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No 12 – septembre 2007 Revue éditée avec le soutien d’Espaces Marx Diffusée par courrier électronique Tél. : 01 60 02 16 38 E mail : Pensee [email protected] Site Internet : http://www.espaces-marx.org/ Aller à Publications, puis à La Somme et le Reste Sommaire - Congrès Marx International V : Ateliers 7 et 8 1 - Sylvain Sangla : Réflexions sur une criti- que : que redevenir marxiste implique 4 - Pierre Assante : Sur le travail 7 - Alessandra Dall’Ara : La « Totalité de la Pensée » dans la recherche philosophique (en honneur à René Descartes) 10 Animateur de la revue : Armand Ajzenberg Rédacteurs(trices) – correspondants(antes) : Ajzenberg Armand (F), Andrade Margarita Maria de (Brésil), Anselin Alain (Martinique), Beaurain Nicole (F), Be- nyounes Bellagnesch (F), Bihr Alain (F), Carlos Ana Fani Alessandri (Brésil), Damiani Amélia Luisa (Brésil), Delory- Momberger Christine(F), Devisme Laurent (F), Gromark Sten (Suède), Guigou Jacques (F), Hess Rémi (F), Joly Robert (F), Kofman Éléonore (Royaume Uni), Labica Georges (F), Lantz Pierre (F), Lenaerts Johny (Belgique), Lufti Eulina Pacheco (Brésil), Magniadas Jean (F), Martins José de Souza (Brésil), Matamoros Fernando (Mex.), Montferran Jean- Paul (F), Müller-Schöll Ulrich (Allemagne), Nasser Ana Cristina (Brésil), Öhlund Jacques (Suède), Oseki J.H. (Brésil), Péaud Jean (F), Querrien Anne (F), Rafatdjou Makan (F), Sangla Sylvain (F), Seabra Odette Carvalho de Lima (Brésil), Spire Arnaud (F), Sposito Marilia Pontes (Brésil), Tosel André (F). Études lefebvriennes - Réseau mondial MARX, DELEUZE, DESCARTES, LEFEBVRE… ET LES AUTRES Rappel : le Congrès Marx International V, qui se tiendra du 3 au 6 octobre 2007 à l’Université ParisX Nanterre. Evéne- ment majeur de la vie intellectuelle, en France mais aussi au plan international, ce Congrès est devenu la rencontre qui compte pour tous ceux qui se réclament de Marx. Cette année, mais ce n’est une première, deux ateliers seront consacrés à la pensée d’Henri Lefebvre. L’atelier 6 (Marxisme et vie quotidienne) et l’atelier 7 (le marxisme, Lefebvre, la ville). Au sommaire de ce numéro, également : Sylvain Sangla, Pierre Assante et Alessandra Dall’Ara. Pour sylvain Sangla, il s’agit, à partir d’une analyse critique d’un article d’Isabelle Garo (Deleuze, Marx et la révolu- tion…), de s’interroger sur ce que « redevenir marxiste implique ». Pour lui, les œuvres de Deleuze et Guattari sont des balises exigeantes qui ne sont pas incompatibles avec un marxisme ouvert ne confondant pas les révisions/actualisations de Marx avec les critiques dirimantes, du philosophe et économiste. En ce sens, pour Sylvain Sangla, les travaux d’Henri Lefebvre constituent un lien précieux entre Marx et Deleuze. Pour Pierre Assante, l’inversion économique des échanges est « la condition matérielle de vie dans un mode produc- tion historiquement déterminé. De moyen d’échange, l’argent est devenu but de cet échange, et moyen de domination pour le groupe qui l’accumule. Pour lui, l’interrogation de fond est : comment remplacer le despotisme du Capital par un mode d’administration de la société où les besoins humains seront au centre ? À ce stade de sa réflexion, Pierre Assante soumet aux lecteurs une série de questions liées à ce « comment ». Pour Alessandra Dall’Ara, il s’agit d’une étude sur Descartes. Dans celle-ci, l’auteur(e) répond à la question critique qu’Henri Lefebvre avait posée à propos de la philosophie cartésienne : quel est le sens aujourd’hui du principe cartésien « Cojito, ergo sum » ? Dans le manque de critères objectifs de connaissance et de valeur, en Philosophie, comme dans les Sciences, tout devient relatif et arbitraire. La philosophie devient alors « le règne de la parlerie » (Henri Lefebvre). Avec la philosophie illuministe de Descartes, comme chemin illuminé d’évolution du JE pensant dans la recherche du vrai, pour Alessandra Dall’Ara, la philosophie sort alors du règne de la parlerie et réintègre la philosophie.

Études lefebvriennes - Réseau mondial - Espaces Marx Bellagnesch (F), Bihr Alain (F), Carlos Ana Fani Alessandri ... balises exigeantes qui ne sont pas incompatibles avec un marxisme

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No 12 – septembre 2007

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Revue éditée avec le soutien d’Espaces Marx

Diffusée par courrier électroniqueTél. : 01 60 02 16 38

E mail : Pensee [email protected] Internet : http://www.espaces-marx.org/

Aller à Publications, puis à La Somme et le Reste

Sommaire- Congrès Marx International V :Ateliers 7 et 8 1

- Sylvain Sangla : Réflexions sur une criti-que : que redevenir marxiste implique 4

- Pierre Assante : Sur le travail 7

- Alessandra Dall’Ara : La « Totalité de laPensée » dans la recherche philosophique(en honneur à René Descartes) 10

Animateur de la revue : Armand Ajzenberg

Rédacteurs(trices) – correspondants(antes) :Ajzenberg Armand (F), Andrade Margarita Maria de (Brésil), Anselin Alain (Martinique), Beaurain Nicole (F), Be-nyounes Bellagnesch (F), Bihr Alain (F), Carlos Ana Fani Alessandri (Brésil), Damiani Amélia Luisa (Brésil), Delory-Momberger Christine(F), Devisme Laurent (F), Gromark Sten (Suède), Guigou Jacques (F), Hess Rémi (F), Joly Robert(F), Kofman Éléonore (Royaume Uni), Labica Georges (F), Lantz Pierre (F), Lenaerts Johny (Belgique), Lufti EulinaPacheco (Brésil), Magniadas Jean (F), Martins José de Souza (Brésil), Matamoros Fernando (Mex.), Montferran Jean-Paul (F), Müller-Schöll Ulrich (Allemagne), Nasser Ana Cristina (Brésil), Öhlund Jacques (Suède), Oseki J.H. (Brésil),Péaud Jean (F), Querrien Anne (F), Rafatdjou Makan (F), Sangla Sylvain (F), Seabra Odette Carvalho de Lima (Brésil),Spire Arnaud (F), Sposito Marilia Pontes (Brésil), Tosel André (F).

Études lefebvriennes - Réseau mondial

MARX, DELEUZE, DESCARTES, LEFEBVRE… ET LES AUTRESRappel : le Congrès Marx International V, qui se tiendra du 3 au 6 octobre 2007 à l’Université ParisX Nanterre. Evéne-

ment majeur de la vie intellectuelle, en France mais aussi au plan international, ce Congrès est devenu la rencontre quicompte pour tous ceux qui se réclament de Marx. Cette année, mais ce n’est une première, deux ateliers seront consacrés àla pensée d’Henri Lefebvre. L’atelier 6 (Marxisme et vie quotidienne) et l’atelier 7 (le marxisme, Lefebvre, la ville).

Au sommaire de ce numéro, également : Sylvain Sangla, Pierre Assante et Alessandra Dall’Ara.

Pour sylvain Sangla, il s’agit, à partir d’une analyse critique d’un article d’Isabelle Garo (Deleuze, Marx et la révolu-tion…), de s’interroger sur ce que « redevenir marxiste implique ». Pour lui, les œuvres de Deleuze et Guattari sont desbalises exigeantes qui ne sont pas incompatibles avec un marxisme ouvert ne confondant pas les révisions/actualisationsde Marx avec les critiques dirimantes, du philosophe et économiste. En ce sens, pour Sylvain Sangla, les travaux d’HenriLefebvre constituent un lien précieux entre Marx et Deleuze.

Pour Pierre Assante, l’inversion économique des échanges est « la condition matérielle de vie dans un mode produc-tion historiquement déterminé. De moyen d’échange, l’argent est devenu but de cet échange, et moyen de dominationpour le groupe qui l’accumule. Pour lui, l’interrogation de fond est : comment remplacer le despotisme du Capital par unmode d’administration de la société où les besoins humains seront au centre ? À ce stade de sa réflexion, Pierre Assantesoumet aux lecteurs une série de questions liées à ce « comment ».

