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Médecine des maladies Métaboliques - Septembre 2014 - Vol. 8 - N°4 © 2014 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. Diabète et cancers Dossier thématique 372 Correspondance Dominique Simon Service de Diabétologie Bâtiment E3M Hôpital de la Pitié-Salpêtrière 43, boulevard de l’Hôpital 75651 Paris cedex 13 [email protected] D. Simon Service de diabétologie et Institut de cardiométabolisme et nutrition (ICAN), Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris ; INSERM CESP U-1018 EQ10, Villejuif. Résumé Les études concernant les liens entre diabète et traitement antidiabétique, d’une part, et cancer, d’autre part, se sont multipliées depuis quelques années, essentiellement à la suite de la mise en cause de l’insuline glargine (Lantus ® ) qui, d’après une étude allemande publiée en 2009 dans Diabetologia, augmenterait le risque de cancer. Il s’agissait d’une étude observationnelle avec de multiples problèmes méthodologiques qui auraient dû aboutir au rejet de l’article par l’éditeur d’une revue de niveau international. L’« affaire glargine » illustre à la fois le rôle des media dans la diffusion de fausses rumeurs, car la grande presse a diffusé en quelques heures à travers le monde entier cette informa- tion erronée, et la difficulté d’interprétation des études observationnelles, sources de nombreux biais potentiels. L’« affaire pioglitazone » se situe dans un autre registre. À partir du constat, assez bien documenté, d’une discrète augmentation, tout au moins chez l’homme, du risque de cancer de la vessie, pathologie rare, sous traitement par pioglitazone, ce médicament a été retiré du marché en France, sans prendre en compte le rapport bénéfice/risque du produit, qui semble largement favorable, y compris sur le plan du risque de cancer, en particulier pour le cancer du sein, pathologie fréquente. Cette décision n’a été appliquée qu’en France, et partiellement en Allemagne, sans doute à cause des diverses affaires de Santé Publique qui ont touché récemment notre pays et laissé des traces profondes dans l’esprit de nos dirigeants politiques et de nos Autorités de Santé, les conduisant à abuser du « principe de précaution ». Mots-clés : Diabète – traitement antidiabétique – cancer – insuline glargine – pioglitazone – épidémiologie – études observationnelles – méta-analyses. Summary Several studies on the link between diabetes and antidiabetic treatment on one hand and many cancer on the other hand have been conducted in the recent years, following the publication in Diabetologia in 2009 of a German study suggesting that insulin glargine (Lantus ® ) could be associated with a higher risk of cancer. The paper described an obser- vational study with a flawed methodology which should have been rejected by the Editor of an international journal. The “glargine affair” illustrates at the same time the role of the media who were able to widespread within a few hours, all around the world, this distort rumor, and the difficulty to correctly interpret observational studies which can be biased in multiple ways. The “pioglitazone affair” is quite different. Because of a probable weak causal association, at least in men, between pioglitazone use and bladder cancer risk, a rare disease, this drug has been withdrawn from the market in France, without any eva- luation of its benefit/risk ratio which appears quite favourable, including for all-sites cancer risk, and particularly for breast cancer, a frequent disease. This inappropriate decision has been applied only in France, and partially in Germany, probably because recent Public Health affairs in France led political leaders and Public Health Authorities to overuse the “Precaution Principle”. Key-words: Diabetes – antidiabetic treatment – cancer – insulin glargine – pioglitazone – epidemiology – observational studies – meta-analyses. Traitement du diabète et cancer : enquête à propos de deux controverses Antidiabetic drugs and cancer: Analysis of two controversies Dossier thématique 372

Traitement du diabète et cancer : enquête à propos de deux controverses

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Médecine des maladies Métaboliques - Septembre 2014 - Vol. 8 - N°4

© 2014 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Diabète et cancers

Dossier thématique372

Correspondance

Dominique SimonService de DiabétologieBâtiment E3MHôpital de la Pitié-Salpêtrière43, boulevard de l’Hôpital75651 Paris cedex [email protected]

D. SimonService de diabétologie et Institut de cardiométabolisme et nutrition (ICAN), Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris ; INSERM CESP U-1018 EQ10, Villejuif.

Résumé

Les études concernant les liens entre diabète et traitement antidiabétique, d’une part, et cancer, d’autre part, se sont multipliées depuis quelques années, essentiellement à la suite de la mise en cause de l’insuline glargine (Lantus®) qui, d’après une étude allemande publiée en 2009 dans Diabetologia, augmenterait le risque de cancer. Il s’agissait d’une étude observationnelle avec de multiples problèmes méthodologiques qui auraient dû aboutir au rejet de l’article par l’éditeur d’une revue de niveau international. L’« affaire glargine » illustre à la fois le rôle des media dans la diffusion de fausses rumeurs, car la grande presse a diffusé en quelques heures à travers le monde entier cette informa-tion erronée, et la difficulté d’interprétation des études observationnelles, sources de nombreux biais potentiels. L’« affaire pioglitazone » se situe dans un autre registre. À partir du constat, assez bien documenté, d’une discrète augmentation, tout au moins chez l’homme, du risque de cancer de la vessie, pathologie rare, sous traitement par pioglitazone, ce médicament a été retiré du marché en France, sans prendre en compte le rapport bénéfice/risque du produit, qui semble largement favorable, y compris sur le plan du risque de cancer, en particulier pour le cancer du sein, pathologie fréquente. Cette décision n’a été appliquée qu’en France, et partiellement en Allemagne, sans doute à cause des diverses affaires de Santé Publique qui ont touché récemment notre pays et laissé des traces profondes dans l’esprit de nos dirigeants politiques et de nos Autorités de Santé, les conduisant à abuser du « principe de précaution ».

Mots-clés : Diabète – traitement antidiabétique – cancer – insuline glargine – pioglitazone – épidémiologie – études observationnelles – méta-analyses.

