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Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 3S9-3S10 © 2006 SPLF, tous droits réservés Doi : 10.1019/200530220 3S9 Éditorial Tabagisme et aide au sevrage tabagique : quels enjeux pour le pneumologue ? C. Raherison 1 , P. Carré 2 a vérité du tabagisme est cruelle : en France, le tabac est responsable chaque année de 66 000 décès prématurés [1]. Aujourd’hui, dans le monde, une personne meurt toutes les 6,5 secondes d’une maladie liée au tabac, ce qui repré- sente environ 13 500 décès par jour, 4,9 millions par an dont plus de la moitié dans les pays en voie de développement. En Europe occidentale, 6 à 12 % des coûts globaux consentis annuellement aux soins de santé sont imputables à la con- sommation de tabac. En France, les coûts sociaux du taba- gisme atteignent 12 milliards d’euros. Malgré la connaissance des méfaits du tabagisme, même passif [2], les fumeurs, 15 millions en France [3], continuent pour une bonne part à nier l’évidence. Cancer bronchique, BPCO, asthme, pneu- monies, certaines pathologies interstitielles… les multiples pathologies respiratoires induites ou favorisées par la taba- gisme mettent souvent le pneumologue en première ligne. Pour un fumeur prêt à l’arrêt, 3 moyens thérapeutiques ont démontré scientifiquement leur efficacité dans l’aide au sevrage tabagique : les thérapies comportementales et cogni- tives, les substituts nicotiniques et le bupropion à libération prolongée [4]. Dans notre pays, la bataille est loin d’être gagnée : certes la consommation de cigarettes manufacturées a baissé de 21 % entre 2003 et 2004, mais les ventes de tabac à rouler et de cigares, qui représentent un quart de la consommation de tabac, ont augmenté respectivement de 17 % et 9 % [5]. Chez les 17-18 ans, les dernières enquêtes ont certes montré une baisse du tabagisme (avec toutefois une dépense men- suelle de 58 pour les fumeurs actifs), mais l’existence de toxicomanies associées, cannabis par exemple, doit nous gar- der de tout triomphalisme. Quant aux conséquences du taba- gisme féminin, elles vont croître de manière exponentielle dans les 20 prochaines années [6]. Un tableau de bord men- suel tabac, consacré à l’évolution du tabagisme en France est accessible sur le site http://www.ofdt.fr. Correspondance : C. Raherison INSERM U700 – Épidémiologie, Faculté de Médecine Xavier Bichat, BP 416, 75870 Paris Cedex 18. [email protected] Réception version princeps à la Revue : 16.12.2005. Acceptation définitive : 18.12.2005. 1 INSERM U700 – Epidémiologie, Faculté de Médecine Xavier Bichat, Paris, France. 2 Centre de Pathologie Thoracique, Polyclinique Montréal, Carcassonne, France. L

Tabagisme et aide au sevrage tabagique : quels enjeux pour le pneumologue ?

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Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 3S9-3S10 © 2006 SPLF, tous droits réservésDoi : 10.1019/200530220

3S9

Éditorial

Tabagisme et aide au sevrage tabagique : quels enjeux pour le pneumologue ?

C. Raherison 1, P. Carré 2

a vérité du tabagisme est cruelle : en France, le tabacest responsable chaque année de 66 000 décès prématurés[1]. Aujourd’hui, dans le monde, une personne meurt toutesles 6,5 secondes d’une maladie liée au tabac, ce qui repré-sente environ 13 500 décès par jour, 4,9 millions par an dontplus de la moitié dans les pays en voie de développement. EnEurope occidentale, 6 à 12 % des coûts globaux consentisannuellement aux soins de santé sont imputables à la con-sommation de tabac. En France, les coûts sociaux du taba-gisme atteignent 12 milliards d’euros. Malgré la connaissancedes méfaits du tabagisme, même passif [2], les fumeurs,15 millions en France [3], continuent pour une bonne part ànier l’évidence. Cancer bronchique, BPCO, asthme, pneu-monies, certaines pathologies interstitielles… les multiplespathologies respiratoires induites ou favorisées par la taba-gisme mettent souvent le pneumologue en première ligne.Pour un fumeur prêt à l’arrêt, 3 moyens thérapeutiques ontdémontré scientifiquement leur efficacité dans l’aide ausevrage tabagique : les thérapies comportementales et cogni-tives, les substituts nicotiniques et le bupropion à libérationprolongée [4].

Dans notre pays, la bataille est loin d’être gagnée : certesla consommation de cigarettes manufacturées a baissé de21 % entre 2003 et 2004, mais les ventes de tabac à rouler etde cigares, qui représentent un quart de la consommation detabac, ont augmenté respectivement de 17 % et 9 % [5].Chez les 17-18 ans, les dernières enquêtes ont certes montréune baisse du tabagisme (avec toutefois une dépense men-suelle de 58 € pour les fumeurs actifs), mais l’existence detoxicomanies associées, cannabis par exemple, doit nous gar-der de tout triomphalisme. Quant aux conséquences du taba-gisme féminin, elles vont croître de manière exponentielledans les 20 prochaines années [6]. Un tableau de bord men-suel tabac, consacré à l’évolution du tabagisme en France estaccessible sur le site http://www.ofdt.fr.

