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EHESS Syncrétismes, messianismes, néo-traditionalismes Postface àune étude des mouvements religieux de l'Afrique Noire II.: La Situation Post-Coloniale Author(s): Vittorio Lanternari Source: Archives de sociologie des religions, 11e Année, No. 21 (Jan. - Jun., 1966), pp. 101-110 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30118923 . Accessed: 10/06/2014 07:31 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sociologie des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.190 on Tue, 10 Jun 2014 07:31:18 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Syncrétismes, messianismes, néo-traditionalismes Postface à une étude des mouvements religieux de l'Afrique Noire II.: La Situation Post-Coloniale

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Syncrétismes, messianismes, néo-traditionalismes Postface àune étude des mouvementsreligieux de l'Afrique Noire II.: La Situation Post-ColonialeAuthor(s): Vittorio LanternariSource: Archives de sociologie des religions, 11e Année, No. 21 (Jan. - Jun., 1966), pp. 101-110Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30118923 .

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SYNCRITISMES, MESSIANISMES, N1O-TRADITIONALISMES

Postface a une &tude des mouvements religieux de l'Afrique Noire

II. - LA SITUATION POST-COLONIALE (*)

C oNIDisRs dans leur ensemble, les syncr6tismes, proph6tismes, messianismes et mill6narismes repr6sentent une r6ponse importante des cultures afri-

caines A I'introduction de la civilisation occidentale pendant la phase ultime, et la plus aigue, du colonialisme europ~en. Sans doute, la conquate de l'ind6pen- dance r~sout-elle une partie des problkmes les plus urgents qu'exprimaient les mouvements religieux ayant pr6par6 le processus d'6mancipation. Cependant, d'autres exigences, d'autres facteurs de crise socio-culturelle continuent de faire pression sur les socibtbs ayant acc6d6 depuis peu A l'ind6pendance; nombreuses sont les implications religieuses d'une situation sociale et culturelle A l'6quilibre encore mal assur6.

Les syncr6tismes nbs pendant la p6riode coloniale subsistent, reprennent et se d6veloppent, sans renier les aspects religieux traditionnels les plus enracin6s. Tel est, par exemple, le cas de l'un des mouvements les plus r6cenits nds sous un r6gime d'ind6pendance, le mouvement de la Legio Mariae. Cette secte s~paratiste d'origine catholique, fond6e chez les Luo du Kenya en d6cembre 1963, compte actuellement plus de 60.000 membres (1). Pour la premiere fois dans l'histoire religieuse du Kenya une secte issue du catholicisme vient s'ajouter aux nom- breuses sectes d'origine protestante qui ont vu le jour pendant la p~riode colo- niale. A l'occasion d'un jugement rendu A propos d'une r6union <illhgale organis~e par la secte, le magistrat local J. Abraham d~clarait que < la Legio

(*) La preminre partie de cette etude a paru avec une importante bibliographie dans Arch., 19, janvier-juin 1965, p. 99-116.

(1) Ces donn~es sont tirbes du Reporter de Nairobi du 17 juillet 1964. Je remercie le R. P. Bernardi d'avoir attire mon attention sur ce mouvement religieux et de m'avoir procure les documents qui le concernent.

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Mariae est un ramassis de paiens et de catholiques ren~gats et h6r6tiques, pratiquant une parodie du christianisme et du catholicisme ,. Toute r6union publique 6tant interdite au Kenya 9 l'6poque oi naquit la secte, celle-ci rencon- trait une opposition imm6diate de la part des Eglises officielles.

Du fondateur de la Legio Mariae, Simbon Ondeto, de la tribu Luo, nous savons que trois traits caract~ristiques - le b~gaiement, un tic nerveux et un penchant prononc pour les visions - lui assurent de la part des indig~nes un respect quasi-sacr6, justifi6 du reste par sa grande sagesse. Aprbs que le gouverne- ment local eut aboli le d~cret interdisant les reunions publiques, la direction de la secte passa entre les mains d'une jeune femme, Gaudencia Aoko, 6galement de la tribu Luo. Celle-ci avait adh6r6 au mouvement a la suite de la mort de ses deux enfants, survenu accidentellement et myst6rieusement le m~me jour. S'Mlevant contre la rumeur publique qui attribuait it la sorcellerie sa double perte, Gau- dencia commenya de prcher contre ]es sorciers, les discr6ditant et d6nongant leur mauvaise foi, montrant comment ils extorquaient de l'argent aux cr6dules sans poss6der le moindre don surnaturel. Ainsi d6buta une v6ritable campagne dirig6e contre la sorcellerie et le f6tichisme. Des milliers de personnes r~unies autour de Gaudencia se lib~raient, grice i sa parole, de la peur entretenue par les pratiques magiques et de sorcellerie, de la crainte la plus 6l6mentaire et la plus r6pandue dans les cultures n6gro-africaines. Magiciens et sorciers, traduits en sa presence, voyaient leur attirail traditionnel - courges magiques, ossements, coquillages - d6truit publiquement. Gaudencia se substituait aux sorciers tradi- tionnels en qualit6 de gubrisseuse inspir6e et envoybe par Dieu pour chasser les esprits et les demons (sepe) responsables des maladies et de la mort. La technique de gu6rison de Gaudencia se fonde sur I'abolition des amulettes et des f6tiches et sur la foi en son propre pouvoir en tant qu'envoy~e de Dieu. Habill6e d'une longue chemise blanche, un crucifix it la main et un chapelet autour du cou, la proph~tesse secoue les malades, noue son chapelet autour de leur cou, r~cite des priires et des chants jusqu'i provoquer l'6tat de transe. Le syncr6tisme 6vident du culte et des croyances s'accompagne d'un 6l6ment nouveau - la gratuit6 des pratiques de gubrison - qui favorise l'adh~sion des indighnes i la nouvelle reli- gion. Dans ce domaine, les attaques de Gaudencia ne visent pas seulement les sorciers traditionnels, mais sont dirigbes 6galement contre les missionnaires et d~noncent l'Eglise catholique, qui ( exige des tributs du peuple pour ses rites et bapt~mes le.

