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EHESS Entre terre et territoire: Enracinement de l'identité palestinienne Author(s): Christine Pirinoli Source: Études rurales, No. 163/164, Terre Territoire Appartenances (Jul. - Dec., 2002), pp. 91- 107 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20122936 . Accessed: 25/06/2014 01:31 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Études rurales. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.2.32.121 on Wed, 25 Jun 2014 01:31:38 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Terre Territoire Appartenances || Entre terre et territoire: Enracinement de l'identité palestinienne

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Entre terre et territoire: Enracinement de l'identité palestinienneAuthor(s): Christine PirinoliSource: Études rurales, No. 163/164, Terre Territoire Appartenances (Jul. - Dec., 2002), pp. 91-107Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20122936 .

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ENTRE TERRE ET TERRITOIRE: ENRACINEMENT DE L'IDENTIT? PALESTINIENNE

L'ANTHROPOLOGIE A OP?R?, ces derni?res

ann?es, diff?rentes remises en question

(autorit? du chercheur, ?criture, mythe du

terrain) qui lui ont permis de s'adapter au

contexte actuel et de modifier son approche de

l'alt?rit?. L'un des changements majeurs a ?t?

la prise en compte de processus sociaux et

culturels qui ?manaient non plus de soci?t?s

s?dentaires et localis?es - ? l'instar des villages ?tudi?s par les auteurs classiques

- mais de

communaut?s se (re)constituant dans et par la

mobilit?. Globalisation oblige, l'anthropologie a, avec raison, mis l'accent sur le mouvement,

la circulation (de personnes, d'informations ou

d'objets culturels). Cependant, le fait de privi

l?gier, en tant que perspective analytique, le

transnationalisme ou, plus g?n?ralement, la glo balisation, occulte partiellement l'importance du r?gional dans la structuration des groupes sociaux et dans leurs strat?gies de mouvements

[Shami 1996 :4]. Les constructions identitaires palestiniennes

illustrent bien l'interp?n?tration du local et du

global ou, en d'autres termes, le lien entre la

terre, le territoire, la nation et le transnational :

r?fugi?e depuis plus de cinquante ans, une partie

Christine Pirinoli

de la ? communaut? imagin?e ? [Anderson

1991] vit dans sa patrie (mais pas sur sa terre), alors que l'autre partie est dispers?e dans plu sieurs pays, arabes ou non. En outre, cette m?me

terre est revendiqu?e par Isra?l comme territoire

national. Au c ur de conflits depuis le d?but du

si?cle, elle est au centre des constructions iden

titaires des deux peuples qui, tous deux partiel lement d?territorialis?s, la r?clament comme lieu

l?gitime de leur retour. De ce fait, si une analyse de ces communaut?s en termes de transnationa

lisme est pertinente, une prise en compte du

local en tant que source des appartenances na

tionales est indispensable ? leur compr?hension. Dans cette optique, je souhaite examiner

l'importance des notions de terre et de territoire

pour la structuration de la soci?t? palestinienne. Je traiterai essentiellement des repr?sentations des r?fugi?s de la bande de Gaza1 car ils consti

tuent, en quelque sorte, un cas particulier : r?fu

gi?s depuis plus d'un demi-si?cle, ils r?sident

n?anmoins en terre palestinienne, sur une frac

tion de ce qui est n?goci?, depuis 1992, comme

futur territoire national. Cependant, leurs reven

dications ont longtemps vis? (et visent encore,

suivant leur position) le droit au retour de tous

les r?fugi?s sur leur terre d'origine et la restitu

tion de celle-ci pour en faire leur territoire na

tional. Ce deuil d'une grande partie de la patrie en ?change de l'espoir de transformer l'autre en

territoire rend particuli?rement saillante l'ins

trumentalisation, populaire et officielle, des

notions de terre, de territoire et de nation en tant

que referents symboliques majeurs.

1. Cette ?tude s'appuie sur une enqu?te de terrain d'une

ann?e men?e dans la bande de Gaza, entre mars 1998 et

f?vrier 1999.

?tude? rurale&, juillet-d?cembre 2002, 163-164 : 91-108

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Christine Pirinoli

g 2 J'aborderai ici la fa?on dont la m?moire col

lective se construit autour de ces notions, ce

principalement en fonction d'un c?t? des repr? sentations et pratiques isra?liennes et, de l'autre,

du discours nationaliste sur la lib?ration de la

Palestine. Dans un premier temps, cette structu

ration de la nation palestinienne s'est faite en

transcendant l'espace puisque la communaut?

a ?t? ?clat?e. Celle-ci vit dans des territoires

distincts, et est souvent cloisonn?e par des fron

ti?res difficilement franchissables.

Enfin je m'int?resserai aux articulations

actuelles entre la tradition, la terre, le territoire

et la nation, articulations qui ont ?t? modifi?es

par la reterritorialisation des quelques milliers

de Palestiniens - essentiellement des membres

de l'OLP - revenus dans le cadre du processus d'Oslo.

Le r?cit sioniste : ? une terre sans peuple

pour un peuple sans terre ?

Le sionisme politique ?tait marqu?, ? ses d?buts,

par l'ind?termination territoriale : il a opt? pour la Palestine, non pour des crit?res religieux, mais

du fait d'? un attachement historique ? un terri

toire o? le destin national des Juifs s'est nou?.

Non pas la terre, lieu de Vhi?rophanie, mais le

territoire, enjeu de Vhistoire ? [Dieckhoff 1996 :

161 ; italiques de l'auteur]. ? partir de ce choix, il a fallu ?tablir une as

sise territoriale en Palestine - d'o? la politique d'achat de terres pour l'installation des migrants -

et, surtout, l?gitimer la territorialisation du ? peuple sans terre ? et la cr?ation de l'?tat d'Is

ra?l. Ce processus a notamment ?t? ?labor? en

niant l'existence des Palestiniens au profit du

mythe d'une terre vierge en attente du retour de

son propri?taire. Dans cette perspective, les

?v?nements de 1948 sont d?crits comme une

guerre d'? "ind?pendance" vis-?-vis des An

glais (Azma'ut) et de "lib?ration" du joug de la

diaspora (Shihrur) ? [Papp? 1997 : 31]2. Cette vision de l'histoire a ?t? ensuite conso

lid?e par les politiques isra?liennes d'efface

ment des signes de l'existence palestinienne :

outre la r?pression de toute expression de l'i

dentit? et de la culture palestiniennes, 418 villes

et villages ont ?t? ras?s ou renomm?s par leurs

nouveaux habitants isra?liens [Khalidi 1992]3. Seules quelques traces apparemment insigni fiantes d?voilent encore l'emplacement des

villages d?truits : amas de pierres, figuiers de

barbarie ou petites for?ts, les Isra?liens ayant souvent plant? des arbres pour masquer ces

t?moins ind?sirables de la pr?sence de l'Autre.

Y. Zerubavel [1996 : 82] nous rappelle l'im

portance symbolique des arbres en tant que sup

ports de la m?moire nationale et marqueurs de

la propri?t? d'une terre contest?e. Selon elle, 1'afforestation a ?t? un moyen ? la fois d'assurer

une continuit? entre le pass? d?crit par la Thora

et le pr?sent - l'arbre figurant le succ?s ? plan

ter des racines dans leur ? ancienne patrie ? -

et d'effacer de la terre tout signe de l'histoire

palestinienne qui risquait de porter atteinte ? sa

transformation en territoire national h?breu et

au r?cit sioniste la l?gitimant. Cet effacement

s'est d'ailleurs ?galement traduit, dans les terri

toires occup?s, par l'arrachage de centaines

de milliers d'arbres fruitiers, et en particulier

2. Cette citation et les suivantes, tir?es de textes en

anglais, ont ?t? traduites par l'auteur.

