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FISCALITÉ 475 6–7 | 2012 L’EXPERT-COMPTABLE SUISSE L’ARRÊT FISCAL ACTUEL NATHALIE PELLANDA GAUD, SENIOR TAX MANAGER, CORPORATE TAX SERVICES, ERNST & YOUNG SA, GENÈVE MARIE-HÉLÈNE REVAZ NATHALIE PELLANDA GAUD TRAITEMENT FISCAL DES ÉCARTS DE CONVERSION Le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence! Nos précédents articles avaient tout d’abord présenté (1) le traitement fiscal des écarts de conversion, en particulier la question de savoir si les écarts de conver- sion peuvent influencer le bénéfice imposable d’une personne morale [1] , puis (2) comment une mauvaise compréhension du référentiel IFRS a amené le Tribu- nal fédéral (TF ou notre Haute Cour) dans son arrêt du 1 er octobre 2009 [2] à considérer que les écarts de conversion n’ont rien à voir avec l’activité de l’entre- prise, mais sont seulement la conséquence d’une opé- ration fictive de conversion de la monnaie fonctionnelle vers la monnaie de présentation (le franc suisse) [3]. 1. INTRODUCTION Nous rappelons que de nombreuses procédures concernant le refus de la déductibilité des pertes de conversion sont tou- jours pendantes par devant les administrations et les juri- dictions administratives cantonales. À notre avis, une déci- sion devrait être rendue par la Cour de Justice du Canton de Genève au cours des prochains mois. À la question soulevée dans notre dernier article: «un revi- rement de la jurisprudence s’impose-t-il?», nous répondons aujourd’hui que le TF, par son arrêt d’octobre 2009, a ren- versé la jurisprudence qui était en vigueur à ce moment-là. Une revue systématique des anciennes jurisprudences du TF a révélé que notre Haute Cour s’était prononcée sur cette même problématique en 1954 [4] déjà. Dès lors, pourquoi le TF n’a-t-il pas expliqué les raisons de son changement de jurisprudence en 2009? Si aujourd’hui le TF devait statuer une nouvelle fois sur le traitement fiscal des écarts de conversion, validerait-il la jurisprudence de 2009 ou bien celle prise en 1954, sachant que l’état de fait est identique? Nous traiterons de cette question dans la première partie de cet article. Par ailleurs, environ un an et demi après l’arrêt de 2009, le comité de la Conférence suisse des impôts (CSI), représen- tant l’union des autorités fiscales suisses, a approuvé une analyse relative à l’arrêt du TF du 1 er octobre 2009 portant sur le traitement fiscal des écarts de conversion résultant du passage de la monnaie fonctionnelle à la monnaie de présen- tation (écarts de conversion) [5]. Dans la suite de cet article, nous commenterons cette analyse qui recommande l’appli- cation de certains principes pour la conversion des comptes de la monnaie fonctionnelle à la monnaie de présentation. Finalement, nous présenterons brièvement les constatations que nous avons faites lors de l’application des principes de conversion énoncés par le comité de la CSI. 2. COMPARAISON DES ARRÊTS DU TF Nous rappelons brièvement ici l’état de fait, nous comparons ensuite les considérants en droit puis nous donnons notre appréciation sur les conclusions prises par notre Haute Cour. 2.1 Rappel des faits. Les faits ayant fait l’objet de l’arrêt de 1954 [6] sont comparables à ceux énoncés dans l’arrêt de 2009 [7]: 1. Dans chaque arrêt, la société concernée a des actifs et pas- sifs exprimés en monnaie étrangère et doit en tant que société suisse établir son bilan en francs suisses (art. 960 al. 1 CO). 2. Dans les deux cas, des changements dans le rapport de change entre la monnaie suisse et la monnaie étrangère sont apparus au fil des années. 3. Dans l’arrêt de 1954, la conversion des actifs et passifs expri- més en francs français est faite jusqu’en 1946 au taux histo- rique de 1944, alors que le franc français a baissé par rapport au franc suisse. Ainsi, la société n’a pas comptabilisé le béné- fice découlant de la fluctuation des cours de change. En re- vanche, dès 1947, la conversion des actifs et passifs exprimés en francs français est effectuée par la société au taux de clô- ture, ce qui fait apparaître une réserve de fluctuation de cours qui n’a pas été comptabilisée au compte de profits et pertes, mais directement au bilan [8]. MARIE-HÉLÈNE REVAZ, EXECUTIVE DIRECTOR, TAX ACCOUNTING AND RISK ADVISORY SERVICES, ERNST & YOUNG SA, GENÈVE

