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Rééducation

La tDCS, transcranial direct current stimulationLa tDCS permet la modulation de l’excitabilité corticale en délivrant un faible courant électrique au ni-veau du crâne. Ce courant modi-fie le seuil de dépolarisation de la membrane de repos  : il est pos-sible d’abaisser son seuil de repos en proposant une stimulation dite “anodale”, ou excitatrice, ou d’éle-ver son seuil grâce à une stimula-tion “cathodale”, ou inhibitrice [11-13]. Il est possible de réaliser

une stimulation placebo, ou sham, en coupant le courant à 30  se-condes ; le sujet ressent le courant induit initialement, mais aucun ef-fet n’est produit [14].

Deux positionnements des élec-trodes sont décrits à ce jour :• soit  une  configuration  mono-hémisphérique, où l’électrode ac-tive est placée en regard de la zone d’intérêt, et l’électrode de réfé-rence placée sur la partie supra-orbitaire controlatérale ou sur l’épaule controlatérale ;• soit une configuration bi-hémis-phérique, où les deux électrodes seront placées en regard de deux zones d’intérêt (l’une aura un ef-fet inhibiteur, l’autre un effet excitateur).

Le premier travail introduisant l’idée d’un effet de la tDCS sur la

Troubles du langage chez le sujet aphasique

Impact de la stimulation transcrânienne en courant continu (tDCS)

n L’aphasie touche 300 000 personnes en France. La rééducation orthophonique participe à

l’amélioration des performances langagières du patient, mais son efficacité est sous-tendue

par des mécanismes de réorganisation neuronale. L’avènement de techniques de stimulation

non invasives, comme la transcranial direct current stimulation (tDCS), permettant une modu-

lation de l’activité neuronale, ouvre de nouvelles perspectives de prise en charge clinique de

ces troubles [1-10].

Cette revue de la littérature a pour objectif de synthétiser les connaissances disponibles sur

l’impact de ces stimulations sur la récupération de l’aphasie1.� Sophie Charvériat*

1. La recherche a ciblé toutes les études traitant de la stimulation transcrânienne par tDCS appliquée à des patients aphasiques. Les études ont été localisées grâce aux bases de données automatisées HAS, Cismef, Tridatabase, Cochrane Library, Pubmed, Unadreo et Ericdatabase, en utilisant les mots-clés “aphasia”, “language”, combinés avec “transcranial direct current stimulation”. 17 études ont été identifiées.

*Orthophoniste, Service de Médecine Physique et de Réadapta-tion du Pr Azouvi, Hôpital Raymond-Poincaré, Garches

fonction langagière chez l’apha-sique est celui de Hesse et al., en 2007 [15]. Ils étudient l’impact de cette technique sur les per-formances motrices de sujets cé-rébrolésés au décours d’une ré-éducation du membre supérieur, mais également le langage chez les hémiplégiques droits, et rap-portent une amélioration des per-formances langagières de 7,5  % à 22,5  % selon les sujets et les épreuves. Depuis, les études ne cessent de se succéder.

tDCS eT anomieL’anomie se définit comme l’inca-pacité à pouvoir nommer un ob-jet, une image ou un son. C’est un symptôme central dans l’aphasie, retrouvé dans l’ensemble des ta-bleaux cliniques [16]. A ce titre, elle est largement investiguée dans les études en tDCS.

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stimulation de l’hémisphère gauche : inhibition de l’aire de broca Monti et al. [17] proposent la tDCS comme adjuvant à la récupération naturelle. Pour cela, ils comparent, lors d’une stimulation unique, les ef-fets produits par une excitation et/ou une inhibition frontale gauche (2  mA, 10 minutes, sans rééduca-tion) par rapport à une stimulation placebo, chez 8 sujets aphasiques non fluents au stade chronique. Les auteurs retrouvent une améliora-tion des performances (nombre de réponses correctes) suite à une inhi-bition de 33,6 %, mais pas suite à une excitation ou un placebo. Les temps de réaction ne sont pas modifiés. Ils postulent une réduction de l’hyper-activité inhibitrice de la zone lésée sur les zones adjacentes [18]. Il s’agit de la première étude pilote ciblant les effets de cette technique sur le langage. Le faible nombre de patients inclus en est la principale limite.