Pour Alessandra Dall’Ara, il s’agit d’une étude sur Descartes. Dans celle-ci, l’auteur(e) répond à la question critiquequ’Henri Lefebvre avait posée à propos de la philosophie cartésienne : quel est le sens aujourd’hui du principe cartésien« Cojito, ergo sum » ? Dans le manque de critères objectifs de connaissance et de valeur, en Philosophie, comme dans lesSciences, tout devient relatif et arbitraire. La philosophie devient alors « le règne de la parlerie » (Henri Lefebvre). Avec laphilosophie illuministe de Descartes, comme chemin illuminé d’évolution du JE pensant dans la recherche du vrai, pourAlessandra Dall’Ara, la philosophie sort alors du règne de la parlerie et réintègre la philosophie.

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CONGRÈS MARX INTERNATIONAL V

Université de Paris 10 – Nanterre

Du 3 au 6 octobre 2007

ATELIERS « CULTURE »

u cours de ces journées, deux ate-liers (co-organisés avec la revue

La somme et le reste. Études lefebvriennes)seront consacrés à l’actualité de l’œuvred’Henri Lefebvre. Plus précisément, l’atelier7 traitera de « Marxisme et vie quotidienne »tandis que l’atelier 8 traitera, lui, du« Marxisme et la question de la ville ».

Atelier 6 (Marxisme et vie quotidienne)

Pour Henri Lefebvre, le concept devie quotidienne complétait la notion demode de production telle qu’elle venaitde Marx. Il y incluait un ensemble dechamps qui n’avaient jusque-là pas étéprises en compte, soient qu’ilsn’existaient pas alors, soit qu’ils aient étéoubliés : loisirs, vie privée et familiale, etsurtout la ville et l’urbain.

L’entrée de la vie quotidienne dansl’analyse du mode de production conduità penser autrement les catégories forcesproductives et rapports de production.Les premières ne se résument plus autravail productif et aux lieux de produc-tion. Elles ne les éliminent pas, mais lesincluent dans un ensemble plus large.

De même, s’agissant des rapportsde production, Henri Lefebvre avait in-troduit l’idée d’une forme nouvelle delutte de classe - moderne – qui n’avaitplus comme moteur unique la classe ou-vrière. Cette forme nouvelle de lutte declasse, là encore, n’exclut en rien les for-mes traditionnelles de luttes mais les in-cluent dans un ensemble plus large.

Atelier 7 (le marxisme, Lefebvre, la ville)

Les travaux de cet atelier serontplus précisément dédiés aux aspects quel’analyse et la conception marxistesavaient négligés : la ville, l’urbanisme,l’architecture et, plus largement, les espa-ces et temps sociaux qui sont devenus,disait Lefebvre, des marchandises autourdesquelles se livrent de grandes luttes.Ces « biens » restant cependant le fonde-ment la valeur d’usage bien qu’entrésdans les valeurs d’échange, ajoutait-il.

oooooo

Les travaux des deux ateliers sontdonc, en quelque sorte, complémentaires.Il s’agit dans l’un et dans l’autre de« recherche » à partir des travaux d’HenriLefebvre. Avec cette hypothèse de« recherches », les travaux de l’atelier 7pourraient être qualifiés de « recherchefondamentale » et ceux de l’atelier 8 de« recherche appliquée ». Telle du moinspourrait en être l’ambition.

Mais s’intéresser aux pensées deMarx et de Lefebvre, ce n’est pas seule-ment se contenter d’analyser l’existantmais c’est encore se projeter vers l’à-venir. Une conférence intitulée« Marxisme pour le 21 e siècle » s’est tenueà Berlin du 20 au 22 avril 2007. Dans untexte préparatoire à ces travaux, ThomasMetscher indique que, pour lui, « le mar-xisme est triple : il est une reconnaissancehistorique, dans la mesure où il étudie le pas-sé. Il est encore une pensée anticipative, dansla mesure où il explore l’avenir, et il est enfinun diagnostic du présent, dans la mesure où ilcomprend le temps dans lequel il est ». Ainsi,

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ajoute-t-il le diagnostic du présent, sans laconnaissance du passé et sans examen del’avenir, ne pourra jamais être complet.

On est proche, ici, d’Henri Lefebvredéclarant « N’adhère fortement au présentque celui qui aperçoit le devenir, c’est-à-direle virtuel et le possible ». Avec la théorie du« possible » Henri Lefebvre propose cetautre renversement : la réintroductiondans la pensée de l’infini. « Si je posed'abord le fini, comme le font les sciences etles savants (qui partent de finitude commetelle : le commencement, le zéro et l'unité, lasegmentation et la mesure), l'infini fait pro-blème. Mais si je pars de l'infini, soit intui-tion, soit concept c'est le fini qui faitproblème! L'introduction de l'infini, aujour-d'hui, dans la compréhension (la connais-sance ? la représentation ?) du monde va depair avec l'affirmation de sa complexité infi-nie » (Le retour de la dialectique).

Pour Henri Lefebvre, le « réel, c'estun possible effectué ou actualisé. D'une façonou d'une autre, et quelle que soit notre ma-nière de nous représenter le lien, nous devonsconcevoir une connexion entre l'actuel d'unepart, et d'autre part le virtuel, le potentiel, lepossible. L'actuel et le virtuel ont une relationdialectique, même quand il s'agit de phéno-mènes naturels, à bien plus forte raison quandil s'agit de phénomènes humains où toujoursintervient une conscience du possible. L'actehumain se définit toujours comme un choix -ouverture au possible -, que l'acte soit indivi-duel ou collectif. Sans possibilité, pas d'activi-té, pas de réalité, sinon morte à l'imitation dela chose isolée, qui n'a qu'une possibilité : semaintenir » (Critique de la vie quoti-dienne, tome II). Ainsi, avec la prédomi-nance du « fini » sur « l’infini » - safétichisation - l’histoire serait terminée etl’apparent – le capitalisme – le serait pourl’éternité. Proposition inacceptable.

Armand AjzenbergJean-Marc Lachaud

Olivier Neveux

Atelier 6 (Date : vendredi 5, de 14 à 16 h)

(Modérateurs : Armand Ajzenberg et Oli-vier Neveux)

Intervenants :Philippe Caumières (Philosophe. Bor-deaux)Rémi Hess (Philosophe. Université deParis 8)Armand Ajzenberg (Animateur de larevue La somme et le reste)

Atelier 7 date : vendredi 5 octobre, de 16 à18 h)(Modérateurs : Armand Ajzenberg etJean-Marc Lachaud)

Intervenants :Daniel Bensaid (Philosophe. Universitéde Paris 8)Jean-Yves Martin (Géographe. Universitéde Bordeaux 3Makan Rafatdjou (Architecte-Urbaniste.Paris)Sylvain Sangla (Enseignant en philoso-phie. Paris)

Les autres ateliers « culture »

Atelier 1 Cinéma et altermondialisme : re-présenter le monde ou le transformer ? (jeu-di 4, de 10 à 12 h)

Atelier 2 Un théâtre du refus (jeudi 4, de 14à 16 h)

Atelier 3 usages politiques de l’art et mobili-sations d’artistes (jeudi 4, de 16 à 18 h)

Atelier 4 Herbert Marcuse : culture etcontre-culture (vendredi 5, de 9 à 11 h)

Atelier 5 La littérature et la poésie àl’heure de la mondialisation capitaliste :raconter, décrire, critiquer, ré-inventer lemonde réel ? (vendredi 5, de 11 à 13 h)

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Congrès Marx International VAltermondialisme/anticapitalisme

Pour une cosmopolitisme alternative

Université de Paris X Nanterre (RER A, Nanterre Université)

Présidents : Jacques Bidet et Gérard Duménil

Mercredi 3octobre, Université de Paris X, Nanterre, Bâtiment L.Accueil à partir de 16 heuresPlenum d'ouverture à 19 heures

Jeudi 4 octobre, Université de Paris X, Nanterre, Bâtiment L.9h-12h et 14h-20h

Vendredi 5 octobre, Université de Paris X, Nanterre, Bâtiment L.9h-13h et 14h-20h

Samedi 6 octobre, Université de Paris X, Nanterre, Bâtiment l. 9h30-13h et 15h-17h

Au seuil du IIIe millénaire, le capitalisme déploie une dynamique d’asservissement et de vio-lence renouvelée. Le néolibéralisme met en concurrence les travailleurs du monde entier. Il nivelleles acquis du mouvement ouvrier et démocratique, des luttes des femmes, des combats du Tiers-monde. Il liquide les identités et autonomies nationales. Il dissout les diversités culturelles au pro-fit de substituts marchandisés. Il nous précipite vers la catastrophe écologique.

De la dynamique globale des résistances de tous ordres émerge une force unificatrice. Lemouvement altermondialiste a fait surgir une logique mondiale des solidarités qui donne àl’internationalisme un nouveau visage. Il a mis en avant un mot d’ordre universel : « un autremonde est possible ». De multiples composantes travaillent à en définir les conditions économi-ques, politiques, culturelles, sociales. Mais pourra-t-il éluder les questions les plus redoutables :comment changer le monde dans le capitalisme ? Et pour quel autre monde non capitaliste ? L’ambition dece Ve Congrès Marx International est de mettre en débat ces interrogations. Il s’agit de penser debas en haut une autre cosmopolitique.

