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SUR LA NOTION DE PERSPECTIVE HISTORIQUE DANS L’ENSEIGNEMENT D’UNE SCIENCE Rudolf BKOUCHE Irem de Lille REPERES - IREM . N° 39 - avril 2000 35 Introduction La notion de perspective historique 1 (*) n’est pas facile à cerner. Elle est marquée par une double ambiguïté, d’une part la trop fréquente confusion entre l’enseignement et la classe, d’autre part une interprétation trop réductrice de l’apport de l’histoire d’une science dans l’enseignement, l’histoire présentée comme une motivation, une façon différente d’ensei- gner ou une entrée en matière, toutes formes d’interventions qui relèvent plus souvent de la pensée magique que d’une réelle mise en perspective historique. C’est donc sur ces deux points que nous nous proposons d’intervenir, deux points que nous considérons comme liés dans la mesu- re où ils mettent tous deux l’accent sur le rôle du professeur. Un certain angélisme 2 met l’accent sur l’élève au dépens de ce qui reste la raison d’être de la classe : transmettre un savoir, c’est- à-dire amener l’élève à posséder la maîtrise de ce savoir. Si, comme le dit Sanchez, « ce qui est objet d’enseignement n’a que la force que lui prêtent ceux qui sont enseignés » 3 , l’une des tâches de celui qui enseigne est d’amener ceux qui sont enseignés à prendre conscience de cette force. C’est en ce sens que la perspective historique peut s’inscrire, moins comme motivation (la perspective historique oscillerait alors entre l’ agit-prop et la promotion, au sens publicitaire du terme) que comme mise en place d’une problématisation, point que nous dévelop- pons ci-dessous. En ce sens, l’intervention d’une perspec- tive historique ne saurait être un simple ajout à l’enseignement ; elle doit s’intégrer à l’ensei- gnement, qu’elle apparaisse explicitement (*) On trouvera les notes en fin d’article.

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SUR LA NOTION DEPERSPECTIVE HISTORIQUEDANS L’ENSEIGNEMENTD’UNE SCIENCE

Rudolf BKOUCHEIrem de Lille

REPERES - IREM . N° 39 - avril 2000

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Introduction

La notion de perspective historique1 (*) n’estpas facile à cerner. Elle est marquée par unedouble ambiguïté, d’une part la trop fréquenteconfusion entre l’enseignement et la classe,d’autre part une interprétation trop réductricede l’apport de l’histoire d’une science dansl’enseignement, l’histoire présentée commeune motivation, une façon différente d’ensei-gner ou une entrée en matière, toutes formesd’interventions qui relèvent plus souvent dela pensée magique que d’une réelle mise enperspective historique.

C’est donc sur ces deux points que nousnous proposons d’intervenir, deux points quenous considérons comme liés dans la mesu-re où ils mettent tous deux l’accent sur lerôle du professeur.

Un certain angélisme 2 met l’accent surl’élève au dépens de ce qui reste la raison

d’être de la classe : transmettre un savoir, c’est-à-dire amener l’élève à posséder la maîtrisede ce savoir.

Si, comme le dit Sanchez, « ce qui estobjet d’enseignement n’a que la force que luiprêtent ceux qui sont enseignés »3, l’une des tâchesde celui qui enseigne est d’amener ceux qui sontenseignés à prendre conscience de cette force.C’est en ce sens que la perspective historiquepeut s’inscrire, moins comme motivation (laperspective historique oscillerait alors entrel’agit-prop et la promotion, au sens publicitairedu terme) que comme mise en place d’uneproblématisation, point que nous dévelop-pons ci-dessous.

En ce sens, l’intervention d’une perspec-tive historique ne saurait être un simple ajoutà l’enseignement ; elle doit s’intégrer à l’ensei-gnement, qu’elle apparaisse explicitement

(*) On trouvera les notes en fin d’article.

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dans la classe ou non ; en cela elle est d’abordl’affaire des professeurs.

1- et si on parlait des professeurs

Nous avons dit ci-dessus qu’il fallait dis-tinguer l’enseignement d’une discipline et laclasse ; pour préciser cette distinction, nousla replacerons dans le cadre du triptyque quirégit l’acte d’enseignement, triptyque consti-tué par ce que l’on peut appeler les trois mo-ments de l’activité d’enseignement, celui dela discipline, celui de l’enseignement de ladiscipline et celui de la classe 4. Ce triptyqueconcerne essentiellement l’activité du maître,mais c’est la prise en compte de ces troismoments et la réflexion sur l’articulationentre iceux qui permet d’avoir prise sur l’ensei-gnement. Cela met au second plan les théo-ries de l’apprentissage, la question du «com-ment l’élève apprend», pour mettre en avantla problématisation du savoir que l’on en-seigne, problématisation sur laquelle nousreviendrons dans la suite.

On a beaucoup parlé du rapport au savoir,ce rapport intime qu’entretient avec un domai-ne de la connaissance celui qui s’intéresse àce domaine, sa façon de le penser qui n’appar-tient qu’à lui et qui lui permet de se retrou-ver dans les arcanes de ce domaine 5. On peutalors considérer que le rôle du maître estd’amener l’élève à construire son propre rap-port au savoir qu’on lui enseigne, et nonconstruire son propre savoir comme le clamela vulgate constructiviste, mais cela supposeque le maître soit conscient de son proprerapport au savoir ; si la construction du rap-port au savoir de l’élève est fonction du rap-port au savoir du maître (que l’élève le repren-ne à son compte ou s’en écarte, voire enconteste la forme), ce dernier joue un rôle

essentiel dans l’acte d’enseignement. C’estdonc essentiellement du rapport au savoirdu maître que nous parlerons, si l’on considèreque la maîtrise de la discipline qu’il enseigneest une condition nécessaire (jamais suffi-sante il est vrai, mais quelles sont les condi-tions suffisantes en la matière ?) de l’acted’enseignement. C’est la pleine conscience dece rapport au savoir qui peut permettre aumaître de pointer les difficultés de la disciplineet de penser les difficultés rencontrées par lesélèves, la pratique de la classe lui permettant,en fonction de ses propres conceptions sur ladiscipline, de reprendre constamment uneréflexion qui n’est jamais terminée.

C’est donc le rapport au savoir du maîtrequi peut lui permettre de penser cette ar-ticulation entre les enjeux du savoir qu’ilenseigne, les enjeux propres à l’enseignementde ce savoir (enjeux épistémologiques, ceuxqui sont proprement liés à la connaissan-ce de ce domaine, mais aussi enjeux insti-tutionnels) et les difficultés rencontréesdans la classe (difficulté des élèves confron-tés à un domaine de la connaissance, maisaussi difficulté du maître devant les diffi-cultés des élèves).

2- la question de la problématisation

Nous reviendrons d’abord sur les troismoments de l’épistémologie 6.

Prolongeant l’analyse de Gonseth qui dis-tingue entre une stratégie de fondement et unestratégie d’engagement dans la constructionde la connaissance 7, nous distinguerons troismoments de l’épistémologie, une épistémolo-gie des fondements, une épistémologie du fonc-tionnement et une épistémologie des problé-matiques 8.

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L’épistémologie des fondements se proposel’étude des conditions de légitimation de l’acti-vité scientifique sous ses deux formes aujourd’huicanoniques, la forme mathématico-logique etla forme expérimentale (encore faut-il préci-ser ce que chacune de ces deux formes signi-fie dans le cadre d’un domaine donné de laconnaissance). Nous pouvons distinguer deuxgrandes formes de cette épistémologie desfondements, une forme métaphysique, la-quelle s’appuie sur une ontologie des objets (quel’on se situe dans une philosophie empiristeoù les objets mathématiques sont des abs-tractions issues de la connaissance sensible,ou que l’on adopte un point de vue platonicien),et une forme analytique, laquelle s’appuieessentiellement sur une analyse du langageconduisant à expliciter ce que l’on pourrait appe-ler la grammaire du raisonnement, les objetsétant définis (ou redéfinis) par un système derelations donné a priori. En ce qui concerneles mathématiques, on peut ainsi distinguerentre une mathématique des objets fondéesur les vérités premières que sont les axiomes,considérés comme propositions portant sur desobjets existants, propositions évidentes par elles-mêmes comme on peut le lire dans les traitésclassiques de géométrie élémentaire, et unemathématique des relations comme se présentela construction hilbertienne. La diversité desmodes de raisonnement qui ont constituédans l’histoire ce que l’on appelle la démons-tration et la diversité des conditions de légi-timation de ces raisonnements nous amènentà prendre en compte la diversité des ap-proches du problème des fondements et en par-ticulier son historicité. L’étude de l’épisté-mologie des fondements se pose ainsidoublement ; d’une part une étude synchro-nique s’intéressant aux principes qui régissentles règles de raisonnement à une époque don-née, d’autre part une étude diachronique dontl’objet est l’étude des transformations des

conditions de légitimation du raisonnementdans l’histoire, ce qui pose le double problèmedes raisons de ces transformations d’une partet d’autre part des invariants historiques 9

qui font que l’on reconnaît une unité dansles diverses formes du raisonnement ma-thématique à travers les âges.

L’épistémologie du fonctionnement peutêtre considérée comme l’analyse des pro-cédures, moins dans leurs fondements quedans leurs significations, autant sur le planproprement technique que sur le plan concep-tuel. Il s’agit ici moins de rechercher un dis-cours fondateur que d’expliciter comment desprocédures, des modes de raisonnement ou desmodes de recherche se sont constitués et com-ment ils ont été et sont utilisés 10. Ceci nousrenvoie encore une fois aux raisons qui condui-sent à fabriquer de telles procédures, c’est-à-dire aux problèmes qui en sont à l’origine.

