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Survivalles nouvelles de

octobre 2012

Un barragegéant menace les

tribus de la vallée de l’Omoen Ethiopie.

A qui appartient la terre enArgentine?

Prophétie hopi

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SSoommmmaaiirree

Des conclusions trop hâtives

Echos des campagnes

A qui appartient la terre?Dario Aranda

En Ethiopie, un barrage menaceles tribus de l’OmoElizabeth Hunter

Action urgente

Prophétie hopi. L’arrivée d’unenouvelle raceDan Katchongva

Livres et revues reçus

Les Nouvelles de Survival n° 85, octobre 2012Prix de ce numéro : 4 € abonnement : 15 €Directeur de la publication : J.-P. RazonRédaction : S. Baillon, D. Dauzier, J.-P. RazonImprimerie : Corlet, Condé-sur-NoireauISSN : 1154-1210 CP : 1009G89188Dépôt légal : 4ème trimestre 2012

© Survival International (France)

Association reconnue d’utilité publique

Photo couverture : Un Karo, membre de l’une destribus menacées par le barrage géant sur l’Omo, enEthiopie. © Survival

Merci à Caroline Bourtembourg et Mélanie Legrand

Le supplément de l’impression en quadrichromie dece numéro a été généreusement offert par notreimprimeur.

Ce numéro peut être lu en ligne ou téléchargé enformat PDF à l’adresse suivante : www.survivalfrance.org/actu/publication

Survival International France18 rue Ernest et Henri RousselleParis 75013T (33) 1 42 41 47 [email protected]

Survival aide les peuplesindigènes à défendre leur vie,protéger leurs terres et déterminer leur propre avenir

SSuurrvviivvaallles nouvelles de

F in août, Survival apprenait qu'une communauté yanomami du

Venezuela, Irotatheri, avait été victime, début juillet, d'une violente

attaque de garimpeiros, des orpailleurs clandestins venus du Brésil voisin.

L'information émanait d'une organisation indigène qui avait recueilli les

témoignages de trois Yanomami de Hokomae, un shabono (maison

collective) voisin, qui se rendaient en visite à Irotatheri. Arrivés à destination, ils s’aperçurent

que le shabono avait été incendié et que des corps calcinés gisaient dans les ruines. En

retournant chez eux ils rencontrèrent trois Yanomami de Irotatheri qui leur dirent avoir

entendu un hélicoptère alors qu’ils étaient en train de chasser. Pensant qu’il apportait des

vivres, ils se précipitèrent au shabono et, de loin, virent l’hélicoptère dans une étrange position,

entendirent des tirs et s’enfuirent dans la forêt. Les Yanomami de Hokomae en déduisirent

qu’hormis les trois survivants qu’ils avaient rencontrés, tous les membres de la communauté,

soit environ 80 personnes, avaient été tués. Tel est le récit qu'ils firent à l'organisation indigène

qui demanda immédiatement l'ouverture d'une enquête.

Nous avons aussitôt diffusé au niveau international cette information qui, à nos yeux, était

parfaitement crédible, annonçant toutefois que nous appelions également à une enquête

approfondie et que nous attendions confirmation des faits. Mais nous savions que cette région,

aux sources du rio Ocamo, un affluent de l'Orénoque, est infestée de garimpeiros dont la

violence à l'égard des Indiens a déjà été maintes fois éprouvée, notamment au cours du

massacre de la communauté yanomami de Haximu, au Brésil, qui fit 16 morts en 1993.

Peu de temps après, nous apprîmes de nos propres sources que le hameau en question n'avait

pas été détruit, mais qu'il était probable qu'une attaque ait eu lieu dans un autre hameau.

Entre temps, début septembre, la commission d'enquête dirigée par le général Rafael

Zambrano concluait, sans même avoir atteint le hameau, qu'il n'y avait aucun orpailleur

clandestin dans la région, que ‘la paix et l'harmonie’ y régnaient et qu'il n'y avait aucune trace

de massacre. Ce que contestent non seulement les représentants d'une organisation yanomami

mais aussi le médecin légiste qui accompagnaient la commission. Les premiers affirment avoir

vu des campements d'orpailleurs et une piste d'atterrissage clandestine, et le médecin légiste a

fait part de sa perplexité le 29 septembre dernier dans un grand quotidien vénézuélien,

révélant que ladite commission ‘n'avait passé que 10 minutes dans le hameau qu'ils pensaient

être celui où avait été perpétré le supposé massacre’. Comme le dénonce notre vice président,

Bruce Albert, ethnologue spécialiste des Yanomami : ‘Réduire ce supposé massacre à de

simples rumeurs revient à nier la gravité évidente de la situation. La seule manière de

découvrir la vérité est de mener une enquête approfondie et non d'effectuer de brèves visites de

quelques hameaux, ce qui prendra du temps’. Survival, qui persiste à croire que cette histoire

est fondée sur des faits concrets, appelle le gouvernement vénézuélien à expulser les orpailleurs

et garantir la sécurité des Yanomami dans la région. n

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Des conclusions trop hâtives

PARIS LONDRES MILAN MADRID BERLIN AMSTERDAM SAN FRANCISCO

En couverture : Un Karo, membre de l’une des tribusmenacées par le barrage géant sur l’Omo, en Ethiopie.© Survival

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Des lignes électriques contestéesPlusieurs organisations de droits del'homme, dont Survival et HumanRights Watch, ont vivement critiqué ladécision de la Banque mondiale etd'autres institutions, comme l'Agencefrançaise de développement (AFD), definancer un réseau de lignesélectriques lié au barrage controverséGibe III dans la vallée de l'Omo. Ceprojet, qui a été approuvé mi-juillet,raccordera au réseau électrique duKenya l'énergie générée par le barragehydroélectrique dans le sud del'Ethiopie. Les moyens de subsistanceet la sécurité alimentaire de plus de200 000 membres de tribus indigènesvivant dans la vallée inférieure del'Omo seront réduits à néant par lebarrage (lire le témoignage deElizabeth Hunter page 10).

IndeFermeture d’une raffinerieLa compagnie minière britanniqueVedanta a annoncé la fermetureprochaine de sa raffinerie de bauxiteLanjigarh située au pied des collinesde Niyamgiri qui abritent 8 000membres de la tribu dongria kondh.La compagnie avait investi plus d’unmilliard de dollars dans l’extension decette raffinerie, sans avoir obtenu lesautorisations nécessaires, tout ensachant qu’elle ne pourrait pasl’alimenter suffisamment pour la fairefonctionner à plein rendement. LesDongria Kondh ont mené une bataillede plus d’une décennie contrel’exploitation minière de leurmontagne sacrée qui s’est soldée en2010 par une éclatante victoire, leministre de l’Environnement ayantgelé le projet. Ils craignent maintenantque Vedanta fasse pression sur lesautorités indiennes pour renversercette décision.

