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S663 L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, Cahier2 Synthèse Atelier 2 Trajectoires de déprimés M. O. Krebs SHU, Hôpital Sainte-Anne, Paris La trajectoire des déprimés doit s’envisager à plusieurs niveaux : le niveau symptomatique (nature des symptômes, évolution en fonction du temps, signes d’appels,...), le niveau diachronique (résolu- tion des épisodes, récidives, accélération des cycles...), le niveau des comorbidités (anxiété, consom- mation de toxiques, troubles de la personnalité sous-jacents..), le niveau des filières de soin (structure de soins primaires, services spécialisés, ambulatoire ou hospitalier...), le niveau des thérapeutiques enfin. A part, mais ayant souvent une répercussion majeure à la fois sur les troubles et leur évolu- tion mais aussi sur le mode de prise en charge : l’interférence avec le milieu social et en particulier professionnel. Chacun de ces niveaux ne sont pas indépendants. Par exemple, l’émergence d’emblée de symptômes psychotiques précipite généralement le patient dans un circuit de soins spécialisés en urgence et une décision thérapeutique alliant le plus souvent antipsychotique et antidépresseurs. A l’inverse, une dépression modérée « simple » est, depuis la mise sur le marché d’antidépresseurs faciles à manier, le plus souvent soignée par les généralistes. Ainsi, les trajectoires des déprimés ne sont plus en 2007 ce qu’elles étaient il y a quelques dizaines d’années. Du point de vue du psychiatre, paradoxale- ment, ceci se traduit par un « biais de recrutement » qui lui laisse le soin des patients «plus complexes » : dépression chronique, récidivante ou comorbide. Ainsi, l’évolution des trajectoires des déprimés est autant déterminée par des aspects réglementaires, d’organisation des soins ou les critères « sociaux » que par les avancées de la recherche pré clinique ou clinique dans le domaine pathologique. FACTEURS DE VULNERABILITE De nombreux facteurs de vul- nérabilité à la dépression ont été identifiés. Il peuvent favoriser l’émergence des troubles comme celle des récidives, notamment l’existence de troubles anxieux ou de troubles de personnalité. Par ailleurs, le nombre de récur- rences dépressives est lui même un facteur de vulnérabilité. Les stress aigus et chroniques, notamment professionnels La dépression : des pratiques aux théories 9

Synthèse Atelier 2: Trajectoires de déprimés

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S663L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, Cahier2

Synthèse Atelier 2Trajectoires de déprimés

M. O. KrebsSHU, Hôpital Sainte-Anne, Paris

La trajectoire des déprimés doit s’envisager à plusieurs niveaux : le niveau symptomatique (nature des symptômes, évolution en fonction du temps, signes d’appels,...), le niveau diachronique (résolu-tion des épisodes, récidives, accélération des cycles...), le niveau des comorbidités (anxiété, consom-mation de toxiques, troubles de la personnalité sous-jacents..), le niveau des fi lières de soin (structure de soins primaires, services spécialisés, ambulatoire ou hospitalier...), le niveau des thérapeutiques enfi n. A part, mais ayant souvent une répercussion majeure à la fois sur les troubles et leur évolu-tion mais aussi sur le mode de prise en charge : l’interférence avec le milieu social et en particulier professionnel. Chacun de ces niveaux ne sont pas indépendants. Par exemple, l’émergence d’emblée de symptômes psychotiques précipite généralement le patient dans un circuit de soins spécialisés en urgence et une décision thérapeutique alliant le plus souvent antipsychotique et antidépresseurs. A l’inverse, une dépression modérée « simple » est, depuis la mise sur le marché d’antidépresseurs faciles à manier, le plus souvent soignée par les généralistes. Ainsi, les trajectoires des déprimés ne sont plus en 2007 ce qu’elles étaient il y a quelques dizaines d’années. Du point de vue du psychiatre, paradoxale-ment, ceci se traduit par un « biais de recrutement » qui lui laisse le soin des patients «plus complexes » : dépression chronique, récidivante ou comorbide. Ainsi, l’évolution des trajectoires des déprimés est autant déterminée par des aspects réglementaires, d’organisation des soins ou les critères « sociaux » que par les avancées de la recherche pré clinique ou clinique dans le domaine pathologique.

FACTEURS DE VULNERABILITE

De nombreux facteurs de vul-nérabilité à la dépression ont été

identifiés. Il peuvent favoriser l’émergence des troubles comme celle des récidives, notamment l’existence de troubles anxieux ou de troubles de personnalité.