3. Concernant d'autres aspects de l'effacement des traces

de l'histoire non juive de la r?gion, voir G. Falah [1996].

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Entre terre et territoire : enracinement de l'identit? palestinienne

d'oliviers, ?minemment ?vocateurs de l'identit?

palestinienne. Ces terres d?sormais ? d?sertes ?

ont le plus souvent ?t? confisqu?es par l'?tat

d'Isra?l.

Les accords d'Oslo n'ont pas mis fin ? ces

pratiques : de nombreuses terres ont ?t? saisies

pour l'agrandissement des colonies ou pour des

routes de contournement permettant de relier

ces derni?res entre elles et ? Isra?l. Ce maillage du territoire cr?e des fronti?res quasi infran

chissables autour des localit?s palestiniennes,

emp?che leur d?veloppement et limite les mou

vements de personnes, entre autres vers les ter

res agricoles. Pour S. Fouet, cette politique a en r?alit? une double vis?e : ? d'une part un

contr?le (macro) des Palestiniens et une cessa

tion de la pr?sence directe du soldat isra?lien en

zone A, d'autre part, une conqu?te (micro) de la

terre ?[2000: 30]. En outre, entre septembre 2000 - d?but de

1'intifada Al Aqsa - et f?vrier 2001, pr?s de

15000 donum4 (dont 80 % de terre agricole) ont ?t? an?antis dans la bande de Gaza, ce qui

repr?sente des centaines de milliers d'arbres

fruitiers arrach?s. En parall?le, des centaines de

maisons et d'abris (dans les camps) ont ?t?

d?molis. Officiellement ces d?vastations ?taient

n?cessaires pour des raisons de s?curit? ou par mesure de repr?sailles. En r?alit?, on peut se

demander si l'?tat h?breu ne pousuivait pas un

double objectif : pratiquement, il s'agit d'une

punition collective qui nuit gravement et dura

blement ? l'?conomie palestinienne et ? la sur

vie des familles concern?es ; symboliquement, ces actions affichent la volont? isra?lienne de

montrer qui d?tient la terre - en d?pit du fait que

(ou justement parce que ?) la majorit? des par celles en question se trouvaient en zone A, sous

l'?gide de l'Autorit? palestinienne. ? nouveau q~ la m?me ambition semble sous-tendre ces agis sements : contr?ler les personnes et s'approprier la terre5.

L'arbre est ? tout point de vue le symbole id?al pour repr?senter les racines sociales et cul

turelles d'un peuple. Arracher l'un pour mieux

implanter l'autre : tel semble ?tre l'enjeu de ces

politiques de destruction et de confiscation des

terres agricoles. Elles permettent l'implantation d'une identit? nationale exclusive en ?liminant

tout ce qui, dans l'espace, d?notait de la relation

palestinienne au territoire. En effet, la construc

tion d'un ?tat-nation et, partant, d'une identit?

nationale requiert ? l'historicit? d'un territoire

et la territorialisation de l'histoire ? [Poulantzas 1980 : 114]. Dans ce sens, l'historiographie sio

niste et la politique de l'?tat h?breux se sont

parfaitement compl?t?es pour enraciner la m?

moire juive et une identit? nationale nouvelle

dans ce territoire, et pour ? d?-signifier ? [Falah

op. cit.] tout ce qui liait les Palestiniens ?

la terre.

4. Le donum est une mesure ottomane qui correspond ?

1000 m2. Ce chiffre ?mane du Palestinian Centre for

Human Right de Gaza. Pour de plus amples informations

sur Gaza, voir les Report on Israeli Land Sweeping and

Demolition of Palestinian Buildings and Facilities in the

Gaza Strip 1 ? 6.

5. La d?molition de pr?s de 80 maisons dans le camp de

r?fugi?s de Rafah, entre le 10 et le 12 janvier 2002, a ?t?

pr?sent?e comme des repr?sailles. Selon Jeff Halper, pro

fesseur ? l'universit? de Beer Sheva, il s'agit plut?t d'une

strat?gie de ? transfert silencieux ? : ?C'?tait planifi?

depuis longtemps. Les Isra?liens ont dit que c'?tait pour

venger l'attaque du Hamas de la veille, ils ont juste utilis?

le pr?texte. ? (? La d?molition, arme de la peur perma

nente ?, Lib?ration 17.01.02)

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Christine Pirinoli

Le r?cit des r?fugi?s : la terre du village

Je me souviens de tout [? propos de la vie

au village]. Qu'est-ce que tu veux, est-ce

que je sais ce que tu veux ? Nous plan

tions, nous r?coltions, nous b?chions, nous

faisions tout. Nous nous souvenons du rai

sin, nous nous souvenons des figues. Nous

faisions pousser du bl?, nous faisions

pousser de l'orge, nous faisions pousser

des lentilles.

Le r?cit de Leila, ? l'image de celui de la

quasi-totalit? des r?fugi?s, insiste non seule

ment sur la terre, mais aussi sur le fait qu'elle ?tait cultiv?e. Tous m'ont parl? avec force d?

tails du savoir-faire et de l'amour avec lesquels ils cultivaient la terre, des fruits qu'elle leur of

frait en retour. La r?f?rence ? l'agriculture ?maille tous les ?changes puisque de nombreux

silences ou h?sitations ? propos de sujets tota

lement diff?rents sont mis ? profit pour revenir

sur la qualit? de la terre ou sur le plaisir de la

travailler, propos fr?quemment ponctu?s d'une

phrase ?voquant le bonheur de cette vie qui lui

?tait d?di?e :

Tareq [s'interrogeant sur l'?ventualit?

d'un l'?tat palestinien] : ah, autrefois,

chacun avait des terres avec des oliviers,

et quand les olives ?taient m?res, il les r?

coltait et les amenait au pressoir dans le

village. La vie ?tait excellente.

Toutefois, cette apologie d'une vie pay sanne consacr?e ? la terre ne saurait ?tre r?

duite ? une simple id?alisation nostalgique ou ?

un mythe romantique : elle doit ?tre analys?e comme une construction dynamique en ?troite

relation avec le pr?sent des r?fugi?s. Pierre

angulaire du conflit avec Isra?l, la terre est ?ga lement l'un des points essentiels sur lesquels se

base l'historiographie sioniste pour nier l'exis

tence palestinienne. Insister sur le fait que la

terre ?tait cultiv?e infirme la vision sioniste,

ainsi que l'explicite Ahmed :

Vous, l?-bas [en Occident], vous dites que

nous ?tions une terre sans peuple. Mais o?

est-ce que nous vivions alors ? Ha, en

l'air? Et notre raisin, comment poussait

il ? Ha, tout seul dans le d?sert ?

Et de me montrer ses aqed al-ard, litt?rale

ment contrats de la terre, afin que je puisse ? convaincre ? mes compatriotes. Mes inter

locuteurs ont conserv? ou re?u en h?ritage les

titres de propri?t? ?mis sous mandat britan

nique. Ils me les ont spontan?ment pr?sent?s

pour t?moigner de la v?racit? de leurs dires.

