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© (1998) Swiss Political Science Review 4(1): 1-89 Territoires, espaces urbains, espaces publics. Une approche de l’action publique locale en France Sylvie BIAREZ Résumé L'évolution de l'action publique locale en France s'intègre dans des si- tuations politico-culturelles spécifiques et dans le fait qu'il n'y a pas de rupture totale avec le passé. L'objectif de cet article est de voir com- ment les territoires peuvent garder leur pertinence politique face à la complexité de cette action. La méthode a été de situer l'action publique entre l'intervention étatique et l'autonomie gestionnaire des collectivi- tés, puis de considérer l'association entre acteurs institutionnels dans les agglomérations et le partenariat avec des groupes privés à l'aide de concepts et d'exemples. La fragmentation de l'action publique implique un effacement de l'action politique dans sa capacité de régulation et de médiation. Face à l'autonomie gestionnaire des collectivités locales, de nouveaux moyens de guidage sont nécessaires afin de maintenir la légi- timité politique. Introduction L'une des tendances est de considérer que les collectivités locales en France du fait de facteurs exogènes, de la décentralisation et des multiples partena- riats ont acquis une souplesse et des possibilités de régulation par rapport à l'État. Cette approche se double du rôle accru joué par les groupes privés dans le domaine des services publics, laissant sous-entendre que le partena- riat public-privé reste une des formes de la gestion territoriale (Le Galès 1995: 57-95). Ces propositions traduisent des évolutions réelles (Lorrain 1995: 105-129). Néanmoins, elles demandent à être intégrées dans des si- tuations politico-culturelles, dans la complexité des problèmes et dans le fait que les modifications ne traduisent pas une rupture totale avec le passé. Es- paces, réseaux et territoires sont les faces d'une action publique en France que l'on tente de qualifier, mais qui laisse dans l'ombre les modalités de l'ac- tion politique comme l'existence d'une citoyenneté. Car le doute est permis

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© (1998) Swiss Political Science Review 4(1): 1-89

Territoires, espaces urbains, espaces publics. Une approche de l’action publique locale en France

Sylvie BIAREZ

Résumé L'évolution de l'action publique locale en France s'intègre dans des si-tuations politico-culturelles spécifiques et dans le fait qu'il n'y a pas de rupture totale avec le passé. L'objectif de cet article est de voir com-ment les territoires peuvent garder leur pertinence politique face à la complexité de cette action. La méthode a été de situer l'action publique entre l'intervention étatique et l'autonomie gestionnaire des collectivi-tés, puis de considérer l'association entre acteurs institutionnels dans les agglomérations et le partenariat avec des groupes privés à l'aide de concepts et d'exemples. La fragmentation de l'action publique implique un effacement de l'action politique dans sa capacité de régulation et de médiation. Face à l'autonomie gestionnaire des collectivités locales, de nouveaux moyens de guidage sont nécessaires afin de maintenir la légi-timité politique.

Introduction

L'une des tendances est de considérer que les collectivités locales en France du fait de facteurs exogènes, de la décentralisation et des multiples partena-riats ont acquis une souplesse et des possibilités de régulation par rapport à l'État. Cette approche se double du rôle accru joué par les groupes privés dans le domaine des services publics, laissant sous-entendre que le partena-riat public-privé reste une des formes de la gestion territoriale (Le Galès 1995: 57-95). Ces propositions traduisent des évolutions réelles (Lorrain 1995: 105-129). Néanmoins, elles demandent à être intégrées dans des si-tuations politico-culturelles, dans la complexité des problèmes et dans le fait que les modifications ne traduisent pas une rupture totale avec le passé. Es-paces, réseaux et territoires sont les faces d'une action publique en France que l'on tente de qualifier, mais qui laisse dans l'ombre les modalités de l'ac-tion politique comme l'existence d'une citoyenneté. Car le doute est permis

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face à un double mouvement : d'une part la présence de l'État-nation de la-quelle le pouvoir politique tire sa légitimité, d'autre part la pluralité des formes de l'action publique soulignée par différentes approches. Si le besoin politique est inscrit dans le programme sociologique des sociétés européen-nes (Leca 1996: 342), le problème démocratique reste une question face aux transformations des territoires. L'approche des politiques publiques en France a permis d'élargir les cadres de l'action. La problématique des ré-seaux d'acteurs européens, nationaux, régionaux, locaux et des groupes d'in-térêts ou de pression implique l'existence d'un État en miettes (Jobert et Muller 1988), ou d'un État en creux qui se diluerait dans des processus di-vers (programmation, régulation, évaluation...). Les territoires ne seraient qu'une variable secondaire par rapport à des corporatismes et des intérêts. Les problèmes soulevés par le jeu des actions publiques émanant de structures pluri-organisationnelles posent des questions. Ou les réseaux d'acteurs qui se manifestent à l'occasion des politiques publiques ont ten-dance à se dé-territorialiser et à copier les flux économiques transnationaux – on assisterait alors à un retrait du politique et des institutions – ou les ter-ritoires, en dépit des jeux complexes, gardent leur pertinence politique. Se-lon cette deuxième hypothèse qu'on examinera ici, on est amené à considé-rer leur capacité de gérer "un vivre ensemble" qui ne peut être séparé des formes de contrôles démocratiques. Dans un premier temps, on tentera de montrer à la fois l'intervention d'un Etat en creux et l'autonomie de gestion des collectivités locales. Dans un deuxième temps, on soulignera l'évolution vers des systèmes territoriaux incer-tains. Des exemples pris parmi quelques grandes villes impliquant des coopé-rations entre acteurs institutionnels confirment le caractère fragmenté de l'ac-tion publique et les difficultés de contrôle que la problématique des réseaux de politique publique tend à démontrer. Il s'instaure un décalage entre des actions publiques fragmentées et l'action politique. De nouveaux types de guidage et de médiation sont nécessaires si l'on veut se fonder sur la légitimité politique.

Territoires entre références étatiques et autonomie

Le territoire, défini comme un construit social dépendant de l'histoire, de son usage comme instrument de pouvoir et de ses représentations symboli-ques (Badie 1995), est bousculé par les flux transnationaux, par la création d'espaces difficiles à définir politiquement (Europe, éclatement urbain). La remise en question de la souveraineté nationale dans un cadre géopolitique se double des doutes concernant la capacité d'intégration de l'État républi-cain. La restructuration de l'État-providence, les problèmes d'emploi et de ségrégation dans les banlieues, la montée individualiste et multi-culturaliste,

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le recul de l'État face à l'Europe, ainsi que les difficultés de la représentation politique à répondre aux enjeux sociaux posent le problème de la recompo-sition d'un cadre politique et des conditions de la démocratie. Le système politique local n'échappe pas à ces interrogations. Mais la faveur dont il jouit se nourrit du recul de l'État, de l'émergence de l'idée européenne à tra-vers les régions et les communes, ainsi que de la souplesse de gestion des collectivités territoriales supposées réaliser certaines attentes de la société. Si des considérations exogènes (mondialisation, ouverture sur l'Europe) valorisent le système territorial , cette valorisation est aussi liée aux consé-quences de la décentralisation et au désengagement progressif de l'État. La décentralisation a fait des collectivités locales les auteurs du développement de leur territoire. Mais en mettant l'accent sur leur capacité de gestion et sur leur ouverture à la mondialisation, elle a occulté les liens avec l'État dont la nature n'est pas essentiellement partenariale. Les collectivités territoriales sont des pouvoirs publics participant aussi à des missions étatiques. Outre les instruments opérationnels que la réglementation leur assigne, mais qu'el-les peuvent utiliser selon leur choix, outre le fait que le législateur régle-mente leurs modalités d'action, l'État tente d'influencer leurs comportements par différentes approches.1 On ne peut négliger dans ce domaine une imbri-cation du national et du local variable selon les situations. On évoquera ces relations à partir de la politique d'aménagement du territoire qui n'est pas sans montrer le rôle d'orientation d'un État intervenant en creux.

