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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2010) 137, 194—197 CAS CLINIQUE Syndrome d’Ehlers-Danlos de type VIII Ehler-Danlos syndrome type VIII L. Ciarloni, C. Perrigouard, D. Lipsker, B. Cribier Clinique dermatologique, faculté de médecine, université de Strasbourg, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’hôpital, 67091 Strasbourg, France Rec ¸u le 6 f´ evrier 2009 ; accepté le 29 mai 2009 Disponible sur Internet le 30 d´ ecembre 2009 MOT CLÉ Syndrome d’Ehler-Danlos type VIII Résumé Introduction. — Le syndrome d’Ehlers-Danlos (SED) constitue un groupe de maladies hété- rogènes correspondant à une altération des fibres de collagène d’origine génétique. Nous présentons le cas d’un patient atteint de l’exceptionnel type VIII, associant dermite ocre et parodontopathie, de diagnostic tardif. Observation. — Un homme de 29 ans consultait pour un ulcère prétibial évoluant depuis sept ans, secondaire à un hématome post-traumatique et n’ayant jamais cicatrisé. Le diagnostic de syndrome de Marfan avait été posé auparavant devant son morphotype longiligne. Depuis, on notait la survenue d’une édentation complète par « fragilité de l’os alvéolaire ». À l’examen, on notait un morphotype marfanoïde, un ulcère prétibial au sein d’une dermite ocre bilatérale ancienne, des cicatrices papyracées, mais pas d’hyperlaxité articulaire ni d’hyperextensibilité cutanée. Le diagnostic était alors corrigé en SED de type VIII. Discussion. — Le type VIII est une forme rare de SED, de mécanisme moléculaire inconnu. L’atteinte du tissu conjonctif parodontal suggère l’altération des protéines des collagènes I et III. Ce type est important à reconnaître car il existe une parodontopathie dont la prise en charge doit être précoce pour tenter de prévenir l’édentation. Ce cas montre a contrario l’importance du diagnostic, qui peut être fait sur la dermite ocre bilatérale apparue dès l’âge de 15 ans, associée à une fragilité cutanée. Ce signe ne fait pas partie du tableau classique de la maladie de Marfan, avec laquelle le SED de type VIII est souvent confondu. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Cribier). 0151-9638/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2009.11.009

Syndrome d’Ehlers-Danlos de type VIII

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Page 1: Syndrome d’Ehlers-Danlos de type VIII

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2010) 137, 194—197

CAS CLINIQUE

Syndrome d’Ehlers-Danlos de type VIII

Ehler-Danlos syndrome type VIII

L. Ciarloni, C. Perrigouard, D. Lipsker, B. Cribier ∗

Clinique dermatologique, faculté de médecine, université de Strasbourg, hôpitauxuniversitaires de Strasbourg, 1, place de l’hôpital, 67091 Strasbourg, France

Recu le 6 fevrier 2009 ; accepté le 29 mai 2009Disponible sur Internet le 30 decembre 2009

MOT CLÉSyndromed’Ehler-Danlostype VIII

RésuméIntroduction. — Le syndrome d’Ehlers-Danlos (SED) constitue un groupe de maladies hété-rogènes correspondant à une altération des fibres de collagène d’origine génétique. Nousprésentons le cas d’un patient atteint de l’exceptionnel type VIII, associant dermite ocre etparodontopathie, de diagnostic tardif.Observation. — Un homme de 29 ans consultait pour un ulcère prétibial évoluant depuis septans, secondaire à un hématome post-traumatique et n’ayant jamais cicatrisé. Le diagnostic desyndrome de Marfan avait été posé auparavant devant son morphotype longiligne. Depuis, onnotait la survenue d’une édentation complète par « fragilité de l’os alvéolaire ». À l’examen,on notait un morphotype marfanoïde, un ulcère prétibial au sein d’une dermite ocre bilatéraleancienne, des cicatrices papyracées, mais pas d’hyperlaxité articulaire ni d’hyperextensibilitécutanée. Le diagnostic était alors corrigé en SED de type VIII.Discussion. — Le type VIII est une forme rare de SED, de mécanisme moléculaire inconnu.L’atteinte du tissu conjonctif parodontal suggère l’altération des protéines des collagènes Iet III. Ce type est important à reconnaître car il existe une parodontopathie dont la priseen charge doit être précoce pour tenter de prévenir l’édentation. Ce cas montre a contrario