Notre appel s’adresse aux chercheurs de toutes disciplines, à tous les collectifs de recherches, académi-ques ou non, qui se reconnaissent dans la perspective d’un « autre monde ».

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Organisation de la rencontreElle est construite sur la base de

- Sections Scientifiques : Philosophie, Economie, Droit, Histoire, Sociologie, Culture,Langages, Sciences Politiques, Anthropologie.

-

- Sections thématiques : Etudes Féministes, Ecologie, Socialismes, Marxismes.-

- Des plénums interdisciplinaires rassembleront les congressistes sur des thèmestransversaux.

-

Les revues théoriques co-organisatrices y développeront leurs propres projets.

Contact : [email protected]

L’information s’affichera progressivement sur le site :http://netx.u-paris10.fr/actuelmarx/

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Sylvain Sangla(lycée J.Rostand, Villepinte)

Réflexions sur une critique : ceque redevenir marxiste implique.

Jean Genet.

- L’article d'Isabelle Garo : Deleuze,Marx et la révolution : ce que "rester marxiste"veut dire (voir la revue Contretemps n°17 sep-tembre 2006) est centré sur le "rapport trèssingulier [de Deleuze] à Marx et au Mar-xisme", rapport aussi caractérisé comme"complexe", "étonnant" et "sidérant". Or, à -salecture, on peut se demander si l'étonnementet la sidération ressentis ne tiennent pas aufait que la pensée politique (et de la politique)deleuzienne n'est pas comprise et que celle deMarx l'est d'une façon, pour le moins, réduc-trice. Voyons, en premier lieu, le départ faitpar I. Garo des aspects positifs et négatifs durapport de Deleuze à Marx. Les premiers sontmodestes, car il s'agit, en tout et pour tout :d'un attachement à Marx et au marxisme ja-mais renié, de l'utilisation régulière du voca-bulaire marxiste et de l'indication, floue audemeurant, de quelques pistes de recherchesur les évolutions du capitalisme contempo-rain. En revanche, du côté du négatif les cho-ses se gâtent car les reproches sont lessuivants : une reprise superficielle du voca-bulaire marxiste sans juste compréhension niapplication des concepts dans leur rigueur etleur richesse, une obscurité postmodernegénérale de l'œuvre incapable d'argumenta-tion, une modestie du militantisme politique,un académisme universitaire conservateur,un refus de la méthode dialectique, une al-liance (involontaire?) avec le néolibéralisme,une reprise de philosophies réactionnaires(Nietzsche, Bergson), une esthétisation dépo-litisante de la vie et de la pensée, un freudo-marxisme, une conception réductrice dupouvoir, de l'Etat et du travail, un décou-plage de la théorie et de la pratique condui-sant à une autonomisation contre-révolutionnaire de la philosophie, la créationd'une ontologie et d'une métaphysique, un

proudhonisme voire un anarchisme. N'enjetez plus!

Examinons la validité de ces critiques.Parler, tout d'abord, d'une ontologie deleu-zienne (ou nietzschéenne !), alors que leterme est marginal dans son œuvre, c'est ap-pliquer une grille de lecture classique à unepensée qui se refuse à chercher une quel-conque science de l'être à l'aide de catégoriesfixes. On peut, à la rigueur, le faire d'une ma-nière a posteriori mais c'est rester en-deça desapports de cette pensée, c'est rester prison-nier (à l'image de la lecture d'Alain Badiou)d'un classicisme métaphysique étranger àDeleuze. De même, évoquer une métaphysi-que deleuzienne nous semble être une aber-ration à propos d'un auteur si peu préoccupépar les questions du sujet, de la vérité, de laconscience, du matérialisme et de l'idéalisme(d'ailleurs, parler dans la même page du «ter-rain métaphysique» de Deleuze et de l'inter-diction pour lui de «poser la question de lavérité et du matérialisme» est contradictoire).

C'est bien plutôt un certain marxisme(celui de Garaudy, de Kanapa, de tout un pande l'œuvre de Lucien Sève, par exemple) quireste pris dans les rets de la métaphysique,comme Châtelet le montre bien dans Logos etpraxis à propos notamment de la Dialectiquede la nature d'Engels et de Matérialisme et em-piriocriticisme de Lénine. Cette posture ad'ailleurs entraîné une cécité de la plupartdes penseurs marxistes envers les thémati-ques du désir, du corps, de la différence, del'immanence. Ce n'est donc pas un hasard siNietzsche et Bergson sont congédiés sur laseule base de l'accusation d'être «réactionnai-res ». Un peu court comme analyse marxiste.

Voir ensuite en Deleuze un penseurpostmoderne (sans référence à la définitionprécise du concept par Lyotard) est, pour lemoins, problématique car les deux tomes deCapitalisme et schizophrénie regorgent degrands récits historiques, même si leurconception de l'Histoire est complexe, et ilssont loin d'abandonner tout effort de rationa-lisation, même si leur définition de la raisonest rien moins que classique. Les penseurs seréclamant du marxisme (de quel marxismed'ailleurs? Tant un Lukàcs peut différer d'unGaraudy ou un Lefebvre d'un Althusser) au-raient intérêt à délaisser les procès en hérésieou en révisionnisme qui font que « la simpli-fication, la diffamation, l'imputation gratui-

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tes» sont leurs armes beaucoup plus que cel-les de Deleuze. La «divine surprise de la dé-sagrégation éclaire des pays socialistes»devrait sonner le glas de ce marxisme de pro-cureur. La philosophie deleuzienne nous aided'ailleurs à penser cet effondrement tragi-comique en retrouvant chez Hegel et Marx etleur lien problématique au pouvoir, à l'Etat, àla bureaucratie et à la technocratie, une de sescauses. C'est bien cet élément, entre millecontingences, qui a conduit à l'implosiond'un système qui est aussi l'invalidation pra-tique d'une conception du marxisme. Il fautnoter au passage, que contrairement à AndréGlucksmann (on peut consulter à ce propos letract définitif sur les «nouveaux philosophes»ni nouveaux ni philosophes, rédigé en 1977par Deleuze), Deleuze et Guattari ne rejettentpas en bloc la référence au marxisme mais lamaintiennent envers et contre certains as-pects du marxisme lui-même. Etre marxisteimplique forcément de réviser les idées ob-solètes et les inévitables lacunes de Marx, parexemple : ambivalence de sa conception et desa pratique autoritaire du pouvoir, absencede pensée écologique, vision messianique dudestin historique du prolétariat, etc. Il estbien plus important d'être fidèle aux princi-pes, que d'être dogmatiquement attaché à lalettre d'une œuvre qui non seulement,comme toute œuvre, possède des limiteshistoriques mais qui, de plus, réclame expli-citement la critique, la correction et le déve-loppement.

Ainsi, faire de Deleuze l'inspirateur(même involontaire) ou «l'accompagnateur»du néolibéralisme est un contresens absolu,que l'on retrouve dans la dérive interpréta-tive d'Antonio Negri. En effet, si Deleuzeparle bien de porter à son comble le proces-sus de déterritorialisation générale initié parle capitalisme, cela implique la subversion dece dernier car il ne va pas sans un processussimultané de reterritorialisation (dans et par :la famille, l'Etat, la consommation, l'ordremoral, etc.). Quelle idée plus marxiste quecelle qui voit dans l'état présent de la sociétédes potentialités permettant de dépasser lescontradictions et les blocages actuels? En cequi concerne l'Etat, Deleuze a parfaitementperçu l'ubiquité fondamentale du rapportcapitaliste à l'Etat : une réduction drastiquedans son rôle social, un surdéveloppementmonstrueux dans ses fonctions répressives,

policières et militaires. Quant au travail, il n'ya pas, à notre avis, de contestation de sa«centralité» et d'opposition abstraite entre«valeur travail» et «valeur désir », mais bienplutôt réinscription du travail au cœur mêmedes processus psychiques, comme le mon-trent les termes de «machines désirantes» etde «productions désirantes », et, inversement,réinscription du désir au sein des processuséconomiques. Comment ne pas voir, parexemple, que la fascination consumériste estpartie prenante de l'aliénation des exploités :un chômeur ou un travailleur précaire peutdésirer à en crever une voiture ou un écranplasma. C'est bien une des leçons majeures

que d'avoir montré quel'aliénation ne se jouait pas au seul niveauidéologique, mais bien plus fondamentale-ment à celui du désir. Les exploités saventbien pour la plupart qu'ils sont exploités,comme ils savent par qui, mais le drame c'estque cela ne les empêchent pas de ne pas re-mettre en question l'ordre social (par peur,par impuissance individuelle, par habitude,par découragement, par conformisme, parespoir de devenir riche soi-même). Cettecontamination infra-idéologique des espritsest très certainement un obstacle majeur àtoute révolution.

