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1 - INTRODUCTION Je suis musicien, guitariste, contrebassiste et compositeur, passionné par les musiques brésiliennes depuis près de 30 ans. Mon point de vue est donc surtout pratique, mais mon intérêt pour ces musiques a fait que j’ai toujours cherché à m’informer sur leurs origines sans cependant comparer mon travail à celui d’un musicologue : je pratique principalement la musique alors qu’un musicologue l’étudie et l’analyse. Ce qui m’a frappé dès mon premier voyage au Brésil, en 83, c’est la diversité et la richesse des styles musicaux brésiliens. Comme beaucoup de musiciens européens, je connaissais surtout l’existence de la samba, le courant bossa-nova, un peu de musique du Nordeste, et j’appréciais particulièrement l’oeuvre de cinq personnalités du monde musical brésilien, d’ailleurs sans vraiment me rendre compte de leur importance : - le compositeur Villa-Lobos, - le guitariste et compositeur Baden-Powell, - le compositeur Antonio Carlos Jobim (plus connu sous le nom de “Tom” Jobim), - le “sorcier”, multi instrumentiste et compositeur Hermeto Pascoal, - le pianiste, guitariste et compositeur Egberto Gismonti Depuis cette époque, j’ai accumulé les enregistrements, partitions, rencontres, concerts et ouvrages liés à la musique brésilienne et curieusement je remarque que ces cinq noms gardent leurs places dans mon panthéon personnel. D’autre part j’ai peu à peu pris conscience de toutes les influences qui étaient présentes dans leurs oeuvres respectives, oeuvres qui représentent autant de cas particuliers de métissage musical, comme c’est d’ailleurs le cas pour quantité de compositeurs. Le métissage au Brésil est devenu presque un cliché, mais toute personne découvrant ce pays est frappé par la richesse produite par cette rencontre de cultures, d’ailleurs dans beaucoup d’autres domaines que la musique. (Le Brésil n’est évidemment pas le seul pays d’Amérique du Sud où l’on rencontre ce phénomène, mais, c’est probablement celui où la variété des créations est la plus grande) Etant donnée l’immensité du Brésil aussi bien en superficie qu’en diversité culturelle et le fait qu’il s’agit d’une culture extrêmement vivante et donc perpétuellement changeante, il est évidemment difficile d’en donner ici plus qu’un aperçu ! J’espère cependant vous montrer des pistes pour vous permettre d’explorer par vous-même cette extraordinaire richesse de la musique brésilienne, que ce soit en écoutant, en jouant ou même en allant là-bas ! Henri GREINDL – [email protected]

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1 - INTRODUCTION Je suis musicien, guitariste, contrebassiste et compositeur, passionné par les musiques brésiliennes depuis près de 30 ans. Mon point de vue est donc surtout pratique, mais mon intérêt pour ces musiques a fait que j’ai toujours cherché à m’informer sur leurs origines sans cependant comparer mon travail à celui d’un musicologue : je pratique principalement la musique alors qu’un musicologue l’étudie et l’analyse. Ce qui m’a frappé dès mon premier voyage au Brésil, en 83, c’est la diversité et la richesse des styles musicaux brésiliens. Comme beaucoup de musiciens européens, je connaissais surtout l’existence de la samba, le courant bossa-nova, un peu de musique du Nordeste, et j’appréciais particulièrement l’oeuvre de cinq personnalités du monde musical brésilien, d’ailleurs sans vraiment me rendre compte de leur importance : - le compositeur Villa-Lobos, - le guitariste et compositeur Baden-Powell, - le compositeur Antonio Carlos Jobim (plus connu sous le nom de “Tom” Jobim), - le “sorcier”, multi instrumentiste et compositeur Hermeto Pascoal, - le pianiste, guitariste et compositeur Egberto Gismonti Depuis cette époque, j’ai accumulé les enregistrements, partitions, rencontres, concerts et ouvrages liés à la musique brésilienne et curieusement je remarque que ces cinq noms gardent leurs places dans mon panthéon personnel. D’autre part j’ai peu à peu pris conscience de toutes les influences qui étaient présentes dans leurs oeuvres respectives, oeuvres qui représentent autant de cas particuliers de métissage musical, comme c’est d’ailleurs le cas pour quantité de compositeurs. Le métissage au Brésil est devenu presque un cliché, mais toute personne découvrant ce pays est frappé par la richesse produite par cette rencontre de cultures, d’ailleurs dans beaucoup d’autres domaines que la musique. (Le Brésil n’est évidemment pas le seul pays d’Amérique du Sud où l’on rencontre ce phénomène, mais, c’est probablement celui où la variété des créations est la plus grande) Etant donnée l’immensité du Brésil aussi bien en superficie qu’en diversité culturelle et le fait qu’il s’agit d’une culture extrêmement vivante et donc perpétuellement changeante, il est évidemment difficile d’en donner ici plus qu’un aperçu ! J’espère cependant vous montrer des pistes pour vous permettre d’explorer par vous-même cette extraordinaire richesse de la musique brésilienne, que ce soit en écoutant, en jouant ou même en allant là-bas !

