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174 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2006;107:174-178 © Masson, Paris, 2006 Forum Suivi des patients après chirurgie orthognathique Coordonné par M. Richter, Hôpital Cantonal Universitaire, Genève B. Zagala-Bouquillon 1 , F. Laurent 2 , M. Freidel 3 1 Chirurgien, Cabinet médical, Nancy. 2 Chirurgien Maxillo-facial, Cabinet de Chirurgie maxillo-faciale, Annecy. 3 Chef du Service de Chirurgie Maxillo-faciale, Centre Hospitalier Lyon-Sud. Correspondance : Pr M. Richter, Service de Chirurgie Maxillo-faciale et de Chirurgie Buccale, Hôpital Cantonal Universitaire, rue Micheli-du-Crest, 24, CH-1211 Genève 14, Suisse. michel.richter @hcuge.ch INTRODUCTION La chirurgie orthognathique concerne des patients souvent jeunes et la plupart du temps en bonne santé. Plus que toute autre, elle se doit d’être peu invasive et ses conséquences doivent être les plus tolérables possibles. Il nous a paru intéressant de demander à trois chirurgiens maxillo-faciaux, deux indépendants et un hospitalo-universitaire de préciser leur attitude immédiatement après une intervention visant à corriger une malformation des bases osseuses maxillaire et mandibulaire. PRÉSENTATION DU CAS Mademoiselle S., 19 ans, était porteuse d’une dysmorphose maxillo-mandibulaire, sous forme d’une béance osseuse associée à une béance dentaire. L’occlusion était en classe II. Après décompensation, alignement et coordination orthodontiques des arcades dentaires, vous avez procédé à une ostéotomie de type Le Fort I d’impaction et légère avancée associée à une ostéo- tomie sagittale bilatérale des branches montantes pour adapter la mandibule. La patiente est encore sur table, tube naso-trachéal en place, avec un blocage maxillo-mandibulaire. Quels vont être votre attitude et votre suivi jusqu’au troisième mois après l’opération en ce qui concerne notamment : - vos consignes postopératoires ? - votre attitude quant au blocage maxillo-mandibulaire ? - la reprise de l’alimentation ? - la durée de l’hospitalisation ? - la reprise du traitement orthodontique ? Quels vont être votre attitude et votre suivi jusqu’au troisième mois après l’opération ? B. Zagala Voici le déroulement des suites opératoires d’une ostéoto- mie bimaxillaire pour le traitement d’une classe II avec béance antérieure. Au début de l’intervention avait été mise en place une sonde naso-gastrique. L’antibiothérapie a été débutée à l’induction de l’anesthésie, 20 à 30 minutes avant la première incision : 1 g d’Augmentin £ et 1 g de Clamoxyl £ en perfusette. L’association des deux antibiotiques permet de ne pas augmenter les doses d’acide clavulanique. 1 g d’Aug- mentin £ est administré 12 heures plus tard et le lendemain matin toujours en perfusette. Ensuite l’Augmentin £ est donné

Suivi des patients après chirurgie orthognathique

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Rev Stomatol Chir Maxillofac 2006;107:174-178© Masson, Paris, 2006

Forum

Suivi des patients après chirurgie orthognathiqueCoordonné par M. Richter, Hôpital Cantonal Universitaire, Genève

B. Zagala-Bouquillon1, F. Laurent2, M. Freidel3

1Chirurgien, Cabinet médical, Nancy.2Chirurgien Maxillo-facial, Cabinet de Chirurgie maxillo-faciale, Annecy.3Chef du Service de Chirurgie Maxillo-faciale, Centre Hospitalier Lyon-Sud.

Correspondance :Pr M. Richter,

Service de Chirurgie Maxillo-facialeet de Chirurgie Buccale,

Hôpital Cantonal Universitaire,rue Micheli-du-Crest, 24, CH-1211

Genève 14, Suisse.michel.richter @hcuge.ch

INTRODUCTIONLa chirurgie orthognathique concerne des patients souvent jeunes et la plupart du temps enbonne santé. Plus que toute autre, elle se doit d’être peu invasive et ses conséquences doiventêtre les plus tolérables possibles. Il nous a paru intéressant de demander à trois chirurgiensmaxillo-faciaux, deux indépendants et un hospitalo-universitaire de préciser leur attitudeimmédiatement après une intervention visant à corriger une malformation des bases osseusesmaxillaire et mandibulaire.PRÉSENTATION DU CASMademoiselle S., 19 ans, était porteuse d’une dysmorphose maxillo-mandibulaire, sous formed’une béance osseuse associée à une béance dentaire. L’occlusion était en classe II. Aprèsdécompensation, alignement et coordination orthodontiques des arcades dentaires, vous avezprocédé à une ostéotomie de type Le Fort I d’impaction et légère avancée associée à une ostéo-tomie sagittale bilatérale des branches montantes pour adapter la mandibule. La patiente estencore sur table, tube naso-trachéal en place, avec un blocage maxillo-mandibulaire.