Cette volonté de relier l'ordre économi-co-social et l'ordre libidinal n'implique au-cune « proximité» entre Deleuze, Guattari etle freudo-marxisme. Dans le cours du28/05/73, cité par I. Garo, Deleuze affirmerefuser le simple parallélisme des ordres psy-chique et social que l'on trouve, par exemple,chez Reich : «Nous au contraire, notre pointde départ est très simple : il n'y a et il n'y ajamais eu qu'une seule économie et c'est lamême économie qui est fondamentalement,dès le début, à la fois désirante ou libidinaleet politique.» Cela rompt, bien sûr, avec leschéma classique de «l'alliance de la pensée etde la révolution» dans lequel se place encoreI. Garo : une théorie maîtresse d'elle-même,reflétant le réel et structurant le potentiel ré-volutionnaire des masses exploitées, par lamédiation d'un parti politique révolution-naire avant-gardiste. Or, la dure épreuve dela réalité nous l'a montré, chacune de cesinstances, ainsi que leurs liens, sont pour lemoins problématiques. Parler du Parti, duProlétariat, du Secrétaire Général, de la Ré-volution, c'est transformer en hypostases

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mortifères ce qui devrait être des processusvivants complexes. La multiplication des op-positions duales par Deleuze, sur fond d'unchamp d'immanence radicale, lui permetd'éviter ces pseudo-dialectiques mécanistes etsclérosées.

De fait, s'il congédie aussi «toute caté-gorie de représentation», loin d'être un défautc'est bien plutôt l'affirmation du refus detoute hiérarchisation. Il faut noter la proxi-mité de cette attitude avec la position philo-sophique anarchiste anti-autoritaire. Tant quel'on reste en attente d'une transcendante, desauveurs suprêmes, que l'on ne pratique pasà tous les niveaux possibles l'autogestion desindividus et des groupes, l'on risque de resterla proie des pouvoirs d'Etat (fussent-ils bapti-sés «socialistes» ou «populaires»). Dans toutEtat, dans toute délégation non contrôlée depouvoir et même dans tout pouvoir d'un êtrehumain sur un autre, il y a danger antidémo-cratique. Taxer dès lors Deleuze d'une ma-nière de «retour au proudhonisme» n'estpéjoratif que si l'on en reste à la diabolisationrituelle des anarchistes par les marxistes«orthodoxes». Or, il faut admettre que lesmarxistes ont bien des choses à apprendre,sur le plan de l'anti-autoritarisme, des pen-seurs anarchistes en général et de Proudhonen particulier. Il y aurait au passage beau-coup à dire à propos des «contradictions»proudhoniennes qui, si elles sont flagrantesen économie, le sont moins en philosophie.Par exemple, sa lecture particulière de ladialectique hégélienne refusant le troisièmeterme positif, la négation de la négation, pouren rester à une dialectique négative binaire,serait à reprendre. Il est, de plus, vain d'enappeler, pour condamner la position deleu-zienne, à une proximité de l'anarchisme et dulibéralisme car celui-là, à la différence de ce-lui-ci, prône un dépérissement total de l'Etaty compris dans ses fonctions répressives,ainsi que la fin de la tyrannie capitaliste desmarchés.

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marxistes si l'on ex-cepte Lukàcs, Benjamin, Adorno et Lefeb-vre) ? Veut-on lui faire grief de son goût pourdes logiques conceptuelles aux confins, par-fois, de l'abstraction (mais que dire alors destravaux hégéliens et d'une bonne partie deceux de Marx) ? Ou veut-on vilipender unmanque de clarté de ses idées (tout en lesqualifiant contradictoirement « d'académi-ques» Une citation d'Henri Lefebvre nouspermet de répondre à ce dernier point : «Uneremarque encore : je n'ai pas le fétichisme dela clarté. Bien qu'il faille tendre vers la clarté,une certaine clarté cartésienne appartientfacilement à la pensée achevée, complète,donc déjà fixée et souvent figée. La penséequi se cherche et se forme est nécessairementmouvante, approximative. Ainsi elle vit. Lasubtilité en apparence excessive de l'analyseou son obscurité apparente peuvent parfois(je n'écris pas «toujours» correspondre aucaractère dialectique des processus envisagés.C'est là, du moins à mon avis, un correctif

important à apporter à l'esprit cartésien qui,d'autre part, figure et reste dans notre héri-tage national. »

9-10, 1954).A l'instar de Nietzsche, Deleuze est un

philosophe qui nécessite d'être interprété eten ce sens effectivement «la compréhension[de son œuvre] demeure en attente». Loind'être un défaut, c'est plutôt notre tâche, à lamesure de notre intelligence et en fonctiondes problèmes contemporains. Il est de notreresponsabilité de faire «l'élaboration spécifi-quement politique» d'une pensée complexeaux lignes de fuite multiples. Elle impliqueeffectivement «une toute autre conception dela politique et de la révolution» que celle desschémas classiques d'un marxisme stéréoty-pé. Cela est salutaire pour une pensée révo-lutionnaire sachant sortir des modèles éculés(d'ailleurs, quel modèle peut-on de nos joursse contenter de copier : l'ex-URSS? la Coréedu Nord? la Chine? Cuba?).

Il est sûr que la nécessaire réinventionde formes révolutionnaires adaptées à notretemps est une tâche colossale, mais il n'y apas d'autre chemin dans l'urgence de la luttecontre les pourrissements provoqués par lecapitalisme (confondus trop souvent avec lepourrissement de capitalisme lui-même).Dans ce chemin, les œuvres de Deleuze et deGuattari sont des balises exigeantes certes,mais qui ne sont pas incompatibles avec lemarxisme, en tout cas avec un marxisme ou-vert capable de ne pas confondre les révi-sions/actualisations de Marx avec lescritiques dirimantes, les devenirs révolution-naires du monde avec le modèle classique dela Révolution (unique, totale, politique etprolétarienne). En ce sens, les travaux d'Hen-ri Lefebvre nous semblent constituer un lienprécieux entre Marx et Deleuze, sans exclu-sion ni confusion.

Pierre AssanteSUR LE TRAVAIL

COMMENT L’INVERSION ECONOMIQUE DESECHANGES EST « LA » CONDITION MATERIELLEDE VIE DANS UN MODE DE PRODUCTIONHISTORIQUEMENT DETERMINE

L'on croit faire une synthèseet l'on fait une erreur composée...

Pourquoi ne pas repartir de l'échecpour trouver de nouvelles voies plutôt que de faire table rase...

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La contradiction dans laquelle nous vi-vons semble souvent incompréhensible. Desavancées immenses ont été faites en matièrede santé, d’éducation, etc. Les techniques ontdécuplé les forces humaines. Les comporte-ments humains dans les démocraties sem-blent être mus majoritairement par un espritde solidarité, de coopération, de respect desautres.

Pourtant ces efforts des personnes aspi-rant à cette paix, cette vie en commun, ne seconcrétisent pas socialement.Le mode de production ne le permet pas. Leséchanges entre les personnes ne sont pas denature à faciliter les rapports auxquelles ellesaspirent : les échanges n’ont pas pour base lesbesoins de chacun et l’échange du travail quechacun peut faire pour soi et pour l’autre. Labase des rapports, c’est l’accumulation mo-nétaire, pour dire la chose simplement. Onn’échange pas un travail, un objet contre unautre travail, un autre objet dont on a besoin,mais on échange à partir de l’argent, etl’individu, le groupe qui a le plus accumuléentre en rapport de domination avec les au-tres.

Ce n’est pas au niveau individuel quece « mécanisme » fonctionne. Mais au niveaud’un groupe élargi et aujourd’hui de la pla-nète. C’est la circulation du CAPITAL globalqui permet de reproduire l’humanité. Danstous les aspects de son activité, travail, loisirs,contraintes, désirs.

Il n’est pas question de développer ceque Marx a très bien développé et qui estprésenté ici sous une forme un peu anecdoti-que, pour faciliter l’abord et la lecture de cetarticle. Marx explique bien comment s’est« renversé » l’échange humain basé surl’échange des marchandises de toutes sortesnécessaires à la vie humaines (de l’utilitaire leplus immédiat au « bien culturel »).L’échange, dans son évolution est passé parla monnaie, pour simplifier la circulation desmarchandises. Marx décrit l’échange par laformule simple M-A-M’, c'est-à-dire que lacirculation se fait d’une marchandise M versla production d’une autre marchandise M’ enpassant par l’échange monétaire argent A.Car de même qu’on ne peut pas couper uneplante en trois, racine, tronc, feuillage et lagarder vivante, on ne peut pas couper entrois la vie humaine en production, distribu-tion, consommation. Le processus de pro-

duction, celui de distribution, celui deconsommation est en fait un processus uni-que, comme toutes les fonctions de la plantesont un processus unique. Mais la comparai-son s’arrête là : le processus de productionchez l’humain fait appel à une activité propreà l’humain, le processus de la pensée. Ce pro-cessus est à la fois collectif et à la fois person-nel, et l’autonomie de la pensée peut prendreune grande distance avec les besoins vitauxhumains. La pensée de Hitler, du groupehumain qu’il concrétisait, par exemple dé-montre cette autonomie, sur un plan négatif.Cet exemple négatif pour la personne etl’espèce humaine est heureusement compen-sé par des autonomies positives qui depuisque l’espèce humaine existe lui ont permistous les progrès que nous connaissons. Maisla mise à disposition de toute l’humanité deces progrès dépend du mode d’échange mis àdisposition de l’humain, et c’est là que nousrevenons à la formule de l’échange.

