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Psychiatrie Neurologie Gériatrie 30 Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 7 / Avril 2007. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Dossier Cardiologie du sujet âgé Traitement de l’hypertension artérielle chez la personne âgée O. Hanon Service de Gériatrie, Hôpital Broca, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris. Correspondance : O. Hanon, adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Résumé Summary L’hypertension artérielle (HTA) concerne 70 % des patients de plus de 65 ans. Si l’intérêt de sa prise en charge est longtemps resté contro- versé chez la personne âgée, plusieurs études récentes indiquent une réduction des acci- dents vasculaires cérébraux grâce au traite- ment antihypertenseur même après 80 ans. Pourtant, les données actuelles soulignent que seuls 30 % des hypertendus âgés ont une pression artérielle bien contrôlée. Les raisons de ce mauvais contrôle tensionnel s’expliquent par la difficulté du diagnostic d’HTA permanente chez les personnes âgées ainsi que par la réticence des médecins à traiter l’HTA et à renforcer le traitement comme il se doit, en raison du risque d’accidents iatrogènes. En effet, chez le patient âgé l’évaluation du vrai niveau tensionnel est difficile à apprécier en rai- son d’une variabilité tensionnelle accrue res- ponsable d’un effet « blouse blanche » plus fré- quent (25 à 40 % des cas). Dans ce cadre, l’utilisation de méthodes de mesure ambula- toire de la pression artérielle est recommandée afin de détecter les « faux hypertendus » chez qui le traitement antihypertenseur risque d’être préjudiciable. Le traitement antihypertenseur fait appel aux principales classes thérapeuti- ques, avec une préférence pour les diurétiques thiazidiques à faible dose ou les antagonistes calciques, en dehors d’indications spécifiques ou formelles. L’objectif thérapeutique à attein- dre est une PAS/PAD < 140/90 mmHg entre 60 et 80 ans et une PAS < 150 mmHg après 80 ans, Treatment of hypertension in elderly people The incidence of hypertension increases with age and approximately 70% of persons after 65 years have hypertension. During several years, the interest of the treatment of hyper- tension in very elderly people has been much debated. Recent studies justify antihyperten- sive therapy even in subjects over 80 years old, mainly because of a beneficial effect in stroke prevention. The use of ambulatory blood pressure measure- ment methods (home blood pressure measure- ments or 24 hours ambulatory blood pressure measurements) must be encouraged because the frequency of “white coat” effect increases with aging. It is important to identify patients with sustained hypertension who need antihy- pertensive drugs and patients with white coat effect where treatment is not justified and could be dangerous because of the risk of hypotension. The objective of the antihypertensive treatment is to decrease SBP/DBP under 140/90 mmHg between 60 and 80 years, and SBP under 150 mmHg over 80 years old without orthostatic hypotension. All classes of antihypertensive drugs can be used, with a preference for the utili- zation of thiazide diuretics or calcium channel blockers in lack of specific indications due to con- comitant diseases. Usually, in very elderly peo- ple, the antihypertensive treatment does not include more than 3 antihypertensive drugs at optimal dosage (including a thiazide diuretic).

Traitement de l’hypertension artérielle chez la personne âgée

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/ Année 7 / Avril 2007. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Dossier Cardiologie du sujet âgé

Traitement de l’hypertension artérielle chez la personne âgée

O. Hanon

Service de Gériatrie, Hôpital Broca, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris.

Correspondance : O. Hanon, adresse ci-dessus. E-mail : [email protected]

Résumé Summary

L’hypertension artérielle (HTA) concerne 70 %des patients de plus de 65 ans. Si l’intérêt de saprise en charge est longtemps resté contro-versé chez la personne âgée, plusieurs étudesrécentes indiquent une réduction des acci-dents vasculaires cérébraux grâce au traite-ment antihypertenseur même après 80 ans.Pourtant, les données actuelles soulignentque seuls 30 % des hypertendus âgés ont unepression artérielle bien contrôlée.Les raisons de ce mauvais contrôle tensionnels’expliquent par la difficulté du diagnosticd’HTA permanente chez les personnes âgéesainsi que par la réticence des médecins à traiterl’HTA et à renforcer le traitement comme il sedoit, en raison du risque d’accidents iatrogènes.En effet, chez le patient âgé l’évaluation du vrainiveau tensionnel est difficile à apprécier en rai-son d’une variabilité tensionnelle accrue res-ponsable d’un effet « blouse blanche » plus fré-quent (25 à 40 % des cas). Dans ce cadre,l’utilisation de méthodes de mesure ambula-toire de la pression artérielle est recommandéeafin de détecter les « faux hypertendus » chezqui le traitement antihypertenseur risque d’êtrepréjudiciable. Le traitement antihypertenseurfait appel aux principales classes thérapeuti-ques, avec une préférence pour les diurétiquesthiazidiques à faible dose ou les antagonistescalciques, en dehors d’indications spécifiquesou formelles. L’objectif thérapeutique à attein-dre est une PAS/PAD < 140/90 mmHg entre 60et 80 ans et une PAS < 150 mmHg après 80 ans,