Elle soulève aussi de nouveaux questionnements  : les bénéfices ne seraient-ils pas plus importants si la tDCS était administrée en cours de rééducation ? Ses effets ne seraient-ils pas plus prégnants si les stimula-tions étaient répétées ? Enfin le po-sitionnement sans neuronavigation des électrodes ne pourrait-il pas ex-pliquer ce résultat allant à l’encontre des connaissances en matière de ré-organisation fonctionnelle ? Baker conduit alors une nouvelle étude dans laquelle les électrodes sont placées en regard de sites structurellement intacts identifiés par IRMf et couple 5 stimulations à une rééducation orthophonique.

stimulation de l’hémisphère gauche : excitation de l’aire de broca• Baker et al. [19], s’appuyant sur l’importance du réinvestissement

périlésionnel dans l’améliora-tion des capacités de dénomina-tion [20, 21], proposent sur 5 jours consécutifs une stimulation ex-citatrice d’1  mA pendant 20 mi-nutes, couplée à une rééducation orthophonique, à 10 sujets chro-niques (fluents et non fluents). Les auteurs mettent en évidence une amélioration des performances sur les items travaillés et non tra-vaillés de 18  % contre 4  % avec le placebo.

• Mais,  Fiori  et  al.  [22]  ne  re-trouvent pas d’amélioration de la dénomination des noms com-muns après une stimulation exci-tatrice de cette même zone com-parativement à une stimulation placebo dans les mêmes condi-tions de stimulation, sur une po-pulation de sujets exclusivement non fluents chroniques. Néan-moins, il retrouve un effet de cette excitation sur la dénomination de verbes.

Bien que les résultats de ses deux études soient à nuancer en raison du faible nombre de sujets testés, ils ouvrent un nouveau débat sur l’effet des stimulations de l’aire de Broca en fonction de la catégorie grammaticale des mots.

stimulation de l’hémisphère gauche : excitation de l’aire de Wernicke• Au regard de l’importance des aires temporales dans les nou-veaux  apprentissages,  Fiori  et al. [23] s’intéressent, dans une étude clinique contrôlée rando-misée, à l’effet d’une stimulation excitatrice, couplée à une réédu-cation, comparativement à une stimulation placebo sur les per-formances en dénomination chez 3 sujets aphasiques non fluents chroniques. Cette équipe pro-pose 10 sessions de stimulation

(5 excitatrices et 5 placebo) à 1 mA, pendant 20 minutes, en regard de l’aire de Wernicke. Ils ne re-trouvent pas d’amélioration des performances en condition exci-tatrice par rapport à la condition placebo. En revanche, ils trouvent une diminution de 30 % des temps de réaction en condition excita-trice et une augmentation de 5  % en condition placebo ; ces obser-vations sont stables dans le temps. L’hypothèse retenue au décours de ce travail est une réduction de l’inhibition inter-hémisphérique due à l’augmentation de l’activa-tion des zones lésées.

• Fiori  et  al.  [22]  comparent  les effets induits sur des stimula-tions antérieures et postérieures gauches en fonction de la nature grammaticale des mots (noms vs verbes). Ils retrouvent un effet des stimulations de 31  % pour la stimulation de l’aire de Wernicke sur la dénomination des verbes (et une absence d’effet pour les deux autres configurations  : pla-cebo 13 % et Broca 12 %) et de 15 % (Broca 42  % et placebo 13  %) sur la dénomination de noms com-muns (absence d’effet des stimu-lations postérieures sur les noms communs).

