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"Temoins oculaires et serviteurs de la parole" (Lc I 2 b ) Author(s): A. Feuillet Source: Novum Testamentum, Vol. 15, Fasc. 4 (Oct., 1973), pp. 241-259 Published by: BRILL Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1560263 . Accessed: 16/06/2014 00:01 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Novum Testamentum. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.203 on Mon, 16 Jun 2014 00:01:48 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

"Temoins oculaires et serviteurs de la parole" (Lc I 2b)

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"Temoins oculaires et serviteurs de la parole" (Lc I 2 b)Author(s): A. FeuilletSource: Novum Testamentum, Vol. 15, Fasc. 4 (Oct., 1973), pp. 241-259Published by: BRILLStable URL: http://www.jstor.org/stable/1560263 .

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"TEMOINS OCULAIRES ET SERVITEURS DE LA PAROLE" (Lc i 2b)

PAR

A. FEUILLET Paris, France

Saint Luc a fait preceder son evangile d'un prologue harmonieux (i 1-4) redige en un grec presque classique et rempli de termes qui sont d'un usage courant dans les prefaces de ce genre: epeideper, polloi, epicheirein, diegesis, pragmata, paradidonai, autoptai, para- kolouthein, akribos, katexes, asphaleia.

On peut se demander d'ailleurs si saint Luc ne veut pas insi- nuer en meme temps que son ceuvre differe des recits historiques ordinaires. En effet, usant d'un terme emphatique, il parle de ,,faits accomplis par nous": pramagta pepleoorphooumena. L'idee suggeree par l'emploi du parfait de ce verbe rare (plerophorein au lieu de l'usuel pleroun) est peut-6tre celle d'un accomplissement total, en continuite avec les ebauches et les promesses de l'Ancien Testament 1). On sait que le theme des preparations veterotesta- mentaires est cher a saint Luc, comme aussi celui de ,,l'accom- plissement" themes qu'il possede en commun avec l'auteur du quatrieme evangile 2).

1) Cette explication est celle de W. GRUNDMANN, Das Evangelium nach Lukas, Berlin, 1963, p. I3. Nous ne croyons pas utile de discuter ici en d6tail les diverses significations que peut revetir plerophorein. Ce verbe peut etre un simple synonyme depleroun, mais avec l'accent mis sur le caractere total et d6finitif de l'accomplissement. S'il se r6fere a la volont6, il peut signifier "satisfaire" et au passif ,,recevoir pleine satisfaction". Employ6 au passif et se rapportant a l'esprit, il peut vouloir dire ,,etre pleinement convaincu". En Lc i 2 ou il est question d'6v6nements, seul convient le sens d',,accomplir". Cf. M. J. LAGRANGE, Evangile selon saint Luc, Paris, 1927, p. 3.

2) Sur le theme de l'accomplissement dans les 6vangiles de Luc et de Jean, cf. R. LAURENTIN, Mystere de Pdques et Foi de Marie en Lc ii 48-50, Paris, 1966, p. 103, Io7, et 117. Rappelons que selon H. CONZELMANN (Die Mitte der Zeit, Tiibingen, I957) saint Luc distingue trois p6riodes dans l'histoire du salut: le temps d'Israel qui prepare le temps du Christ, le temps du Christ qui pr6pare celui de l'Eglise Le Christ se trouve ainsi au centre et au coeur de l'histoire du salut. Une conception semblable est a la base du quatri- eme 6vangile (les ,,signes" de J6sus y renvoient a l']Eglise), sauf que Jean a mis en un seul ouvrage ce que Luc a mis en deux.

Novum Testamentum, Vol. XV, fasc. 4 i6

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A. FEUILLET

Mais ce n'est pas cette question, si interessante qu'elle puisse etre, qui doit nous occuper maintenant. Nous voulons seulement attirer l'attention sur la singularite de la formule qui termine le verset 2: ,,ceux qui furent des le commencement les temoins ocu- laires et serviteurs de la Parole". Nous avertissons une fois pour toutes qu'en ce passage nous ecrivons d'ordinaire le mot ,,Parole" avec une majuscule; tout le monde comprend que cette designation se refere a une parole privilegiee: le message chretien, mais nous verrons qu'il y a autre chose encore. Deux questions se posent a nous. La premiere est d'abord un probleme grammatical de tra- duction et aussi un probleme d'interpretation. Une fois que sera regle ce double probleme, nous serons amenes a mettre la formule insolite dont nous parlons ,,les temoins oculaires et serviteurs de la Parole" en rapport etroit avec la tradition johannique relative au Christ Parole ou Verbe de Dieu. Ce rapprochement comportera deux etapes: nous commencerons par etudier la marche vers l'hypo- stase de la Parole dans le troisieme evangile et les Actes des Apotres; apres quoi nous comparerons ,,les temoins oculaires de la Parole" de Lc i 2 avec I Jn i 1-2. Dans notre Conclusion, nous exprimerons brievement les consequences qui paraissent decouler de ces rappro- chements en ce qui touche une des sources capitales de l'ensemble de l'oeuvre lucanienne (troisieme ]tvangile et Actes des Apotres).

I) La traduction et l'interpretation de Lc I, 2b.

Comment comprendre le membre de phrase de Lc i 2b: hoi ap'ar- ches autoptai kai huperetai genomenoi tou logou ? Avec raison H. J. CADBURY a souligne le caractere etrange de cette formule 1), dont

cependant nombre de commentateurs ne semblent pas avoir percu la singularite. Nous nous contenterons de signaler quelques tra- ductions en langue fran9aise.

La Bible dite du Centenaire 2) comprend ainsi le texte: ,,(les evenements) tels que nous les ont transmis ceux qui ont ete depuis l'origine les temoins oculaires et qui sont devenus ministres de la Parole". On lit dans la Bible de Maredsous (Iere edition, I950): ,,ceux qui ont ete des le debut temoins oculaires et sout devenus mi- nistres de la Parole". La Sainte Bible du Chanoine Crampon, revisee pour l'Ancient Testament par J. BONSIRVEN, et pour le Nouveau Testament par A. TRICOT (Paris, Desclee, I960) nous propose egale-

1) Beginnings of Christianity, II, p. 498 sq. 2) Le Nouveau Testament, Soci6t6 Biblique de Paris, 1928, p. 89.