AustralieReportage racisteSuite aux protestations de Survival, lachaîne australienne Channel 7 a étéjugée coupable de graves violations ducode audiovisuel par l'ACMA,l’autorité nationale de régulation de lapresse, après avoir diffusé un reportagetendancieux sur de supposéespratiques d’infanticide qui présentaitles Indiens suruwaha du Brésil commedes tueurs d'enfants, des reliques de‘l'âge de pierre… responsables despires violations de droits de l'hommeau monde’.

IndonésiePas de peuples indigènes?Dans une réponse adressée à l'ExamenPériodique Universel des Nations-Unies, un mécanisme de vérificationde la situation des droits de l'hommedans tous les pays effectué tous lesquatre ans, l'Indonésie a déclaré : ‘Legouvernement indonésien soutient lapromotion et la protection des peuplesindigènes à travers le monde…Cependant, l'Indonésie ne reconnaîtpas l'application du concept de peuplesindigènes… dans le pays’. Le rapportdes Nations-Unies recommandait àl'Indonésie de ratifier la Convention169 de l'Organisation Internationaledu Travail et de garantir les droits despeuples indigènes, en particulier ledroit à leurs terres ancestrales et àleurs territoires et ressources.En Papouasie occidentale, lesassassinats, la torture et le viol depeuples indigènes sont monnaiecourante. On estime que plus de100 000 personnes ont été tuéesdepuis l’annexion forcée de ceterritoire par l’Indonésie en 1963.

MalaisieLes Penan bloquent le chantierd'un barrage controversé Au Sarawak, des centaines demembres de la tribu penan ontentamé, début octobre, leur deuxièmesemaine du siège de la route menantau barrage controversé de Murum,paralysant les camions quitransportent le matériel deconstruction. Murum qui sera achevél'an prochain, sera le premier d'unesérie de 12 barrages prévus dans l'Etatmalais du Sarawak pour fournir del'énergie dont les Penan nebénéficieront pas. Déjà repoussés auxlimites de leurs territoires par ladéforestation rampante, les Penan deMurum seront chassés de leurs terresancestrales qui seront inondées.Survival soutient les Penan dont laprincipale organisation accuse legouvernement de ne pas avoirpleinement consulté les riverainsaffectés par le projet et dénonce sonmépris flagrant pour leursrevendications et leurs droits.

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ColombieUn chef spirituel assassinéLisandro Tenorio, un chamane nasade 74 ans, qui s’opposait à lamilitarisation de son territoire dans leCauca, au sud-ouest de la Colombie, aété froidement abattu par balle aumois d'août. Les Indiens nasa avaientfait la une des médias internationauxen juillet pour avoir expulsé de forceles soldats d'une base militaire installéesur leur territoire. Survival mènecampagne contre la violence dans leCauca depuis 1974 et soutient leCRIC, l'organisation indigènerégionale.

BrésilAppel urgent des AwáLes Indiens awá du Brésil, considéréscomme la tribu la plus menacée aumonde, ont écrit fin septembre auministre de la Justice pour luidemander d'expulser de toute urgenceles bûcherons clandestins quienvahissent leurs territoires forestierset dont l'activité prédatrice paralyseleur mode de vie auto-suffisant dechasseurs-cueilleurs. Certainsn'opèrent qu'à six kilomètres à peined’un groupe d’Awá isolés. Suite à lacampagne de soutien que nous avonslancée en avril, plus de 34 000messages émanant de sympathisantsdu monde entier ont été adressés auministre brésilien de la Justice,l'exhortant à protéger les terres awá.Pour en savoir plus :www.survivalfrance.org/awa

Violente attaque contre lesGuaraniEn août dernier, plus de 50 hommesde main ont lancé une attaque brutalecontre la communauté guarani deArroio Korá, au sud-ouest du Brésil,en représailles contre la réoccupationd’une partie de son territoire que des

éleveurs s’étaient appropriée. Lacommunauté était provisoirementinstallée dans des camps de fortune lelong des routes.

Arrestation des assassins d'unchef religieux guaraniLes autorités brésiliennes ont arrêté 18personnes impliquées dans l'assassinatdu chef religieux guarani Nisio Gomesqui, en novembre dernier, avait étéabattu par des hommes masquésdevant sa communauté dans l'État duMato Grosso do Sul et dont le corpsn'a jamais été retrouvé.

Une inquiétante directivegouvernementaleLes Indiens du Brésil ont exprimé leurvive contrariété devant l’annonce, finjuillet, de la mise en œuvre d’unenouvelle directive portant atteinte àleurs droits territoriaux. Desorganisations indigènes brésiliennes, denombreuses ONG, dont Survival, ontappelé à la révocation de cettedirective inique.

ÉquateurGel d’un projet pétrolierLa Cour interaméricaine des droits del'homme a statué en faveur des Indienskichwa d'Equateur sur le gel d’unprojet pétrolier controversé qui a déjàdétruit une partie de leurs terres. LesKichwa n’avaient pas été consultésavant les activités d'exploration,lesquelles ont laissé sur place descentaines d'explosifs, détruitd’immenses pans de forêts et pollué lescours d'eau dont les Indiensdépendent.

PérouLa ‘route de la mort’Le projet de construction d'une routequi traversera la plus grande réserved’Indiens isolés d’Amazonie

péruvienne a été sérieusement remisen cause après la preuve établie par lesautorités que des Indiens isolés viventle long de son tracé proposé. Cetteconfirmation ébranle la position d'unprêtre italien, Miguel Piovesan, dont lalutte implacable en faveur de laconstruction de la route ignorel'existence des Indiens isolés dans larégion. Si le projet est approuvé par leCongrès, cette ‘route de la mort’, ainsique la surnomment les Indiens,attirera des colons dans la région, dontdes bûcherons clandestins quidétruiront les forêts et introduiront desmaladies fatales.

ParaguayDéforestation illégaleUne compagnie espagnole a étéaccusée en août dernier par Survivald'abattre illégalement la forêt habitéepar un groupe isolé d’Indiens ayoreo.Les autorités paraguayennes ontreconnu les faits ; l'organisation ayoreoOPIT et Survival ont appelé leministère de l'Environnementparaguayen à intervenir dans les plusbrefs délais.