L'espace urbain dans la problématique de l'aménagement du territoire

Depuis les années 1975, on assiste au développement des banlieues et du périurbain dans des zones rurales, traduisant l'influence des villes. Les villes au sens traditionnel du terme se sont transformées. Certains (Ascher 1995) parlent de métapole, c'est-à-dire d'un groupe de villes, d'un espace de mobi-lité où la commune-centre peut assurer certaines fonctions, mais où les rela-tions de proximité se dissolvent. La notion de métropole a été définie par les économistes qui ont vu à la fois un lieu de production d'une main-d'oeuvre qualifiée, des échanges et des noeuds de réseaux internationaux. Ces échan-ges ne profitent pas forcément aux territoires proches et peuvent donner lieu à des disparités. Si les grandes villes sont mieux préparées à affronter la mondialisation économique et les transformations technologiques, la concentration urbaine n'est pas équilibrée. Il existe toujours des disparités à l'échelon national entre la région parisienne et la province.

1 La politique contractuelle (contrat de Plan État-région, contrat de ville) est souvent pour l'État un

moyen d'orienter l'action des collectivités locales.

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Le déséquilibre urbain a été au coeur des préoccupations de la politique d'aménagement du territoire (répartition plus équitable des hommes et des richesses sur le territoire). Mais selon les époques et les gouvernements les objectifs se sont différenciés. Durant la période 1985-1989, l'action de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'action ré-gionale (Datar) à l'égard des villes n'est pas directe. Elle se manifeste par une analyse de la situation globale, par l'élaboration et le lancement d'idées. La Datar opère dans le cadre du développement des conceptions libérales et de la concurrence entre les villes chargées de l'urbanisme par les lois de dé-centralisation. L'idée de réseaux de villes est lancée par la Datar, afin de dé-passer les égoïsmes municipaux par un développement commun et selon des zones géographiques significatives.2 L'objectif est de renforcer les villes françaises dont le poids est moins important que les villes européennes au plan international. Des réseaux de villes se constituent entre des villes moyennes pour établir des complémentarités (infrastructure de transports, équipement universitaire, développement culturel, touristique ou économi-que), avec plus ou moins d'efficacité et sans modification des structures ins-titutionnelles. Les projets de ville sont aussi en vogue pendant cette période. Le but est de procéder à une analyse des forces et des faiblesses de l'agglo-mération, et à l'élaboration de stratégies de développement. Ces projets pré-cisent les objectifs à atteindre et mobilisent les partenaires économiques et sociaux en s'appuyant sur une politique de communication. Si la Datar veut favoriser de nouveaux comportements, sa politique d'amé-nagement du territoire sera en retrait. Dans les années 90, sous l'accroissement du chômage, de la précarité et de l'exclusion, un tournant s'amorce pour tenter de coordonner les préoccupations économiques et sociales et pour apporter une certaine cohérence à l'échelon du territoire national. La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du terri-toire,3 ne fait qu'effleurer l'organisation des territoires urbains, laissant de côté les métropoles. Le schéma national d'aménagement du territoire élabo-ré par l'État doit proposer un ordonnancement du territoire fondé sur les no-tions de bassins de vie,4 organisés en pays, et sur les réseaux de villes. Le pays n'est pas une nouvelle institution, il est la recherche d'un territoire per-tinent pour le développement local. C'est le lieu où les collectivités locales et leur groupement définissent un projet commun de développement et où

2 Il existe en France plus de 36.000 communes et de nombreux organismes de coopération intercom-

munale auxquels il faut ajouter les régions, les départements et les autorités déconcentrées de l'Etat. 3 Février 1995. 4 Il fixe les orientations en matière d'aménagement du territoire, d'environnement et de développe-

ment. Il établit les principes régissant les grandes infrastructures, les équipements et les services col-lectifs d'intérêt national.

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l'État peut adapter son action et ses services. Le pays concerne les solidari-tés entre l'espace rural et la ville. Le document introductif concernant le débat national sur l'aménagement du territoire prévoyait trois niveaux d'organisation : les zones à dominante rurale, les zones comprenant des villes de taille intermédiaire et les territoi-res sous l'influence des métropoles. Les zones à dominante rurale pourraient s'organiser sous forme de pays. Les villes moyennes bénéficieraient d'une coopération sous forme de réseaux. Les grandes villes ont seulement fait l'objet d'un rapport élaboré par une commission de la Datar dans le cadre du schéma national d'aménagement du territoire. La commission souligne que les villes régionales évoluent dans une grande diversité et sans appui de l'État. La capitale concentre, outre les fonctions politiques nationales et internationales, toutes les fonctions straté-giques (finance, gestion, conception, marketing). La France ne possède pas de métropole reconnue internationalement, particulièrement sur le plan des affaires, de la diplomatie et des finances. L'objectif de l'aménagement du territoire serait donc de promouvoir quelques grandes villes au rang interna-tional, (Lyon, Toulouse, Bordeaux, Marseille, Lille...), où seraient implantés des centres décisionnels, des entreprises multinationales, des grands inves-tissements. Cette commission propose également de créer des gouverne-ments d'agglomération, afin de passer progressivement de l'intercommunali-té fonctionnelle à la supracommunalité pour les cent plus grandes aggloméra-tions.5 Cette autorité, élue au suffrage universel, qui pourrait ainsi être identi-fiée par le citoyen, édicterait un projet d'aménagement et de développement supracommunal. Elle devrait se doter de fonds propres et en déterminer l'em-ploi selon des procédures contractuelles avec les communes de base. Il ne semble pas que l'on s'achemine avec de telles propositions vers la création d'un nouveau niveau d'administration, puisque les processus de coopération intercommunale offrent des modalités diverses de regroupe-ment. Il s'agit de modifier la nature de ces autorités par l'élection au suffrage direct, et de leur donner la possibilité d'établir des diagnostics stratégiques, de mener des politiques publiques et de négocier les aides nationales, euro-péennes et régionales sur la base de projets globaux. Les problèmes d'organisation des territoires reste au coeur des préoccu-pations d'aménagement du territoire, sans qu'on sache l'impact réel de ces propositions.6 La politique d'aménagement du territoire est passée d'une ac-tion volontariste à une conception défensive (explosion dans les banlieues, difficultés du monde rural). Une reprise de l'aménagement du territoire afin

5 Les regroupements intercommunaux ne sont pas élus au suffrage direct ; ils ont le plus souvent le statut d'établissement public.