L’évolution des échanges telle qu’elles’est faite les a inversés, avons-nous dit : demoyen d’échange, l’argent (A) est devenu lebut de l’échange, et le moyen de dominationpour la personne et le groupe qui l’accumule.De M-A-M’, l’échange est devenu A-M-A’ : legroupe possesseur de l’argent produit desmarchandises pour accroître l’accumulationde l’argent. Au bout de cette dérive, c’est lecapital en tant que puissance financière etnon en tant que puissance productive quidomine. Cette domination va influer sur leschoix en matière de développement, sur laqualité du développement, leur corres-pondance ou non avec les besoins humains.Les catastrophes humaines que nous connais-sons trouvent dans ce type de fonctionne-ment l’aliment premier, essentiel.

Mais la catastrophe ne s’arrête pas là.Dans un mode de vie où chaque personne,pour répondre à ses besoins quotidiens, doitse soumettre inconsciemment ou non au typed’échange A-M-A’ , toute son « âme », c'est-à-dire, tous ses modes de se comporter et depenser vont se soumettre au mode de pro-duction et d’échange A-M-A’.

Marx disait qu’un despote ne peutexister que si il a une fonction, c'est-à-dire,qu’il ne peut exister que par la contribution età l’accord tacite de ceux qui y sont soumis etqui ont besoin de cette fonction. La questionde fond est : comment remplacer le despo-

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tisme du CAPITAL par un moded’administration de la société dont les be-soins humains soient le centre. Commentfaire pour que la définition des besoins nesoient pas déterminée arbitrairement, laisse laplace à la réalisation personnelle sous toutesles formes désirées et permette une cohérenceglobale de l’activité humaine.

Je vous recommande la conclusion deMarx contenue dans ses manuscrits de 1844sur le comportement humain face à l’argent,ce texte n’a pas pris une ride et il constitueune excellente introduction à l’analyse plusaride du fonctionnement du capital, contenueelle dans les trois livre du capital. Marx ytourne le capital comme un objet dans sesmains pour le voir sous tous ses angles, soustous ses aspects, et en tant que processus quise poursuit aujourd’hui et dont pour devonsnous efforcer de comprendre le fonctionne-ment actuel. Je pense que les bases, les fon-dations marxienne restent un élémentconstant pour cette compréhension.

A ce stade de la réflexion, je vous sou-met une série de questions liées à ce« comment », série de question qui ontcomme centre ce qui permet de reproduirel’humain, son travail, non en tant quecontrainte parmi les contraintes naturelles etsociales, mais en tant qu’activité libre, réali-satrice du corps-soi.

Voici ces questions :- 1 - comment l’inversion économique deséchanges est LA condition matérielle de vie- 2 - Lutte des entités en tant qu’entité etéchange entre l’entité et le milieu« extérieur » pour vivre.- 3 - L’outil capital, la reproduction de la so-ciété qu’est sa circulation, et l’inversion qu’ilreprésente des échanges, est-il en contradic-tion avec le besoin d’échange au point d’enarriver à l’extrémité d’un blocage suffisant del’échange pour menacer la reproduction de lasociété.- 4 - dans le cas où l’hypothèse précédenteserait vraie, la solution est-elle :A) un retour de A-M-A’ vers M-A-M’,B) une évolution de A-M-A’ satisfaisantepour l’échange,C) le remplacement du marché par une autreforme de distribution :a) distribution autoritaire

b) distribution par des micro-centres en rap-port avec une cohérence centrale, sur la basede la conscience collective des besoins dechaque individu, de chaque micro-centre, desbesoins de cohérence généralisée (démocratiegénéralisée).- 5 - à partir du 1 (comment l’inversion éco-nomique des échanges est LA condition ma-térielle de vie), comment la conditionmatérielle de vie qu’est la reproduction A-M-A’ est d’abord l’inconscient individuel dansl’inconscient collectif puis le conscient indi-viduel dans le conscient collectif non critiqueet pourrait devenir le conscient individueldans le conscient collectif critique capable detransformer la société et son mode de repro-duction par un mode de reproduction viable.- 6 - il est admis, par la norme de pensée,qu’un mode de reproduction de la sociétédoit être basé sur la solidarité. Pourtant lareproduction A-M-A’ donne tous les signesconcrets et abstraits (l’un dans l’autre) decontradictions avec l’exercice de la solidarité.A) ces contradictions sont-elles à même desusciter, à l’intérieur de la reproduction A-M-A’ des évolutions contradictoires avec lesblocages, la non solidarité qu’elle engendredans la phase actuelle ?B) ces contradictions ne peuvent-elles êtrerésolues que par une « rupture »-renversement des conditions matériellesd’échange. Les dites « ruptures » n’étant quemoments dans la durée des transformations,du mouvement des mouvements.- 7 - Production, distribution, consommationne peuvent pas être scindées, si ce n’est pourl’étude, la gestion, la prévision, c'est-à-direpar une abstraction opérationnelle.La production est la condition de l’échange.Plus la société peut donner à l’individud’autonomie, plus la complexité de la dépen-dance de l’individu de l’ensemble socials’accroît, comme celle de l’ensemble socialpar rapport au milieu dans il est lui-mêmepartie intriquée.

Dans ce cas le mode de production, et àson origine, l’organisation du travail produc-tif et des activités qu’il permet et engendre(services, production dite « immatérielle » etproduction dite « symbolique », dont la ré-sultante, l’unité, forme l’activité humaine),cette organisation du travail est la conditionpremière de résolution des contradictions

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arrivées au terme de leur impulsion produc-tive.- 8 - L’holiwodisme de la culture d’entreprise« Gates-Berlusconi-Messier » n’est pasl’origine de l’américanisation de la sociétémondiale, mais l’américanisation etL’holiwodisme sont la conséquence du modede reproduction A-M-A’ pénétré dans« l’âme » individuelle elle-même dans« l’âme » collective. Si nous nous imbibons decette « grande » pensée qu’est celle deGramsci, il ne faut pas oublier que pour seconstruire elle était elle-même imbibée desconcepts Marxiens, en particulier du conceptd’inversion des représentations dans la so-ciété marchande et de l’intrication de ces re-présentations avec les mentalités-activitéhumaine.- 9 - Le pouvoir qui joue les citoyens l’uncontre l’autre dans la culture d’entreprise,contre la solidarité sociale le fait à traversl’organisation du travail. Le lien entre lemode de reproduction A-M-A’, l’organisationdu travail et cette culture du pouvoir est évi-dent.- 10 - le désaccord entre les forces de trans-formation n’est pas essentiellement dans lacritique du mode de reproduction A-M-A’,quoique cette critique soit absolument néces-saire, mais dans la reconnaissance que celaimplique dans la « quotidianité-mimétique-poïétique », connaissance, prospective, dutravail.- 11 - la théorie et la réalité des désirs qui sontles moteurs des déterminations individuelleset collectives ne partent pas d’une réalité psy-chologique en soi, mais de la compositionmatérielle qui les suscite, de la connaissancede cette composition matérielle, des besoins« pour soi » que sa survie exige.- 12 - le travail en soi est voilé par la cultured’entreprise qui, contradictoirement se re-vendique du désir, c'est-à-dire de laconsommation, d’autant qu’elle a besoind’inciter le consommateur et de reléguer leproducteur à son rang de « machine produc-tive ». Par contre à terme, ce processusd’incitation du consommateur et de reléga-tion du producteur à son rang de « machineproductive », entre en contradiction violenteavec la productivité, d’où le retour sarkosienà l’incitation au travail sur la base d’une divi-sion du travail aggravée qui elle-même entredans le processus de crise de la productivité.

Ainsi la revalorisation du travail ne peut quepasser par la résolution de la contradictioninduite par A-M-A’ à laquelle seule une vi-sion et une organisation révolutionnaire dutravail peut répondre.

25 juillet 2007

Alessandra Dall’Ara

La « Totalité » de la PenséeDANS LA RECHERCHE PHILOSOPHIQUE

En honneur à René Descartes

Avant-propos

Le propos et l’auspice de cet écrit, consacré àRené Descartes, philosophe de la vérité et dela « libertas philosophandi », n’est pas,comme le titre pourrait faire penser, de com-prendre et d’embrasser de façon prétentieusesa philosophie tout entière, la reparcourantdans sa globalité, mais plutôt, loin de touteprétention arrogante d’omnicompréhensionet d’exhaustivité, de faire émerger l’essencede ce philosophe, souvent connu seulementcomme le « rationaliste par excellence », enmettant en lumière son âme d’homme illu-miné, « sincère », comme lui-même disaitd’être, de grand studieux et chercheur, avant

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tout, qui a été le père de la Philosophie deslumières, dont il a posé les piliers.

