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INTERVENIR AUPRÈS DES PÈRES IMMIGRANTS AU QUÉBEC: Une expérience de groupe Author(s): Stéphane Hernandez Source: Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social, Vol. 18, No. 2, The Implications of Globalization and Diversity for Canadian Social Work / Les conséquences de la mondialisation et de la diversité pour le service social canadien (2001), pp. 287-303 Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE) Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41669736 . Accessed: 14/06/2014 19:22 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Canadian Association for Social Work Education (CASWE) is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.229.101 on Sat, 14 Jun 2014 19:22:57 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

The Implications of Globalization and Diversity for Canadian Social Work / Les conséquences de la mondialisation et de la diversité pour le service social canadien || INTERVENIR

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INTERVENIR AUPRÈS DES PÈRES IMMIGRANTS AU QUÉBEC: Une expérience de groupeAuthor(s): Stéphane HernandezSource: Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social, Vol. 18, No. 2, TheImplications of Globalization and Diversity for Canadian Social Work / Les conséquences de lamondialisation et de la diversité pour le service social canadien (2001), pp. 287-303Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE)Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41669736 .

Accessed: 14/06/2014 19:22

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INTERVENIR AUPRÈS DES PÈRES

IMMIGRANTS AU QUÉBEC

Une expérience de groupe

Stéphane Hernandez

Abrégé: Au Québec, les clientèles immigrantes masculines sont doublement marginalisées dans le réseau des services sociaux du fait que d'une part, les hommes sont moins rejoints par les organismes d'aide et de soutien et que d'autre part, l'accessibilité des immigrants aux services sociaux est entravée par différentes barrières culturelles et institutionnelles. Pourtant, l'intervention préventive auprès des familles immigrantes ne peut faire l'économie d'agir au- près des pères qui en sont considérés comme les chefs ou les représentants par ces familles. Cet article offre un aperçu de ce que nous révèlent au sujet des pères, les écrits qui se penchent sur l'adaptation et l'intégration des familles im- migrantes. Il pose un regard critique sur les services sociaux qui sont en mesure de pouvoir les aider. Il présente ensuite une expérience de groupe effectuée auprès de pères immigrants que l'auteur a réalisée dans le cadre d'un stage au Centre local de services communautaires de Côte-des-Neiges à Montréal. Le bi- lan de l'activité permet enfin de formuler quelques recommandations quant à des pistes futures d'intervention.

Abstract: In Quebec, male immigrants are doubly marginalized in the social ser- vices system: first because fewer men are reached by support and help organiza- tions, and secondly because immigrants' access to social services is hindered by different cultural and institutional barriers. However, preventive intervention with immigrant families cannot afford to neglect fathers, as these families con- sider the father to be the head and representative of the family. This article pro- vides an overview of how immigrant fathers are represented in the literature con- cerning the adaptation and integration of immigrant families. It looks critically at the facilities with the resources to help them. An assessment of a group experi-

Stéphane Hernandez est étudiant de maîtrise à l'École de service social de l'Université de Montréal J'aimerais remerder particulièrement mon superviseur de stage M.James Boast qui m'a permis de mettre sur pied un groupe d'entraide pour pères immigrants au CLSC Côte-des-Neiges , de même que toutes les intervenantes qui m'ont aidé dans le recrutement et sans l'aide de qui cette activité n'aurait simplement pas eu lieu. Je tiens à remerder également Mme Gisèle Legault, professeure à l'École de service social de l'Université de Montréal , pour ses judiâeux conseils dans la rédaction de cet article. Canadian Social Work Review, Volume 18, Number 2 (2001) / Revue canadienne de ser- vice social, volume 18, numéro 2 (2001) Printed in Canada / Imprimé au Canada

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enee with immigrant fathers, carried out by the author during an internship at the local centre for community services of Côte-des-Neiges in Montreal, leads to recommendations for future interventions.

DaNS LE CADRE d'un stage effectué de septembre 2000 à avril 2001, au Programme Jeunesse du Centre local de services communautaires (CLSC) de Côte-des-Neiges, j'ai été amené à faire l'évaluation et le suivi de plusieurs familles immigrantes. Au fur et à mesure de mes rencontres, j'ai porté une attention particulière au vécu des hommes immigrants. L'intérêt s'est alors développé chez moi de saisir leur expérience de transformation des rôles au sein de leur famille étant donné les nou- veaux contextes dans lesquels ils se trouvaient plongés. J'ai alors été sur- pris de constater qu'il existait peu de données systématiques à leur sujet dans les écrits scientifiques et peu de services adaptés à leurs réalités spé- cifiques. De là m'est venue l'idée d'organiser une activité de groupe à l'intention des pères immigrants.

