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314 Actualités Cortistatine et douleur : prémices d’une longue saga Cortistatin and pain: The beginnings of an ongoing saga La science n’en finit pas d’avancer. Elle se penche sur l’infiniment petit et pas à pas dissèque, décortique, les mécanismes de la douleur. Le corps humain comprend un vaste réseau routier fait de voies rapides et lentes, que les sensations douloureuses empruntent simultanément. Au sein de cette complexité fascinante, la cortistatine sort à présent au grand jour. Connu depuis une vingtaine d’années seulement, ce neuropeptide n’en finit pas de surprendre et suscite un intérêt croissant, au fur et à mesure que ses secrets sont mis à jour. Homologue de la somatosta- tine (11 acides aminés en commun), la cortistatine partage avec cette dernière de nombreuses propriétés. Cependant, la cortistatine possède également des propriétés spéci- fiques : c’est l’objet de cet article très complet [1]. En effet, les auteurs se sont employés à caractériser les effets analgésiques de la cortistatine sur des modèles murins de douleurs articulaires inflammatoires, avant d’en expli- quer les mécanismes physiopathologiques. À travers ces modèles, expérience après expérience, de l’in vitro à l’in vivo, le lecteur de cet article se voit proposer une plon- gée au cœur du système pour finalement en comprendre les rouages : la cortistatine atténue les phénomènes douloureux (hyperalgésie primaire, allodynie, hyperalgésie secondaire) par son action directe sur les mécanismes d’initiation et de pérennisation de la sensibilisation à la douleur, en agis- sant à la fois au niveau périphérique et central. On la savait anti-inflammatoire, mais la cortistatine pourrait être aussi un analgésique puissant. . . Faut-il y voir une nouvelle arme peptidique contre les douleurs au cours des états inflammatoires ? Les modèles expérimentaux incitent à le croire, reste à traduire ces résultats chez l’homme. La saga « cortistatine » ne fait que commencer et cet article en est le tome I. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela- tion avec cet article. Références [1] Morell M, Souza-Moreira L, Caro M, O’Valle F, Forte-Lago I, de Lecea L, et al. Analgesic effect of the neuropeptide cortistatin in murine models of arthritic inflammatory pain. Arthritis Rhum 2013;65:1390—401. Etienne Dahan Centre hospitalier, 20, avenue Dr-René-Laennec, 68100 Mulhouse, France Adresse e-mail : [email protected] Rec ¸u le 1 er juillet 2013 ; accepté le 29 juillet 2013 Disponible sur Internet le 30 aoˆ ut 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.07.005 Surfez sur la douleur chronique avec la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) ! Surf on chronic pain with Acceptance and Commitment Therapy (ACT)! La thérapie comportementale et cognitive (TCC) a démon- tré son intérêt auprès des patients douloureux chroniques (PDC). La TCC repose sur un modèle scientifique du fonc- tionnement psychologique, modèle régulièrement réévalué auprès des PDC. Sous cette impulsion, de nouvelles modé- lisations psychologiques ont pu voir le jour : les TCC de troisième vague (thérapies émotionnelles). Parmi elles, la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT, Acceptance and Commitment Therapy) occupe une place centrale. L’American Psychological Association recommande depuis 2006 son utilisation auprès des PDC. L’ACT vise davantage le changement des rapports que le PDC entretient avec ses cognitions et comportements que le changement direct de ces derniers (comme c’est le cas en TCC « traditionnelle »). Elle lui propose d’accroître ses compétences en flexi- bilité psychologique en travaillant sur les processus qui la détermine : l’expérience du moment présent (mindful- ness), la cohérence entre ses valeurs et leur mise en actes (values-based action, committed action), la défu- sion cognitive (prise de distance à l’égard des cognitions) ainsi que l’acceptation des expériences somatiques (dou- leur, notamment) et psychologiques (cognitions, émotions). L’acceptation correspondrait à une recherche d’équilibre entre l’évitement expérientiel (comportements de lutte et de contrôle) et les comportements de lâcher prise. Des études ont montré que l’évitement expérientiel était positi- vement corrélé à l’intensité douloureuse, l’anxiété orientée vers la douleur, la dépression et le vécu d’incapacité. Les études d’efficacité sont quant à elles encore trop peu nom- breuses, avec de nombreux biais méthodologiques. De ce fait, dégager des indications pour l’ACT reste encore diffi- cile. Pour certains auteurs [1], elle apparaîtrait malgré tout comme une bonne alternative à la TCC « traditionnelle ». Buhrman et al. [2], dans une publication récente, posent deux constats : le nombre encore insuffisant de praticiens formés aux TCC de la douleur chronique et l’absence d’étude d’efficacité concernant l’ACT « en ligne », via Internet, pour les PDC. Leur étude a concerné 76 PDC consultant en centre de la douleur chronique. Ces patients furent randomisés dans deux groupes : thérapie « ACT en ligne », structurée sur sept semaines versus contrôle : participation à des échanges entre patients sur des forums Internet. Les sujets étaient suivis pendant six mois avec passation d’auto-questionnaires en ligne, avant leur inclusion puis à six mois. Ces ques- tionnaires évaluaient : l’acceptation de la douleur (critère principal), l’anxiété/dépression, les stratégies de coping (croyances et comportements face à la douleur) et la qualité de vie. Avant cette passation, tous les sujets participaient à un entretien téléphonique structuré, visant à recueillir, d’une part, des données sur l’histoire de la douleur, ses répercussions actuelles, les pathologies psychiatriques et somatiques sous-jacentes et, d’autre part, à présenter l’étude. Ces 76 participants étaient majoritairement des femmes, âgées de 27 à 69 ans, en arrêt maladie et souffrant