SummarySeveral studies on the link between diabetes and antidiabetic treatment on one hand and many cancer on the other hand have been conducted in the recent years, following the publication in Diabetologia in 2009 of a German study suggesting that insulin glargine (Lantus®) could be associated with a higher risk of cancer. The paper described an obser-vational study with a flawed methodology which should have been rejected by the Editor of an international journal. The “glargine affair” illustrates at the same time the role of the media who were able to widespread within a few hours, all around the world, this distort rumor, and the difficulty to correctly interpret observational studies which can be biased in multiple ways. The “pioglitazone affair” is quite different. Because of a probable weak causal association, at least in men, between pioglitazone use and bladder cancer risk, a rare disease, this drug has been withdrawn from the market in France, without any eva-luation of its benefit/risk ratio which appears quite favourable, including for all-sites cancer risk, and particularly for breast cancer, a frequent disease. This inappropriate decision has been applied only in France, and partially in Germany, probably because recent Public Health affairs in France led political leaders and Public Health Authorities to overuse the “Precaution Principle”.

Key-words: Diabetes – antidiabetic treatment – cancer – insulin glargine – pioglitazone – epidemiology – observational studies – meta-analyses.

Traitement du diabète et cancer : enquête à propos de deux controversesAntidiabetic drugs and cancer: Analysis of two controversies

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373Traitement du diabète et cancer : enquête à propos de deux controverses

pour 100 patients-années et la dose moyenne d’insuline. On y observe des incidences annuelles de cancer et de décès nettement plus élevées sous insuline humaine, et sensiblement identiques entre les trois analogues de l’insuline, alors que les doses quo-tidiennes utilisées sont beaucoup plus faibles sous insuline glargine, en parti-culier par rapport à l’insuline humaine. Les auteurs ont alors choisi d’exprimer le risque de cancer et de décès pour différents niveaux de doses d’insuline, en utilisant de multiples modèles sta-tistiques pour prendre en compte les nombreuses différences existant entre les quatre groupes de traitement insu-linique. En prenant le traitement par insuline humaine comme référence, ils ont abouti aux résultats présentés tableau II pour le risque de cancer, et tableau III pour le risque de décès. On y voit l’absence de différence par rapport à l’insuline humaine pour l’asparte et pour la lispro, tant pour le risque de cancer que pour le risque de décès, quelle que soit la dose utilisée. En revanche, avec la glargine, il y a une augmentation significative du risque de cancer pour les trois doses retenues (10, 20 et 50 U/j), atteignant 31 % avec 50 U/j, alors que pour le risque de décès, il est diminué de 24 %, significativement, avec 10 U/j, et augmenté de 20 %, significativement, avec 50 U/j. Aucune information n’était disponible sur les sites de cancer, et il n’était pas non plus précisé quelle était la proportion des différents types de dia-bète [1]. Dans l’éditorial accompagnant cet article, il est suggéré que, du fait de la courte durée du suivi, ces données incitent à penser que l’insuline glargine pourrait favoriser le développement de foyers malins pré-existants, mais pas induire des transformations malignes ou la formation de cancers de novo. Il y est précisé que l’article a été soumis à six experts qui, pour trois d’entre eux, ont proposé le rejet de l’article allemand, avec comme arguments principaux la faible plausibilité biologique avec un suivi aussi court, l’effet discordant et inexpliqué de la glargine sur la mortalité suivant la dose utilisée, l’absence de différence globale sur le risque de can-cer entre les quatre insulines en analyse brute sans ajustement, et l’impossibilité

diabète-hyperglycémie/cancer, passant, en particulier, par des mécanismes hor-monaux impliquant l’insulinorésistance avec l’hyperinsulinémie, et également les insulin-like growth factors (IGF) qui stimulent la prolifération cellulaire dans de nombreux organes, tels le foie, le pancréas, le colon, l’ovaire, le sein, expliquant les sites multiples pouvant être concernés par un risque accru de cancer dans le DT2 [6]. De plus, le rôle potentiel des modalités du traitement du DT2 dans la survenue d’un cancer avait également été souligné à partir d’études épidémiologiques portant sur de larges bases de données, au Canada et en Écosse, indiquant un risque accru de cancer sous insuline et sulfamides hypoglycémiants et, à l’inverse, une réduction du risque de cancer sous metformine, renforçant l’hypothèse du rôle de l’hyperinsulinémie [6]. Des essais cliniques randomisés visant à démontrer l’éventuel effet cancérigène des traite-ments du DT2 chez l’homme n’étant pas envisageables pour des raisons éthiques évidentes, il était raisonnable de mener d’autres grandes études prospectives afin de mieux préciser le lien éventuel entre le traitement du DT2 et le can-cer. C’est dans ce contexte que sont apparues les données publiées dans Diabetologia en 2009 [1, 3-5].L’étude de Hemkens et al. reposait sur la base de données de la plus grande compagnie d’assurance de santé alle-mande, recueillies entre janvier 1998 et juin 2005, permettant de repérer les patients sans cancer connu lors de la première prescription d’insuline durant cette période, traités uniquement par insuline humaine (neutral protamin hagedorn [NPH]) (n = 95 804), ou insu-line asparte (NovoRapid®) (n = 4 103), ou insuline lispro (Humalog®) (n = 3 269), ou insuline glargine (Lantus®) (n = 23 855). Ces 127 031 patients diabétiques ont été suivis, en moyenne, durant 1,63 ans (médiane = 1,41 ans ; durée maximale = 4,41 ans). Il y a eu, en tout, 5 009 cas de cancers incidents et 18 253 décès. Il a été observé une association posi-tive entre l’incidence des cancers et les doses d’insuline, quelle que soit l’insuline. Le tableau I indique, pour chaque type d’insuline utilisée seule, l’incidence brute de cancer et de décès

Introduction

Depuis bientôt 10 ans, le lien entre dia-bète et cancer fait l’objet de nombreuses controverses, essentiellement à cause de difficultés d’interprétation de beau-coup d’études, avec des problèmes méthodologiques et de nombreux biais. En effet, presque tous les travaux sur les relations entre diabète et cancer repo-sent sur des études observationnelles, difficiles à interpréter et ne permettant jamais de conclure en terme de causa-lité, et aussi sur quelques méta-analyses dont la fiabilité n’est pas toujours facile à évaluer. Nous allons illustrer les pro-blèmes rencontrés dans la conduite et l’analyse des études observationnelles et des méta-analyses à travers deux affaires qui ont contribué à alimenter la polémique sur le lien entre traitement antidiabétique et cancer.