Quels vont être votre attitude et votre suivi jusqu’au troisième mois après l’opération en ce quiconcerne notamment :- vos consignes postopératoires ?- votre attitude quant au blocage maxillo-mandibulaire ?- la reprise de l’alimentation ?- la durée de l’hospitalisation ?- la reprise du traitement orthodontique ?

Quels vont être votre attitude et votre suivi jusqu’au troisième mois après l’opération ?

B. ZagalaVoici le déroulement des suites opératoires d’une ostéoto-mie bimaxillaire pour le traitement d’une classe II avec

béance antérieure. Au début de l’intervention avait été miseen place une sonde naso-gastrique. L’antibiothérapie a étédébutée à l’induction de l’anesthésie, 20 à 30 minutes avantla première incision : 1 g d’Augmentin £ et 1 g de Clamoxyl £

en perfusette. L’association des deux antibiotiques permet dene pas augmenter les doses d’acide clavulanique. 1 g d’Aug-mentin £ est administré 12 heures plus tard et le lendemainmatin toujours en perfusette. Ensuite l’Augmentin£ est donné

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per os soir et matin souvent jusqu’à la sortie. La duréemoyenne de traitement est de 3 à 4 jours en tout. Avec le traite-ment antibiotique, on associe 80 mg de Solumédrol£. Lesantalgiques Profénid£, Perfalgan £ ont été passés en find’intervention. En salle de réveil, un complément antalgiquepeut être administré (Acupan£, Nubain£, Temgésic£ ou autre)éventuellement du Zophren£. Le blocage est laissé en placeavec pince pour un déblocage éventuel. Après 1 heure et demi,la patiente passe en soins continus pour surveillance jusqu’aulendemain matin : monitoring cardiaque, tension artérielle,oxymétrie. On effectue une aspiration fréquente de la sondenaso-gastrique qui est retirée en général 1 à 2 heures aprèsl’arrivée aux soins. Le sang est régulièrement évacué. Les deuxManovacs mandibulaires seront retirés à la 48e heure. Despoches de glace sont mises en place. Des pulvérisations nasa-les de Déturgylone £ sont prescrites. La boisson est reprise sipossible à la paille dès le soir. Le lendemain, débute une ali-mentation liquide à la paille. Après la dernière injection deSolumédrol £ le matin, le traitement est administré per os :Augmentin £ 2 g/j, Apranax£ sachets 2/j (jusqu’à J2 ou J3),Efferalgan£ simple ou codéiné 6x/j. Les bains de bouche àl’éludril, les lavages du nez au sérum Bétadiné puis Déturgy-lone sont poursuivis. La patiente retrouve sa chambre à J+1.Des radiographies de contrôle sont réalisées à J2 ou J3. La sortiese fait à J3 ou J4 avec une ordonnance pour des bains de bou-che, de l’Efferalgan £ simple, des rinçages du nez au sérum phy-siologique et de la Déturgylone£. L’alimentation est liquide. Lapatiente est revue vers le onzième jour au cabinet pour lever leblocage, retirer les fils et placer deux élastiques maxillo-man-dibulaires lourds, antérieurs, de classe II. Ceux-ci sont retiréspour les repas et les soins de bouche les deux premiers jours.À partir du troisième jour, la patiente les retire en plus 1 heurele matin et l’après-midi. Ce temps est rallongé de 10 minutesmatin et après-midi tous les jours pour ne porter les élastiquesque la nuit au bout de 3 semaines. L’alimentation reste mollejusqu’à 6 semaines après l’intervention. Le premier rendez-vous chez l’orthodontiste a lieu 2 à 4 semaines après le déblo-cage pour reprendre le traitement en fonction des habitudesde l’orthodontiste. Des séances de rééducation linguale etlabiale doivent débuter 15 jours après le déblocage (bilan faiten préopératoire). Si la patiente est étudiante, elle peut repren-dre ses cours, environ 15 jours après l’intervention ; si elle estsalariée, l’arrêt de travail est de 4 semaines. Les activités sporti-ves peuvent reprendre 2 mois après l’intervention. Un rendez-vous de contrôle est prévu vers 3 mois au cabinet avec nouvel-les radiographies. Sont alors prodigués des conseils de réédu-cation des mouvements d’ouverture, de propulsion et de

latéralités si nécessaire. En fonction de l’évolution du traite-ment l’orthodontiste reçoit le feu vert pour l’ablation del’appareil multi-attaches.