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TEMOINS OCULAIRES ET SERVITEURS DE LA PAROLE

ment: ,,ceux qui ont ete des l'origine les temoins oculaires et sont devenus les ministres de la Parole". Dans son introduction au troisieme evangile 1), le P. BEDA RIGAUX adopte la meme version. Dans la premiere edition du fascicule de la Bible de Je'rusalem con- sacre a saint Luc (I948), et egalement dans une traduction de l'ensemble du Nouveau Testament datant de la meme epoque 2), E. OSTY comprenait lui aussi ce verset de la meme maniere: ,,ceux qui, temoins oculaires du debut (ou des le debut), sont devenus en- suite serviteurs de la Parole". Mais dans la troisieme edition de la Bible de Jerusalem, le meme auteur renvoie cette version en note; il la tient toujours pour possible, mais avec raison il en prefere une autre plus litterale: ,,ceux qui furent des le debut temoins oculaires et serviteurs de la Parole". L'antithese entre ,,des le debut" et ,,ensuite" qu'indiquait la premiere edition, a ete supprimee, car elle est totalement absente du texte grec et n'etait qu'un essai d'explication. La Synopse des Quatre Evangiles de P. BENOIT et M. E. BOISMARD porte, elle aussi: ,,ceux qui furent des le debut temoins oculaires et serviteurs de la Parole".

Meme une fois adoptee cette derniere version, une question de- meure ouverte. Les termes ,,de la Parole" sont-ils un complement de- terminatif commun aux deux substantifs: temoins oculaires de la Parole et serviteurs de la Parole ? Ou bien au contraire ne sont-ils que le complement du second substantif? Ayant ete temoins oculaires des faits, les hommes en question ont pu se mettre ainsi au service de la Parole, c'est-a-dire du message chretien. Autant que j'en puis juger, la plupart des exegetes, ou bien ne se posent pas la question, ou bien se prononcent pour la seconde branche de l'alternative. C'e- tait le cas par exemple de M. J. Lagrange 3). C'est encore le cas de W. Grundmann 4). G. Kittel 5) resume de la facon suivante l'opinion commune: ,,Ceux qui ont ete des le debut temoins oculaires sont devenus serviteurs de la Parole, ce qui evidemment n'indique pas deux fonctions differentes, mais au contraire deux fonctions etroite- ment liees: avoir ete temoin oculaire, c'est la un presuppose decisif pour etre au service de la Parole".

1) Le Temoignage de l'Evangile de Luc. Paris, 1970, p. 17. 2) Le Nouveau Testament, traduction nouvelle, Editions de Silo6, Paris,

1949. 3) Evangile selon saint Luc, Paris, 1927, p. 4. 4) Das Evangelium nach Lukas, Berlin, 1963, p. 44. 5) Theologisches Worterbuch zum N.T. IV, art. leg6, G. KITTEL p. 121 et

126.

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A. FEUILLET

Cette explication, qui parait aller de soi, a contre elle la construc- tion grammaticale de la phrase. La grammaire indique que la determination de ,,la Parole" se rapporte tout autant a ,,temoins oculaires" qu'a ,,serviteurs"; en effet un unique article gouverne les deux noms, et ceux-ci sont enclaves entre l'article et le participe genomenoi: les memes hommes ont donc ete a la fois temoins ocu- laires du logos et serviteurs du logos. On ne pourrait a la rigueur comprendre les choses autrement que si le complement determina- tif ,,de la Parole" etait appele par le second nom seulement, a l'ex- clusion du premier. Or ,,serviteur de la Parole" n'est pas une as- sociation normale du meme genre que ,,auditeur de la Parole" de Jc i 22-23; elle ne se retrouve nulle part ailleurs. Aussi bien Ac xvi I6 unit-il etroitement les deux mots ,,serviteur et temoin": en ce passage nous avons la formule ,,serviteur et temoin de ce que tu as vu", ce qui suggere que pareillement en Lc i 2 les deux termes ,,temoins oculaires" et ,,serviteurs" sont unis de semblable fa?on.

Deux observations doivent encore 6tre faites: I?) l'expression ap'arches placee au debut ne fait que renforcer l'enclave, puisque, complement de genomenoi, elle resserre le lien entre les deux subs- tantifs autoptai et huperetai; 2?) ceux-ci sont attributs; il est prefe- rable des lors de les accompagner de l'article. Le mieux est de tra- duire en utilisant un seul article: ,,ceux qui furent des le commence- ment les temoins oculaires et serviteurs de la Parole".

S'inspirant de H. J. CADBURY 1), H. SAHLIN s'appuie sur l'eviden- ce grammaticale dont nous venons de parler pour soutenir qu'en ce passage, logos aurait un sens juridique: l'affaire ou la cause judi- ciaire qui est debattue 2). II est clair, dit Sahlin, que autoptes, ,,te- moin oculaire", peut avoir une signification juridique. Mais il en va de meme pour huperetes, ,,serviteur". Ce mot peut designer dans le grec ordinaire, et designe en fait souvent dans les papyrus, une sorte d'officier public charge de controler l'exactitude des documents officiels, et encore d'executer les sentences judiciaires 3).

Sans nul doute dans le Nouveau Testament le mot huperetes desi- gne frequemment celui qui doit proceder a l'arrestation d'un accuse: Mt v 26; xxvi 58; Mc xiv 54-65; Jn vii 32, 45, 46; xviii 3, I2, i8, 22;

1) The Purpose expressed in Luke's Preface, dans Expository VIII, 21, p. 431-441.

2) Der Messias und das Gottesvolk. Studien zur protolukanischen Theologie, Uppsala, 1945, p. 40-42.

3) Sahlin renvoie a HOLMES, J B L 54 (1935), p. 63-72; cf. encore FR. PREISIGKE, Worterbuch der griechischen Papyrusurkunden, III, p. I76 sq.

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xix 6; Ac v 22, 26. Au dire de Sahlin, les autres emplois ou la signification est plus generale auraient, eux aussi, une nuance juridique: Jn xviii 36; I Co iv 2; Lc iv 20; Ac xlii 5. Ce serait le cas surtout pour Ac xxvi I6, qui serait un parallele tres exact de Lc i 2. Dans ce passage des Actes, le Christ apparaissant a Saul sur le chemin de Damas declare avoir voulu le constituer ,,serviteur et temoin (hupertten kai martura) de ce qu'il a vu". Les deux termes ,,serviteur et temoin" etant ici pratiquement synonymes, il faudrait conclure qu'il en va de meme en Lc i 2. II pourrait y avoir la une sorte d'hendiadys, cette figure de rhetorique qui consiste a rem- placer un substantif accompagne d'un adjectif par deux substantifs unis par une conjonction.

Mais ce ne sont pas seulement les termes ,,temoins oculaires" et ,,serviteurs" dont, au dire de Sahlin, les Actes des Apotres etabli- raient le sens juridique. II faudrait en dire tout autant des mots ou expressions qui suivent: ap'arches (cf. Ac xxvi 4), anothen (cf. Ac xxvi 5), akribos (cf. Ac xxiii I5; xxiv 22), kratistos (cf. Ac xxiii 26; xxiv 23; xxvi 15); epigignosko (cf. Ac xxi 34; xxii 24; xxiv 28); katecheo (cf Ac xxi 21, 24); asphaleia (cf. asphales dans Ac xxii 30). II conviendrait encore d'ajouter a cette liste de termes entendus en un sens juridique les expressions anataxasthai diegesin et pragmata plerophoroumena. En outre le debut du prologue serait a comprendre en un sens pejoratif et viserait des adversaires que Luc entend com- battre: ,,apres que plusieurs ont eu l'audace".