<Je crois, ajoute la proph6tesse, que personne n'a le droit d'exiger une r6tribution pour des dons accord6s par Dieu... Nos gens sont si pauvres qu'ils ne peuvent pas d6penser de I'argent pour se lib6rer des d~mons e. La nouvelle religion d6couvre de la sorte son caractire autonomiste. Gaudencia declare, entre autre : ( Nous recevons la cl6 du Ciel de Jbsus et non pas de Rome >. En revanche, la secte emprunte ia l'enseignement des missionnaires l'abolition des boissons alcoolis6es.

Le mouvement s'est r~pandu rapidement dans la r~gion de Nyanza, oh de nombreux catholiques ont quitt6 les missions pour le rejoindre. Tandis que les missionnaires ne cachaient pas leur hostilit6 envers la Legio Mariae, le gouver- nement, aprbs une p~riode d'h~sitation, adoptait en definitive une attitude favo- rable it la secte. Le chef du gouvernement, Jomo Kenyatta, et le ministre de l'int6rieur Odinga font I'objet d'une v6n6ration quasi-religieuse a I'int6rieur du mouvement. Bien qu'elle se d6clare libre de toute attache politique, la Legio Mariae est en rbalit6 affilibe i la Kenya African National Union (K.A.N.U.); I'adh6sion au mouvement 6tait, it l'origine, subordonnde it l'inscription it cet organisme. Cette entente implicite ou explicite avec les autorit~s locales conf~re

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& la secte - qui est autonomiste par rapport aux Eglises occidentales -, un caractbre largement syncr~tique et accommodant, exempt de toute violence.

L'organisation de la Legio Mariae, d'origine irlandaise, avait 6t6 introduite au Kenya en 1936 par Edel Quinn, une d6l1gude irlandaise qui mourut i Nairobi apr~s huit ans d'apostolat (2). La diffusion des pratiques de devotion et le pro- sblytisme 6taient alors essentiellement confihs aux laics, sous le contr61e des missionnaires catholiques. La scission i l'intirieur du mouvement s'est produite & une 6poque oi les indighnes adhdrant a l'organisation catholique se sont trouv6s privds, par une circonstance fortuite, du contr6le des missionnaires. Ainsi est n6 le mouvement s6paratiste indigene, & caractbre syncr~tique et autonomiste.

Tout r~cemment, la Legio Mariae s'est faite la promotrice d'un mouvement qui se propose d'unifier toutes les Eglises indigines du Kenya. Ce mouvement autonomiste repr~sente une alternative menagante aussi bien par rapport t

l'Eglise catholique (environ un million de convertis) que par rapport aux Eglises protestantes (environ 350.000 membres), c'est-i-dire surtout les Eglises ind6- pendantes Kikuyu, telles l'African Orthodox Church, la Coptic Orthodox Church et le mouvement Dini ya Israel (2 bis). Avant I'apparition de la Legio Mariae, une autre tentative d'unification des Eglises indigines du Kenya avait 6td faite par la Eastern Orthodox Churches and Coptic Communion. Par la suite, la Legio Mariae s'est int~gr6e i cet organisme, de mbme que le mouvement Dini ya Israel. Actuellement les repr6sentants des trois mouvements envisagent d'annexer 6galement la < religion des esprits > (Dini ya Msambwa), rdpandue dans le district de Suk. Interdit en 1948, ce dernier mouvement a 6td r~cemment reconnu par le gouvernement. I1 s'agit d'une secte i caractbre messianique, proche de la secte arathi (< des sages > ou < des prophites s, 1930-1939), et de la secte Andu a Ruri, fondle par Reuben Kahilo tout de suite apris la derniire guerre (3). Le mouve- ment Dini ya Msambwa entre dans la catdgorie des sectes millhnaristes de l'6poque coloniale. Il est intdressant de noter que le mouvement unitaire dont il est question ici a un caractbre panafricaniste et qu'il repr6sente, de ce fait, une transformation de l'orientation autonomiste et nationaliste qui 6tait jadis celle de la Legio Mariae.