l’importance du diagnostic, qui peut être fait sur la dermite ocre bilatérale apparue dès l’âgede 15 ans, associée à une fragilité cutanée. Ce signe ne fait pas partie du tableau classique dela maladie de Marfan, avec laquelle le SED de type VIII est souvent confondu.© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (B. Cribier).

0151-9638/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annder.2009.11.009

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Syndrome d’Ehlers-Danlos de type VIII 195

KEYWORDEhler-Danlossyndrome type VIII

SummaryBackground. — Ehlers-Danlos syndrome (EDS) comprises a heterogeneous group of diseasesinvolving genetic collagen fibre impairment. We describe a case of a patient presenting therare type VIII, in which dermatitis ocre was associated with parodontal disease, and which wasdiagnosed late.Case report. — A 29-year-old man consulted for a pretibial ulcer present for seven years,resulting from a post-traumatic haematoma that had failed to heal. In view of the longilinermorphology, it had previously been diagnosed as Marfan syndrome. Subsequently, edentationwas observed as well as ‘‘alveolar bone fragility’’. Examination revealed a marfanoid morpho-type, a pretibial ulcer set within long-standing bilateral dermatitis ocre and papyraceous scars,but no joint hyperlaxity or cutaneous hyperelasticity. The diagnosis was consequently correctedto EDS type VIII.Discussion. — Type VIII is a rare form of EDS, and the molecular mechanism is poorly unders-tood. The involvement of parodontal connective tissue suggests impairment of collagen I andIII proteins. It is important to identify this type of the disease since it involves parodon-tal disease for which early treatment is required in order to try to prevent edentation. Thepresent case demonstrates the importance of diagnosis, which may be based upon appea-rance of bilateral dermatitis ocre from the age of 15 years associated with skin fragility. Thissign is not part of the classical picture of Marfan syndrome, with which EDS type VIII is oftenconfounded.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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Le syndrome d’Ehlers-Danlos (SED) constitue un groupe demaladies hétérogènes correspondant à une altération desfibres de collagène, d’origine génétique. La transmissionest différente selon les types de SED (autosomique domi-nante dans les types I, II, III et VII, autosomique récessivedans le type VI, récessive liée à l’X dans le type V) et nepeut être déterminée que dans 80 % des cas. La classifica-tion tient compte des particularités cliniques (par exemple,l’atteinte vasculaire avec risque hémorragique fait la gravitédu type IV) et des mécanismes moléculaires (par exemple,déficit en collagène III dans le type IV) [1]. Ces mécanismessont parfois inconnus ou incomplètement connus selon letype. Le type VIII est exceptionnel et se caractérise par uneatteinte spécifique, la parodontopathie. Nous rapportons lecas d’un patient initialement considéré comme atteint d’unsyndrome de Marfan et chez lequel le diagnostic de SED detype VIII n’a été posé a posteriori qu’après constatation desanomalies dentaires.

Observation

Un homme de 29 ans consultait en 2008 pour un ulcère chro-nique du membre inférieur gauche. Il avait déjà été vu endermatologie plusieurs années auparavant et le diagnosticde syndrome de Marfan avait été posé devant le morpho-type associant une grande taille et une arachnodactylie. Parla suite s’était développée, en l’espace de cinq ans, uneédentation complète attribuée à des malpositions dentaireset une fragilité de l’os alvéolaire. Ses autres antécédents

consistaient en un tabagisme actif, des difficultés de cicatri-sation depuis l’enfance et une intervention arthroscopiquesur un ménisque du genou gauche en 2007. Il signalait aussiun ulcère post-traumatique du mollet gauche, secondaire àun accident de la voie publique en 1999, avec des difficul-

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és de cicatrisation ayant nécessité une greffe cutanée en002. Dans ses antécédents familiaux, on notait une rupture’anévrisme cérébral chez une tante paternelle à l’âge de0 ans.