6 Le changement de gouvernement entraîne une remise en question de la loi de 1995.

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d'établir plus d'équité et de solidarité semble problématique. De plus, la création d'une supracommunalité élue au suffrage direct risque d'être un voeu pieux. Il est probable que les élus, comme ils l'ont fait jusqu'à présent, seront preneurs d'organisations souples ne mettant pas en cause leur mode traditionnel d'élection.

Les effets de la décentralisation et le renforcement de la représentation politique.

La recherche d'un positionnement international des villes dépend, après les années 80, autant du discours officiel, des études universitaires que de la pénétration par les responsables locaux des nécessités du développement et de la concurrence. Les élus se lancent dans une politique de marketing et de grands projets, indépendamment de l'Etat dont la politique d'aménagement du territoire est en retrait. La décentralisation accroît le pouvoir des élus locaux, tout en s'articulant à une ouverture des collectivités locales sur l'extérieur. Cette situation contribue à développer des effets de dé-territorialisation de l'action publi-que, sans qu'on puisse qualifier l'action politique qui en découle. L'associa-tion de divers territoires ou les partenariats entre acteurs publics et privés concourent à rendre fonctionnel le système local et à opacifier le choix des élus. Cette réforme constitue une mini-révolution. Mini, parce que juridique-ment les collectivités territoriales n'ont pas le droit de légiférer et qu'aucune souveraineté ne leur est accordée sur leur territoire;7 révolution parce que les élus vont acquérir une grande autonomie qui renforce leur pouvoir par rap-port à l'État et au corps social. La décentralisation bouleverse le système de déconcentration qui avait prévalu, c'est-à-dire la place des préfets et des services de l'État à l'échelon local. Dans cette situation modifiée, de nouveaux intervenants s'instaurent ou for-tifient leur position. L'État assume un recul face au marché international, aux idées libérales et à la construction de l'Europe. L'interventionnisme tradition-nel décline. Dans le même temps, l'intégration européenne se poursuit. Les ai-des aux régions proposées par les Fonds structurels permettent de développer des relations entre les collectivités locales et Bruxelles. Le retrait de l'État se double d'une concurrence entre les collectivités et de processus de coopération plus ou moins durables. De nouveaux acteurs tendent à se manifester (cham-bres de commerce, bureaux d'études, universitaires, groupes socio-

7 La constitution considère que la souveraineté nationale appartient au peuple et qu'aucune collecti-

vité territoriale ne peut s'en attribuer l'exercice. Cette situation rend impossible la création d'un terri-toire sub-national où s'exercerait une régulation politique plus globale.

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professionnels...). Les collectivités locales délèguent certains services à des grands groupes privés et développent leur participation à des sociétés d'éco-nomie mixte. La décentralisation s'exerce à l'intérieur d'un enchevêtrement de compé-tences, de structures et d'acteurs. La lisibilité des actions publiques est rendue opaque autant pour les groupes socio-professionnels que pour le citoyen. Cette imbrication des actions publiques dénoncée par de nombreux rap-ports officiels est due à plusieurs facteurs. Selon les lois de décentralisation, il ne peut y avoir de tutelle d'une collectivité sur une autre. La répartition des compétences s'est faite selon l'attribution de blocs de compétence,8 afin d'évi-ter les financements croisés. Or, en dépit de ces dispositions, les collectivités ont selon la constitution la libre administration. Par conséquent, elles peuvent agir dans tous les domaines qui concernent leur territoire. De plus, l'existence de 36 000 communes et plus, le développement de la coopération intercom-munale encouragée par l'État rendent les actions publiques peu visibles et échappent au contrôle des populations. Cette situation se double de finance-ments croisés entre les différentes collectivités et de la contractualisation avec l'État ou entre les collectivités locales. Par conséquent, si la décentralisation facilite la territorialisation des politiques publiques, on assiste aussi à un frac-tionnement de l'action favorisé par des partenaires accrus, horizontaux et ver-ticaux. Le jeu des partenariats, de l'intercommunalité, des réseaux aboutit à de nouvelles organisations qui vont dépendre du territoire traditionnel comme donner lieu à des actions sectorielles. De plus, cette fonctionnalité de l'action publique est accrue par la logique propre à chaque politique publique, ayant des dispositifs spécifiques et faisant l'objet d'enjeux sociaux diversifiés. La gestion par projet qui s'articule à la logique budgétaire et à la contractualisa-tion n'implique pas forcément l'existence de choix globaux de nature politique. Dans cette situation, il est difficile de savoir qui fait quoi et qui en a la res-ponsabilité. La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire avait prévu une clarification des compétences qui tarde à intervenir. En outre, la déconcentration (services extérieurs de l'État et des préfets) se heurte à de nombreuses difficultés : résistance des administrations centrales concernant le transfert de leurs attributions aux services extérieurs, stratégies diverses de ces services selon leurs compétences et leur place localement. Les préfets qui peuvent assurer un rôle de coordination des services de l'Etat et qui interviennent dans des domaines spécifiques se heurtent à des objectifs locaux contradictoires et à la hiérarchie des ministères centraux.9

8 L'urbanisme pour les communes, l'action sociale, la santé et l'équipement rural pour les départe-

ments, l'aménagement du territoire, la formation professionnelle pour les régions. 9 Politique de solidarité (insertion, logement, ville), planification (contrat de plan), aménagement

du territoire.

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Si la décentralisation est confrontée à sa complexité, le système local tire sa force du cumul des mandats (un mandat national et un mandat local) et du ren-forcement du pouvoir du maire et des président des conseils départementaux et régionaux, ainsi que du cumul des fonctions : membre du gouvernement, chef de parti, président de groupe ou de commission parlementaire et grand élu d'une collectivité locale (d'Arcy 1996: 204-225). Pourtant, une certaine fragili-té demeure. Elle est due aux limites du financement des collectivités locales, avec l'inégale répartition de la taxe professionnelle représentant plus de la moi-tié de la fiscalité locale, les difficultés pour opérer des systèmes de péréquation entre les territoires et le coup d'arrêt des concours financiers de l'État depuis 1994. La décentralisation qui a renforcé le pouvoir du maire et de son exécutif n'a pas favorisé la démocratie locale, malgré les dispositions qui ont été pri-ses ultérieurement.10 La grande ville ne se prête guère à des pratiques collec-tives et à des solidarités. Les associations et les comités de quartier qui peu-vent dialoguer avec les élus ne sont pas toujours représentatifs des popula-tions. Les groupes sociaux qui se manifestent dans le cadre des politiques sectorielles ne sont guère associés à leur formulation. Les nouveaux média-teurs (associations gestionnaires dans les politiques sociales, groupements divers ou travailleurs sociaux dans les banlieues) sont confrontés à des dis-positifs multiples et à l'inadéquation fréquente entre des demandes sociales et les logiques émanant des diverses sources de financement. En dépit du grignotage de l'État jacobin et uniformisant, la décentralisation, si elle mo-difie les règles du jeu entre l'État et les collectivités locales par plus d'auto-nomie et de diversité, n'a pas été un facteur d'accroissement démocratique. Par conséquent, les territoires urbains évoluent entre les orientations éta-tiques et l'autonomie gestionnaire. Les tendances à la dé-territorialisation contribuent à complexifier l'action publique et à altérer les processus tradi-tionnels de la démocratie locale.