Comme les autres religions issues du contact avec les Blancs, la Legio Mariae du Kenya est une religion a pour les Africains >. Bien qu'elle soit n6e sous un regime de

pr6-ind(pendance et se soit d6veloppde en pleine inddpendance, elle n'en garde

pas moins des caract&res propres aux mouvements syncritiques de l'6poque coloniale. Au christianisme la Legio Mariae emprunte la notion fondamentale d'un Dieu sauveur, l'emploi du crucifix, du chapelet, la coutume des rbunions liturgiques et de pribre. Cependant, le catholicisme est ici r~interpr~t6 et remodel6. Dieu est invoqub directement, sans l'interm6diaire des missionnaires ni de pr~tres 6trangers. De son c6td, l'ancien culte de gu~rison, r(nov6 dans ses formes et dans son contenu th~ologique, acquiert une nouvelle valeur. En effet, l'essor de la nouvelle religion, ainsi que son evolution r~cente, sont 6troitement lids aux pratiques de gubrison mises en oeuvre par la proph6tesse et i la quote de la sante de la part de populations constamment menacies par les maladies. II s'agit done

(2) Legio Mariae, bditb par le Centre romain de la Legio Mariae, Rome, 1955. (2 bis) Mouvement it caractbre ( salutiste e, tris proche de l'Armbe du Salut, dont le rituel

comporte des marches et des hymnes rythmbes par des tambours. Les hommes portent un long manteau blanc, les femmes une coiffe blanche.

(8) M. GICARU, Land of sunshine. Scenes of life in Kenya before Mau Mau, Londres, 1958, p. 109. F.B. WELBOURN, East African Rebels. A study of some independent Churches, Londres, 1961, p. 182, 140-1, 167.

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d'un christianisme r6interpr~t6 en fonction d'une soci~t6 caract~ris~e par une existence pr~caire et trbs attach6e de ce fait & un certain nombre de traditions irremplagables. D'autre part, la nouvelle religion revgt 6galement des caractbres de type protestant. Elle d6nonce, en particulier, les tributs en argent demand6s par les missions, refuse l'intercession sacerdotale et la centralisation romaine catholique.

Cet exemple montre comment les syncr6tismes se d6veloppent et se renou- vellent pendant l'6poque post-coloniale. De leur c6t6, les proph6tismes continuent de prosp~rer tout en changeant d'orientation: d'innovateurs et progressistes qu'ils 6taient, ils tendent le plus souvent & devenir conservateurs et mison~istes. Le dualisme religieux, enfin, subsiste et se d6veloppe dans les combinaisons les plus varibes (4). Les individus et les groupes a christianis6s a n'h6sitent pas & recourir au fdticheur pour soigner certaines maladies, quand ils I'estiment n~cessaire.

Un autre mouvement socio-religieux qui nous semble illustrer assez bien le climat post-colonial propre a certaines nations africaines, est celui de l'Eglise matsuiste de Kinzonzi, dans le Congo ex-frangais. Cette Eglise poursuit contre le gouvernement indigene la mgme politique de gr~ves d6j& adopt6e contre le gou- vernement colonial frangais, tout comme si l'ind6pendance n'6tait pas un fait acquis. Ses fiddles se refusent & 6tre recens6s, & payer les imp6ts, & p6n~trer dans les h6pitaux. Le gouvernement congolais s'est trouv6 dans l'obligation de prendre contre les <trebelles a les m~mes mesures coercitives appliqu6es jadis par le gouvernement colonial aux disciples de Matsua (5). C'est l un exemple de r~sistance socio-culturelle contre le processus d'occidentalisation promu par les dirigeants indig~nes, a occidentalis6s & leur tour.

La resistance devient rbbellion violente dans les 6v~nements qui ont eu r~cemment pour protagoniste la secte Lumpa, d'Alice Lenshina, en Rhoddsie du Nord. En 1959, Andr6 R6tif (6) affirmait que l'Eglise Lumpa 6tait en r~gression, aprbs cinq ans d'existence. Mais en 1961 R. Rotberg (7) y voyait une menace s6rieuse pour les gouvernements locaux ainsi que pour l'administration centrale. Il d~finissait la secte Lumpa comme un important centre d'attraction pour les indighnes contre le prosblytisme missionnaire et comme une puissante organisation religieuse.

Alice Lenshina Mulenga, de la tribu Bemba, femme d'un fonctionnaire de la mission presbytbrienne, avait quitt6 la mission en 1953, & la suite d'une maladie au cours de laquelle elle aurait requ en 6tat de transe la vision de Dieu et de ses anges. Ayant annonc6 par la suite qu'elle 6tait morte et ressuscit~e, Alice Lenshina commenga, en tant qu'6missaire et interprdte de Dieu, & precher une religion nouvelle et h baptiser a les foules qui des r6gions avoisinantes se rendaient en phlerinage au village de Kasomo (district de Chinsali), devenu la d nouvelle J6rusalem ,)> et le centre de la secte. Avec son mari, Pierre Chitankwa, Alice dota cette dernibre d'une organisation comprenant des disciples, des diacres

(4) Par exemple dans le mouvement Jamaa du Katanga. Cf. T. THEUWS, ( Le mouvement Jamaa au Katanga s, Rythmes du Monde, 34, 1960, 8-4, 201-12.