L’épistémologie des problématiques sepropose d’analyser comment les problèmesqui ont conduit l’homme à fabriquer ce modede connaissance que nous appelons la connais-sance scientifique ont modelé les théoriesinventées pour résoudre ces problèmes. Si,comme le dit Max Weber, « la construction desconcepts dépend de la façon de poser les pro-blèmes, laquelle varie à son tour avec le conte-nu même de la civilisation » 11, c’est à traversles problèmes que la méthode scientifiques’est construite et c’est dans le caractère mêmede ces problèmes et leur formulation que l’onpeut essayer de comprendre comment se sontmises en place les théories plus ou moinssophistiquées qui constituent la science. Celanous conduit à privilégier la notion de probléma-tique (ou de champs de problèmes 12) dansl’étude des conditions de la construction de lascience, problèmes de fondements et règles defonctionnement s’articulant autour des

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problématiques dans lesquelles ils se situent.Précisons ici que l’épistémologie des problé-matiques ne se situe pas seulement dans lecadre d’une genèse (que ce soit celle de l’his-toire collective ou celle de l’histoire indivi-duelle) et en ce sens, si le recours aux pro-blématiques fait largement appel à l’histoiredes sciences, il ne se réduit pas à celle-ci. Laproblématisation participe ainsi de la construc-tion de la science en tant qu’elle est une scien-ce, c’est-à-dire une systématisation et uneorganisation de connaissances.

C’est ce point de vue de l’épistémologiedes problématiques que nous proposons dedévelopper dans la suite à partir de trois ques-tions, la notion de limite, le rôle de la perspectivedans l’étude de la géométrie dans l’espace etenfin la relation entre la géométrie élémentaireet l’algèbre linéaire. Nous verrons, en cours deroute, comment une mise en perspective his-torique peut contribuer à éclairer ces ques-tions, même si nous considérons qu’il y ad’autres façons de faire dans l’enseignementque la mise en perspective historique.

la notion de limite

La notion de limite relève de deux problé-matiques qui, si elles sont liées, présentent desaspects contradictoires. La première problé-matique est d’ordre cinématique au sens oùelle s’appuie sur la notion de mouvement ; laformulation canonique (en terme de fonctionpar exemple) :

« f(x) tend vers b lorsque x tend vers a »

doit alors être entendue de la façon suivan-te : Lorsque la variable indépendante xs’approche indéfiniment de la valeur a, alorsla fonction (la variable dépendante) f(x)s’approche indéfiniment de la valeur b. 13

L’assertion citée : « f(x) tend vers b lorsquex tend vers a » est ici constituée de deux pro-positions, une proposition principale « f(x)tend vers b » et une proposition subordonnée« lorsque x tend vers a », indiquant ainsi quela variable x entraîne, dans son mouvementvers a, la variable f(x) vers la valeur b ; autre-ment dit c’est la variable qui commande la fonc-tion.

La seconde problématique est celle del’approximation, elle peut être formulée de lafaçon suivante : soit une suite numérique xn ,dire que la suite xn tend vers une limite lc’est dire que « plus n est grand, plus lenombre xn s’approche de l », ce qui participeencore du mouvement, mais s’y ajoute le pro-blème suivant : jusqu’où faut-il aller dans lasuite pour que la différence entre xn et l soitplus petite qu’un nombre donné à l’avance, ou,si l’on préfère, pour que l’erreur que l’on faiten remplaçant l par xn soit plus petite qu’unevaleur donnée à l’avance.

Un exemple élémentaire d’approxima-tion est le calcul décimal approché d’unnombre : combien de chiffre après la virgulepour que le nombre calculé diffère du nombrecherché de moins d’une valeur donnée à l’avan-ce ? exemple qui a l’avantage de mettre en valeurle lien entre la notion d’approximation et lecalcul lui-même. On peut citer ici la pratiquede la division euclidienne lorsque « ça netombe pas juste ».

Ici l’aspect cinématique devient second,ce qui importe n’est plus le mouvement de lavariable indépendante, mouvement définipar la succession des numéros d’ordre14, ce quel’on cherche est le numéro d’ordre permettantl’approximation voulue. Autrement dit, c’estla variable dépendante qui s’impose et lastructure grammaticale de l’assertion rituelle

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« f(x) tend vers b lorsque x tend vers a » estdifférente ; il n’y a plus qu’une seule propo-sition qui indique à la fois ce qu’est la limiteet le principe d’un calcul approché. On recon-naît dans cette seconde formulation la défi-nition weïerstrassienne de la limite 15.

On voit ainsi apparaître une contradictionentre les deux problématiques ; la premièremet l’accent sur le mouvement de la variableindépendante et l’effet d’entraînement sur lavariable dépendante, la seconde met l’accentsur la variable dépendante et la façon dont elleforce les valeurs de la première variable,contradiction qui constitue l’une des difficul-tés de la notion de limite, difficulté qui relè-ve de l’ordre mathématique et c’est en cela qu’elleest une difficulté pédagogique.

Une conception utilitariste de l’ensei-gnement (assurer la réussite, ce qui impliqued’éviter ce type de difficulté aux élèves)conduirait à choisir une seule problématiqueet à choisir les exercices en fonction de cetteproblématique, ou bien à inventer l’artefactpédagogique convenable qui permettra auxélèves de réussir les exercices ad hoc qu’on leurproposera. Mais qu’auront-ils compris etqu’auront-ils appris?

Si l’on revient sur la notion de limite etles deux problématiques dites ci-dessus, onremarque que plusieurs éléments entrent enjeu parmi lesquels nous citerons l’aspect intui-tif et l’aspect opératoire. Il faut alors préciserque l’aspect intuitif participe de chacune desdeux problématiques définies ci-dessus, celledu mouvement et celle de l’approximationdans la mesure où c’est autour de cet aspectintuitif que se sont définies les deux problé-matiques considérées. Par contre l’aspect opé-ratoire a conduit à mettre en avant la pro-blématique de l’approximation dans la mesure

où c’est la formulation weïerstrassienne qui,pour des raisons que nous n’aborderons pasici, s’est imposée pour donner une définitionrigoureuse de la notion de limite et en dédui-re les conditions de calcul des limites 16.

Ignorer, dans l’enseignement, les deuxproblématiques constitutives de la notion delimite et les deux aspects, l’intuitif et l’opératoire,qui permettent d’appréhender cette notion, nepeut que contribuer à mutiler la notion, et parcela même à mutiler la pensée mathéma-tique des élèves.

Exemple de cette mutilation, un articlerécent publié dans le Bulletin de l’APMEP 17 :les auteurs y déclarent que l’on ne peut expli-quer à un élève de lycée que la fonction sinxn’a pas de limite lorsque x tend vers l’infini.Que signifie une telle déclaration si ce n’estla disparition du concept de limite de l’en-seignement du lycée ? la limite se réduit à uncertain mode de calcul dans des cas très par-ticuliers sans que l’élève soit conscient de lasignification du calcul qu’il fait. Comme s’il fal-lait éviter à tout prix que l’élève fasse appelà son intuition (il pourrait se tromper!), commes’il ne pouvait à ce stade (le formalisme des(ε,η) n’est pas encore introduit) que suivre aveu-glément les procédures qu’on lui impose ;serait-il inconvenant qu’un élève fasse ce quetout mathématicien pratiquant fait, à savoir,s’appuyer sur son intuition et remarquerqu’une fonction périodique, oscillant constam-ment lorsque les valeurs de la variable aug-mentent, ne peut avoir de limite. Par contre,marque de conscience professionnelle de la partdes auteurs de l’article, ils tiennent à montrerà leurs élèves ce qu’est une démonstration etutilisent les intervalles emboîtés pour mon-trer, rigoureusement, que la fonction x 2 tendvers 1 lorsque x tend vers 1. Que voilà de labelle mathématique ! Il est difficile d’expliquer

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une propriété évidente mais on sait démon-trer d’une façon sophistiquée une autre pro-priété évidente en utilisant une méthode dontles élèves ne peuvent comprendre, à ce stade,la véritable signification.

On peut alors poser la question de la partde l’intuition et de la rigueur dans l’en-seignement ; faut-il laisser une grande partà l’intuition, quitte à faire peu de démonstra-tions, ou faut-il exiger des démonstrationsen forme, quitte à laisser de côté la compré-hension par les élèves des mathématiquesauxquelles ils sont confrontés ? Disons quelorsque la question est posée de cette façon,tout est déjà biaisé et les mathématiques dis-paraissent derrière une pédagogie vide. C’estque, sous cette forme, la question des limitesa été déproblématisée. On ne sait plus dequoi il s’agit, on sait seulement qu’il y a uncertain règlement à appliquer et que ce quel’on cherche n’a d’autre définition que l’appli-cation correcte du règlement, d’où la recherched’un règlement facile à appliquer.

On voit ainsi la fonction de la probléma-tisation, d’une part expliciter, autant quefaire se peut, les raisons qui conduisent àétudier une notion et d’autre part mettre envaleur les aspects opératoires qui permet-tront de résoudre les problèmes relevant decette notion. Notons que cette explicitation desraisons ne se réduit pas à la recherche d’unegenèse de la notion (que ce soit celle de l’his-toire ou celle de l’apprentissage), c’est l’activitémathématique elle-même qui est en ques-tion, la façon de penser la limite, de la calculerquand cela est possible ou d’inventer de nou-velles méthodes de détermination quand celaest nécessaire. On pourrait parler par exemplede l’un des premiers problèmes où l’on rencontrela notion de limite, la division qui ne tombepas juste, et l’on pourrait citer de nombreux

exemples où la notion de limite intervient, quece soit pour comprendre un phénomène ou quece soit pour calculer la valeur d’une quanti-té (nombre ou grandeur), usant de l’une ou del’autre problématique explicitée ci-dessus oumême des deux ensemble.