traitEME nt fiscal d Es écarts d E conv Ersion le tribunal ... · le traitement fiscal des écarts de conversion résultant du passage de la monnaie fonctionnelle à la monnaie de

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4756–7 | 2012 L’e x p e r T- c o m p Ta b L e S u i S S e

l’arrÊt f iscal ac tuEl

NATHALIE PELLANDA GAUD,

SENIOR TAX MANAGER,

CORPORATE TAX SERVICES,

ERNST & YOUNG SA,

GENÈVE

m a r i e - h é L è n e r e v a z

n aT h a L i e p e L L a n D ag a u D

traitEMEnt fiscal dEs écarts dE convErsionle tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence !

nos précédents articles avaient tout d’abord présenté (1) le traitement fiscal des écarts de conversion, en particulier la question de savoir si les écarts de conver-sion peuvent influencer le bénéfice imposable d’une personne morale [1], puis (2) comment une mauvaise compréhension du référentiel ifrs a amené le tribu-nal fédéral (tf ou notre haute cour) dans son arrêt du 1er octobre 2009 [2] à considérer que les écarts de conversion n’ont rien à voir avec l’activité de l’entre-prise, mais sont seulement la conséquence d’une opé-ration fictive de conversion de la monnaie fonctionnelle vers la monnaie de présentation (le franc suisse) [3].

1. introductionNous rappelons que de nombreuses procédures concernant le refus de la déductibilité des pertes de conversion sont tou­jours pendantes par devant les administrations et les juri­dictions administratives cantonales. À notre avis, une déci­sion devrait être rendue par la Cour de Justice du Canton de Genève au cours des prochains mois.

À la question soulevée dans notre dernier article: «un revi­rement de la jurisprudence s’impose­t­il?», nous répondons aujourd’hui que le TF, par son arrêt d’octobre 2009, a ren­versé la jurisprudence qui était en vigueur à ce moment­là. Une revue systématique des anciennes jurisprudences du TF a révélé que notre Haute Cour s’était prononcée sur cette même problématique en 1954 [4] déjà. Dès lors, pourquoi le TF n’a­t­il pas expliqué les raisons de son changement de jurisprudence en 2009?

Si aujourd’hui le TF devait statuer une nouvelle fois sur le traitement fiscal des écarts de conversion, validerait­il la jurisprudence de 2009 ou bien celle prise en 1954, sachant que l’état de fait est identique? Nous traiterons de cette question dans la première partie de cet article.

Par ailleurs, environ un an et demi après l’arrêt de 2009, le comité de la Conférence suisse des impôts (CSI), représen­tant l’union des autorités fiscales suisses, a approuvé une analyse relative à l’arrêt du TF du 1er octobre 2009 portant sur le traitement fiscal des écarts de conversion résultant du passage de la monnaie fonctionnelle à la monnaie de présen­tation (écarts de conversion) [5]. Dans la suite de cet article, nous commenterons cette analyse qui recommande l’appli­cation de certains principes pour la conversion des comptes de la monnaie fonctionnelle à la monnaie de présentation. Finalement, nous présenterons brièvement les constatations que nous avons faites lors de l’application des principes de conversion énoncés par le comité de la CSI.

2. coMparaison dEs arrÊts du tfNous rappelons brièvement ici l’état de fait, nous comparons ensuite les considérants en droit puis nous donnons notre appréciation sur les conclusions prises par notre Haute Cour.