Descartes a fondé, en fait, la moderneméthode philosophique – dont l’importancedans la recherche il faut aujourd’hui rappelerà la mémoire et réaffirmer – et sur cette baseil a accompli le grand effort de construire laphilosophie comme science, comme connais-sance scientifique et universelle unie aux au-tres sciences de l’homme et de la nature.

De René Descartes, que tous les philo-sophes et les studieux ont tôt ou tard ren-contré dans leur voie, radicalementdifférentes ont été les interprétations don-nées, celle d’un idéaliste pour quelques-uns,pour d’autres, selon le très nommé« dualisme » cartésien, celle d’un matérialiste;certains, en suivant le doute méthodique parlui affirmé, sont arrivés au scepticisme,d’autres au contraire sont parvenus, en sensopposé, à la certitude déterministe des sens.

Pour tous, quand même, au-delà desdifférents courants interprétatifs, Descartesest le rigoureux rationaliste qui a posé la pen-sée, les certitudes de la raison, à la base de laphilosophie et qui a fondé la réflexion philo-sophique sur une méthode logique et surdéductions parfois difficiles à suivre.

D’ici est dérivée l’idée erronée du Des-cartes un peu froid et de son rationalismelogique de fer, où la pensée, coïncidant avecla raison, représenterait la partie cérébrale,moins « chaleureuse », pourrait-on dire, del’homme, comme elle est généralementconçue en opposition aux passions, à la pas-sionalité.

Le premier propos de cet écrit est aucontraire celui de montrer, en suivant Des-cartes et la dialectique de son « Je » , que lapensée n’est pas seulement « logique et rai-son froide », mais une Totalité de facultéshumaines et de « sens » internes, corres-pondant à l’homme dans son entier, à sesphases de vie et de maturation intellectuelle.L’intérêt fondamental, dans ce sens, est dé-couvrir, à travers le chemin que Descartessuit dans la recherche de la vérité, quels sontles « éléments » qui constituent cette Totalité,la pensée humaine, et qui correspondent,justement, aux phases de maturation de cha-que homme à travers la connaissance, jusqu’àl’acquisition d’une Conscience éthique.

Cela amène à comprendre, comme Des-cartes le montre, que la Philosophie est un

chemin graduel de recherche de la vérité, qui im-plique une maturation humaine de l’esprit etde la personnalité, laquelle ne se vérifie ja-mais abstraitement, à travers la pure spécu-lation, mais s’accomplit en relation avec lemilieu historique et culturel, avec la réalité etl’histoire vécue.

Pour cela il est important, afin de com-prendre Descartes, comme tous les philoso-phes, les motifs d’où sa recherchephilosophique est partie, de comprendreavant l’homme, le milieu culturel où il a vécuet par rapport auquel il s’est formé philoso-phiquement.

Le propos essentiel de cet écrit est, enoutre, celui de répondre à la question critiquefondamentale que Henri Lefebvre a posée surla philosophie cartésienne.

Même à la fin de son existence, dans lelivre intitulé Qu’est-ce que penser ? (1990), Le-febvre, en reprenant le principe « Cogito,ergo sum », qui avait été l’objet de réflexionde son oeuvre juvénile de 1947, intitulée Des-cartes, s’est demandé de manière critiquequels sont aujourd’hui, pour chaque homme,l’orientation et le but qui dérivent de cettecertitude philosophique première, au niveaude la connaissance et de l’être, de la Philoso-phie tout comme de la vie pratique.

Dans cette demande est enveloppé lesens global de cet écrit.

PREMIÈRE PARTIE

INTRODUCTION À RENÉ DESCARTES

Commençons, pour comprendre lephilosophe Descartes, les origines de sa ré-flexion et sa vocation philosophique, parconsidérer sa vie, le milieu historique etculturel où il a vécu et s’est formé, en prenantpour base de référence l’œuvre biographiquede Samuel De Sacy, intitulée Descartes par lui-même (1966), philosophe contemporain qui,parmi les nombreux studieux et connaisseursde Descartes, se distingue par la manièredont il a su reproduire fidèlement la penséedu philosophe et le représenter dans un por-trait véridique.

(Abréviation de « De Sacy », dans les réfé-rences de l’œuvre suscitée : DS)

1 - La première formation juvénileDescartes, né en 1596 à La Haye, en

Touraine, appartenait à une famille aisée et

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connue – son père était conseiller au Parle-ment en Bretagne – qui lui laissa un considé-rable héritage de biens fonciers, avec lesquelsil pourra vivre aisément et s’adonner, sanspréoccupations matérielles, aux études.

Il est élevé par sa grand-mère mater-nelle et par une nourrice, une femme, celle-ci,pour lui importante, qu’il n’oubliera pas etqu’il pourvoira à maintenir personnellementpour toute la vie.

Décisifs, déterminants dans sa forma-tion juvénile sont les années d’études dans lerenommé collège jésuite de La Flèche, qui,comme il dit lui-même, le marquèrent pro-fondément : bien qu’il passât agréablementici son temps et qu’il jouît d’un traitement defaveur en raison de ses quelques problèmesde santé – le matin il se levait quand il sesentait à même de le faire, il avait beaucoupde temps pour méditer et pour donner librecours à ses pensées – ce qui l’opprimait, tou-tefois, c’était l’air d’imposition de ce Collège,la culture autoritaire de régime qui lui étaitimposée, pleine de dogmes et fondée sur uneérudition pédante – faite de résumés, de lon-gues listes de notions reçues passivement –culture par rapport à laquelle, comme onverra, se définira son orientation philosophi-que.

Sorti de la rigide influence et de la« sujétion de ses précepteurs » (DS, p.22) – lesPères Jésuites – Descartes suit les études dedroit et est licencié en 1616 à l’Université dePoitiers, alors renommée pourl’enseignement juridique.

Toute sa formation juvénile est huma-niste : dès sa jeunesse il lit avec amour leslivres des Antiques – en conversant avec eux,comme il dit (Discours de la Méthode, Partie I),les grands hommes du passé qui nous révè-lent dans leurs livres leurs pensées meilleures– il est fasciné par les « actions mémorablesde l’histoire, qui contribuent à former le ju-gement », et particulièrement par la poésie,dans laquelle il admire l’imagination créativede l’esprit poétique.

Mais en même temps, dès l’âge de 15ans, il s’intéresse aux études scientifiques etdu monde physique, et vit avec participationet avec un profond intérêt juvénile la révolu-tion galiléenne de son temps, enchanté par lalunette astronomique de Galileo, avec sesdeux verres, qui permettaient de voir lemonde de deux manières, de près et de loin.

2 - La France de l’époque : le milieu historique etculturel

Au jeune Descartes, d’esprit pacifique,passionné pour la connaissance, l’ambianceturbulente et chaotique du Pays natal neconvenait toutefois pas.

Voyons pourquoi, quel était le milieuhistorique et culturel qui caractérisait laFrance de la première moitié du XVIIèmesiècle.

Avant l’avènement du roi soleil, LouisXIV, la France était un pays plutôt obscur :derrière l’apparente atmosphère romanesquedes chevaliers et des romans que les genslisaient, en s’identifiant avec les divers pala-dins, dans la réalité de violentes luttes inter-nes entre factions politiques et religieuses sedéchaînaient, le pays était affligé parl’anarchie et par un relativisme extrême, quirégnaient partout et qui faisaient sentir lebesoin de la soi-disant « main forte », celle ducardinal Richelieu, puis de Mazarin.

Ce qui aggravait ce climat de violencec’étaient les vices et les horreurs qui se per-pétuaient à l’intérieur des sectes religieuses :« messes noires, enfants saignés, avorte-ments, conciliabules de maquerelles et deprêtres, pédérastie » (DS, p. 14), forces obscu-res et démoniaques, qui faisaient partie del’occulte, de l’occultisme religieux du siècle.Par rapport au relativisme dominant del’époque, s’étant diffusé même dans les di-vers domaines culturels, où tous cultivaientdes opinions diverses et arbitraires, sans au-cun critère de valeur, Descartes commence àsentir le besoin de rechercher des connaissan-ces certaines et des fondements solides« pour pouvoir se conduire soi-même avecsûreté dans la vie ».