(5) R. BASTIDE, < Messianisme et d~veloppement 6conomique et social s, Cahiers Intern. de Sociologie, 31, 1961, p. 8.

(6) A. RrTIF, * Pullulement des 6glises nlgres ,, Etudes, sept. 1959, 186-95. Le terme lumpa peut signifier: ( qui va loin *, (< l'excellent s, < qui sauve ,. Cf. J.V. TAYLOR-D. LEHMANN, Chris- tians of the Copperbelt. The growth of the Church in Northern Rhodesia, Londres, 1961, p. 253.

(7) R. ROTBERG, < Religious nationalism: the Lenshina movement of northern Rhodesia s, Human Problems, 29, juin 1961, 63-78.

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et un clerg~. Le mouvement gagna bient6t le Tanganyika et le Nyassaland. Il pr~echait le renouveau de la religion traditionnelle, l'abolition des amulettes, des f~tiches et des pratiques de magie, leur substitution par le bapttme et la confes- sion, la d6fense morale de commettre l'adult~re, de voler, de mentir, de hair. Dans ses sermons, Alice Lenshina se r6f6rait l des passages d'une Bible nouvelle, dont elle aurait requ la rbvblation de Dieu lui-m~me, la Bible des Blancs n'ayant aucune valeur i ses yeux. Outre que dans la pratique du bapt~me et de la confes- sion, l'aspect ( occidental > de la secte, qui se dit ( chr6tienne >, se manifeste encore dans l'abolition de la polygamie, dans la lutte contre le tabac et l'alcool, dans la suppression des danses primitives du rite nuptial, dans l'appel i la pribre. Tous ces pr6ceptes sont consign~s dans un recueil de <( lois , officielles, impos6es par Alice aux fiddles a chr~tiens e. Le rituel fait une large place au chant choral d'hymnes compos6es par la proph6tesse sur des modules traditionnels; elles sont chanties dans les 6 chapelles > pendant les offices religieux et au cours des pro- cessions. L'attachement i la tradition se manifeste surtout dans l'6l6ment central de la nouvelle religion : l'exp6rience visionnaire et lib~ratrice de la proph6tesse. Enfin, le refus de la Bible des Blancs et l'attitude autonomiste par rapport aux missions affirment son caractbre natif , indigine. En d6pit de l'esprit mod~r6 et nullement anti-europben de la fondatrice et de ses a lois >, le mouvement ne tarda pas, en fait, t assumer une attitude anti-missionnaire, x6nophobe et 6man- cipationiste. L'attente de la liberation du joug colonial pousse les Noirs convertis A quitter en masse les missions protestantes et catholiques pour adherer i la secte Lumpa. Celle-ci est done un mouvement syncr6tiste (8), dirig6 contre la discrimi- nation raciale et riche en ~l6ment de renouveau (antif6tichisme, antisorcellerie) A caractire manifestement millhnariste. Preserves de tout mal grace au bapt~me et a la confession, les adeptes d'Alice Lenshina attendent le jour imminent du jugement. A noter que, contrairement i beaucoup d'autres religions nouvelles africaines, la proph~tesse ne pretend pas gubrir les malades par des rites magiques. Simplement, les fiddles mis en sa presence exp~rimentent i leur tour la m~me , r6g~ndration > dont elle a fait l'objet i l'origine (9).

Les 6v~nements sanglants de l'6t6 1964, allant du massacre de la part des (lumpistes ,> de nombreux Blanes repr~sentants de l'autorit6 locale, et de plu- sieurs Noirs, jusqu'it l'arrestation de Lenshina par les forces de police (10), sont l'aboutissement d'une 6volution de la secte, qui d6jh en 1959 avait donna lieu aux premiers heurts entre des Noirs et la police locale (kapasu). Dis cette 6poque, le contr61e exerec par Alice sur ses fiddles se rivblait insuffisant. Le rapport officiel, r~dig6 par le d6partement de l'information du gouvernement de la Rhod6sie du Nord sur I'6volution de l'Eglise Lumpa, distingue deux phases dans l'histoire des relations entre ce mouvement religieux et les partis politiques 6mancipationistes, et plus sp~cialement I'U.N.I.P. (United National Independent Party). Jusqu'en

(8) D~ji les noms choisis par Alice expriment son programme syncr~tiste. Lenshina est la prononciation indighne du mot latin regina et 6voque la caelestis regina des chr~tiens; Mulenga d~signe l'un des esprits (ngulu) les plus puissants de la religion traditionnelle Bemba. Les deux noms symbolisent done l'ancienne et la nouvelle religion. (TAYLOR-LEHMANN, Op. cit., p. 267). Selon certaines rumeurs, Alice accompliraient 6galement des pratiques divinatoires en inter- pr~tant la volont6 de Dieu d'apris les sons produits en jouant de la flfite. Sur ces rumeurs cf. RATIF, art. cit., p. 190; L. OGER, a Le mouvement Lenshina en Rhod~sie du Nord s, Eglise Vivante, XIV, mars-avril 1962, p. 130.