Henri GREINDL – [email protected]

2 - BRESIL : METISSAGE ET FUSION Si nous en exceptons les Indiens qui, hélas, sont maintenant devenus une minorité ethnique, le Brésil fut, essentiellement une terre d'immigration. Les traditions culturelles les plus différentes s'y sont accumulées ou y ont laissé leurs traces et continuent à le faire. Musicalement et à cause de l'abondance de ces diverses influences et traditions, on peut comparer le Brésil à certaines régions de l'Europe centrale, qui furent des terres de rencontre et de passage, où les cultures musicales les plus diverses, latines, germaniques, slaves, tziganes, byzantines, etc. se confrontèrent et finirent par constituer un alliage original et formidablement vivant. Au Brésil ce phénomène fut accéléré par une caractéristique typiquement brésilienne : le métissage. Et ce métissage qui, si l'on se place sur le plan sociologique et politique est une raison de la quasi non-existence des conflits raciaux au Brésil (contrairement à ce qui s'est passé et qui se passe aux Etats Unis), ne doit pas être compris seulement dans son sens biologique ou génétique. On l'observe aussi comme une forme de synthèse, de symbiose des cultures et donnant lieu, peu à peu, à la naissance de formes d'art originales. Par exemple certaines traditions africaines existent encore dans un état presque pur au Brésil dans les cérémonies du Candomblé. Mais ces mêmes traditions africaines, transformées, adaptées, mélangées subsistent aussi dans une grande majorité des formes de la musique populaire brésilienne, à commencer par la fameuse Samba. Pratiquement on peut distinguer principalement trois grands héritages : Premièrement celui des populations indigènes présentes avant la colonisation, deuxièmement celui des populations “déplacées” de diverses régions d’Afrique Noire et troisièmement celui des colonisateurs européens (principalement portugais, mais aussi hollandais ou français). À ces trois courants, on peut rajouter des influences moyennes orientales au Nordeste du Brésil ou hispaniques aux frontières sud. Les musiques des immigrants colons ou esclaves se sont fortement influencées entre elles, mais semblent curieusement être restées à l'écart de l'influence indienne, du moins sous ses aspects les plus spécifiques, probablement du au fait que les indiens ont toujours eu une certaine réticence à se mêler aux nouveaux arrivants. Il y a bien sur toujours des cas isolés comme celui d’Egberto Gismonti ou de la compositrice et chanteuse Marlui Miranda qui non seulement intègrent des éléments indigènes dans leur musique mais travaillent aussi activement avec des communautés indiennes. 2.1) L’héritage indigène - percussions et chants Dans les années qui suivirent la découverte du Brésil, la musique des indiens fût considérée comme un tout, sans que soient discernées des différences pourtant substantielles. Le premier document que nous possédons décrivant cette musique est dû à un Français, Jean de Lery qui écrivit en 1585 une " Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil ". En réalité, la musique notée par Jean de Lery se rapporte à une seule ethnie, celle des Tupis dont le peuple occupait une grande partie du sud-est du pays et, notamment, la région où se trouve maintenant la ville de Rio de Janeiro. En allant plus à l'ouest, les européens qui étaient les premiers colons devaient découvrir une seconde civilisation indienne, celle des Guaranis, encore vivante surtout au Paraguay.

Bien que les peuples indigènes présentent une trop grande variété d’ethnie et de tribus ayant chacune ses traditions culturelles pour pouvoir réellement généraliser, on peut remarquer qu’il existe une nette différenciation de la musique indienne suivant qu'elle est vocale ou instrumentale. Les instruments se ramènent presque tous à deux types seulement : percussions et vents ; et, pour les vents, malgré une très grande ingéniosité de facture, le nombre de notes disponibles reste limité, limitant donc les possibilités mélodiques. En ce qui concerne les instruments à percussion, il faut surtout signaler, outre les divers tambours, les innombrables "chocalhos" que nous appelons maracas. Exemples à écouter :

- le label français OCORA RADIO France et de nombreuses productions locales brésiliennes…

- Egberto Gismonti : « Sol do meio dia » pour les influences des musiques indigènes

