupassant nous traduit cette fascination que lesujet sexerce maintenir du ct du possible pour abandonner lamour lintention de lautrecelui-ci mme quil destine tre lobjet quil na jamais rencontr, mais quil a toujours cherch. On ne se laisse sduire que par lexemplication, voire la transcription du modle exposau regard comme cela mme qui aboutit forger la reprsentation. Le peintre Olivier Bertinconduit la pulsion l o elle risque dtre inaccomplie, mais il le fait avec la hantise de retrouver lobjet. Il le trouve puisquil devient son crateur la fois sur la toile et dans la vie. Enxant le visage de la comtesse de Guilleroy, promue le satisfaire comme jamais aucune autrna pu le faire, il met son dsir en suspens et du coup, il se rappelle, lui qui a connu tant d jouissances, quil na jamais dsir, quil a juste ignor ce que cela veut dire au moment olaccs au rapport sexuel venait le lui conrmer : ayant conquis tous les honneurs, il demeurait, vers la n de sa vie, lhomme qui ne sait pas encore au juste vers quel idal il a march[18].

    On peut dire alors que le dsir est plutt coupl avec la jouissance orgasmique quaveclhypothsedun objetpouvant rpondre la recherchede satisfaction. Ce phnomnenous amne nous interroger sur la rgulation faite au dsir par le dcret monocentrique, rgulation qui posle cadre, cette fois-ci impos au sujet par lui-mme, comme dterminant presque mystique de lprohibition qui rappelle paradoxalement lactivit quil a fort tendance accomplir [19]. Aulieu que lalination soit fondamentalement morale, elle vient inltrer toute lactivit psychiqudu sujet en le xant selon ses incapacits trouver ladresse qui lui convient au dsir quil npas encore. Cest donc dun conit insurmontableautrement que par des oprationsdvitement,de dni et de suridalisation. Insurmontable veut dire que le symptme est mis la disposition dsujet pour ne pas avoir besoin den savoir plus quil ne sait.

    Lvitement, le dni et la suridalisation des mcanismes de dfense qui, associs, nousrapportent le sens de linversion. Il sagit deffacer le symptme par des clinithmes quiattestent lpreuve du corps par rapport lambivalence: au lieu que le symptme viennesignaler cette preuve, cest ce que pense le sujet en rsonance au discours monocentrique

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    qui empche le clinique dtre directement transcrit. Les clinithmes sont des substituts parlesquels le sujet transforme en mtaphorique ce que la pulsion ordonne en biologique. Ils ren-voient au fait que le dsquilibre, tout en tant fort prsent, ne laisse aucune possibilit ausujet de percevoir sa souffrance dans les dplacements quil effectue. Celle-ci tant jugule

    par le silence du symptme, alors mme que le symptme ne joue plus son rle de signa-ler quelque chose qui sapparente au conit psychique. Donc, cest redistribuer les clinithmesselon une logique de communication que de tenter des mcanismes de dfense simultanmentarticuls:

    lvitement vient rendre lajournement du dsir adquat la jouissance orgasmique fantasmecomme plus value au moment o lobjet recherch doit avoir comme condition de rponsele critre de perfection venant de lautre pour faire retour vers soi. En imposant son corpslpreuve de lhomologuer, le sujet estime ncessaire de commercer selon une logique deplaisir ;

    ledni vient oprer un doute dans lappropriation du corps en le mettant au centre dunelogiquequi empche que soit possible den faire lintermdiaire de tel ou tel appel lautre. Ce qui leconduit vivre limaginaire comme mise en scne de la perfection aprs avoir entrepris dentre lacteur ;

    la suridalisation vient appauvrir encore plus le dsir comme travail endogne du Moi quant la formulation de ce qui, de lui, est accept. Elle vient placer la chose venue du dehors l o le sujet ne peut laborer qu la condition de court-circuiter le savoir du symptme. Cequi aboutit une dialectique du renoncement et de la rcompense travers laquelle le recul delimmdiat est compens par lide dune rencontre imminente entre dsir et objet de dsir.