Treatment of hypertension in elderly people

The incidence of hypertension increases withage and approximately 70% of persons after65 years have hypertension. During severalyears, the interest of the treatment of hyper-tension in very elderly people has been muchdebated. Recent studies justify antihyperten-sive therapy even in subjects over 80 yearsold, mainly because of a beneficial effect instroke prevention.The use of ambulatory blood pressure measure-ment methods (home blood pressure measure-ments or 24 hours ambulatory blood pressuremeasurements) must be encouraged becausethe frequency of “white coat” effect increaseswith aging. It is important to identify patientswith sustained hypertension who need antihy-pertensive drugs and patients with white coateffect where treatment is not justified and couldbe dangerous because of the risk of hypotension.The objective of the antihypertensive treatmentis to decrease SBP/DBP under 140/90 mmHgbetween 60 and 80 years, and SBP under150 mmHg over 80 years old without orthostatichypotension. All classes of antihypertensivedrugs can be used, with a preference for the utili-zation of thiazide diuretics or calcium channelblockers in lack of specific indications due to con-comitant diseases. Usually, in very elderly peo-ple, the antihypertensive treatment does notinclude more than 3 antihypertensive drugs atoptimal dosage (including a thiazide diuretic).

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Introduction

La prévalence de l’hypertension artérielle (HTA) augmente avecl’âge et atteint plus de 70 % après 65 ans (1). En outre, une per-sonne non hypertendue à 65 ans, présente un risque de 90 % dedévelopper une hypertension durant le reste de son existence(2). Si l’intérêt de la prise en charge de l’HTA de la personne trèsâgée est longtemps resté controversé, plusieurs études récen-tes indiquent un effet bénéfique du traitement antihyperten-seur même après 80 ans, justifiant ainsi une intervention théra-peutique. Pourtant, toutes les études épidémiologiquessoulignent un contrôle tensionnel insuffisant chez les hyper-tendus âgés. Ainsi, en France, un contrôle tensionnel satisfai-sant (PA < 140/90 mmHg) n’est observé que chez seulement30 % des hypertendus de plus de 65 ans (étude 3C) (1). Les rai-sons de ce mauvais contrôle tensionnel s’expliquent par un dia-gnostic plus difficile à faire, l’utilisation de stratégies thérapeu-tiques parfois non optimales et surtout la réticence desmédecins à traiter l’HTA et à renforcer le traitement comme il sedoit, en raison du risque d’accidents iatrogènes.

L’HTA reste un facteur de risque vasculaire, même chez le sujet très âgé

Chez les sujets âgés, les maladies cardiovasculaires représen-tent la première cause de mortalité et entraînent une perted’autonomie importante du fait de leur morbidité. Les donnéesd’une méta-analyse (3) portant sur un million d’individus ontainsi montré que, quel que soit l’âge, même après 80 ans, l’HTAreste un important facteur de risque de mortalité cardiovascu-laire. Les résultats indiquent qu’à tout âge (de 40 à 89 ans), ilexiste une relation linéaire forte entre le niveau de pression

artérielle et le risque de mortalité d’origine cardiovasculaire. Enoutre, même dans les tranches d’âges les plus élevées (80-89 ans), une pression artérielle élevée s’accompagne d’un ris-que significativement augmenté de mortalité par accident vas-culaire cérébral (AVC) et/ou par coronaropathie. Il est aussiretrouvé que même après 80 ans, une baisse de 20 mmHg de laPAS s’accompagne d’une réduction significative de 33 % du ris-que de mortalité cardiovasculaire.De même, le suivi pendant 6 ans de 5 296 sujets de l’étude deFramingham (4) indique une très nette augmentation du risqueabsolu d’événement cardiovasculaire avec l’âge. À partir de80 ans, ce risque passe de 8 % chez un sujet normotendu à 25 %en cas d’HTA modérée. À l’inverse, chez une personne de moinsde 60 ans, le risque passe seulement de 0,7 % à 3 %

(figure 1)

,

sachant qu’une baisse de 20 à 30 mmHg par rap-port à la PAS initiale représente déjà un bénéficesignificatif en terme de morbi-mortalité. Ainsi leplus souvent, le traitement antihypertenseurchez le sujet âgé ne doit pas comprendre plus de3 antihypertenseurs associés à dosage optimal(dont un diurétique thiazidique).