Vers des systèmes politiques territoriaux incertains.

La prise de conscience de la métropolisation par les villes se traduit par la mise en place de gouvernement divers plus ou moins souples, plus ou moins intégrés, sous forme souvent de coopération intercommunale. La réglemen-tation offre de nombreuses possibilités de regroupements intercommunaux

10 La loi de février 1992 sur l'administration territoriale de la République améliore les procédures d'information et de consultation. L'article L300-2 du code de l'urbanisme demande aux municipalités de dialoguer dès l'élaboration du projet et pendant toute sa durée avec les associations en matière de construction, d'aménagement et d'urbanisme. La loi d'orientation pour la ville, (juillet 1991), indique qu'une concertation est obligatoire pour toute action ou opération qui par son ampleur modifie les conditions de vie des habitants.

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laissés le plus souvent à l'appréciation des élus. A côté des syndicats à voca-tion unique et multiple, des communautés urbaines et des districts, la loi d'orientation relative à l'administration territoriale a créé les communautés de communes et les communautés de villes sous forme d'établissement pu-blic avec deux compétences obligatoires, l'aménagement de l'espace et le développement économique. Quelques exemples pris parmi les grandes agglomérations montrent les difficultés d'une régulation politique qu'entraîne cette complexité.11 En in-troduisant les concepts de gouvernance et de réseaux de politiques publi-ques, on mesure les difficultés de contrôle de l'autorité locale. Ces considé-ration mettent en doute la légitimité politique fondée sur l'élection locale et sur un espace public de délibération et de négociation.

Polycentrisme des villes et régulation politique

A Marseille, depuis les années 90, le retour de l'État, dans le cadre d'une négo-ciation permanente avec les principaux partenaires locaux, est manifeste avec deux opérations d'envergure "Euroméditerranée" et le Grand Projet Urbain.12 On assiste à une combinaison d'institutions qui agissent ensemble. L'objectif est de consolider la centralité métropolitaine qui a fait défaut dans les opéra-tions antérieures. L'opération "Euroméditerranée" implique une collaboration entre l'État, la communauté de communes, le conseil général, le conseil régio-nal, le port autonome, la Chambre de commerce et la SNCF. Elle a donné lieu à la création d'un établissement public en 1995 où interviennent ces différents acteurs. Trois objectifs sont poursuivis : reconstruire le pôle international mar-seillais, permettre le développement économique de la région et la restructura-tion du centre-ville. Cette opération doit intervenir en liaison avec le schéma directeur d'aménagement et de développement des bassins portuaires, afin de faciliter une ouverture de la ville sur le port et de nouvelles activités. Dans l'agglomération de Toulouse, le fractionnement des modes de gou-vernement prévaut. Qu'il s'agisse de la planification urbaine qui opère sur un découpage ne correspondant pas à l'organisation des collectivités, des antagonismes entre la ville-centre, à la tête d'un district de 15 communes, et les communes périphériques regroupées dans une communauté de ville, des plans de développement spatiaux ou des politiques locales d'habitat, tout contribue à parler d'une multiplication d'actions non coordonnées échappant à une régulation socio-économique.

11 Voir Ministère de l'Equipement, Secrétariat Permanent du Plan Urbain (1996) et Qui fait la ville

aujourd'hui ? (1997). 12 Restructuration de trois quartiers, reconstruction d'un habitat neuf et désenclavement. Ce projet

est un prolongement de l'opération "Euroméditerranée".

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La même absence de cohérence s'observe dans l'agglomération borde-laise en dépit de l'existence d'une communauté urbaine. La communauté ur-baine qui commence à fonctionner en 1968 intervient sous l'égide de son président le maire de Bordeaux. Celui-ci veut renforcer son pouvoir sur les communes périphériques et élaborer des projets de développement dans l'agglomération. Mais cette influence s'affaiblit à partir des années 77 où les communes lancent des opérations d'urbanisme de manière autonome. La crise du gouvernement local est attribuée à la perte de l'influence nationale du maire (Sorbets 1981), à l'intervention des grandes entreprises publiques poursuivant une logique financière en l'absence d'une régulation politique de la communauté urbaine. A Strasbourg et dans l'agglomération, le cumul des fonctions par l'ancien maire, présidente de la Communauté urbaine, membre du parlement euro-péen et présidente du port autonome a renforcé le poids de la communauté urbaine qui est devenue partenaire d'un certain nombre d'organismes privés ou publics. Un projet d'agglomération a été adopté en 1990, il a permis la croissance des investissements publics. Néanmoins, si la mondialisation de l'économie et l'effacement des frontières ont été des atouts, les acteurs lo-caux ont surtout accompagné le développement. L'absence de schéma d'aménagement de l'agglomération, le fait que les services techniques de la ville-centre soient ceux de la communauté urbaine comme l'inexistence jus-qu'à une date récente d'une péréquation de la taxe professionnelle consti-tuent un handicap pour une politique d'agglomération. Les métropoles de Lille et de Lyon se présentent comme des systèmes plus intégrés.13 Les deux communautés urbaines ont renforcé leurs préroga-tives depuis leur création, en dépit d'aléas divers. Elles sont devenues ces dernières années les pôles organisateurs des politiques publiques de l'ag-glomération. L'importance des services techniques et les leaderships locaux ont contribué au renforcement de leurs structures. Dans les deux métropoles des stratégies de développement ont été mises en place sous forme de planification et de grands projets. Dans la métropole de Lille-Roubaix-Tourcoing, qui tente de passer d'une industrialisation tra-ditionnelle à une économie moderne et de services, une charte de dévelop-pement autour du TGV et de grands projets ont été élaborés. Le resserre-ment des liens autour de la communauté urbaine se manifeste dans le cadre des ambitions européennes (transports, place de Lille dans l'espace euro-péen, zone frontalière). La mise en révision du schéma d'aménagement s'est

13 Elles sont gouvernées par deux communautés urbaines créées respectivement en 1967 et 1969 pour réaliser de grands équipements. La première regroupe 86 communes et la deuxième 55 commu-nes. Elles sont élues au suffrage indirect et comprennent chacune environ un million d'habitants. Les communautés urbaines ont de larges compétences (services urbains et urbanisme), elles ont des res-sources fiscales propres.