    Ici, le sujet na pas cultiv dnitivement une image de son corps, pour ladmettre ou pas,il est en attente continuelle de ce qui pourrait len dcharger. Si la totalit du corps est admise,elle demeure soumise lambigut dune reprsentation tablie selon des critres contraignants.Le recours ces critres vient soutenir le sujet dans une qute qui nest pas fondamentalementesthtique, mais qui le devient ds quil est saisi par le sentiment de ntre pas identiable ce quon lui suggre comme absolu. En effet, le sujet ne se reconnat pas dans telle ou telledisgrce pour avoir lannuler, il est convaincu quavoir un corps autre est la seule facon dele lui pargner. Le sentiment esthtique est situ donc du ct de la mgalomanie avec un fondrotomaniaque o la rigueur exerce sur soi-mme doit esquisser paradoxalement des reproches

    gocentriquesinexprimablesensymptmestoutenlesindiquant.Onestalorsdansleregistredune dysmorphophobie larve, cest--dire incompatible avec une structure de base qui lauraitdtermine, mais ouverte des motions contradictoires qui en rappellent la smiologie. Carsagissant du cas qui nous concerne, cest le modle canonique qui se charge de maintenir enveil, la position normative du sujet en lui montrant comment il pourrait lamliorer pour avoir dsirer. Le sujet ne se juge pas , il passe directement ltape o il lui est possible de pariersur autre chose que ce quil est. Du coup, rien nest objectiv dans une symptomatologie prcise,mais tout est rfr un processus normalonvrotique qui pourrait ventuellement conduire desmanifestations graves telle que la perte totale du principe identitaire quon retrouve rpercut,dans les psychoses, sous forme de dlires de morcellement.

    En effet, on pourrait admettre le fait quil sagit dun risque circulaire o certains idaux, telsla beaut ou la sant peuvent servir de thmes une souffrance, se situant des niveau variablesde pathologie [20] dont la perception du corps, soumise tel ou tel modle, est lillustration debase. Linsatisfaction devient corollaire au manque et le dsir lespoir libidinal. On se retrouve

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    alors dans une autre dimension, celle o rver de perversion devient un appui controvers quvient stimuler les dialectiques dune nvrose rduite son degr zro daffect. Il serait, eneffet, la pense du corps dpourvu de toute rfrence rogne au plaisir parce quil tend revoicelui-ci chaque foisque le rapport sexuelnepeut exister. Lesujet semet ensituation de voir dans

    la jouissance une complaisance par rapport au manque, de rpondre lutilit de la jouissancpar le fait de ne chercher qu jouir. Georges Bataille en fait une thmatique, aussi bien littrairque philosophique pour y dterminer ce qui destine lhomme stonner de sa nature pour semerveiller. Ainsi, est-il possible dy percevoir une proposition clinique daborder le seuil partirduquel le sujet est amen reter ce qui ne lui permet pas dexcder son dsir ou de le maintenCar lalination devrait se placer l o le sujet tente de trouver la jouissance une loi susceptiblde le dgager dune autre :

    Pour aller au bout de lextase o nous nous perdons dans la jouissance, nous devonstoujours en poser limmdiate limite : cest lhorreur. Non seulement la douleur des autres

    ou la mienne propre, approchant du moment o lhorreur me soulvera, peut me faireparvenir ltat de joie glissant au dlire, mais il nest pas de forme de rpugnance dont jene discerne lafnit avec le dsir. . . Le danger paralyse, mais moins fort, il peut exciter ledsir [21].

    Rver de perversion serait, justement, de ne pas succomber au charme exclusif de faire malou de se fairemal . Il trouverait, en retour, dans les extravagances de limaginaire rotique un code de plaisir qui ddouane lactivit pulsionnelle face ce quelle induit au niveau derapports intersubjectifs et face ce quelle traduit au niveau des fantasmes individuels. Mutatiodans le champ de laltrit et abolition de la nomination sous contrainte. Mais de qui et de quoi

    Il me semble que cette contrainte na pas dorigine quon peut utiliser comme analyseur. Onpeut juste supposer quil y a quelque chose qui pousse le sujet se retourner contre lamounarcissique en ayant limpression de lui donner une valeur plus grande que celle quil estimdj atteinte. Par lajournement de tout investissement qui pourrait le soumettre au jugement dlautre, le sujet effectue un passage subtil du point o il est sujet de la pulsion un point o idevient gnrateur de pulsions. entendre cela comme une constante valuation dune limit franchir, il sagit pour le sujet darticuler le corps la passion de lignorance [22] et decontinuer en faire quelque chose dirrversible que le dsir ne peut supporter. Do dsireest lquivalent dune sexuation inacheve et donc impossible se traduire dans le choix dlobjet. Et cest cette question du choix qui va altrer le recours lintersubjectif pour nen reten