Mots-clés Key words

Hypertension, sujet âgé, traitement hyperten-seur.

Hypertension, elderly people, antihyperten-sive treatment.

Hanon O. NPG 2007 ; 7 (38) : 30-37.

Figure 1 :  Risque absolu d’événements cardiovasculaires, à 6 ans, selonl’âge et les chiffres tensionnels (étude de Framingham).

0

5

10

15

20

25

<60 ans 60 - 79 ans > 80 ans

PA normale HTA stade 1 HTA stade 2

% d’événements cardiovasculaires majeurs

_ _

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soulignant un risque absolu beaucoup plus élevé chez l’hyper-tendu âgé que chez l’hypertendu jeune. Exprimés en « nombrede patients à traiter », les résultats de l’étude SHEP permettentde calculer que pour prévenir un AVC avec le traitement antihy-pertenseur, il faut traiter 17 hypertendus de plus de 80 ans pen-dant 5 ans, alors qu’il est nécessaire d’en traiter 83 de 65 ans et152 de 50 ans pour obtenir le même bénéfice.Ainsi, lorsque l’on traite un hypertendu âgé, le bénéfice à courtterme de l’action thérapeutique est beaucoup plus probableque chez un hypertendu de cinquante ans chez qui le bénéficedu traitement n’est à envisager qu’à moyen ou long terme.L’ensemble de ces données conduit à considérer l’élévation ten-sionnelle du sujet très âgé comme un facteur de risque cardio-vasculaire à part entière.

Difficultés du diagnostic d’hypertension artérielle chez le sujet âgé

Définition

La définition de l’hypertension artérielle en fonction de l’âge estaujourd’hui abandonnée au profit d’une définition homogènequi considère un sujet adulte hypertendu si sa pression arté-rielle est supérieure ou égale à 140/90 mmHg, quel que soit sonâge (5).

Dépister l’hypotension orthostatique

La recherche d’une hypotension orthostatique doit être systé-matique chez le patient âgé. Elle se définit par une diminutionde 20 mmHg de la PAS après 1 et 3 minutes d’orthostatisme. Safréquence est inférieure à 5 % avant 65 ans, mais elle atteint 15à 30 % au-delà de 75 ans. Il a été démontré que l’hypotensionorthostatique est un facteur prédictif indépendant significatifde la mortalité globale chez le sujet âgé. En cas d’hypotensionorthostatique, le rapport bénéfice/risque se trouve ainsi inverséet le traitement antihypertenseur risque de devenir délétère.Dans ce cadre, il faut savoir modifier les thérapeutiques, enchangeant, en diminuant ou parfois en arrêtant les traitementsantihypertenseurs afin de lutter contre ce phénomène. Les don-nées épidémiologiques indiquent pourtant que, en France, seulun médecin sur deux recherche effectivement une hypotensionorthostatique chez le sujet âgé (6).

Dépister l’« effet blouse blanche »

Le vieillissement s’accompagne d’une diminution de la sensibi-lité du baroréflexe et d’une altération du fonctionnement dusystème sympathique avec pour conséquence une importanteaugmentation de la variabilité de la pression artérielle. Ainsi,une différence de 35 mmHg de PAS et/ou 17 mmHg de PAD