Il semblerait donc que les effets de la stimulation soient influencés par la nature des mots, mais aussi par le site de stimulation.

• Enfin, Fridriksson et al.  [24] ex-plorent les effets de stimulations postérieures chez 8 sujets fluents sur les temps de réaction, dans une étude respectant le même design. Ils retrouvent une amélioration significative des temps de réac-tion en réponse suite à une stimu-lation excitatrice sur les items tra-vaillés. Ils observent un maintien des performances à 3 semaines,

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corroborant ainsi les résultats de Fritsch et al.  [25] sur  la poten-tialisation de l’apprentissage de tâches motrices couplées à la tDCS excitatrice.

Ces premières études, bien qu’étant réalisées sur un faible nombre de sujets, posent les ja-lons d’une nouvelle approche des troubles phasiques. Il apparaît in-déniable, même si les effets sont encore mal compris, que cette technique couplée à la rééduca-tion permet d’améliorer de façons quantitative et qualitative les per-formances en dénomination. La stimulation des aires antérieures repose sur l’importance du réin-vestissement périlésionnel en es-sayant de favoriser l’activité neu-ronale par une excitation, d’autres auteurs ont fait le choix d’explorer ce réinvestissement de manière indirecte en étudiant l’impact de stimulations inhibitrices au ni-veau de l’hémisphère droit sur les performances en dénomination.

stimulation de l’hémisphère droit : inhibition de l’homologue de brocaKang et al. [26] émettent l’hypo-thèse que l’inhibition du gyrus inférieur droit permettrait une amélioration des capacités de dé-nomination grâce au rétablisse-ment de la balance inhibitrice inter-hémisphérique [27, 28]. Ils étudient la réponse de 10 su-jets aphasiques non fluents chro-niques suite à une stimulation de 2 mA pendant 20 minutes, répétée 5 fois et couplée à une rééducation. Une différence plus importante entre l’amélioration des perfor-mances après stimulation inhibi-trice qu’après stimulation placebo est retrouvée par rapport à la ligne de base. Néanmoins, aucune diffé-rence n’est notée concernant les temps de réponse.

Ces observations sont en accord avec les observations de Naeser faisant suite à une stimulation en TMS (transcranial magnetic sti-mulation) [29].

stimulation de l’hémisphère droit : stimulation de l’homologue de Wernicke• Menke  et  al.  [30]  identifient  en IRMf des activations temporales droites en jeu dans le maintien à long terme des bénéfices induits par une rééducation de la dénomi-nation d’objets.

• Floël  et  al.  [31]  proposent  une étude en tDCS en regard de cette zone. Douze sujets aphasiques fluents et non fluents chroniques sont stimulés au cours d’une réé-ducation en regard de l’homologue de Wernicke à 1 mA pendant 20 mi-nutes, au cours de 18 sessions de tDCS (6 excitatrice, 6 inhibitrice et 6 stimulation placebo). Une amé-lioration de 83 % (toute stimulation confondue) est retrouvée, avec des performances significativement plus importantes après une stimu-lation excitatrice comparativement au placebo et ce, sur les mesures im-médiates et de suivi.

Seulement deux études ciblent la modulation de l’activité de l’hé-misphère droit. Elles incluent peu de sujets, et les modalités de sti-mulations sont très différentes. Il n’est donc pas possible à ce jour de pouvoir discuter des résultats. Il est donc important de poursuivre les investigations respectant ce modèle théorique.

en conclusionEn ce qui concerne la prise en charge de l’anomie, les travaux re-censés sont encourageants mais encore insuffisants pour dégager un consensus. L’anomie ne résume toutefois pas à l’aphasie et d’autres

études, moins nombreuses, se sont attachées à explorer d’autres fonc-tions langagières.