EthiopieUne nouvelle arme pour expulserles tribusSurvival a reçu en juillet des rapportsalarmants émanant de plusieurs tribusde la vallée de l'Omo qui dénoncent ladestruction de leurs plantations par legouvernement pour les forcer àabandonner leurs terres et les installerdans des camps de relocalisation. Leséleveurs suri, bodi et mursi, ainsi queles chasseurs-cueilleurs kwegu sont lesplus affectés par ce processus despoliation territoriale. Legouvernement octroie également delarges étendues de terres indigènes àdes investisseurs étrangers.

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Echos des campagnes

Nous invitons nos lecteurs àse reporter sur notre siteinternet où toutes cesinformations paraissentsous une forme plusdétaillée.

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récitent la même prière que celle quiest dite chaque jour dans des milliersd’écoles. « Couleurs de la patrie, bleuet blanc, symbole de l’union et de laforce dont ont fait preuve nos ancêtrespour nous donner indépendance etliberté (…) Qu’il soit pour tous leshommes message de liberté, symbolede civilisation et garantie de justice ».Tous les lieux communs qui glorifientla patrie, l’unité nationale et l’égalité !

À cinq mètres de là, les parentswichí parlent de la réalité, rendantimprobable toute intonationpatriotique. Deux réalités, tropcontrastées.

Ce qui resteL’Interwichí est composée de huit

communautés de la région de Lomitas,c’est-à-dire 1 400 familles. En 2009, ilsbloquèrent la route 81 pour desrevendications qui n’avaient riend’extravagant : terre, nourriture,travail, santé, éducation, maisons.Aujourd’hui, ils admettent avoir mis

beaucoup de temps à se décider à sesoulever. C’est un peuple patient, maisle vase débordait. « Les besoins étaientgrands et pressants. Et les mensongestrop nombreux », se souvient le jeunedirigeant wichí et il rappelle commentils ont été inspirés par la télévision, lespiquets de grèves à Buenos Aires.

L’occupation de la route duraitdepuis des semaines, et aucuneréponse officielle ne se faisait entendre.En mai, lorsque le froid tomba surFormosa, il frappa mortellementMaría Cristina López, 22 ans, etMario García, 48 ans. Les conditionsclimatiques, la sous-alimentation et lemanque de premiers soins médicauxavaient composé un cocktail tragique.

Cette situation déclencha uneréponse officielle tardive. Le défenseurdu peuple de Formosa, José LeonardoGialluca, ne se solidarisa pas avec lesWichí et ne se rapprocha pas desfamilles des disparus. Bien aucontraire. Il mit ces morts sur lecompte de l’Interwichí et accusa les

ONG d’être à l’origine de l’occupationde la route et de ce fait, d’êtreresponsables du drame. Tous lesfonctionnaires provinciauxapprouvèrent son argumentation.

Ils se souviennent qu’à cette époque,il y eut beaucoup de « persécutions,cooptations et corruption dedirigeants ». Avelino Rodríguezexplique que l’Interwichí ne disposepas d’une personne influente ou d’unchef. Les décisions sont prises « partous » et si un dirigeant accepte « lemarché du gouvernement, il perd laconfiance de la communauté ». EtMariano López d’ajouter : « Et il perdson droit (d’être chef de lacommunauté). Il y a toujours des gensque l’ont peut acheter et qui sevendent ».

Presque deux heures de discussions.Le grand-père-pasteur-dirigeant,Francisco López, dans sa belle chemisejaune, parle haut et fort, il clôture ladiscussion par une louange à Dieu.

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L’homme entonne des extraitsde l’hymne national à voixhaute, presque en criant.« Liberté, liberté, liberté… ».Très vite, il intercale des

strophes. « … A la noble égalité… ». Et iltermine en insistant : « Pour nous, il n’y apas de liberté, et encore moins d’égalité ».C’est ainsi que se clôtura l’assemblée del’organisation Interwichí, espace decoordination de huit communautésindigènes, à Las Lomitas, province deFormosa. Il y eut aussi le discours deFransisco Lopez, 80 ans, dirigeant wichí,pasteur de l’Eglise anglicane etoccasionnellement chargé de démasquer lessarcasmes de l’argentinité.

Las Lomitas se situe au centre de laprovince, sur la route nationale 81, à quatreheures de la capitale provinciale. Fondée en1914 et comptant 12 000 habitants, cetteville constitue une charnière entre le Chacosalteño (province de Salta), bien connu deséleveurs de bétail, et l’est du territoireguarani car elle est un point de connexionavec le Paraguay et les provinces argentinesde Misiones et Corrientes. Les Indienswichí, pilagás, nivaclé et qom vivent desdeux côtés de cette frontière.

Entassés et délaissés À moins de dix pâtés de maisons du

centre de Lomitas, roulant sur des cheminsde terre compliqués, la camionnette avanceà pas d’homme, s’essouffle : une routeencore plus hostile que celles du Paris-Dakar. Quartier périphérique, communautéLote 47, des maisons en terre, quelques-unesplus récentes sont en briques avec un toit detôle. Un jardin d’enfants, un vaste patio et àcôté, un salon, l’espace de réunion.

Une dizaine d’hommes deboutaccueillent les participants. Salutations derigueur, quelques chaises apparaissent etsont installées pour que puissentcommencer les présentations. AvelinoRodríguez, chemise bleue à carreaux, 45

ans, casquette à visière. « Certains disentque nous allons bien, qu’il ne nous manquerien. Regardez autour de vous et vousverrez. C’est pour cela que nous avonsdécidé de nous soulever », déclare-t-il enguise de message de bienvenue.

Cette première intervention n’a riend’anodin. Gildo Insfrán (vice-gouverneur de1987 à 1994, gouverneur depuis 1995jusqu’à ce jour – 25 ans au pouvoir) al’habitude de faire remarquer que Formosafut la première province à adopter une loiportant reconnaissance des communautésindigènes et affirme que 99 % descommunautés disposent d’un titrecommunautaire.

« La loi stipule que les peuples indigènesdoivent disposer de terres suffisantes et debonne qualité » explique AvelinoRodriguez. Il marque un silence. Puisconclut : « Ici, nous sommes 60 familles àvivre sur 10 hectares. Est-ce cela des terressuffisantes et de bonne qualité ? » Ilmentionne que même le cimetière de lacommunauté se retrouve dans une parcelleclôturée par un propriétaire terrien.