Correspondance : C. Raherison INSERM U700 – Épidémiologie, Faculté de Médecine Xavier Bichat, BP 416, 75870 Paris Cedex 18.

[email protected]

Réception version princeps à la Revue : 16.12.2005. Acceptation définitive : 18.12.2005.

1 INSERM U700 – Epidémiologie, Faculté de Médecine Xavier Bichat, Paris, France.

2 Centre de Pathologie Thoracique, Polyclinique Montréal, Carcassonne, France.

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raherisson-masrmr00376.fm Page 9 Friday, March 3, 2006 12:04 PM

C. Raherison, P. Carré

Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 3S9-3S10 3S10

Certains risques sont aujourd’hui mieux identifiés, tel letabagisme péri-opératoire qui a récemment fait l’objet d’uneconférence de consensus [7] ; 8 millions de français se fontopérer chaque année, le tabagisme majore le risque de compli-cations générales cardio-vasculaires, respiratoires, et infectieu-ses. Un arrêt du tabagisme 6-8 semaines avant l’interventionpermet de minimiser ces risques.

Quelle doit être la place du pneumologue dans l’aide àl’arrêt du tabac ? Dans l’enquête Baromètre-Santé 2004-2005,97,8 % des médecins généralistes déclarent prendre en chargeeux-mêmes leurs patients désirant arrêter de fumer ; seuls11,3 % les confient à une autre structure [8]. Ils sont pourtant46,3 % à se sentir peu efficaces en matière de lutte contre letabagisme. Parallèlement, 50 % des femmes enceintes fumeu-ses ne reçoivent aucune incitation à l’arrêt du tabac de la partde leur médecin traitant [9]. Les centres de tabacologie françaispermettent de prendre en charge les personnes les plus dépen-dantes au tabac et les plus malades [10], avec un taux moyend’abstinence à 2 ans de 12 % [11] ; une évaluation récente durecrutement des consultations de tabacologie a montré leschiffres suivants : une estimation d’environ 100 000 sujetsreçus par an, majoritairement des femmes (51,4 %), d’âgemoyen 42,8 ans, avec un niveau d’éducation élevé et actifs(68 %), ce qui souligne la sous-représentation des fumeurs lesplus jeunes et des catégories sociales défavorisées [10].

La prise en charge du sevrage tabagique est donc obliga-toirement pluridisciplinaire et doit en particulier impliquer lepneumologue. De ce fait, la Revue des Maladies Respiratoires adécidé d’offrir à ses lecteurs une nouvelle série dans laquelletous les thèmes cités plus haut seront développés par desexperts pneumologues et/ou tabacologues, qu’au nom ducomité de rédaction nous remercions chaleureusement de leurtravail de synthèse et d’actualité.

Références

1 Hill C, Laplanche A : Tabagisme et mortalité : aspects épidémiologi-ques. BEH 2003 ; 22-23 : 98-100.

2 Dautzenberg B : Le tabagisme passif. La Documentation Française,Paris, 2001, 200 pages.

3 Guilbert P, Gautier A, Beck F, Peretti-Watel P, Wilquin J, Léon C,Legleye S, Arwidson P : Tabagisme : estimation de la prévalencedéclarée, Baromètre santé, 2004-2005. BEH 2005 ; 21-22 : 97-8.

4 West R, McNeill A, Raw M : Smoking cessation guidelines for healthprofessionals: an update. Health Education Authority. Thorax 2000 ;55 : 987-99.

5 Hill C, Laplanche A : Évolution de la consommation de cigarettes enFrance par sexe, 1900-2003. BEH 2005 ; 21-22 : 94-7.

6 Beck F, Legleye S, Spilka S : Baisse du tabagisme parmi lesadolescents : principaux résultats de l’enquête Escapad, France, 2003.BEH 2005 ; 21-22 : 99-100.

7 Conférences d’experts. Les journées de la SFAR. Tabagisme péri-opératoire. Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 1090-6.

8 Gautier A, Léon C, Wilquin J, Guilbert P : Les professionnels desanté face au tabagisme : résultats de l’enquête Baromètre santémédecins/pharmaciens, France, 2003. BEH 2005 ; 21-22 : 101-2.

9 Blanchon B, Parmentier M, Colau JC, Dautzenberg B,Blum-Boisgard C : Tabac et grossesse. Étude de l’Assurance maladiedes professions indépendantes en Île-de-France. J Gynecol Obstet BiolReprod 2004 ; 33 : 21-9.

10 Le Faou AL, Scemama O, Ruelland A, Ménard J : Caractéristiquesdes fumeurs s’adressant aux consultations de tabacologie. Rev MalRespir 2005 ; 22 : 739-50.

11 Raherison C, Marjary A, Valpromy B, Prevot S, Fossoux H, Taytard A :Evaluation of smoking cessation success in adults. Respir Med 2005 ;99 : 1303-10.

raherisson-masrmr00376.fm Page 10 Friday, March 3, 2006 12:04 PM