Se pose alors la question de la mise enperspective historique. En fait ici elle se ré-duit à peu ; point n’est besoin de faire appelà l’histoire pour exposer les deux probléma-tiques constitutives de la notion de limite etpour en distinguer les aspects intuitifs et lesaspects opératoires. Il reste qu’un regardhistorique permet de comprendre commentchacune des problématiques conduit à lanotion de limite et comment s’est joué, dansle développement de l’analyse mathéma-tique, le lien entre les deux problématiquesconduisant à mettre en avant la probléma-tique de l’approximation ; on peut par exemplecomparer les diverses définitions de la notionde limite au cours des âges 18.

la géométrie dans l’espaceet la question de la représentation

Lorsque nous parlons du rôle que joue lareprésentation perspectiviste dans l’ensei-gnement de la géométrie dans l’espace, nousfaisons moins référence à l’aspect historiquequ’aux problèmes que pose un tel mode de repré-sentation, problèmes essentiellement géo-métriques qui conduisent à mettre en placeà la fois certaines constructions géométriqueset les raisonnements légitimant ces construc-tions.

Le problème de la représentation estexemplaire en ce sens que la théorisation, icila géométrisation, se construit aux limitesd’une pratique, pratique du peintre ou pratique

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architecturale si l’on se place du point de vuede l’histoire, mais simplement pratique du des-sin si l’on se place du point de vue de la clas-se19. La théorisation se situe ici à deux niveaux,le premier répond à la question du « com-ment faire » lorsque l’on ne sait pas ou ne saitplus faire, le second répond à la question dela légitimation des réponses à la premièrequestion.

On peut alors considérer cet usage de lareprésentation perspectiviste dans l’ensei-gnement de la géométrie dans l’espace dedeux façons. Ou bien l’on considère que laquestion de la représentation est une simplemotivation pour «vendre» la géométrie dansl’espace et dans ce cas la problématisation estune donnée extérieure, une belle histoire quipeut convaincre quelques élèves et laisser lesautres sceptiques20 ; ou bien l’on considère quela problématique de la représentation parti-cipe de la géométrie elle-même et dans ce casla pratique perspectiviste participe pleine-ment de l’enseignement de la géométrie.

Il faut rappeler ici l’une des difficultésde l’enseignement de la géométrie dansl’espace ; d’une part la nécessité d’user de repré-sentations planes pour étudier les situa-tions spatiales, d’autre part la nécessité derègles de représentation s’appuyant sur lagéométrie dans l’espace. Le recours à l’his-toire et en particulier à celle du développe-ment de la représentation perspectivistepermet d’aborder la difficulté en montrantcomment une pratique de dessin a conduitd’une part à construire les concepts théoriquesqui la légitiment et d’autre part comment laconstruction de tels concepts a conduit la théo-rie à s’émanciper de ses origines avec ledéveloppement de la géométrie projective21. En ce sens, on peut concevoir que l’ensei-gnement de la géométrie dans l’espace pren-

ne en compte assez tôt le point de vue pro-jectif 22.

On voit ainsi l’apport d’une mise en pers-pective historique, d’abord la mise en évi-dence du rôle joué par une pratique (ici le des-sin) dans le développement d’une théoriemathématique, ensuite la façon dont cettethéorie d’une part légitime des règles pra-tiques et d’autre part s’émancipe de cettepratique pour constituer un nouveau domai-ne de la science. C’est alors une façon derompre avec la dichotomie « mathématiquespures/mathématiques appliquées » et de mieuxcomprendre comment les mathématiquesdites pures interviennent dans la connais-sance du monde.

la linéarisation de la géométrie élémentaire

La question des rapports entre algèbrelinéaire et géométrie élémentaire est diffici-le et si l’on sait aujourd’hui que l’exposé de lagéométrie élémentaire peut se réduire à unchapitre de l’algèbre linéaire 23, il ne semblepas facile d’accéder à ce « on ». Nous donne-rons comme exemple certaines réactions de refusdes étudiants qui préparent les concoursd’enseignement lorsqu’on leur demande decomparer ces deux sommes de la géométrie denotre siècle que sont les Leçons de GéométrieElémentaire de Hadamard 24 et la Géométriede Berger 25 ; en quoi sont-ils différents et enquoi sont-ils semblables?

La linéarisation de la géométrie élémen-taire s’est construite à partir de deux typesde problèmes, le premier est lié au rôle jouépar les équations linéaires dans le dévelop-pement des méthodes analytiques mettanten valeur le rôle du calcul linéaire 26 en géo-métrie, le second est lié au calcul vectoriel, deux

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types de problèmes qui se sont développésde façon indépendante. Il faudrait aussi noterle rôle joué par la géométrie projective dansle développement du calcul linéaire, avec ladéfinition « numérique » des espaces projec-tifs et la représentation analytique des trans-formations projectives comme transforma-tions linéaires sur les coordonnées homogènes27 ;nous pouvons citer par exemple l’article de Fano-Cartan dans l’Encyclopédie des Sciences Mathé-matiques 28 où le calcul linéaire est présent toutau long de l’article alors que la notion de vec-teur en est absente 29. Quant au calcul vecto-riel, il se situe dans une autre problématiquedans la mesure où il se propose comme un cal-cul libre de coordonnées même si certainsouvrages, pour le justifier, le présententcomme une écriture condensée des calculsportant sur les coordonnées 30.

Cet indépendance des deux formes d’inter-vention du linéaire en géométrie peut paraîtresurprenante pour qui connaît le lien entrel’algèbre linéaire et la géométrie élémentaire.Il est clair que l’on ne peut reconstituer l’his-toire et il faut considérer cette indépendancecomme un fait historique. Mais qu’en est-il dansl’enseignement ? on peut penser que la linéa-risation de la géométrie faisant aujourd’huipartie de la vulgate mathématique, il sembleinutile de revenir à des distinctions ancienneset l’on peut se borner à la présentation «algèbrelinéaire» de la géométrie telle qu’elle est expo-sée par exemple dans l’ouvrage de Dieudon-né Algèbre linéaire et géométrie élémentaire 31.Ce fut le point de vue de la réforme des mathé-matiques modernes et ce point de vue avait sacohérence sur laquelle nous ne reviendrons pas32.Mais si, du point de vue structural la géométrieélémentaire peut être considérée comme unchapitre de l’algèbre linéaire, elle ne peut s’yréduire dans la mesure où elle participed’autres enjeux de connaissance. La définition

de Legendre, « La géométrie est une science quia pour objet la mesure de l’étendue » 33 restetoujours vraie et cette conception de la géo-métrie reste l’une des voies d’accès à la connais-sance géométrique d’aujourd’hui.

La question se pose alors, en ce qui concer-ne l’enseignement de la géométrie, d’une partde prendre en compte la géométrie élémentaireen tant que telle, et jusqu’à maintenant, àquelques changements de point de vue près(ainsi l’introduction explicite du mouvementdans la réforme de 1902 34), la géométrie élé-mentaire reste celle tracée par le cadre eucli-dien, c’est-à-dire celle de l’étude des situationsspatiales, d’autre part d’amener ceux qui sontenseignés à prendre en compte les méthodescontemporaines fondées sur la linéarisationnon seulement parce qu’elles sont modernesmais parce qu’elles ouvrent d’autres hori-zons, dont celui de la géométrisation des diversdomaines de la connaissance (mathématiques,sciences physiques, …) où intervient le linéai-re n’est pas le moins important.

C’est encore une fois vers l’aspect pro-blématique que nous nous retournerons.

Nous avons vu que le linéaire intervienten géométrie sous les deux formes du calcullinéaire et du calcul vectoriel, la question sepose alors d’expliciter les conditions de leurintervention et c’est cette explicitation quipermet d’en décider la place effective dans l’ensei-gnement. Cette question est essentiellementd’ordre mathématique ; si l’histoire des mathé-matiques peut apporter des éléments de répon-se en renvoyant aux problématiques origi-nelles, il faut alors prendre en compte leschangements de perspective qui ont pu trans-former ces problématiques et les confronteraux problématiques telles qu’elles se posentaujourd’hui.

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La question de l’enseignement est alorscelle de la définition de problématiques signi-fiantes, signifiantes par rapport à ce que l’onveut enseigner, signifiantes aussi pour lesélèves si l’on veut que ces derniers y trouvela force dont parlait Sanchez dans l’asser-tion citée au début de cet article. Ainsi lanotion de problématique, parce qu’elle sesitue au cœur de l’activité scientifique, sesitue au cœur du triptyque défini ci-dessus:la discipline, l’enseignement, la classe.

En ce qui concerne la question ici poséedes relations entre géométrie élémentaireet algèbre linéaire, l’aspect problématique doitpermettre non seulement de penser la li-néarisation de la géométrie élémentaire maisplus encore, car c’est l’un des apports lesplus intéressants des mathématiques contempo-raines, la géométrisation de tous les lieux oùintervient le linéaire. On oublie trop dansl’enseignement que l’algébrisation de la géo-métrie a conduit à la géométrisation del’algèbre et que cette double liaison entregéométrie et algèbre s’est développée dès lamise en place de la méthode des coordonnéescomme le montrent les textes de Descarteset de Fermat.

Dans la mesure où le calcul linéaire par-ticipe des méthodes analytiques on peut consi-dérer que son enseignement s’insère danscelui de la géométrie analytique encore qu’ilnous semble nécessaire que l’accent soit mis,chaque fois que cela est possible, sur les inva-riants mis en évidence par ce calcul 35.