L’histoire actuelle était celle d’un ulcère de la facentérieure de la jambe gauche, secondaire à l’incisionour drainage d’un hématome post-traumatique en 2001 etccasionnant des érysipèles récidivants. À l’examen cli-ique, on constatait un morphotype marfanoïde caractériséar une grande taille et une arachnodactylie, mais sansspect de thorax en carène ou de scoliose, ni anoma-ie de la voûte palatine. Il existait un ulcère de la facentérieure de la jambe gauche, mesurant 1 cm de dia-ètre, à bords réguliers, atones, et à fond fibrineux

Fig. 1a), au sein d’une dermite ocre prétibiale bilatéralelus ancienne, apparue au cours de la deuxième décen-ie sans facteur déclenchant apparent (Fig. 1b). Le patientvait des cicatrices papyracées à la face antérieure desenoux (Fig. 2), mais on ne notait pas d’hyperlaxité arti-ulaire ni d’hyperextensibilité cutanée. Son visage avait unspect triangulaire. L’examen buccal montrait une édenta-ion complète (Fig. 3), appareillée par prothèses, mais pase rupture du frein de la langue. L’auscultation cardiaquetait normale ; il n’y avait pas de souffle vasculaire et lesouls périphériques étaient présents, bilatéraux et symé-riques.

Le diagnostic de syndrome de Marfan était donc récusé,’ensemble du tableau correspondant à un SED de type VIII.’association avec le type IV ayant été parfois décrite, unechographie des axes vasculaires et une angio-IRM ont étééalisées et se sont avérées normales. L’enquête génétique

’a pas permis de trouver de cas similaires dans la famille duatient. Personne parmi ses proches ne souffrait de dermitecre. Une greffe cutanée en pastilles a permis dans un pre-ier temps une fermeture quasi complète de l’ulcère. Dès
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196 L. Ciarloni et al.

Figure 1. a : ulcère prétibial au sein d’une dermite ocre ; b : dermite

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tgtndachez notre patient étaient normales.

igure 2. Cicatrice papyracée.

e retour à domicile, celui-ci a toutefois progressivementepris sa taille initiale.

iscussion

e type VIII est une forme très rare de SED, caractérisée parne dermite ocre précoce et une parodontopathie, dont leiagnostic peut être fait dès la deuxième décennie. On enénombre une cinquantaine de cas dans le monde [2]. Leécanisme moléculaire en est inconnu. L’atteinte caracté-

istique du tissu conjonctif parodontal, composé à 80 % deollagène de type I et à 20 % de collagène de type III, sug-ère toutefois que ce sont ces protéines qui sont altéréesirectement ou indirectement. Une réduction de synthèsees collagènes I et III a ainsi pu être mise en évidence dansn cas [3].

Ce type particulier de SED est important à identifier carl constitue un des diagnostics différentiels du syndrome dearfan, qui avait d’ailleurs été le premier diagnostic poséhez notre patient. Les patients atteints sont en effet longi-

ignes et ont une arachnodactylie, mais sans autre signe duyndrome de Marfan.

Le type VIII se distingue des autres types de SED parne hyperextensibilité cutanée et une hyperlaxité articu-

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ocre avec atrophie.

aire peu marquées, mais surtout par une parodontopathieécessitant une prise en charge la plus précoce possible afine prévenir une édentation. Celle-ci débute précocementès la première enfance et peut être déjà très marquéevant la puberté [2] ; dans d’autres cas elle se manifestentre la deuxième et la troisième décennies [4,5]. Elle doitaire l’objet de soins symptomatiques, basés principale-ent sur une hygiène dentaire méticuleuse, tandis que les

oins d’orthodontie ne doivent être réalisés qu’avec beau-oup de prudence [6]. L’inflammation gingivale est majeuret il se produit un déchaussement précoce des dents partteinte du ligament parodontal et de l’os alvéolaire. Lesoins d’hygiène n’arrivent pas toujours à prévenir l’atteintesseuse [3]. Néanmoins, ces enfants doivent être adressésdes centres spécialisés de facon à réduire au maximum

e risque d’édentation [7]. Ce cas clinique illustre bien’importance du diagnostic précoce, afin d’orienter au mieuxe patient et lui permettre de tenter de conserver sa denturear une prise en charge spécialisée.