M. FreidelVoici les réponses aux questions concernant les suites d’ostéo-tomie bimaxillaire :- Consignes postopératoires : prescription d’antalgiques(paracétamol et ou dérivés morphiniques). Vessie de glace surles joues. Ne pas se moucher en pinçant les narines. Soins debouche au jet dentaire si besoin vaseline sur les commissures.- Blocage maxillo-mandibulaire : 3 à 4 jours de BMM métalli-que puis guidage élastique sur plan de morsure pendant 3 à 4semaines ; déblocage au moment des repas progressivementétendu et gymnastique mandibulaire plusieurs fois par jour.- Reprise de l’alimentation : reprise de la boisson et alimenta-tion liquide le soir même. Dès la levée du BMM métalliquereprise d’une alimentation molle (ni croûtes de pain, ni viandeépaisse, ni nougats…) progressivement ajustée par le patient.- Durée de l’hospitalisation : une semaine en moyenne, éven-tuellement écourtée si la résidence est proche et que la com-pliance est bonne.- Reprise du traitement orthodontique : 3 ou 4 semaines aprèsconsultation de l’orthodontiste et reprise du traitement ortho-dontique pour finitions utiles.- Recommandations : interdiction d’activité sportive violenteexposant au traumatisme maxillo-facial pendant 2 mois (ski,football, boxe...). L’exposition prolongée au soleil est décon-seillée.Ne pas s’inquiéter de l’hypoesthésie labiale supérieure et/ouinférieure dont la patiente a d’ailleurs été prévenue, ni de lalenteur de régression de l’œdème à l’étage maxillaire. L’article« Complications médicales péri-opératoires de la chirurgieorthognathique » de P.-Y Carry [1], résume notre protocole.

F. LaurentIl n’y a plus de dispositif de blocage maxillo-mandibulairedepuis la vérification de l’occlusion, avec et sans la gouttièrechirurgicale, sur la table d’opération. Un tube naso-pharyngétype Wendell £ controlatéral au tube naso-trachéal a été mis enplace depuis le début de l’intervention pour préserver la symé-trie de la cloison et aspirer les saignements postérieurs en sallede réveil. Il n’y a pas de sonde naso-gastrique ni de packing. Lapatiente est transportée intubée en salle de réveil où elle estinstallée en position semi-assise. Le tube naso-pharyngé estretiré sous aspiration, par l’anesthésiste. La surveillance se

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poursuit environ 2 heures puis la jeune fille est ramenée danssa chambre. Les consignes et prescriptions du chirurgien et del’anesthésiste sont les suivantes :1) poches à glace sur les deux joues et position semi-assise ;2) poursuite de l’antibioprophylaxie telle qu’initiée avantl’intervention : amoxicilline et acide clavulanique 3 fois 1 g/j ou,en cas d’allergie à la pénicilline : érythromycine (1 000 mg 2 x/j)ou clindamycine (300 mg,3 x/j) pour une durée de 6 jours autotal ;3) une transfusion autologue différée (T.A.D.) devient de plusen plus rare et n’est qu’exceptionnellement organisée parl’anesthésiste ;4) corticothérapie : Solumédrol£ 40 mg 3x puis 2x puis 1x /jour,traitement également débuté pendant l’intervention et pour-suivi uniquement durant l’hospitalisation, à doses dégressives ;5) antalgie administrée suivant les besoins et selon les ordresde l’anesthésiste sous forme d’AINS (paracétamol et kétopro-féne) en limitant au maximum les opiacés responsables denausées et de vomissements ;6) bains de bouche avec chlorexidine et eau oxygénée 10 %diluée (50 %) et pommade vaselinée sur les lèvres ;7) régime alimentaire haché, jamais de paille ou de canard ;8) lever et déambulation le plus rapidement possible ;9) drains de Manovac£ mandibulaires maintenus sous aspira-tion et retirés le matin de la sortie ;10) pas de mouchage nez pincé pendant 3 semaines ;11) sortie à J3 ou J4 avec une ordonnance pour les antibiotiques,les antalgiques et les bains de bouche ;12) rendez-vous chez le radiologue qui a effectué les docu-ments préopératoires pour réaliser des téléradiographies deface et de profil et un cliché panoramique en occlusion. Cesdocuments seront vus au rendez-vous de contrôle la semainesuivant la sortie de la clinique. Ce jour-là, les fils cutanés desabords trans-jugaux sont retirés. Les sutures buccales résorba-bles se déliteront spontanément. La patiente est revue 15 jourset 1 mois après l’opération puis après 3, 6, 12 et 24 mois pour lesmêmes contrôles. Lors de chaque visite, la mobilité de la man-dibule en propulsion, diduction et ouverture est mesurée et onencourage la patiente à effectuer elle-même ces exercices.Une occlusion fine légèrement différente de celle obtenue enfin d’intervention peut être la conséquence soit d’œdèmesintra-articulaires et intra-buccaux soit d’une position antalgi-que temporaire, soit de déficits sensitifs. Un gros décalagedevrait être confronté aux clichés radiologiques et pourraitamener à une reprise opératoire rapide. On encouragel’hygiène buccale avec une brosse à dents et des bains de bou-che désinfectants ; pas de jet dentaire avant 10 jours. La durée