C'est a partir de ces observations philologiques que Sahlin en vient a proposer une hypothese pour le moins inattendue: le pro- logue de Lc i 1-4, qui couvre toute l'oeuvre lucanienne; troisieme evangile et Actes des Apotres, nous ferait voir dans cette ceuvre une sorte de piece juridique destinee au proces de saint Paul, accuse de- vant les autorites romaines; ce document aurait ete redige pour contredire le document a charge contre l'Apotre des Gentils dont il est question en Ac xxiii 26-30.

Que faut-il penser de cette conjecture ingenieuse de Sahlin? Elle est demeuree a peu pres sans echo, et c'est a juste titre. Elle impliquerait que le troiseme evangile et les Actes ont ete ecrits avant l'an 60, ce qui est peu vraisemblable et, en tout cas, devrait etre demontre 1). Elle fait valoir que si le mot logos avait en Lc i 2 le sens qu'on lui attribue d'ordinaire, il devrait etre accompagne

1) Cette observation est faite par W. GRUNDMANN, Das Evangeliunm nach Lukas, p. 45, note 5.

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de precisions comme celle-ci: la Parole de Dieu, la Parole qui a trait a Jesus-Christ 1). Mais le terme logos peut fort bien etre em-

ploye sans aucune determination pour designer la parole de Dieu ou le message chretien: Mt xiii 20 sq; Mc iv 14 sq.; Lc viii II sq. 2).

Et s'il est vrai que la formule ,,temoins oculaires de la Parole" est

unique dans tout le Nouveau Testament, celle qui suit ,,serviteurs de la Parole" rappelle ,,le service de la Parole" (diakonia tou logou) dont il est question en Ac vi 4.

II) La marche vers l'hypotstase de la Parole dans le troisieme evangile et les Actes des Apotres.

On ne songe plus aujourd'hui a reprendre l'opinion de plusieurs auteurs anciens selon lesquels le logos de Lc i 2 serait tout simple- ment le Verbe de Dieu en personne que met en scene le prologue du

quatrieme evangile. J. Knabenbauer attribue cette interpretation aux commentaires d'Origene (P G I3), d'Ambroise (P L I5), de

Cyrille (PG 72) et d'Euthymius (PGI29) 3). Assurement la formule etrange ,,temoins oculaires de la Parole" se comprendrait mieux ainsi. Mais, en l'absence de toute indication en ce sens, soit dans le troisieme evangile, soit dans les Actes, il est impossible d'attribuer a saint Luc l'idee d'une Parole personnelle de Dieu s'identifiant avec son Fils unique.

Ce qui est vrai, c'est que l'oeuvre lucanienne, prise dans son ensemble, nous offre de la Parole de Dieu une conception riche et complexe, conception tout a fait dans la ligne de la tradition veterotestamentaire et qui en meme temps est un acheminement

remarquable vers la christologie johannique. Plus que les deux autres Synoptiques, le troisieme evangile met en evidence le caractere privilegie et l'efficacite souveraine de la Parole de Dieu ou de Jesus, qu'il appelle tantot logos, tantot rhema. Nous nous bornerons a rele- ver les textes qui nous semblent les plus caracteristiques.

Le m6me terme hebreu dabar (la parole) est traduit dans la Sep- tante tantot par rhema, tantot par logos: rhema domine dans le Penta- teuque, Josue, les Juges et Ruth, et logos dans les autres livres 4) Dabar a une signification a la fois intellectuelle (ce qui est exprime)

1) Der Messias und das Gottesvolk, p. note i. 2) Cf. Theologisches Worterbuch zum N.T., IV, art. leg6 (G. KITTEL),

p. II7. 3) Evangelium secundum Lucam, Parisiis, I926, p. 36. 4) Cf. Theologisches Worterbuch zum N.T., IV, art. leg6 (O. PROCKOCH)

p. 91-92.

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et pratique ou dynamique (la chose l'evenement). Cette double

signification est particulierement marquee quand il s'agit de la Parole de Dieu: par son dabar, Dieu se montre le Roi souverain de l'histoire; sa Parole n'est pas la simple annonce ou promesse des evenements de l'histoire du salut; elle les produit; toute l'histoire du peuple de Dieu n'est qu'une Parole de Dieu realisee 1). Or il se trouve que, dans les recits de l'enfance, saint Luc emploie plusieurs fois le mot rhema avec ce sens riche et complexe 2).

Il vaut la peine de citer ces textes. On constate que, chaque fois, on peut hesiter entre le sens de parole et celui de chose eu d'evenement: ,,Aucune chose (ou parole) n'est impossible a Dieu" (i 37). ,,Tous les voisins furent saisis de crainte, et dans le haut pays de Judee tout entier on se racontait tous ces evenements (tou- tes ces paroles)" (i 66). ,,Allons donc a Bethleem et voyons l'evene- ment qui est arrive (la parole qui est arrivee), que le Seigneur nous a fait connaitre" (ii I5). ,,Marie conservait avec soin tous ces evene- ments (toutes ces paroles) et les meditait en son coeur" (ii I9). ,,Et sa Mere gardait fidelement tous ces evenements (toutes ces paroles) en son cceur" (ii 5I). Deux passages des Actes emploient pareille- ment le mot rhema avec la meme richesse de sens: ,,Nous sommes temoins de ces evenements (de ces paroles), nous et l'Esprit Saint" (v 32). ,,Vous savez l'evenement qui est arrive (la parole qui est arrivee) dans toute la Judee" (x 37).

Dans tous ces textes les deux sens de parole et d'evenement sont intimement unis et indissociables. Certes presque toujours on tra- hirait la pensee de l'evangeliste si on se contentait ici de traduire rhema par parole; le mot ,,evenement" convient beaucoup mieux. Cependant, d'un autre cote, il s'agit d'evenements que la Parole de Dieu avait annonces ou qu'elle a produits.

Deux textes doivent etre specialement remarques. La traduction de la fin de i 37 donne lieu a une certaine hesitation. En effet, au verset 39 qui suit, Marie s'abandonne a la Parole toute puissante de Dieu que Gabriel vient de lui transmettre: ,,Qu'il me soit fait selon ta Parole (selon ton rhema)". Des lors, dans le message meme de l'ange, il est tentant de rendre pareillement rhema par parole: donc

1) Cf. O. GRETHER, Name und Wort Gottes im Alten Testament, Giessen, 1934, P. 103.