Mariano López a 36 ans, chemise rougeet jean, 1m70, costaud, il a du mal à vaincresa timidité, il est l’un de ces jeunesdirigeants. On lui demande de prendre laparole. Il se lance : « C’est qu’ici il y a desgens très riches qui nous pillent nos terres.Aujourd’hui, ils ne viennent plus avec desarmes pour nous tuer, ils viennent avecbeaucoup d’argent pour acheter nosterritoires. Ils nous poursuivent, abattentnos forêts, nous vivons entassés et délaissés.Ils nous repoussent vers le village pour quenous ne puissions pas retourner dans laforêt ». Il affirme qu’ils savent que les loissont du côté des indigènes mais « ils n’enont que faire », et « ils » comprendbeaucoup de gens : politiciens, juges,policiers, entrepreneurs, médias…

Dans la salle contigüe, sept enfants wichívêtus de blouses soignées bleues à carreauxsont rassemblés sous le drapeau argentin. Ils

A qui appartient la terre?

Les territoires desIndiens wichí etpilaga de laprovince de Formosaau nord del’Argentine sontenvahis par lescolons et leséleveurs de bétailqui réduisent leursterres autrefoisfertiles en undésert sablonneux etaride. Lesautorités, qui ontsouvent partie liéeavec les puissantspropriétairesterriens refusent dereconnaître lesdroits territoriauxdes Wichí,distribuant la terreaux colons ettolérant ladéforestation.L’auteur de cettechronique arécemment assisté àune assemblée desIndiens de larégion.

ppaarr DDaarriioo AArraannddaa**

* Dario Aranda est journaliste etchef du laboratoire d’embryologiemoléculaire de l'Université deBuenos Aires. Il est égalementcollaborateur permanent de Pagina12, Rebelion, Red Voltaire et l'auteurde Argentina Originaria. Genocidios,saqueos y resistencias, Lavaca Editora2010. Il travaille depuis dix ans avecles communautés indiennes pourl’organisation de défense des droitsde l'homme en Argentine où ilmène des recherches sur ladépossession et la ségrégation despeuples indigènes d’Argentine.Cet article est paru dans la RevistaMu, n° 54, mai 2012.http://darioaranda.wordpress.comTraduction libre de la rédaction.

Scène de la vie quotidienne chez les Wichí. Une femme bat les fibres de cactus pour fabriquer de la ficelle. © Jonathan Mazower/Survival

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seulement. L’article dit que « Buzzi areconnu qu’il y a de fortes chancespour que, sur la terre disponible dansla province, ou sur certains lots, sedéroule une expérience de colonisationavec des enfants de producteurs deFormosa mais aussi avec des enfants deproducteurs ne venant pas deFormosa, afin de leur donner à euxaussi la possibilité de venir travaillerdans les champs, à Formosa ». Buzzi yest également directement cité : « Laprovince a décidé d’ouvrir ses portes.Pour nous, cette réunion a donc étépositive (…) Cette province a encoredes terres » souligna-t-il.

Margarita Parada a 25 ans. Elle faitpartie de Aprobae et est, elle aussi,lésée par la construction de la route etla dégradation de Bañado la Estrella.Elle vit dans les environs de Gualcazar,au nord-ouest de la province, à 200kilomètres de la route 28 mais ellesouffre tout autant de la dégradationde Bañado la Estrella. Leurs champsn’ont pas été inondés, au contraire : onleur a coupé l’eau. Et tout s’enchaîne :manque d’eau, moins de pâture, lesanimaux ont faim, les bourses sontvides.

« Je suis révoltée de voir (Eduardo)Buzzi avec Insfrán. Ils nous ontannoncé, avec le sourire, qu’ils allaientfaire venir les enfants de fermiers dePampa Húmeda. Et nous ? Nouspartons pour Pampa Húmeda ? »,s’écrie-t-elle en colère.

Le profil de production de laprovince est clair. Il est décrit dans undocument public de 250 pages quis’appelle « Formosa 2015 ». On ytrouve tous les détails concernant lestravaux d’infrastructure (tels que laroute-digue) et l’avancéeprépondérante du modèle agricole. Leréseau agro-forestier Chaco Argentine(Red Agroforestal Chaco Argentina),un collectif composé d’ONG et detechniciens de la région, explique dansson « dossier informatif 2012 » : « LePlan Formosa 2015 aspire à fairepasser la superficie agricole dans laprovince à 500 000 hectares,augmentant ainsi de 2,5 fois lasuperficie productive actuelle. Aveccela, seul 1 % des forêts de la région a

été déclaré comme zone protégée(selon l’Ordonnance territoriale dansle cadre de la Loi nationale relativeaux forêts) ».

D’après le dernier relevé des conflitsde la REDAF, 40 conflits liés à la terreet à l’environnement sont actuellementen cours à Formosa. Ils touchent565 000 personnes et 3,4 millionsd’hectares.

Soixante-trois ans plus tardLe massacre de Rincón Bomba a eu

lieu en 1947, sous le premiergouvernement de Juan DomingoPerón. Ce fut une des histoiresoccultées de la répression argentine.Le 10 octobre, la gendarmerienationale avance, mitraillettes et fusilsau poing, contre le peuple pilagá.L’histoire officielle dit que cet« affrontement » découla d’uneattaque des Indiens. Pas un seulgendarme ne fut blessé mais, durantdes décennies, la version militaire nefut jamais remise en doute. Et lagendarmerie s’appropria le territoirepilagá.

En avril 2010, des familles pilagá detrois communautés décidèrent deretourner sur leur territoire de 547hectares. La Fédération Pilagá,constituée de vingt communautés,c’est-à-dire environ 3 000 personnes,soutint politiquement cetterepossession territoriale.

Le tronc du quebracho mesure unmètre de haut. Il est au bord de laroute et à un mètre d’une clôture. Surl’un de ses flancs, il y a une plaque enbronze : « Ici ont été assassinés lesfrères Kolymaina, Nero’n, Tengon,Sanat, Añsolé, Karona, Pocasale,Tagesena et beaucoup d’autres ». Il setrouve sur la route 28, à 200 mètres del’entrée de Las Lomitas.

À cinq mètres de la plaquecommémorative de ce massacre, lagendarmerie a répliqué avec sonpanneau aux lettres blanches.« Gendarmerie nationale. Propriétéprivée. Entrée interdite ».