Surfez sur la douleur chronique avec la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) !

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314 Actualit

Cortistatine et douleur :prémices d’une longue saga

Cortistatin and pain: The beginnings of an ongoing

Surfez sur la douleur chroniqueavec la thérapie d’acceptationet d’engagement (ACT) !

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La science n’en finit pas d’avancer. Elle se penche surl’infiniment petit et pas à pas dissèque, décortique, les

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présent au grand jour. Connu depuis une vingtaine d’annéeseulement, ce neuropeptide n’en finit pas de surprendret suscite un intérêt croissant, au fur et à mesure quses secrets sont mis à jour. Homologue de la somatosttine (11 acides aminés en commun), la cortistatine partagavec cette dernière de nombreuses propriétés. Cependanla cortistatine possède également des propriétés spécfiques : c’est l’objet de cet article très complet [1]. Eeffet, les auteurs se sont employés à caractériser les effeanalgésiques de la cortistatine sur des modèles murinde douleurs articulaires inflammatoires, avant d’en explquer les mécanismes physiopathologiques. À travers cemodèles, expérience après expérience, de l’in vitro à l’vivo, le lecteur de cet article se voit proposer une plongée au cœur du système pour finalement en comprendre lerouages : la cortistatine atténue les phénomènes douloureu(hyperalgésie primaire, allodynie, hyperalgésie secondairepar son action directe sur les mécanismes d’initiation ede pérennisation de la sensibilisation à la douleur, en agisant à la fois au niveau périphérique et central. On

savait anti-inflammatoire, mais la cortistatine pourrait êtraussi un analgésique puissant. . . Faut-il y voir une nouvelarme peptidique contre les douleurs au cours des étainflammatoires ? Les modèles expérimentaux incitent à

croire, reste à traduire ces résultats chez l’homme. La sag« cortistatine » ne fait que commencer et cet article en ele tome I.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en reltion avec cet article.

Références

[1] Morell M, Souza-Moreira L, Caro M, O’Valle F, Forte-Lago I, dLecea L, et al. Analgesic effect of the neuropeptide cortistatin murine models of arthritic inflammatory pain. Arthritis Rhu2013;65:1390—401.