- la chanteuse-compositrice Marlui Miranda 2.2) L’héritage africain - rythmes et percussions 2.2.1 - généralités L’héritage africain le plus fort au Brésil est bien sûr présent dans la musique et dans la danse. On y trouve un nombre important de danses apportées par les esclaves : Le batuque, qui désigne aussi une danse, mais aussi le carimbó, le bambelô, la samba de roda, le jongo, le caxambu, la umbigada (danse du nombril). Ces danses sont souvent encore pratiquées au Brésil. Une quantité importante d’instruments sont aussi d’origine africaine. En plus du berimbau et du agôgô, le atabaque, le marimba, le timbau, le caxixi, le ganza. Dans les chansons qui évoquent les racines africaines, les termes utilisés montrent que, en plus des coutumes et des croyances, les peuples africains ont bien sûr ramené au Brésil leurs langues et que ces langues comme le Yoruba par exemple, sont encore utilisées, plus de 100 ans après la fin de l’esclavage, surtout dans les rituels du Candomblé. Mais aussi, dans le lexique de la langue portugaise brésilienne, plusieurs termes africains et expressions existent : cachaça, moleque, caçula, cachimbo, fuzué, axé, abadá, saravá. Même dispersés dans le territoire brésilien, en fonction des cycles économiques, les africains ont réussi à préserver une partie de leur culture et à la transmettre. Cette culture leur a permis de conserver une partie de leur identité et de résister à l’esclavage. Les exemples de résistance sont nombreux à travers les quilombos et les quilombolas dont le plus connu est le quilombo de Palmares, dirigé par Zumbi, qui est devenu aujourd’hui un vrai mythe. Un quilombo était une cité, une institution politique, défendue par des guerriers, qui abritaient les esclaves fugitifs. C’est à Bahia que se sont organisés les principaux mouvements afro-brésiliens ( Ilê Ayê, Araketu, Filhos de Gandhi), les premiers groupes de musique afro-brésilienne ( Olodum, Ilê Ayê), les premiers afoxés (groupes carnavalesques) qui ont, par leur persistance, réussi à imposer leur présence au carnaval de Bahia. Carnaval dont ils sont aujourd’hui le vrai symbole.

“Quoique que répandues dans tout le pays, les traditions africaines sont surtout présentes dans les états où l'importation des esclaves a été la plus forte donc, essentiellement, dans l'Etat de Bahia. Les plus intéressantes et les plus riches sont celles qui sont liées à la religion, c'est-à-dire aux cérémonies du Candomblé ou du Batuque. Comme dans le Vaudou haïtien, il s'agit d'une mythologie dans laquelle diverses entités païennes, riches en symbolisme, sont aussi revêtues d'attributs appartenant à l'hagiographie chrétienne. Mais, à la grande différence du Vaudou, le Candomblé est toujours doux et bienveillant et les transes de possession n'y ont pas l'aspect épileptique et effrayant qu'elles ont dans le Vaudou. L'officiante principale est toujours une femme : la " Mère du Saint " et elle est entourée d'un choeur d'autres officiantes qui chantent et dansent. En revanche, l'orchestre, formé d'instruments à percussion est composé d'hommes et, parmi eux, peut figurer un enfant qui s'initie aux rythmes complexes qui sont utilisés. La figure rythmique principale est toujours confiée à un jeu de cloches de fer fixées rigidement soudées à une tige tenue par l'exécutant et frappée avec une baguette, également de fer, tenue avec l'autre main. Voici, très résumé et très simplifié, tel qu'il me fut expliqué par le Pr. Napoleão Figueiredo, de l'Université Fédérale de Belem, l'esprit de cette cérémonie qui dure quelquefois une nuit entière. Au ciel, il y a les divinités et les saints. Sur terre, ici-bas, les hommes et dans une zone intermédiaire, les " enchantés ". C'est par l'extase et la possession par l'esprit d'un saint que l'on parvient à cet état d'enchantement proche du ciel. Quand la cérémonie commence, les esprits sont invoqués et, peu à peu, jusqu'à environ les deux tiers ou les trois quarts du temps de ladite cérémonie, les hommes s'élèvent vers le ciel, rejoignent les saints, deviennent enchantés ; puis, dans l'apaisement, doit s'effectuer le retour vers la terre où l'on revient meilleur. Un détail important doit être signalé : il n'existe pas, dans cette mythologie, de divinité véritablement et inexorablement maléfique ; car les esprits les plus dangereux deviennent, sinon bienveillants, du moins inoffensifs à l'aide de dons appropriés parmi lesquels l'alcool de canne à sucre, la " pinga " tient une place de choix. D'ailleurs, les notions de bien et de mal se mêlent parfois d'une manière très équivoque, comme dans la complexe et indéfinissable personnalité du dieu Exu.”