Mais les communautés pilagá sontentrées malgré tout. Et elles ontréoccupé leur territoire. Elles se sontassises, ont tenu bon contre les

tentatives d’expulsion et ont contestéavec un autre panneau de deux mètresde haut sur un mètre de large, taillédans du caroubier et dont les belleslettres blanches disaient : « Article 75,paragraphe 17, Constitution nationale.La préexistence ethnique et culturelledes peuples indigènes est reconnue ».

Sur le territoire reconquis, àl’endroit même où a eut lieu lemassacre de 1947, sous quelques vieuxarbres, la Fédération Pilagá se réunit.Saturnino Miranda est président de laFédération. 49 ans, de la communautédu kilomètre 14, jean, chemise rouge àpetits carreaux, casquette à visière.« Notre peuple a beaucoup depatience, nous ne bloquons pas lesroutes. Nous faisons preuve depatience depuis 1492, mais l’Etat doitnous écouter. Nous ne lui demandonspas l’aumône, mais seulement qu’ilrespecte la loi. Nos ancêtres ont vécuici, cette terre n’appartient ni auxcompagnies d’élevage ni à lagendarmerie. Elle est au peuplepilagá ».

La parole circule parmi lesreprésentants des différentescommunautés. Les méthodes de luttepeuvent être différentes entre lesPilagá et les Wichí mais la situation etleurs revendications sont les mêmes :santé, éducation, soutien à des projetsde production, fin des politiciens, stopà la répression policière et bien sûr,territoire.

Un aîné, dos voûté, très mince,1m60, la barbe brouillon, mouvementslents. Il paraît faible. C’est unsurvivant du massacre de 1947. PedroPalaveccino parle à moitié en pilagá età moitié en espagnol. Tout le mondese tait, mais on l’entend à peine. Il sesouvient des « frères » tombés à sescôtés, en sang, blessés par des balles. Ila déjà raconté maintes fois cettehistoire mais elle est toujours aussiémouvante. Et, tout à coup, il fait unsaut dans le temps pour en arriver à cejour : « Ils ne nous pardonnent pasd’être les ancêtres de l’Argentine. Il y alà une énorme pauvreté. Notre terre,nous devons la récupérer ». n

Rodríguez renouvelle sesremerciements et demande une prièrede clôture. Le pasteur prend la parole.Trente secondes, quatre mentions du« Seigneur ». Il prie pour un bonretour des participants chez eux, pourque « leur famille et eux » soient enbonne santé et, loin des curéscatholiques politiquement corrects, ilsurprend l’assemblée par son messagepolitico-religieux : « Que chacun sacheque Dieu est le chef des chefs. Et quenous ne voulons pas être les esclavesdes gouverneurs ».

Le modèle de FormosaLa route provinciale 28 ferait pâlir

d’envie tout automobiliste de lacapitale fédérale. Son état est, sansaucun doute, meilleur que celui den’importe quelle autoroute privatisée.Son problème : elle fut pensée (etconstruite) pour remplir une doublefonction – route et digue.

Avec une élévation variant de 75centimètres à cinq mètres, elle sert demur de barrage et a radicalementmodifié le fonctionnement du BañadoLa Estrella, une zone humide de400 000 hectares habitée par leurspropriétaires ancestraux : descommunautés indigènes et créoles.

« À certaines périodes, le Bañadoétait rempli d’eau, à d’autres, l’eau se

retirait. Les animaux avaient alors dequoi se nourrir et nous pouvionsmême semer. Aujourd’hui, ce n’estplus une zone humide, c’est un lac de30 kilomètres de long sur 20 de large »situé à flanc de route avec vuepanoramique sur la zone inondée,dénonce l’Association des producteursde Bañado la Estrella (Aprobae).

La camionnette avance sur la route,cap vers le nord. À chaque kilomètre,les contrastes sont plus forts. À droite,le paysage typique du Chaco semi-aride : terre, végétation basse,quebrachos, caroubiers et gaïacs. Àgauche, un terrain inondé, des plantesaquatiques et des arbres morts,debout, noyés par la dégradation de lazone humide. La route-digue remplitbien sa fonction. Sur les bas-côtés, despelles mécaniques travaillent encore.Elles mettent au point des vannes quilaissent passer le liquide vital vers l’estde la province, auparavant oublié,mais maintenant d’un certain intérêtpour les colons.

Ramón Verón, 57 ans, un hommegrand et corpulent, porte des lunettesaux verres épais, un pull brun et unchapeau aux bords larges attaché aumenton. C’est un créole typique,éleveur de bétail et président deAprobae. Mille familles ont étéaffectées par la dégradation de la zone

humide. Il explique que lesconséquences économiques sont« angoissantes », plus de 40 000 bovinsperdus, mais sa plus grande peine estque les jeunes commencent à s’en allerpour la ville, ce qui est une façonsubtile de déloger les paysans : créerles conditions pour que les nouvellesgénérations délaissent les champs.

« Ici, vous constatez clairement lesexcès du soja. Ceux qui viennent icidepuis Córdoba, Santa Fe et BuenosAires sont ceux qui ont de l’argent. Ilsont planté du soja dans leurs champset font venir les élevages par ici, ilsveulent nous faire fuir, nous qui avonstoujours vécu ici. C’est injuste. »déclare-t-il.

Pablo Chianetta milite àl’Association pour la promotion de laculture et le développement (APCD).Depuis 25 ans il accompagne dansleurs luttes les communautés indigèneset les familles créoles. « Personne n’estcontre les travaux, mais ce que legouvernement met en route estclairement l’exode des populationsindigènes et paysannes afin de céderleurs territoires à d’autres, plusparticulièrement à ceux qui font del’élevage intensif. Avec cette route, ilsont inondé ceux qui ont toujours vécusur ces terres et ont rendu attractivesd’autres régions (il regarde vers l’est)qui disposeront dorénavant de l’eau,de routes et de ‘beaucoup de facilités’pour raser les forêts et installer lebétail » explique le plan global deFormosa. Pour Chianetta, il est clairque Insfrán [le gouverneur de laprovince de Formosa] favorise lemodèle agro-industriel (déforestation,élevage et agriculture intensive,expulsion de la population ancestrale).