Etienne DahaCentre hospitalier, 20, avenue Dr-René-Laenne

68100 Mulhouse, Fran

Adresse e-mail : [email protected]

Recu le 1er juillet 2013 ;accepté le 29 juillet 2013

Disponible sur Internet le 30 aout 2013

http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.07.005

tré son intérêt auprès des patients douloureux chronique(PDC). La TCC repose sur un modèle scientifique du fontionnement psychologique, modèle régulièrement réévaluauprès des PDC. Sous cette impulsion, de nouvelles modélisations psychologiques ont pu voir le jour : les TCC dtroisième vague (thérapies émotionnelles). Parmi elles,

thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT, Acceptancand Commitment Therapy) occupe une place centraleL’American Psychological Association recommande depu2006 son utilisation auprès des PDC. L’ACT vise davantagle changement des rapports que le PDC entretient avec secognitions et comportements que le changement direct dces derniers (comme c’est le cas en TCC « traditionnelle »Elle lui propose d’accroître ses compétences en flexbilité psychologique en travaillant sur les processus qla détermine : l’expérience du moment présent (mindfuness), la cohérence entre ses valeurs et leur mise eactes (values-based action, committed action), la défusion cognitive (prise de distance à l’égard des cognitionainsi que l’acceptation des expériences somatiques (douleur, notamment) et psychologiques (cognitions, émotionsL’acceptation correspondrait à une recherche d’équilibrentre l’évitement expérientiel (comportements de lutte ede contrôle) et les comportements de lâcher prise. Deétudes ont montré que l’évitement expérientiel était positvement corrélé à l’intensité douloureuse, l’anxiété orientévers la douleur, la dépression et le vécu d’incapacité. Leétudes d’efficacité sont quant à elles encore trop peu nombreuses, avec de nombreux biais méthodologiques. De cfait, dégager des indications pour l’ACT reste encore difficile. Pour certains auteurs [1], elle apparaîtrait malgré toucomme une bonne alternative à la TCC « traditionnelle

Buhrman et al. [2], dans une publication récente, posendeux constats : le nombre encore insuffisant de praticienformés aux TCC de la douleur chronique et l’absence d’étudd’efficacité concernant l’ACT « en ligne », via Internet, poules PDC. Leur étude a concerné 76 PDC consultant en centrde la douleur chronique. Ces patients furent randomisédans deux groupes : thérapie « ACT en ligne », structurée susept semaines versus contrôle : participation à des échangeentre patients sur des forums Internet. Les sujets étaiensuivis pendant six mois avec passation d’auto-questionnaireen ligne, avant leur inclusion puis à six mois. Ces quetionnaires évaluaient : l’acceptation de la douleur (critèrprincipal), l’anxiété/dépression, les stratégies de copin(croyances et comportements face à la douleur) et la qualit

de vie. Avant cette passation, tous les sujets participaientà un entretien téléphonique structuré, visant à recueillir,d’une part, des données sur l’histoire de la douleur, sesrépercussions actuelles, les pathologies psychiatriques etsomatiques sous-jacentes et, d’autre part, à présenterl’étude. Ces 76 participants étaient majoritairement desfemmes, âgées de 27 à 69 ans, en arrêt maladie et souffrant
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puis environ 15 ans ; 58 % souffraient de troubles psychia-ques. Les deux groupes étaient homogènes, excepté en cei concerne le niveau d’éducation, significativement supé-ur dans le groupe ACT. Les thérapeutes à l’origine dugramme « ACT en ligne » étaient des étudiants arrivant

terme de leur cinquième année d’étude en psycho-ie, en cours de supervision par des thérapeutes plus

périmentés. Les résultats statistiques (en intention deiter) démontrent une amélioration significativement plusportante pour le groupe « ACT en ligne » de toutes lesriables étudiées. Les auteurs notent notamment des pro-s significativement plus importants sur les niveaux de

tastrophisme (ruminations anxieuses, croyances erronéesnégatives concernant l’origine et le devenir de la dou-r), cibles habituellement privilégiées et améliorées par

TCC « traditionnelles ». Ces résultats seraient plus pro-tteurs que ceux de précédentes études menées sur lesC en ligne [3]. Ils notent également des copings de prièrenificativement plus développés pour le groupe « ACT enne ». Ce dernier résultat est-il attribuable à la métho-logie expérientielle et existentielle privilégiée dans larapie ACT ? Les études à venir sur ces psychothéra-s en ligne devront comparer les effets des programmesT et TCC « traditionnelle », afin de mieux comprendre lee joué par l’acceptation sur l’interaction entre la dou-r chronique et ses répercussions psychologiques, puis de

terminer les indications préférentielles de l’ACT et de laC.

claration d’intérêts

uteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-n avec cet article.

férences

Veehof MM, Oskam MJ, Schereurs KM, Bohlmeijer ET. Accep-tance based intervention for the treatment of chronicpain: a systematic review and meta-analysis. Pain 2011;152:533—42.