Ce travail se divise en trois parties. D'abord, une recension des écrits scientifiques trace un portrait de ce que l'on connaît de la réalité des familles immigrantes et du vécu spécifique des hommes au sein de ces familles en rapport avec l'immigration. En second lieu, je présente quelques éléments qui suggèrent un lien entre d'une part, l'accessibilité des hommes immigrants aux services sociaux courants et d'autre part, le fonctionnement institutionnel et les valeurs dominantes au Québec. En troisième partie, je dresse le bilan d'une activité de groupe auprès de pères immigrants en soulignant ce qu'elle a permis de dégager sur leurs préoccupations et leurs besoins particuliers. Je conclus en formulant quelques recommandations quant à de futures pistes d'intervention.

Que connaît-on des pères immigrants et de leur famille?

Quelques données socio-démographiques relatives aux familles immigrantes Selon les données préliminaires du Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration (MRCI), le Québec avait accueilli, entre les années 1996 et 2000, une moyenne de 29 124 immigrants1 par an, dont 49,7 % étaient des hommes et 50 % étaient âgés de 25 à 44 ans. Parmi ceux âgés de 15 ans et plus, 50,1 % des hommes et 41,1 % des femmes avaient déjà complété au moins 14 années de scolarité. Enfin, seulement 27,1 % provenaient d'Europe tandis que 38 % étaient originaires d'Asie, 13,7 % d'Amérique latine et 19,6 % du continent africain (MRCI, 2001).

Ces données brutes sont intéressantes mais ne doivent cependant pas nous faire oublier le fait que la migration est le plus souvent une his-

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toire de famille qui s'accompagne d'un véritable projet collectif. En effet, 42,4 % des immigrants masculins et 49,7 % des femmes étaient mariés à leur arrivée en 1999 (Duchesne, 2000). Parmi l'ensemble des immigrants arrivés au Québec entre 1996 et 2000, 27,3 % ont été parrai- nés par des membres de leur famille proche, dont près des deux tiers étaient des conjoints ou des fiancés (MRCI, 2001). En outre, il s'avère que pour les réfugiés (26,2 % entre 1996 et 2000) autant que pour les «immigrants économiques» (46,5% entre 1996 et 2000), les nouveaux arrivants immigrent souvent avec leur famille considérée comme le noyau social de base; ils font venir ensuite, quand ils le peuvent, leur réseau familial élargi (Jacob et Bertot dans Vatz-Laaroussi, 1993). Par conséquent, pour comprendre l'adaptation ou l'intégration des immi- grants, il faut garder à l'esprit que tous les efforts qui y sont consacrés s'insèrent dans une logique et une dynamique familiale qu'il est essentiel de considérer.

Les familles immigrantes constituent une réalité importante au Québec. En 1996, on dénombrait quelque 204880 familles avec enfants comptant au moins un parent né à l'étranger, ce qui représentait 16% de l'ensemble des familles avec enfants recensées au Québec (Juneau, Lamoureux, Croisetitre, Roy, André et Duchesne, 1999). Près des deux tiers de ces familles immigrantes sont concentrées dans la région de Montréal.

La précarité des familles immigrantes La longue et difficile intégration que doit vivre chacun des membres qui composent ces familles tend à fragiliser leurs liens. Dès leur arrivée dans la société d'accueil, les immigrants sont plongés dans un nouveau contexte économique, social et culturel qui impose à leur système familial une réor- ganisation interne. Par exemple, étant donné les nouvelles contingences du marché du travail des sociétés industrialisées, la femme est souvent appelée à travailler à l'extérieur du foyer, et ce pour la première fois de sa vie (Ishwaran, 1989) ou encore, les enfants peuvent être amenés à jouer le rôle de médiateurs entre leurs parents et la société d'accueil (Scandariato, 1993). Par ailleurs, les écarts culturels perçus de manière progressive à tra- vers les discours et les modes de vie ambiants engendrent souvent une remise en question des valeurs et des comportements traditionnels. Cette transition, qui se vit rarement sans angoisse et insécurité, s'accompagne inévitablement d'une transformation des rôles à laquelle les familles ne sont pas toujours préparées, ce qui fragilise beaucoup leurs liens et pro- voque souvent des conflits qui peuvent potentiellement déboucher sur une crise et même de la violence au sein du système familial (Bibeau, Chan-Yip, Lock, Rousseau et Sterling, 1992; Služky, 1979).

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Des recherches ont montré que le succès de l'intégration des familles immigrantes est lié au degré de cohésion qui existe parmi leurs membres. En effet, cette cohésion assure une certaine stabilité ou du moins une continuité face au changement de contexte (Barudy, 1992; Bibeau et coll., 1992; Malewska-Peyre et Gachón, 1988), continuité sans laquelle les immigrants peuvent être vulnérables à des troubles de santé mentale (Abou, 1988). Ceci implique qu'en intervention, l'accent doit être mis sur la préservation voire le renforcement de l'unité familiale au moment où les nouveaux arrivants effectuent leur intégration en terre d'accueil. Le rôle de l'intervenant revient alors à accompagner ces familles dans leurs stratégies d'adaptation, dans leur recherche d'un nouvel équilibre afin de limiter les tensions, l'insécurité et la confusion qu'elles peuvent vivre (Barudy, 1992; Vatz-Laaroussi, 1993). Ce travail ne peut se faire sans une étroite collaboration des hommes adultes considérés, dans les sociétés patriarcales dont la majorité sont issus, comme les chefs de famille ou les principaux représentants. Mais encore faut-il connaître leurs besoins réels.