(9) A. RATIF, art. cit.; H. Ch. CaHRY, < Visage des sectes et motifs de dissidence s, Devant les sectes non chrdtiennes, Louvain, 1961, 28-51 ; R. ROTBERG, art. cit.; L. OGER, art. cit.; TAYLOR- LEHMANN, op. cit., p. 248-68.

(10) Le Missioni cattoliche, 8-9, 1964, p. 354-55.

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1962 - en d6pit des ddclarations d'Alice contre l'action politique et en faveur de la non-violence - I'influence des partis 6mancipationistes sur les membres de la secte fur incontestable. En 1962, alors qu'Alice rentrait & Chinsali aprbs une absence de deux ans passes dans la zone de la Copper-Belt, le nombre de ses adeptes avait beaucoup diminu6. La plupart d'entre eux avaient adh~r6 & l'U.N.I.P. et se trouvaient rattach6s, sur le plan religieux, ?t 1'United Church of Central Africa. L'attitude de la proph6tesse et de la secte A l'6gard du parti nationaliste changea alors complktement. Le mouvement lumpiste adopta une orientation conservatrice et antirivolutionnaire, qui est h l'origine des premiers heurts entre ses membres et les Noirs nationalistes. Alice renouvela avec force son appel i s'abstenir de toute action politique et, lorsqu'en 1963 l'U.N.I.P. pr6parait les elections g6ndrales pr6vues pour janvier 1964, la proph~tesse lutta 6nergiquement contre la propagande visant ? gagner des adherents & ce parti parmi les lumpistes. Elle alla m~me jusqu'& briler publiquement les cartes du parti en possession de ses disciples. L'hostilit6 croissante qui opposait les lum- pistes & I'U.N.I.P. - surtout & partir du moment oh il apparut que ce dernier sortirait vainqueur des 6lections -, poussa les membres de la secte & une r6so- lution extreme. En novembre 1963, sans aucune autorisation du gouvernement local, les lumpistes sortirent de leurs villages pour se regrouper dans des villages s6par6s, officiellement illhgaux. I1 en fut ainsi pour plus de huit mille personnes dans la r6gion de Chinsali, Kasama, Isoka et Lundazi. Cette s~cession ,

des lumpistes aggrava encore leur hostilit6 & l'6gard des autoritis et de la police indigene. Telle 6tait la situation lorsque, le 24 juin 1964, un incident dans la zone de Chinsali marqua le d6but des r6actions et des violences en chaine, qui devaient se prolonger pendant deux mois.

Tels sont les faits relates dans le rapport officiel (11). Sur le plan religieux, les memes motifs dont s'inspirait & ses d~buts le mouvement lumpiste dans sa lutte contre l'oppression coloniale, orientent depuis peu son action dirigde contre le mouvement nationaliste indigene. Cet 6tat de choses semble pouvoir s'expliquer par un fanatisme sectaire qui se veut & tout prix anticonformiste. La rupture avec la soci~t6 environnante serait pour les lumpistes un moyen de s'affirmer en tant que secte d'<< 6lus a, malgrb le caractbre manifestement conservateur et fanatique de cet anticonformisme. Du point de vue socio-religieux, I'int~rat de cette dvolu- tion nous semble surtout resider dans le fait qu'elle montre bien comment un mouvement jadis x~nophobe et nativiste en vient h assumer par la suite une attitude conservatrice, dirig~e contre les forces internes responsables du pro- cessus d'europdanisation et de transformation. L'esprit conservateur de ce mouvement - et d'autres mouvements analogues, qui n'int6ressent, il est vrai, qu'une fraction de la population -, trouve un terrain particuli~rement favorable dans la situation de < vide a social et culturel qui s~pare les elites dirigeantes de la masse rurale des villages, pratiquement non concernbe par le processus de moder- nisation, et cependant pouss~e par le contact avec l'Occident & se couper de la tradition. Un tel foss6 est synonyme de barribre et de tension entre les classes. Face & une 6lite dirigeante ( colonis~e n (12) et (a colonisatrice ,>, la masse rurale exprime son insatisfaction d'une manibre conforme & la tradition, & travers une

pol6mique qui montre combien profonde est l'interp6n~tration des imp6ratifs sociaux et religieux dans les cultures de l'Afrique Noire.

(11) a Official Description of Development of Lumpa Church ,,

East Africa and Rhodesia (Londres), 20 aoit 1964.

(12) Sekou TOURn, a The political leader considered as a representative of a culture a, Prdsence Africaine 24-25, 1959, 112-124.

