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Trouble déficitaire de l'attention et rééducation orthophonique

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Page 1: Trouble déficitaire de l'attention et rééducation orthophonique

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

t roub le def ici taire de I 'a t tent ion et reeducat ion o r t h o p h o n i q u e M.F. LE H E U Z E Y , M. D U G A S

Au cours de la reeducation d'un enfant, I'ortho- phoniste peut ~tre g6n~(e) par certains troubles du comportement de I'enfant et il n'est pas rare qu'il/elle evoque I'existence d'une difficulte d'at- tention entravant a la fois son travail et les pro- gres de renfant. Pourtant, le terme d'inattention est souvent utilise d'une fa~on vague ou passe- partout qui peut decrire aussi bien le comporte- ment d'un enfant passif, celui d'un enfant r6veur, d'un enfant depressif, etc., que de celui d'un enfant turbulent et incapable de se fixer de fa~on durable sur une activitd soutenue. II serait encore plus f&cheux que I'orthophoniste ddnomme fautes d'attention (comme les parents et certains enseignants) certaines erreurs en lec- ture et en orthographe, repondant a d'autres caracteristiques. Le trouble deficitaire de I'atten- tion ne doit pas 6tre meconnu par I'orthopho- niste mais doit rdpondre a une definition precise.

e x e m p l e c l in ique

F R A N C O I S , 9 ans, su i t une r ~ d u c a t i o n or thophonique deux fois par semaine depuis 18 mois avec la m em e or thophonis te pour une d y s l e x i e - d y s o r t h o g r a p h i e . Ce gargon

appartient ?i une famille chaleureuse, de bon niveau socio-culturel (p~re ing~nieur, m~re secr&aire m~di- cale ?i temps partiel). Sa soeur ainde Rg6e de 18 ans est en classe terminale, son fr~re de 16 ans, actuelle- ment en classe de premiere, a suivi pendant 6 ans une r~d u ca t i o n or thophonique pour dyslexie-dys- orthographie.

Frangois est bien intdgr4 socialement en dehors de l'~cole ; il est dans un groupe de scouts, fait de la natation et du ping-pong.

En ddpit de la r6gularit4 des s&nces de r4~duca- tion, l 'or thophoniste s ' interroge sur la lenteur des progr~s de l 'enfant et sur l ' importance persistante des d i f f i cu l t& scolaires. P en d an t les s~ances de

M.F. LE HEUZEY, M. DUGAS, Service de psychopathologie de I'enfant et de I'adolescent, HSpital Robert-Debr~, 48, bd S6rurier, 75935 Paris cedex 19.

Comit~ de lecture Article re(~u le 02/12/93. Accept~ le 02/06/94.

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rS~ducation, l 'or thophoniste remarque facilement les difficultSs attentionnelles de Frangois, sa diffi- cult~ ~t rester assis, sa tendance ~ tripoter sans arr& des petites choses qui se trouvent sur la table.

Lorsque Forthophoniste interroge la m~re, celle- ci confirme que Frangois est tr~s remuant , qu ' i l tend toujours ~i se lever de table avant la fin des repas, qu' i l in ter rompt la parole des autres, qu' i l fa i t des c o m m e n t a i r e s << sans g~ne ~,, qu ' i l est impulsif...

A l '&ole Frangois est relat ivement bien tol4r~, mais on le consid~re tout de m~me comme un dl~ve agitd, maladroit (car il renverse souvent ses affaires et bouge sur sa chaise) et facilement inattentif.

L 'or thophonis te conseille donc aux parents de presenter leurs fils en consultation dans le service de psychopathologie de l 'enfant et de l 'adolescent de l 'h6pital Robert-Debr&

Grace ~t Fobservation clinique, aux 4valuations comportementales et psychologiques, aux &helles de Conners (2) remplies par les parents et les ensei- gnants, le diagnostic de trouble d~ficitaire de Fat- tention hyperactivit~ est port&

Le diagnost ic de dys lexie-dysor thographie est confirm4, et il est donc conseill~ ~i l 'enfant de pour- suivre sa rd~ducation orthophonique bi-hebdoma- daire.