Pour les Palestiniens, ces documents repr? sentent beaucoup plus que des titres de pro

pri?t? : ils d?tiennent le pouvoir symbolique de

les r?habiliter, socialement et politiquement. Dans le village, poss?der de la terre ?tait un

moyen d'exister socialement. Mais plus encore,

la possession de la terre est une preuve d'exis

tence face ? Isra?l et au monde, attestant que la

Palestine n'?tait pas une terre sans peuple. De

ce fait, tout ce qui se rapporte ? la m?moire de la

terre est un moyen ? la fois de r?sister ? l'inf?

riorisation due au statut de r?fugi? et de se r?in

scrire dans l'histoire de la r?gion tout en

affirmant son identit? en tant que peuple. La r?

f?rence au local repr?sente donc un point d'an

crage permettant d'exprimer son existence et

son identit? ? un niveau plus global. Cette m?moire de la terre s'est pendant

longtemps transmise oralement et de mani?re

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Entre terre et territoire : enracinement de l'identit? palestinienne

informelle, les r?cits des ? vieux ? instruisant les

g?n?rations n?es en exil. Seuls quelques ouvra

ges encyclop?diques - dont le plus connu est

celui de W. Khalidi [1992] - constituaient la m?

moire officielle, mais ils se pr?sentent surtout

comme une ? m?moire collective des lieux ?

[Slyomovics 1997 : 207] : ils ne mentionnent

que des ?l?ments factuels (superficie, nombre

d'habitants, scolarisation) au d?triment des

aspects sociaux ou culturels de la vie collective.

Or, d?s le d?but du processus d'Oslo6, les

monographies sur les villages palestiniens se

sont multipli?es, ?manant soit de chercheurs

universitaires soit de particuliers. Cette recru

descence a culmin? avec la comm?moration du

cinquantenaire de l'exil palestinien. Ces ouvra

ges retracent la vie villageoise d'avant 1948. Ils

ambitionnent de sauver le pass? de l'oubli et

d'apporter un t?moignage ? scientifique ? de la

pr?sence palestinienne sur cette terre :

C'est seulement par l'?criture et la re

cherche, en fait, c'est seulement quand on

raconte l'histoire encore une fois que les

villages palestiniens d'avant 1948 peu

vent conna?tre une existence objective au

pr?sent [Slyomovics op. cit. : 210].

Ainsi, la m?moire ? priv?e ? de la premi?re

g?n?ration en exil, qui se transmettait orale

ment aux proches, s'est transform?e en r?cit

historique ?crit, destin? et aux g?n?rations n?es

en exil et au monde.

Or, il est int?ressant de mettre ce ph?no m?ne en parall?le avec une autre transition : la

conception du retour en Palestine. La question du retour des r?fugi?s, l?gitim?e par le droit

international, est au c ur de tous les discours.

N?anmoins, si les premiers r?cits pr?naient un

retour physique dans une Palestine con?ue g?o- q r

graphiquement et de fa?on tangible, au fur et ?

mesure que la vie en exil structure la soci?t?

palestinienne se dessine un retour ? une entit?

envisag?e plus abstraitement [Bisharat 1997 :

203-233] et que l'on souhaite, depuis 1992, transformer en un territoire national quand bien

m?me celui-ci ne correspondrait pas ? la Pales

tine historique. Ce mouvement s'accompagne de revendications identitaires et nationalistes

qui se d?tachent petit ? petit du local pour se

construire plus sp?cifiquement autour d'appar tenances politiques, en particulier durant la

premi?re intifada. Politiquement, on va dans le

sens d'un certain renoncement ? la terre pour obtenir un territoire national ou, en d'autres ter

mes, d'un ? processus allant de la d?limitation

de sa terre en territoire ? son appropriation

symbolique pour en arriver ? une renonciation

raisonn?e d'une partie du territoire construit au

prix de la r?cup?ration de l'autre ? [Legrain 1996 : 172].

L'augmentation du nombre des monogra

phies et des r?cits sur les villages palestiniens d'avant 1948 est certainement li?e ? la dispari tion des ? vieux ? et ? la n?cessit? de ? sauve

garder ? cette m?moire. Toutefois, en la

repla?ant dans le contexte politique des ac

cords d'Oslo, la perspective de la cr?ation

d'un ?tat palestinien peut ?tre consid?r?e

comme le moteur de ces pratiques d'?criture.

En effet, ces derni?res contribuent ? la fois ?

6. Quelle que soit l'ampleur de son ?chec politique, ce pro

cessus a n?anmoins conduit ? une reconnaissance interna

tionale de l'identit? et de la m?moire palestiniennes,

l?gitimant entre autres toutes sortes d'activit?s culturelles

qui ?taient auparavant censur?es par Isra?l.

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Christine Pirinoli

q? ? ?paissir ?7 l'histoire nationale palestinienne -

participant ainsi ? la l?gitimation de l'?difi

cation ?tatique - et ? officialiser les r?cits d'un

pass? rural populaire afin de pond?rer l'his

toire officielle construite ? partir de textes cen

tr?s sur l'?lite urbaine ou ?crits par celle-ci

[Ben-Ze'ev 2002]. Largement utilis? dans la

rh?torique nationaliste, le paysan peut d?sor

mais entrer dans l'Histoire.

Le discours nationaliste : de la terre au

territoire

Pour les Palestiniens, la guerre de 1948 est la

Nakbah, litt?ralement la catastrophe qui a en

gendr? leur exil et leur d?possession. C'est ?

partir de cette spoliation concr?te et symbo

lique qu'ils ont r?orient? leur identit? natio

nale et leur m?moire collective autour de la

notion de la terre et des valeurs paysannes dans le but de r?sister ? la dispersion de leur

peuple et ? l'exclusivit? de la version sioniste

de l'histoire.

Avant la Nakbah, la cr?ation et le manie

ment des symboles nationaux ?taient la pr?ro

gative de l'?lite urbaine et lettr?e. En d?pit d'une participation massive ? la r?sistance ?

l'immigration juive et ? l'occupation anglaise, en particulier durant la r?volte de 1936-1939, les paysans ?taient g?n?ralement doublement

d?nigr?s : pratiquement ignor?s dans les r?cits

historiques [Doumani 1999], ils ?taient ?gale ment exclus de la rh?torique nationaliste8. La

Nakbah a en quelque sorte invers? l'ordre des

choses : la perte de la terre ?tant l'?v?nement le

plus marquant pour la grande majorit? des r?

fugi?s, le paysan symbolise de mani?re id?ale

ce lien ? naturel ? ? la terre perdue, aux valeurs

palestiniennes ? authentiques ? qu'il convient

de pr?server en exil. D?s lors la figure du fellah

devient une r?f?rence centrale et f?d?ratrice de

l'identit? palestinienne [Swedenburg 1995],

permettant ? la fois d'assurer la continuit? avec

le pass? et de revendiquer ses droits pour le

pr?sent et l'avenir.