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De toute evidence, une tension s'installe entre les masses rurales et les villes, entre la culture traditionnelle et les 6lites europbanisdes. Jean Rouch (13) a montr6 pour des cas pr6cis comment les cultures traditionnelles r6interprdtent i leur faon des faits, des institutions, des personnages libs i~ la civilisation s6cularis6e et europ6anis6e des villes. En 1926, les Songhay du Niger ont introduit dans leuar pantheon traditionnel d'esprits, de g6nies, de divinit~s, la nouvelle cat6gorie des Hauka, qui repr6sentent la (< force a de la civilisation occidentale. Elle est constitute de personnages tels que Gomno, le gouverneur 9, ( le g6ndral Malia , ( le roi des juges >,

, le guerrier ,>, le commandant mauvais >, < le caporal de garde >, etc.

Ce processus de mythisation des autoritfs et des personnages de type occidental est trbs r6pandu en Afrique. Les Hauka des Songhay - parmi lesquels figure, depuis 1948, ( le pr6sident de la R~publique a -, ont r~ussi & s'imposer jusqu'au Ghana. Ils offrent aux Songhay un type nouveau de ( puissance * individualis6e et mythisbe. Ils ont pour fonetion de pr6sider aux fTtes et aux danses, au cours desquelles certains participants tombent en 6tat de possession et sont a chevau- ch6s * spirituellement par l'un des Hauka qui leur r6vble ensuite son nom.

Au colloque de Bouak6, J. Rouch a rappelh que dans la nouvelle religion du prophite Atcho, dans le sud de la C6te d'Ivoire, le Pr6sident de la R~publique locale, Houphouet-Boigny, figure dans le mythe de fondation du mouvement proph~tique comme l'un des trois personnages 6lus par Dieu pour rbaliser le salut de son peuple. Lui-mbme a 6t6 choisi pour veiller aux affaires de politique 6trangbre; le President de la R6publique du Niger (e l'homme du Niger a) s'est vu confier les relations internes en Afrique; le proph~te, enfin, est charg6 de la gubrison des corps et des ames (14).

La tension socio-religieuse entre la < brousse a et la ville, entre tradition et occidentalisation, s'exprime done en deux tendances distinctes et oppos~es. D'une part, un processus de a ruralisation s, c'est-?-dire d'int~gration, au plan mythologique et religieux, de la civilisation urbaine et de ses repr6sentants les plus en vue. De I'autre, I'exploitation politique de la part de nombreux groupes dirigeants de la religiosit6 des populations rurales, en vue de consolider leur pro- pre pouvoir. D'oi la naissance de v6ritables ( religions d'Etat a - dans lesquelles les 6l6ments emprunt6s aux croyances traditionnelles fusionnent avec des traits propres aux religions sup~rieures - autour de quelque personnages marquants, oligarchic ou parti, qui n'h6sitent pas i invoquer des motifs religieux pour mobiliser les masses rurales et urbaines (15). Rappelons, l ce propos, qu'en 1959 Patrice Lumumba regrettait de ne pouvoir appuyer son action politique sur un mouvement messianique (16). Depuis, le a lumumbisme s'6tant associ6 l la secte religieuse Kitawala qui, elle, date de l'6poque coloniale, est devenu une religion messianique, hostile a I'occident. Le fondateur de ce mouvement n~o-nativiste et violemment x~nophobe est Grenfell, ancien pr6sident de la province du Haut- Congo. Jadis chr6tien protestant, Grenfell renia sa religion i la suite d'une sfrie de visions, au cours desquelles Patrice Lumumba l'aurait exhort6 & entreprendre la guerre sainte contre les Eglises protestante et catholique, contre les Blancs en g~ndral, et plus sp~cialement contre les Ambricains et les Belges. Ce mouvement

(13) J. RoucH, Migrations au Ghana, M6moires de la Soci6t6 des Africanistes, Paris, 1958; La religion et la magie Songhay, Paris, 1960.

(14) J. RovUCH, < Introduction B l'6tude de la communaut6 de Bregbo s,, Journal de la Socidtd des Africanistes, 1964, 129-202.

(15) G. SHEPPERSON, ( Religion and the city in Africa: a historian's observations w, Urbanization in African social change, Edimbourg, 1963, p. 141-50.

(16) P. RAYMAEKERS, dans V. LANTERNARI, . Convegno internazionale di Bouak6 *, Rivista di Antropologia, 1968, p. 228.

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ARCHIVES DB SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

politico-religieux touchait, en 1968, la population entibre de Stanleyville, mais son quartier g~n6ral, d'oi 6manent les directives, semble se situer i Ldopoldville, et ses adeptes sont nombreux jusque dans les villages les plus isolhs du Haut- Congo. Le mythe selon lequel Patrice Lumumba n'est pas mort, mais est sur le point de revenir chitier les coupables, est diffuse et entretenu A l'aide d'appareils et de techniques modernes. Ainsi, par exemple, des magn6tophones habilement camoufl6s dans la forat, font accroire aux foules que Lumumba leur parle per- sonnellement (17). Ce sont l1 quelques 6l1ments d'un thbme-- celui des rapports entre politique et religion - qui demanderait i 4tre 4tudi6 de plus pros (18). R~cemment, nous avons 6t6 les t~moins des manifestations d'un mouvement xenophobe et 6mancipationiste trbs violent, qui se rattache dans une certaine mesure au mouvement kitawalo-lumumbiste.