totale de l’arrêt de travail dépend des suites et de la professionet varie entre 15 jours et 3 semaines au maximum. Il faudra évi-ter les sports violents et les bains de soleil pendant 2 mois.Dans les suites, la sensibilité des branches sensitives sous-orbi-taires et mandibulaires est régulièrement testée et les explica-tions concernant les modalités de récupération sont rappelées.L’orthodontiste reçoit les doubles des radios pré et postopéra-toires, les deux gouttières de positionnement et les moulagesdécoupés sur articulateur. Il peut reprendre la finition del’occlusion, dès la deuxième ou la troisième semaine, en fonc-tion de l’amélioration de l’ouverture buccale. Dès que celle-cidevient suffisante, il a toute latitude pour placer des élastiquesmaxillo-mandibulaires. Il faut alors instruire la patiente sur lesdeux buts recherchés et opposés : fermeture de l’occlusion etrécupération rapide d’une distance entre les incisives, équiva-lente à la pointe de ses trois doigts. Toute douleur articulairefait l’objet d’une prise en charge par un kinésithérapeute« spécialisé » afin d’entreprendre une auto rééducation del’appareil masticatoire en insistant sur la propulsion mandibu-laire. Il faut parfois conseiller de cesser le port des élastiquess’ils entraînent des douleurs articulaires. On peut même, par-fois, remettre la gouttière terminale en place pour protéger lesarticulations. L’ablation des ancrages dentaires est décidéed’un commun accord avec l’orthodontiste, le plus souvent6 mois après l’opération. Divers moyens de contentions amo-vibles sont alors installés pour prévenir la récidive. Au moindreproblème, un contact avec l’orthodontiste est indispensable demême qu’avec le médecin traitant, surtout lors du développe-ment d’une « dépression postopératoire », le plus souvent enrelation avec une anxiété préexistante. Nous ne prévoyonspas d’ablation du matériel d’ostéosynthèse, sauf gêne oudemande de la patiente et dans ces cas, pas avant une année.

Commentaires

Consignes postopératoiresEn ce qui concerne l’antalgie et la lutte contre l’inflammation,les trois confrères ont des attitudes pratiquement semblablesqui associent des poches à glace à des AINS (anti-inflammatoi-res non stéroïdiens) et/ou des corticostéroïdes. F. Laurent éviteles opiacés en raison de leur effet émétique, problème certai-nement amplifié par le sang qui a pu s’accumuler dans l’esto-mac en absence de packing. Une méta-analyse récente [2] aveccritères d’inclusion stricts a comparé l’efficacité des AINS àcelle des opioïdes, en chirurgie orale et maxillo-faciale. Cetterevue de plus de 300 publications, depuis 1990, a confirmé que