    que le prtexte qui permet que la ralit ne puisse rpondre ce qui est suppos tre le savoidu sujet quand il se met produire de limaginaire. On est alors dans le registre dune pensintervenant la lumire de ce que le refoulement du sexuel manifeste sous cette forme : en ayanson propre corps, le sujet se dfend dtre sa merci. Et le cheminement de la pulsion sinversdans une vritable mutation de sens, le dsir en serait autant la thorie que le corps en est leterrain dexprimentation. De fait, il est question damalgame entre des ressentiments dordremotionnel et le savoir de lidal sous une gure de vrits laquelle le sujet prte une attentioninconsciente [23] qui, applique dans notre cas, voque les glissements effectus par le sujetan de capter chez lAutre ce quil nest pas capable de fournir de lui-mme.

    4. Conclusion

    Le discours monocentrique vient transformer en modalit culturelle lalination. Ses effetsaboutissent compliquer pour le sujet, jusqu le rendre incapable de vivre sans symptmes

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    lopration qui consiste faire passer lobjet du rel au signiant. Cest dans ce sens quil estreproduit comme discours vrai, discours dont les mcanismes de fonctionnement peuvent sedplacer et loger dautres discours, mais aussi venir coloniser les zones dimpuissance de telleou telle action, qui vise le changement en sappuyant sur des mcaniques de radaptation ou de

    rducation. Le discours monocentrique nit par lier la pense du corps aux failles narcissiquesde facon tellement vidente quil est capable de rendre ncessaire que les individus usent desprocds supposs leur venir en aide alors quilspointent en eux les paradoxes de lavie psychique.Puisque l o il leur indique laxe selon lequel ils doivent mener leur vie, il les introduit dans lemodle canonique sans que ce modle ne soit symbolis, cest--dire avant quil soit lui-mmesoumis lvaluation du dsir. Cest en cela quil est investi, sans nom propre, comme gure quithtralise la vrit en tant que contredit de la libert tout en simulant des scnes o la libertpourrait se confondre avec le choix. Lalination devient la fois causalit et parcours faisantainsi barrage toutes possibilits dinterroger ce quil en est de la souffrance psychique donton souhaite dompter les effets en lui trouvant des raisons objectives et perceptibles telles que lecorps est capable de manifester. Recevoir le discours monocentrique, ce serait donc lexpressionde lmotion dpossde de ce qui fait delle une charge affective enracine dans la ralit poury ragir. Dpossde veut dire aussi se mettre contribution dans une structure vhiculaire olincitation la jouissance orgasmique se transforme en un systme de signication articul lusage culturel des objets. De fait, lidal du Moi na plus rien voir avec lidenticationproprement dite. Dsormais, il est raccord cette dimension endogne de la rpression quereprsente la mode libidinise, cest--dire confrant au relationnel la porte signicative dusexuel. Cration dune forme psychique de la consommation par laquelle la sexualit est lesexe rompu une capitalisation de la libido porte elle-mme par la rivalit. Cest que poursentendre sur lobjet dsirer, il faut linterfrence du rival qui pousse le sujet revoir ses acquisde nature pour les transformer en acquis de culture. Ainsi, la stylistique de contrle pourrait-ellese manifester sous le pli de la libert alors mme que le corps doit obir une normation [24] quidnigre en lui la diffrence de fait pour le propulser vers la perfection dusage. On passe alors desmachines dsirantes [25] aux pannes de dsir. Cependant, dans cette situation, il ne sagit nide nature, ni de culture, il sagit dune troisime voie : la psychopathologie.

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    [19] Freud S. Totem et tabou. Paris: Payot; 1980.[20] Thoret Y. La dysmorphophobie, comment sapprocher de la beaut? Evol Psychiatr 2003;68:64957.[21] Bataille G. Madame Edwarda. Le mort. Histoire de lil. Paris; 1973.[22] Lacan J. Le sminaire. Livre XX. Encore. Paris: Seuil; 1975.[23] Houzel D. Peut-on parler dattention inconsciente ? Sante Ment Que 2007;118:526.[24] Marzano M. Philosophie du corps. Paris: PUF; 2007.[25] Guattari F, Deleuze G. Lanti-dipe. Paris: Minuit; 1972.