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Compte rendu des Sociétés 68 Arch Mal Prof Env 2006 avaient consommé les produits suivants : cannabis, ecstasy et opiacés pour le premier salarié ; cannabis, opiacés (+ alcoo- lisme) pour le second ; cannabis, opiacés et méthadone pour le troisième et Valium ® à forte dose pour le quatrième. Parmi les salariés ayant bénéficié d’une aptitude tempo- raire, 4 autres chauffeurs ont aussi été déclarés temporaire- ment inaptes à la conduite dans un deuxième temps, après une période probatoire non concluante. Après un à trois ans d’évolution et de suivi en médecine du travail, 11 des 25 conducteurs PL (soit 44 %) sont en situation de sevrage total au moment où le présent bilan a été réalisé, confirmé à une ou plusieurs reprise par le test Triage 8 ® . Parmi ces 11 salariés sevrés, 9 consommaient initialement du cannabis seul, un salarié consommait de la codéine à forte dose mais a pu arrêter totalement après une phase assez diffi- cile les premiers mois du sevrage ; et un autre salarié, égale- ment ancien toxicomane à drogues dures, consommait encore du Valium ® à forte dose, mais après une phase d’inaptitude temporaire, il a pu reprendre la conduite PL avec un suivi régulier très rapproché qu’il a lui-même demandé. Parmi les salariés non sevrés, 4 conducteurs ont démis- sionné immédiatement après avoir été déclarés temporaire- ment inaptes à la conduite PL, sans attendre d’être éventuellement licenciés ou reclassés ; nous savons d’ailleurs que certains d’entre eux travaillent actuellement comme chauffeurs dans d’autres entreprises. Un salarié actuellement en inaptitude temporaire est encore en arrêt de travail. Un autre salarié, qui aurait dû être déclaré inapte à la conduite PL suite à l’échec des tentatives de sevrage, a proféré de graves menaces à l’encontre du médecin du travail ; il a été déclaré apte (sous la contrainte). Enfin, 8 salariés ont été perdus de vue en cours de suivi alors qu’ils travaillaient dans le cadre d’une aptitude limitée dans le temps. Il s’agit d’intérimaires qui ne se sont pas pré- sentés aux convocations ultérieures, et de quelques salariés embauchés dont l’entreprise a déménagé et qui ont donc changé de médecin du travail. Aucune inaptitude définitive n’a été prononcée et aucun de ces salariés n’a été licencié suite aux réserves d’aptitude pro- noncées par le médecin du travail. En conclusion, même si ces 221 chauffeurs ne sont pas for- cément représentatifs de la totalité des conducteurs de poids lourds, il apparaît que la consommation de substances psy- cho-actives n’est pas marginale (11,3 %) chez ces salariés occupant des postes de sécurité. Enfin, 11 conducteurs PL sur 25, soit 44 %, sont en situa- tion de sevrage total après mise en œuvre d’un suivi en méde- cine du travail. A l’heure où la sécurité routière semble devenir une préoccupation de plus en plus importante, le médecin du travail peut jouer un rôle significatif dans ce domaine, notamment grâce au suivi qu’il peut mettre en œuvre au cas par cas. Travail de nuit sans alternance : trajectoires professionnelles et santé C. Dubey O. Lampert Les résultats présentés ici sont issus d’un projet de recher- che intitulé « Travail de nuit sans alternance : trajectoires professionnelles et santé » initié par le Secrétariat d’État à l’économie (seco) et conduit par les auteurs dans le cadre de leurs activités à l’Université de Neuchâtel (groupe de psycho- logie appliquée) et au sein de la société ERGOrama SA à Genève. L’objectif de la recherche était d’identifier des effets possi- bles du travail de nuit fixe sur la santé et la vie sociale des travailleurs en Suisse, suite à l’interdiction du travail de nuit sans alternance avec du travail de jour, introduite par la nou- velle loi sur le travail (LTr) entrée en vigueur le 1 er août 2003. La littérature montre que les travailleurs effectuant actuel- lement des horaires de nuit et/ou en équipes sont en meilleure santé que ceux effectuant d’autres types d’horaires. Les diffé- rences observées sont attribuées à un effet de sélection (heal- thy shiftworker effect). Afin de prendre en compte cet effet, nous avons conduit une étude longitudinale rétrospective sur un échantillon formé de différentes cohortes de travailleurs appartenant aux trois régions linguistiques de la Suisse, de plusieurs secteurs d’activité économique (industrie, soins, boulangerie, imprimerie, distribution) et insérés dans diffé- rents types d’horaires (travail de nuit fixe, travail en équipe alternante, travail de jour, etc.) à un moment donné de leur carrière (rétrospective d’environ 5 à 10 ans, selon les données administratives encore disponibles dans les entreprises). 1000 sujets, volontaires et « non perdus de vue », ont été interrogés par téléphone sur leur état de santé actuel (santé physique, mentale, fonctionnelle, etc.), leur parcours profes- sionnel (différents emplois et types d’horaires effectués) et la perception des conditions de travail associées aux différents emplois cités (pénibilité, autonomie, choix de l’horaire, etc.). Le dépouillement des données est encore en cours. Les résultats, fondés sur des analyses statistiques multivariées, devraient permettre d’apporter des éléments de réponses aux questions suivantes : • Dans quelle mesure les différents types d’horaires et les sec- teurs économiques sont caractérisés par des situations socio- démographiques et de travail différentes (groupes sociaux et situations de travail spécifiques) ? • Dans quelle mesure les travailleurs de nuit et/ou en équipe actuels sont-ils en meilleure santé que les autres ? • Quels sont les problèmes de santé spécifiques des anciens travailleurs de nuit et/ou en équipe ? • Quel est le rôle des conditions de travail ? • Quelles sont les différences du point du vue des secteurs d’activité, des régions linguistiques et du sexe ? Les premiers résultats semblent confirmer les données de la littérature. Lors de la présentation, nous mettrons l’accent non seulement sur les résultats, mais également sur le design de recherche choisi (étude de cohorte rétrospective) qui joue un rôle important dans l’analyse de cette problématique.