Par contre le calcul vectoriel apparaît,dès le commencement de son enseignement,comme une méthode nouvelle et par conséquentexige une intervention spécifique. Cette spé-cificité est d’autant plus importante que le cal-cul vectoriel ne participe pas de la seule géo-

métrie ; en ce sens la première rencontre avecle calcul vectoriel ne peut se réduire, pour êtresignifiante, au seul domaine géométrique sil’on veut éviter que le calcul vectoriel n’appa-raisse que comme une reformulation plusou moins compliqué de situations connues 36.Si les reformulations de situations connues etde problèmes déjà résolus jouent un rôleimportant dans le développement de l’activi-té scientifique, ces reformulations doiventêtre signifiantes sans quoi elles n’apparais-sent que comme un verbiage sans intérêtaucun.

Le recours à l’histoire peut alors nouspermettre de replacer l’enseignement du cal-cul vectoriel dans un cadre problématiqueprenant en compte ses divers aspects.

Dans son ouvrage sur l’histoire du calculvectoriel 37 Crowe énonce trois grandes idéesqui ont conduit au calcul vectoriel, le paral-lélogramme des forces, le calcul géométriquede Leibniz et la représentation géométriquedes nombres complexes.

Si les deux dernières idées participentde la mise en place d’un calcul portant direc-tement sur les objets géométriques (c’est ainsique l’on peut comprendre la représentation géo-métrique des nombres complexes moins commeune représentation géométrique d’objets numé-riques que comme un calcul portant sur lesobjets géométriques eux-mêmes 38), la pre-mière renvoie à la signification physique,plus précisément mécanique, du calcul vectoriel.Les vecteurs sont alors une façon de représenterdes concepts mécaniques (les forces et lesvitesses), un vecteur permettant de « mesu-rer » les grandeurs correspondantes de lamême façon que les nombres permettent demesurer les grandeurs scalaires (les lon-gueurs, les temps…).

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On distingue ainsi les grandeurs sca-laires, une telle grandeur étant déterminée,une fois choisie l’unité de mesure, par lenombre qui la mesure et les grandeurs orien-tées qui, pour être déterminées, exigent desinformations supplémentaires39. On voit ainsise dessiner une problématique des grandeursorientées qui s’inscrit autant dans la géomé-trie que dans la mécanique et qui se proposela mise en place d’un calcul sur ces gran-deurs, ce qui constitue le calcul vectoriel.

On voit ainsi la multiplicité des problé-matiques qui ont conduit non seulement à pen-ser le concept de vecteur, mais à en ordonnerle calcul ; la question se pose alors de la ren-contre de ces problématiques conduisant àla mise en place de ce chapitre spécifique queconstitue le calcul vectoriel. Ce n’est pas icile lieu d’une histoire de cette rencontre, nousnous contenterons de citer le Traité de MécaniqueRationnelle 40 d’Appell dans lequel l’auteurexplique comment les calculs sur les vitesseset les calculs sur les forces relèvent d’unmême calcul, ce qui à la fois justifie l’introductiond’un chapitre préliminaire de calcul vecto-riel et guide ce calcul puisque celui-ci seconstruit, indépendamment de sa genèsehistorique, via les questions de mécaniqueauxquelles il va répondre ; on pourrait demême citer les divers chapitres préliminairesde calcul vectoriel dans les traités de mé-canique et de physique (ainsi les volumes deMécanique et d’Electricité du Cours de Phy-sique Générale de Georges Bruhat 41). On ren-contre dans ces ouvrages moins l’usage d’uncalcul vectoriel que l’on appliquerait en mé-canique et en physique que la définition d’uncalcul sur les objets que l’on étudie en méca-nique ou en physique et l’explicitation d’ana-logies qui permettent d’unifier les diversmodes de calcul en un seul. L’activité ma-thématique (celle du mathématicien prati-

quant comme celle de l’apprenti) se construitainsi à l’intérieur de la problématique elle-mêmeet celle-ci ne saurait se réduire à la simple mo-tivation pour mettre en place une théorie ma-thématique.

On peut alors noter la différence entrele calcul vectoriel qui s’inscrit dans un cal-cul portant sur des objets géométriques oumécanique spécifiques42 et l’algèbre linéaire,laquelle participe d’un calcul sur les signes,indépendamment de toute signification de cessignes 43. En ce sens le calcul vectoriel ne seréduit pas à l’algèbre linéaire même si, surle plan formel, il peut n’apparaître que commeune partie d’icelle. On peut noter que leterme espace vectoriel né de la rencontre ducalcul vectoriel et du calcul linéaire est moinsla réduction du calcul vectoriel à l’algèbre li-néaire qu’une heureuse métaphore ouvrantvers de nouvelles manières de penser lessituations linéaires, d’autant plus heureusequ’elle a permis un regard géométrique surd’autres lieux tels par exemple l’analysemathématique 44.

Il nous reste à dire comment le calcullinéaire et le calcul vectoriel se sont rencon-trés ; nous nous contenterons, dans le cadrede cet article, de citer deux ouvrages, Cal-colo Geometrico de Giuseppe Peano 45 etSpace, Time, Matter de Hermann Weyl46, danslequel on peut lire d’une part une défini-tion générale des espaces vectoriels et d’autrepart comment la géométrie se construit dansce contexte.

Reste, pour terminer ce paragraphe surla problématisation, à revenir sur quelquespoints d’enseignement.

Si l’algèbre linéaire est le lieu d’une uni-fication des connaissances, et c’est cela qui lui

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donne sa valeur universelle et en fait un cha-pitre essentiel des mathématiques contem-poraines, on peut choisir de placer son ensei-gnement au commencement ; ce fut la conceptionde la réforme des mathématiques modernes quisupposait que, une fois les grandes struc-tures mathématiques connues par les élèves,le reste viendrait sans difficulté.

On peut considérer au contraire qu’unestructure unifiante ne peut être enseignéequ’à partir de ce qu’elle unifie. On peut alorsconsidérer deux points de vue.

Le premier point de vue met en avant lastructure unificatrice ; c’est elle qui consti-tue l’objectif de l’enseignement, les domainesqui participent de cette unification n’étantplus que les préliminaires à l’apprentissa-ge de l’algèbre linéaire. En particulier lagéométrie élémentaire n’est plus qu’un pas-sage obligé qui deviendra obsolète le jour oùl’élève aura enfin compris moins la refor-mulation linéaire de la géométrie que le faitque cette première géométrie n’était qu’uneétape.

C’est une telle conception qui conduit àécrire :

« Une difficulté rencontrée dans l’ensei-gnement de concepts unificateurs et généra-lisateurs est le rôle des connaissances et descompétences préliminaires moins formali-sées. En effet celles-ci doivent être réinté-grées dans un processus d’abstraction, cequi signifie qu’elles doivent être reconsidérées,pour mettre en évidence leurs caractéris-tiques communes, qui devraient être géné-ralisées et unifiées, mais aussi pour laissertomber des particularités intrinsèques quideviendront obsolètes ou inadéquates dansla nouvelle approche.» 47

Une telle conception nous semble dou-blement réductrice.

D’une part, elle oublie la significationscientifique de toute unification. L’algèbre li-néaire ne rend pas obsolètes les domainesqu’elle unifie48 en les replaçant dans un cadregénéral, bien au contraire. Non seulementelle approfondit la connaissance de ces domainesen en renouvellent les méthodes comme le mon-trent par exemple, en ce qui concerne la géo-métrie, l’article cité de Fano-Cartan ou plusrécemment l’ouvrage d’Emil Artin qu’il fautsavoir lire comme un prolongement de la géo-métrie élémentaire49, mais encore, en mettanten valeur les structures formelles communesentre les divers domaines qu’elle unifie, ellepermet ce que Dieudonné a appelé des trans-ferts d’intuition50, lesquels conduisent de la linéa-risation de la géométrie élémentaire à la géo-métrisation de tous les lieux où intervient lelinéaire (cf. ci-dessus).

D’autre part, et c’est là que se situe la dif-ficulté signalée par les auteurs du texte cité,l’abstraction, même si elle est présentéecomme un processus, est coupée de toutesignification et la décontextualisation chèreaux didacticiens n’est plus qu’une vaste dé-problématisation. Comme si la seule ques-tion de l’enseignement scientifique était d’en-seigner le dernier discours de la science sansse poser la question des raisons de ce dernierdiscours, sans se poser la question des cheminsqui permettent d’accéder à la compréhensionde ce dernier discours 51.

Le second point de vue se propose dereplacer l’algèbre linéaire dans sa perspectiveépistémologique (qu’il faut distinguer de la pers-pective historique) ; pourquoi l’algèbre linéai-re ? qu’apporte-t-elle à la géométrie élémen-taire, à la fois sur le plan des méthodes et sur

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le plan de la compréhension ? que signifiel’unification de plusieurs domaines de laconnaissance ? Si un point de vue historiquepermet d’aborder ces questions, il est clairqu’avant de ressortir d’un point de vue his-torique, elles participent de l’activité dumathématicien et c’est de ce point de vuequ’il faut l’aborder dans l’enseignement desmathématiques.

Dans ce cadre, la géométrie élémentairereste l’objectif prioritaire dans l’enseignementde la géométrie et c’est parce qu’elle est prio-ritaire que l’on peut aller plus loin, c’est-à-direaborder les trois aspects de la géométrie quesont la géométrie comme science autonome,autrement dit la science des situations spa-tiales, ensuite la géométrie dans ses rapportsavec les autres domaines de la connaissance,enfin la géométrie comme langage et commereprésentation, ce que l’on peut appeler l’aspectmétaphorique de la géométrie, lequel consti-tue le fondement de la géométrisation 52.