2.1 Rappel des faits. Les faits ayant fait l’objet de l’arrêt de 1954 [6] sont comparables à ceux énoncés dans l’arrêt de 2009 [7]:1. Dans chaque arrêt, la société concernée a des actifs et pas­sifs exprimés en monnaie étrangère et doit en tant que société suisse établir son bilan en francs suisses (art. 960 al. 1 CO).2. Dans les deux cas, des changements dans le rapport de change entre la monnaie suisse et la monnaie étrangère sont apparus au fil des années.3. Dans l’arrêt de 1954, la conversion des actifs et passifs expri­més en francs français est faite jusqu’en 1946 au taux histo­rique de 1944, alors que le franc français a baissé par rapport au franc suisse. Ainsi, la société n’a pas comptabilisé le béné­fice découlant de la fluctuation des cours de change. En re­vanche, dès 1947, la conversion des actifs et passifs exprimés en francs français est effectuée par la société au taux de clô­ture, ce qui fait apparaître une réserve de fluctuation de cours qui n’a pas été comptabilisée au compte de profits et pertes, mais directement au bilan [8].

MARIE-HÉLÈNE REVAZ,

EXECUTIVE DIRECTOR,

TAX ACCOUNTING

AND RISK ADVISORY

SERVICES,

ERNST & YOUNG SA,

GENÈVE

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Tr aiTemenT f iScaL DeS écarTS De converSion

Dans l’arrêt de 2009, la société a comptabilisé au compte de profits et pertes un gain de conversion de CHF 4,7 millions pour l’année fiscale 2001, alors qu’aucun montant n’a été in­diqué dans les comptes en dollars américains. Pour l’année 2002, une perte de conversion de CHF 24,9 millions a été comptabilisée au compte de profits et pertes [9].

2.2 Comparaison des considérants en droit des deux arrêts.1. Dans les deux arrêts, le TF rappelle que le bénéfice impo­sable des sociétés anonymes est constitué par l’augmenta­tion de la fortune sociale pendant l’exercice considéré et ne comprend pas seulement le bénéfice provenant de l’exploi­tation proprement dite.2. En 1954, le principe de déterminance découle implicite­ment des considérants.

En 2009, le principe de déterminance est explicité par le TF qui rappelle que le droit fiscal renvoie au droit comptable pour déterminer le bénéfice net imposable, tout en tempérant ce renvoi par l’existence de règles correctrices propres au droit fiscal. En d’autres termes, les comptes établis conformé­ment aux règles du droit comptable lient les autorités fisca­les à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctri­ces particulières [10].3. En 1954, le TF affirme que le franc suisse est l’étalon qui sert à mesurer la valeur des biens de la société compris dans son actif et son passif, même si cette valeur est tout d’abord exprimée en monnaie étrangère [11]. En 2009, le TF dit que la monnaie suisse constitue la monnaie de présentation, soit celle dans laquelle les états financiers doivent être exprimés dans leur version finale [12].4. En 1954, le TF affirme que les variations dans la valeur en francs suisses qui proviennent de changements dans le rap­port entre la monnaie suisse et la monnaie étrangère ne sont pas de simples fluctuations comptables, mais représentent effectivement des plus­values ou des moins­values réelles qui se répercutent sur l’état de la fortune de la société [13].

En 2009, le TF conclut que les écarts de conversion, dits aussi écarts de change, résultent du passage de la monnaie fonctionnelle à la monnaie de présentation:a) ils constituent ainsi des opérations comptables d’ajuste­ments de valeurs qui sont destinées à enregistrer des pro ­ babilités;b) ils n’apparaissent que dans les comptes présentés en francs suisses;c) ils doivent être distingués des opérations de change qui se rapportent, pour leur part, à des opé rations commerciales qui sont effectuées dans une monnaie différente de la monnaie fonctionnelle de l’entreprise et qui donnent lieu à des pertes et à des gains effectifs [14].5. En 1954, le TF conclut que la baisse du franc français par rapport au franc suisse diminue la valeur des articles en francs français qui se trouvent soit à l’actif, soit au passif du bilan. Étant donné que ceux qui figurent au passif sont beau­coup plus importants que les autres, il en résulte en défini­tive une augmentation de l’actif par rapport au passif, c’est­à­dire une augmentation de la fortune sociale, ce qui consti­tue un bénéfice. Cette différence de conversion doit donc

figurer au compte de profits et pertes et s’ajouter au bénéfice imposable de la société [15].