tDCS eT auTreS fonCTionS LangagièreS• You et al. [32] examinent l’évolu-tion du score global d’aphasie de 21 patients suite à une stimulation mono-hémisphérique de 2 mA dé-livrée pendant 30 minutes, cou-plée à une rééducation orthopho-nique, en comparant trois types de configurations de stimulation (une excitation gauche-réinves-tissement périlésionnel, une in-hibition droite-réduction de la balance inhibitrice inter-hémis-phérique, un placebo-condition contrôle). Les patients inclus au moment de leur hospitalisation initiale présentent tous une apha-sie globale. Ils sont randomisés en trois groupes : l’un reçoit 5 stimu-lations inhibitrices au niveau du gyrus temporal supérieur droit durant 5 jours consécutifs, l’autre 5 stimulations excitatrices au ni-veau du gyrus temporal supérieur gauche au même rythme et l’autre 5 stimulations placebo. Aucune différence sur le score global n’est retrouvée entre les trois groupes, mais une analyse des sous-tests (compréhension, répétition, dé-nomination, discours spontané) met en avant une amélioration de la compréhension verbale signifi-cativement plus marquée en confi-guration inhibitrice comparative-ment aux autres configurations. Ils concluent à un effet plus inté-ressant, à un stade précoce, de la réduction de la balance inhibi-trice inter-hémisphérique par in-hibition hémisphérique droite. Cette étude intéressante présente néanmoins quelques limites dont l’absence de site de stimulation contrôle et l’absence de mesures

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de suivi ; il s’agit de la première étude sur l’intérêt de la stimula-tion à un stade précoce au moment où les phénomènes de réorganisa-tion sont les plus importants.

• Marangolo  et  al.  [23]  sont  les premiers à proposer une étude ci-blant l’impact de la tDCS sur la speech apraxia (difficultés au ni-veau de la programmation phoné-mique des mots). Ils proposent un effet bénéfique induit par des sti-mulations excitatrices au niveau de Broca (zone en jeu dans la réa-lisation arthrique). Pour cela, ils évaluent l’effet d’une stimulation mono-hémisphérique au niveau de l’aire de Broca, auprès de 3 su-jets aphasiques. En parallèle d’une rééducation, il administre 5 stimu-lations excitatrices à une inten-sité de 1  mA pendant 20 minutes et 5 stimulations placebo à raison d’une stimulation par jour pen-dant 2 semaines. Ils objectivent une amélioration des perfor-mances plus importante en condi-tion excitatrice par rapport à la condition placebo, avec des effets qui se maintiennent dans le temps (2 mois après traitement). Ces résultats intéressants de-mandent à être vérifiés en rai-son du faible nombre de su-jets et encouragent de nouvelles investigations.

• Une  nouvelle  étude  en  stimula-tion bi-hémisphérique est propo-sée, auprès de 8 patients aphasiques chroniques présentant une speech apraxia [34]. L’électrode excita-trice est placée en regard de l’aire de Broca et l’électrode inhibitrice en regard de son homologue. Le cou-rant est soit délivré à une intensité de 2  mA pendant 20 minutes, soit coupé au bout de 30 secondes pour le placebo. Pour chaque configura-tion le patient est stimulé pendant 10 jours à raison d’une stimulation

par jour. Il bénéficie d’une prise en charge orthophonique ciblant le travail de la répétition en cours de stimulation. Les auteurs trouvent une amélioration significative des performances et des temps de réac-tion pour la répétition de syllabes, de mots et de phrases juste après la série de stimulations et 10 jours plus tard comparativement au placebo. Cette étude, bien que portant sur un faible nombre de sujets, est la pre-mière proposant une stimulation bi-hémisphérique dans le cadre de la récupération de fonctions lan-gagières. Il est important de pour-suivre les recherches en ce sens.