entre deux consultations peut être uniquement liée à la variabi-lité de la mesure. Cela rend difficile l’évaluation du niveau ten-sionnel à la consultation et peut conduire à porter à tort le dia-gnostic d’hypertension artérielle chez le sujet âgé (« effetblouse blanche »). Ainsi, la fréquence de l’« effet blouseblanche » apparaît majorée chez le sujet âgé. Les données del’étude SYST-EUR (7), réalisée chez des hypertendus de plus de60 ans, indiquent un « effet blouse blanche » chez 25 % despatients. Dans des populations plus âgées (> 75 ans) la fré-quence de l’« effet blouse blanche » peut atteindre 40 % des cas(8).La littérature médicale récente a montré l’intérêt diagnostiqueet pronostique de la mesure ambulatoire, en particulier del’automesure chez la personne âgée. Cette méthode de mesurepossède en effet une valeur prédictive supérieure à la mesurede consultation et permet de corriger les erreurs diagnostiquespar excès (HTA « blouse blanche »). Dans l’étude SYST-EUR (7), lebénéfice du traitement antihypertenseur sur la prévention desAVC et des événements cardiovasculaires n’est observé quechez les « vrais hypertendus » alors qu’aucun bénéfice n’estretrouvé chez les sujets avec un « effet blouse blanche ». Demême dans l’étude SHEAF (9), menée chez 4 939 hypertendusâgés en moyenne de 70 ans suivis pendant 3 ans, le risque desurvenue de complications cardiovasculaires était similairechez les normotendus et les patients avec un « effet blouseblanche ». Dans ces deux travaux, les valeurs de pression arté-rielle mesurées en dehors de la consultation étaient significati-vement plus prédictives du risque de morbi-mortalité cardio-vasculaire que celles obtenues en consultation.Il existe donc aujourd’hui des preuves solides pour dire que laprise en charge des hypertendus âgés doit utiliser des techniquesde mesures ambulatoires en dehors du cabinet médical (mesureambulatoire sur 24 heures ou automesure) car la simple mesurede pression artérielle en consultation ne permet pas de différen-cier les « vrais hypertendus » des sujets avec un « effet blouseblanche ». Ce dépistage paraît pourtant important car la pres-cription du traitement antihypertenseur ne sera pertinente quechez les « vrais hypertendus » dont la pression artérielle reste éle-vée en dehors de la consultation. À l’inverse, la prescription d’unantihypertenseur en présence d’un « effet blouse blanche »expose aux risques de iatrogénie, en particulier d’hypotension etde chutes dont les conséquences sont souvent dramatiques chezle sujet âgé. Dans ce cadre, les nouvelles recommandations fran-çaises (10) soulignent : «

Il est recommandé de mesurer la pressionartérielle en dehors du cabinet médical (automesure tensionnelleou MAPA), afin de s’assurer de la permanence de l’HTA et pourrechercher une « HTA blouse blanche », avant de débuter un traite-ment antihypertenseur médicamenteux chez le sujet âgé dont lavariabilité tensionnelle est augmentée et chez qui la fréquence del’effet blouse blanche est importante ».

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Le protocole recommandé pour l’automesure tensionnelle sefait selon « la règle des 3 » (Haute Autorité de Santé (HAS),2005) :– sujet en position assise devant une table ;– 3 mesures le matin dans l’heure qui suit le lever,– 3 mesures le soir dans l’heure qui précède le coucher,– au moins 3 jours consécutifs ;– les chiffres tensionnels obtenus pendant cette période sontnotés sur un relevé de mesure

(figure 2)

.On retient comme valeur normale : PAS/PAD < 135/85 mmHg(chiffres moyens de pression artérielle sur cette période).L’automesure représente un acte médical qui nécessite l’éduca-tion du patient. Il est préférable que ce soit le médecin lui-même qui prête l’appareil d’automesure (après s’être équipéd’un lot de quatre ou cinq) afin de « médicaliser » la mesure. Enresponsabilisant le patient et en lui offrant la possibilité d’uneimplication personnelle dans sa maladie, elle permet aussid’améliorer l’observance thérapeutique.Lorsque l’automesure tensionnelle n’apparaît pas réalisablechez des sujets très âgés polypathologiques qui présentent destroubles cognitifs, des troubles de la vue ou des déficits neuro-logiques, une mesure ambulatoire de la pression artérielle(MAPA) ou des mesures tensionnelles à domicile effectuées parl’accompagnant (ou par une infirmière) selon le même schémaque celui de l’automesure (« règle des 3 ») peuvent être propo-sées (« automesure aidée ») (11).