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orientée vers la création d'une métropole transfrontalière avec la prise en compte des échanges avec la Belgique et vers un développement polycen-trique fondé sur quatre villes (Lille, Roubaix, Tourcoing et Villeneuve d'Ascq). Le contrat de ville adopté en 1992 était présenté comme le volet social d'une politique de développement, il montre la tendance de la com-munauté urbaine à faire, outre une politique de développement, de la régula-tion sociale. L'exemple de la communauté urbaine de Lyon indique égale-ment une autonomisation croissante de cette structure et l'orientation vers l'élaboration d'une véritable politique d'agglomération. Dans les deux cas (métropoles de Lille et de Lyon), on peut observer plusieurs phénomènes. Le premier est la tendance à l'exercice d'une supra-communalité. Le deuxième point est une extension des activités et des structures destinées à les mettre en oeuvre. De nombreux accords frontaliers sont intervenus dans la métropole du Nord avec différents arrondissements belges. A Lyon, l'élargissement de la communauté urbaine à la région ur-baine (RUL), bassin d'habitat et d'emplois, est à souligner. La RUL associe quatre départements, la communauté urbaine, l'État et la région. Il y a donc une extension des enjeux à une échelle urbaine plus large. Néanmoins, on doit se demander si le polycentrisme des villes, qui auto-rise l'élaboration de diverses politiques publiques, favorise une intégration socio-économique, ou s'il faut considérer qu'on est en présence d'une forme d'apprentissage permettant d'affronter de nouveaux enjeux. Un retour rapide sur l'action menée à l'intérieur de l'agglomération lyonnaise montre que la deuxième hypothèse est la plus probable. Dans une première phase (1970-1980), la communauté urbaine de Lyon est occupée par la réalisation d'équipements lourds. Dans les années 80, la réalisation de zones d'activités est en nette progression ainsi que les opéra-tions d'amélioration de l'habitat (centres anciens). Il faut également souli-gner la tendance à une concentration des grands projets dans la ville centre. Mais on ne peut parler pendant cette période d'une véritable politique éco-nomique de l'agglomération et encore moins d'une politique sociale. Dans une deuxième phase qui commence avec le projet de ville "Lyon 2010", les préoccupations économiques deviennent plus évidentes. Elles se manifestent sous la forme d'une politique d'image et dans le cadre de la pla-nification. "Lyon 2010" élabore un projet de type stratégique afin de posi-tionner la ville sur le marché concurrentiel. Ce projet donne lieu à un consensus des élites politiques et économiques autour de la création d'une eurocité. Il sera repris par le schéma d'aménagement de l'agglomération. Par la suite, la planification devient plus flexible avec la mise en oeuvre de pro-grammations partielles (schéma directeur d'urbanisme commercial, contrats de ville, programme local d'habitat). On peut percevoir à partir de cette pé-

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riode la tendance à préparer l'agglomération à de nouveaux enjeux écono-miques et sociaux, avec la possibilité d'articuler la planification stratégique de nature économique et la politique du développement social urbain (contrats de ville, mixité des quartiers...). Les difficultés d'intégration des politiques territoriales se retrouvent dans la structure et le fonctionnement de la communauté urbaine. En effet, la lé-gitimité politique se concentre sur les communes. Pendant une partie de son existence, la communauté urbaine de Lyon a additionné les demandes des communes et a fonctionné comme un organisme de redistribution. Des pro-jets programmés peuvent être refusés par les communes. De même la com-munauté urbaine est limitée dans ses choix, soit parce qu'il ne suffit pas d'aménager des zones d'activités pour faire venir des entreprises, soit parce qu'une politique offensive passe aussi par une structuration sociale de l'ag-glomération difficile à mettre en oeuvre, étant donné la concurrence entre les communes, la majorité politique existante et les problèmes sociaux de la partie Est de l'agglomération.14 Cependant la communauté urbaine de Lyon a un personnel technique et un budget conséquents. Des projets ont été réali-sés grâce à l'action de certains élus et à la présence de techniciens. Récem-ment, lors des dernières élections, le pouvoir politique s'est élargi. L'entrée de socialistes dans l'exécutif de la communauté urbaine leur permet de par-ticiper aux décisions. Par conséquent, on peut difficilement parler d'une intégration des politi-ques territoriales en faveur de l'agglomération et d'une régulation socio-économique, même là où l'organisation des gouvernements locaux est la plus avancée. Le polycentrisme des villes, s'il tend à développer différents modes d'intervention, n'implique pas forcément l'existence d'actions publi-ques cohérentes et globales, d'autant que les politiques culturelles et socia-les restent de la compétence des communes et que la légitimité politique est fondée sur les collectivités de base. Il y a défaillance des systèmes politi-ques territoriaux si l'on pense que l'une des tâches est de coordonner des po-litiques publiques sur des territoires donnés.

Discussion théorique et partenariat public-privé

L'autonomie acquise par les collectivités locales, l'organisation diverse des agglomérations, la nécessité selon les politiques publiques d'établir des par-tenariats entre acteurs publics et privés contribuent à faire évoluer les concepts et à s'interroger sur les nouveaux modes de gestion et les formes

14 En 1983, toutes les communes sont représentées au Conseil de Communauté. Pour 140 sièges, la Droite obtient 93 sièges et l'opposition 47. Le président de la Communauté urbaine a toujours été le maire de la ville de Lyon. En 1977, sur 12 vice-présidents qui forment le bureau, 6 sont des élus lyon-nais. Aujourd'hui sur 38 vice-présidents, 14 seulement appartiennent à la ville de Lyon.

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de pouvoir. On fondera cette approche sur une discussion des théories ac-tuelles en essayant de les confronter à des exemples. Le système local a donné lieu à des conceptualisations évolutives depuis les années 70. L'approche politico-administrative de Grémion (1976) repo-sait sur les relations de dépendance entre les administrations de l'État et les élus locaux. La problématique des notables permettait de favoriser une mé-diation en faveur de l'État. Le paradigme de pouvoir local qui lui a succédé prenait en compte l'autonomisation progressive des territoires, particulière-ment des villes avant la décentralisation, ainsi que les revendications parti-cipatives, indice de la montée des catégories moyennes et de la progression de la gauche aux élections après 1970. Le jeu des élus, des techniciens, des partis politiques, des représentants d'association et de groupes sociaux ren-forçait le pouvoir local (Biarez 1989). La notion de gouvernement local in-tervient fin des années 80 (Mabileau 1991). Elle consacre l'augmentation des prérogatives locales, la capacité des villes à mettre sur agenda des poli-tiques territoriales (Muller 1990) en partenariat avec l'État, avec d'autres collectivités ou groupes sociaux. Cependant cette notion ne sera pas jugée suffisante pour expliquer la complexité de l'action territoriale aux prises avec des systèmes flexibles et de nouveaux opérateurs. Le terme de gouvernance s'il s'en réfère à une conception anglo-saxonne due aux bouleversements subis par le gouvernement local en Grande-Bretagne veut souligner les changements opérés dans les systèmes d'action publique. La gouvernance est un ensemble complexe d'institutions et d'ac-teurs qui se situent au-delà de l'idée unitaire et hiérarchique de gouverne-ment (Stoker 1996). Les frontières et les responsabilités restent floues entre les questions sociales et économiques dans des systèmes qui impliquent le secteur privé et des groupes sociaux actifs. Dans les relations de gouver-nance aucune organisation n'a une complète autonomie. Selon ce processus d'interdépendance, l'acteur qu'il soit public ou privé n'a pas les ressources nécessaires pour agir de manière unilatérale. La gouvernance insiste donc sur l'interdépendance des réseaux d'ac-teurs publics et privés, sur la capacité de satisfaire certains intérêts et sur l'autonomie d'action de ce réseau. Elle concrétise une fragmentation du gouvernement local. Mais pour certains (Stocker 1996) cette fragmenta-tion oblige à repenser de nouveaux modes d'intervention de la collectivité sans que le succès d'une régulation soit assuré. Or c'est cette idée de régu-lation qui reste floue. Face à des politiques publiques impliquant des ac-teurs et des systèmes inter-organisationnels divers, quel est le rôle de l'ac-tion politique ? S'agit-il d'établir des modes d'intermédiation et en s'en ré-férant au processus de décision de réguler différentes relations, de refor-