D’ici commence sa première révision detoutes les connaissances traditionnelles quilui avaient été transmises et imposées depuisle Collège, que le philosophe accomplit enfaisant une critique rigoureuse des Scienceshumaines, dans lesquelles il constate le man-que absolu de fondements théoriques soli-des : en particulier Descartes souligne le faitque la Philosophie était devenue le règne desdisputes, de la « disputatio » entre les érudits,qui se nourrissaient quasiment de spécula-tions vaniteuses et pédantes, et s’amusaient àalimenter, chacun, des opinions différentessur un même argument, alors qu’aucontraire, comme il dit, « il ne peut en existerplus d’une qui soit vraie » (Discours, Partie I).

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Contre cette multitude d’opinions arbi-traires et contraires, en philosophie commedans les autres sciences, qui manquaient ellesaussi d’une méthode pour établir un critèrescientifique de vérité, Descartes montre dèslors son intérêt et appréciation pour les scien-ces mathématiques, pour la « certitude etévidence de leurs démonstrations », même si,ne comprenant pas encore bien leur usage, ilcroyait qu’elles pussent servir seulement auxarts mécaniques.

Mû par le désir de connaître et de par-venir, contre le relativisme des coutumes etdes opinions, qui enténébrait les esprits, à desprincipes en lesquels croire fermement (DS, p.23), Descartes se résout donc à « ne plus cher-cher d’autre science que celle qui se pourraittrouver » en lui-même, ou bien « dans legrand livre du monde » (DS, p. 22), comme ill’écrit en employant l’expression utilisée dansles Essais par Montaigne, « maître duvoyage ».

3 - Les voyages et le grand « Livre du Monde »écrit par Descartes

Après avoir terminé les études de droità Poitiers, il décide donc de commencer « àvoyager, à voir des cours et des armées, àfréquenter des gens de diverses humeurs etconditions, à recueillir diverses expériences »(DS, p. 22).

Commence en 1618 sa longue périodeerrante de voyages en Europe, qui durera dixans, pendant lesquels le philosophe cherche àconnaître, comme il le dit, des hommes et despeuples divers pour recueillir toutes ses ex-périences dans le grand « livre du Monde » etpour éliminer, ensuite, en faisant trésor deces expériences, toutes les fausses opinionsacquises, en établissant, selon son dessein,des connaissances plus certaines, des princi-pes fermes en lesquels croire, désir constantqui l’animait.

Dans ses différents voyages en« spectateur du monde », mû par l’esprit deconnaissance, on le voit à 22 ans, traîné par safoi protestante, dans l’armée hollandaise deMaurice de Nassau, et successivement, en1619, en Danemark et en Allemagne, dansl’armée catholique de Maximilien de Bavière.La vie militaire représente pour lui la meil-leure façon pour faire expérience et pourconnaître les hommes des divers pays où il sedéplace – il dit, à ce sujet, d’avoir tiré beau-coup plus d’utilité de ces expériences vécues

que s’il avait passé ce temps-là à lire des li-vres ou à converser avec les savants français– mais dans les armes, où il ne combat jamais,en pacifiste qu’il était - seulement une fois ilemploya l’épée pour se défendre - son esprits’endort et lui, comme il dit, « fait professionde poltronnerie » (DS, p. 25).

Pendant le séjour en Allemagne, à Ulm,dans l’hiver 1619-1620, il vient à la connais-sance d’un mouvement ascétique et mystiquepar lequel il est fort intéressé, le mouvement« rosecrucien », comme il était appelé,d’origine médiévale, qui s’était diffusé alorsen Allemagne et dont les membres, les Frèresde la Rose-Croix, disaient d’être les dépositai-res d’une nouvelle sagesse, de la « vraiescience », qu’ils voulaient mettre au servicede l’humanité de manière désintéressée.

Ce mouvement mystique et« illuministe » a eu beaucoup d’influence surDescartes, puisque c’est à partir de là quecommence sa recherche mystique de la vérité,conçue comme « révélation », en sens mysté-rieux : c’est la période des trois rêves illumi-nants que le philosophe fait dans une nuit deNovembre, et à partir desquels il commence àse demander quel est le chemin qu’il peutsuivre pour fonder une science universelle,qui soit la base de toute connaissance et quipuisse être mise au service, comme le vou-laient les rosecruciens, de tous les hommes.

Seul avec ses pensées (Cogitationes priva-tae), dans une chambre réchauffée par unepoêle à bois, Descartes commence donc àtravailler pour fonder une méthode univer-selle, par laquelle faire sortir, comme il le dit,les « semences de la vérité de toute chose », etcela non seulement à travers la raison, facultépar laquelle les philosophes illuminent laconnaissance, mais aussi par l’imagination etl’enthousiasme, que Descartes avait toujoursadmirés, à travers lesquels les poètes « fontjaillir et mieux briller » les semences de laraison (DS, p. 69).

Le dessein qu’il commence à concevoir,c’est donc fonder, par cette méthode, « lespremiers rudiments de la raison hu-maine…pour faire sortir des vérités de quel-que sujet que ce soit ».

Cette science universelle devait être,dans son propos, « illuministe », elle devaitpermettre de sortir de l’obscurité et du dé-sordre où opéraient toutes les sciences et lessavants, non seulement les philosophes, mais

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les chimistes, les géomètres…, dont les étu-des désordonnées et les méditations obscures« aveuglent l’esprit », dit-il ; « et tous ceux, ilécrit, qui ont l’habitude de marcher dans lesténèbres baissent à tel point l’acuité de leurvue qu’ils ne supportent plus, enfin, la lu-mière » (DS, p.71).

Cette science illuministe, la Philosophie,que d’ici peu Descartes concevra dans sonrêve révélateur de la mathématique univer-selle, devait être pour cela une science uni-taire, c’est à dire réaliser l’unité de toutes lessciences humaines et positives, et, commetelle, elle devait avoir pour fondement lesmathématiques, la science qui est fondée,justement, sur le numéro « un », sur l’unité dela pensée et de l’être.

De sa recherche initiale de la vérité Des-cartes parvient, par cette voie, à la premièreconclusion importante, c’est-à-dire que lesmathématiques, « non celles vulgaires denotre temps », comme il dit, mais celles quepour les Antiques étaient la base nécessairepour préparer l’esprit philosophique, consti-tuent et seules peuvent constituer le fonde-ment de la méthode philosophiqueuniverselle. Et de celles-ci, comme on le ver-ra, il dérivera les principales règles méthodi-ques pour la direction de l’esprit dans laconnaissance.

En 1622 Descartes, dans l’intervalle deses voyages, retourne en France, où toutefoisil séjourne pour peu de temps et pour desraisons de famille ou d’intérêt personnel.

Lui, esprit libre, qui avait fait profes-sion, comme il le disait, d’ « être » et d’êtrelibre (DS, p. 50), ne vivait pas bien, en effet,en France : non seulement ne lui convenaientpas la mondanité et le fracas de Paris – il ditavec orgueil ne s’être jamais embourgeoisé etjamais accoutumé à l’agréable et molle vieparisienne, dont il avait fait expérience – maisla France, de plus, ne semblait pas l’aimervraiment ni aimer sa pensée, mais plutôt leconsidérer comme une « bête rare » dont sevanter : « j’ai sujet de croire – écrit-il - qu’ilsme voulaient seulement avoir en Francecomme un éléphant ou une panthère, à causede la rareté, et non point pour y être utile àquelque chose » (DS, p. 35-37).

Pour cela, il choisit de rester indépen-dant de la France et, au bout de cette longuepériode de voyages, qui se termine en 1628, il

décide de s’établir définitivement en Hol-lande, dans le Règne des Provinces unies.

À travers ses voyages en Europe et lesexpériences faites et recueillies dans son« Livre du Monde », Descartes a mûri sa pro-pre conception scientifique et démocratique,anti-traditionnelle, du savoir et de la culture,comme connaissance méthodique unitaire,ouverte et destinée non seulement aux sa-vants et aux intellectuels, mais à tous leshommes et les jeunes animés par le désir deconnaître, par l’amour vers la connaissance etla recherche de la vérité.

Sa vocation, après cette périoded’exploration du monde, est désormais défi-nie : Descartes décide de se vouer complète-ment à la recherche philosophique.Pour cette raison il choisit d’aller vivre enHollande.

La « Respublica literaria » hollandaiseétait alors, en fait, un point de référence danstoute l’Europe, non seulement comme paysde la tolérance religieuse mais comme sociétéculturellement pluraliste, ouverte à toutes lesformes du savoir, prête à accueillir des idéesoriginales et innovatrices.

Dans cette société vivace et en efferves-cence culturelle, où les livres de tout genreétaient diffusés, par les soins d’éditeurs et delibraires passionnés – « sapientes mercato-res » - dans toutes les contrées d’Europe,Descartes trouve le milieu favorable, la li-berté d’expression et la tranquillité, qu’ilavait toujours cherchées, pour pouvoir sedédier à la philosophie.

Pour lui, réservé et intimiste, quin’aimait pas être espionné et qui fuyait lacélébrité comme une soustraction de sa li-berté, ce pays représente son « ermitage depaix », loin de la mondanité et de regardsindiscrets.