Aussi la m?moire paysanne, m?moire de

la terre, a-t-elle facilit? l'adh?sion des Pales

tiniens ? l'historiographie et ? la rh?torique

nationalistes, par le biais d'une interp?n?tration de diff?rents niveaux identitaires : les concep tions locales, li?es ? la terre du village, ont ?t?

incorpor?es dans un contenu id?ologique plus

global, ax? sur le territoire de la Palestine. Loin

d'?tre exclusifs, ces deux niveaux d'identit? se

nourrissent mutuellement puisqu'ils partagent des significations et des symboles produits par le m?me ?l?ment : la terre.

C'est dans cette optique qu'il faut compren dre les r?cits palestiniens : en insistant sur la

terre, ils infirment explicitement le r?cit sio

niste tout en articulant la m?moire collective au

discours nationaliste. Ce dernier peut unifier le

peuple autour de valeurs faisant sens pour la

majorit?. Il est de ce fait capable de mobiliser la

soci?t? dans son entier pour lib?rer cette terre et

la transformer en territoire national. En souli

gnant le bonheur de la vie rurale, les Palesti

niens mettent en ?vidence les contrastes entre

le village et le camp, entre le statut de paysan et

celui de r?fugi?, entre vivre sur sa terre et ?tre

7. Par analogie avec les ? thick descriptions ? telles que

conceptualis?es par C. Geertz [1973].

8. Pour une analyse d?taill?e de la relation entre paysans

et notables dans la r?sistance nationale ? la migration sioniste et ? l'occupation anglaise, voir T. Swedenburg

[1999].

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Entre terre et territoire : enracinement de l'identit? palestinienne

exil?. La violence de leur quotidien et ses dra

matiques cons?quences9 rendent plus pertinent le recours ? cette m?moire de la terre qui insti

tue, au niveau symbolique, une stabilit? et une

dignit? que la r?alit? semble irr?m?diablement

d?nier aux r?fugi?s. Autrement dit, la terre est ici bien plus

qu'un ?l?ment naturel : elle est une m?diation

essentielle entre la nature (l'agriculture comme

mode de vie) et la culture (l'identit? nationale

enracin?e dans la terre), entre le pass? (avant la

Nakbah) et le futur (le retour ? la terre), entre le

village et la Palestine. Ce va-et-vient entre le

local et le national est d'ailleurs facilit? par le terme arabe balad qui signifie ? la fois ? village ? et ? patrie, pays ? : en se r?f?rant ?

leur balad, les r?fugi?s peuvent exprimer leur

appartenance villageoise et nationale.

Le discours de l'Autorit? palestinienne : du

territoire ? la tradition de la terre

Les discours individuels et nationalistes se

sont renforc?s et compl?t?s du fait de leur

commune instrumentalisation de la notion de

la terre et du lien entre cette terre et la nation

palestinienne. Ce processus s'est construit en

de?? (la terre villageoise) et au-del? (dans les

camps ou pays d'exil) du territoire revendiqu? comme national.

Les accords d'Oslo, en concevant une Auto

rit? palestinienne sur quelques bribes de terri

toires autonomes, ont permis aux cadres et ?

certains membres du mouvement nationaliste

d'op?rer une reterritorialisation10 de la direction

palestinienne, laquelle s'est progressivement transform?e en une structure ?tatique11. En

revanche, les acteurs du processus d'Oslo n'ont

jamais r?ussi ? s'accorder sur deux questions

essentielles : la d?limitation du territoire du qj futur (?ventuel ?) ?tat palestinien et le droit au

retour des r?fugi?s, ce dernier point ?tant rest?

?tonnamment absent des pourparlers. De ce fait, la terre, qui constituait le c ur des discours et

des revendications, n'est plus per?ue comme

une notion unificatrice, et des divergences notables ont ?merg? en fonction des positions

politiques. Dans ce contexte de pluralit? des discours,

l'Autorit? palestinienne est le principal acteur

de 1'? officialisation ? de la rh?torique natio

nale visant ? articuler diverses appartenances ?

la citoyennet? palestinienne en construction.

Or, en analysant le discours et, surtout, les pra

tiques ?tatiques, on peut observer, parall?le ment ? l'utilisation d'une rh?torique qui se veut

universaliste12, un glissement de la notion de

terre ? celle de tradition rurale.

9. Pour une synth?se de la situation ?conomique, sociale

et politique qui pr?vaut en Palestine, voir S. Roy [2001]

ainsi que R. Hammami et S. Tamari [2001].

10. Cette reterritorialisation est partielle puisque le ? re

tour ? de ces Palestiniens s'est fait dans les territoires

autonomes et non pas dans les villes et villages d'origine. En ce sens, m?me si leur statut est ?videmment diff?rent,

ils s'apparentent symboliquement aux r?fugi?s de la

bande de Gaza et de la Cisjordanie.

11. Cette structure est en r?alit? quasi ?tatique dans la me

sure o? il s'agit de l'?laboration d'une bureaucratie dans

un cadre politique qui n'a pas encore d?fini l'existence et

la forme de cet ?tat. Pour simplifier, j'utilise n?anmoins

une terminologie se r?f?rant ? l'?tat.

12. On peut citer ? titre d'exemples les nouvelles rues

Victor Hugo ou Charles de Gaule ? Gaza. Moins anecdo

tiques, les discours politiques pr?sentent une structure

bureaucratique ? l'image des d?mocraties occidentales.

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Christine Pirinoli

gg En proclamant l'?tat palestinien en 198813,

le Conseil national palestinien confirmait ce

lien ind?fectible entre l'identit? palestinienne et

la terre, lien l?gitim? par le fait qu'il remon

terait - comme il est fr?quemment imagin? par les nationalismes - ? un pass? imm?morial et

sacralis? :

Terre des messages divins r?v?l?s ? l'hu

manit?, la Palestine est le pays natal du

peuple arabe palestinien. C'est l? qu'il a

grandi, qu'il s'est d?velopp? et s'est ?pa

noui. Son existence nationale et humaine

s'y est affirm?e dans une relation orga

nique ininterrompue et inalt?r?e entre le

peuple, la terre et son histoire. Continuel

lement enracin? dans son espace, le peu

ple arabe palestinien a forg? son identit?

nationale14.

La terre, pilier du nationalisme palestinien, ?tait donc ?galement au c ur du discours ?ta

tique. Or, depuis la cr?ation de l'Autorit? pales

tinienne, un glissement semble s'?tre op?r? entre la terre et la tradition rurale. C'est d?sor

mais sur cette derni?re que se fonde la l?gitimit? de l'?tat, au d?triment du territoire -

qui, il est

vrai, se r?v?le plus que jamais inaccessible15.

D?tail anodin? Depuis 1998, dans les rues

de Gaza, des fresques champ?tres mettant sou

vent en sc?ne des femmes v?tues du th?b16 et

occup?es ? des activit?s traditionnelles ont

remplac?, sur de nombreux murs, les graffitis

qui exprimaient des messages politiques mobi

lisateurs. Elles ont ?t? commandit?es par une

association dirig?e par la femme d'Arafat,

laquelle rev?t volontiers, lors de ses apparitions

publiques, un th?b.

Cette ? traditionnalisation ? de la soci?t?

est plus qu'une simple anecdote car, au niveau

de la bureaucratie, elle tient une place consid?

rable. Pour l'illustrer, je prendrai deux exem

ples - le recrutement et le syst?me judiciaire

-

qui montrent comment les discours et les pra

tiques officiels instrumentalisent la tradition

li?e ? la terre pour asseoir la construction d'un

13. Cette proclamation a eu lieu ? Alger en novembre

1988, lors de la cl?ture du 19e Conseil national pales tinien. L'extrait qui suit est issu de son pr?ambule.