Travail de nuit sans alternance : trajectoires professionnelles et santé

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Page 1: Travail de nuit sans alternance : trajectoires professionnelles et santé

Compte rendu des Sociétés

68 Arch Mal Prof Env 2006

avaient consommé les produits suivants : cannabis, ecstasy etopiacés pour le premier salarié ; cannabis, opiacés (+ alcoo-lisme) pour le second ; cannabis, opiacés et méthadone pourle troisième et Valium® à forte dose pour le quatrième.

Parmi les salariés ayant bénéficié d’une aptitude tempo-raire, 4 autres chauffeurs ont aussi été déclarés temporaire-ment inaptes à la conduite dans un deuxième temps, aprèsune période probatoire non concluante.

Après un à trois ans d’évolution et de suivi en médecine dutravail, 11 des 25 conducteurs PL (soit 44 %) sont en situationde sevrage total au moment où le présent bilan a été réalisé,confirmé à une ou plusieurs reprise par le test Triage 8®.Parmi ces 11 salariés sevrés, 9 consommaient initialement ducannabis seul, un salarié consommait de la codéine à fortedose mais a pu arrêter totalement après une phase assez diffi-cile les premiers mois du sevrage ; et un autre salarié, égale-ment ancien toxicomane à drogues dures, consommait encoredu Valium® à forte dose, mais après une phase d’inaptitudetemporaire, il a pu reprendre la conduite PL avec un suivirégulier très rapproché qu’il a lui-même demandé.

Parmi les salariés non sevrés, 4 conducteurs ont démis-sionné immédiatement après avoir été déclarés temporaire-ment inaptes à la conduite PL, sans attendre d’êtreéventuellement licenciés ou reclassés ; nous savons d’ailleursque certains d’entre eux travaillent actuellement commechauffeurs dans d’autres entreprises. Un salarié actuellement

en inaptitude temporaire est encore en arrêt de travail. Unautre salarié, qui aurait dû être déclaré inapte à la conduite PLsuite à l’échec des tentatives de sevrage, a proféré de gravesmenaces à l’encontre du médecin du travail ; il a été déclaréapte (sous la contrainte).