Michel Philippot - 1983 2.2.2 - Yorubas (Sud Nigeria - “la côte des esclaves”) Le sud du Nigeria était un centre important de trafic d’esclave du temps de la colonisation. Le plus grand contingent fut introduit au Brésil à Salvador de Bahia, mais aussi à Recife, dans l’état de Minas, à Rio ou São Paulo. Une des caractéristique des musiques Yorubas est l’utilisation de certains rythmes qui ont influencé notamment la musique cubaine (la “clave”, en “ternaire” ou “binaire”). Les instruments provenant de cette culture sont les tambours “atabaques” (l’équivalent des “congas” à Cuba) utilisés dans le candomblé, les cloches “agogô”, les “afoxés” (ou “cabassa”). La religion et la mythologie du monde Yoruba ont influencé fortement la culture spirituelle brésilienne à travers un panthéon de divinités principales et intermédiaires (les “orixas”), que l’on retrouve encore une fois à Cuba d’ailleurs, à travers aussi une collection de sacerdoces et de rites hautement organisés. Tout ceci se manifeste encore largement et de façon très vivante actuellement dans les “candomblés” de Bahia, les “xangos” de Recife, les “batuque” de Porto Alegre, les “macumbas” du centre et enfin dans les rites “umbandas” de la région de São Paulo. La musique des cérémonies religieuses est vocale (“toada”) et instrumentale (dénommée “toque” - jouée par les tambours sacrés “atabaques”), chaque divinité ayant notament un rythme qui lui est associé. exemples : toadas de Bumba-meu-boi sur le label Nucleo Contemporaneo (Cette représentation théâtrale dansée est l'une des expressions culturelles les plus diffusées dans le brésil, après le carnaval. L'origine du bumba-meu-boi remonte au

18e siècle, résultant de la relation inégale entre esclaves et seigneurs, il reflète les conditions sociales vécues par les noirs et les indiens.) 2.2.3 - Bantous (Angola - Congo - Mozambique) Les représentants de ce groupe, dont l’unité culturelle est assurée principalement par la langue, comprend les africains originaires d’Angola, du Congo, du Mozambique qui étaient embarqués à Luanda, capitale de l’Angola et furent répartis sur tout le territoire brésilien. Les instruments originaires de cette région sont notamment de nombreux tambours, les marimbas, et on peut distinguer deux instruments qui sont devenus très utilisés au Brésil : la “cuica” (“puita” en Angola) et le “berimbau” (arc musical pourvu d’une corde et d’une calebasse résonnante). De la culture spirituelle bantoue on rencontre au Brésil des manifestations présentant des syncrétismes avec la culture Yoruba, mais aussi catholique ou indigène dans les “macumbas” de Rio de Janeiro et du Minas Gerais et dans les cérémonies de “umbanda” de São Paulo. L’invocation des esprits se fait à l’aide de cantiques particuliers appelés “ponto”, accompagnés de battements de mains et de percussions (tambours et idiophones). D’autres traces de la culture bantoue sont présentes dans des jeux athlétiques comme la capoeira, des danses, dans la samba, le jongo ou le lundu, le maracatu, de nombreuses manifestations carnavalesques et encore dans beaucoup d’autres danses et rythmes traditionnels. 2.3) L’héritage européen - harmonie & instruments occidentaux L’influence du colonisateur Portugais est évidemment prédominante, ils furent les premiers, firent les premiers contacts avec les Indiens, ont géré les problèmes de métissage avec les Africains pour ouvrir finalement les bras vers le monde entier, accueillant tous ceux qui étaient désireux de travailler au Brésil. Il semble que les premiers colons provenaient principalement du centre et du sud du Portugal, ensuite des Açores ou de Madère et finalement du reste du Portugal. (Ils apportèrent avec eux de nombreux types de guitares et notamment le cavaquinho.) Ils se mélangèrent ensuite aux indigènes, aux Africains, aux Français (écoles : « frère Jacques », quadrilha), aux Espagnols (« fandango », rondes enfantines, carnaval), aux Italiens (accordéon), aux Hollandais (Nordeste), aux Allemands etc.… De telle façon qu’il devient actuellement très difficile de retracer les origines précises des différentes manifestations culturelles brésiliennes. De manière générale l’apport européen fut caractérisé par l’usage de la musique polyphonique et donc de l’harmonie, par l’introduction des instruments à claviers et finalement tout les instruments de l’orchestre symphonique ou des fanfares. La musique traditionnelle de Recife, par exemple, est notamment caractérisée par le « Frevo », sorte de galop joué par des fanfares dérivées des musiques militaires. En effet dans une ville portuaire comme Recife la présence militaire a été longtemps très importante.