Un traitement par Ritaline | est prescrit. Ce trai- tement est bien tol~r~, et nous demandons ~t l 'ortho- phoniste de nous aider dans l'4valuation de l'effica- ci t~ de ce t r a i t e m e n t . L ' o r t h o p h o n i s t e nous transmet r~guli~rement ses observations sur le com- portement, sur l'4volution des apprentissages et sur les progr~s r~alis&.

Lors du suivi, l 'enseignante, l 'orthophoniste et la famille sont formelles : le trouble ddficitaire de l'at- t en t ion est am~lior4 de fagon spectaculaire. Les notes de Frangois progressent en classe, l 'orthopho- niste parvient ~i r~aliser des s~ances de r~ducat ion soutenues et efficaces.

L'enfant se sent mieux consid&d 7t l'~cole car il obtient de meilleurs notes et se sent moins distrait.

Au retour des grandes vacances durant lesquelles le traitement a dt~ suspendu, Frangois demande ~i ne pas reprendre le m4dicament.

Les parents acceptent, mais rapidement Fortho- phoniste leur signale que la r4~ducation est de nou- veau dif f ic i le , que l ' en fan t pr4sente les m~mes sympt6mes avec trouble de l 'at tention et agitation. Elle conseille alors ~i la famille de reprendre rendez- vous avec le m4decin pour que celui-ci r~dvalue la situation et ddcide s'il y a lieu ou non de reprendre le traitement.

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Cet exemple illustre le r61e primordial de collabo- ration efficace et constructive entre orthophoniste et m4decin sp&ialiste dans le cadre de cette pathologie particuli~re de trouble de l 'attention hyperactivit&

c lass i f i ca t ion d e s t r o u b l e s

La psychiatr ie moderne, dans les domaines de l 'enfant et de Fadolescent, celle qui a conduit ~i la 10 e r6vision de la Classification internationale des maladies, ~ Finstigation de FOrganisation mondiale de la sant~ (4), apr~s la publication du Manuel dia- gnostique et statistique des troubles mentaux de 1'<, Ame- rican Psychiatric Association >~ (1), a individualis~ une cat~gorie d iagnost ique de troubles mentaux dSbutant dans l 'enfance : les troubles hyperkin& tiques avec perturbation de l 'at tention (CIM-IO) ou t rouble d4f ic i ta i re de l ' a t t e n t i o n hyperac t iv i t4 (DSM-II1-R). Bien que la reconnaissance de ce t rouble , en tan t que tel, ne soit pas acquise en France, il parah pourtant n6cessaire que ce trouble soit connu par les orthophonistes. En effet, ~ travers les &udes de comorbidit8 ou co-ocurrence (terme qui ne suggSre pas de parent8 &iologique entre les troubles), on remarque qu 'un trouble sp&ifique du d6veloppement est l'association morbide la plus fr& quente du trouble dSficitaire de l 'at tention hyperac- tivit& A titre d 'exemple, nous pouvons indiquer que dans une population de 260 enfants ayant un trouble d6ficitaire de l 'attention hyperactivit4, exa- mines dans le service de psychopathologie de Pen- fant et de l 'adolescent de l 'h6pital Robert-Debr8 entre le 1 ~ janvier 1988 et le 18 fSvrier 1993, nous observons que 73 (28 %) prSsentent un trouble de l 'acquisit ion de l 'expression &rite, 71 (27 %) un trouble de l 'acquisit ion de la lecture, 7 (3 %) un trouble de l 'acquisition de l 'articulation, 43 (16 %) un t rouble de l ' acqu i s i t ion du langage de type expressif, 8 (3 %) un trouble de l 'acquisi t ion du l angage de type r~cept i f et enf in 11 (4 %) un t rouble de l ' acqu is i t ion de la coord ina t ion . De mSme, lorsque l 'on &udie les 1 530 dossiers d'en- fants pr&entant un trouble sp&ifique du d6velop- p e m e n t jus t ic iable d 'une r88ducat ion par un(e) orthophoniste, on observe que 134 ont un trouble dSficitaire de l 'at tention hyperactivit& Ainsi, il est possible d'affirmer que 5 ~ 10 % des enfants suivant une rSdducation orthophonique pour trouble sp&i- fique du d4veloppement ont un trouble dSficitaire de l 'a t tent ion hyperactivit& Tout(e) orthophoniste rencontre donc de fagon re la t ivement habi tuel le dans sa pratique des enfants rSpondant aux crit~res diagnostiques du trouble dSficitaire de l 'a t tent ion hyperactivit&