14. Ce texte illustre par ailleurs le lien avec le discours

isra?lien tant il semble ?crit en r?ponse ? la d?claration

d'ind?pendance de l'?tat d'Isra?l, prononc?e le 14 mai

1948 par Ben Gourion : ? La terre d'Isra?l est le lieu o?

nacquit le peuple juif. C'est l? que s'est form?e son identit?

spirituelle, religieuse et nationale. C'est l? qu'il a r?alis?

son ind?pendance et cr?? une culture qui a une signifi cation nationale et universelle. C'est l? qu'il a ?crit la Bible

et l'a offerte au monde. Contraint ? l'exil, le peuple juif est

rest? fid?le ? la terre d'Isra?l [esp?rant] y revenir pour r?ta

blir sa libert? nationale. ?

15. En 1996 d?j?, J.-F. Legrain estimait que les accords

d'Oslo ?taient synonymes de ? d?sillusion territoriale ?

puisque, ? loin de pr?parer ? un futur partage de territoires

et de souverainet?s, [ils] n'auraient alors servi qu'? r?a

m?nager l'occupation tout en consolidant la souverainet?

isra?lienne, defacto sinon de jure, sur le territoire palesti nien et ses ressources sans payer le prix politique de

son annexion ? [1996 : 187]. La situation dramatique de ce

printemps 2002 ne fait que confirmer cette ? d?sillusion

territoriale ?.

16. Robe d'origine paysanne dont la forme et les motifs

brod?s au point de croix avaient une signification symbo

lique et sociale qui variait d'une r?gion, voire d'un

village, ? l'autre [Weir et Sahid 1988]. Cette robe a ?t?

passablement standardis?e et a perdu sa signification so

ciale. Elle a en revanche acquis une nouvelle connotation

symbolique et signifie d?sormais l'identit? palestinienne, les broderies qui l'ornent ?tant consid?r?es comme l'une

des expressions les plus consensuelles de la culture et de

la tradition palestiniennes.

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Entre terre et territoire : enracinement de l'identit? palestinienne

?tat sans territoire et d'une nation partielle -

les r?fugi?s palestiniens qui ne vivent pas dans

les territoires autonomes restant singuli?re ment exclus de la rh?torique nationaliste de

l'Autorit? palestinienne. Les fonctions importantes au sein de l'Au

torit?, hormis les postes cl?s d?tenus par les

cadres de l'OLP revenus d'exil17, ont ?t? distri

bu?es d'apr?s un savant dosage entre les gran des familles locales et leur origine (r?fugi?s,

r?sidents, b?douins), redonnant ainsi ? la

ham?lah - le clan ou la famille ?largie - un r?le

central dans la structure de l'?tat. Si ces choix

respectent un certain ?quilibre repr?sentatif de

la composition de la soci?t?, ils sont surtout

pr?sent?s comme une ?manation de la ? tradi

tion ? palestinienne puisque, avant la Nakbah,

le pouvoir et la richesse ?taient l'apanage de

certaines ham?lah.

En r?alit?, ces familles ne sont que rarement

issues des ?lites traditionnelles, leur puissance actuelle ?tant souvent due ? la mobilit? sociale

et politique qui a pr?valu apr?s la Nakbah, en

particulier avec le poids grandissant de l'OLP

d?s les ann?es soixante. Par la suite, au cours de

1'intifada, les affiliations politiques ont offert

des acc?s au pouvoir, non plus gr?ce ? l'appar tenance familiale mais gr?ce ? des capacit?s

personnelles tout autant qu'? des dynamiques

organisationnelles [Brynen 1995]. Un tel sys t?me ne correspond donc ni au fonctionnement

? traditionnel ? ni au fonctionnement r?cent de

la soci?t?.

Par ailleurs, si l'on s'int?resse ? la logique

sous-jacente ? ces choix, on s'aper?oit que l'?l?ment qui a prim? est la garantie d'une

loyaut? sans faille : Arafat a d?sign? ces cadres

sur la base d'alliances personnelles et dans une

perspective client?liste. La grande majorit? des g g postes a ?t? attribu?e ? des membres du Fatah

ou ? des alli?s d'Arafat, et ce au d?triment de

professionnels poss?dant les qualifications

ad?quates [Brynen op. cit. ; Frish 1997]. Au de

meurant, cette strat?gie est la m?me pour les

postes subalternes : le recrutement se fait en

priorit? au sein de la famille ?largie et des grou

pes de personnes dont l'all?geance est notoire.

La structure ?tatique s'?difie ainsi comme

une sorte de pyramide de liens de d?pendance, recr?ant de nouvelles appartenances ? primor diales ? qui g?n?rent un mode de solidarit? si

milaire ? celui de la famille ? traditionnelle ?18.

Ce pseudo-r?tablissement de l'ordre ? tradi

tionnel ? s'apparente, en r?alit?, ? une tentative

tr?s moderne d'instauration d'un syst?me n?o

patrimonial. Cette justification par la r?f?rence ? la cul

ture ? traditionnelle ? est particuli?rement ?vi

dente en ce qui concerne le syst?me judiciaire. En apparence, ce dernier est comparable ?

celui des d?mocraties modernes : un minist?re

17. Voir notamment R. Brynen [1995]. Cette r?partition du pouvoir permet de perp?tuer la dichotomie, pratiqu?e

par l'OLP, ? entre un centre de d?cision, l'Ext?rieur, et

une population maintenue en position de d?pendance,

l'Int?rieur ? [Legrain 1998 : 156].

18. De nombreux cas ont d?fray? la chronique de Gaza :

des affrontements entre diff?rents corps de s?curit?, cha

cun d?fendant les membres de son unit? comme s'il s'a

gissait de son clan, ont rendu le travail de la justice tr?s

difficile, ces affaires devenant des questions de solidarit?

et d'honneur. De m?me, il n'est pas rare que quelqu'un utilise les pouvoirs li?s ? sa fonction pour r?soudre

des probl?mes personnels, n'h?sitant pas ? impliquer col

l?gues et subalternes pour augmenter l'efficacit? de son

intervention.

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Christine Pirinoli

100 et diff?rentes cours de justice, y compris une

Haute Cour, et un appareil l?gislatif qui, quoi

qu'encore tr?s complexe19, est en train d'?tre

uniformis? par des sp?cialistes. En r?alit?, contrairement aux apparences, ce

syst?me n'a que peu d'autonomie. D'une part, le pouvoir ex?cutif a l'enti?re responsabilit? de

? l'instauration de tribunaux, de la nomination

[ou de la r?vocation] de membres d'instances

judiciaires, y compris celle de la Haute Cour, et

de la gestion des affaires relevant de la comp? tence du pouvoir judiciaire ? [Shikaki 2000 :

63]. ?tant donn? qu'il n'y a pas de base consti

tutionnelle claire pour fonder la l?gislation, le

poids de l'ex?cutif est renforc? au d?triment du

l?gislatif. D'autre part, hormis la Cour de s?cu

rit? qui peut ? tout moment juger en dehors des

r?gles r?gissant les autres institutions judiciai res, il existe plusieurs instances dites tradition

nelles qui se substituent ? l'appareil judiciaire. Ainsi un plaignant ou un pr?sum? coupable

peut, selon ses accointances, s'adresser au

mukhtar, au juge coutumier, au comit? de

r?conciliation ou, enfin, au D?partement des af

faires tribales.