L’affaire glargine

La publ icat ion, en 2009, dans Diabetologia, d’une étude allemande concluant à une augmentation du risque de cancer sous traitement par l’insuline glargine (Lantus®) [1] a large-ment contribué à médiatiser le thème de l’association diabète/cancer, d’au-tant que cet article était accompagné d’un éditorial signé par Edwin Gale, le rédacteur-en-chef de Diabetologia, et Ulf Smith, le Président de l’European asso-ciation for the study of diabetes (EASD) de l’époque [2], et de trois autres articles sur le traitement du diabète et le risque de cancer à partir de données tirées de registres en Suède [3], en Écosse [4] et en Angleterre [5]. Au préalable, il était bien établi qu’il existe un risque accru de cancer chez les patients atteints de diabète de type 2 (DT2), et également chez les sujets non diabétiques hyper-glycémiques, par rapport aux sujets non diabétiques ayant des valeurs gly-cémiques dans les valeurs basses de la normale, indépendamment de l’obésité et de l’activité physique. De plus, on savait déjà que la sphère digestive, en particulier le foie, le colon et le rectum, était la plus touchée par ce risque de cancer, et il existait des hypothèses phy-siopathologiques pour expliquer ce lien

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374 Dossier thématiqueDiabète et cancers

de tenir compte de l’indice de masse corporelle (IMC) dans l’analyse dose/réponse [2]. L’article a été reçu par Diabetologia en août 2008, et Edwin Gale, l’Éditeur-en-chef, a pris la décision de solliciter des analyses à partir de trois autres bases de données, ayant fait l’ob-jet des trois autres publications sur ce thème parues dans le même numéro de Diabetologia [3-5]. Nous ne les détaille-rons pas, pour nous concentrer sur les problèmes méthodologiques de l’étude allemande. Nous noterons simplement qu’il est très inhabituel qu’un éditeur d’une revue internationale sollicite des investigateurs dans l’espoir qu’ils lui fournissent des arguments pour justifier

la femme, un risque de décès toutes causes a été trouvé réduit significati-vement sous glargine, qu’elle ait été prescrite seule ou associée, avec un risque d’infarctus du myocarde égale-ment diminué sous glargine seule. Les auteurs concluent à l’absence de consis-tance de leurs résultats, et expliquent le surcroît de cancers du sein par des fluctuations dues au hasard, du fait des multiples comparaisons effectuées [3]. L’étude écossaise n’a mis en évidence aucune augmentation de l’incidence des cancers en comparant les deux sous-groupes traités par glargine et le groupe sans glargine, avec un hazard ratio (HR) = 1,02 [IC 95 % = 0,77 à 1,36], mais avec divergence entre les sous-groupes, celui sous glargine seule ayant un HR ajusté = 1,55 [IC 95 % = 1,01-2,37], tout juste significatif, alors que pour glargine asso-ciée à d’autres insulines, le HR ajusté = 0,81 [IC 95 % = 0,55 à 1,18]. La même divergence des résultats a été observée pour le cancer du sein, dont le nombre de cas était très réduit (81 cas sans glargine, 6 cas sous glargine seule et 5 cas sous glargine associée à une autre insuline) : HR = 1,49 [IC 95 % = 0,79 à 2,83] pour l’ensemble des sous-groupes « glargine », mais HR = 3,39 [IC 95 % = 1,46 à 7,85] pour glargine seule et HR = 0,87 [IC 95 % = 0,34 à 2,17] pour glar-gine associée à d’autres insulines, avec toujours « autre insuline que glargine » comme référence. De plus, l’analyse des patients nouvellement traités par insuline n’a mis en évidence aucune différence significative concernant le risque de can-cer en cas d’utilisation de glargine seule ou associée à une autre insuline. Les auteurs écossais concluent qu’aucune augmentation du risque de cancer, glo-balement et par sites, n’a été observée sous glargine sur 4 ans et considèrent que l’excès de cas de « cancers tous sites » et de cancer du sein dans le sous-groupe « glargine seule » reflète plus vraisemblablement un biais d’allocation (prescription) qu’un effet de l’insuline glargine elle-même [4]. Enfin l’étude anglaise, rétrospective, a comparé quatre groupes de traitement (metfor-mine seule, sulfamides hypoglycémiants [SH] seuls, association de metformine et SH, et passage des antidiabétiques oraux [ADO] à l’insuline, ce dernier

la publication d’une étude scientifique-ment contestable. Nous signalerons que l’étude suédoise a montré l’ab-sence d’augmentation significative du risque de cancer sous glargine seule ou associée à d’autres insulines par rapport aux autres insulines sans glargine, avec simplement, chez la femme, un risque significativement augmenté de cancer du sein sous glargine seule, avec un risque relatif (RR) ajusté à 1,97 [Intervalle de confiance à 95 %, IC 95 %) = 1,30 à 3,00], sans relation dose-effet, alors que l’augmentation du risque de cancer du sein n’est pas significative lorsque la glargine est associée à d’autres insulines. En revanche, toujours chez

Tableau I. Taux d’incidence brute de cancer et de décès (pour 100 patients-années) selon

l’insuline (ou l’analogue de l’insuline), et la dose quotidienne d’insuline (ou de l’analogue

de l’insuline).