En 2009, le TF conclut que le bénéfice imposable doit cor­respondre à un enrichissement effectif de la société et refléter sa réelle capacité contributive. Comme les écarts de conver­sion ne traduisent ni un appauvrissement ni un enrichisse­ment de la société qui se rapporte à une transaction effective et qui influencerait sa capacité contributive, mais sont seule­ment le résultat d’une opération comptable, ils n’in­

fluencent pas l’augmentation du capital propre entre le début et la fin de la période fiscale, ce qui est la caractéristique du bénéfice net imposable [16]. Compte tenu de l’importance croissante du référentiel IFRS, le TF admet que les juges peu­vent s’inspirer de la solution figurant dans les normes inter­nationales pour déterminer le bénéfice imposable de la so­ciété car le droit suisse reste muet sur ce sujet [17]. Ainsi, les écarts de conversion, positifs ou négatifs, ne doivent pas être pris en compte dans la détermination du bénéfice imposable de la société [18].

2.3 Notre appréciation. La véritable nature économique des écarts de conversion ayant été appréhendée de manière oppo­sée par les juges du TF en 1954 puis en 2009, il n’est dès lors pas surprenant qu’ils arrivent à des conclusions contradic­toires. Nous aurions souhaité que notre Haute Cour explique en 2009 les motivations de sa décision de ne pas appliquer les conclusions de l’arrêt de 1954.

Il convient aussi de rappeler qu’en 1972 l’Administration fédérale des contributions a émis une notice qui traite des conséquences fiscales du changement de parité des mon­naies intervenu en 1971 et qui s’inspire à notre avis de la juris­prudence du TF de 1954. Cette notice [19] stipule dans son introduction que «pour juger de l’incidence fiscale des pertes ou des bénéfices qui se sont produits à la suite de ces mesures sur les actifs et les passifs commerciaux, il faut partir du principe que les pertes de change doivent être admises comme les autres pertes commerciales, si elles sont comptabilisées (art. 22, al. 1, lettre c et art. 49, al. 1, AIN), tandis que les bé­néfices de change ne peuvent être imposés que lorsqu’ils ont été réalisés ou comptabilisés préalablement».

De plus, la doctrine rappelle également que: «les pertes subies du fait de la réévaluation du franc suisse (…) doivent être admises comme dépenses justifiées par l’usage commercial. D’autre part, d’éventuels bénéfices de réévaluation (…) cons­tituent un élément du rendement net, qui ne doit toutefois être inclus dans le calcul du rendement net imposable que lorsqu’il est réalisé effectivement ou comptablement. Fait aussi partie du rendement net imposable le bénéfice comp­

«Le TF affirme que les change- ments dans le rapport entre la monnaie suisse et la monnaie étrangère représentent des plus-values ou moins-values réelles.»

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table réalisé sur une dette en monnaie étrangère à la suite d’une baisse de cours (Archives 23,89)» [20].

Dans sa chronique consacrée à la jurisprudence du TF de l’année 2009 [21], le Prof. R. Danon relève que notre Haute Cour, dans son arrêt sur les écarts de conversion, aurait obtenu le même résultat en interprétant l’article 58 al. 1 lit. a LIFD à la

lumière du principe de l’imposition selon la capacité contri­butive. Il conclut: «dans la mesure où un écart de conversion ne fait manifestement pas partie du «résultat réellement ob­tenu par l’entreprise», il convient de ne pas en tenir compte dans le cadre de la détermination du bénéfice imposable.»

Toute la problématique des écarts de conversion se ré­sume donc dans une compréhension correcte de la véritable nature économique des écarts de conversion: résultent­ils de simples écritures comptables ou sont­ils au contraire des plus­values ou des moins­values réelles qui influencent la fortune de la société, fortune libellée en francs suisses, et donc la réelle capacité contributive de la société suisse?

Comme nous l’avons démontré dans nos précédents arti­cles, nous soutenons que les écarts de conversion sont de véri­tables différences de change qui reflètent des plus­values ou moins­values réelles de la fortune de la société suisse en francs suisses et qui ont un impact sur la capacité contribu­tive de la société suisse. Cette position est également retenue par le TF en 1954.