Sous l'Empire ottoman, le mukhtar ?tait

l'interm?diaire entre une ou plusieurs familles

de son village et l'autorit? centrale. Respon sable de certaines t?ches administratives, il

?tait aussi tenu de r?soudre les diff?rends afin

de maintenir la s?curit?. Apr?s la chute des

Ottomans, cette institution a ?t? petit ? petit dis

cr?dit?e, discr?dit qui a culmin? ? partir de

l'occupation isra?lienne o? le mukhtar a ?t? ac

cus? de collaboration [Al-Malki 1994]. Bien

que quelques politiciens et intellectuels s'y soient publiquement oppos?s, arguant princi

palement de l'effet n?gatif d'un ? retour aux

ph?nom?nes tribaux ?20, le minist?re de l'Int?

rieur n'en a pas moins nomm? de nombreux

mukhtar. Leur mission est la m?me qu'autre fois : r?daction de documents administratifs of

ficiels et r?solution de conflits, y compris pour des d?lits relevant du syst?me judiciaire : si les

deux familles (celle du plaignant et celle de

l'accus?) s'entendent sur une compensation, l'affaire n'aura en principe pas de suites.

Le juge coutumier existait aussi dans cer

tains villages, officiant le plus souvent pour une

r?gion enti?re. S'il n'a actuellement pas de

charge officielle, il remplit le m?me r?le de

m?diateur en cas de conflit. Lorsque des fa

milles s'adressent ? lui, l'Autorit? accepte son

jugement. Les comit?s de r?conciliation, quant ? eux,

ont ?t? cr??s pendant 1'intifada pour pallier l'absence de syst?me judiciaire palestinien et

?viter de recourir ? celui de l'occupant. Malgr? de nombreux abus qui les ont passablement

salies, ces structures ont ?t? officiellement

enregistr?es d?s la mise en place de l'Autorit?.

Autrefois r?gies par des alliances partisanes, elles sont aujourd'hui compos?es de diverses

personnalit?s ? traditionnelles ? parmi lesquel les le juge coutumier ou le mukhtar.

Ces comit?s de r?conciliation d?pendent du

D?partement des affaires tribales (d?'erat shu-?n al-'ash?'er), lequel rel?ve directement

du bureau du Pr?sident Arafat. Ce D?partement s?vit depuis de longues ann?es, fournissant une

19. En fonction du lieu et/ou de l'objet auquel s'applique la loi, les Palestiniens sont soumis au droit ottoman,

britannique, ?gyptien, jordanien, isra?lien ou palestinien.

20. Quotidien Al-Ayyam du 16.03.98.

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Entre terre et territoire : enracinement de l'identit? palestinienne

alternative au syst?me de l'occupant. L'argu ment qui justifie son existence actuelle est

? l'h?ritage historique ? des Palestiniens dont

les ? valeurs traditionnelles de justice ?21 ont

fait leurs preuves avant la Nakbah. Ses missions

sont d'une part de ? servir les membres des

clans pour les affaires sociales, la sant?, l'?du

cation, l'?conomie, en lien avec les institutions

concern?es ? et, d'autre part, de ? r?soudre les

conflits par le droit coutumier, en coordination

avec la Cour de justice et les autres appareils de

s?curit? ?. Il y aurait donc une ? compl?men tarit? ? entre ces diff?rentes instances dans le

but de ? faire r?gner la justice ?. Mais cette col

laboration pourrait aussi ?tre consid?r?e comme

une fa?on de se substituer ? ces institutions ou,

du moins, de les contourner. C'est particuli? rement vrai pour le judiciaire puisque, m?me en

cas de d?lit grave, le pr?venu n'est d?f?r? ? la

Cour qu'une fois obtenue la r?conciliation entre

les parties. Le jugement sera ?mis en fonction

de l'accord entre les familles, ce qui explique les diff?rences sensibles de sentence dans des

situations pourtant fort similaires.

Autant d'instances qui, sans d?pendre du

minist?re de la Justice, ont comme pr?rogative de rendre justice, et ce en se justifiant par le

r?tablissement de l'organisation sociale ? tradi

tionnelle ?. Si cette combinaison de structures

modernes et coutumi?res peut surprendre dans

le contexte - du moins officiellement - de

construction d'un ?tat-nation d?mocratique, elle encourage surtout une justice ? la carte qui sert les int?r?ts des plus forts, ? savoir de ceux

qui, bien plac?s dans la hi?rarchie, peuvent oc

troyer des faveurs et faire pression sur leurs

subordonn?s ou leurs oblig?s. L? encore, l'ins

trumentalisation de la ? tradition ? incite ? uti

User des strat?gies de patronage et renforce la W1 centralisation du pouvoir.

En m?me temps que se met en place ce sys t?me ?tatique, la libert? d'expression et l'ind?

pendance de la presse sont constamment

r?duites, les arrestations arbitraires des oppo sants sont fr?quentes. La soci?t? civile s'en

trouve tr?s affaiblie. Par ailleurs, la militari

sation augmente en parall?le ? l'affaiblisse

ment des institutions sociales et politiques, incitant les citoyens ? recourir au piston (sou vent fond? sur les liens familiaux) et ? la cor

ruption pour obtenir droits, protection, emploi ou services officiels. Concr?tement, on assiste

? une ali?nation croissante de la population

qui est de plus en plus exclue de toute partici

pation politique.

Ainsi, sous couvert de respect, voire de

r?tablissement de la ? tradition ?, l'Autorit? pa lestinienne a engendr? un syst?me bas? sur des

m?canismes informels : le pouvoir s'est exerc?

en marge des institutions ?tatiques, rendant ces

derni?res relativement inop?rantes. En outre, la

puissance de certaines familles, dont l'ob?

dience ?tait garantie, qu'elles appartiennent ou

non aux ?lites traditionnelles, a ?t? renforc?e

par l'octroi de pr?rogatives ? officielles ? qui ont consolid? leur assise sociale.

Cette traditionnalisation s'effectue aussi en

dehors du cadre ?tatique puisqu'on observe une

recrudescence d'associations ? villageoises ?

dont les objectifs principaux sont l'entraide

sociale et le maintien de l'identit? culturelle

21. Ces citations et les suivantes sont extraites d'un

entretien personnel effectu? le 2 f?vrier 1999 avec le

responsable du D?partement, dont le titre exact est

Conseiller du Pr?sident pour les affaires tribales.

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Christine Pirinoli

102 d'un village -

personne ne sachant d'ailleurs

tr?s bien expliciter la particularit? par rapport aux villages voisins. Or, il est int?ressant de

constater que ces associations sont enregistr?es officiellement aupr?s du minist?re de l'Int?

rieur et qu'elles sont dirig?es par des personnes ? qui occupent de hauts rangs dans les diff?

rentes institutions et appareils de la soci?t? ?22.

Si certains aspects ? traditionnels ? sont mis en

avant (la solidarit?, l'unit? et la loyaut? villa

geoises), d'autres sont en revanche omis : selon

l'organisation villageoise, le kb?r (litt?ralement

grand, mais qui signifie ici vieux) de chaque famille poss?de prestige, sagesse et autorit?.