Aux manifestations religieuses de ce type, dont le caractbre de protestation socio-politique est 6vident, il faut ajouter, dans le cadre de la situation post- coloniale, les multiples manifestations d'un n6o-traditionalisme religieux authen- tique.

Rent Bureau a analys6 ici m~me la situation religieuse actuelle de la partie m(ridionale du littoral camerounais (19), situation rendue critique, du point de vue thdologique et missionnaire, par la r6surgence du ( paganisme a et le recul cons~cutif du christianisme, pr6c~demment accept6 par l'ensemble de la popu- lation locale. ( La masse convertie prend conscience d'un vide culturel >, dit Rent Bureau. ( La puissance attendue de la religion des Blancs n'est pas venue; les moyens de puissance traditionnels sont oublibs; la socidtd a dt! ddpossddle de ce qui assurait le bon fonctionnement des anciens m6canismes sociaux et culturels >, mais / le secret des Blancs n'a pas dtd percd *. D6sillusion, donc, doublhe d'un vide culturel. 4 Certains, plus lucides, se rendent compte que la force des Blancs c'est l'argent... Un vieux chr6tien a avou : avec les Blancs, l'argent est devenu notre Dieu ,. R. Bureau continue: ( La crise en 6clatant se traduit par une sorte de r~veil brutal, oi les r~alitis qui ont pr~c6d6 le sommeil reviennent brusquement a la conscience *. On cherche alors i < retrouver les sources de la vieille culture et a remettre en valeur l'ancien ordre... Le sentiment de d6possession se traduit imm6diatement par une reconqugte parfois agressive et fihvreuse... Les chritiens en viennent a mener deux vies paralldles, sans aucun lien entre elles: la vie de la foi chr6tienne et les pratiques magiques. On se cache des missionnaires et, en mgme temps que l'on regoit les sacrements, on va voir les medicine men de toutes sortes pour conjurer les sorts et gubrir les maladies... Le retournement dont nous avons parle, conclut R. Bureau, montre que l'on a converti la masse peut-4tre, mais pas la conscience commune e (20).

Plut6t que de recourir & des distinctions de cet ordre, nous pr~firons expliquer un ph6nom~ne aussi caract~ristique par le a vide * qui s'est crb4 aprbs la guerre, et que l'ind~pendance n'a fait qu'accroltre, entre les populations des villages

- dej integrdes dans leur syst~me socio-culturel et religieux - et une classe dirigeante europ6anisbe, de formation r6cente, d~sint6gr~e, au plan social et culturel, de la soci~t6 dont elle est issue.

Le m~me ph6nombne de retour & la tradition et de rejet du christianisme

(17) Ch. HABARI, ~ Le Lumumbisme d6vie en religion s, Le Courrier d'Afrique (Lbopoldville), 10 juillet 1968.

(18) Theme 6voqu6 par M. BANTON, e African Prophets s, Race, V, 2, 1963, p. 42-55. (19) R. BUREAU, ( Flux et reflux de la christianisation camerounaise s, A.S.R., 17, 1964,

97-112. (20) Ibid., p. 107-112.

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MOUVEMENTS RELIGIEUX DE L'AFRIQUE NOIRE

prlc(demment acceptt se retrouve dans d'autres soci~tis africaines. En 1936-37, le Rwanda connut un mouvement si 6tendu de conversions qu'il demeure s peu pros unique dans l'histoire des missions. Mais aujourd'hui, les missionnaires eux- mgmes reconnaissent qu'il s'agissait de conversions apparentes, dict6es par l'opportunisme. Aussi bien les Tutsi que les Hutu du Rwanda attendaient de l'adh~sion au christianisme une augmentation du prestige social, de la puissance et de la slcurit6. A l'heure actuelle, le christianisme est en crise i cause du pro- cessus de s6cularisation - en particulier dans les milieux intellectuels et urba- nis~s -, des luttes qui opposent les divers groupes, du retour aux fetes et aux rites traditionnels, du rejet des valeurs occidentales (21).