Dans ce cadre, c’est moins la relation for-melle entre géométrie élémentaire et algèbrelinéaire qui importe que la façon dont lelinéaire intervient dans la géométrie. Le linéaireapparaît, comme nous l’avons dit ci-dessus, viales méthodes analytiques et les méthodesvectorielles, méthodes qui, si elles sont étroi-tement liées, restent distinctes, non seule-ment par les conditions d’apparition dansl’histoire mais parce qu’elles mettent en jeudes modes d’appréhension différents de lagéométrie: une réduction au calcul numé-rique puis littéral d’une part, la mise en placed’un calcul géométrique portant directementsur certains objets géométriques d’autre part.La rencontre des divers ingrédients qui consti-tuent la géométrie doit ainsi apparaître, noncomme une simple répétition de l’histoire (cequi, comme le dit l’adage, ne serait qu’une farce),

mais comme une rencontre problématisée ; dansle cas contraire la multiplicité des méthodesrisque de n’apparaître que comme une com-plication de la réglementation.

On voit ainsi la nécessité de mettre envaleur l’usage de méthodes linéaires dansl’enseignement de la géométrie, que ce soit viala géométrie analytique des droites et desplans, en particulier les problèmes d’intersection,et la recherche de courbes algébriques satis-faisant des conditions linéaires ou que ce soitvia le calcul vectoriel, lequel permet de mettreen place, en dimension 2 et 3 et dans un cadregéométrique, divers concepts de l’algèbrelinéaire ; tout en sachant que cet usage du linéai-re n’implique en rien un enseignement préa-lable d’algèbre linéaire 53 ; bien au contraire,c’est cet usage du linéaire en géométrie,confronté avec d’autres usages du linéairedans d’autres domaines, qui permettra decomprendre la signification de l’unification pro-posée par l’algèbre linéaire, qui permettraaussi (et c’est, me semble-t-il, le point le plusimportant) les liens que l’on peut tisser entreles divers domaines où intervient le linéaire.Evidemment, la mise en place d’un tel ensei-gnement ne va pas de soi et elle exige une ré-flexion mathématique constante, autant, voirepeut-être plus, de la part de celui qui en-seigne que de ceux qui sont enseignés ; maisc’est que le rapport au savoir du maître (et ilest bon de rappeler que celui qui enseignedoit savoir être un maître54) reste essentiel dansl’acte d’enseignement.

de la problématisation à la hiérarchisationdes connaissances

La prise en compte de l’aspect problé-matique, tel que nous l’avons rencontré ci-des-sus, conduit à construire une hiérarchie des

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connaissances, et par conséquent une hié-rarchie de ces connaissances dans l’ensei-gnement. La hiérarchisation des connais-sances n’est pas une construction intangible,elle dépend, comme tout mode de classifica-tion des connaissances, d’une part des condi-tions dans lesquelles s’élaborent celles-ci,d’autre part du niveau de connaissances de celuiqui use de cette hiérarchisation. Cette hiérarchi-sation est donc à la fois nécessaire et instableet l’un des rôles de l’enseignant (du maître fau-drait-il dire) est de définir les hiérarchisationsen fonction du niveau d’études. A défaut d’uneréflexion sur cette hiérarchisation, on peut êtretenté soit par l’illusion langagière de la réfor-me des mathématiques modernes 55, soit parune pédagogie formelle telle que celle propo-sée dans l’ouvrage cité sur l’enseignement del’algèbre linéaire.

Le rôle d’une perspective historique dansl’enseignement peut alors apporter des élé-ments de réflexion qui permettent d’établirune hiérarchisation des connaissances au sensque nous avons dit ci-dessus ; il ne s’agit pasde la seule hiérarchisation liée à l’ap-prentissage, il s’agit d’une hiérarchisation bienplus profonde qui se situe à l’intérieur du savoirlui-même, dans les liens entre les diversdomaines qui le constituent et dans le rap-port difficile entre les divers niveaux de hié-rarchisation.

Pour préciser cette notion de hiérarchie,nous reviendrons sur la double hiérarchisationdéfinie par la relation entre la géométrieélémentaire et l’algèbre linéaire. Dans un pre-mier temps, la géométrie élémentaire inter-vient comme connaissance première et c’esten s’appuyant sur elle que l’on peut montrercomment se construit une intervention du li-néaire ; dans un second temps, le linéaire ayantété mis en place sous la forme moderne de

l’algèbre linéaire, on reconstruit la géomé-trie élémentaire comme chapitre de l’algèbrelinéaire. Cette reconstruction n’est pas unesimple reformulation, ce qui serait de peu d’in-térêt, elle constitue à la fois un approfon-dissement et un élargissement de la géo-métrie et conduit à penser la géométrisationdont nous avons déjà parlé.

Notons que la double hiérarchisationdite ci-dessus ne relève pas seulement d’unordre historique (la géométrie élémentaireprécédant l’algèbre linéaire dans le temps jus-qu’à ce que cette dernière remette la premièreà sa «vraie» place) ou d’un ordre génétique(l’apprentissage de la géométrie élémentai-re considérée comme une étape vers laconnaissance de l’algèbre linéaire) ; ellemarque une prise en compte des enjeux dela connaissance, autant ceux de la géométrieélémentaire (l’étude des situations spatiales)que ceux de l’algèbre linéaire (la structura-tion d’un ensemble de connaissances), autantceux de la reformulation de la géométrie entermes d’algèbre linéaire que ceux de la géo-métrisation des domaines de la connais-sances où intervient le linéaire. En ce senssi une mise en perspective historique permetl’établissement de la double hiérarchisationdéfinie ci-dessus, cette mise en perspectivehistorique ne relève pas de la seule histoi-re ; elle est aussi un élément de compré-hension de l’état présent de la connaissan-ce et c’est à ce titre qu’elle participe del’enseignement.

On peut alors considérer que la prise encompte d’une perspective historique dansl’enseignement participe de l’hygiène scolai-re (nous parlons ici de l’enseignement, pas dela classe) en amenant ceux qui enseignent àune réflexion sur les enjeux et les significa-tions de leur enseignement ; le danger est

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alors que, de ce recours à la perspective histo-rique, on fabrique des « méthodes d’ensei-gnement » donnant l’illusion d’un prêt-à-enseigner qui ne peut être que néfaste, autantpour ceux qui sont enseignés que pour ceux quienseignent.

une conception réductricede la problématisation

Notons que la notion de problématiquepeut être comprise dans un sens plus étroit, celuid’une simple motivation ; son rôle est alors, pourreprendre une expression aujourd’hui à lamode dans l’enseignement français, de donnerdu sens à ce que l’on enseigne. A défaut d’expli-citer le sens de ce que l’on enseigne, on secontente de donner du sens, la problématisa-tion devient un artefact didactique destiné àconvaincre l’élève de l’intérêt de ce qu’on lui en-seigne, une forme d’agit-prop si l’on veut,autrement dit une forme de propagande. Ilest vrai qu’une conception didacticienne isolantl’acte de l’élève, ou plutôt le réduisant au seulphénomène d’apprentissage, peut enlever touteépaisseur à la problématisation.

Le danger réside ainsi dans une vision pure-ment instrumentale de la problématisation :« la problématisation, ça sert à … », ce qui revientà dire qu’elle ne sert à rien d’autre qu’à ras-surer le professeur : « ai-je bien dit ce qu’il fal-lait dire ? », ce qui le met dans la même pos-ture que l’élève qui se pose la question « qu’est-ceque je dois dire ? ».

La connaissance disparaît derrière lasécurité. Notons que l’usage de l’histoire desmathématiques peut conforter cette pro-blématisation-alibi lorsque cette histoire estelle-même présentée sous la seule forme d’unedonation de sens.

3- lecture historique etlecture mathématique

Il y a plusieurs façons de lire un textemathématique ancien ; nous distinguerons icila lecture historique proprement dite et lalecture mathématique.

La lecture historique demande de repla-cer le texte à la fois dans son contexte scien-tifique et dans son contexte historique etd’expliciter, autant que faire se peut, le lienentre ces deux contextes, c’est-à-dire lafaçon dont le contexte scientifique se défi-nit dans l’histoire et la façon dont le contex-te scientifique modèle l’histoire. Cette lec-ture est essentiellement le travail de l’historiendes mathématiques. Nous verrons commentce travail d’historien intervient dans la miseen place d’une perspective historique, moinsen tant que travail d’historien que travailaccompagnant une réflexion mathématiquepropre.

La lecture mathématique ne met en jeuque le seul contexte mathématique ; elle en-gage le lecteur dans son activité mathématiquepropre indépendamment de tout recours auxconditions dans lesquelles le texte a été écrit.En ce sens elle peut être anachronique, sonobjet étant moins de comprendre la significationd’un texte dans son époque que de prendre encharge une question mathématique à l’auned’aujourd’hui.

Nous citerons l’étude des diverses démons-trations du théorème de Pythagore56 ; la ques-tion est alors moins celle d’une démonstrationoriginelle (que l’on ne connaît pas) que celledes divers formes de cette démonstration,étude qui conduit à distinguer les deux lecturespossibles de l’énoncé canonique :

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Le carré de l’hypoténuse est égal à lasomme des carrés des deux autres côtés.

la géométrique et la numérique, double lec-ture qui correspond à deux modes distincts dedémonstration, un mode géométrique et un modenumérique.

La lecture géométrique nous dit que l’airedu carré construit sur l’hypoténuse est égaleaux aires réunies des carrés construits sur lescôtés ; c’est une proposition qui porte sur desaires, c’est-à-dire des grandeurs géométriques,sans aucune intervention du numérique. C’estainsi par exemple que l’énonce et la démontreEuclide dans le livre I des Eléments (propo-sition 47) 57.

La lecture numérique suppose que lesgrandeurs, longueurs des côtés et aires des car-rés, ont été mesurées et la proposition portesur les mesures de ces grandeurs, c’est-à-diresur des nombres. C’est la démonstration clas-sique qui s’appuie sur la similitude et que l’ontrouve dans nombres d’ouvrages classiques tellesles Leçons de Géométrie Elémentaire de Hada-mard 58.