Insuline Cancer DécèsDose quotidienne

d’insuline*

Humaine 2,50 9,24 43,8 ± 37,4

Asparte 2,16 5,75 38,9 ± 33,7

Lispro 2,13 6,91 36,2 ± 32,7

Glargine 2,14 6,30 25,9 ± 22,5

*moyenne ± déviation standard.

Tableau II. Hazard ratios* [intervalle de confiance à 95 %] pour le cancer selon l’analogue

de l’insuline et la dose quotidienne (insuline humaine comme référence).

10 U/j 30 U/j 50 U/j

Asparte1,00

[0,82-1,21]1,02

[0,85-1,22]1,04

[0,87-1,24]

Lispro0,99

[0,82-1,19]0,98

[0,83-1,16]0,98

[0,83-1,16]

Glargine1,09

[1,00-1,19]1,19

[1,10-1,30]1,31

[1,20-1,42]

* modèle de Cox avec ajustement sur toutes covariables et interactions.

Tableau III. Hazard ratios* [intervalle de confiance à 95 %] pour le décès suivant

l’analogue de l’insuline et la dose quotidienne (insuline humaine comme référence).

10 U/j 30 U/j 50 U/j

Asparte0,91

[0,77-1,06]0,90

[0,78-1,04]0,89

[0,78-1,02]

Lispro0,96

[0,84-1,09]0,95

[0,86-1,04]0,94

[0,86-1,04]

Glargine0,76

[0,70-0,83]0,96

[0,90-1,01]1,20

[1,11-1,30]

* modèle de Cox avec ajustement sur toutes covariables et interactions.

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d’autres insulines, même si cela n’est pas évident d’après les caractéristiques utilisées pour les ajustements multiples. Une différence, sur laquelle aucun ajus-tement n’a pu évidemment être effectué, pourrait, par exemple, correspondre à un cancer connu du médecin et non encore enregistré par la Caisse d’Assurance Maladie. Cela pourrait très simplement expliquer l’incidence plus élevée du can-cer observée sur une période de suivi aussi courte (1,63 ans en moyenne, avec une médiane de 1,41 ans). Effectivement, cette suggestion provoquante est très plausible du fait des procédures utilisées pour sélectionner « des patients adultes sans maladie maligne connue », car il est indiqué : « Nous avons considéré que les participants étaient indemnes de can-cer s’ils n’avaient pas reçu le diagnostic correspondant dans les 3 ans précédant l’inclusion dans l’étude » et « Nous avons exclu les participants pour lesquels il y avait la moindre suspicion de maladie maligne (c’est-à-dire les patients avec le code diagnostique ICD-10, Z03.1 de suspicion de néoplasie maligne) » [1]. Cela indique que seul le codage des dossiers d’hospitalisation a été utilisé comme source de repérage d’un cancer antérieur pour exclure un patient diabé-tique traité par insuline. Les données présentées dans l’article montraient que les patients traités par glargine avaient été moins souvent hospitalisés dans les 3 années précédentes (35,5 % avaient fait 1 or 2 séjours, et 16,2 % > 2 séjours hospitaliers versus 41,3 % et 23,4 %, respectivement pour les patients traités par insuline humaine ; p < 0,0001). Aussi, l’explication de toute cette histoire pour-rait-elle être qu’un certain nombre de diabétiques traités par glargine ont été inclus alors que leur médecin, mais pas la Caisse d’Assurance Maladie, savaient qu’ils avaient un cancer, ce qui expli-querait que l’objectif glycémique avait été fixé à un niveau plus élevé, et de moindres doses d’insuline utilisées. Par ailleurs, cette étude allemande comporte de nombreuses limitations, telles la non prise en compte du poids et de l’IMC, auxquels les besoins en insuline sont très liés, l’absence d’information sur le contrôle glycémique et sur le site des cancers apparus. Beaucoup d’autres critiques plus techniques ont également

A priori, on imaginerait qu’un contrôle glycémique identique a été obtenu dans les différents groupes de traitement insu-linique, en ayant utilisé des doses plus faibles pour la glargine, et que, dans ce cas, ajuster sur la dose d’insuline serait inapproprié. En fait, plusieurs essais cliniques randomisés, où les doses d’in-suline glargine et d’insuline NPH étaient adaptées pour atteindre des objectifs glycémiques identiques dans les diffé-rents groupes de traitement, n’ont pas montré de différence pour les doses d’insuline avec la glargine et l’insuline humaine : respectivement 68 ± 39 ver-sus 70 ± 42 Unités (p non significatif) dans la LANMET Study [12], et 32,1 ± 17,6 versus 32,8 ± 18,9 Unités (p non significatif) dans la LEAD Study [13] ; les doses étaient même plus élevées pour la glargine dans le Treat-to-target trial : 47,2 ± 24,9 versus 41,8 ± 25,6 Unités (p < 0,005) [14]. On peut donc supposer qu’un moins bon contrôle glycémique a été obtenu dans le groupe traité par glargine dans l’étude de Hemkens et al., comme cela était également le cas dans l’étude écossaise [4]. Dans ce cas, on peut se demander pour quelle raison l’objectif glycémique avait été fixé plus haut chez les patients traités par glar-gine ? Comme une association positive entre la durée d’exposition à l’hypergly-cémie et le risque de développer des complications microvasculaires est bien établi [6] et bien connu des médecins, l’explication la plus vraisemblable pour qu’un objectif glycémique moins ambi-tieux ait été fixé dans le groupe traité par glargine est que ces patients étaient considérés par leurs médecins comme ayant une plus courte espérance de vie par rapport aux patients traités par les autres types d’insuline. Ceci sug-gère un biais d’allocation dans l’étude de Hemkens et al., comme Colhoun admettait qu’il en existait sans doute un dans l’étude écossaise [5]. Comme les patients traités par glargine n’étaient pas plus âgés que ceux traités par insu-line humaine (69,5 ± 11,6 versus 69,6 ± 13,1 ans, respectivement), cela signi-fie probablement que les patients traités par glargine dans l’étude allemande étaient en moins bon état général, avec une moindre espérance de vie, que ceux auxquels ils avaient prescrit