2) Sur le sens de rhe'ma dans les recits lucaniens de l'enfance, nous ren- voyons specialement a G. Voss, Die Christologie der Lukanischen Schriften in Grundziigen, Paris-Bruges, I965, p. 77.

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non pas: ,,rien n'est impossible a Dieu", mais: ,,aucune Parole ne se- ra impossible (ou impuissante) pour Dieu" 1).

Tres curieuse est l'expression de ii 15: ,,Voyons ce rhetma, cette Parole". Une parole ne se voit pas; elle s'entend 2). Mais il s'agit en l'occurrence d'une Parole de Dieu realisee (to rhema touto to gegonos), qui des lors peut etre vue et touchee: la naissance a Bethleem du Sauveur des hommes. Non sans motif, cette formule a ete rap- prochee de i Jn ii: ,,Ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemple, ce que nos mains ont touche de la Parole de la vie" 3).

En Lc iv 22 (passage propre au troisieme evangile), ,,les paroles de la grace" (logoi tes charitos) qui sortent de la bouche de Jesus ont souvent ete comprises comme des paroles gracieuses ou pleines de charme, on dirait presque d'onction, qui soulevent l'admiration 4). Mais dans les expressions de ce genre, la parole de la grace (cf. Ac xiv 3; xx 32), la parole du salut (cf. Ac xiii 26) la parole de la vie (cf. Ph ii i6), le genitif, note justement G. KITTEL 5), n'est pas une simple determination de la parole; il en precise l'efficacite; venant en definitive de Dieu, elle n'annonce pas seulement la grace, le salut, la vie, mais elle les produit. De plus ,,grace" et ,,Esprit" sont facilement interchangeables: c'est parce que Etienne est ,,rempli de grace et de puissance" (Ac vi 8) qu'il accomplit des pro- diges, et c'est par ,,l'onction d'Esprit et de puissance" (Ac x 38) recue par Jesus au bapteme que sont expliquees des guerisons miracu- leuses.

Au reste le contexte immediatement subsequent invite a compren- dre, non pas que les auditeurs admiraient, mais bien plutot qu'ils trouvaient etonnantes ou etranges les paroles charismatiques de Jesus qui proclamaient le don de la grace. W. Grundmann explique

1) Cf. W. GRUNDMANN, Das Evangelium nach Lukas, p. 54 et 59. Adunatein signifie ,,etre incapable ou impuissant" quand il s'agit d'un etre vivant, et ,,etre impossible" quand il s'agit d'une chose. Parce que la Parole de Dieu est une r6alit6 vivante et active, la traduction ,,etre impuissant" serait ici acceptable'

2) On lit en Dt 4, I2: ,,Yahv6 vous parla alors du milieu du feu; un son de paroles vous entendiez, aucune image vous ne voyiez sauf (qu'il y avait) une voix". Nous avons respect6 l'ordre des mots en h6breu, ce qui montre que les mots ,,sauf une voix" ne sont pas le complement direct du verbe ,,voir". I1 n'y a donc pas la un v6ritable ant6ecdent de Lc 2, 15.

3) Cf. F. RIENECKER, Das Evangelium des Lukas, Wuppertal, 1959, p. 60. 4) Ainsi s'exprime M. J. LAGRANGE, Evangile selon saint Luc, p. I40; cf.

pareillement E. OSTY, Saint Luc, (Bible de Jerusalem) in h.l. 5) Theologisches Worterbuch zum N.T., p. 120.

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meme que les auditeurs etaient scandalises et que ce scandale avait un double motif: tout d'abord, dans ses perspectives d'avenir, Jesus ne soufflait mot du chatiment des nations, et il faisait es- perer le salut aux Nazareens, parce qu'il voyait en eux des gens pauvres et humilies, ce qu'ils ne voulaient pas etre; en outre, lui qu'eux connaissaient bien, il avait l'audace de se presenter comme le messager de ce salut 1).

Meme si l'on se refuse a interpreter ici le verbe thaumazein en un sens aussi pejoratif, il faut au moins admettre que ,,les paroles de la grace" designent les paroles prophetiques ou charismatiques de Jesus 2). Plus loin nous etudierons la formule de Ac xx 32: ,,la Paro- le de la grace", formule que nous mettrons en rapport avec le Logos ,,plein de grace" du prologue johannique.

En Mc i 27 les spectateurs de la guerison d'un demoniaque se demandent: ,,Qu'est cela? Un enseignement (didache) nouveau donne d'autorite. I1 commande meme aux esprits impurs, et ils lui obeissent". Dans le passage parallele de Luc (iv 36), c'est le logos meme de Jesus qui provoque la stupeur: ,,Quel est ce logos qu'avec autorite et puissance il commande aux esprits impurs et ils sortent ?" Le mot logos peut difficilement n'etre ici qu'un simple equivalent de l'enseignement (didache) de Marc. II pourrait etre pris au sens de chose ou d'evenement, comme rhema dans les recits de l'enfance (cf. supra) 3). Plus probablement il designe le verbe imperatif tout puissant de Jesus: ,,tandis que le demon n'obeissait pas toujours aux exorcismes compliques des Juifs, il rencontre ici une autorite qui lui en impose" et une puissance qui le contraint". 4)

Dans le recit de la guerison du serviteur du centurion, la for- mule pleonastique ,,dis par une parole (eipe logo), et que mon servi- teur soit gueri" (vii 7) est destinee a souligner l'efficacite souve-

1) Das Evangelium nach Lukas, p. 121-122; cf. pareillement B. VIOLET, Zum Verstdndnis der Nazareth Pericope, Lc iv I6-20, dans Z N W, 37 (1938), p. 251-271; G. BERTRAM, Theologisches Worterbuch zum N.T., III art. thauma, thaumazo, p. 38; J. JEREMIAS, Jesus Verheissung fiir die Volker, Stuttgart, I958, p. 38-39; M. CAMBE, La charis chez saint Luc, R.B. 70 (1963), p. 201, note i8.

2) Cf. F. GILS, Jesus prophete d'apres les Evangiles Synoptiques, Louvain, 1957, P. 12-18; I. DE LA POTTERIE, L'Onction du Christ, Nouvelle Revue Theologique, 1958, p. 231.

3) Telle est 1'interpretation de BEDE, LUTHER, GROTIUS d'apres A. PLUM- MER, The Gospel according to St Luke, Edinburgh, 1951, P. I05. En Lc ix, 44 tous logous toutous peut first bien signifier "tout cela" cf. commentaire de LAGRANGE, p. 279; G. GAMBA II Messianismo, Brescia, I966, p. 238-248.

4) M. J. LAGRANGE, Evangile selon saint Luc, p. 150.