La répartitionLe 31 mars dernier, dans le

supplément « Campo » du quotidienLa Nación, la stratégie était expliquée.L’article s’intitule « Plan decolonisation à Formosa » et est illustréde la photo d’Insfrán aux côtésd’Eduardo Buzzi, président de laFédération agraire. L’article souligneque la stratégie bénéficiera aux enfantsde producteurs locaux, mais pas

Le pasteur Francisco Lopez : ‘Nous ne voulons pas être les esclaves des gouverneurs’. © Marcos Villa

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sont confrontées à des menacesnouvelles et sans précédent sur leurmode de vie.

Lorsqu’il sera achevé l’an prochain,ce barrage, qui sera le plus hautd’Afrique, interrompra le cycle natureldes crues dont dépendent tant detribus et aura des conséquencescatastrophiques sur leurs moyens desubsistance.

Le barrage fait partie intégranted’un projet gouvernemental visant àcéder des pans gigantesques de terresindigènes à l’Etat et aux entreprisesprivées, y compris à des investisseursinternationaux d’Europe et d’Asie,pour y pratiquer une agriculture àgrande échelle du coton ainsi que dela canne à sucre, du palmier à huile etdu jatropha utilisés dans la productiond’agrocarburants. Le barrage réguleral’écoulement de l’Omo et mettra unterme au cycle naturel des crues, les

canaux d’irrigation fournissant enpermanence de l’eau à ces plantations.

Au cours d’un séjour récent chez lescommunautés riveraines, j’ai réalisécombien l’impact sur les célèbrestribus de la basse vallée de l’Omoallait être catastrophique. J’ai recueilli

de nombreux témoignages qui, sansexception, dénoncent ungouvernement autocratique quirecourt à la peur, à l’intimidation et àla brutalité pour réprimer toutecontestation. Toutes les organisationscommunautaires ont été démanteléeset personne n’ose parler ouvertement.

Les communautés indigènes n’ontpas été consultées et aucune démarchen’a été entreprise afin d’obtenir leur

consentement libre et éclairé sur lebarrage ou les projets de plantations àgrande échelle. Aucune étudeindépendante n’a été menée sur lesimpacts sociaux et environnementauxdu barrage ou des plantations sur lescommunautés et la biodiversité.

Même les fonctionnaires locaux quej’ai pu rencontrer m’ont fait part deleurs inquiétudes. L’un deux aprévenu : ‘L’avenir de la région estcompromis. Si le gouvernement commence àcéder la terre à des investisseurs, il y aura degraves conflits’.

Pendant plusieurs jours, une armadade bulldozers géants conduits par desouvriers des hautes terres et protégéspar l’armée, ont rasé les prairies et lesarbres des berges de la rivière afin depréparer la terre pour les plantations.

Toute opposition est muselée avecbrutalité. Des dizaines de Bodi, deMursi et de Suri ont été arrêtés et sont

Un membre de la tribu karo devant l’Omo © Eric LafforgueLes tribus de la vallée del’Omo souffrent de la perteprogressive d’accès à leursterres depuis desgénérations. Déjà, dans lesannées 1960 et 1970, lacréation de deux parcsnationaux les privaient desressources essentielles àleur survie. Maisaujourd’hui, la constructiond’un gigantesque barragehydroélectrique va gravementaffecter les tribusriveraines de l’Omo quidépendent étroitement descrues naturelles de larivière pour assurer leursurvie.

RRéécciitt ddee EElliizzaabbeetthh HHuunntteerr,,cchhaarrggééee ddee ccaammppaaggnnee ààSSuurrvviivvaall IInntteerrnnaattiioonnaall..

Depuis des milliersd’années, des peuplesagro-pastoraux viventavec leur bétail le longde la rivière Omo au

sud-ouest de l’Ethiopie. L’Omo prend sa source dans les

régions montagneuses au sud-ouestd’Addis-Abeba, s’écoule à travers leplateau éthiopien, l’un des paysages lesplus spectaculaires d’Afrique et se jettedans le lac Turkana au Kenya. Dansun environnement hostile et isolé dehauts plateaux, de marais et de savane,il est une planche de salut vitale pourles humains et la biodiversité.

Selon l’Unesco, la basse vallée del’Omo, inscrite au patrimoine mondialde l’humanité, ‘ne ressemble à aucun autrelieu au monde du fait de la diversité extrême

des hommes qui l’ont habitée au cours denombreux millénaires’.

La crue annuelle de l’Omo alimentela riche biodiversité de la région etgarantit la sécurité alimentaire desriverains lorsque les précipitations sontrares. En utilisant le limon déposé surles berges de la rivière par le lentretrait des eaux, les tribus comme lesMursi pratiquent une agriculturevivrière : sorgho, haricot, maïs. Sur lesterres des Daasanach, la rivière inondeses berges en août et recouvre delarges zones de prairies qui, lorsque leseaux se retirent, deviennent despâturages pour le bétail lors de lasaison sèche.

Cependant, avec le barrage Gibe IIIen construction à 200 km en amont dela rivière, les tribus de la basse vallée

En Ethiopie, un barragegéant menace les tribus de lavallée de l’Omo

‘Nous sommes prêts àmourir pour notre terre’Des pasteurs de la vallée de l’Omo

Jeunes-filles nyangatom, vallée de l’Omo, mai 2011. © Zabou Breitman

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sur la distribution et l’échange debétail. Le mariage (impensable sansbétail), les relations de parenté, lepartage et la coopération, ainsi que lasocialisation des jeunes hommes,reposent sur l’élevage du bétail.Supprimez le bétail et vous supprimeztoute raison de vivre. Legouvernement n’a nul besoin de tuerou d’emprisonner des gens – il n’aqu’à tout simplement supprimer leurbétail pour détruire leur identité, leurcohésion sociale et leur indépendance.

A tout cela s’ajoute un racismetenace à peine déguisé et un méprisabsolu pour le mode de vie pastoral.L’an dernier, dans un discoursprononcé à l’occasion de la Journéeannuelle du pastoralisme, le présidentMeles a déclaré : ‘Si cette région est connuepour son arriération par rapport à lacivilisation, elle est amenée à devenir unexemple de développement rapide’.

Mais le développement pour qui età quel prix? L’ironie amère, c’est quecertains des peuples les plus auto-suffisants et indépendants dans un

pays confronté à l’insécuritéalimentaire vont tomber dans ledénuement le plus complet. Il n’y aurapas de crue cette année parce que leréservoir du barrage commence à seremplir et les tribus ont été informéesqu’elles recevront une aide alimentaire

en compensation.Les organismes de coopération

internationale déversent des milliardsde dollars – l’argent des contribuables– pour soutenir un gouvernement quiest déterminé à détruire des tribusuniques et auto-suffisantes.