Les hommes immigrants : que vivent-ils au sein de leur famille? Dans le but de mieux clarifier les différences de valeurs à travers les cultures, Cohen-Emerique (1990) a introduit les notions de «modèle individualiste » et de « modèle communautaire » pour caractériser deux types opposés de représentation du monde. Le modèle individualiste-éga- litaire, plus proche des sociétés occidentales, se caractérise par l'autono- mie et l'indépendance de la personne, des rôles similaires entre les hommes et les femmes, une identification limitée à la famille immédiate et une autorité partagée et diffuse dans l'unité familiale (Legault, 2000). Dans les sociétés davantage basées sur le modèle collectif-communau- taire, desquelles proviennent la majorité des familles immigrantes, l'indi- vidu est fortement défini en fonction de ses appartenances, de sa place au sein du groupe, des statuts qui codifient sa conduite; les rôles sont diffé- rents et complémentaires au sein du couple, interdépendants et différen- ciés selon l'âge et le sexe au sein de la famille; l'autorité est centralisée, s'exerce de manière hiérarchique et s'accompagne de la responsabilité de prendre les décisions importantes pour la famille (Cohen-Emerique, 1990; Legault, 2000). Ces sociétés étant le plus souvent patriarcales, c'est l'homme qui est considéré comme le principal garant de l'ordre, de l'autorité et de la sécurité dans la famille. En contexte d'immigration, on peut se demander ce que devient tout ce bagage culturel, une fois ces familles plongées au coeur d'une nouvelle société.

Les travaux de recherche effectués dans le domaine de l'impact de l'immigration sur les dynamiques familiales offrent rarement un portrait

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du vécu particulier des hommes. La plupart des recherches se concentrent sur la famille en général ou plus spécifiquement sur les conflits conjugaux ou intergénérationnels et ce sont surtout les points de vue de la femme et des enfants qui sont exposés. Nous avons parfois quelques indices concernant le père ou le mari immigrant, notamment dans les analyses qualitatives plus approfondies à échantillons restreints (Hones, 1999; Noivo, 1997), mais il existe encore peu ďétudes systéma- tiques qui rendent compte du vécu spécifique de l'homme immigrant à l'intérieur de sa cellule familiale. La plupart des résultats corroborent cependant le fait que pour comprendre les hommes immigrants, il est essentiel de considérer la manière dont ceux-ci sont affectés par la trans- formation des rôles au sein de leur famille à la suite de la migration. A ce titre, deux études montréalaises valent la peine d'être mentionnées.

La première se base sur des exemples cliniques en abordant de manière précise les rôles traditionnels que le nouveau contexte culturel et migratoire fait souvent perdre au chef de famille (Scandariato, 1993). En effet, celui-ci n'est plus le porte-parole de la famille dans ses relations avec la société. C'est plutôt l'enfant qui va récupérer ce rôle, maîtrisant souvent beaucoup mieux que ses parents la langue et les valeurs du pays d'accueil. De plus, n'étant plus le seul à travailler, le père ne peut plus assumer à lui seul le rôle de pourvoyeur au sein de sa famille, d'autant plus que l'immigration est associée la plupart du temps à une perte de statut socio-économique. Enfin, alors que le père devrait structurer les relations à l'intérieur de son micro-système fami- lial, la société d'accueil remet en question son autorité et certains de ses comportements à l'égard des autres membres de sa famille. Tous ces changements ne manquent pas de générer chez lui de pénibles remises en question et une baisse générale de l'estime de soi.

Enfin, une étude effectuée récemment auprès de 36 couples haï- tiens, vietnamiens et québécois venant d'avoir un enfant (Dyke et Sau- cier, 2000) , a cherché à comprendre notamment « comment les modèles culturels influencent l'exercice de la paternité chez les hommes en situation d'immigration » (p. 21) à travers une analyse qua- litative approfondie de l'expérience intime de nouveaux pères immi- grants. Cette recherche apporte beaucoup d'éléments pour com- prendre l'effet différentiel de la transformation des rôles selon le sexe, dont le fait que les pères sont appelés à se substituer au réseau social qui s'est considérablement amoindri avec l'émigration (malgré leurs obligations liées au travail parfois très exigeantes), leur difficulté à s'identifier à un modèle de père positif réel et leur sentiment d'avoir perdu une partie de leur statut dans la famille.