Buhrman M, Skoglund A, Husell J, Bergström K, Gordh T, HurstiT, et al. Guide internet-delivered acceptance and commitmenttherapy for chronic pain patients: a randomized controlled trial.Behav Res Ther 2013;51:307—15.

Buhrman M, Nilsson-Ihrfelt E, Jannert M, Ström L, AnderssonG. Guided Internet delivered cognitive-behavioral treatment forchronic back pain reduces pain catastrophizing: a randomizedcontrolled trial. J Rehabil Med 2011;43:500—5.

Franck HenryConsultation pluridisciplinaire de la douleur, 216,

avenue de Verdun, 36000 Châteauroux, France

Adresse e-mail : [email protected]

Recu le 1er juillet 2013 ;accepté le 29 juillet 2013

Disponible sur Internet le 30 aout 2013

p://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2013.07.006 et

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uleurs chroniques urologi-es et facteurs psychosociaux :oi de neuf en 2013 ?

ronic urologic pain and psychosocial factors:at’s new in 2013?

revue de la littérature publiée en juin 2013 par l’IASP [1]orde cette question. L’objectif des auteurs était double :senter une classification diagnostique des différents syn-mes douloureux chroniques urologiques (SDCU), pour

suite discuter du rôle joué par les facteurs psychosociauxns leur évolution et leur maintien. Les auteurs ont choisi

distinguer les tableaux douloureux en fonction de leurgine prostatique ou vésicale : tous ces SDCU apparaissentmme difficile à diagnostiquer et à traiter. Les étudesntéressant à la vie psychique de ces patients ne montrents de profil de personnalité spécifique. En revanche, ellesttent en évidence [2] une forte comorbidité dépressivesi qu’une altération de la qualité de vie (dans sa dimen-n psychologique) et du niveau d’activité, un niveau élevé

catastrophisme (ruminations anxieuses, croyances erro-es et négatives concernant l’origine et le devenir de lauleur). Ce haut niveau de catastrophisme serait direc-

ent responsable du vécu d’incapacité et d’impuissances patients face à leurs douleurs. Il se traduirait par

sentiment d’auto-efficacité personnelle peu développéoyance concernant leur capacité à rester actif malgrédouleur) et une difficulté à envisager le déploiement deatégies actives et autonomes (coping). Les études pros-ctives montrent que des niveaux élevés de catastrophismet les meilleurs prédicteurs des hauts niveaux d’intensité

uloureuse et des faibles niveaux de qualité de vie (dimen-n psychologique) et de soutien social percus ultérieurs.e fréquence importante de comportements de sollicitudede physique, faire à la place, conseiller le repos, etc.)s conjoints en réponse aux comportements douloureuxs patients serait associée à une moindre adaptation chezs derniers et des niveaux d’incapacité plus importants.partir de ces constats, certains auteurs [3] ont élaboré

programme cognitivo-comportemental de prévention desques psychosociaux. Cette thérapie de groupe est propo-e précocement aux patients (en phase aiguë) avec commeles principales le catastrophisme et les comportements

sollicitude de leurs conjoints. L’efficacité de ce pro-mme est actuellement à l’étude. Les SDCU d’origine

sicale, qui touchent majoritairement les femmes, sontractérisés par une comorbidité importante avec la fibro-algie et les syndromes du côlon irritable et de fatigue

ronique. Bien qu’habituellement localisée à un stade aigu,douleur aurait en effet tendance à se diffuser au cours

la chronicisation. Les études psychologiques montrentrs une association fréquente avec un syndrome dépres-

, du stress, des troubles du sommeil et une altérationnificative du soutien social percu, de la qualité de viedu fonctionnement sexuel. Des hauts niveaux d’anxiété

de catastrophisme sont également retrouvés. Le pouvoir