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raine de la Parole de Jesus, qui n'a qu'a parler pour que la gueri- son s'opere; la Parole de Jesus operant a distance sera le moyen choisi par lui pour remplacer sa presence corporelle (logo est un datif d'instrument). Ici s'impose le souvenir de la tradition pro- phetique sur la Parole, l'un des antecedents veterotestamentaires les plus remarquables de l'hymne au Logos qui ouvre le quatrieme evangile 1). Mais Lc vii 7 nous rapproche bien davantage du pro- logue johannique. En effet les prophetes de l'Ancien Testament ne sont que les serviteurs de la Parole; par exemple ce n'est pas la pa- role d'Elie et d'l,lisee qui produit la secheresse, assainit les eaux de Jericho et ressuscite les morts (i R xvii i, 17-24; 2 R ii I9-22; iv

33-37); c'est la Parole meme de Yahve dont E,lie et Elisee ne sont que les instruments. Au contraire c'est la Parole de Jesus qui opere les guerisons.

I1 y a lieu de rappocher Lc v, 15 et vii 17: dans les deux cas un logos lie a la personne de Jesus et qui porte sur l'idee qu'on doit se faire de lui se repand dans tout le pays. Seul le premier texte a un correspondant dans le second evangile. Mais, alors que dans Marc le lepreux divulgue la nouvelle de sa guerison en depit de la defense de Jesus, Luc ne mentionne pas cette defense; il se borne a sou- ligner qu'a la suite du miracle le logos sur Jesus, c'est-a-dire le discours favorable que les foules tiennent sur son compte, se repand de plus en plus, litteralement ,,va son chemin" de plus en plus (dierchesthai; exerchesthai en vii 17) a la maniere d'un bienfaisant messager.

C'est dans les Actes des Apotres que la conception lucanienne de la parole acquiert le plus de relief. C'est Ia surtout qu'en depen- dance de la litterature prophetique et des Psaumes (cf. par exemple Is ix 7; 55, IO-II; Ps civ 20; 147, 8 ...) elle est presentee comme un vivant messager: ,,I1 a envoye sa parole aux enfants d'Israel" (x 36); ,,C'est a vous que cette parole du salut a ete envoyee" (xiii 26). Les progres de la predication missionnaire et de la communaute chretienne qui nait de cette predication sont appeles la croissance de la Parole. La encore il convient de mettre une majuscule au mot Parole, car ses progres sont exprimes trois fois de suite, comme on le ferait pour la croissance d'un etre vivant 2), ou, plus precise-

1) Cf. L. DtRR, Die Wertung des gottlichen Wortes im Alten Testament und im Antiken Orient. Zugleich ein Beitrag zur Vorgeschichte des neutestament- lichen Logosbegriffes, Leipzig I938; G. RINGGREN, Word and Wisdom, Lund I947.

2) Cf. E. HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, G6ttingen, 1956, p. 221.

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TEMOINS OCULAIRES ET SERVITEURS DE LA PAROLE

ment encore, selon une juste remarque de J. DUPONT 1), de la meme fa9on que les recits lucaniens de l'enfance decrivent la croissance de Jesus: ,,La Parole du Seigneur croissait, et le nombre des disciples augmentait considerablement (vi 7) ... La Parole de Dieu croissait et se multipliait (xii 26) ... La Parole du Seigneur croissait et s'affermissait puissamment" (I9, 20).

I1 est difficile que cette correspondance soit fortuite. En af- fet, aux yeux de saint Luc, le temps du Christ, lui-meme prepare par le temps d'Israel, est une preparation du temps de l'l,glise. Des lors il est normal qu'aux premieres annees de Jesus soient compares les debuts de l'fglise. Certes les recits lucaniens de l'enfance nous maintiennent dans un climat d'Ancien Testament. Mais Jesus, et, sous plusieurs rapports, sa Mere elle-meme font evidemment ex- ception: par exemple la ressemblance manifeste des formules en i 35 et Ac i 8 (to pneuma et eperchesthai: nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament) fait voir en la descente de l'Esprit Saint sur Marie lors de l'Annonciation un veritable prelude a la descente de l'Esprit Saint a la Pentecote sur les Apotres.

A l'instar des Synoptiques, les Actes des Apotres rapportent d'ordinaire le verbe doxazein a la glorification de Dieu. Une fois cependant ils l'appliquent, comme le quatrieme evangile (vii 39; xi 4 xii I6 etc...), a la glorification de Jesus. Dans les deux cas cette application est dependante du dernier des poemes du Servi- teur (Is lii I3:LXX: doxasthesetai sphodra), implicitement dans le quatrieme evangile 2), explicitement dans les Actes oiu le Christ est appele en meme temps Serviteur: ,,Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos peres a glorifie son Serviteur Jesus" (iii I3).

I1 est interessant de constater que, comme il est question en Ac iii 13 de la glorification de Jesus Serviteur, plus loin (en xiii 48) il est parle de la glorification de la Parole du Seigneur, qui concer- ne non seulement l'enseignement de Jesus, mais encore et meme surtout sa personne: ,,Les paiens se mirent a glorifier la Parole du Seigneur". De cette meme Parole du Seigneur il est dit au verset suivant (xiii 49) qu' ,,elle se repandait dans toute la region".

1) Le Discours de Milet, Testament Pastoral de saint Paul (Ac xx 18-36) Paris, I962, p. 243.

2) Cf. en ce sens C. K. BARRETT, The Gospel according to St John, London, I956, p. I78-I79; R. E. BROWN, The Gospel according to John (I-I2), New- York, I966, p. I45-I46; R. SCHNACKENBURG, Das Johannesevangelium, (I Teil), Freiburg-Basel-Wien, 1965, p. 409.

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Le passage le plus suggestif se lit en Ac xx 32, a la fin du discours d'adieu qu'a Milet l'Apotre des Gentils adresse aux anciens d'itphese: ,,Et maintenant je vous confie a Dieu et a la Parole de sa grace, qui a la puissance de construire l'edifice et de vous procurer l'heritage avec tous les sanctifies". Nous n'avons pas a commenter ce texte en detail, mais seulement a souligner ce qui concerne la theologie de la parole. Nous ferons a ce sujet les deux observations suivantes:

I?) Alors que d'ordinaire la parole est confiee aux predicateurs, ici les anciens d'Ephese sont confies a la Parole de la grace, comme ils sont confies a Dieu. Cette expression insolite s'explique par ce que nous avons deja dit plus haut au sujet de Lc iv 22: la Parole de la grace n'annonce pas seulement la grace divine, mais elle la con- tient et l'apporte aux hommes, si bien que confier des hommes a une telle Parole, c'est la meme chose que les confier a la grace de Dieu, comme cela est dit en xiv 26 et xv 40: ,,recommandes a la grace pour l'oeuvre qu'ils venaient d'accomplir . ..; apres avoir ete con- fies par les freres a la grace de Dieu".