L'intérêt majeur de ces études est de fournir plusieurs éléments permettant de saisir la complexité du processus que doivent vivre les

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pères immigrants pour transformer leurs repères symboliques, fondés sur le modèle collectif-communautaire, vers un modèle hybride, plus proche du modèle individualiste. Cette nouvelle synthèse ne peut s'éla- borer que de manière très progressive, et s'accompagne souvent de pénibles ajustements dans l'organisation intra-familiale. L'un des rôles fondamentaux des intervenants oeuvrant auprès des familles immi- grantes est alors de développer des stratégies adaptées à ces hommes dans le but de les accompagner, eux et leur famille, sur cette route pavée d'obstacles et de difficultés multiples.

Réflexions sur l'accessibilité des pères immigrants aux services sociaux courants

Malgré l'importance de faire de la prévention auprès des hommes immigrants pour assurer le bien-être de leur famille, il semble que cette clientèle soit très peu rejointe par les services sociaux courants à Mont- réal. Il n'existe encore aucune étude rigoureuse qui permette de le démontrer, mais cette intuition est corroborée par plusieurs interve- nants sociaux et responsables de services de divers CLSC et organismes communautaires travaillant auprès des hommes ou des familles, avec lesquels je me suis entretenu à l'occasion de mon stage. En fait, on peut déjà affirmer que si, à Montréal, il est facile de trouver des services spé- cifiques aux femmes immigrantes ou aux jeunes immigrants, il n'existe aucun organisme répertorié qui se réclame d'intervenir auprès des hommes immigrants, encore moins auprès des pères immigrants (Centre de référence du Grand Montréal, 1996). Comment expliquer cette situation?

Il a d'abord été démontré que les hommes sont en général moins enclins à demander de l'aide, et que cela est fortement lié à leur sociali- sation (Dulac, 1997). On enseigne aux hommes à être forts pour accomplir leur rôle de pourvoyeurs et de protecteurs de leur futur foyer. Cet apprentissage fait en sorte que la demande de soutien et l'expression de difficultés personnelles entrent en contradiction avec ces valeurs et sont considérées comme des signes de faiblesse. On pour- rait supposer que ces attitudes sont particulièrement présentes chez les hommes issus de sociétés patriarcales, ceux-ci étant particulièrement sensibles aux prescriptions de rôles selon le genre.

D'un autre côté, des études récentes ont mis en lumière que les hommes, notamment les pères, sont souvent ignorés ou mal compris par les services sociaux courants dont les professionnels et les clients sont surtout des femmes (Dulac, 2001; Larose, 2001). De surcroît, il faut se rappeler que le système québécois de santé et de services sociaux est profondément marqué par les modèles individualiste et

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médical, de même que par le mouvement féministe2, modèles basés sur des valeurs d'autonomie personnelle, d'individualisation des pro- blèmes et ďégalité des sexes. Or, ces valeurs entrent en contradiction avec une conception hiérarchique et centralisée de l'autorité et l'exis- tence de rôles spécifiques selon l'âge et le sexe qui prévalent au sein des familles fonctionnant sur un modèle plus communautaire (Cohen- Emerique, 1990; Hammouche, 1997). Ainsi, nos pratiques d'interven- tion peuvent se présenter comme une menace aux fonctions tradition- nelles exercées par les hommes immigrants, d'autant plus si les interve- nants susceptibles de pouvoir les aider connaissent peu ou mal leurs réalités particulières. En effet, certains auteurs ont constaté, dans cer- tains milieux de pratique sociale, l'existence de situations d'incompré- hensions interculturelles entre les intervenants et leurs clients en rela- tion avec des comportements et attitudes liés aux notions de personne et de famille, au statut et aux rôles de la femme et aux modes d'éduca- tion des enfants (Legault et Lafrenière, 1992; Roy, 1991). En outre, l'étude québécoise de Battaglini (2000) a mis en évidence des écarts très importants dans l'évaluation de l'implication parentale des hommes immigrants en période périnatale, selon que le regard était porté par leurs conjointes (qui considèrent qu'ils s'impliquent davan- tage étant donné l'absence de la famille élargie) ou par les interve- nants (qui les perçoivent plutôt comme négligents, absents ou encore contrôlants) .

Par ailleurs, l'espace d'intervention sociale constitue un lieu privi- légié où les différences culturelles entre les intervenants et les nou- veaux arrivants se révèlent au grand jour, se répondent et, parfois, se revendiquent, se nient ou se rejettent les unes les autres. Cet espace peut être particulièrement difficile à gérer et rendre mal à l'aise les intervenants qui seraient alors moins enclins à organiser ou à animer des activités à l'intention des personnes issues de sociétés très diffé- rentes.

Toutefois, on ne peut ignorer les efforts récents de chercheurs et de praticiens qui travaillent durement, parfois en collaboration, pour rapprocher les services des besoins des «communautés culturelles» (Bourque, Gravel et Battaglini, 2000; Legault, 2000) et parfois plus spé- cifiquement des besoins des pères immigrants (Clarke et Este, 2000) . Si elle a fait des progrès considérables au cours des dernières années, l'approche interculturelle est encore trop récente pour être appliquée de façon systématique; il faudra attendre encore quelque temps avant qu'elle puisse être maîtrisée adéquatement et généralisée à l'ensemble des pratiques d'intervention. D'ici là, les intervenants du réseau conti- nueront de développer un savoir-faire et une flexibilité aptes à rejoindre l'autre dans toute sa singularité (Roy, 1991). Il semble néan-

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moins que tout soit lié aux connaissances et au bon vouloir de chaque acteur social, ainsi qu'à son intérêt de développer ses propres outils dans son espace d'autonomie professionnelle.