Par ailleurs, le nombre de récur-rences dépressives est lui même un facteur de vulnérabilité. Les stress aigus et chroniques, notamment profess ionnels

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(notion de harcèlement moral) et les pertes, sont fréquemment retrouvés dans l’histoire du sujet souffrant de dépression. Le har-cèlement à l’âge adulte peut favo-riser l’émergence de symptômes dépressifs ou l’allongement de la période dépressive. Ces fac-teurs de vulnérabilité « environ-nementaux » sont en interaction avec d’éventuels facteurs généti-ques qui pourraient pour certains « amplifi er » la réactivité des indi-vidus à ces évènements de vie.Les comorbidités addictives (alcool et opiacés) sont associées à un risque plus élevé de dépres-sion. La question du rôle du can-nabis dans l’émergence d’un trouble dépressif reste ouverte. Les comorbidités somatiques, en particulier vasculaires et algi-ques, sont des facteurs de vulné-rabilité pour la dépression. Chez le sujet âgé, la présence d’un épi-sode dépressif peut être annon-ciatrice d’un début de processus démentiel et bénéfi cier d’un bilan cognitif adapté.

ACUITE ET CHRONICITE

L’épisode dépressif unique existe-t-il ? L’expérience des psychiatres tant de ville que du secteur public tendrait à montrer que cette situation est rare. La majorité des patients dépressifs présenteront plusieurs épisodes dépressifs au cours de leur vie. Mais on peut aussi penser qu’aujourd’hui la majorité des patients présentant un épisode dépressif unique ne verront jamais de psychiatre. En ce qui concerne le traitement de la dépression, la disctinction

entre acuité et chronicité est dis-cutable. Les modalités thérapeuti-ques sont identiques dans les deux cas. Par exemple, la durée de traite-ment d’un épisode dépressif majeur est consensuelle (6 mois au moins) qu’il s’inscrive dans un processus unique ou récurrent. La chronicité se défi nit par la per-sistance de symptômes résiduels (cf critères DSM) pendant une durée de 2 ans. Mais pour le patient donné, un épisode dépressif peut être jugé chronique s’il « dure trop longtemps », au delà d’un an. Le DSM IV fait la distinction entre épisodes chroniques et rémissions partielles défi nies par la persistance de critères incomplets pendant un an ou l’existence d’une période de 2 mois ou plus sans symptômes. La persistance de symptômes rési-duels entraîne le maintien du trai-tement antidépresseur. Souvent, les patients expriment encore des plaintes alors que les symptômes dépressifs résiduels ne sont plus clairement identifi és. Une question restée ouverte : les troubles carac-tériels, de l’adaptation et cognitifs doivent-ils être considérés comme des symptômes résiduels ?

FILIERES DE SOINS

Les sujets présentant un premier épisode dépressif majeur font rare-ment appel à un médecin psychia-tre en première intention mais plutôt à leur médecin généra-liste. Les médecins psychiatres se situent dans la filière de soins puisqu’ils interviennent géné-ralement en seconde intention pour des formes complexes « décapitées » par un premier

traitement ou « résistantes » ou délirantes. Mais leur biais de « recrutement » résulte parado-xalement en une représentation déformée de la dépression en population générale.En pratique libérale, les psychia-tres sont soumis aux procédures d’Affection de Longue Durée (ALD) qui référent le parcours de soin au médecin traitant. Le médecin traitant décrit le proto-cole à mettre en place concer-nant le suivi psychiatrique. La demande de prise en charge à 100% effectuée par un psychia-tre est valable 6 mois et doit être confirmée par le méde-cin traitant pour être pérenne. La nouvelle législation impose donc au psychiatre d’adhérer au parcours de soins.

DISCUSSION ET CONCLUSION

Dans les cas complexes (par exemple dépression psychoti-que), la validation du diagnostic par une « épreuve thérapeuti-que » est discutable du fait de l’efficacité croisée des traite-ments utilisés, notamment cer-tains antipsychotiques. Il est important de s’accorder un délai de réflexion avant de poser un diagnostic. Les classifications diagnostiques sont utiles mais critiquables et ne rendant pas toujours compte de la com-plexité singulère du tableau cli-nique. Cependant, le diagnostic a aujourd’hui une portée plus étendue que simplement « médi-cale » car il est utilisé de façon administrative pour le recense-ment de l’activité.

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Un épisode délirant peut-i l révéler un trouble de l’humeur. Y a-t-il un continuum entre les troubles psychotiques et affectifs ? Faut-il proposer un traitement antidépresseur en première intention de manière

quasi-systématique comme épreuve thérapeutique ?Pour résumer le médecin géné-raliste prend en charge généra-lement les épisodes dépressifs majeurs « simples » sans fac-teurs de vulnérabilité ou dont

la résolution est rapide. Au psy-chiatre reviennent les épisodes dépressifs chroniques avec des facteurs de vulnérabilité persis-tants (génétique, comorbidités, stress ou trouble de la person-nalité sous jacent).

M. O. KrebsL’Encéphale, 2007 ; 33 : 663-665, Cahier 2