C'est donc l'assembl?e de ces ? grands hom

mes ? qui devrait prendre les d?cisions. Dans

les faits, ceux-ci sont laiss?s pour compte - sauf certains hommes prestigieux tels les

mukhtar que l'association ne peut contourner

en raison de leur double insertion sociale et of

ficielle - au profit de professionnels qualifi?s de

la deuxi?me g?n?ration des r?fugi?s, qui sont

revenus de l'?tranger ou qui sont ? la recherche

d'un poste au sein de l'Autorit?.

Outre les avantages financiers directs que de telles associations peuvent retirer de leur

inscription officielle - avantages octroy?s par le

Pr?sident Arafat en personne - celles-ci

permettent ? leurs dirigeants de se positionner comme interm?diaires entre leur ? village ? et

l'Autorit? palestinienne, procurant par l? m?me

des avantages aux deux : l'Autorit? palesti nienne b?n?ficie d'un certain contr?le sur ses

citoyens, voire d'une voie officielle de trans

mission de faveurs qui pourront ?tre rappel?es ?

bon escient; les membres des associations y

trouvent, quant ? eux, un moyen de lutter

contre les forces centrifuges qui excluent leur

acc?s aux ressources et services ?tatiques. En

qu?te de l?gitimit? ou d'emploi, ils esp?rent obtenir l'une ou l'autre gr?ce ? une position

prestigieuse dans la structure villageoise ou ?

un service rendu ? un dirigeant bien positionn? dans la hi?rarchie ?tatique23. Les liens de d?

pendance ainsi ?tablis sont suppos?s reproduire certains attributs du village, ? savoir loyaut? et

solidarit? envers son clan. Compte tenu de la

connotation traditionnelle qui lui est donn?e, ce n?potisme villageois permet d'accepter des

pratiques par ailleurs vigoureusement d?non

c?es et m?pris?es. Concernant les dirigeants de ces associa

tions, leur but non avou? est d'acqu?rir plus de

poids aussi bien dans la soci?t? que dans une

structure ?tatique o? c'est surtout la puissance

qui compte - en termes financiers ou de pou

voir, lequel se traduit en dernier ressort par le

nombre de personnes pr?tes ? intervenir pour d?fendre l'int?ress?. L'un de mes interlocuteurs

propose une image ?loquente de cette qu?te de

nouvelles all?geances, en parlant du pr?sident d'une de ces associations :

Son but n'est pas de r?unir les familles.

Cette association est une ceinture de s?cu

rit?. Les familles et clans sont sa ceinture

22. ? Vingt associations ? Gaza et cinq sur le point d'?tre

?tablies. Associations et groupements de familles entre la

promotion de l'appartenance villageoise et la stimulation

du sentiment tribal ?, Al-Ayyam du 23.01.99, page 7.

23. Il est quasiment impossible d'obtenir un poste dans

l'administration (et souvent ailleurs ?galement) sans

l'aide d'un w?sta, interm?diaire bien plac?. Selon un son

dage du Center for Palestine Research and Studies

(1999), seuls 4 % des Palestiniens (2 % ? Gaza) estiment

que l'on peut acc?der ? un emploi sans w?sta.

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Page 14: Terre Territoire Appartenances || Entre terre et territoire: Enracinement de l'identité palestinienne

Entre terre et territoire : enracinement de l'identit? palestinienne

de s?curit?. Ils sont la valve de s?curit? :

demain, quand les gens se soul?veront

contre un tel dans les rues, ces familles

viendront et le prot?geront.

Ici encore, des termes faisant sens pour la

majorit? des Palestiniens (identit? villageoise,

solidarit?, unit?) sont instrumentalis?s afin de

renforcer le pouvoir personnel ou de lutter

contre l'exclusion des sph?res ?conomique et

politique.

Cependant, une telle dynamique conduit

in?luctablement ? un d?sinvestissement aussi

bien politique que social. Cette conjoncture

p?se sur la situation d?j? difficile des Pales

tiniens, suscitant une crise id?ologique et sym

bolique qui, d'une part, mine leur capacit? d'action et de mobilisation24, d'autre part, contribue ? la crispation des identit?s sur un

mode d?fensif.

L'?tat comme substitut du territoire ?

Ce repli identitaire construit les diff?rences so

ciales, d'origine et de parcours de vie, comme

autant d'alt?rit?s : la vraie palestinit? est d?sor

mais d?finie de mani?re exclusive et non plus universaliste.

Par-del? leur diversit?, les Palestiniens

s'?taient ? imagin? ? une patrie non pas dans un

territoire national mais sur le fondement de la

m?moire collective, m?moire de la terre. Corpus

dynamique autorisant un subtil mariage entre les

discours populaire et nationaliste, cette m?moire

s'est inscrite contre l'historiographie sioniste et

a constitu? un important r?servoir de symboles dans le cadre de la mobilisation et de la r?sis

tance ? l'occupation. Elle a ?galement contribu?

? enraciner l'identit? palestinienne dans cette

terre qui, bien que l'on n'y habit?t pas, a permis

de transcender les fronti?res de l'exil et d'unir un ? 0^ peuple physiquement dispers?. De fait, elle a in

staur? une continuit? symbolique entre le local, le national et le transnational.

Toutefois, depuis la reterritorialisation par tielle de quelques Palestiniens, les difficult?s so

ciales, ?conomiques et politiques n'ont fait

qu'augmenter. En outre, les discours officiels

instrumentalisent la m?moire collective, mas

quant le fait que c'est un ?tat autoritaire qui se

cr?e et non le pass? qui se recr?e. Face ? l'?chec

?vident de la transformation d'une partie de sa

terre en territoire national, l'Autorit? palesti nienne semble r?duire la nation palestinienne ?

l'?tat qui se construit. En d'autres termes, tout

se passe comme si, en utilisant les symboles qui lient les Palestiniens ? leur terre, elle tentait de

r?enraciner l'identit? nationale dans l'?tat plu t?t que dans un territoire qu'elle n'arrive pas ?

obtenir. Il s'agirait alors de substituer ? la terre

sa repr?sentation symbolique, en produisant, ?

partir de l'exaltation de la tradition, des mythes

l?gitimateurs sur les m?mes notions de solida

rit?, d'unit?, etc.

Une telle instrumentalisation de la m?moire

collective incite ? questionner son avenir :

serait-elle en passe de se cristalliser au point de

ne plus produire que des constructions identi

taires ? claniques ? ? La r?f?rence au local, qui servait de m?diation ? la construction d'une

identit? nationale, est d?sormais un argument d'exclusion. Les valeurs villageoises sont

mises en exergue pour souligner la corruption

24. Attitude qui semble confirm?e par la faible participa tion populaire ? la nouvelle intifada. Pour de plus amples

d?veloppements ? ce sujet, voir R. Hammami et J. Hamil

[2001].

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Page 15: Terre Territoire Appartenances || Entre terre et territoire: Enracinement de l'identité palestinienne

Christine Pirinoli

/0, ou l'immoralit? des autres - cadres de l'Auto

rit? revenus d'exil, r?sidents, citadins, habitants

de Cisjordanie ou de Gaza, du nord ou du sud

de la bande de Gaza, sans m?me parler des

Palestiniens qui continuent ? vivre en exil et qui sont pratiquement absents de la rh?torique na

tionaliste actuelle. Ces valeurs, con?ues comme

? authentiquement ? palestiniennes, sont donc

utilis?es pour d?nier la palestinit? de ces autres

que l'on ressent comme diff?rents, voire enne

mis. La patrie n'est plus per?ue uniquement comme un territoire national ? reconqu?rir mais

comme une ? destination morale ? [Malkki 1997 : 67] sur laquelle se greffent, suivant les

situations et les discours, des notions de terre, de tradition, de religion, de conservatisme, de

genre, etc.