La mise sur pied d'un groupe de pères immigrants C'est pour connaître davantage l'expérience particulière des pères immigrants et, plus spécifiquement, les besoins et difficultés familiales auxquelles ils sont confrontés, en lien avec leur situation migratoire, et aussi pour explorer les types de services qui pourraient leur convenir, que j'ai constitué un groupe à leur intention. Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'un stage effectué de septembre 2000 à avril 2001 au CLSC Côte-des-Neiges.

Quelques éléments sur le milieu de stage Le CLSC Côte-des-Neiges dessert une population de 130000 habitants partagés sur les territoires de Côte-des-Neiges, Snowdon, Outremont et ville Mont-Royal, situés dans la ville de Montréal. Les deux premiers secteurs qui comprennent les deux tiers des ménages se démarquent fortement par un pourcentage élevé d'immigrants3 et de familles pauvres4 (CLSC Côte-des-Neiges, 2000).

Depuis leur apparition en 1973, les CLSC se distinguent par leurs activités de prévention et de promotion qui visent à aller au devant des besoins des résidents. Ainsi, parmi les objectifs institutionnels du CLSC Côte-des-Neiges, on retrouve le souci d'améliorer l'accessibilité des ser- vices et d'adapter ceux-ci en fonction des besoins de populations cibles particulières et des caractéristiques changeantes des territoires, dont notamment le caractère multiculturel du quartier (CLSC Côte-des- Neiges, 2000).

Planification et recrutement

L'activité de groupe fut assez longue à élaborer. Plusieurs projets ont été pensés en collaboration avec d'autres intervenants du CLSC. La difficulté était de concevoir une activité pour des pères immigrants alors que l'on connaissait peu leurs besoins. Déjà préparé aux difficultés de recrute- ment, nous sentions la nécessité de leur offrir quelque chose de concret et de peu confrontant qui les inviterait à participer. L'hypothèse qui a conduit toute notre démarche de planification a été que les pères immi- grants avaient certaines préoccupations au sein de leur famille et qu'ils auraient envie d'en parler entre hommes. Peu à peu, l'idée est venue d'offrir à ces papas un cadre chaleureux et simple dans lequel un interve- nant social leur donnerait des informations pertinentes mais où ils auraient aussi l'occasion de discuter ensemble sur des thèmes particu-

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liers. Une publicité a ensuite été conçue et distribuée dans divers orga- nismes et écoles du quartier. Le recrutement a été beaucoup facilité par la collaboration de certaines intervenantes ayant déjà des contacts étroits avec les familles immigrantes du quartier.

But et objectifs de V activité

Le but de l'activité est d'offrir une série d'ateliers thématiques à un groupe de pères immigrants, axés sur leurs besoins réels. Les objectifs sont les suivants : 1) comprendre davantage ce que vivent les pères immigrants au sein

de leur famille afin de connaître leurs besoins particuliers, identi- fier des services ou des activités qui répondent à ces besoins et où ils seraient à l'aise de participer;

2) favoriser la discussion et l'entraide entre ces chefs de famille autour de la question de l'impact que peut avoir le processus migratoire sur leur vie familiale;

3) donner à ces pères des informations pertinentes sur la société qué- bécoise ainsi que sur des ressources utiles pour les soutenir dans leur adaptation/intégration sociale et harmoniser leurs relations familiales.

Clientèle cible

L'activité de groupe s'adressait aux hommes immigrants et réfugiés de la première génération, pères d'au moins un enfant âgé de zéro à cinq ans. Cette restriction au niveau de l'âge des enfants est due au fait que les membres du groupe m'ont été référés par les intervenants du pro- gramme Enfance-Famille (lesquels travaillent avec des familles qui ont des enfants d'âge pré-scolaire). De plus, il était souhaitable de rassem- bler des pères qui partagent les mêmes préoccupations. Enfin, la trans- formation des rôles dans la famille m'apparaissait plus critique chez des parents aux prises avec de jeunes enfants, étant donné la nécessité d'une présence continue de l'un ou de l'autre parent. D'autres critères de sélection tels la langue, l'ethnie ou le statut socio-économique n'ont pas été retenus étant donné la difficulté de recrutement.

Modalités des rencontres

Les rencontres d'une durée d'environ deux heures ont eu lieu tous les jeudis à 19 heures du 15 mars au 10 mai 2001 dans un local du CLSC où les participants pouvaient se servir du café, du jus, des muffins et des biscuits.