L’histoire n’intervient ici, si elle inter-vient, que par le matériau qu’elle nous apporteet l’on ne saurait parler de perspective historique,même si c’est la connaissance historique quipermet, comme le montre l’ouvrage cité de Four-rey, de réunir ces démonstrations. La dis-tinction proposée ici entre démonstrationsgéométriques et démonstrations numériquesest d’ordre purement mathématique et c’esten ce sens qu’elle peut prendre place dans l’ensei-gnement. Le regard historique a pour butd’expliciter les raisons qui font que, dans uncontexte historique donné, ce sera le point devue géométrique ou le point de vue numériquequi sera mis en avant. Nous renvoyons ici à

une lecture comparée des livres V et VI desEléments d’Euclide59 et du chapitre III des Elé-ments de Géométrie de Legendre 60 ; si Eucli-de, pour des raisons liées à ce que l’on a appe-lé la crise des irrationnelles se propose d’édifierune théorie des rapports de grandeurs librede toute notion numérique (les seuls nombresintervenant étant les entiers naturels, ceuxdu comptage), Legendre en appelle à unearithmétique préalable, le rapport de deux gran-deurs étant définis par le rapport des nombresqui les mesurent comme il l’explique au débutdu chapitre III de son ouvrage 61. Cette lectu-re comparée et les questions qu’elle pose,d’une part une théorie euclidienne des propor-tions indépendante de toute pratique de mesu-re, voire contradictoire à une telle pratique 62,et d’autre part un renvoi à une arithmétiquepréalable et à la mesure des grandeurs alorsque les nombres, autres que les rationnels, n’ontpas de statut théorique défini 63, nous conduità mettre en relief quelques unes des raisons(ici celles liées à la mesure des grandeurs) quiconduisent à penser et construire le conceptde nombre réel. La perspective historique aainsi pour but d’expliciter une probléma-tique ; que celle-ci soit la problématique ori-ginelle ou non importe peu, le rôle d’une pers-pective historique est moins de répéter l’histoireque de mettre en relief certains problèmes ens’appuyant sur la façon dont l’histoire les a ren-contrés.

Les Eléments d’Euclide nous offrent plu-sieurs exemples de cette double lecture (l’his-torique et la mathématique) dans la mesure oùils constituent un socle sur lequel s’appuientles constructions géométriques ultérieures,que les auteurs de ces dernières se réclamentexplicitement d’Euclide où que, au contraire,ils le contestent. C’est en cela que les Elé-ments gardent toute leur valeur pédagogiqueet que l’on peut y puiser du matériau pour

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l’enseignement d’aujourd’hui. La lecture mathé-matique que suppose un tel usage ne partici-pe pas d’une mise en perspective historique ;la place de cette dernière serait alors, à par-tir d’une lecture mathématique des Elémentset d’une étude critique de certaines démonstra-tions, d’expliciter les raisons qui ont conduità sortir du cadre euclidien et à inventer lesconstructions géométriques sophistiquéesd’aujourd’hui, éliminant ce que l’on appellequelque peu abusivement les lacunes d’Eucli-de, abusivement au sens que ces lacunes sontmoins dans la construction euclidienne quedans les limites d’icelle rencontrées par lesgéomètres ultérieurs confrontés à de nouveauxproblèmes.

Nous mettrons à part le postulat des pa-rallèles ; la place de cet énoncé parmi les pos-tulats apparaît comme une position provisoi-re pour un énoncé nécessairement vrai bien queindémontré (« le scandale de la géométrie »selon D’Alembert 64) et il faudra la découverte(l’invention !) des géométries non-euclidiennespour que l’on prenne conscience que cet indé-montré est un indémontrable. Un regard his-torique sur la question des parallèles peutalors être une façon de comprendre d’une partles raisons qui ont conduit les géomètres àrechercher une démonstration du « postulat »des parallèles, d’autre part les raisons qui ontconduit à penser le « non-euclidien ». Pourquoila démonstration euclidienne sur la sommedes angles d’une triangle n’est-elle pas suffi-sante pour assurer cette « vérité » ? demandaitune étudiante après la lecture d’un articled’Evelyne Barbin sur les démonstrations du théo-rème de la somme des angles d’un triangle 65.

On pourrait multiplier les exemples de cettedouble lecture, ce que nous ne ferons pas ici.Nous voulons seulement mettre l’accent surle fait que l’intervention de l’histoire ne relè-

ve pas seulement de la perspective histo-rique, qu’un texte ancien peut se prêter àplusieurs modes de lecture et que cette lecturedépend de l’objectif que l’on se propose.

En ce qui concerne l’enseignement, laquestion de la lecture des textes anciens se com-plique dans la mesure où il nous faut consi-dérer d’une part les textes que le maître vautiliser dans la construction de son ensei-gnement et qui n’impliquent pas directementles élèves et les textes que le maître proposeraà la lecture des élèves. Dans ce dernier cas sepose encore la question du mode de lecture,purement mathématique ou prenant en comp-te le contexte historique, comme nous l’avonsexpliqué à propos des démonstrations duthéorème de Pythagore citées ci-dessus.

On voit ici le double usage des textesanciens dans l’enseignement, matériau des-tiné au seul usage du maître dans la construc-tion de son enseignement ou matériau àl’usage des élèves. Dans chacun de ces cas sepose la question du mode de lecture, moins lesaspects historiques en tant que tels quel’apport de ces textes dans l’enseignement, le-quel apport peut se réduire au seul aspectmathématique ou peut au contraire s’appuyerexplicitement sur le contexte historique. C’estalors au maître de décider du mode d’emploide ces textes, ce qui implique que le maîtresoit capable de prendre en charge les diversaspects d’une intervention de l’histoire dansl’enseignement ; cela nous renvoie à la formationdes maîtres, question que nous ne pouvons abor-der dans le cadre de cet article.

4- les limites de la perspective historique

Les considérations précédentes nousconduisent à poser quelques questions sur

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l’usage de l’histoire des mathématiques dansl’enseignement. Nous avons vu que cet usagene se réduit pas à la seule perspective histo-rique, nous avons vu aussi la nécessité dedistinguer le travail du maître organisantson enseignement et le travail proposé enclasse.

Cette diversité des formes de l’interven-tion de l’histoire en montre aussi la difficulté,voire les effets pervers. C’est alors au maîtreà décider de cette forme, celle-ci n’étant pasdéterminée (déterminable !) a priori. C’estcela qui nous conduit à poser la question deslimites de l’usage d’une perspective histo-rique dans l’enseignement.

Une double question peut être posée quinous renvoie à la double lecture expliquéeci-dessus, non seulement la question de l’apportde l’histoire d’un domaine de mathématiquespour une meilleure appréhension de ce domai-ne, mais aussi la question des formes sous les-quelles s’effectue cet apport.

Nous avons déjà dit que la lecture de cer-tains textes anciens demandait une traductionpréalable en termes modernes. Si du point devue de l’histoire cette première lecture estinsuffisante, voire dangereuse par les risquesd’anachronisme auxquels elle peut conduire,elle permet cependant une première ap-préhension du texte et peut s’avérer suffisantedans le cadre d’un travail en classe. Dans cecadre, les considérations historiques sont se-condes et leur intervention a pour objectifmoins d’introduire une notion ou une théorieque d’en montrer les divers aspects lorsquenécessaire ou d’amener les élèves, mais peut-être d’abord les maîtres, à prendre conscien-ce des difficultés d’appréhension de la notionou de la théorie considérée. La question estmoins la mise en place d’une perspective his-

torique que l’approche d’une notion à traversdes textes anciens, moins pour leur caractè-re proprement historique que pour l’intérêtmathématique de tels textes. Nous pouvonsciter ici certains textes grecs, en particulierles Eléments d’Euclide dont nous avons ditailleurs la modernité 66, ainsi que certainstextes de Descartes et Fermat qui permettentde comprendre l’apport de la méthode descoordonnées dans la résolution des problèmesde géométrie.

On voit encore une fois apparaître lanécessaire distinction entre le travail dumaître, lequel exige une part importante deconnaissance historique, et l’usage par lesélèves pour lesquels l’histoire apparaît commeun éclairage particulier de ce qui est enseigné.Le travail du maître se situe alors dans l’orga-nisation de son enseignement, la connais-sance de l’histoire d’une notion ou d’une théo-rie, en particulier de sa genèse, et lorsquecela lui semble utile, le recours à des textesanciens, lui permettant de mieux penser sonenseignement et d’en prévoir les difficultésd’appréhension. Nous pouvons citer la ques-tion des rapports entre la géométrie élé-mentaire et le linéaire dont nous avons parléci-dessus ; la question est alors moins la lec-ture de textes historiques, que la constructiond’une problématique générale qui amène lesélèves à comprendre d’une part l’apport desconsidérations linéaires dans l’étude de lagéométrie élémentaire, que ce soit sous laforme du calcul linéaire ou sous la forme ducalcul vectoriel, et d’autre part l’apport de lagéométrisation dans les divers domaines dela connaissance où intervient le linéaire.

On voit donc ici un usage de l’histoirequi relève moins de la mise en perspective his-torique que d’une forme de problématisationau sens que nous avons dit ci-dessus ; cela

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implique alors, même si l’histoire n’apparaîtpas en tant que telle pour les élèves, uneconnaissance historique de la part des maîtres,ce qui nous renvoie encore une fois à l’in-tervention de l’histoire dans la formation desmaîtres.