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les AINS sont aussi efficaces sinon plus que les opiacés pourlutter contre les douleurs postopératoires. Ils ont l’avantaged’éviter les effets secondaires des opiacés comme les nauséeset les vomissements particulièrement néfastes en chirurgiemaxillo-faciale. Dès le réveil, les poches à glace sont appréciéespar les patients et participent aussi à la lutte contre les dou-leurs et l’inflammation.Le choix de l’antibiotique est le même pour les troisopérateurs : soit amoxicilline, soit amoxicilline associée àl’acide clavulanique. En 2005, Spaey [3] a confirmé qu’il n’existetoujours pas de protocole consensuel, dans la littérature, pourl’antibioprophylaxie en chirurgie orthognathique et que l’utili-sation d’une pénicilline synthétique semble être le meilleurchoix actuel. Des études en double aveugle avec placebo, doi-vent encore être conduites pour confirmer cette attitude prag-matique. Associer Augmentin£ et Clamoxyl£ comme lepréconise B. Zagala ne présente pas d’avantage particulier. Laclindamycine ou l’érythromycine sont indiquées s’il existe uneallergie à la pénicilline et à ses dérivés. La durée pendantlaquelle les antibiotiques sont prescrits est différente pour cha-que chirurgien interrogé. En fait, pour atteindre une concentra-tion adéquate d’antibiotique dans les tissus, au moment del’intervention, la première dose doit impérativement être admi-nistrée au minimum 1 heure avant le coup de bistouri. Ledosage doit correspondre au double de celui qu’on utilise lorsd’un traitement habituel avec ces antibiotiques [4]. Pour main-tenir l’antibioprophylaxie à un niveau plasmatique suffisam-ment élevé durant la chirurgie, il faut répéter l’administrationdu médicament à intervalles deux fois plus rapides que lorsd’un traitement antibiotique habituel [4]. Pour rester dans laphase prophylactique, il faudrait que l’administration du médi-cament ne dépasse pas le temps de la chirurgie. À partir du troi-sième jour on passe dans la phase de traitement, et on favorisedéjà la sélection de souches de micro-organismes résistants [4].Les ostéotomies combinées sont parfois hémorragiques et peu-vent imposer une compensation des pertes sanguines. Pouréviter les risques d’incompatibilités en transfusant du sanghomologue, la transfusion autologue différée (T.A.D.) est unealternative souvent évoquée [5]. Elle devient de plus en plusrare, comme le suggère F. Laurent. Selon une étude récente [5],elle ne devrait plus être proposée de façon systématique maisréservée à des cas bien planifiés comportant un risque impor-tant d’hémorragie. La rapidité, la précision des gestes opératoi-res et l’expérience du chirurgien jouent un rôle primordial pourlimiter les pertes de sang. L’anesthésiste a son rôle à jouerdurant l’intervention en maintenant une pression systoliquestable aux environs de 100 mm Hg ou en installant une hypo-

tension contrôlée avec pression artérielle moyenne de 60 mmHg [5] comme c’est le cas systématiquement chez M. Freidel [1].

Blocage maxillo-mandibulaire (BMM)Sur ce point, l’attitude de nos trois confrères est différente àl’image de ce que l’on peut retrouver dans la littérature [6].Alors que B. Zagala et M. Freidel maintiennent la patiente sousBMM rigide à l’aide de fils d’acier, F. Laurent « débloque » l’opé-rée encore intubée, sur table, après avoir vérifié que l’occlusionest correcte. Ce geste permet d’éviter des risques d’aspirationlors de l’extubation. M. Freidel lève le BMM après 4 à 5 jours etB. Zagala après 11 jours. Alors qu’une mobilisation précoce de lamandibule est encouragée par F. Laurent, M. Freidel remplacele BMM rigide par des élastiques de guidage sur plan de mor-sure durant 3 à 4 semaines et procède à un déblocage progres-sif pour les repas. B. Zagala remplace le BMM par desélastiques lourds retirés progressivement pour les repas et lessoins pendant 3 semaines. Il y aura au total 1 mois d’immobili-sation plus ou moins rigide. Il est utile de rappeler qu’uneenquête sur l’opinion émise par les patients après chirurgieorthognatique [7] a révélé deux points négatifs : à court termeles douleurs postopératoires et, à long terme, le BMM qualifiéde pénible. Cette limitation de la mobilité mandibulaire avaitmême été ressentie comme plus éprouvante que les douleurspostopératoires. Dans ces conditions, un BMM est-iljustifiable ? Une réponse à cette question a déjà été apportéedans la discussion écrite à propos de cet article [8]. Rappelonsque les ostéosynthèses, par vis ou par plaques vissées, sontdevenues un standard et qu’avec la réalisation d’un montagestable, le BMM n’apporte pas de sécurité supplémentaire à lastabilité des ostéosynthèses [9]. Le BMM même de brève duréen’est donc pas nécessaire. Au contraire, la récupération rapidede la fonction mandibulaire devrait être un but ! L’absence deBMM permet de récupérer une fonction masticatoire précoceen évitant les conséquences négatives de l’immobilisation surles muscles et le cartilage condylien [10]. Sans BMM, on amé-liore considérablement le confort et la satisfaction despatients en favorisant une diminution de la durée d’hospitali-sation et une reprise des activités quotidiennes et du travailplus rapide [11]. De plus, un BMM de brève durée associé à desostéosynthèses rigides ne protège pas contre une récidive tar-dive de la malformation d’origine [6]. Le danger d’une récidiveest bien mieux évité en réalisant un plan de traitement quitient compte de l’action de la musculature et surtout de l’équi-libre neuro-musculaire qui s’établira à la fin du traitement [12].Par contre, un guidage par élastiques sur un plan de morsureou splint [13] est souvent nécessaire : les changements squelet-