Dans la suite de notre article, nous expliquons comment le choix d’une méthode de conversion influence la présenta­tion d’un écart de conversion dans les états financiers en monnaie fonctionnelle et dans les états financiers en francs suisses. En effet, selon la méthode de conversion choisie par la société, les écarts de conversion/différences de change apparaîtront soit uniquement dans les comptes libellés en francs suisses, soit à la fois dans les états financiers en mon­naie fonctionnelle et dans les états financiers en francs suisses.

3. décision du 15 févriEr 2011 du coMité dE la conférEncE suissE dEs iMpôts (csi)Le Comité de la Conférence suisse des impôts qui représente l’Union des autorités fiscales suisses a approuvé, en date du 15 février 2011, une analyse [22] de l’arrêt du Tribunal fédéral du 1er octobre 2009 portant sur le traitement fiscal des écarts de conversion résultant du passage de la monnaie fonction­nelle à la monnaie de présentation (écart de conversion).

Le comité de la CSI rappelle que, selon l’arrêt précité, les fonds propres sont convertis au cours de clôture à la date du bilan. Les produits et les charges doivent être convertis au cours de change en vigueur aux dates des transactions.

Ainsi, selon le comité de la CSI, les produits et les charges sont convertis au taux moyen annuel (en principe équivalent au cours de change en vigueur aux dates des transactions) qui reflète la réalisation des transactions tout au long de l’exercice commercial. Au moment de la présentation du bilan à la date de clôture, le bénéfice annuel est intégré aux capitaux propres. Dans les comptes, le bénéfice de l’exercice est indiqué en francs suisses au taux de change moyen utilisé pour la conversion du compte de résultat. Afin de le ramener au montant en francs suisses correspondant au résultat converti au taux de clôture (bilan), il convient de tenir compte d’un écart de conversion sur le bénéfice qui ressort du compte de résultat.

Il est clair que si, par simplification, on convertissait im­médiatement le bénéfice de l’exercice exprimé en monnaie fonctionnelle au taux de clôture au lieu du taux moyen, le montant identifié comme écart de conversion sur le résultat serait réparti sur l’ensemble des postes du compte de profits et pertes. Le bénéfice en francs suisses ainsi déterminé (bilan et compte de résultat) correspondrait exactement au béné­fice (converti au taux moyen) tel qu’il ressort de la compta­bilité de la société après déduction de l’écart de conversion. L’écart de conversion sur le résultat permet donc de présen­ter le bénéfice de l’exercice en francs suisses avec un taux de clôture identique au reste des fonds propres.

Finalement, le bénéfice net en francs suisses qui découle de l’application de la méthode de conversion retenue par le co­mité de la CSI est identique au bénéfice net ressortant des comptes statutaires suisses. Cette constatation se vérifie aussi bien dans les cas où (1) les comptes statutaires suisses re­tiennent la méthode de conversion des fonds propres au taux de clôture et du résultat au taux moyen que dans les cas où (2) les fonds propres sont convertis au taux historique et le ré­sultat au taux moyen.

Ainsi, l’identification des écarts de conversion soit dans la monnaie fonctionnelle, soit en francs suisses, est unique­ment une question de présentation différente des comptes.

Le seul fait pertinent est que le bénéfice net est identique quelle que soit la méthode de conversion utilisée.

Contrairement à l’affirmation du TF en 2009 [23], un écart de conversion n’apparaît pas seulement dans les comptes présentés en francs suisses mais également dans les états fi­nanciers en monnaie fonctionnelle. Sa comptabilisation dé­pend directement de la méthode de conversion choisie par la société. Si les fonds propres sont convertis au taux de clôture,

«Toute la problématique des écarts de conversion se résume donc dans une compréhension correcte de la véritable nature écono- mique des écarts de conversion.»

«Le bénéfice net en francs suisses qui découle de l’application de la méthode de conversion retenue par le comité de la CSI est identique au bénéfice net ressortant des comptes statutaires suisses.»