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muler des normes ? Cette question n'est pas abordée puisque le but est de banaliser l'action politique. La problématique des réseaux de politiques publiques (Le Galès et That-cher 1995) paraît complémentaire à la notion de gouvernance, elle contribue surtout à mieux l'éclairer. Le réseau porte sur des niveaux intermédiaires de politiques publiques et sur une analyse sectorielle de ces politiques. De plus, l'étude des réseaux implique que l'on considère directement ces ac-teurs, ce qui contribue à mettre sur un même plan les acteurs étatiques et non étatiques, à rejeter l'enchaînement linéaire de l'action publique en fa-veur d'interactions multiples, à ne pas partir des découpages administratifs. L'existence des deux types de réseaux est soulignée ; les réseaux thémati-ques (nombre de participants importants, intérêts diversifiés, interactions fluctuantes, conflits fréquents) et les communautés de politique publique (participants limités, intérêts professionnels ou économiques, hiérarchisa-tion, interactions et consensus). L'existence d'intérêts et de valeurs partagés, à laquelle s'ajoute l'idée d'échange politique de Pizzorno (consensus social) ain-si que les ressources offertes par l'État permettent de consolider le réseau.15 Par conséquent, l'approche par les réseaux relativise le rôle de l'État en inte-raction avec les acteurs institutionnels; ceci consacre l'érosion entre secteur public et privé. Néanmoins, elle n'est pertinente que si l'on dépasse le carac-tère descriptif pour utiliser l'échange politique ou le néo-institutionnalisme. L'institutionnalisation du réseau est une donnée intéressante pour com-prendre si les gouvernements locaux en France sont en voie de changement. Ces gouvernements qui jouissent toujours d'une représentation politique forte et qui oeuvrent de manière différenciée avec l'État, les administrations déconcentrées et différents partenaires dépassent-ils le réseau thématique souple et variable pour acquérir une stabilité institutionnelle ? Le vieil institutionnalisme considérait les institutions comme des détermi-nants des systèmes politiques ou comme des cadres stables de l'interaction po-litique. L'approche néo-institutionnaliste (Stone 1992 : 167-168) leur confère une dynamique constructive. Les institutions sont à la fois des variables indé-pendantes et d'intermédiation qui obligent à reconsidérer cette source de contrôle ; elles peuvent modifier les résultats de l'activité politique en influen-çant la manière dont les acteurs définissent leurs intérêts. Les institutions éla-borent des normes, des principes de comportement, des politiques symboli-ques et diverses structures. Ces normes et ces comportements peuvent servir à légitimer certains processus. C'est ainsi que les interactions entre structures concrètes et cognitives (conscience sociale d'une élite experte) peuvent façon-ner des intérêts, redistribuer le pouvoir et produire des résultats politiques.

15 Accès privilégié à la décision, capacité d'expertise, subvention etc...

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Une telle grille d'analyse nous interroge sur l'évolution des gouverne-ments urbains dans leur relation avec le secteur privé. L'autonomie gestion-naire des villes et le partenariat entre les acteurs institutionnels ouvrent la voie à des acteurs ayant des compétences techniques ou des affinités de sa-voirs (Gaudin 1995: 31-56). Le développement de l'expertise en faveur des collectivités peut mobiliser des organismes et des professionnels privés. L'affaiblissement des services déconcentrés de l'État facilite cette situation.16 Le retrait de l'État laisse plus de place à de nouveaux groupes, à des promo-teurs capables de proposer des opérations, d'assembler plusieurs métiers et de présenter des projets clés en main. De même la souplesse des modalités de la privatisation allant du tout privé au contrat d'assistance reste un atout pour le pouvoir local. Cependant quelles que soient les influences qui se manifestent en amont des décisions, la mise sur agenda d'une opération et sa décision dépendent des gouvernements locaux. On ne peut écarter d'un revers de main les as-pects symboliques et financiers de la gestion locale. L'élu local doit rendre des comptes à ses électeurs, de même que ceux-ci contribuent aux finance-ments des projets. En revanche, l'accroissement des acteurs dans l'exécution des politiques publiques, face à des autorités locales qui sont les autorités organisatrices, pose la question d'une modification de leur rôle politique et de leur capacité de contrôle. L'exemple de la communauté urbaine de Lyon permet d'avancer quel-ques hypothèses. Le poids des leaderships politiques, l'entente avec les communes proches, la présence de techniciens, les négociations avec les élus constituent l'essentiel du pouvoir de décision de cet établissement pu-blic. Néanmoins, si les décisions sont prises par les responsables locaux, les délégations successives de compétences pour certaines opérations lors du passage à l'exécution posent des problèmes. La cité internationale de Lyon dont l'objectif était de créer un pôle ter-tiaire débute dans les années 1985 en accord avec la chambre de commerce et le patronat lyonnais. Après de nombreuses péripéties, une société d'éco-nomie mixte (SEM) est créée. L'aménageur est un groupe privé. La ville de Lyon propriétaire des terrains les cède sous forme de bail emphytéotique de 99 ans. En échange ce groupe s'engage à faire certaines opérations. Si au départ la réalisation du projet incombe au secteur privé, des difficultés vont conduire la ville à financer le palais des congrès ; la société privée se tour-nera vers la réalisation de bureaux, opération plus rentable. De même la SEM devait être l'aménageur. En contact avec les collectivités et l'opérateur, elle assure désormais l'interface, fait des études et facilite la cohérence de

16 L'expertise des services déconcentrés de l'Etat est surtout utilisée par les petites villes qui ont peu de moyens techniques.

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l'opération. On voit donc se développer des délégations successives et s'éta-blir une fragmentation décisionnelle. L'attribution de l'exécution au secteur privé atténue les possibilités de contrôle de la collectivité et favorise une certaine flexibilité en faveur du marché. Dans le domaine des transports, une autre forme de délégation peut être ob-servée. Le Sytral, syndicat mixte des transports en commun pour le Rhône et l'agglomération lyonnaise, est l'autorité organisatrice des transports. En dépit du renforcement du contrôle de la communauté urbaine dans les années 90, le Sytral est devenu quasiment autonome. C'est un établissement public qui est maître d'ouvrage dans le domaine des investissements. Par ailleurs, l'exploita-tion du réseau (métro, bus, trolleybus) est attribuée par contrat à la société lyonnaise des transports en commun filiale d'un grand groupe privé. Les fragmentations de l'action publique se doublent des nouvelles formes de passation des marchés. Les entreprises ont réactivé une formule juridique qui était tombée en désuétude. ”... Elles prennent en charge le coût des tra-vaux, les réalisent et les exploitent pendant une durée de dix à quinze ans. La collectivité locale les rembourse sur la même période” (Lorrain 1995: 127). La concentration technique des entreprises bancaires et des travaux publics ainsi que le développement des promoteurs-aménageurs, s'ils mon-trent les faiblesses des collectivités locales face à leur autonomie croissante et aux moyens des grands groupes, n'effacent pas la responsabilité des élus. Le problème est que l'aide juridictionnelle est insuffisante et que le contrôle démocratique est pratiquement inexistant.17 L'observation donne donc à penser que s'il y a gouvernance au stade de l'exécution, on a plutôt affaire à des réseaux thématiques de nature souple et variable qu'à des communautés de politiques publiques permettant une insti-tutionnalisation entre secteur public et privé. La complexité de l'action publique territoriale fondée sur des systèmes inter-organisationnels et partenarials fragilise l'action politique, ses capaci-tés de mise en cohérence et de contrôle. Cette situation n'est pas étrangère à l'existence de réseaux d'acteurs restreints privilégiant des élites profession-nelles et économiques et réduisant la capacité de médiation.