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Contenu des activités

Les premières rencontres étaient déjà préparées d'avance en fonction de certains besoins déjà identifiés (emploi, système scolaire). Pour les suivantes, ce sont les membres du groupe qui ont déterminé le contenu en fonction de leurs besoins réels à partir d'une liste de thèmes propo- sés au début5. Les rencontres alternaient entre des séances d'informa- tion (avec l'aide de personnes ressource) et des séances de discussion basées sur des thèmes précis.

Bilan de l'activité

Composition du groupe

Depuis le début, le groupe a connu de deux à six participants à chaque semaine. L'origine ethnique des participants était très variée (Colom- bie, Mexique, El Salvador, Guinée, Bangladesh, Phillipines, Portugal) de même que leur âge (de 22 à environ 40 ans) et la durée de leur séjour au Québec (de 1 à 17 ans). Parmi les huit personnes qui ont assisté à au moins une rencontre, un seul travaillait à temps plein (à son compte) , quatre étaient à la recherche d'un emploi, un était inscrit à un programme d'études, tandis que les deux autres venaient de ter- miner les cours de français du Centre d'orientation et de formation pour immigrants (COFI) et cherchaient à s'inscrire à un programme d'études professionnelles.

Préoccupations des pères immigrants rencontrés

Parmi les thèmes proposés au début, le plus populaire a été celui concer- nant les enfants. En effet, les participants sont tous soucieux de leurs enfants qui vont bientôt entrer dans le système scolaire. Souvent, ils ont une perception très négative de ce que la société nord-américaine peut leur offrir. Dans les médias, ils ont entendu parler d'intimidations et de bagarres dans les écoles, de l'idnérance et du suicide chez les jeunes. Louant avec fierté l'importance de la discipline et du respect de l'autorité dans leur pays d'origine, ils sont inquiets de voir les jeunes bénéficier d'autant de liberté dans la société québécoise où l'autonomie de l'indi- vidu règne comme l'une des valeurs fondamentales. Ils se sentent impuis- sants devant le pouvoir et les droits impartis à leurs enfants et qui empiète, selon eux, sur l'exercice de leur autorité parentale. Ainsi ils craignent beaucoup de perdre le contrôle de leurs enfants lorsqu'ils auront atteint l'âge de raison. De même, la plupart ont de la difficulté à admettre que, sur un appel au 911, l'Etat puisse s'immiscer dans les affaires de famille jusqu'à parfois prendre de manière forcée le relais des parents. Les parents apprennent d'ailleurs souvent cette dernière réalité

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de la bouche de leur enfant âgé de quatre ou cinq ans, au retour de la maternelle. Lorsqu'on interroge ces parents sur les stratégies qu'ils vont utiliser pour prévenir ces difficultés avec leurs enfants, on obtient des réponses très variées allant du maintien d'une bonne communication dans la famille à l'imposition de règles très strictes.

Le thème très délicat des relations hommes/femmes a été abordé plus d'une fois. En citant des exemples personnels ou venant de leur entourage immédiat, les hommes immigrants ont exprimé que la société d'accueil accordait beaucoup de droits aux femmes au niveau juridique et ils ont déploré que celles-ci puissent utiliser ces droits comme une arme contre eux. Pour certains d'entre eux, cela importe peu puisque leur foi dans le mariage comme institution garantit une union solide dans le couple et au sein de la famille. D'autres, par contre, se sentent dépassés et remis en question dans l'exercice de leur autorité, au point de se sentir contraints de renforcer celle-ci, quitte à provoquer de la tension dans le couple. Certains participants ont par ailleurs affirmé que si leur femme (ou leurs enfants) adoptent des com- portements trop opposés aux attentes culturelles et aux leurs, ils les renverront dans leur pays d'origine.

D'autres discussions concernant la famille ont permis aux pères immigrants de s'exprimer sur leurs inquiétudes devant le manque de solidarité intergénérationnelle et la distanciation précoce des jeunes de leur famille dans la société québécoise actuelle. Enfin, d'autres thèmes ont touché directement l'intégration des immigrants tels leurs percep- tions des différences entre les valeurs de leurs cultures d'origine et celles de la société québécoise, les difficultés liées à l'emploi et l'impact parfois dramatique que peut avoir la perte du statut socio-économique sur la vie familiale.

Discussion sur les stratégies d'intervention et sur l'approche interculturelle

Au fur et à mesure des séances de discussion, les membres du groupe se sont facilement prêtés au jeu du partage des opinions et des expériences personnelles relatives à leur vie familiale. Ces rencontres ont alors permis aux pères immigrants de briser leur isolement en exprimant à d'autres hommes leurs préoccupations et leurs inquiétudes particulières. Ceci n'aurait peut-être pas été possible en présence de leurs enfants, de leurs conjointes ou d'autres femmes, notamment pour des sujets tels que leurs difficultés conjugales ou leurs réserves sur les rapports entre les sexes dans la société québécoise. Par ailleurs, il semble que le processus de groupe a pu contribuer à leur meilleure compréhension de la société québécoise, processus pouvant faciliter leur adaptation et intégration. En

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effet, à travers l'interaction circulaire et les échanges directs entre les par- ticipants, ces derniers en sont venus à relativiser leurs perceptions ini- tiales, à comprendre mieux leur expérience migratoire, et parfois à réflé- chir sur de nouvelles attitudes, plus adaptées à la société d'accueil. Les personnes arrivées depuis plus longtemps ont informé les nouveaux arri- vants de leur trajectoire migratoire personnelle; ceux ayant des enfants plus âgés ont livré leur expérience aux pères de famille plus jeunes. Mon rôle en a été un de facilitateur et, à l'occasion, de personne ressource les aidant à comprendre certaines subtilités de la société québécoise.