Si la prise en charge analytique correspond à une partie de la prise en charge orthophonique, elle n’est pas le seul recours. Il existe tout un ensemble de thérapies validées permettant d’améliorer les performances verbales d’un sujet aphasique. Deux études re-cherchent les effets possibles de la tDCS administrées conjointement à leur pratique.

tDCS eT TeChniqueS De rééDuCaTion

tdcs et mit (melodic intonation therapy)La Melodic  Intonation  Therapy a été développée sur le principe d’un recrutement d’aptitudes liées à l’activité de l’hémisphère droit (traitement de la mélodie) pour soutenir l’activité dégradée de l’hémisphère gauche [35]. Vines et al. [36] étudient, auprès de 6 sujets chroniques non fluents, l’effet de stimulations excitatrices au niveau de l’homologue de Broca administrées lors de séances en MIT, avec pour critère d’évalua-tion la fluence. Le courant est dé-livré à 1,2 mA pendant 20 minutes au cours de 3 sessions et coupé

au bout de 30 secondes au cours de 3 autres sessions placebo. Ils mettent en évidence une amélio-ration significative de 11 % des per-formances dans la tâche de fluence après stimulation excitatrice com-parativement au placebo.

tdcs et thérapie conversationnelle intensive Marangolo et al. [37] évaluent l’ef-fet de la tDCS couplée à une thé-rapie conversationnelle intensive au cours de laquelle le thérapeute discute avec le patient en le gui-dant afin d’optimiser son potentiel de communication pour le rendre plus informatif, chez 12 sujets aphasiques non fluents chroniques [38]. Trois configurations de sti-mulation sont comparées : un pla-cebo et deux autres où l’électrode excitatrice est placée soit en regard de l’aire de Broca, soit de l’aire de Wernicke. Chaque configuration est testée pendant 10 jours consé-cutifs, durant lesquels la rééduca-tion se fait sous stimulation à 1 mA pendant 20 minutes. Le critère de jugement concerne le nombre de mots informatifs, de verbes et de phrases. Les auteurs retrouvent une amélioration significative des performances suite à la stimula-tion de l’aire de Broca comparative-ment au placebo ou à la stimulation de l’aire de Wernicke. Ces observa-tions se prolongent dans le temps (1 mois).

Ces deux études augurent l’inté-rêt de coupler la tDCS à certaines techniques de rééducation mais, encore une fois, le faible nombre de sujets ne permet pas de définir un niveau de preuve suffisant pour proposer des guidelines.

au totalToutes ces études permettent d’espérer pouvoir proposer de nouvelles techniques aux sujets

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aphasiques dans les années à venir.

Néanmoins, elles soulèvent des in-terrogations techniques : • Faut-il proposer une stimulation mono ou bi-hémisphérique ? • Est-il  vraiment  nécessaire  de coupler cette stimulation à une rééducation ? • A quel moment son administra-tion est-elle la plus bénéfique ? • Enfin, existe-t-il des facteurs in-fluençant la bonne ou la mauvaise réponse à cette technique ?

tDCS eT aphaSie : aSpeCTS TeChniqueS• Lee et al.  [29] comparent  les ef-fets d’une stimulation mono-hémisphérique à une stimu-lation bi-hémisphérique. Ils choisissent une tâche de déno-mination et de fluence comme critères de jugement. Ils admi-nistrent 2 stimulations (l’une en mono-hémisphérique et l’autre en bi-hémisphérique) à 2 mA pen-dant 30 minutes, à 11 sujets fluents et non fluents chroniques et com-parent les performances obtenues. Aucune différence quantitative n’est retrouvée entre les deux posi-tionnements mais, en condition de double stimulation, ils objectivent une amélioration plus importante des temps de réaction qu’en simple stimulation.

• Volpato et al. [40] s’interrogent sur l’intérêt de coupler une ré-éducation de l’anomie à la stimu-lation. Huit sujets fluents et non fluents chroniques reçoivent une stimulation excitatrice au niveau de l’aire de Broca, sans rééduca-tion associée, à une intensité de 2 mA pendant 20 minutes durant 5 jours consécutifs, et le même nombre de stimulations en pla-cebo. Ils ne retrouvent pas d’effet

de la stimulation excitatrice com-parativement au placebo, sauf pour 1 des 8 patients. Cette étude renforce l’hypothèse de l’inté-rêt de coupler la rééducation à la stimulation.