Espace public, espace politique

Les difficultés à repenser l'action politique se heurtent à quelques problèmes essentiels. outre les incertitudes et le caractère composite qui pèsent sur les gouvernements locaux, on peut citer l'évolution des valeurs individuelles et collectives qui fondent l'acceptation de la légitimité dans ce domaine. Or ces

17 Les collectivités locales demanderaient à solliciter l'avis du Tribunal administratif ou de la

Chambre régionale des comptes avant la prise de certaines décisions.

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valeurs se différencient selon les lieux et les politiques (villes, banlieues en difficulté, exclusion, immigration...). L'espace politique devient hétérogène et ne fonctionne de manière globale que sur des représentations traditionnelles parfois fortement figées. L'autre point qui explique la difficulté d'intégrer un ordre social évolutif est l'absence de prise en considération d'une demande politique des populations. Cette demande inscrite dans les démocraties, qui est reprise dans différents secteurs (recours constants en France à l'État, prin-cipe de solidarité...), n'est pas considérée en soi comme une problématique globale par la sociologie politique. Car la difficulté en la matière provient peut-être d'avoir confondu la question de la légitimité et de la domination po-litique. La propension à voir dans l'État le monopole de la violence légitime selon Weber rend difficile la reconnaissance d'un champ politique où des normes seraient reconnues et acceptées, et qui procéderait des débats entre différents participants. Le champ politique ne repose pas uniquement sur la domination, mais sur des compromis qui n'excluent pas une hiérarchie pour promouvoir des échanges rationnels. Or des tendances modernes rendent cette approche délicate. D'une part des groupes d'appartenance se constituent (Poche 1996) qui peuvent considérer leurs représentations du monde comme incompatibles avec d'autres valeurs. D'autre part l'autonomie croissante du su-jet atténue l'attention portée à la recherche d'un intérêt commun. Ces tendan-ces qui ne peuvent ici qu'être effleurées n'empêchent pas l'existence de dyna-miques traduisant le besoin d'un espace public. La notion de gouvernance en Grande-Bretagne est fondée en partie sur l'intervention des groupes volontaires dans les politiques publiques ; ce que montre les exemples en France, c'est l'action au coup par coup des groupes de population pour bloquer des opérations d'urbanisme. Dans deux zones d'aménagement situées au centre de Toulouse et concédées au secteur privé, les associations se sont mobilisées soit par les recours contentieux, soit en indiquant que le dossier présenté ne tenait pas compte de leurs préoccupa-tions. En ce qui concerne la cité internationale de Lyon, des associations dans les années 90 se sont opposées au projet et ont demandé le classement de l'ancien palais de la foire quai Achille Lignon. Les verts ont repris l'of-fensive avec un recours en annulation devant le tribunal administratif. Le tribunal a annulé la décision de la communauté urbaine pour non respect des règles de l'urbanisme. Mais cette décision n'a eu aucune conséquence sur la poursuite de l'affaire. Face à ces situations, la représentation politique demeure forte. Pourtant, en dépit de positions contradictoires, la nécessité d'une participation accrue des populations se fait sentir. Dans la communauté urbaine de Lyon, où l'élu est à la fois représentant de sa commune et de la communauté urbaine, l'accès aux décisions reste difficile. Un Comité consultatif d'urbanisme est organisé

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par intermittence sur les sujets d'aménagement.18 Présidé par un membre de la communauté urbaine, il est avant tout un lieu de débat. Il existe aussi des co-mités consultatifs dans le cadre des arrondissements où les habitants peuvent intervenir sur le réaménagement de leur quartier, sans que l'on sache si ces as-sociations sont très représentatives. Pour l'élaboration des plans d'occupation des sols, les associations de quartier peuvent être consultées. Si la commu-nauté urbaine n'a pas la compétence sociale qui appartient aux communes et au département, elle a pu à travers les chefs de projet, qui interviennent dans les quartiers en difficulté, tenter d'établir une culture commune. Dans ce domaine différentes propositions émanent soit des administra-tions, soit des partis politiques, des communes ou des associations. C'est ainsi que le Crédit Local de France estimait que la décentralisation, si elle était rentrée dans les moeurs des décideurs politiques, demeurait pour une bonne partie de la population une construction technocratique très éloignée des préoccupations quotidiennes. Il fallait rendre la parole aux citoyens en impulsant une dynamique de transformation de l'action publique. De même, le ministère de l'Environnement mettait en discussion la possibilité d'établir une charte de la concertation afin d'intégrer en tant que partenaire les popu-lations. Il s'agissait de promouvoir la participation des citoyens aux projets d'urbanisme et d'environnement en les associant dès l'origine aux côtés du maître d'ouvrage. Dans un cadre moins large, on peut citer la charte pour la démocratie adoptée par la Fédération de Paris du Parti socialiste qui s'inscrit dans la loi PLM et dans l'arrivée de la gauche dans 6 arrondissements pari-siens.19 Il est proposé pour éviter la contestation ou le recours au contentieux de consulter en amont du processus de décision et de permettre une interac-tion avec les décideurs, l'arbitrage et le choix final appartenant aux élus. Des comités de quartier structurés en association dont les membres sont ni élus ni nommés par le maire ont été mis en place dans certaines commu-nes pour faire remonter les besoins. Dans le 19ème et le 20ème arrondisse-ment de Paris, les conseils de quartiers sont formés de représentants du conseil municipal, de militants ou de personnalités qualifiés nommés par le maire ou le conseil municipal, de représentants d'associations ou de mem-bres tirés au sort sur les listes électorales. De même, un député sous l'in-fluence des comités de quartier a présenté une proposition de loi pour l'éta-blissement d'une charte de la citoyenneté qui serait votée au début de cha-que mandat. Les habitants et les associations participeraient ainsi à la vie communale selon les règles établies par la collectivité, qui s'imposeraient aux regroupements intercommunaux à fiscalité distincte. On voit donc que

18 Comprenant des élus, des professionnels, des associations. 19 Cette loi, qui s'applique à Paris, Lyon et Marseille, découpe la ville en mairies d'arrondissement

ayant de faibles compétences.