Dans d'autres cas, on assiste h la regression d'un syncritisme riche en Ml6ments chrftiens vers un ndo-traditionalisme qui n'a presque plus rien de chr~tien. Ainsi, par exemple, les multiples mouvements n6o-harristes de l'Afrique occidentale, issus historiquement du mouvement fond6 en 1914 par Wade Harris, ne sont plus que des cultes de gudrison, ddpouillis des 6l6ments chritiens, des aspects mill&- naristes et innovateurs qui caractdrisaient le harrisme dans sa phase initiale. Un exemple de ces cultes de guirison n6o-harristes nous est fourni par la secte des Waters Carriers, au Ghana. L'eau baptismale, la croix, la Bible, dont la secte continue de se servir, sont d~pouillis de tout contenu chr6tien et rfinterprftds dans un sens magico-mddical. Le Christ n'a plus aucune place dans ses rites, fondus exclusivement sur des pratiques de possession et pr6sides par un < pro- ph~te >, qui n'est en fait qu'un gudrisseur exorciste. Le nom mame de la secte, Water Carriers, semble n'8tre que la corruption du nom de l'ancien fondateur, Wade Harris. Par une transposition significative, il a et6 rattach6 & la coutume des fiddiles de porter, pendant le rite, des bassines d'eau sur la tote (22). De m~me, le culte ndo-harriste du prophIte Albert Atcho est un culte de gu~rison. Atcho signifie 6 celui qui lave ) (et done qui gu~rit). Le centre cultuel de Bregbo est une sorte d'h6pital-sanctuaire, vers lequel affluent les phlerins dans l'espoir d'etre gudris des a possessions diaboliques , et des maladies produites par les sortilkges. Les traits harristes - I savoir la croix, le manteau blanc du prophIte et des ministres du culte, le temple d'inspiration syncr6tiste, l'6vocation du fondateur Harris, la Bible, les < messes du dimanche s, et aussi l'esprit de tolerance et de non-violence, le contenu 6thique et l'attente millinariste, caractfristiques du message pr~ch6 par Harris en 1914 - sont largement utilis~s par un culte qui, d'autre part, ressuscite et accentue certains 6l1ments fondamentaux de la religion traditionnelle (23). Enfin, le culte Yakan, d6jh mentionn6, est un autre exemple de culte jadis riche en 6l1ments chritiens, messianiques et millinaristes, r6duit aujourd'hui I des pratiques m~dico-magiques et n6o-traditionalistes (24).

* **

Ces divers traditionalismes et ndo-traditionalismes de la p~riode post- coloniale sont I situer dans un m~me cadre que les syncrdtismes de la meme p6riode et que les manifestations de rbvolte socio-religieuse dirigdes, I l'int6rieur

(21) S. BUSHAYIJA, 4 Indifference religieuse et nbo-paganisme au Ruanda *, Rythmes du Monde, IX, 1961, 1, 58-67.

(22) E. CERULLI, ( La setta dei Water Carriers *, Studi e Materiali di Storia delle Religioni, 834, 1963, 1, 27-60.

(23) J. RovcH, ( Introduction h l'4tude de la communaut6 de Bregbo s, art. cit. (24) J. MIDDLETON, a The Yakan or Allah Water Cult among the Lugbara b, Journ. of

Royal Anthropol. Institute, 93, 1963, 1, 80-108.

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

des divers pays africains, contre les autorit~s indighnes. En effet, toutes ces manifestations expriment - de faaon directe ou indirecte, sur un terrain politico- religieux ou bien religieux-culturel - un disaccord commun avec les autorit6s locales h6ritibres de certaines tendances propres au colonialisme occidental. Il est 6vident, par exemple, que le lumumbisme kitawaliste m~ne simultandment son combat sur deux fronts: contre le n~o-colonialisme euro-ambricain et contre les autorit~s locales solidaires de celui-ci.

En conclusion, l'ind6pendance politique - compte tenu des situations diff&- rentes dans chaque pays -, plut6t que modifier radicalement I'attitude socio- religieuse, a dtplace B I'interieur de la societd les forces g6neratrices des anciens contrastes, qui auparavant agissaient sur celle-ci de l'exterieur. Dans la plupart des pays de l'Afrique Noire, le colonialisme politique et 6conomique impos6 par les Europeens a fait place au colonialisme socio-culturel impos6 par les 6lites dirigeantes. Ainsi s'expliquent les manifestations de revolte socio-religieuse, les mouvements traditionalistes et ndo-traditionalistes, tendant B rlinterpr6ter mythologiquement le ( pouvoir ) politique. Tous ces mouvements denoncent, de fagon plus ou moins directe, le ( vide a socio-culturel qui s'est cr66 dans la plupart des nations africaines entre les classes dirigeantes - qui ont adopt6 l'univers mental, la soci~tt s~cularis6 et I'individualisme des occidentaux - et le prol&- tariat rural, ou le sous-prol6tariat urbain. Pouss6s d'une part B sortir de I'ancienne culture en crise, mais incapables, d'autre part, de s'int6grer & la culture nouvelle, ceux-ci sont le plus souvent exploit6s en fonction des int6r~ts particuliers de certains groupes ou individus. Nous nous trouvons done en presence d'un <( auto- colonialisme a africain, allid au nbo-colonialisme euro-ambricain.

Dans ces conditions, les villages - et le sous-prol6tariat urbain, qui en est I'appendice naturel - repr6sentent des < groupes de pression a contre la politique de d~culturation et de d6personalisation de certaines 6lites dirigeantes. Au-del& d'un conservatisme plus ou moins marqu6, les mouvements religieux & tendance n6o-traditionaliste de la piriode post-coloniale renferment un avertissement h l'adresse des elites insuffisamment a d~colonis6es a (25). Ils sont la manifestation d'un besoin pressant d'int~gration des valeurs que la civilisation occidentale a (exporties a en Afrique Noire, sans reussir & les integrer dans l'arribre-plan culturel des socidt6s indigbnes.

Vittorio LANTERNARI

Universitd de Rome

(25) S. TovUR, art. cit., p. 114, 116.

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