Pour mener à bien le processus de groupe, il fallait adopter une approche interculturelle adéquate. Pour cela, je me suis inspiré de Bourque et coll. (2000) qui traite de l'engagement parental en contexte pluriethnique. Cet ouvrage énumère quelques principes à res- pecter en approche interculturelle telle que : 1) faire émerger avec respect les particularités culturelles (éducation

des enfants, modes de relation selon le sexe, par exemple) en explorant les fonctions ou les valeurs qui y sont sousjacentes;

2) établir des ponts entre ces particularités culturelles en énonçant des buts communs (tels que l'harmonie familiale ou le mieux-être des enfants et leur développement), puis décrire et expliquer les pra- tiques valorisées par la société québécoise qui visent les mêmes buts;

3) discuter des modalités de conservation des traditions culturelles tout en les adaptant au nouveau contexte; présenter ces change- ments comme un enrichissement culturel. L'émergence des préoccupations actuelles des pères immigrants

au cours des échanges informels a permis le choix de rencontres d'information taillées sur mesure en fonction de leurs besoins réels. Trois rencontres ont été organisées avec un organisme offrant des ser- vices d'employabilité, un travailleur social en milieu scolaire (pour ren- seigner les participants sur le rôle du parent dans le développement de l'enfant d'âge scolaire et préscolaire) et une policière (pour les rensei- gner sur le rôle de la Communauté Urbaine de Montréal, le fonction- nement de la Direction de la Protection de la Jeunesse, de même que les comportements acceptables et non acceptables chez les maris, leurs épouses et leurs enfants). A l'occasion et sur demande, je leur ai donné aussi de l'information sur certains services offerts dans le réseau (ser- vices de garde, cours de français écrit, activités de cuisine collective ou de jardin communautaire pour les résidents de Côte-des-Neiges, par exemple). Cette formule flexible (alternance de séances de discussion et d'informations) s'est donc avérée très appropriée pour cette activité de groupe auprès des pères immigrants.

D'une manière générale, l'activité de groupe auprès des pères immi- grants s'est avérée un succès. La bonne dynamique du groupe a permis

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aux membres de s'exprimer librement sur des thèmes sensibles touchant de près le vécu familial des pères immigrants. Cependant, l'expérience a rencontré certaines difficultés incontournables. D'abord, le recrutement des candidats fut très laborieux. L'activité aurait d'ailleurs été un échec sans la collaboration de certains intervenants ayant déjà établi un rapport de confiance avec leurs clients. Il faut aussi considérer que les hommes immigrants ont souvent peu de temps à consacrer à d'autres activités que celles rattachées à la survie de leur famille. Un autre obstacle fut celui de la langue. En effet, rares ont été les rencontres où une langue était com- prise par tous les membres du groupe. Pour se sortir de cette impasse, il est arrivé que j'aie à diviser le groupe en deux (les francophones et les anglophones). Mais lorsqu'il y avait seulement deux ou trois participants, il fallait traduire d'une langue à l'autre au fur et à mesure des échanges au risque de couper à chaque fois le flux de la conversation.

Quelques recommandations et pistes d'intervention

Cette expérience fort enrichissante a pu permettre non seulement d'en connaître un peu plus sur la réalité des pères immigrants, mais encore de penser à des activités de prévention qui pourraient davantage leur convenir. Voici les recommandations et les pistes d'intervention que cette activité a permis de dégager.

Une importance particulière doit être accordée à la subvention et à la diffusion de recherches portant sur les réalités particulières des hommes immigrants, sur leur accessibilité aux services sociaux et sur le développement de stratégies d'intervention efficaces basées sur leurs besoins réels.

Il est important de développer des activités de prévention auprès des clientèles immigrantes masculines. Ces hommes ont des besoins criants qui leur sont très spécifiques; ils sont souvent dépassés par les normes, les valeurs et les réalités de la société québécoise et sont sus- ceptibles d'être remis en question dans les rôles qu'ils occupent au sein de leurs familles. Ces dernières peuvent alors se retrouver fragilisées dans les périodes plus critiques du processus migratoire. C'est dans cette optique que les responsables des divers programmes de soutien aux organismes communautaires doivent reconnaître ces réalités et soutenir de façon prioritaire les organismes qui travaillent à accompa- gner ces personnes et leurs familles dans leurs transitions migratoires.