groupe ayant ensuite été subdivisé, en particulier pour évaluer la glargine seule), et un groupe sans traitement pharmaco-logique. Les résultats ont montré un effet protecteur de la metformine vis-à-vis du cancer et, concernant les types d’insu-line, aucune différence pour le risque de cancer. Pour le cancer du sein, son risque était légèrement plus faible, non significativement, sous glargine seule par rapport à l’ensemble des autres insulines [5].Dès la publication online des cinq articles de Diabetologia, le 26 juin 2009, de nombreuses lettres ont sévèrement critiqué l’article allemand de Hemkens et al., ainsi que la gestion de l’article par Edwin Gale, le rédacteur-en-chef de Diabetologia [7-10]. En effet, il apparaît tout d’abord surprenant de renverser à un tel point les résultats d’une ana-lyse brute, significativement favorable à la glargine, indiquant, par rapport aux autres insulines, un effet protecteur vis-à-vis du cancer. Le recours à des ajustements n’est qu’un pis-aller pour tenter de remettre au même niveau des caractéristiques de départ connues pour avoir une influence sur la survenue des critères de jugement. De plus, lorsque l’on a de nombreuses interactions, multiplier les modèles statistiques pour essayer de réduire l’influence de ces fac-teurs de confusion relève de la pêche à la ligne, et il est critiquable de ne pas avoir tenu compte de la multitude des comparaisons effectuées, sous prétexte, ont dit les auteurs, qu’« il s’agissait uni-quement de soulever des hypothèses » [1]. Ce dernier point apparaît fallacieux, car il est évident que l’hypothèse d’un lien de causalité entre glargine et cancer ne pourra jamais être confirmé – plus vraisemblablement réfuté — avec cer-titude par un essai randomisé : outre d’évidentes raisons éthiques, comment pourrait-on espérer voir des patients accepter d’être inclus dans un essai randomisé visant à évaluer le risque de développer un cancer sous traite-ment par glargine [10], même si, contre toute logique, les auteurs contestent ce point de vue [11] ? De plus, comparer les différentes insulines à doses iden-tiques apparaît contestable. En effet, Hemkens et al. n’ont pas fourni de don-nées concernant le contrôle glycémique.

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376 Dossier thématiqueDiabète et cancers

tendance non significative à la réduction du risque de cancers sous glitazones avec, pour les essais randomisés, un RR = 0,92 [IC 95 % = 0,79 à 1,07] et, pour les études observationnelles, un RR = 0,95 [IC 95 % = 0,78 à 1,16] [21]. Sous glitazones, la réduction la plus nette concernait le risque de cancer du sein, avec pour les essais randomisés, un RR pas tout à fait significatif, égal à 0,68 [IC 95 % = 0,37 à 1,24], et un RR statistiquement significatif pour les études observationnelles, égal à 0,89 (IC 95 % = 0,81 à 0,98), avec une faible hétérogénéité entre les études [21]. De plus, pour la pioglitazone, la méta-analyse des études observationnelles montrait une réduction significative du risque d’une combinaison de cancers (colorectal, poumon, sein, prostate et rein) avec un RR = 0,95 [IC 95 % = 0,91-0,99]. Cependant, les méta-ana-lyses doivent toujours être interprétées avec prudence, en particulier parce que, bien souvent, elles cherchent à répondre à de multiples questions à la fois. Ici, de nombreuses comparaisons ont été effectuées pour les différents sites de cancers après que la comparaison globale n’ait montré aucune différence significative pour l’ensemble des can-cers, ce qui n’est pas correct sur le plan méthodologique. Il aurait fallu, à tout le moins, abaisser le seuil de signification du p en dessous du seuil habituel de 0,05 (IC 95 %), et le situer à 0,01 (IC 99 %) voire plus bas encore, avant de conclure validement qu’il existait une différence statistiquement significative pour un site spécifique de cancer. De plus, les résultats de beaucoup d’études obser-vationnelles reposaient sur des données non ajustées, entraînant des biais d’in-dication. Enfin, les auteurs canadiens ont effectué une méta-analyse post-hoc prenant en compte uniquement la pioglitazone, alors que l’essentiel des études incluses portait sur des résultats concernant l’utilisation des glitazones, pioglitazone et rosiglitazone combinées. Il faut cependant reconnaître que la pio-glitazone et la rosiglitazone sont des molécules très différentes par rapport au risque de cancer. La pioglitazone a un profil pharmacologique comparable aux glitazars, doubles agonistes peroxi-some proliferator-activated receptors