Le Comité Français de Lutte contre l’HTA a édité un livret pourles patients hypertendus leur permettant de mieux utilisercette méthode en mesurant leur PA sur 3 jours (3 mesures lematin, 3 mesures le soir) = « règle des 3 » (cf. : http://www.comitehta.org/).Cette utilisation des mesures de la pression artérielle à domicileconstitue une importante aide au diagnostic et aux décisionsthérapeutiques. Une meilleure connaissance du niveau ten-sionnel réel du patient permet ainsi d’optimiser la prescription :– un plus grand nombre de « vrais hypertendus » traités jusqu’àl’objectif tensionnel,– un moins grand nombre de « faux hypertendus » traités(c’est-à-dire ceux avec un « effet blouse blanche », donc moinsde risque iatrogène).Elle devrait ainsi permettre d’améliorer la prise en charge del’hypertendu âgé, en luttant à la fois contre les sous-prescrip-tions et les sur-prescriptions de médicaments antihyperten-seurs.

Traitement de l’hypertendu âgé

Intérêt du traitement antihypertenseur chez le sujet âgé

Dans les années 70, l’élévation de la pression artérielle avec l’âgeétait considérée comme un « effet physiologique » du vieillisse-ment, parfois perçu comme souhaitable pour le maintien des

Figure 2 :  Livret pour les patients hypertendus édité par le Comité Français de Lutte contre l’HTA.

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débits viscéraux. Depuis 1985, plusieurs essais contre placebo ontdémontré que le traitement antihypertenseur permet une dimi-nution des principales complications cardiovasculaires liées àl’HTA chez les sujets de plus de 60 ans. Ces travaux indiquent, deplus, un effet préventif du traitement antihypertenseur sur le ris-que de déclin cognitif et de démences (maladie d’Alzheimer oudémences vasculaires) (12). Enfin, des études récentes soulignentle bénéfice du traitement antihypertenseur après 80 ans. Dansl’étude SCOPE, menée chez 4 964 patients hypertendus âgés de70 à 89 ans, le traitement antihypertenseur permet de réduire lerisque d’AVC au moins jusqu’à l’âge de 89 ans (13). Une méta-analyse (14) montre que la baisse tensionnelle obtenue par lesmédicaments chez les hypertendus de plus de 80 ans permet dediminuer les complications cardiovasculaires non mortelles (AVCet insuffisance cardiaque). En revanche, aucun effet sur la morta-lité totale n’est observé, celle-ci étant même légèrement aug-mentée mais de façon non significative + 6 % (IC 95 % : de – 5 à+ 18)

(tableau I)

. L’étude « HYVET pilote » (15), menée chez1 283 hypertendus âgés de plus de 80 ans, va dans le même senset indique une réduction significative de 53 % des AVC dans legroupe traitement (

versus

pas de traitement) au terme d’un suivide 13 mois. En résumé, tous ces éléments soulignent que la baissetensionnelle obtenue par le traitement antihypertenseur dessujets de plus de 80 ans permet de diminuer la morbidité liée auxprincipales complications de l’hypertension que sont l’AVC etl’insuffisance cardiaque, sans toutefois diminuer la mortalité.

Objectif thérapeutique

L’objectif théorique du traitement chez l’hypertendu âgé estd’obtenir une PAS/PAD < 140/90 mmHg sans hypotensionorthostatique. Toutefois, cet objectif dépend aussi du niveauinitial de la pression artérielle, chez le sujet très âgé, une dimi-nution de 20 à 30 mmHg par rapport à la PAS initiale est déjà unrésultat satisfaisant. En pratique, au-delà de 80 ans, l’objectifthérapeutique est d’atteindre une PAS < 150 mmHg.

La mise en oeuvre du traitement antihypertenseur obéit auxrecommandations générales, mais elle doit néanmoins êtreparticulièrement progressive, notamment chez les individusfragiles. Le plus souvent deux médicaments seront nécessairespour contrôler les chiffres tensionnels. Une règle à respecterchez l’hypertendu âgé est de ne pas dépasser la prescription deplus de trois antihypertenseurs (dont un diurétique thiazidique)et de se contenter de la baisse tensionnelle obtenue avec cesthérapeutiques. Plusieurs combinaisons successives doiventêtre évaluées afin de trouver la plus efficace et la mieux toléréeen associant des médicaments de classes pharmacologiquesdifférentes.

Traitement non médicamenteux

Le traitement non médicamenteux a fait la preuve de son effi-cacité chez le sujet jeune. Toutefois, chez la personne âgée outrès âgée (> 80 ans), il est souvent difficile à mettre en œuvre.En particulier, le régime désodé n’est pas à proposer en raisondu risque de régime désodé « trop bien suivi » et de ses compli-cations (déshydratation ou dénutrition). Dans ce sens, les nou-velles recommandations de la Haute Autorité de Santéindiquent :

« chez le sujet très âgé (> 80 ans), il est recommandéde ne pas proposer de restriction sodée ».