Une vieille femme mursi m’asuppliée : ‘Dites à votre gouvernement de nepas donner de l’argent au gouvernement.Faites connaître notre colère au monde et leslarmes que nous versons’.

Survival appelle le gouvernementéthiopien à consulter les tribus sur toutprojet les affectant et à mettre fin auxaccaparements de terres et à lapolitique controversée deréinstallation. n

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encore incarcérés. Au début del’année, trois Bodi au moins ont étéfrappés à mort au cours de leurrétention pour avoir tenté d’empêcherles bulldozers de raser leurs terres. Desfemmes ont été violées par les soldats.

Pourtant beaucoup se rebellent. Unaîné bodi m’a confié : ‘Le gouvernementpeut venir nous découper en rondelles commedes oignons et nous parquer comme desanimaux, mais nous sommes prêts à mourirpour notre terre’.

Parmi les groupes les plus affectés,les Kwegu, une petite tribu dechasseurs-cueilleurs qui dépendentprincipalement de la pêche car ils

n’ont pas de bétail, déplorent : ‘Noussommes contraints de vivre dans le bush carils ont rasé nos maisons. Toute notre terre aété détruite. Le niveau de la rivière baisse.Elle est devenue boueuse et les poissons ontdisparu’.

Le détournement des eaux del’Omo vers un canal qui permettrad’irriguer les plantations pénalisesévèrement les riverains. Les Kwegu selamentent de n’avoir ‘jamais vu la rivièreaussi basse. Habituellement, durant la saisonsèche, comme maintenant, on pouvait traverserla rivière à pied, l’eau atteignant les genoux.Aujourd'hui on peut la traverser sans même semouiller les pieds’.

L’objectif ultime du gouvernementest de refouler les Bodi et les Mursivers les zones de réinstallation. Troisd’entre elles ont déjà été défrichéespour les Bodi et des maisons sont encours de construction. Les Mursi ontété informés qu’ils seront réinstallésd’ici la fin de l’année et qu’ils serontcontraints de céder leur bétail.

Les tribus pastorales de l’Omocomparent souvent leur bétail à uncompte en banque particulièrementutile en période de disette et desécheresse. Le système socio-économique des populations pastoralescomme les Mursi et les Suri est fondé

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Un homme de la tribu hamar se préparant pour une cérémonie de saut de taureau. © Ingetje Tadros

“Je n'ai pas rencontré seulement unetribu aux gestes millénaires chez lesNyangatom, j'ai rencontré mes voisinsde palier, mes cousins, mes frères, mescopines de là-bas, pas ceux d'un livre

d'images, ceux de chair, d'os et de sang. En quittantleurs terres, je croyais qu'ils danseraient encorelongtemps sous les étoiles et pour toujours, là oùils dansent depuis si longtemps. Qu'on les laissedanser sous la lune, eux et les autres tribus, toutesces âmes de la vallée de l'Omo. Ne laissons pasl'Ethiopie les détruire et leur voler leurs terres,leur disparition serait aussi la nôtre, celle del'humanité entière.”

Zabou Breitman

Les trois photos de cette page, ainsi que celle quifigure page 10, ont été prises par l’actrice ZabouBreitman lors du voyage qu’elle a effectué chez lesNyangatom, l’une des tribus de la vallée del’Omo, en mai 2011 dans le cadre de l’émissionde France 2 ‘Rendez-vous en terre inconnue’ deFrédéric Lopez. Elle dit considérer cetteexpérience comme ‘le plus beau souvenir de mavie après la naissance de mes enfants’.

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quatre forces de la nature, il s'élèverade nouveau pour mettre le monde enmouvement, créant une autre guerre,dans laquelle tant le symbole Meha quele symbole du Soleil seront agissants.Puis il retombera pour s'élever unetroisième fois. Notre prophétie préditque le troisième événement seradécisif. Notre plan prédit le résultat.

Cet écrit sacré parle la langue duGrand Esprit. Il pourrait signifier lamystérieuse graine de vie avec deuxprincipes pour demain, indiquant UN,à l'intérieur duquel est DEUX.TROIS, dernier, qu'est-ce qu'ilapportera, purification oudestruction ?

Le troisième événement dépendradu Symbole Rouge, qui prendra lacommande, mettant les quatre forcesde la Nature (Meha) en mouvementpour le bénéfice du Soleil.

Quand il mettra ces forces enmouvement, le monde entiertremblera et deviendra rouge et setournera contre les gens qui tentent dedétruire la culture hopi. Pour tous cesgens le jour de la Purification sera

venu. Les humbles accourront vers leSymbole Rouge en quête d'unnouveau monde et d'une égalité quileur a été déniée. Il sera sans merci.Ses gens couvriront la terre commedes fourmis. Nous ne devrons passortir pour regarder. Nous devronsrester dans nos maisons. Il viendra etrassemblera les mauvaises gens quiharcèlent les hommes rouges quiétaient là en premier. Il chercheraquelqu'un qu'il reconnaîtra à sonmode de vie, sa tête (la coiffurespéciale hopi), ou par la forme de sonvillage et de sa maison. C'est le seulqui nous purifiera.

Le Purificateur, commandé par leSymbole Rouge, avec l'aide du Soleilet de Meha, déracinera les mauvaisesgens qui ont perturbé le mode de viedes Hopi, la vraie manière de vivre surla Terre. Les mauvaises gens serontdécapités et ne parleront plus. Ce serala Purification pour les bonnes gens, laTerre, et toutes les choses vivantes surla terre. Les maux de la terre serontsoignés.

Notre Mère la Terre fleurira denouveau et tous les peuples s'unirontdans la paix et l'harmonie pourlongtemps.

Mais si cela ne se produit pas,l'identité traditionnelle hopi disparaîtraen raison de la pression des Bahanna. Atravers l'influence de l'homme blanc,de sa religion, et du fait de ladisparition de notre terre sacrée, lesHopi seront condamnés. Ceci est leplan universel, parlant à travers leGrand Esprit depuis l'aube du temps...

Les Hopi ont été placés sur ce côtéde la Terre pour prendre soin d'elle àtravers leurs obligations cérémonielles,tout comme d'autres races de gens ontété placés ailleurs autour de la Terrepour en prendre soin à leur manière.Ensemble, nous maintenons le mondeen équilibre, tournant comme il faut.Si la nation hopi disparaît, lemouvement de la terre deviendraexcentrique, l'eau avalera la terre et lesgens périront. Seuls un frère et unesœur survivront pour commencer unenouvelle vie. n

Femme hopi coiffant une jeune fille. © Henry Peabody, 1900. Courtesy National Archives and Record Administration, Washington DC.