système d’assurance volontaire Kaiser permanente Northern California a montré que, sur l’ensemble des 30 173 patients diabétiques âgés de 40 ans et plus trai-tés par pioglitazone, par rapport aux 162 926 patients diabétiques de même âge n’ayant pas reçu de pioglitazone, le risque de cancer de vessie n’était pas augmenté significativement, avec un HR = 1,2 [IC 95 % = 0,9 à 1,5] mais que, chez les sujets ayant reçu de la piogli-tazone au moins 24 mois, il y avait une augmentation significative de ce risque, avec un HR = 1,4 [IC 95 % = 1,03 à 2,01] et une relation dose-effet [18]. En France, la base de données de la Caisse natio-nale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), incluant 1 491 060 patients diabétiques âgés de 40 à 79 ans, parmi lesquels 155 535 avaient reçu de la pioglitazone, a montré une augmen-tation significative du risque de cancer de la vessie en cas de prise de pioglita-zone, avec un HR ajusté = 1,22 [IC 95 % = 1,05 à 1,43] avec également une rela-tion dose-effet [19]. Il faut noter que dans l’étude du Kaiser permanente Northern California, les résultats semblaient iden-tiques chez l’homme et chez la femme, restant cependant non significatifs chez la femme en cas d’exposition prolongée, probablement du fait d’un manque de puissance statistique [18]. En revanche, l’étude française de la Cnamts a montré, chez la femme, une diminution du risque de cancer de vessie assez nette, mais non significative (HR ajusté = 0,78 [IC 95 % = 0,44 à 1,37]) [19]. Ces données observationnelles ont été confirmées par une méta-analyse, réalisée par une excellente équipe canadienne, suggérant que ce risque de cancer de la vessie est propre à la pioglitazone, et n’est pas observé avec la rosiglitazone [20]. Il semble donc incontestable que le traite-ment par pioglitazone augmente le risque de survenue de cancer de la vessie, tout au moins chez l’homme.La décision de retrait du marché de la pioglitazone pourrait donc sembler légitime, s’il n’y avait, par ailleurs, des bénéfices susceptibles de contrebalan-cer ce risque de cancer de la vessie. Tout d’abord, une méta-analyse sur le risque de cancer tous sites par la même équipe canadienne, prenant en compte le cancer de la vessie, a montré une

été émises, que nous ne détaillerons pas, renvoyant le lecteur aux diverses publications [7-10], et à la réponse vrai-ment peu convaincante des auteurs [11].

L’affaire pioglitazone

En ce qui concerne l’affaire pioglitazone, le problème est assez différent. Il s’agit moins d’une étude erronée, comme dans le cas de l’insuline glargine, que d’une difficulté à prendre en compte le rapport bénéfice/risque d’un médi-cament dans le contexte français, où le souvenir des récentes catastrophes sanitaires (sang contaminé, canicule, Mediator®) ayant impliqué les autori-tés de santé et quelques personnalités politiques, a conduit à une application excessive du «  principe de précau-tion », amenant à prendre des décisions aberrantes. En effet, après que la rosi-glitazone ait été retirée du marché par l’European medicines agency (EMA), en septembre 2010, pour des raisons émi-nemment discutables, hors sujet ici, la dernière molécule disponible de la classe des glitazones, la pioglitazone, a disparu du marché en France, en juillet 2011, à cause du risque de cancer de la vessie. Certes, ce risque semble bien corres-pondre à une réalité, tout au moins chez l’homme. En effet, dès 1999, bien avant qu’elle n’obtienne l’autorisation de mise sur le marché (AMM), la pioglita-zone avait été suspectée d’augmenter le risque de cancer de la vessie chez le rat mâle en induisant des microlithiases urinaires avec formation de cristaux, source d’irritation vésicale, puis de can-cer [15]. L’étude randomisée Prospective pioglitazone clinical trial in macrovascu-lar events (PROactive), avec un suivi moyen de 34,5 mois, avait recensé 14 cas de cancers de la vessie parmi les 2 605 patients du groupe pioglitazone, contre 6 cas parmi les 2 633 patients du groupe placebo (p  =  0,069) [16] mais, après la publication de l’article, des investigations complémentaires ont montré qu’un cas de cancer dans le groupe placebo correspondait en fait à une lésion vésicale bénigne, rendant significatif le risque accru de cancer de la vessie sous pioglitazone (p = 0,040) [17]. Par ailleurs, l’étude observationnelle du

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significative du risque de cancer du sein par rapport au placebo (3 cas sur 2 605 versus 11 cas sur 2 633, respective-ment ; p = 0,034) [16]. Or, le cancer du sein est une affection assez répandue, avec 53 041 nouveaux cas découverts en France en 2011, responsable de 11 358 décès cette année-là, qui touche presque exclusivement la femme (99 % des cas environ) [25]. En conséquence, l’ensemble des données sur pioglitazone et cancer laisse apparaître un possible bénéfice chez l’homme, et un bénéfice indiscutable chez la femme.Il est raisonnable d’ajouter également dans la balance la réduction des événe-ments cardiovasculaires observée sous pioglitazone dans l’étude PROactive, certes non significative sur le critère de jugement principal composite (mortalité toutes causes, infarctus du myocarde non fatal, accident vasculaire cérébral non fatal, syndrome coronarien aigu, intervention endovasculaire ou chirur-gicale sur les artères coronaires ou les artères des membres inférieurs, ampu-tation au-dessus de la cheville), avec HR = 0,90 ([IC 95 % = 0,80 à 1,02]  ; p = 0,095), mais significative sur le cri-tère qui aurait dû être privilégié dans le protocole (mortalité toutes causes, infarctus du myocarde non fatal, acci-dent vasculaire cérébral non fatal), avec HR = 0,84 ([IC 95 % = 0,72 à 0,98]  ; p = 0,027). Dans ces conditions, même si l’on prend en compte les effets secon-daires indiscutables que constituent

si, comme pour toute méta-analyse, cet article doit être considéré comme un exercice exploratoire, nécessitant confirmation par d’autres études [21].Si l’on reprend le problème spécifique posé par la pioglitazone, en en restant à la seule question du risque de cancer associé à ce traitement, il faut donc éta-blir la balance entre le bénéfice vis-à-vis du cancer en général, et du cancer du sein en particulier, et le risque accru de cancer de la vessie. Le cancer de la ves-sie est une pathologie relativement rare, avec une incidence annuelle, en France, estimée à 8 pour 100 000 patients dia-bétiques de moins de 50 ans, 30 pour 100 000 entre 50 et 60 ans, 90 pour 100 000 entre 60 et 70 ans, et 209 pour 100 000 au-delà de 70 ans [24]. Il y a environ 10 000 nouveaux cas de can-cers de vessie chaque année en France, 8 000 chez l’homme et 2 000 chez la femme [25]. L’augmentation du risque de cancer de vessie chez l’homme observée sous pioglitazone a été un peu inférieure à 25 % [18, 19]. À l’opposé, la pioglitazone a vraisemblablement un modeste effet protecteur sur l’ensemble des cancers, et tout particulièrement vis-à-vis du cancer du sein, comme nous l’avons vu avec la méta-analyse cana-dienne [21]. Il faut de plus souligner que dans cette méta-analyse, concernant les quatre études randomisées incluses pour le cancer du sein, une seule, l’étude PROactive, avait étudié la pio-glitazone et elle montrait une réduction