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m a n i f e s t a t i o n s ( d e la p e r t u r b a t i o n d e I ' a t t e n t i o n )

Dans la pratique de la r~duca t ion , la perturba- t ion de l ' a t t en t ion se manifeste par i n t e r rup t ion prdmatur& des t~ches entreprises et leur abandon dans un dtat inachev8. Les enfants passent frSquem- ment d 'une activitd ~ l 'autre comme s'ils cessaient de porter at tention ~ une t.ache parce qu 'une autre les attire. Ce manque de pers~vSrance et cette inat- tention ne doivent 8tre retenus pour le diagnostic que s'ils sont excessifs par r appor t ~t l '~ge. Ces enfants sont impruden t s et impulsifs , sujets aux accidents, ~et posent souvent des problSmes de disci- pline du fait d 'un manque de respect des r~gles. La relation avec l 'adulte se caract&ise souvent par un manque d ' inhibi t ion sociale, de rdserve et de rete- nue. Les enfants sont mal accept~s par les autres enfants, ce qui peut les conduire ~i un isolement social.

Le trouble ddficitaire de l 'a t tention engendre des difficult& d'acquisitions scolaires. D'autre part, les t roubles sp&i f iques du dSve loppemen t ex i s ten t ( comme nous venons de le vol t ) chez un g rand nombre de ces enfants et entra~nent des troubles dans l 'apprentissage.

Au to ta l , la c o - o c u r r e n c e des deux t r o u b l e s entralne des di f f icul t& scolaires et des diff icul t& d ' a c q u i s i t i o n . La r e l a t i on r 6 c i p r o q u e des deux troubles est n~anmoins difficile ~i d&erminer et il est peu ais~ d'affirmer ou d ' infirmer que les troubles d~ficitaires de l ' a t t en t i on hyperac t iv i t8 puissent engendrer eux-mSmes un trouble de l 'acquisition de

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

la lecture et de l 'orthographe. De m~me, il est diffi- cile de d~mont re r que l '&hec des apprentissages scolaires dfi au t rouble sp~cifique du d~veloppe- ment peut entraTner S lui seul un trouble at tention- nel. Ces deux propositions m&itent des &udes plus approfondies dans le domaine neurophysiologique. Quoi qu'i l en soit, nous insistons sur l ' intensitd du r e t en t i s semen t scolaire de ces t roubles et sur la n~cessit~ d 'un t ra i tement adaptS.