Vue sous cet angle, la palestinit? ne

concerne plus la nation dans son entier mais

seulement les citoyens des territoires auto

nomes - et encore, en fonction de lignes de

d?marcation qui les opposent. Les Palestiniens

qui r?sident en dehors de ceux-ci - et qui cons

tituent la majorit? - en sont donc exclus, ce qui

peut avoir des cons?quences dramatiques pour leur avenir. Comme le rel?ve B. Kodmani

Darwish ? leur propos :

Le peuple fragment? s'?tait r?invent? une

continuit?. Mais l'image que lui renvoie

l'?tat est elle-m?me faite de fragments de

la patrie historique, et le sentiment d'ap

partenance commune risque de devenir

un bric-?-brac de souvenirs familiaux,

d?bris ?pars de la m?moire collective

[1997 : 242].

Si l'Autorit? palestinienne donne l'illusion

de recr?er le pass?, c'est pour mieux ?tablir un

nouvel ordre qui lui soit propre. Ce faisant, elle

risque de transformer la m?moire palestinienne

qui avait surv?cu ? la dispersion de la commu

naut? en un corpus folklorique clos et rigide, en

une coquille vide de sens et d?s lors incapable

d'exprimer et de construire une identit? r?elle

ment collective. Alors que la Nakbah avait

rassembl? symboliquement un peuple aux

disparit?s ?videntes (tensions entre urbains et

ruraux, entre ?lite et masses populaires), sa

comm?moration para?t amorcer une p?riode de

repli sur les particularismes m?me qui avaient

?t? d?pass?s en 1948.

Cette instrumentalisation des appartenan ces locales au d?triment de la reconstruction

d'une identit? nationale qui aurait pu ?tre par tiellement territorialis?e est, ? mon avis, tr?s

alarmante dans la mesure o? la politique actuelle d'Isra?l va dans le sens de sa n?gation totale. Qu'il s'agisse des violences militaires

concourant ? la destruction de la soci?t? et de

ses infrastructures ou des discours et des pra

tiques politiques, le d?ni de l'identit? palesti nienne resurgit avec d'autant plus de force que celle-ci a commenc? ? ?tre internationalement

l?gitim?e. Le terme ? terroriste ? a fait sa r?apparition

depuis le 11 septembre 2001, non seulement

pour les auteurs d'? actes de terreur ? mais pour se substituer ? nouveau au terme ? Palestinien ?

- y compris pour Arafat. Cette accusation de

terrorisme, outre qu'elle fournit un excellent

alibi ? la r?pression de 1'intifada Al-Aqsa et ?

l'occupation des territoires autonomes, est ?ga lement symboliquement forte : accuser son

ennemi de terroriste, c'est, ? l'instar des accusa

tions moyen?geuses de sorcellerie, souligner son absolue alt?rit?, voire le d?poss?der de son

humanit? [Zulaika 1995]. Autre fait significatif :

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Entre terre et territoire : enracinement de l'identit? palestinienne

les accords d'Oslo avaient ent?rin? un docu

ment de voyage palestinien (passeport qui, s'il

n'en portait pas le nom, ?tait n?anmoins inter

nationalement reconnu) pour remplacer celui

d'Isra?l qui stipulait que son d?tenteur ?tait de ? nationalit? ind?finie ?. Or, d?s janvier 2002 et

sans avis pr?alable, une nouvelle mesure a inter

dit aux d?tenteurs de ce document l'acc?s ?

l'a?roport de Tel-Aviv. Ainsi, une personne par tie en d?cembre se vit refoul?e ? son retour,

contrainte de regagner son lieu d'embarcation

puis, pour acc?der ? la bande de Gaza ou ? la

Cisjordanie, de se rendre en Egypte ou en Jor

danie et de passer par voie terrestre. Co?ncidant

avec le d?but du si?ge d'Arafat ? Ramallah, cette mesure est pass?e inaper?ue, probable

ment consid?r?e comme insignifiante. Cepen

dant, au-del? de l'humiliation, elle constitue un

nouveau d?ni de l'identit? palestinienne ? une

?poque o? ne pas poss?der de passeport, titre

d'identit? par excellence, signifie ?tre apatride. Ces pratiques incitent en outre ? penser que

la politique de territorialisation d'Isra?l n'est

pas achev?e25 - et cette territorialisation ne

peut que se faire au d?triment de celle des

Palestiniens.

La question qui se pose alors est de savoir si, en l'absence de territoire national, le lien sym

bolique ? la terre pourra encore permettre l'arti

culation des identit?s entre le local et le global, ? savoir entre diff?rents niveaux d'abstraction

(personnel, r?gional, national, international). Ou est-ce que, au contraire, la conjonction de

l'instrumentalisation officielle de la tradition

palestinienne (et le repli identitaire qui en d?

coule) et des pratiques militaires et discursives

isra?liennes pourrait faire ?clater l'identit?

palestinienne en de multiples appartenances lo

calistes et exclusives? En d'autres termes, si le

territoire n'est certes pas une donn?e suffisante

pour la construction des appartenances natio

nales, n'est-il pas n?anmoins indispensable, ce a

fortiori quand l'enracinement dans la terre an

cestrale est ? la fois l'?l?ment central des iden

tit?s et l'enjeu de guerres visant ? les d?nier, voire ? les supprimer ?

25. Les fronti?res d'Isra?l ne sont d'ailleurs pas fix?es, et

leur conception varie en fonction des positions politiques et/ou religieuses.

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Entre terre et territoire : enracinement de l'identit? palestinienne

R?sum? Christine Pirinoli, Entre terre et territoire : enracinement

de l'identit? palestinienne

La m?moire collective et les identit?s palestiniennes se

(re)produisent ? partir des referents symboliques cen

traux que sont la terre villageoise, le territoire, la nation

et le transnational. Avec la perspective de la cr?ation d'un

?tat palestinien, l'instrumentalisation, populaire et offi

cielle, de ces notions rend particuli?rement saillant le

processus de r?interpr?tation qui est ? l' uvre. Si ces

concepts restent fondamentaux pour la majorit? des

Palestiniens, notamment en regard du conflit qui les op

pose ? Isra?l, leur signification et surtout leur articulation

se modifient en fonction des nouvelles lignes de d?mar

cation qui structurent la soci?t? autour de divergences de

plus en plus marqu?es.

Abstract y'' Christine Pirinoli, Between Land and Territory: The

Palestinian Identity 's Roots

The Palestinian collective memory and identities are

reproduced through key symbolic referents, namely: the

village land, territory, nation and the "transnational". For

the purpose of creating a Palestinian state, the people and

officials have instrumentalized these notions; and this

underscores the process of reinterpretation under way.

Although, given, in particular, the conflict with Israel,

these concepts are still fundamental for most Palesti

nians, their meanings and interrelations are changing as

a function of the new lines of demarcation shaping the

society around ever deeper cleavages.

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