(PPAR) et , connus pour augmenter le risque de cancers chez les animaux [22]. Toutes ces remarques pourraient ame-ner à considérer que la seule conclusion indiscutable à tirer de la méta-analyse canadienne est qu’aucune augmen-tation du risque de cancers tous sites n’a été mise en évidence, et qu’il est simplement possible d’éliminer une aug-mentation de ce risque sous glitazones supérieure à 16 % d’après les études observationnelles, et supérieure à 7 % d’après les essais randomisés. Malgré tout, cette opinion apparaît critiquable et trop prudente. En effet, la métho-dologie utilisée pour la méta-analyse apparaît excellente sous de nombreux aspects : il est légitime d’avoir effec-tué des analyses séparées suivant la nature, observationnelle ou randomi-sée, des études utilisées, et les études cas-témoins n’ont été incluses que si elles étaient emboîtées. La recherche d’articles dans la littérature a été très exhaustive, et les techniques de méta-analyse utilisées tout à fait adéquates : ainsi, par exemple, lorsqu’un bras dans une étude ne rapportait aucun événe-ment, une valeur de 0,5 événement était attribuée pour éviter les erreurs de calculs automatisés, plutôt que de ne pas prendre l’étude en compte. Quant au problème des comparaisons mul-tiples, la balance oscille entre l’intérêt de résumer des données extrêmement fournies, portant sur une grande variété de questions, et le dictact, jugé parfois trop strict, des exigences des tests statistiques. En effet, la nécessité d’ajuster le risque en cas de com-paraisons multiples dans des études épidémiologiques est controversé, certains épidémiologistes s’opposant à cette règle intangible pour les essais thérapeutiques [23]. Enfin, inclure dans la méta-analyse des études mélangeant l’utilisation de rosiglitazone et de pio-glitazone ne pouvait guère être évité, faute d’études observationnelles spéci-fiques à chaque glitazone. Nous suivons donc les auteurs canadiens lorsqu’ils concluent avoir montré une modeste, mais significative, réduction du risque de cancer colorectal et pulmonaire et, surtout, du cancer du sein, et une tendance à la diminution du risque de tous les cancers, sous glitazones, même

• Les études observationnelles sont difficiles à interpréter, et ne permettent pas de

conclure en terme de causalité.

• La chasse aux biais doit être omniprésente dans le montage et l’analyse des études

observationnelles.

• Les grandes bases de données souffrent souvent de l’absence de données (indice de

masse corporelle [IMC], consommation de tabac et d’alcool, HbA1c…), essentielles

pour prendre en compte des facteurs de confusion importants dans la relation entre

diabète et cancer.

• Les méta-analyses sont difficiles à mener et à interpréter.

• La suspicion de lien entre insuline glargine et cancer était totalement infondée.

• La pioglitazone augmente sans doute un peu chez l’homme, le risque du rare cancer

de la vessie.

• Le rapport bénéfices-risques de la pioglitazone est largement favorable du fait de la

réduction probable du risque de cancer du sein, de l’effet protecteur très vraisem-

blable sur le plan cardiovasculaire, et de son effet hypoglycémiant, entraînant une

réduction du risque de complications microvasculaires.

Les points essentiels

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Médecine des maladies Métaboliques - Septembre 2014 - Vol. 8 - N°4

378 Dossier thématiqueDiabète et cancers

Ces lacunes constituent alors des limites considérables à l’interprétation des résultats des études observation-nelles. Une autre difficulté réside dans la mesure précise du temps d’exposition à un traitement lorsque l’on utilise des bases de données constituées à partir de remboursements des médicaments. Sans même parler de l’impossibilité de savoir si les traitements délivrés aux patients sont réellement consommés, la variété des conditionnements et la fréquence variable des approvisionne-ments compliquent beaucoup la tâche lorsqu’il s’agit d’attribuer la survenue d’un évènement à un traitement. De plus, la grande fréquence des polypa-thologies entraînant la prescription de multiples médications permet diffici-lement d’isoler l’effet attribuable à un produit donné. Malgré ces réserves, les études observationnelles n’en sont pas moins indispensables pour mettre en évidence des événements rares, qui sont pratiquement impossibles à détecter dans les études randomisées de phase 3 précédant l’AMM. En effet, ces dernières portent habituellement sur des échantillons de population de taille relativement restreinte, ont une durée d’observation assez courte, et, de plus, elles recrutent le plus souvent des patients très sélectionnés, bien observants, sans polypathologie, assez différents des malades qui utiliseront les produits « dans la vraie vie ». Il est donc impossible de se passer des études observationnelles, auxquelles, tout en restant prudent dans leur interprétation, on accordera un certain crédit lorsque les résultats obtenus sont cohérents avec des données antérieures et, sur-tout, lorsqu’il existe des mécanismes physiopathologiques sous-jacents sus-ceptibles de les expliquer. La présence d’une relation effet-dose peut même amener à évoquer une relation causale. Dans tous les cas, il faudra cependant s’efforcer de reproduire les résultats dans des conditions expérimentales, ou les confirmer par des études rando-misées, avant d’affirmer définitivement le lien entre le facteur d’exposition et la maladie.En ce qui concerne les méta-analyses, leur méthodologie est encore moins bien codifiée que celle des études

totalement nulle. En revanche, la proba-bilité qu’il soit remercié par un patient diabétique qui a échappé à l’infarctus du myocarde, ou par une patiente dia-bétique qui n’a pas développé un cancer du sein, grâce à un traitement par pio-glitazone, est tout à fait nulle. Donner priorité au risque absolu par rapport au risque relatif et évaluer minutieusement le rapport bénéfice/risque constituent les fondements essentiels pour mener une politique de Santé Publique effi-cace et cohérente dans le domaine du médicament, comme dans les autres secteurs sanitaires.