t r a i t e m e n t

Parall~lement aux trai tements m6dicaux et psy- choth&apiques expos& dans un autre chapitre, le r61e de l 'orthophoniste est tout ~i fait fondamental. Par la qualitd de sa relation, par ses efforts tendant la canalisation de l 'a t tent ion de l 'enfant, voire par d 'autres procddSs empruntSs aux psychoth~rapies comportementales tel un renforcement positif, l 'or- thophoniste adapte sa r8~ducation. II/elle peut aussi contribuer ~i l 'appr&iation de l'effet du t rai tement mSdical. A cet 8gard, la formulation de son appr& ciation clinique peut &re rendue plus fiable par un m o y e n r e l a t i v e m e n t s imple , l ' a d a p t a t i o n d ' une &hel le de Conners 10 i tems sensible au change- ment du compor tement de l'enfant. Pour les ortho- phonis tes , nous en avons fait une adap ta t ion en remplagant certaines questions inappropriSes pour l 'observation du compor tement lors d 'une s~ance de rddduca t ion . N o u s avons bap t i s8 ce t t e 4chel le O ' C o n n e r s (<< O ,, c o m m e o r t h o p h o n i s t e ) (tableau I). L'orthophoniste rempli t cette 8chelle au t e r m e d ' u n e sSance de r 8 6 d u c a t i o n en t e n a n t

Tab leau I. - Questionnaire << O >> Conners (*) : c o m p o r t e m e n t pendan t les s6ances de r6~ducat ion.

Nom de I'enfant ......................................................................... Pr~nom ......................................................................... Age ........................................................................................ Questionnaire rempli par: ................................................................................................................. Date . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Traitement : ...........................................................................................................................................................................................................................

Observation

1. Ne finit pas ce qu'il/elle commence, attention de courte dur6e

2. Tripote ou ronge certaines choses

3. Changements d'humeur rapides et marques

4. Toujours remuant

5. Digressions

6. N'ob6it pas aux r~gles

7. Inattentif, facilement distrait

8. Agit~ ou tr~s actif

9. Acces de col~re, comportement explosif et impr6visible

0, Nerveux, impulsif

Pas du tout Un petit peu Beaucoup Enorm~ment

(*) Questionnaire pour I 'orthophoniste adapt6 de C.K. Conners.

Commentaires :

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PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

c o m p t e e x c l u s i v e m e n t de ce qu ' i l / e l l e a observ~ pendant la s6ance. Cette cotat ion ne demande pas plus de quelques minu tes . Pour chaque i t em, le score est de 0 pour << pas du tou t ~, 1 pour << un pet i t peu ~, 2 pour << beaucoup ~>, 3 pour << ~norm& ment ~,. Le score maximal est de 30. La r4p&ition des cotat ions peut se faire dans des intervalles de temps courts ou longs. Toute variat ion de 5 points ou plus peu t ~tre consid&de comme un bon indica- teur de l 'accentation ou de la d iminu t ion de la s~vd- rit~ du trouble d~ficitaire de l ' a t tent ion hyperact i- vitd.

c o n c l u s i o n

La connaissance du trouble d~ficitaire de Fatten- t ion hyperact ivi t~ appor te ~i l ' o r thophonis te de la p r 6 c i s i o n l o r s q u ' i l / e l l e p a r l e r a d ~ s o r m a i s d ' u n trouble at tent ionnel chez un enfant suivi en r6~du- cation, le conduira fi demander de fagon appropr i& ~i un m~decin ou ~i un psychologue averti une dva- luation diagnost ique et en fera un collaborateur pr&

cieux pour le mddecin qui d&idera si un t ra i tement psychost imulant est indiqud ou non. I1 pourra aider ~t la surveillance des diff~rents t rai tements. �9

B i b l i o g r a p h i e

1. American Psychiatric Association. - Diagnostic and statistical manual of mental disorders, DSM-III. 1980 et 3rd ed. revised. DSM-III-R, Washington DC, 1987. Traduction frangaise : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. 3 e ~d. r6vis~e. Paris, Masson, 1989.

2. CONNERS OK. - - Rating scales for use in drug studies with children. Psychopharmacol bull (Special issue), 1973a, 24-84.

3. DUGAS M. - L'hyperactivite r renfant. Paris, Nodules, PUF, 1987.

4. Organisation mondiale de la sant~. - Classifica- tion internationale des maladies. 10 e ~d. Cha- pitre V (F) : Troubles mentaux et troubles du com- portement (y compris les t roubles du d~veloppement psychologique). Geneve, OMS. Version frangaise : Paris, Masson, 1993.

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