Choix du traitement antihypertenseur

Le choix du traitement médicamenteux doit être adapté à lasituation clinique de chaque patient en tenant compte despathologies associées et des polymédications particulièrementfréquentes chez le sujet âgé

(tableau II)

. Tous les médicamentsdes familles suivantes peuvent être utilisés (diurétique thiazidi-que, antagoniste calcique, inhibiteurs de l’enzyme de conver-sion (IEC), antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2(ARA2), bêta-bloquant). Les diurétiques de l’anse (Lasilix®) nesont pas recommandés dans le traitement de l’HTA du sujetâgé, en dehors de la présence d’une insuffisance cardiaque oud’une insuffisance rénale très sévère.

Stratégies thérapeutiques

En cas d’HTA non compliquée, l’adaptation thérapeutique peutse faire selon la stratégie dite « des paniers thérapeutiques »

(figure 3)

, basée sur le principe que, pour un même sujet,l’action antihypertensive est comparable entre les médica-ments d’un même panier thérapeutique. Le premier paniercomporte les bêta-bloquants, les IEC et les ARA2 ; le second lesdiurétiques thiazidiques et les antagonistes calciques.Chez le patient âgé, il est recommandé (Recommandations HAS,2005) (10) de commencer par un médicament du panier 2 (diuré-

Tableau I : Bénéfices du traitement de l’HTA chez lesujet âgé de plus de 80 ans (14).

Événements Risque relatif p

Accident vasculaire cérébral

– 34 % 0,01

Insuffisance cardiaque

– 39 % 0,01

Événements cardio-vasculaires majeurs

– 22 % 0,01

Mortalité cardiovasculaire

+ 1 % 0,93

Mortalité totale + 6 % 0,30

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tique thiazidique ou inhibiteur calcique) pour lesquels il existe unplus grand nombre de données de morbi-mortalité après 60 anset qui apparaissent plus efficaces sur la baisse de la pression sys-tolique à cet âge (16). La probabilité de contrôler un patient âgéhypertendu avec une monothérapie est environs de 30 à 40 %.En cas d’échec de la monothérapie, on passera à une bithérapieen ajoutant au médicament initial un médicament de l’autrepanier (panier 1). L’association des deux médicaments dupanier 2 (c’est-à-dire la combinaison diurétique + inhibiteurcalcique) est aussi possible : peu efficace chez les adultes jeu-nes, elle est intéressante ici car elle met en présence les deuxclasses les plus efficaces chez les personnes âgées. En général,la bithérapie permet de contrôler près de 70 % des patients.Enfin, en cas de résistance à une bithérapie, on envisage une tri-thérapie qui comprend en règle : un médicament du panier 1associé aux deux médicaments du panier 2.

Attention aux associations dangereuses

Certaines associations exposent à un risque augmenté d’effetindésirable chez la personne âgée et sont contre-indiquées :

Hyperkaliémie

: IEC + ARA 2, IEC ou ARA 2 + spironolactone–

Bradycardie

: bêta bloquant + vérapamil (ou diltiazem),–

Hypotension orthostatique

: alpha bloquant + antagonistecalcique.

Surveillance de l’hypertendu âgé

Rechercher des effets indésirables du traitement

La recherche d’une hypotension orthostatique doit être systé-matique lors du suivi thérapeutique de l’hypertendu âgé. Uneattention toute particulière doit être prêtée au risque rénal,notamment en cas de prescription de médicaments à poten-tiel néphrotoxique et de polymédication. La surveillance duionogramme, de la créatinine sanguine et de sa clairance estparticulièrement importante, notamment en cas de prescrip-tion de diurétiques ou de bloqueurs du système rénine-angio-tensine.Si l’utilisation des diurétiques en première intention est large-ment justifiée dans le traitement de l’hypertension du sujet

Tableau II : Choix du traitement antihypertenseur selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS),2005 (10).