2?) Ce que nous venons de dire demeure encore une explication insuffisante du langage de saint Luc. C'est ce que montre la suite du texte. Nombre d'exegetes le comprennent a la maniere de la Vulgate, qui fait de Dieu, et non de la Parole, le sujet des verbes: ,,je vous confie a Dieu et a la Parole de la grace de Dieu, lui qui a le pouvoir". Mais une construction aussi bizarre ne doit etre supposee que s'il est vraiment impossible, ainsi que le demanderait la gram- maire, de faire de la Parole l'auteur des actes qui suivent. Or il n'en est rien, et c'est ici que s'avere feconde la comparaison avec la for- mule insolite de Lc i 2, et d'autres formules encore, que nous avons relevees plus haut.

Dans le prologue de son evangile, saint Luc fait mention des ,,temoins oculaires et serviteurs de la Parole", ce qui est etrange: est-on temoin oculaire d'une Parole? I1 fait dire aux bergers en ii I5: ,,Allons a Bethleem et voyons la Parole qui est arrivee". A plu- sieurs reprises dans les Actes il traite la Parole comme un petit en- fant qui grandit. Dans ces conditions est-on autorise a lui refuser l'idee de la Parole concue comme une sorte de puissance mediatrice vivante entre Dieu et les hommes, distributrice de la grace et dotee d'une energie qui la fait participer a la souveraine efficacite de l'action divine? Une telle Parole est capable de conduire jusqu'a son plein epanouissement l'edifice de la foi chretienne, et aussi de procurer aux chretiens ,,l'heritage", leur Terre Promise, la felicite

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qui les attend dans le monde a venir. Telle est l'interpretation la plus obvie de Ac xx 32.

I1 serait exagere de pretendre decouvrir deja ici l'hypostase de la Parole, telle que la presente le debut du quatrieme evangile. Mais il est indubitable qu'au meme titre que la formule ,,temoins ocu- laires et serviteurs de la Parole", ce passage est une etape tres im- portante sur la voie qui conduit a ce sommet doctrinal. I1 existe une evidente parente entre ,,le logos de la grace", capable de construire l'edifice chretien, de Ac xx 32, et le Logos du prologue johannique, Logos ,,plein de grace et de verite" (i 14): de qui nous avons recu ,,grace sur grace" (i I6), et qui a apporte a l'humanite ,,la grage et la verite" (i I7). I1 est a noter que le mot grace (charis) n'est utilise par le quatrieme evangile qu'en ce seul passage, oiu trois fois de suite il est mis en connexion intime avec le Logos. Comme le dit excellement J. Dupont a propos de Ac xx 32, la doctrine johan- nique du Verbe n'est pas tombee du ciel toute faite; ,,elle est une resultante, un point d'arrivee; elle a ete preparee par toute une reflexion chretienne qui baigne elle-meme dans le contexte de la pensee juive" 1).

III) ,,Les temoins oculaires de la Parole" de Lc i I-2 et I Jn i 1-2.

Outre la connexion entre les formules hardies de saint Luc re- latives a la Parole et le Logos de saint Jean, nous devons encore noter un phenomene curieux, dont on s'etonne qu'il n'ait pas retenu davantage l'attention des commentateurs. Nous voulons parler de l'etroite parente qui existe entre la phrase lucanienne: ,,ceux qui fu- rent des le commencement les temoins oculaires et serviteurs de la Parole" et le prologue de la premiere epitre de saint Jean: ,,Ce qui fut des commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemple et ce que nos mains ont touche concernant la Parole de la Vie; - car la Vie s'est manifestee, et nous avons vu, et nous rendons temoignage, et nous vous annon9ons la Vie eternelle qui etait aupres du Pere et s'est manifestee a nous -; ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annon9ons aussi a vous, afin que vous aussi vous soyez en com- munion avec nous" (i Jn i I-2).

Avant toute comparaison entre ce prologue de la premiere epi- tre de Jean et le texte de Lc i 2b que nous sommes en train d'etudier, nous devons faire une remarque prealable. II faut se garder de ne

1) Le Discours de Milet, p. 244.

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voir dans la preface de l'epitre johannique qu'un simple resume du

prologue du quatrieme evangile. Il est certes evident que les deux morceaux s'appellent l'un l'autre. Neanmoins la difference entre eux est considerable 1).

Tandis que selon l'evangile le Logos existait ,,au commence- ment" (en arche), c'est-a-dire anterieurement a tout l'univers cree, de toute eternite, dans l'epitre une expression analogue ,,des le commencement" (ap'arches) renvoie plutot, croyons-nous, au debut de l'experience chretienne: l'auteur se refere a ,,ce qui fut des le commencement" de l'histoire du christianisme et de sa propre experience chretienne pour condamner les nouveautes dangereuses enseignees par les faux docteurs.

Autre difference: tandis que le prologue du quatrieme evangile se sert du mot Parole a l'absolu pour designer ,,le Fils unique qui est dans le sein de son Pere" (Jn i 18), le prologue de l'epitre ne s'exprime pas avec autant de hardiesse et de nettete; il semble he- siter entre deux appellations du Christ preexistant: la Parole de la Vie et la Vie; l'equivalent de Jn i I4: ,,le Verbe s'est fait chair" est ici ,,la Vie s'est manifestee". Cette seconde difference est sug- gestive. La ,,Parole de la Vie" evoque le message evangelique (cf Ph ii i6), comme d'autres expressions similaires deja signalees plus haut: la Parole de la grace, la Parole du salut... C'est donc de ce message que l'auteur est parti pour aboutir a l'hypostase de la paro- le. Il en resulte immediatement que les prologue de l'epitre doit etre anterieur a celui de l'evangile; ce dernier suppose en effet une re- flexion theologique plus poussee.

Une fois faites ces observations indispensables, on ne peut manquer d'etre frappe par les ressemblances entre le prologue de la premiere epitre de Jean et la formule lucanienne: ,,(les evenements) tels que nous les ont transmis ceux qui furent des le commencement les temoins oculaires et serviteurs de la Parole".

I?) Dans les deux cas les mots ,,des le commencement" nous renvoient aux debuts de l'experience apostolique vecue en compa- gnie du Christ demeurant sur la terre; cette coincidence est d'autant plus remarquable que l'expression ,,des le commencement" (ap'ar- ches) est vraiment caracteristique de l'epitre johannique, ou elle revient jusqu'a sept ou huit fois, avec d'ailleurs une signification qui n'est pas partout la meme: i I; ii 7 (peut-etre deux fois); ii I3,

1) Nous avons 6tudi6 plus en detail cette difference dans Le Prologue du Quatrieme Evangile, Paris, I968, p. 211-217.

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I4; ii 24 (deux fois); iii 8, ii. Dans le quatrieme evangile egalement on trouve un ,,des le commencement" (xv 27) qui pour le sens cor- respond exactement a celui de Lc i 2; nous allons le citer mainte- nant.