• Polanowska  et  al.  [41]  pro-posent une étude évaluant les effets des stimulations précoces sur la récupération des apha-siques. Ils mesurent en pré- et en post-traitement et à 3 mois, les performances de 37 sujets apha-siques fluents et non fluents ré-partis en deux groupes bénéfi-ciant chacun d’une rééducation orthophonique mais dont l’un est stimulé (15 sessions à 1 mA pen-dant 10 minutes) et l’autre non. Ils n’identifient pas de différence entre les deux groupes après le traitement ou à 3 mois.

• Enfin, Yung  et  al.  [42]  étudient les facteurs pouvant influencer la réponse à une stimulation inhibi-trice de l’aire de Broca. Ils testent, grâce à la version coréenne de la WAB (Western  Batterie  Apha-sia), 37 sujets auxquels ils admi-nistrent 10 séances de rééduca-tion couplées à une stimulation de 1  mA pendant 30 minutes, et comparent le score global d’apha-sie en fonction de différents cri-tères. Les facteurs d’âge, de sexe, le délai entre le traitement et l’ac-cident et le type d’aphasie ne res-sortent pas comme influençant une bonne réponse à la stimula-tion. Par contre, les améliorations semblent plus marquées chez les sujets ayant un score de sévérité > 10  % et ayant fait un accident de type hémorragique. Il semble-rait donc que certains facteurs in-fluencent la réponse à la stimu-lation, mais ces résultats doivent être confirmés en raison de l’ab-sence de groupe contrôle ou de stimulation placebo.

ConCLuSionL’intérêt pour les stimulations en tDCS couplées à la rééducation orthophonique est aujourd’hui grandissant. Néanmoins, aucun consensus ne se dégage de la litté-rature concernant les conditions de stimulation (positionnement, moment de l’administration post-AVC et paramètres de stimula-tion) ni en termes de mécanismes en jeu.

Nous proposons, pour avancer sur la question du positionnement des électrodes, avec le soutien de l’IN-SERM, une étude pilote contrôlée randomisée en double aveugle, ex-plorant les effets induits par une stimulation bi-hémisphérique sur les capacités de dénomination en comparant 5 positionnements d’électrodes différents (2 configu-rations antérieures et 2 configu-rations postérieures contre pla-cebo) chez des sujets aphasiques à un stade précoce. Nous étudie-rons les effets induits sur les per-formances en dénomination en fonction de la configuration de sti-mulation d’un point de vue quan-titatif (pourcentage d’améliora-tion du score brut) d’une part, et d’un point de vue qualitatif (temps de réponse, nombre et nature des erreurs, effets de généralisation et d’apprentissage) d’autre part. Les corrélations entre les réponses par rapport au positionnement et la taille et la localisation de la lé-sion, ainsi que le délai post-AVC au moment de la prise en charge, se-ront étudiés.

Au regard de la simplicité de l’ad-jonction de cette technique à nos rééducations et de l’espoir porté par les résultats cités, il apparaît essentiel de poursuivre les inves-tigations pour évaluer s’il est pos-sible de proposer à terme ces tech-niques en soin courant. n

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Troubles du langage chez le sujeT aphasique

correspondance

Sophie Charvériat

Orthophoniste

GRCTH EA 4497

Service de Médecine physique et de

Réadaptation du Pr Azouvi

Hôpital Raymond-Poincaré

104 boulevard Raymond-Poincaré

92380 Garches

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bibliographie

mots-clés : aphasie, anomie, Speech apraxia, Stimulation trans-crânienne en courant continu, aire de Broca, aire de Wernicke, rééducation, orthophonie,