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le débat sur les différentes formes de participation est dans l'air. Néanmoins parler de partenariat serait excessif. L'optimisme véhiculé par la notion de gouvernance ou de contractualisa-tion qui consiste à souligner l'aspect démocratique de nouveaux partenariats se heurte à des catégories dirigeantes formées d'élus et de techniciens pou-vant s'associer plus à des élites administratives, économiques et profession-nelles qu'à des populations. Dans le domaine de la politique urbaine, il est rare que l'on assiste à l'intervention de groupes sociaux au stade de l'élabo-ration d'un projet, et encore moins à l'association de ces groupes en amont des décisions d'orientation concernant l'agglomération. Le partenariat avec les groupes sociaux se heurte à de nombreuses difficultés : prégnance de la représentation politique, attrait pour le leadership, désintérêt des popula-tions, absence de valorisation territoriale par les médias, élection au suf-frage indirect des regroupements intercommunaux. Mais avant tout, c'est l'impuissance à créer un espace public d'où pourrait résulter l'élaboration d'un intérêt général qui est en cause. Sans prendre à la lettre l'approche d'Habermas (Habermas 1972; Ferry 1987), qui distingue d'une part un espace d'intercommunication des citoyens et d'autre part le fonctionnement d'un système politico-administratif rationalisé, on peut considérer l'espace public comme un lieu pratique d'échange et de dé-libération, un champ qui s'ouvre à une problématique de la légitimité politique comme à des expériences communes et à des reconnaissances collectives. L'espace public permet aussi de repenser l'action politique. Arendt (1995) se demande si la politique a encore un sens dans le monde moderne. Elle insiste sur la composante de la domination qui régit les formes de gou-vernements. Pour elle, seule la pluralités des hommes vivant ensemble ainsi que la liberté (capacité d'agir) donnent un sens à l'action politique. Si le pou-voir politique est pris chez Weber dans l'étau de la violence et de la domina-tion, le pouvoir politique selon Arendt apparaît comme l'agir ensemble. Sa conception est proche d'une opinion publique qui permet de faire apparaître l'espace public. Car la pluralité des opinions ne relève pas de l'exigence de vé-rité propre à la science, mais de la justesse de l'action par l'argumentation, le débat public, la confrontation (Ladrière 1992: 30). On peut donc penser l'es-pace public comme un lieu de délibération, un lieu où s'élabore un sens de l'action dans une situation donnée à travers des demandes et des argumenta-tions diverses. L'espace public en tant qu'espace de communication et d'action nous ramène donc à une double préoccupation ; celle qui a trait à l'institution-nalisation au sens large (travail permanent de l'institué sur l'instituant) et celle des représentations sociales et symboliques soumises à des évolutions, l'en-semble permettant de réactiver la représentation politique.

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Une articulation est possible entre un universalisme normatif de l'État républicain et un local plus ouvert. Celui-ci intégrerait à côté d'entités politi-ques et des lieux d'interconnaissance un espace de proximité recourant à des autorités accessibles (Cottereau 1992: 239-273). L'observation montre qu'une telle vision des choses préoccupe aujourd'hui les élus. De plus, des citoyens pourraient exercer une responsabilité collective sur des espaces qu'ils appré-henderaient et où ils expérimenteraient un pouvoir agir de concert. Dans ce cadre la distance que l'action collective tend à introduire par rapport aux auto-rités locales met à l'épreuve l'idée de gouverne (direction, règles de conduite) dans le rôle de régulation exercé par la collectivité publique.

Conclusion

La question posée au départ était de savoir si les territoires dans leur dimen-sion institutionnelle gardaient leur pertinence politique. Les évolutions de l'action publique locale que l'on peut observer ne comportent pas une rup-ture totale avec le passé, elles tendent cependant à déstabiliser l'action poli-tique et la démocratie locale traditionnelle. L'exemple de la politique d'aménagement du territoire qui consiste à at-ténuer les déséquilibres économiques entre les territoires montre l'interven-tion d'un Etat en creux. Les collectivités locales, particulièrement les gran-des villes, ont acquis par la décentralisation, l'ouverture à la mondialisation et à l'Europe une autonomie de gestion nouvelle. La décentralisation a accru le poids de la représentation politique, tout en contribuant à complexifier l'action publique. L'association entre acteurs institutionnels, l'existence d'or-ganisations ou de réseaux d'acteurs spécifiques pour l'élaboration et la mise en œuvre de l'action publique en sont les caractéristiques. L'exemple de quelques agglomérations montre les difficultés, face à des actions publiques fragmentées, à mener une régulation politique. La problématique des ré-seaux d'acteurs révèle l'intervention d'acteurs privés (professionnels et éco-nomiques) au stade de l'exécution des grands projets et les problèmes de contrôle et de médiation des collectivités locales. Il existe un décalage entre la capacité des villes à mener des actions pu-bliques fragmentées et l'action politique qui implique, outre une mise en co-hérence sur des territoires pertinents, un espace public de débat et de négo-ciation avec des groupes sociaux issus des populations. Cette recherche de nouveaux modes de guidage et de la légitimité politique apparaît d'autant plus nécessaire que l'intervention des élus est fondée traditionnellement sur les valeurs de la démocratie locale et que la construction européenne donne une acuité plus grande aux questions de proximité.

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Territorien, urbane Räume, öffentliche Räume. Eine Studie der lokalen, öffentlichen Aktion in Frankreich

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Die Entwicklung der lokalen, öffentlichen Aktion in Frankreich hängt mit den spezifischen, polito-kulturellen Situationen und dem Fehlen eines grundsätzlichen Bruches mit der Vergangenheit zusammen. Die-ser Artikel analysiert, wie die Territorien ihre politische Relevanz in Anbetracht der Komplexität dieser Aktion bewahren können. In me-thodischer Hinsicht wurde dabei die öffentliche Aktion zwischen der staatlichen Intervention und der Handlungsautonomie der Gemein-schaften situiert. Anschließend wurde die Verbindung der institutionel-len Akteure in den Agglomerationen und die Partnerschaft mit privaten Gruppen mit Hilfe von Konzepten und Beispielen erörtert. Die Frag-mentierung der öffentlichen Aktion vermindert die Regulierungs –und Vermittlungskapazität der politischen Aktion. In Anbetracht der Hand-lungsautonomie der lokalen Gemeinschaften sind neue Steuerungsmit-tel erforderlich, um die politische Legitimität zu erhalten. Territories, Urban Space, Public Space: A Study of Local Public Action in France The evolution of local public action in France is related to specific politico-cultural situations and to the absence of a total break with the past. The aim of this article is to analyze how territories are able to maintain their political relevance in spite of the complexity of this ac-tion. The method consisted in situating public action between state in-tervention and the local self-government, and then to consider the as-sociation between institutional actors in the agglomerations and the partnership with private groups with the help of concepts and exam-ples. The fragmentation of public action reduces the regulatory and mediating capacity of political action. In the light of the autonomous management of local collectivities new steering mechanisms are neces-sary in order to maintain political legitimacy.

Sylvie BIAREZ, Directeur de recherche (FNSP), CERAT-IEP Grenoble, B.P. 48, 38040 Grenoble cedex 9; E-mail: [email protected] Paper submitted 14 April 1997; accepted for publication 12 March 1998.