2?) L'experience apostolique qui a consiste a vivre avec Jesus, a le voir et a l'entendre est donnee dans les deux cas comme le fondement d'un temoignage dont l'importance est capitale, puisque c'est sur lui que s'appuie la foi chretienne de tous ceux qui n'ont pas vu et enten- du de semblable fa9on. I1 y a un rapport certain entre ,,ceux qui fu- rent des le commencement les temoins oculaires et serviteurs de la Parole" et ,,ce qui fut des le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux concernant la Parole de la Vie ... nous vous l'annoncons". Tout aussi evidente est la relation de Lc i 2b avec la declaration de Jesus en Jn xv 27: ,,Vous aussi vous temoignerez, parce que vous etes avec moi depuis le com- mencement". I1 convient d'ajouter que si l'association de l'experience visuelle et du temoignage est en soi naturelle (pour temoigner il faut au prealable avoir vu), elle est surtout caracteristique du quatrieme evangile. Jean Baptiste declare,,J'ai vu et j'atteste que c'est lui l'Ilu de Dieu" (Jn i 34). On lit en Jn xix 35 au sujet de la transfixion du Crucifie: ,,Celui qui a vu en rend temoignage". Le Christ dit lui-meme en iii I: ,,Nous attestons ce que nous avons vu".

3?) Enfin l'experience apostolique a porte dans les deux cas sur un message qui est indissolublement lie a la personne de Jesus et, en fin de compte, s'identifie avec lui. Ainsi seulement peuvent s'ex- pliquer ces expressions singulieres: en Luc ,,temoins oculaires et serviteurs de la Parole"; en Jean ,,entendre, voir de ses yeux et tou- cher de ses mains la Parole de la Vie". Cependant, ni dans un cas ni dans l'autre, la reflexion theologique n'a encore abouti a l'hypos- tase de la Parole. II convient de dire ceci: les deux textes lucannien et johannique sont une preparation du prologue du quatrieme evangile; la preparation est toutefois plus poussee en i Jn i I-2b.

Une evidence s'impose maintenant avec force a notre esprit. D'une maniere generale saint Luc estime que ,,le recit des evene- ments qui se sont accomplis parmi nous", c'est-a-dire le recit des origines chretiennes, tel qu'on a voulu en faire avant lui et tel qu'a son tour il a voulu en rediger un, doit necessairement s'appuyer sur ,,ce que nous ont transmis ceux qui furent des le commencement les temoins oculaires et serviteurs de la Parole"; c'est-a-dire sur le te- moignage apostolique. Il convient de rapprocher Lc i 2 de Ac i 8:

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A. FEUILLET

,,Vous serez mes temoins" ainsi que de i 21-22: le rempla9ant de Judas doit etre pris parmi ceux qui ont vecu Jesus ,,depuis le bapteme de Jean jusqu'au jour ou Jesus nous fut enleve". Mais par- mi ces ,,temoins et serviteurs de la Parole" que saint Luc a consul- tes personnellement pour la composition de son grand ouvrage en deux tomes, le troisieme evangile et les Actes des Apotres, il doit y avoir en tout premier lieu le meme personnage considerable qui est au point de depart du quatrieme evangile et qui est egalement l'auteur de la premiere epitre dite de saint Jean.

En depit de quelques differences dont nous ne songeons pas a minimiser l'importance 1), nous sommes en effet convaincu, avec la majorite des critiques, que ces deux ecrits de la bibliotheque johan- nique proviennent de la meme main, celle du disciple bien-aime. D'autre part ce disciple bien-aime, dont le temoignage est a la base meme du quatrieme evangile (cf. Jn i 14; xix 35; xxi 24) ne peut etre a notre avis, que l'Apotre saint Jean lui-meme, comme l'af- firment Irenee, Clement d'Alexandrie, Tertullien, le Canon de Muratori.

Deux donnees complementaires nous orientent en ce sens et viennent confirmer la Tradition la plus ancienne 2). Sans cette iden- tification, il serait proprement incomprehensible que le quatrieme evangile, plus riche en precisions de toutes sortes et en noms pro- pres que les Synoptiques, plus riche surtout en renseignements sur les apotres, passe completement sous silence des personnalites aussi importantes que les deux fils de Zebedee, Jacques et Jean. A cela s'ajoute une coincidence tout a fait significative: dans le quatrieme evangile le disciple bien-aime est etroitement associe a Pierre avec lequel il semble entretenir une amitie speciale (xiii 23 sq; xviii 15; xx 3-IO; xxi 20-23), exactement de la meme fa9on que, deja dans le troisieme evangile et surtout dans les Actes des Apotres, les deux apotres Pierre et Jean se trouvent rapproches et lies entre eux (Lc xxii 8; Ac iii I-I, II; iv 10, I9; viii I4).

1) Ceux qui postulent une dualit6 d'auteurs mettent en avant surtout les arguments suivants qui ne peuvent contrebalancer la masse consid6rable d'affinites entre les deux ecrits: le vocabulaire plus pauvre de l'epitre, son manque de references a l'Ancien Testament, alors que l'evangile en est abondamment pourvu, l'usage fait de temps en temps dans l'epitre d'un langage apocalyptique (Parousie, antichrist), que l'6vang6liste semble s'etre applique a eviter.

2) Cf. B. DE SOLAGES, Jean, Fils de Zebedee et l'enigme du disciple que Jesus aimait, dans Melanges d'Histoire Religieuse offerts a Monseigneur Elie Griffe, Toulouse, 1972, p. 41-50.

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TEMOINS OCULAIRES ET SERVITEURS DE LA PAROLE

CONCLUSION

Precieuses sont les conclusions qui decoulent de l'enquete que nous venons de faire. Nous ne voulons pour le moment que les in-

diquer brievement nous reservant de les developper dans des etudes ulterieures.

Nombre de critiques modernes se sont complus a relever les affi- nites profondes du corps de troisieme evangile (chapitres 3 a 24) avec le quatrieme evangile 1). II se peut que, de temps en temps, l'evan-

gile de Jean ait subi l'influence de celui de Luc, qui lui est ante- rieur. Mais, la plupart du temps, c'est le rapport inverse qui se trouve suggere par l'examen objectif des textes. Le temoignage du

quatrieme evangile est en grande partie autonome, et c'est Luc qui a subi l'influence de la tradition johannique 2). Precisement, dans le

prologue de son evangile, il suggere lui-meme cette dependance par rapport a la tradition johannique, quand il parle de ,,ce que nous ont transmis ceux qui furent des le commencement les temoins oculaires et serviteurs de la Parole".