Les activités de prévention auprès des pères immigrants doivent être assez flexibles pour répondre aux besoins de chacun. Elles devraient contenir à la fois des séances de discussion et des séances d'informations sur des thèmes précis qui les préoccupent. Des thèmes touchant directement la famille intéressent particulièrement ces

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hommes et doivent être inclus pour prévenir les tensions familiales ou toute autre difficulté reliée à leur adaptation ou intégration. Il est important notamment que les valeurs de la société québécoise (l'éga- lité entre les sexes, la liberté et l'autonomie individuelles, par exemple) ainsi que ses institutions (les services de police, la Direction de la Pro- tection de la Jeunesse, le milieu scolaire) soient démystifiées. Des ate- liers sur le développement de l'enfant et sur l'amélioration des compé- tences parentales sont recommandables car le père immigrant a sou- vent une proximité avec son enfant beaucoup plus grande que celle qu'il avait dans son pays d'origine, entouré de sa famille élargie (Dyke et Saucier, 2000), et ce surtout depuis que l'importance de l'implica- tion des pères pour les mères immigrantes en période périnatale a été démontrée (Battaglini, 2000) . Il pourrait être utile de prévoir quelques lieux informels pour favoriser un climat d'entraide susceptible de façonner des liens durables, empreints de solidarité. Enfin, au cours de ces activités, il serait essentiel de valoriser ces pères immigrants dans leurs (nouveaux) rôles au sein de leur famille et de la société d'accueil.

Pour l'organisation de telles activités, il faut prévoir une longue période de recrutement des participants. Si possible, obtenir la collabo- ration de personnes ayant déjà établi un solide lien de confiance avec eux tels les intervenants, les leaders informels de la communauté et les

représentants d'associations ethniques. Utiliser une publicité qui men- tionne l'offre de services bien concrets (informations, sorties, activités sportives) en plus d'un espace pour discuter de certains sujets touchant la famille.

Quand cela est possible, former des groupes selon le critère de la langue pour faciliter la dynamique interactionnelle.

Dans les écoles et les organismes communautaires ou para-publics voués à l'accueil et à l'orientation des immigrants, des activités doivent être organisées pour mieux faire connaître la société d'accueil aux familles nouvellement arrivées.

Conclusion

Les pères immigrants et leur famille constituent une clientèle particu- lièrement vulnérable au cours des premières années d'adaptation à la société d'accueil, moments remplis de tensions où tout se transforme à l'intérieur de la famille désormais nucléarisée (le plus souvent) et où ils ne savent quel sort sera réservé à leurs enfants dans un pays dont ils ne saisissent encore que trop peu les valeurs et les règles explicites et implicites. Des activités préventives peuvent et doivent être créées à leur intention afin de les rejoindre dans leurs préoccupations spéci- fiques, les renseigner sur la société québécoise, soulager leurs inquié-

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tudes, ainsi que favoriser entre eux des liens de solidarité et un senti- ment d'appartenance. Dans l'état actuel des choses, et en dépit de cet important besoin de soutenir ces personnes et leurs familles, il reste que les hommes sont peu rejoints en général par le réseau des services sociaux.

Tant que les difficultés propres aux pères immigrants ne seront pas reconnues comme une problématique particulière et systématisées dans la pratique, ni les intervenants sociaux, ni les responsables de pro- grammes seront enclins à organiser des stratégies de prévention et d'intervention dont la forme et le contenu correspondent à leurs besoins réels. Quels risques cette situation fait-elle encourir aux familles nouvellement arrivées en termes d'isolement ou de prédisposi- tion à des problèmes sociaux divers? Les différents acteurs sociaux inté- ressés par l'amélioration de la qualité et de l'accessibilité des services offerts aux familles d'immigration récente ne peuvent faire l'économie de prendre en compte cette importante question.

NOTES 1 Dans ce texte, le masculin inclut le féminin. 2 L'intervention féministe qui est née de ce mouvement a été largement diffu-

sée par des activités de formation dans le réseau de la santé et des services sociaux. Aujourd'hui, elle est pratiquée dans différents milieux et, sans être toujours officialisée, est privilégiée par les femmes qui travaillent dans les ins- titutions de l'État dont les hôpitaux et les CLSC (De Köninck et Savard, 1992).

3 Environ la moitié de la population de ces deux secteurs sont nés à l'extérieur du Canada.

4 Environ 40% de la population de ces deux secteurs vivent en-dessous du seuil de faible revenu.

5 Parmi les thèmes proposés pour les séances d'information étaient inclus le travail, la préparation des enfants au système scolaire, les droits et devoirs des citoyens québécois, le fonctionnement et les rôles des institutions publiques et les ressources du quartier de Côte-des-Neiges. Parmi les thèmes proposés pour les séances de discussion étaient inclus la famille, les relations hommes/femmes, les relations parents/enfants, l'emploi, l'identité cultu- relle, le racisme et les réseaux d'entraide.

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