Un autre signe clinique très particulier et précoce, la der-ite ocre prétibiale bilatérale, doit attirer l’attention. Leseux manifestations les plus précoces étaient ici la fragi-ité cutanée, bien que discrète et la dermite ocre précoceans atteinte vasculaire connue. La dermite ocre est donce signe d’appel le plus parlant quand la fragilité cutanée’est pas flagrante ; elle prend dans les cas caractéristiquesn aspect atrophique qui rappelle la nécrobiose lipoïdique3]. Enfin, notre patient avait un visage correspondant auxléments signalés dans la revue de Moore et al. [2] : aspectriangulaire, nez fin et impression de vieillissement préma-uré.

Une fois le diagnostic de SED posé, on pense habi-uellement à éliminer une atteinte vasculaire. Elle esténéralement absente dans le type VIII, alors qu’elle faitoute la gravité du type IV, en raison d’une fragilité artérielleotamment aortique, avec risque de rupture spontanée et’anévrismes. Toutefois, on a décrit des SED de type VIIIssociés au type IV. Les explorations vasculaires réalisées

Sur le plan génétique, Rahman et al. ont identifié unocus de susceptibilité dans trois familles suédoises, situéur le chromosome 12p13, ce qui constitue le premier élé-ent tangible en faveur de l’individualisation du type VIII en

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[8] Rahman N, Dunstan M, Teare MD, Hanks S, Douglas J, Coleman

Figure 3. a et b : édentation secondaire à la parodontopathie, ca

tant qu’entité [8]. Toutefois, on n’a pas pu identifier pourl’instant de gène candidat dans cette zone.

Conflit d’intérêt

Aucun.

Références

[1] Malfait F, De Paepe A. Molecular genetics in classic Ehlers-Danlos Syndrome. Am J Med Genet C Semin Med Genet2005;139C:17—23.

[2] Moore MM, Votava JM, Orlow SJ, Schaffer JV. Ehlers-Danlossyndrome type VIII: Periodontitis, easy bruising, marfa-

noid habitus, and distinctive facies. J Am Acad Dermatol2006;55(2suppl):S41—5.

[3] Mataix J, Banuls J, Munoz C, Bermejo A, Climent JM. PeriodontalEhlers-Danlos syndrome associated with type III and I collagendeficiencies. Br J Dermatol 2008;158:825—30.

ristique du syndrome d’Ehler-Danlos de type VIII.

4] Abel MD, Carrasco LR. Ehlers-Danlos syndrome: Classifica-tions, oral manifestations, and dental considerations. OralSurg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2006;102:582—90.

5] Nualart-Grollmus ZC, Moralez-Chavez MC, Silvestre-DonatFJ. Periodontal disease associated to systemic gene-tic disorders. Med Oral Patol Oral Cir Bucal 2007;12:E211—5.

6] Karrer S, Landthaler M, Schmalz G. Ehlers-Danlos syndrometype VIII with severe periodontitis and apical root resorp-tion after orthodontic treatment. Acta Derm Venereol 2000;80:56—7.

7] Perez LA, Al-Shammari KF, Giannobile WV, Wang HL. Treat-ment of periodontal disease in a patient with Ehlers-Danlossyndrome. A case report and literature review. J Periodontol2002;73:564—70.

K, et al. Ehlers-Danlos syndrome with severe early-onset per-iodontal disease (EDS-VIII) is a distinct, heterogeneous disorderwith one predisposition gene at chromosome 12p13. Am J HumGenet 2003;73:198—204.