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Texte de Jean-Paul Sartre, L’Existentialisme est un humanisme, pp. 22-24. 1) Dégagez la thèse de l’auteur et les étapes de son argumentation. Jean-Paul Sartre remet ici en cause l’idée d’une nature humaine individuelle au nom de la liberté de l’homme : si chaque personne décide en toute liberté de la manière dont elle entend mener son existence, c’est qu’à la naissance l’homme n’est d’abord rien. Rien ni personne ne le définit par avance. On se trouve à l’opposé de l’idée communément reçue d’après laquelle chacun hériterait à la naissance d’une certaine nature, caractère ou tempérament individuel, à laquelle on ne pourrait soi-même rien changer. Dans un premier moment, l’auteur précise la conception existentialiste de l’homme : l’homme est « ce qu’il se fait », c’est-à-dire décide par lui-même du sens de son existence. Il appartient ainsi à chacun d’être l’auteur de son libre projet d’existence. Dans un second moment, il en tire la conséquence : l’homme est pleinement responsable de tout ce qu’il fait, et non seulement de lui-même, mais aussi de tous les autres. 2) Expliquez : « l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. » Pour l’existentialiste, c’est toujours l’homme qui se produit lui-même au travers de ses actes ou de ses agissements, par exemple comme héros ou bien lâche, fort ou, au contraire, faible et influençable. La personnalité de quiconque ne lui est pas donnée une fois pour toutes, mais s’affirme progressivement au travers de ce que la personne fait. Et chacun a toujours la possibilité de se changer lui-même : par exemple, le héros peut très bien cesser de l’être, en s’avachissant dans la mollesse et la facilité, ou encore un individu d’ordinaire faible et influençable peut très bien chercher à s’affirmer toujours davantage par sa volonté propre. Jean-Paul Sartre s’oppose ici à tout essentialisme de type religieux, selon lequel on devrait subir sa nature dont on ne serait jamais pleinement responsable, respecter la volonté d’un Dieu qui nous aurait fait tel que nous sommes, en nous attribuant certains privilèges, mais aussi certaines faiblesses ou défauts qui seraient au fond communs à tout le genre humain. Pour Sartre, il n’y a pas de Dieu et il ne peut y en avoir. Ainsi tout homme est à même de décider en toute liberté de ce qu’il entend faire de sa vie, au lieu de se laisser dicter ce qu’il devrait prétendument faire. 3) Pourquoi, si « l’existence précède l’essence », l’homme est-il alors pleinement « responsable de ce qu’il est » ? Si l’homme est toujours « ce qu’il se fait », il n’a alors aucun prétexte ou aucune excuse pour prétendre se justifier d’avoir agi de telle ou telle manière. Si chacun a à être l’auteur de sa propre existence et choisit de se définir lui-même comme il l’entend, il ne peut par conséquent que se considérer pleinement responsable de ses propres choix ou décisions. À l’opposé, la croyance commune en une nature humaine ne peut que déresponsabiliser l’homme, qui opterait ainsi pour la paresse et la facilité : le chemin serait, croit-on, déjà tout tracé qu’on n’aurait plus qu’à suivre – ainsi soit-il ! que ta volonté soit faite ! inch’Allah ! etc. –, c’est-à-dire obéir et se soumettre, au lieu de douter et de s’interroger soi-même quant au meilleur qu’on puisse faire. La liberté, absolue, et la responsabilité totale ou illimitée se trouvent étroitement liées. Personne ne peut décider à notre place de ce que nous devons faire, et nous ne pouvons que refuser l’idée d’un prétendu destin, que nous avons toujours le pouvoir d’accepter ou de refuser. C’est en ce sens que nous sommes encore responsable « de tous les hommes ». Question d’essai : Notre nature nous dit-elle ce que nous devons faire ?