Bien que s'exerCant alors d'une autre maniere, l'influence de la tradition johannique doit certainement etre etendue aux recits de 1'enfance de Lc I-2. C'est ce qui resulte de plusieurs recherches recentes 3). La encore le prologue du troisieme evangile est eclai-

1) Nous nous contenterons de mentionner ici la monographie de F. LAMAR CRIBBS, St Luke and the Johannine Tradition, Journal of Biblical Literature, I97I, p. 422-450. Cette 6tude est remarquable par son objectivit6 et par l'am- pleur de l'information.

2) Il n'est pas possible d'admettre l'opinion de M. E. Boismard, selon laquelle ce ne serait pas Luc qui d6pendrait de la tradition Johannique, mais ce serait Jean qui d6pendrait de Luc: Saint Luc et la redaction du quatrieme evangile (Jn iv 46-54), RB, 1962, p. 185-211. Nous ne pouvons discuter ici cette hypothese. Nous nous contenterons d'une simple observation. C'est la position exactement inverse que suggere l'examen objectif des textes. Alors que le quatrieme 6vangile se donne explicitement comme un temoignage et le fruit d'une exp6rience directe (i I4c; xv 27; xix 35; xxi 24; a comparer avec I Jn i 1-3; cf. notre ouvrage: Le Prologue du Quatrieme Evangile, p. IoI- IIO), au contraire saint Luc dans son Prologue s'affirme d6pendant de ,,ceux qui furent des le commencement les t6moins oculaires et serviteurs de la Parole". Lagrange observe excellement au sujet de Lc i 2b: Luc ,,se range nettement parmi les disciples (hemin) qui n'ont pas connu le Seigneur, mais non moins nettement parmi ceux qui ont 6t6 instruits par les apotres. La tradition en elle-meme peut etre m6diate ou immediate: mais quand un historien donne comme autorite' des temoins oculaires, c'est qu'ils son sont autoritd immediate; autrement il tromperait son public" (Evangile selon saint Luc, P. 5).

3) Mentionnons E. BURROWS, The Gospel of the Infancy and other Biblical Essays, edited by E. F. SUTCLIFFE, The Bellarmine Series VI, London I940;

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rant. Saint Luc nous y dit qu' ,,il s'est informe avec soin de tout depuis les origines" 1), ce qui est une maniere d'insinuer que, pour ses recits des deux premiers chapitres (les origines du precurseur et de Jesus), il a dispose de sources speciales. On peut penser qu'en l'oc- currence il a beneficie de l'aide de l'apotre saint Jean. II nous laisse entendre que les renseignements qu'il a rassembles dans ses premiers chapitres remontent en definitive, soit aux cercles baptistes, soit a la Mere de Jesus: ,,Tous ceux qui entendaient parler de ces evenements les gravaient dans leur coeur" - i 66; cf. i 58 et ii 38); ,,Marie conservait avec soint tout ces souvenirs et les meditait en son coeur" (ii 19); ,,Sa Mere gardait fidelement tous ces souvenirs en son coeur" (ii 5I). Or l'ap6tre saint Jean se trouvait lie tout a la fois, et aux cercles baptistes, et a la Mere de Jesus.

Meme dans les Actes des Ap6tres, le second tome du grand ou- vrage de Luc sur les origines chretiennes, l'exegese moderne a detecte une certaine action de la tradition johannique 2). Ici il convient de se garder d'un double exces. I1 ne faut pas dire avec H. SAHLIN 3) que le prologue de Lc i I-4, qui, comme nous venons de le montrer, se refere au temoignage de l'ap6tre saint Jean, viserait avant tout les derniers chapitres des Actes, sous pretexte qu'il aurait un caractere juridique et apologetique et serait une defense de l'apotre saint Paul (cf. supra notre premier paragraphe). Mais on ne peut pas non plus soutenir que les Actes des Apotres auraient ete ajoutes apres coup a l'oeuvre lucanienne comme un appendice qui n'aurait pas ete prevu

R. LAURENTIN, Structure et Theologie de Luc 1-2, Paris, I957, R. LAURENTIN,

Jesus au Temple, Mystere de Pdques et Foi de Marie en Luc ii 48-50, Paris, I966.

1) II nous parait certain qu'il faut traduire an6then de Lc i 3 par ,,depuis les origines", et non point par ,,depuis longtemps", comme le voudrait Lagrange: Luc voudrait dire qu'il a commence son enquete depuis longtemps et l'a toujours poursuivie. Cette interpr6tation est possible, mais n'est guere naturelle. Dans son De Corona (172; p. 285), D6mosthene use d'une formule presque semblable a celle de Luc pour nous dire qu'il a suivi les 6v6nements depuis les origines. Les ap6tres n'ayant ete les t6moins que depuis les d6buts du ministere public, il est normal que saint Luc, pour justifier les deux pre- miers chapitres de son 6vangile, eprouve le besoin de nous dire qu'il est remonte plus haut que ces temoins. Tres faible est l'objection soulevee par Lagrange: il y aurait, dit-il, tautologie, et an6then, pris au sens de ,,depuis les origines", ferait double emploi avec ,,tout" (pasin): s'appliquer a tout connaitre, est-ce exactement la mgme chose que remontrer aux origines?

2) Cf. par ex. F. LAMAR CRIBBS, St Luke and the Johannine Tradition, p. 435, note 40; P. PARKER, Mark, Acts and Galilean Christianity, dans New Testament Studies, I6 (1969-I970), p. 295-304.

3) Der Messias und das Gottesvolk, p. 44 sq.

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Page 20: "Temoins oculaires et serviteurs de la parole" (Lc I 2b)

TEMOINS OCULAIRES ET SERVITEURS DE LA PAROLE

primitivement 1). En realite le prologue de Lc i I-4 vise d'abord le troisieme evangile, mais il concerne aussi secondairement les Actes des Ap6tres. En effet les debuts de l'histoire de l'Iglise font eux aussi partie des ,,evenements accomplis parmi nous". Ce ,,parmi nous" s'explique mieux quand on se souvient que saint Luc, qui ne fait pas partie du groupe des apotres, a cependant ete le spectateur d'une partie de ces evenements (cf. le recit a la premiere personne du pluriel a partir de Ac xx 5).

Tout n'a pas ete dit, pas plus en exegese que dans les autres domaines. II est etonnant que jusqu'ici l'on n'ait guere pris en con- sideration la ressemblance entre ,,temoins oculaires et serviteurs de la Parole" de Lc i 2b et la tradition johannique. Deja consideree en elle-meme, cette ressemblance est assez frappante pour attirer l'at- tention et empecher de croire a une recontre purement fortuite. A notre avis, son caractere intentionnel devient certain, une fois qu'on a pris garde qu'elle est confirmee par des contacts precis et nom- breux entre la tradition johannique et les trois parties de l'ceuvre lucanienne: le corps du troisieme evangile, les recits de l'enfance de Lc I-2 et les Actes des Apotres.

1) Cf. en ce sens SCHUTZ, Apostel und Jiinger, Giessen, 1921, p. 45.

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