Nous avons abordé ci-dessus la secondepartie de la double question posée au débutde ce paragraphe, celle où l’on s’appuie surl’usage de l’histoire, que ce soit sous la formed’une mise en perspective historique ou sousla forme du seul usage mathématique detextes anciens ; nous voulons aborder main-tenant la première partie de la question,celle de la pertinence d’un recours à l’histoire,voire des nuisances possibles de ce recoursdans l’appréhension de connaissances mathé-matiques.

L’enseignement des mathématiques apour objet les mathématiques et c’est parrapport à cet objectif et seulement par rapportà cet objectif que l’on peut définir une inter-vention de l’histoire des mathématiques dansl’enseignement. Un usage non maîtrisé del’histoire risque alors, sinon de substituer unenseignement de l’histoire des mathéma-tiques à l’enseignement des mathématiques,du moins d’inventer une méthode historiquequi ne ferait qu’ajouter aux difficultés de l’ap-préhension de la discipline de nouvellesdifficultés.

Nous avons parlé au début de ce texte despossibilités d’un usage « magique » de l’his-toire des mathématiques dans l’enseigne-ment ; la méthode historique serait ainsi unefaçon de répondre aux difficultés de l’ensei-gnement. La méthode historique ne seraitalors plus qu’une forme de ce que certains appel-lent une ingénierie didactique, une façon dechercher une réponse technique à des problèmes

qui sont essentiellement épistémologiquesau sens qu’ils engagent le sujet connaissantdans sa globalité, que ce soit celui qui enseigneou celui qui est enseigné. Rien ne nous sembleplus dangereux que de réduire les problèmesde l’enseignement à la seule mise en place detechniques convenables, celles-ci fussent-ellefondées sur l’histoire, ce serait à la fois confor-ter une illusion et fabriquer un nouveau dog-matisme, mais ce n’est pas le lieu de développercette question ici et nous renvoyons à unarticle antérieur 67.

Présentant l’ouvrage Pour une perspectivehistorique dans l’enseignement des mathé-matiques 68 qui relate plusieurs expériencesd’utilisation de l’histoire des mathématiquesdans des classes de lycées et de collèges, Eve-lyne Barbin écrivait :

« Toutefois le lecteur ne trouvera pas ici uneformule toute faite ou une réponse unique... »

précisant

« Le lecteur ne doit pas considérer les expé-riences ici relatées comme des modèles ou desachèvements ; elles sont le fait d’enseignants,de collèges ou de lycées, en situation derecherche. »

Cette situation de recherche impliqueune maîtrise suffisante de l’histoire des ma-thématiques, maîtrise qui ne peut s’acquérirque par une pratique d’icelle, et particulière-ment une pratique de la lecture des textesanciens. L’histoire des mathématiques de-vient ainsi un point important de la formationdes maîtres ; qu’elle intervienne dans la for-mation continue comme cela est pratiquédepuis plusieurs années dans les Irem, ouqu’elle intervienne dans la formation initia-le comme cela est encore à faire, elle repré-sente un point fort de la culture des futurs pro-fesseurs, cette culture sans laquelle

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l’enseignement n’est que répétition, culture quine se réduit pas à la seule connaissance tech-nique d’une discipline mais qui se situe dansla prise de conscience par le sujet connaissantdes significations et des enjeux de la disciplineen question.

Ceci nous renvoie encore une fois à laformation des maîtres et c’est sur cette remarqueque nous terminerons cet article, renvoyantà un article ultérieur sur la place de l’histoi-re des mathématiques dans la formation desmaîtres.

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1 Ce texte se situe dans la continuité de monintervention à Braga (juillet 1996) (Rudolf Bkouche,«Epistémologie, histoire et enseignement des mathé-matiques», for the learning of mathematics, vol. 17,n°1, february 1997)

2 au carrefour d’une conception moralisante (l’élèveau centre du système éducatif) et d’une conceptionscientifique marquée par les théories d’apprentissa-ge et la didactique (Rudolf Bkouche, «L’enseignementscientifique entre l’illusion langagière et l’activisme pé-dagogique», Repères-IREM n°9 octobre 1992). Cettecentralité de l’élève a pour conséquence, sinon de dimi-nuer l’importance des disciplines, du moins de les redé-finir en fonction de l’enseignement (ce que l’on appel-le la transposition didactique).

3 Francisco Sanchez, Il n’est science de rien(1581) (traduit du latin par Andrée Camparot), Klinck-sieck, Paris 1984

4 Ce triptyque présente l’avantage sur le clas-sique triangle didactique (le savoir, le maître, l’élève)de mettre en valeur la place centrale du savoir dansl’acte d’enseignement.

5 Bernard Charlot, Du Rapport au Savoir, Anthro-pos, Paris 1997

6 Pour la cohérence du texte, je reprends la par-tie correspondante de mon intervention à Braga (cf.Rudolf Bkouche, «Epistémologie, histoire et ensei-gnement des mathématiques», o.c.)

7 Ferdinand Gonseth, Le référentiel, univers obli-gé de médiatisation, L’Age d’Homme, Lausanne1975, préface.

8 Ces trois aspects de l’épistémologie seront déve-loppés dans un article à venir.

9 Pour la notion d’invariant historique, nous ren-voyons à la leçon inaugurale de Paul Veyne au Col-lège de France (Paul Veyne, L’inventaire des diffé-rences, Seuil, Paris 1976)

10 On pourrait citer le calcul différentiel de Leibniz(cf. G. W. Leibniz, La naissance du calcul différentiel,introduction, tradition et notes par Marc Parmentier,Vrin, Paris 1989) ou le rôle de l’analytique dans lestravaux de Lagrange .

11 Max Weber, Essai sur la théorie de la science(traduit par Julien Freund), Plon, Paris 1965, p. 203

12 pour reprendre l’heureuse expression du Grou-pe d’Enseignement Mathématiques de Louvain-la-Neuve(G.E.M.) (cf. Rudolf Bkouche, Bernard Charlot, Nico-las Rouche, Faire des mathématiques: le plaisir dusens, Armand Colin, Paris 1991, chapitre XII).

13 Lorsque la différence x - a devient infinimentpetite, alors la différence f(x) - b devient infiniment peti-te, formulation que l’on peut rapprocher de celle deCauchy dans son Résumé des leçons données àl’Ecole Polytechnique (1823), réédité in Le CalculInfinitésimal, ACL-Editions, Paris 1987, p. 6-7.

14 il faut prendre ici le terme «suite» dans sonacception usuelle et non comme désignant une appli-cation de l’ensemble des entiers dans l’ensembledes nombres.

15 Rappelons la formulation originale de Weïerstrass:«S’il est possible de déterminer une borne d telleque, pour toute valeur de h plus petite en valeurabsolue que d, f(x+h) - f(x) soit plus petite qu’une quan-tité e, aussi petite que l’on veut, alors on dira qu’ona fait correspondre à une variation infiniment petitede la variable une variation infiniment petite de la fonc-tion.» (cours de 1861, rédigé par H.A. Schwarz, citépar Pierre Dugac in Jean Dieudonné (ed.) Abrégé d’his-toire des mathématiques (1700-1900) (2 volumes), Her-mann, Paris 1978, volume 1, chapitre VI).

16 Il faut alors noter que cette réduction de l’aspectopératoire à la problématique de l’approximation viala définition de Weïerstrass relève moins d’une néces-sité logique que d’un choix historique en réponseaux difficultés posées par la notion d’infiniment petitencore utilisée par Cauchy. On pourrait imaginerd’autres constructions et l’on peut renvoyer à l’ana-lyse non standard mais ce n’est pas ici le lieu d’un teldéveloppement.

17 Jean Cordier et Christiane Jeanjean, «Limites en1ère et en Terminale», Bulletin de l’APMEP n°405,juin-juillet 1996

18 Rudolf Bkouche, «Des limites et de la continui-té dans l’enseignement», Repères-IREM n°24, juillet1996

Notes

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19 Bernard Cazier, Françoise Chamontin, La pers-pective centrale au collège et … peut-être au lycée,IREM de Lille, 1999

20 ainsi, lors d’une exposition sur les mathéma-tiques, des élèves protestaient contre une partieconsacrée à la peinture en proclamant: «la peinturec’est beau , les mathématiques c’est pas beau».

21 Jean-Pierre Le Goff, «La perspective en pre-mière scientifique: une certaine suite dans les idées»,Repères-IREM n°7, avril 1992 ; Didier Bessot etJean-Pierre Le Goff, «Mais où est donc passée la troi-sième dimension?» in Histoires de Problèmes, His-toire des Mathématiques, Commission Inter-IREMEpistémologie, Ellipses, Paris 1993

22 Nous renvoyons par exemple au traité de LuigiCremona, Eléments de Géométrie Projective, premièrepartie, traduit, avec la collaboration de l’auteur, parEd. Dewulf, Gauthier-Villars, Paris 1875 ou aux cha-pitres consacrés à des notions projectives dans desouvrages classiques des classes de «MathématiquesElémentaires».

23 sur le plan structural s’entend, si l’on sait que lediscours «algèbre linéaire» n’épuise pas la géomé-trie.

24 Jacques Hadamard, Leçons de Géométrie élé-mentaire (2 volumes), Armand Colin, Paris 1947-1949

25 Marcel Berger, Géométrie (5 volumes), CEDIC-Nathan, Paris 1977, réédition en 2 volumes, Nathan,Paris 1991

26 Je distinguerai ici le calcul linéaire en tant quecalcul algébrique sur les polynômes du premier degré(homogènes ou non homogènes) de l’algèbre linéai-re (au sens moderne) que l’on peut considérer commela théorie des espaces vectoriels et qui à ce titre sedégage du calcul linéaire proprement dit.