Indications spécifiques Classes thérapeutiques préférentielles

Sujet âgé, hypertension systolique Diurétique thiazidique

Inhibiteur calcique dihydropiridine longue durée d’action

Néphropathie diabétique (type 1) à partir du stade de micro-albuminurie

IEC ou ARA2

Diurétique thiazidique

Diurétique de l’anse (si insuffisance rénale sévère)

Néphropathie diabétique (type 2) à partir du stade de micro-albuminurie

ARA2 ou IEC

Diurétique thiazidique

Diurétique de l’anse (si insuffisance rénale sévère)

Cardiopathie post-IDM IEC

Bêta-bloquant

Maladie coronarienne Bêta-bloquant

Inhibiteur calcique de longue durée d’action

Insuffisance cardiaque systolique Diurétique thiazidique ou diurétique de l’anse

IEC (première intention) ou ARA2 (si intolérance IEC)

Bêta-bloquant

Anti-aldostérone (aux stades III et IV de la NYHA)

Hypertrophie ventriculaire gauche ARA2

Diurétique thiazidique

Antécédents d’accident vasculaire cérébral Diurétique thiazidique

Diurétique thiazidique et IEC

IDM : infarctus du myocarde ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; ARA 2 : antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2.

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âgé, les effets secondaires les plus à craindre lors de cette pres-cription sont :– l’hyponatrémie (risque majoré en cas de prise d’antidépres-seurs sérotoninergiques),– l’hypokaliémie (en particulier en cas de prise de laxatifs),– une insuffisance rénale (en particulier au cours d’un épisodede déshydratation).Une surveillance biologique systématique (tous les 3 à 6 mois)est justifiée pour favoriser la détection de ces anomalies, oulors de la survenue d’un épisode aigu (diarrhée, vomissement,infection ...). Des conseils doivent être donnés au patient ou àsa famille concernant l’arrêt transitoire du traitement diuréti-que pendant quelques jours (5 à 7 jours) en cas de risque dedéshydratation (diarrhée, vomissement, fièvre, grande cha-leur…).

Surveiller les fonctions cognitives

Chez le sujet âgé, l’HTA est étroitement corrélée à l’altérationdes fonctions cognitives et à la survenue des démences. Il appa-raît essentiel d’identifier, parmi les patients hypertendus, lessujets à risque de démence, c’est-à-dire ceux ayant déjà uneatteinte intellectuelle débutante, dans le but d’optimiser leurtraitement antihypertenseur et la prise en charge cognitive.Dans cette optique, les recommandations de l’HAS 2005 (10)indiquent :

« Une évaluation de la fonction cognitive est recom-mandée chez l’hypertendu de plus de 75 ans au moyen d’uneéchelle MMSE en raison du risque de survenue de démence et afind’évaluer le risque de mauvaise observance du traitement ».

Conclusion

L’HTA est très fréquente chez la personne âgée et reste insuffi-samment contrôlée. Pourtant, plusieurs données récentes justi-fient l’intervention thérapeutique même après 80 ans en raisond’un bénéfice du traitement antihypertenseur sur la préventiondes accidents vasculaires cérébraux. L’utilisation plus systémati-que des méthodes de mesure de la pression artérielle à domicile(automesure ou MAPA) devrait contribuer à une prescription plus« rassurante » des médicaments antihypertenseurs en différen-ciant clairement les « hypertensions blouses blanches » chez quile traitement antihypertenseur est préjudiciable, des « vraieshypertensions » chez qui le traitement est nécessaire. Les cinqprincipales classes thérapeutiques peuvent être utilisées, avecune préférence pour les diurétiques thiazidiques ou les antago-nistes calciques, en dehors d’indications spécifiques ou formel-les. Le plus souvent, deux médicaments seront nécessaires pourcontrôler les chiffres tensionnels. Une règle à respecter chezl’hypertendu âgé est de ne pas dépasser la prescription de plus detrois antihypertenseurs (dont un diurétique thiazidique).

Références

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Figure 3 :  Stratégie des paniers thérapeutiques chez le sujet âgé.

Si objectif tensionnel non atteint

1 + 2 ou 2 + 2

Si objectif tensionnel non atteint

1 + 2 + 2

2

1 = Panier 1

Bêta - bloquants Inhibiteurs de l’enzyme de conversion

Antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2

2 = Panier 2

Diurétiques thiazidiques Antagonistes calciques

Objectifs tensionnels

60 – 80 ans : PAS/PAD < 140/90 mmHg après 80 ans : PAS < 150 mmHg

absence d’hypotension orthostatique

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O. Hanon

Traitement de l’hypertension artérielle chez la personne âgée

Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie

/ Année 7 / Avril 2007. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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