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l’écart de conversion sur les postes du bilan apparaîtra dans les comptes en monnaie fonctionnelle (puis après conver­sion dans les comptes en francs suisses) alors qu’il sera comptabilisé uniquement dans les comptes en francs suisses lorsque les fonds propres sont convertis au taux historique.

Cette constatation prouve qu’un écart de conversion n’est pas une simple écriture comptable mais qu’il reflète une plus­value ou une moins­value sur la fortune de la société

suisse. Par conséquent, les pertes de conversion doivent être prises en considération dans la détermination du bénéfice et du capital imposables afin d’évaluer correctement la ca­pacité contributive des contribuables suisses. Ainsi, seuls les comptes statutaires suisses approuvés par les organes compétents de la société suisse sont déterminants pour éva­luer le bénéfice et le capital imposables de la société suisse.

4. conclusionÀ notre avis, le bénéfice imposable doit tenir compte des écarts de conversion car ceux­ci ne résultent pas de simples écritures comptables mais font partie du résultat réelle­ment obtenu par l’entreprise. Ils représentent des plus­va­lues ou des moins­values réelles qui se répercutent sur la for­tune de la société, donc sur son bénéfice imposable, et in­fluencent la capacité contributive de la société.

L’arrêt de 1954 reconnaît la réelle nature économique des écarts de conversion et leur influence sur la capacité contri­butive de la société suisse.

Mais pourquoi en 2009 les juges du TF n’ont­ils pas com­menté l’arrêt de 1954? En tout état de cause, dans ces circons­tances, on peut relever toute l’importance que revêt un sys­tème d’information performant, un archivage électronique et un moteur de recherche qui permettent de retrouver l’intégralité des arrêts, même les plus anciens, traitant d’une même problématique. Ceci dans le but d’assurer la sé­curité du droit et des revirements de jurisprudence commen­tés et justifiés. n

Notes: 1) «Traitement comptable et fiscal des écarts de conversion», Marie­Hélène Revaz et Cé­dric Bignens, dans: l’Expert­comptable suisse 10/6–7, 2010, pp. 418 s. 2) 2C_897/2008. 3) «Traite­ment fiscal des écarts de conversion», Marie­Hé­lène Revaz et Alessia Schmid, dans: l’Expert­comp­table suisse 11/6–7, 2011, pp. 530 s. 4) Archives 23, 89. 5) Analyse relative à l’arrêt du Tribunal fédé­ral du 1er octobre 2009 (2C_897/2008) approuvée par le Comité de la Conférence suisse des impôts en séance du 15 février 2011. 6) Archives 23, 89.

7) 2C_897/2008. 8) Archives 23, 89, p. 94 ss. 9) 2C_897/2008, partie en faits, A. 10) 2C_897/ 2008, consid. en droit 3.1. 11) Archives 23, 89, p. 94. 12) 2C_897/2008,consid. en droit 4.1. 13) Ar­chives 23, 89, p. 94. 14) 2C_897/2008, consid. en droit 4.2. 15) Archives 23, 89, p. 94. 16) 2C_897/ 2008, consid. en droit 5.2. 17) 2C_897/2008, consid. en droit 3.4. 18) 2C_897/2008, consid. en droit 6. 19) Notice sur les conséquences fiscales du changement de parité des monnaies, Administra­tion fédérale des contributions, 18 avril 1972.

20) «Commentaire IDN: (Impôt pour la défense nationale)», Heinz Masshardt, éd. française par François Gendre, éd Payot, Lausanne 1980, p. 276. 21) «La jurisprudence fiscale du Tribunal fédéral en 2009», Robert Danon, éd. Tribunal cantonal (NE), Recueil de jurisprudence neuchâteloise, p. 41, 58. 22) Analyse relative à l’arrêt du Tribunal fédéral du 1er octobre 2009 (2C_897/2008) approu­vée par le Comité de la Conférence suisse des im­pôts en séance du 15 février 2011. 23) 2C_897/2008, consid. en droit 5.2.

«Mais pourquoi en 2009 les juges du TF n’ont-ils pas commenté l’arrêt de 1954?»