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Texte de Jean-Paul Sartre, L’Existentialisme est un humanisme, pp. 22-24. 1) Dégagez la thèse de l’auteur et les étapes de son argumentation. Jean-Paul Sartre remet ici en cause l’idée d’une nature humaine individuelle au nom de la liberté de l’homme : si chaque personne décide en toute liberté de la manière dont elle entend mener son existence, c’est qu’à la naissance l’homme n’est d’abord rien. Rien ni personne ne le définit par avance. On se trouve à l’opposé de l’idée communément reçue d’après laquelle chacun hériterait à la naissance d’une certaine nature, caractère ou tempérament individuel, à laquelle on ne pourrait soi-même rien changer. Dans un premier moment, l’auteur précise la conception existentialiste de l’homme : l’homme est « ce qu’il se fait », c’est-à-dire décide par lui-même du sens de son existence. Il appartient ainsi à chacun d’être l’auteur de son libre projet d’existence. Dans un second moment, il en tire la conséquence : l’homme est pleinement responsable de tout ce qu’il fait, et non seulement de lui-même, mais aussi de tous les autres. 2) Expliquez : « l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. » Pour l’existentialiste, c’est toujours l’homme qui se produit lui-même au travers de ses actes ou de ses agissements, par exemple comme héros ou bien lâche, fort ou, au contraire, faible et influençable. La personnalité de quiconque ne lui est pas donnée une fois pour toutes, mais s’affirme progressivement au travers de ce que la personne fait. Et chacun a toujours la possibilité de se changer lui-même : par exemple, le héros peut très bien cesser de l’être, en s’avachissant dans la mollesse et la facilité, ou encore un individu d’ordinaire faible et influençable peut très bien chercher à s’affirmer toujours davantage par sa volonté propre. Jean-Paul Sartre s’oppose ici à tout essentialisme de type religieux, selon lequel on devrait subir sa nature dont on ne serait jamais pleinement responsable, respecter la volonté d’un Dieu qui nous aurait fait tel que nous sommes, en nous attribuant certains privilèges, mais aussi certaines faiblesses ou défauts qui seraient au fond communs à tout le genre humain. Pour Sartre, il n’y a pas de Dieu et il ne peut y en avoir. Ainsi tout homme est à même de décider en toute liberté de ce qu’il entend faire de sa vie, au lieu de se laisser dicter ce qu’il devrait prétendument faire. 3) Pourquoi, si « l’existence précède l’essence », l’homme est-il alors pleinement « responsable de ce qu’il est » ? Si l’homme est toujours « ce qu’il se fait », il n’a alors aucun prétexte ou aucune excuse pour prétendre se justifier d’avoir agi de telle ou telle manière. Si chacun a à être l’auteur de sa propre existence et choisit de se définir lui-même comme il l’entend, il ne peut par conséquent que se considérer pleinement responsable de ses propres choix ou décisions. À l’opposé, la croyance commune en une nature humaine ne peut que déresponsabiliser l’homme, qui opterait ainsi pour la paresse et la facilité : le chemin serait, croit-on, déjà tout tracé qu’on n’aurait plus qu’à suivre – ainsi soit-il ! que ta volonté soit faite ! inch’Allah ! etc. –, c’est-à-dire obéir et se soumettre, au lieu de douter et de s’interroger soi-même quant au meilleur qu’on puisse faire. La liberté, absolue, et la responsabilité totale ou illimitée se trouvent étroitement liées. Personne ne peut décider à notre place de ce que nous devons faire, et nous ne pouvons que refuser l’idée d’un prétendu destin, que nous avons toujours le pouvoir d’accepter ou de refuser. C’est en ce sens que nous sommes encore responsable « de tous les hommes ». Question d’essai : Notre nature nous dit-elle ce que nous devons faire ?

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[introduction] Deux précisions :

- s’il est surtout question dans ce passage de la nature individuelle propre à chacun, on peut encore se demander ce qu’il en serait de la nature de l’homme en général, comme le suggèrerait tout particulièrement la fin du texte : quelle « nature » pourrait-elle nous indiquer quoi que ce soit ?

- il faut surtout comprendre l’alternative : ou bien l’homme est libre, et dans ce cas il appartient à chacun de définir ses propres obligations morales et d’en prendre la responsabilité, ou bien il ne l’est pas, et la question posée devient immédiatement vide de sens, puisqu’on n’a plus alors à se demander ce qu’on doit faire, mais simplement obéir et le faire, et que ce ne peut être non plus notre nature qui puisse nous enseigner nos devoirs.

[proposition de plan] 1ère partie : L’homme possède-t-il une nature ? De quoi alors cette nature serait-elle faite ? comment la concevoir ?

1) La nature individuelle : le tempérament, le caractère, la personnalité propre à chacun. 2) La nature humaine en général : l’homme comme créature d’un Dieu, ou bien comme être de

raison, sujet capable de moralité, être libre, etc. 3) Notre part désirante, corporelle, charnelle, ou, à l’opposé, notre nature spirituelle, notre âme.

2ème partie : Comment notre nature pourrait-elle nous enseigner nos devoirs ?

1) Le simple fait de suivre notre nature désirante, c’est-à-dire nos penchants, nos inclinations, nos préférences, ne nous incite pas à faire notre devoir, mais nous en écarte, tout au contraire.

2) Obéir à sa nature, ce ne peut être que faire le choix de la passivité et de la soumission à cette nature.

3) Si par « nature » en revanche on entend la liberté de l’homme, alors rien ni personne ne peut lui dicter ce qu’il doit faire. Dans le cas contraire, cette liberté se trouverait niée.

3ème partie : Mais l’idée de liberté ne conduit-elle pas à refuser toute croyance en une quelconque nature ?

1) Comme l’explique Sartre, on ne peut pas à la fois être fait, par une nature ou par un Dieu, et avoir à se faire soi-même. Ce serait tout simplement contradictoire.

2) La nature est de l’ordre de la nécessité – ce qui fait qu’on ne peut pas ne pas se comporter d’une autre manière – alors que le devoir suppose la liberté du sujet capable de moralité : on peut toujours choisir de faire ou non son devoir.

3) Ainsi, aucune nature, quelle qu’elle soit, ne peut jamais nous prescrire des devoirs, et si l’homme est capable de moralité, cela ne signifie pas pour autant qu’il soit pourvu d’une nature morale.

[conclusion] L’homme est libre. Il a la capacité d’inventer ses propres devoirs, comme de se faire l’auteur de son existence. Le considérer à l’opposé comme ayant été prétendument créé pour répondre à une certaine destination, par exemple faire le bien, ne serait que lui attribuer un faux-semblant de liberté, celle qui lui serait nécessaire pour que lui-même puisse être tenu, le cas échéant, comme coupable du mal qu’il fait, mais qui reviendrait en même temps à le subordonner à une prétendue volonté divine au lieu de la sienne.