3 - QUELQUES EXEMPLES DE METISSAGE. 3.1) Le choro Le choro est une musique instrumentale née à la fin du XIXe siècle dans la classe moyenne et métisse de Rio de Janeiro. Il s’agit au départ d’un jeito, d’une manière d’interpréter les nouvelles danses venues d’Europe et notamment la polka en y introduisant la vivacité rythmique et les instruments de percussions afro-brésiliens. Très populaire, le choro devient un genre à part entière dans les premières années du XXe siècle. Il se caractérise par une formule rythmique proche du tresillo cubain et la part essentielle accordée à l’improvisation. Souvent comparée à celle du jazz, l’histoire du choro traverse le siècle avec ses pères fondateurs – les compositeurs Chiquinha Gonzaga et Ernesto Nazareth – et ses enfants terribles – le flûtiste Pixinguinha, le joueur de bandolim Jacob do Bandolim, le saxophoniste et clarinettiste Paulo Moura et autres interprètes virtuoses. Exemples : Pixinguinha, E. Nazaré, Garoto, Luperce Miranda, Jacob do Bandolim, Waldir Azevedo, Altamiro Carrilho, Dino Sete Cordas, Rafael Rabelo, Paulinho da Viola La jeune génération : Yamandu Costa, Hamilton de Hollanda Voir aussi le film : « Brasileirinho » 3.2) La samba La samba est probablement le rythme brésilien le plus connu au monde et est largement - et abusivement - identifiée à toute la musique brésilienne, alors qu’il s’agit d’un terme générique qui regroupe de multiples genres musicaux. Samba est un terme masculin au Brésil. Le mot dérive probablement du quimbundo, dialecte afro bahianais d'origine bantoue, où samba désigne le "coup du nombril" (ou de ventre) par lequel un danseur soliste dans une ronde choisit celui qui va lui succéder. La samba est né au tournant du XXème siècle sous la forme de couplets et refrains accompagnés par les battements de mains et les ensembles de percussion qui constituaient alors l'essentiel des musiques de divertissement et de danse des classes populaires et afro-brésiliennes. Les groupes de musiciens ont commencé à s’organiser sous forme d’écoles de samba qui sont devenues de nos jours, à Rio ou à Salvador principalement, de véritables institutions ayant souvent un rôle social très important dans les quartiers pauvres. Les défilés que l’on voit notamment lors du Carnaval ne sont que la partie visible de l’iceberg. En effet autour de la préparation du défilé de Carnaval se sont greffées toutes sortes d’activités annexes, de la fabrication des instruments et costumes jusqu’à la scolarisation des enfants des rues ou la mise sur pied de systèmes d’aide sociale. Les journaux annonçaient les premiers défilés d’écoles de samba, au début des années 30, comme quelque chose de très mystérieux, surtout en vertu de l’exhibition “d’instruments barbares”. En effet la plupart des instruments de percussions propres à la samba, comme la cuica, n’étaient connus que du peuple noir qui habitait les banlieues ou les bidonvilles. Peu à peu les “batteries” des écoles de samba ont commencé à intégrer d’une part des instruments provenant des cérémonies