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tiques et occlusaux provoqués par les ostéotomies altèrent laproprioception alvéolo-dentaire et celle du système neuro-musculaire de l’appareil manducateur. Les élastiques de gui-dage aident le patient à trouver sa nouvelle position d’occlu-sion et lui permettent d’adapter son système neuro-musculaire à la nouvelle situation anatomique [12]. Les élasti-ques ne devraient en tout cas pas être utilisés pour exercer desforces orthopédiques puisque les ostéosynthèses sont stables.

Reprise de l’alimentationPour B. Zagala l’alimentation liquide, à la paille, est suivied’une alimentation molle à partir de la levée du BMM auonzième jour jusqu’à la sixième semaine. M. Freidel prescritune alimentation liquide dès le soir de l’opération puis mollelors de la levée du BMM au quatrième jour. Par la suite, il laisseprogressivement la patiente ajuster elle-même son régime.Pour F. Laurent, la patiente bénéficie d’emblée d’un régimehaché pendant 3 ou 4 jours. Il la laisse ensuite libre de choisirson alimentation. Il lui déconseille l’utilisation d’une paille oud’un « canard » pour éviter qu’elle ne limite les mouvementsde ses lèvres et de son ouverture de bouche. Il estime qu’unereprise rapide de la fonction musculaire y compris des musclespeauciers est essentielle pour diminuer au maximum le tempsde récupération. On constate que la reprise de l’alimentationest, logiquement, dictée par la présence ou l’absence de BMMainsi que par les élastiques de guidage. Pour les trois chirur-giens, la patiente est libre de choisir son alimentation, quel quesoit le moment où le BMM est levé, et indépendamment de laprésence ou de l’absence d’élastiques de guidage.

Durée de l’hospitalisationB. Zagala et F. Laurent autorisent l’opérée à quitter la cliniquele troisième ou le quatrième jour après l’intervention etM. Freidel après une semaine. Ces durées d’hospitalisationsont, à 1 ou 2 jours près, assez semblables. En dehors des soinspostopératoires immédiats, il est évident qu’il n’existe pasd’obligation de prolonger la durée du séjour hospitalier d’uneconvalescente jeune et en bon état général. Le contexte fami-lial et le contact que le chirurgien entretient avec sa patientesont certainement les facteurs qui favorisent une hospitalisa-tion brève et un meilleur contrôle des frais médicaux.

Reprise du traitement orthodontiquePour B. Zagala, l’orthodontiste doit attendre 2 à 4 semainesaprès la levée du BMM pour reprendre son traitement, au plustôt 4 ou 6 semaines après l’opération. M. Freidel donne son

« feu vert » après 3 à 4 semaines et F. Laurent après 2 ou3 semaines. La reprise du traitement orthodontique sembledépendre surtout de l’aptitude de la patiente à ouvrir la bou-che et non de la stabilité du montage chirurgical. Dans un pre-mier temps, l’ouverture buccale est limitée par l’œdème etl’inflammation des tissus mous. Par la suite, c’est la congestiondes articulations temporo-mandibulaires elles-mêmes dépen-dantes de la durée du BMM qui restreint l’ouverture de la bou-che. Plus le BMM est long, plus longue sera la récupération dela fonction articulaire et de l’amplitude de l’ouverture de labouche. Par conséquent, l’absence de BMM favorise aussi lareprise précoce du traitement orthodontique.

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