Enfin, 8 salariés ont été perdus de vue en cours de suivialors qu’ils travaillaient dans le cadre d’une aptitude limitéedans le temps. Il s’agit d’intérimaires qui ne se sont pas pré-sentés aux convocations ultérieures, et de quelques salariésembauchés dont l’entreprise a déménagé et qui ont doncchangé de médecin du travail.

Aucune inaptitude définitive n’a été prononcée et aucun deces salariés n’a été licencié suite aux réserves d’aptitude pro-noncées par le médecin du travail.

En conclusion, même si ces 221 chauffeurs ne sont pas for-cément représentatifs de la totalité des conducteurs de poidslourds, il apparaît que la consommation de substances psy-cho-actives n’est pas marginale (11,3 %) chez ces salariésoccupant des postes de sécurité.

Enfin, 11 conducteurs PL sur 25, soit 44 %, sont en situa-tion de sevrage total après mise en œuvre d’un suivi en méde-cine du travail. A l’heure où la sécurité routière sembledevenir une préoccupation de plus en plus importante, lemédecin du travail peut jouer un rôle significatif dans cedomaine, notamment grâce au suivi qu’il peut mettre enœuvre au cas par cas.

Travail de nuit sans alternance : trajectoires professionnelles et santéC. Dubey O. Lampert

Les résultats présentés ici sont issus d’un projet de recher-che intitulé « Travail de nuit sans alternance : trajectoiresprofessionnelles et santé » initié par le Secrétariat d’État àl’économie (seco) et conduit par les auteurs dans le cadre deleurs activités à l’Université de Neuchâtel (groupe de psycho-logie appliquée) et au sein de la société ERGOrama SA àGenève.

L’objectif de la recherche était d’identifier des effets possi-bles du travail de nuit fixe sur la santé et la vie sociale destravailleurs en Suisse, suite à l’interdiction du travail de nuitsans alternance avec du travail de jour, introduite par la nou-velle loi sur le travail (LTr) entrée en vigueur le 1er août 2003.

La littérature montre que les travailleurs effectuant actuel-lement des horaires de nuit et/ou en équipes sont en meilleuresanté que ceux effectuant d’autres types d’horaires. Les diffé-rences observées sont attribuées à un effet de sélection (heal-thy shiftworker effect). Afin de prendre en compte cet effet,nous avons conduit une étude longitudinale rétrospective surun échantillon formé de différentes cohortes de travailleursappartenant aux trois régions linguistiques de la Suisse, deplusieurs secteurs d’activité économique (industrie, soins,boulangerie, imprimerie, distribution) et insérés dans diffé-rents types d’horaires (travail de nuit fixe, travail en équipealternante, travail de jour, etc.) à un moment donné de leur

carrière (rétrospective d’environ 5 à 10 ans, selon les donnéesadministratives encore disponibles dans les entreprises).

1000 sujets, volontaires et « non perdus de vue », ont étéinterrogés par téléphone sur leur état de santé actuel (santéphysique, mentale, fonctionnelle, etc.), leur parcours profes-sionnel (différents emplois et types d’horaires effectués) et laperception des conditions de travail associées aux différentsemplois cités (pénibilité, autonomie, choix de l’horaire, etc.).

Le dépouillement des données est encore en cours. Lesrésultats, fondés sur des analyses statistiques multivariées,devraient permettre d’apporter des éléments de réponses auxquestions suivantes :• Dans quelle mesure les différents types d’horaires et les sec-teurs économiques sont caractérisés par des situations socio-démographiques et de travail différentes (groupes sociaux etsituations de travail spécifiques) ?• Dans quelle mesure les travailleurs de nuit et/ou en équipeactuels sont-ils en meilleure santé que les autres ?• Quels sont les problèmes de santé spécifiques des ancienstravailleurs de nuit et/ou en équipe ?• Quel est le rôle des conditions de travail ?• Quelles sont les différences du point du vue des secteursd’activité, des régions linguistiques et du sexe ?

Les premiers résultats semblent confirmer les données de lalittérature. Lors de la présentation, nous mettrons l’accentnon seulement sur les résultats, mais également sur le designde recherche choisi (étude de cohorte rétrospective) qui joueun rôle important dans l’analyse de cette problématique.