religieuses (agogo par exemple) ou bien même à en inventer comme le surdo à l’école de samba Mangueira. Et alors que d’une part le nombre de musiciens augmentait jusqu’à parfois 200, les instruments se standardisaient, un peu comme dans notre orchestre symphonique, et la samba adoptait des formes et des rituels de plus en plus élaborées inspirées à la fois par les traditions africaines du soliste alternant avec le groupe et par les traditions européennes de la musique symphonique. La samba - différents styles : - La samba de partido-alto, né au début du XXème siècle, combine d'anciennes formes musicales bahianaises avec la danse et la percussion batuque. De partido-alto signifie littéralement "de haut niveau", car il n'était pratiqué que par les vrais connaisseurs du genre mais aussi de toute la culture qui y était associée. Il se compose de longs couplets entrecoupés de refrains. Dans les années 40, il intègre les écoles de samba et met l'accent, plus que sur la danse, sur l'improvisation poétique et vocale individuelle. - La samba de roda, originaire de Bahia, associe la danse et le batuque de la communauté dite Angola à l'art de la capoeira (danse et art martial) dont il reprend l'instrument emblématique : l'arc musical berimbau. - La samba raiado importé à Rio par les femmes bahianaises au début du XXème siècle, est une variante du samba de roda, accompagné de battements de mains et des stridulations des couteaux râclés sur le bord des assiettes. - La samba carnavalesque composée pour le Carnaval. Les groupes de quartier (blocos) s'organisèrent bientôt en "écoles de samba" se succédant pendant le défilé. - La samba de breque né dans les années 30, doit son nom aux interruptions (breaks) pendant lesquelles les chanteurs se livrent à des commentaires humoristiques. - Le samba-canção, apparu dans les années 20, de rythme assez lent où l'on privilégie les thèmes romantiques voire sentimentaux. - Le samba-choro inspiré par le choro, musique de chambre instrumentale qui était l'apanage des classes blanches et aisées au XIXème siècle. - La samba de gafieira, généralement instrumental, était joué dans les années 40 par les orchestres de salons de danse (gafieiras) ; les arrangements orchestraux à base de cuivres dénotaient une forte influence de la musique commerciale nord-américaine de l'époque. - La samba exaltação, créé par Ary Barroso (1903-1964) et dont les arrangements symphoniques exaltaient la thématique patriotique et nationaliste. - La samba de morro au rythme vif. Accompagné par les tambourins pandeiro et tamborim, la timbale cuíca, et le grand tambour à deux peaux surdo, il fut créé et diffusé dans le Rio des années 30 par les compositeurs qui participaient aux rondes de samba d'Estácio. - Le samba-enredo créé à partir des années 30 par les compositeurs des écoles de samba de Rio de Janeiro, et dont le texte résume le thème choisi par l'école pour sa représentation lors du défilé. Au début, les sambas-enredo étaient uniquement chantés lors du défilé des écoles de samba sur la fameuse Praça Onze à Rio : à partir des années 40, les chanteurs professionnels s'y sont intéressés à leur tour. - La samba de quadra ou samba de terreiro, composé par les compositeurs des écoles de samba, pour animer les lieux de répétition (les quadra) des sambistes, en dehors de la période de préparation du carnaval.

- La samba Batucada, Musique de carnaval - Au Brésil, le Batucada est essentiellement la musique de percussions jouée pour les parades et pour les concours organisés à l’occasion des Carnavals. C’est dans les années 1960 qu’un large mouvement de Batucada naît à Rio, au sein des groupes de Samba qui font alors des expériences et des improvisations sur les rythmes du Batuque (rituel et musique de danse afro-brésilienne), qu’ils accélèrent pour créer une Samba plus rapide. Les rythmes de Batucada sont traditionnellement joués pour toutes sortes d’occasions festives, y compris lors des parties de football. Artistes à écouter : (compositeurs/interprètes…) Ary Barroso, Lamartine Babo, Noel Rosa, Dorival Caymmi, Cartola, Nelson Cavaquinho, Clementina de Jesus, Elza Soares, Carmen Miranda, Alcione, Clara Nunes, Martinho Da Vila, Elizeth Cardoso, Paulinho da Viola, Beth Carvalho, Paulo Cesar Pinheiro La jeune génération : Teresa Cristina e grupo semente Ecoles de Samba: Portela, Salgueiro, Mangueira, Beija-Flor, Mocidade Independente, Vila Isabel Les voix... Carmen Miranda, Silvio Caldas, Orlando Silva, Dolores Duran, Maysa, Inezita Barroso, Francisco Alves, Cyro Monteiro, Mario Reis, Elizeth Cardoso, Miltinho, Leny Andrade, Jair Rodrigues 3.3) Le courant « bossa-nova » Le nom est dérivé d'une expression en vogue dans les années 40, signifiant une nouvelle manière de faire une chose et ce courant musical est probablement devenu avec la samba une des images de marque de la musique brésilienne. On a tellement écrit sur ce courant que je ne vais pas m’étendre outre mesure, mais disons simplement qu’il est né dans les années 50, dans la classe moyenne et aisée de Rio de Janeiro. Il est intéressant de constater qu’il s’agit d’un mouvement « conscient », ce qui n’est pas très fréquent dans le domaine musical. En effet un groupe de jeunes musiciens se sont mis à mélanger les harmonies issues du jazz nord-américain avec les rythmes brésiliens dans l’idée de renouveler leur musique. C’est le chanteur João Gilberto qui a concrétisé ce courant avec sa manière douce et suave de chanter, en opposition totale avec le style de l’époque caractérisé par les voix amples au vibrato prononcé. Le 21 novembre 1962 est une date historique pour la bossa-nova puisqu’a eu lieu un concert mémorable à New-York, au Carnegie Hall, avec Tom Jobim, Sergio Mendes, Roberto, Menescal, João Gilberto, João Donato, Baden-Powell, Vinicius… Exemples : João Gilberto, Tom (Antonio Carlos) Jobim, Dick Farney, Vinicius & Toquinho, Baden Powell, Luis Bonfa, Johnny Alf, Don Salvador, Roberto Menescal,