27 Arthur Cayley, «A memoir on abstract geome-try» Philosophical Transactions of the Royal Socie-ty of London, vol. CLX, 1870, p. 51-63 ; n° 413 in Col-lected Mathematical Papers, o.c. vol. VI p. 456- 469

28 Fano-Cartan, «La Théorie des Groupes Conti-nus et la Géométrie», Encyclopédie des Sciences Mathé-matiques pures et appliquées, Tome III (premiervolume), réédition Jacques Gabay, Paris 1991

29 On peut noter que dans cet article, le groupe linéai-

re (au sens de l’algèbre linéaire d’aujourd’hui) est dé-fini comme le sous-groupe du groupe affine qui lais-se fixe un point donné ; c’est seulement après cettedéfinition que les auteurs montrent comment le grou-pe projectif peut être défini comme quotient du grou-pe linéaire.

30 Raoul Bricard, Le Calcul Vectoriel, Armand Colin,Paris 1929, préface. Bricard y explique que le calculvectoriel offre une notation plus concise à la géométrieanalytique, soulignant toutefois que le calcul vecto-riel ne se réduit pas à une simple «tachygraphie».

31 Jean Dieudonné, Algèbre linéaire et Géométrieélémentaire, Hermann, Paris 1964

32 Pour une présentation des idées qui ont conduità la réforme des mathématiques modernes nous ren-voyons à l’ouvrage collectif L’Enseignement des ma-thématiques, publié par la CIEAEM (Commission In-ternational pour l’étude et l’Amélioration de l’Enseignementdes Mathématiques), Delachaux & Niestlé, NeuchâtelParis 1955 ; pour une critique de la réforme, nous ren-voyons à notre article «La place de la géométriedans l’enseignement des mathématiques en France,de la réforme de 1902 à la réforme des mathématiquesmodernes», in Les Sciences au Lycée, sous la direc-tion de Bruno Belhoste, Hélène Gispert et NicoleHulin, Vuibert, Paris 1996.

33 Adrien-Marie Legendre, Eléments de Géométrie,douzième édition, Paris 1823, p. 3

34 Rudolf Bkouche, «Variations autour de la réfor-me de 1902/1905» in Hélène Gispert et al : La Fran-ce Mathématique, Cahiers d’Histoire et de Philoso-phie des Sciences et Société Mathématique deFrance, Paris 1991

35 Nous renvoyons à l’article déjà cité de Fano-Car-tan. On peut noter encore une fois l’importance du pointde vue projectif dans le développement du calcullinéaire, mais nous n’aborderons pas ici la questiondéjà signalée de la place du projectif dans l’enseignementde la géométrie élémentaire.

36 Ainsi en est-il du théorème de Thalès, lequel, aprèsavoir été enseigné au collège dans le cadre de la géo-métrie élémentaire, devient, au début du lycée, un énon-cé vectoriel (parce que, en grandissant, il faut bienchanger de langage!) sans que les raisons de l’intro-duction des vecteurs apparaissent autrement queparce que c’est le langage des grands. Il est clair que

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dans ces conditions les élèves ne peuvent qu’apprendrele règlement, voire réussir les exercices de mathé-matiques, mais qu’ont-ils appris? question impertinenteà ne pas poser.

37 Michael J. Crowe, A History of Vector Analysis(1967), Dover Publ. New York 1985

38 C’est la recherche d’un tel calcul pour l’espace,une fois le calcul sur les nombres complexes consi-déré comme un calcul géométrique dans le plan, quia conduit Hamilton à inventer les quaternions, le cal-cul des quaternions jouant pour l’espace un rôle ana-logue au calcul complexe pour le plan.

39 Raoul Bricard, Le Calcul Vectoriel, o.c. préface

40 Paul Appell, Traité de Mécanique Rationnelle (1893),Réédition Jacques Gabay, Paris 1995. Il peut être inté-ressant de voir l’évolution de ce chapitre préliminai-re depuis la première édition de 1893 jusqu’à la der-nière édition de 1942 éditée par Valiron.

41 Georges Bruhat, Cours de Physique Générale(4 volumes), Masson, Paris

42 c’est en cela qu’on peut relier le calcul vectorielau calcul géométrique à la Leibniz (cf. Leibniz, La ca-ractéristique géométrique (1677-1685), Texte établi,introduit et annoté par Javier Echeverria, traduit, an-noté et post-facé par Marc Parmentier, Collection«Mathesis», Vrin Paris 1995)

43 La signification des signes est définie par les rela-tions primitives explicites (axiomes).

44 Il nous faut rappeler ici le rôle qu’a joué l’analy-se dans la genèse de l’algèbre linéaire ; cf. JeanDieudonné, History of functionnal analysis, North-Holland Publications, Amsterdam 1981 et Jean-LucDorier, «Une lecture épistémologique de la genèsede la théorie des espaces vectoriels» in Jean-Luc Dorieret al., L’enseignement de l’algèbre linéaire en ques-tion, La pensée sauvage, Grenoble 1996.

45 Giuseppe Peano, Calcolo Geometrico (secondol’Ausdehnunglehrer di H. Grassmann), Fratelli BoccaEditori, Torino 1888

46 Hermann Weyl, Space, Time, Matter (1918),translated from the German by Henry L. Brose, Dover1952

47 Jean-Luc Dorier et al., L’enseignement de l’algèbrelinéaire en question, o.c., p. 191

48 comme si l’on disait que l’optique est devenue

obsolète depuis que l’on sait que les rayons lumineuxsont des ondes électromagnétiques et que l’ensei-gnement de l’optique géométrique a pour seul objec-tif d’amener les élèves aux équations de Maxwell.

49 Emil Artin, Algèbre géométrique, traduit parMichel Lazard, avant-propos de Gaston Julia, «Cahiersscientifiques», Gauthier-Villars, Paris 1962

50 Jean Dieudonné, «The universal domination ofthe geometry», International Congress of Mathema-tical Education, Berkeley 1980

51 On comprend dans ces conditions le rôle assi-gné aux théories de l’apprentissage, celui de permettrela construction d’une ingénierie didactique «efficace»,quitte à fabriquer cet ersatz de connaissance que consti-tue le fameux «savoir enseigné» de la transpositiondidactique.

52 Rudolf Bkouche, «Quelques remarques surl’enseignement de la géométrie», Repères-IREMn°26, janvier 1997

53 Ces points serons précisés dans notre article «Dela géométrie élémentaire au calcul linéaire et au cal-cul vectoriel», à paraître in Actes de la TroisièmeUniversité d’Eté Européenne «Histoire et Epistémo-logie dans l’Education Mathématique», Louvain-la-Neuve/Leuven, juillet 1999. Nous renvoyons aussi àl’article de Frédéric Pham, «Vivent les déterminants»,Repères-IREM, n°26, janvier 1997.

54 Il faut ici distinguer, dans la langue française, lesdeux significations du mot maître, le «magister» et le«dominus» ; il est clair qu’il s’agit ici du «magister».Nous devons cette remarque à Catherine Kintzler. Cettedistinction est développée dans l’ouvrage de Henri Pensa-Ruiz, L’Ecole, «Dominos», Flammarion, Paris 1999,p. 28

55 Rudolf Bkouche, «L’enseignement scientifiqueentre l’illusion langagière et l’activisme pédagogique»,o.c.

56 Emile Fourrey, Curiosités Géométriques (1907),réédition 1994 augmentée d’une préface d’EvelyneBarbin, Vuibert, Paris 1994

57 Euclide, Les Eléments, volume 1, introduction géné-rale par Maurice Caveing, Livre I à IV, traduction etcommentaires par Bernard Vitrac, PUF, Paris 1990,p. 282-284

58 Jacques Hadamard, Leçons de Géométrie élé-

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SUR LA NOTION DEPERSPECTIVE HISTORIQUE…

mentaire, volume I, Géométrie plane, Armand Colin,Paris 1947, p.p. 120

59 Euclide, Les Eléments, volume 2, Livres V à IX,traduction et commentaires par Bernard Vitrac, Paris1994

60 Legendre, Eléments de Géométrie, o.c.

61 ibid, p. 61-62

62 contradictoire au sens que la pratique de lamesure s’appuie sur la division des grandeurs enparties égales (ce qui conduit à la notion de fraction)alors que la théorie des proportions d’Euclide s’appuiesur les multiples des grandeurs considérées.

63 La notion de nombre reste empirique, les divers typesde nombres, les rompus et les sourds, n’ayant en com-mun que leur capacité à exprimer des mesures degrandeurs, capacité que l’on peut considérer comme leurraison d’être ; c’est cette capacité qui a conduit Stevinà unifier la notion de nombre (Simon Stevin, Théorie desincommensurables grandeurs (1585), cité dans Mathé-matiques au Fil des Ages, édité par la Commission

Inter-IREM Epistémologie, Gauthier-Villars. Paris 1987,p. 134-135) et qui permet d’énoncer les propriétésgénérales des opérations sur ces nombres.

64 Jean Le Rond D’Alembert, Essai sur les Elémentsde Philosophie (1759), Fayard, Paris 1986, p. 318

65 Evelyne Barbin, «Trois démonstrations pour unthéorème de géométrie. Sens de la démonstration etobjet de la géométrie», La Démonstration Mathé-matique dans l’Histoire, Actes du 7ème ColloqueInter-IREM Epistémologie et Histoire des Mathéma-tiques (Besançon, mai 1989), IREM de Besançon &IREM de Lyon, 1990

66 Nous renvoyons à notre préface de l’ouvrage deMichel Carral, Géométrie élémentaire, Ellipses, Paris1995.

67 Rudolf Bkouche, «Quelques remarques surl’enseignement de la géométrie», o. c.

68 Commission Inter-IREM Epistémologie, Pourune perspective historique dans l’enseignement desmathématiques, Bulletin Inter-IREM, 1988