Conclusion

Ces deux affaires illustrent la difficulté à interpréter les études observationnelles et les méta-analyses. Elles démon-trent également le rôle grandissant des médias et leur impact sur la santé publique. En ce qui concerne les études observationnelles, il faut être prudent dans leur interprétation avant d’en tirer des conclusions qui ne peuvent, de toutes façons, être considérées comme définitives. En particulier, contrairement à un essai randomisé, les études obser-vationnelles ne suffisent pas à apporter la preuve d’une relation causale entre le facteur d’exposition et la survenue d’une maladie, ici entre l’usage de l’insuline glargine et de la pioglitazone d’une part, et le risque de cancer d’autre part. En effet, de nombreux biais peuvent inter-venir et expliquer l’association mise en évidence, en particulier le « biais d’al-location » qui correspond au fait que, dans la pratique clinique, les traitements ne sont pas prescrits au hasard par les médecins, mais en fonction des caracté-ristiques particulières de chaque patient. Afin de réduire ce biais, il est habituel de faire des ajustements pour réduire l’ef-fet des différences entre les groupes de patients, mais, dans une situation d’ob-servation de traitements délivrés dans la « vraie vie », de tels ajustements sont rarement possibles, car les données sont souvent extraites de registres qui ne comportent habituellement aucune indi-cation concernant des caractéristiques importantes comme le poids, l’IMC, la pression artérielle, le taux d’HbA1c.

l’insuffisance cardiaque et les fractures osseuses, il est difficile de comprendre la décision des autorités françaises de retirer la pioglitazone du marché, en juillet 2011. Il faut souligner l’isole-ment de la France sur cette question, seule l’Allemagne nous ayant partielle-ment suivi, en interdisant les nouvelles prescriptions du produit. L’EMA et la Food and drug administration (FDA) aux États-Unis se contentaient d’ajou-ter de nouvelles contre-indications et des avertissements dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de la pioglitazone : ne pas utiliser chez des patients ayant une histoire actuelle ou passée de cancer de vessie ou ayant une hématurie macroscopique non explorée, avec le conseil de prendre en compte les facteurs de risque de cancer de vessie, telle qu’une consommation importante de tabac, en particulier chez des patients âgés. La différence dans les décisions prises s’explique, sans aucun doute, par le fait que l’EMA et la FDA ont considéré le rapport bénéfice/risque de la pioglitazone, à l’évidence très favorable (d’autant qu’aux éléments déjà cités, il faut ajouter la réduction des complications microvasculaires du fait de l’effet hypoglycémiant du pro-duit). Il n’est donc pas surprenant que l’American diabetes association (ADA) et l’EASD, après la FDA et l’EMA, aient récemment confirmé les glitazones, en fait, sur un plan pratique, la seule piogli-tazone en Europe, comme le traitement de seconde ou de troisième ligne du patient diabétique de type 2 [26].Pourquoi les autorités françaises n’ont-elles pas su évaluer correcte-ment le rapport bénéfice/risque de la pioglitazone, ou même peut-être se sont-elles abstenu de toute évalua-tion de ce genre ? Sans doute à cause d’une application aveugle du « prin-cipe de précaution », qui serait mieux dénommé « principe de peur », dans le contexte national évoqué plus haut. Effectivement, pour un prescripteur, un politicien ou un membre d’une autorité de santé, la probabilité d’être poursuivi en justice et livré à la vindicte populaire, via les médias, à la suite de la plainte d’un patient diabétique ayant développé un cancer de vessie sous traitement par pioglitazone est faible, mais pas

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Médecine des maladies Métaboliques - Septembre 2014 - Vol. 8 - N°4

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observationnelles, et leur qualité, dont dépend la validité des résultats, est très variable. De nombreux éléments vont influencer la valeur d’une méta-analyse : l’exhaustivité de la revue de la littérature, l’utilisation des données individuelles de chaque étude ou de données agrégées, parfois extraites de simples résumés à des congrès, la précision des caractéris-tiques des patients recueillies, la qualité de la recherche de biais, l’hétérogénéité statistique observée, le traitement des études n’ayant montré aucun événement dans un bras… Évaluer la fiabilité d’une méta-analyse est un exercice difficile, et les plus grandes revues peuvent s’y laisser prendre, en publiant des méta-analyses de piètre qualité [27].Au total, l’affaire glargine nous semble avoir montré les répercussions désas-treuses d’une mauvaise utilisation de données observationnelles, alors que l’affaire pioglitazone a souligné la carence d’une approche de santé publique de la part des autorités de santé en France pour évaluer correctement le rapport bénéfice/risque d’une molécule, et les effets pervers de l’application aveugle du « principe de précaution ».

Déclaration d’intérêt

L’auteur déclare avoir participé à des groupes

d’experts et/ou avoir été rétribué pour des

conférences pour les laboratoires AstraZeneca,

Boehringer Ingelheim France, Bristol-Myers

Squibb, GlaxoSmithKline, Janssen, Lifescan,

Lilly France, MSD France, Novartis, Sanofi et

Takeda, et avoir participé en tant qu’inves-

tigateur à des études cliniques menées par

les laboratoires Lilly-France, Novartis et Novo

Nordisk.

Références

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