Marcos Valle, Os Cariocas, Edu Lobo, Nara Leão, Carlos Lyra, Ronaldo Boscoli, Lela Pinheiro, Celso Fonseca… 3.4) La musique du nordeste 3.4.1 Le plateau intérieur aride - le "Sertão" Le baião Originaire du "Sertão" - région rurale pauvre couvrant plusieurs états et fréquemment soumise à la sécheresse - le baião constitue le troisième grand courant de la musique populaire brésilienne. (! Ne pas confondre avec Bahia!) Un des styles les plus exportés après la samba. C’est un terme se referant à l'origine à un intermède instrumental entre les parties chantées des "défis" (->repentistas) entre improvisateurs. Le genre a été popularisé par Luis Gonzaga (accordéoniste et compositeur) à partir de 1946 et est caractérisé par une formule rythmique et une gamme particulières. De ce rythme naîtra l’ensemble des musiques traditionnelles rurales du Nordeste, une région qui s’étend de l’État de Bahia au sud à celui du Maranhão au nord. Terre de la faim, des grands seigneurs et des caboclos– métis de blancs et d’Indiens–, le Nordeste est le lieu de nombreux syncrétismes. La musique y rythme la vie des hommes : elle anime les bals, accompagne le travail, égaye les marchés quand les repentistas, héritiers des troubadours du Moyen-Âge, improvisent de longs récits historiques au son de la viola, une petite guitare à cinq cordes. Longtemps ignorées du reste du pays, ces musiques parviennent sur le devant de la scène brésilienne dans les années 1940 grâce à Luiz Gonzaga. A écouter : Luis Gonzaga, Dominguinhos, Jackson do Pandeiro, Osvaldinho Forró - Style le plus populaire du Nordeste brésilien, le Forró est une musique simple et dansante. Dans sa forme traditionnelle, le Forró se joue avec un accordéon, un triangle et une percussion. Dans sa forme plus moderne, il utilise toujours l’accordéon, mais avec guitares, basse, batterie et clavier. Le Forró doit sa naissance au métissage des solos instrumentaux européens, des chants indiens et des rythmes africains. Les textes parlent de la vie de tous les jours, du travail, et bien sûr d’amour et de sexe. Musique des travailleurs du Nordeste, c’est l’un des styles les plus intéressants de la musique d’accordéon. 3.4.2 La zone côtière C’est la région des plages tropicales à l'économie plus forte, on y trouve de grandes villes comme Recife, Natal, João Pessoa. Il s’agit d’une région stratégique caractérisé autrefois par une présence militaire. Frevo Base du carnaval à Recife / racines dans les polkas 19ième - tradition des brass bands militaires / tempo rapide - intense - sautillant rappelle les danses cosaques Ecouter : Capiba, Lourenço da Silva, Maestro Duda, Mathias da Rocha Marcha Rancho (= aussi "frevo-canção") Egalement originaire de Récife, mêmes origines, tempo lent et majestueux ("marche"!) - conclusion des festivités du Carnaval