Le temps passa, les genspassèrent, et lesprophéties annonçant leschoses à venir passaientde bouche en bouche.

Les tablettes de pierre et lesinscriptions rupestres portant le plande la vie étaient souvent réexaminéespar les aînés. Craintivement ilsattendaient en redisant les prophétiesqui annonçaient l'arrivée d'unenouvelle race de gens quiréclameraient notre terre etessaieraient de changer notre manièrede vivre. Ils useraient de “motssucrés”, ils auraient une “languefourchue” et apporteraient beaucoupde bonnes choses par lesquelles nousserions tentés. Ils utiliseraient la forcepour nous faire tomber dans le piègede prendre les armes mais nous nedevrions pas tomber dans ce piège,sous peine d'être mis à genoux et de neplus pouvoir nous relever. Pas plus quenous ne devons lever la main suraucune nation. Nous appelonsmaintenant ces gens Bahanna.

Les forces de purificationNous avons des enseignements et

des prophéties qui nous informent quenous devons être attentifs aux signes etaux présages qui surgiront pour nousdonner le courage et la force de noustenir à nos croyances. Le sang coulera.Nos cheveux et nos vêtements serontrépandus sur la terre. La Nature nousparlera par le souffle puissant du vent.Il y aura des tremblements de terre et

des inondations causant de grandsdésastres, des changements dans lessaisons et dans le temps; des espècessauvages disparaîtront, la faminesévira sous différentes formes. Il y auracorruption graduelle et confusionparmi les dirigeants partout dans lemonde, et des guerres éclaterontcomme des vents puissants. Tout ceci aété planifié depuis le début de lacréation.

Trois sortes de gens se tiendrontderrière nous, prêts à accomplir nosprophéties quand nous noustrouverons dans des difficultés sansespoir : ceux du symbole Meha (quiréfère à une plante à longue racine, àsève laiteuse, qui repousse quand on lacoupe, et dont la fleur a la forme d'uneswastika, symbolisant les quatregrandes forces de la nature enmouvement); ceux du symbole duSoleil; et ceux du symbole Rouge.

L'intrusion des Bahanna dans lemode de vie des Hopi mettra lesymbole Meha en mouvement,provoquant certaines personnes àtravailler pour les quatre grandesforces de la nature (les quatredirections, les forces naturelles quicontrôlent tout) qui jetteront le mondedans la guerre. Quand cela seproduira, nous saurons que nosprophéties seront en train de seréaliser. Nous rassemblerons nos forceset nous tiendrons bon.

Ce grand mouvement retombera,mais parce que sa subsistance est lelait, et parce qu'il est contrôlé par les

Dan Katchongva (1865-1972), Indien hopi, étaitle dernier chef du clan duSoleil. Les Hopi (le‘peuple paisible’) viventdans le nord-est del’Arizona. Texte extraitde : From the Beginning ofLife to the Day ofPurification. Teachings,History & Propheties ofthe Hopi People as Told bythe Late Dan Katchongva,Sun Clan (Ca 1865-1972).Publié par le Committeefor Traditional IndianLand & Life (Los Angeles,California, P.O. Box74151, Los Angeles, CA90004, USA, 1972).Traduction française deJean Monod.

ppaarr DDaann KKaattcchhoonnggvvaa

Prophétie hopiL’arrivée d’une nouvelle race

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Livres et revuesUpdate n° 101, juillet 2012, Docip,Genève. ‘Mécanisme d’experts sur lesdroits des peuples autochtones, 4esession, 2011’.

Solidarité Guatemala, numérospécial 200, sept-oct. 2012 ‘Histoiredu Collectif Guatemala et de sontravail d’information’. Supplémentcampagne 2012 : dossier Perenco.

Journal de la Société desAméricanistes, tome 98-1, 2012,Société des Américanistes, Paris.

Down to Earth, InternationalCampaign for Ecological Justice inIndonesia, Cumbria, Royaume-Uni,n° 91-92, mai 2012. ‘Indonesia’sIndigenous Peoples continue thestruggle for recognition’

Recherches amérindiennes auQuébec, vol XL, n° 3, 2010,Montréal, Canada, $22. 40eanniversaire. ‘Les Inuits, les PremièresNations et le développement minier’.Vol XLI, n°1, 2011, ‘Plan Nord,éducation et droit’.

Plan d’action 2010-2014,Programme mondial en faveur del’éducation aux droits de l’homme,

Nations-Unies, Haut Commissariataux droits de l’homme, Genève.

Histoires de voir, catalogue del'exposition ‘Histoires de voir, Showand Tell’ présentée jusqu’au 21octobre 2012 à la Fondation Cartierpour l'art contemporain, à Paris, 240pages, 350 reproductions couleur etnoir et blanc, Paris, 2012. 47€

Conçu dans le prolongement del’exposition, cet ouvrage rassemble lesœuvres et les histoires de plus de 50artistes du monde entier, dontbeaucoup sont autochtones avec destextes de nombreux spécialistes, dontBruce Albert, vice-président deSurvival France.

Sortir de la longue nuit. Indiensd’Amérique latine, de Patrick Bardet Marie-Berthe Ferrer, 208 p.,photos,Ed. Albin Michel, 35 €. Un voyagephotographique et littéraire enAmérique indienne, de la Californieau Chili à la rencontre d’un mondeen résistance depuis plus de cinqsiècles pour ‘sortir de la longue nuit’.

Ces deux ouvrages sont en vente dansnotre boutique en ligne :www.survivalfrance.org/shopping

Les peuples indigènes dans le XXIe siècle

Une nouvelle exposition de Survival

Cette exposition, composéede 12 panneaux verticauxau format 40 x 60 cm a étéconçue pour présenter demanière simple à un publicde tous âges la situationdes peuples indigènesaujourd’hui, les principauxproblèmes auxquels ils sontconfrontés, leurs luttes et lerôle que joue Survival dansle respect et lareconnaissance de leursdroits. Elle est mise àdisposition de toutepersonne, association ouinstitution qui souhaite laprésenter (premièresemaine gratuite, seuls lesfrais de port sont facturés).Informations à :www.survivalfrance.org/edu/expositions)

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