Ecouter "As Pastorinhas" de Noel Rosa… Maracatu (Recife) Racines religieuses, Le Maracatu rend hommage à une sainte catholique : Nossa Senhora do Rosario. Rythme très syncopé! Afoxé Rythme originaire de Bahia, racines dans le "candomblé" (syncrétisme afro-chrétien - dans les cérémonies on invoque et appelle les divinités à travers des danses et des rythmes hypnotiques - les instruments traditionnels sont les trois tambours : lé - aigu, rum - moyen, & rumpi - grave) Exemples dans la « MPB »: certains morceaux de Gilberto Gil, Djavan, Caetano Veloso… 4 - MPB & PANORAMA ACTUEL Un terme général - "MPB" / Música Popular Brasileira - caractérise la musique brésilienne depuis les années 60 et inclus une grande diversité de styles et de genres (samba, pop, rock, funk, bossa-nova). L'impossibilité de définir précisément un style de musique précis est en fait une preuve du métissage tellement caractéristique de la musique brésilienne qui aboutit régulièrement à de nouveaux styles… Les autres "classes" de musiques étant la musique traditionnelle ou folklorique, la musique dite "instrumentale "regroupant aussi bien le jazz que d'autres genres où le texte chanté n'est pas présent, et la musique dite "érudite" ou classique Les courants musicaux actuels - Hors de tout mouvement organisé, les courants musicaux actuels s’élaborent sous le signe de la diversité. À la fin des années 1960, le tropicalisme de Caetano Veloso et Gilberto Gil annonçait déjà : tout est permis ! Les guitares électriques, le kitsch de Carmen Miranda, les rythmes du baião et du rock’n’roll… Aujourd’hui le mélange est à l’honneur dans le mangue beatde Chico Science, la bossa-nova électro de Bebel Gilberto, la samba-rap de Marcelo D2 et d’autres encore. Chaque musicien entend mener ses recherches dans la direction qui lui est chère. Tous pourtant se rejoignent dans une réappropriation de l’Histoire. La musique actuelle se tourne vers ses racines, plonge dans la tradition. Mais la démarche n’est ni nostalgique, ni passéiste : l’étude de la musique brésilienne dans tous ses états et tous ses temps permet aux artistes de mieux se comprendre et se redéfinir après les années de chaos de la dictature et de la crise économique. Le tropicalisme - Gilberto Gil et Caetano Veloso inventent une musique psychédélique qui mixe rock et musique traditionnelle brésilienne : le tropicalisme. «Je mélange le chewing-gum avec les bananes», déclara Gilberto Gil. - Le coup d’État de 1964 instaure un régime autoritaire au Brésil : les opposants politiques sont poursuivis et la censure est à l’ordre du jour. Dans un premier temps, la musique populaire semble y échapper. Elle devient une prise de parole en faveur de la démocratie lors de festivals de la chanson organisés par les chaînes de télévision. Aussi, les premières années de la dictature sont paradoxalement une époque

d’innovation musicale. Tout en conservant ses racines, la Musique Populaire Brésilienne s’ouvre aux horizons pop et rock. Le tropicalisme de Caetano Veloso, Gilberto Gil, Gal Costa et Tom Zé prône une certaine esthétique de la citation ; l’heure est à l’exubérance, signe de résistance et de liberté. Le mouvement se brise en 1968, lorsque les militaires imposent l’acte institutionnel no 5 qui suspend les droits civiques et renforce le pouvoir du généralprésident. Caetano et Gil sont emprisonnés puis contraints à l’exil, alors que Chico Buarque mène le combat du verbe contre les censeurs. L’année 1984 marque la fin de la dictature. Le combat reprend pour que le retour à la démocratie se fasse à travers des élections directes. Et à nouveau, les musiciens s’engagent. Chico Buarque, Martinho da Vila, Fagner, João Bosco et d’autres mettent leur voix, leurs chansons, leur notoriété au service de cette cause. Artistes à écouter : Elis Regina, Edu Lobo, Chico Buarque, Gilberto Gil, Caetano Veloso, Gal Costa, Milton Nascimento, João Bosco, Rita Lee, Tim Maia, Djavan, Filo Machado, Alceu Valenca, Luis Melodia, Lela Pinheiro, Celso Fonseca, Marisa Monte, Chico Science, Tom Zé, Lenine, Guinga (reconnu comme LE compositeur actuel dans le milieu des musiciens au Brésil) La jeune génération : Ed Motta, Mônica Salmaso, Céumar, Chico Pinheiro, Chico Saraiva, Maria Rita (file de Elis Regina !)… 5 – EN GUISE DE CONCLUSION Au Brésil la musique, populaire ou traditionnelle, agit pour le peuple comme un facteur de fierté et de cohésion nationale. Il existe peu de pays où la musique populaire soit si riche et si variée. Elle continue à s'enrichir et à évoluer malgré l'omniprésence mondiale du courant pop anglo-saxon. Mais le succès des vedettes populaires, vite connus et vite oubliés, laisse souvent dans l'ombre un grand nombre d'artistes de qualité. Cependant la vitalité de la musique traditionnelle fait que de nombreux musiciens y trouvent une source d’inspiration, particulièrement dans la musique instrumentale (classique ou jazz) qui réussit d'une manière exceptionnelle la symbiose entre tradition et modernité mais souffre comme partout d’un manque d’audience provenant notamment de la frilosité des médias et des compagnies de disques. La musique brésilienne occupe une place importante dans le monde et influence des artistes de partout mais la taille du pays et du marché local font que nous n’avons l’occasion que d’apercevoir la partie immergée de l’iceberg de cet immense monde musical ! J’espère vous avoir ouvert quelques pistes dans ce rapide aperçu qui forcément a laissé de côté de nombreux artistes, courants ou styles… (Il faudrait encore parler de la région Sud et des influences du Paraguay ou de l’Argentine, de l’Amazonie, du Centre…)

Henri Greindl – Août 2008