Ici il est tout de suite apprécié, d’abordcomme excellent mathématicien et physicien,capable, comme on disait, de dévoiler « lesarcanes de la nature », puis comme« Philosophe de la vérité » et de la « liberté dephilosopher ».

Alors qu’en France, où on lui opposaitLocke et Newton, ses oeuvres n’avaient pasune grande diffusion, surtout à cause del’hostilité des théologiens, qui, comme des« Cerbères », allaient à la chasse d’erreurs etde péchés dans ses livres, en Hollande, aucontraire, toutes ses oeuvres novatrices ont

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une grande fortune, sont enseignées dans lesdiverses Universités des Provinces unies,puis publiées, par les soins de ses deux édi-teurs d’Amsterdam, et diffusées dans toutel’Europe.

En Hollande Descartes passe tranquil-lement sa vie de philosophe et de studieux,jusqu’au 1649, quand il est appelé en Suèdepar la reine Christine, dont il accepte de de-venir le précepteur et le maître à penser.Il meurt l’année suivante à Stockholm, en1650, suite à une fièvre pulmonaire, à l’âge de53 ans.

INTRODUCTION AUX OEUVRES : Les Règlespour la direction de l’esprit

« Nous avons été enfants, avant d’êtrehommes, et pour longtemps nous avons dûêtre guidés par nos instincts et par nos pré-cepteurs… » (Discours de la Méthode, Partie II)

Du bagage d’expériences et de connais-sances scientifiques acquises par ses recher-ches en mathématique, médecine, physique,pendant la période des voyages en Europe,dans laquelle, comme on l’a vu, il avait com-mencé à concevoir l’« Admiranda Metho-dus » pour fonder la science universelle,dérive la première oeuvre de Descartes, écriteen latin, en 1628, et publiée posthume, le Re-gulae ad directionem ingenii - les Règles pour ladirection de l'esprit.

Dans cette oeuvre de jeunesse, écrite àl’âge de 32 ans, Descartes établit les règlesméthodiques pour se conduire soi-mêmedans la connaissance, en sorte de parvenir àdes cognitions solides et vraies, selon le but-même des études, et afin de trouver, commeil le dit, des principes moraux provisoires(morale provisoire, Discours, Partie III), parlesquels ne pas rester irrésolu dans la vieavant d’avoir atteint la maturité de la raison.Ces règles constituent les « origines », la basede la méthode universelle que Descartes afondée et que l’on utilise dans la recherchephilosophique ainsi que dans toutes lessciences.

Le philosophe y parvient à travers lacritique des sciences mathématiques tradi-tionnelles : la logique syllogistique, pré-déterminée et mécanique dans ses déduc-tions, la géométrie et l’algèbre, qui finissent,comme il dit, par obscurcir l’esprit avec leursfigures, règles, chiffres (Discours, Partie II).

Sur une nouvelle base, en affirmant laspontanéité dialectique du raisonnement, ilparvient à définir les 4 règles méthodiquesfondamentales, qui constituent la base ma-thématique (du grec mathesis) de la rechercheet de la connaissance ou « mathesis » univer-selle ( « appréhension » et démonstration) :l’évidence - ne pas accepter que ce qui se pré-sente comme clair et distinct; l’analyse ou di-vision de ce qui est complexe; la synthèse,procédant du simple au composé; la preuve ouénumeration.

Ces règles sont posées par le philosophe– faut-il le souligner – afin que chacun denous dispose selon ordre et mesure, commele fait le mathématicien, les choses auxquellesl’esprit doit s’adresser pour trouver la vérité(Discours, Partie II).

Ce qu’il importe, avant tout, de souli-gner ici, c’est le but que Descartes se proposed’atteindre en fixant ces règles méthodiques :celui de se libérer, comme il dit, de toutes leserreurs et les préjugés acquis depuis l’enfance,en éliminant, méthodiquement, tout ce quiest douteux et incertain.

En effet, depuis que nous avons été en-fants, nous avons reçu une sorted’ « imprinting », nous avons dû, comme Des-cartes l’écrit, « être guidés par nos instincts etpar nos précepteurs…et, pour cela, il est qua-siment impossible que nos jugements soientaussi purs qu’ils auraient été au cas où nousaurions eu, dès la naissance, l’usage entier denotre raison et nous aurions été guidés tou-jours par elle » (Discours, Partie II).

Pour cette raison Descartes, dans les Rè-gles, en faisant une « révision sur soi-même »,se propose d’accomplir le grand effort de« réformer ses pensées sur une base solide,sur une base entièrement sienne », se libérantde toutes les erreurs qui lui avaient été impo-sées ou transmises, en sorte de ré-former et deré-éduquer son esprit, en s’autodirigeant dansla connaissance et dans la vie.

Par cette oeuvre de libération même desimpositions reçues, le philosophe prédisposeson esprit à la recherche de la vérité.Suivons le, donc, dans son chemin.

DEUXIÈME PARTIE : LES OEUVRESLes moments de la Pensée dans le chemin

de recherche de René Descartes

En suivant, à travers ses oeuvres, lechemin de recherche du philosophe, ce qu’on

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se propose de démontrer, en premier lieu,c’est la continuité existant entre toutes sesoeuvres, qui renvoient les unes aux autres etpuis se synthétisent dialectiquement, selon leprogrès de la pensée dans la connaissance.

Au cours de ce « mouvement organi-que » de la pensée cartésienne, qui représenteaussi le parcours de chaque homme pensant,de chaque studieux dans la recherche de lavérité, il est intéressant, en outre, de décou-vrir pas à pas – celle-ci étant la finalité ultimede cette analyse - quels sont les « éléments »qui constituent cette « Totalité » de la Pensée,qui ne se réduit pas seulement à la faculté« intellective », et qui émergent, comme onverra, au long du chemin progressif du « Je »du philosophe, le Je pensant et connaissant.

1 - Le Discours de la Méthode (1637)« Cogito, ergo sum » Je pense, donc je suis

Le Discours de la Méthode, ouvrage enfrançais, daté de 1637, s’adressant à tous leshommes qui se servent de la lumière natu-relle de leur raison, a été unanimement défini« l’autobiographie intellectuelle de Descar-tes ».

Descartes lui-même le propose aux lec-teurs comme le récit historique, ou mieux,comme l’ « histoire de ses pensées ».

En lisant spécifiquement le texte, onpeut voir, en effet, que dans les trois premiè-res parties le philosophe nous raconte, demanière discursive, sa formation et éducationjuvénile, puis, à travers les voyages et lesexpériences de vie, sa graduelle maturationintellectuelle jusqu’à l’élaboration del’ « Admiranda Methodus », exposé dans laquatrième partie de l’œuvre.

Le Discours représente pour cela, ensens autobiographique, le texte de référence àtravers lequel nous pouvons comprendrel’homme et le philosophe, sa vie et toutes sesoeuvres, dans la liaison étroite entre le vécuet l’orientation méthodique de sa pensée.

Mais ce que l’on saisit, de plus, au fondde la quatrième partie du Discours, c’est latrame de règles objectives qui le pose en rap-port de continuité, pour ce qui concerne laméthode, avec les Règles pour la direction del’esprit (1628).

Nous pouvons dire, en effet, que le Dis-cours de la Méthode raconte la recherche sub-jective de la vérité que Descartes accomplit enappliquant les règles méthodiques fonda-

mentales qu’il avait déjà trouvées et qui luiservent pour base objective de la réflexionmétaphysique.

Il est intéressant de voir, donc, suivantle texte (partie IV), comment la pensée méta-physique du philosophe procède dans le Dis-cours en appliquant les règles, qui sont le« métier à tisser », peut-on dire, de sa ré-flexion, et quels sont, en même temps, lesmoments et les éléments qui émergent del’ « histoire de sa pensée ».

Comme on l’a vu, Descartes avait pré-disposé soi-même à la recherche de la vérité,qui commence maintenant dans le Discours,en se libérant des erreurs et des préjugés ac-quis, et se préscrivant les règles pour pro-gresser dans la connaissance.

Arrivé à l’âge de 41 ans, après la longuepériode de voyages et des expériences faites,le philosophe commence, suivant la premièrerègle qu’il a fixée – la règle de l’évidence – àrechercher un principe métaphysique premier,certain et évident, dans le but de donner unfondement objectif à la philosophie, qui étaitalors devenue le domaine des disputes entreles savants, des contradictions et des opinionsarbitraires, sans aucun critère objectif de dis-cernement et de valeur.

Pour trouver le principe philosophiquepremier constituant le fondement de la mé-thode et de la science universelle qu’il avaitpréannoncées, Descartes regarde« socratiquement » en soi-même, c’est à direqu’il cherche en soi-même, comme il dit, les« semences de la vérité et de la science ».

Dans la tranquillité intimiste de son er-mitage en Hollande, dans une chambre ré-chauffée par une poêle à bois, il commence àsuivre son Je, le « mouvement organique desa pensée » à la recherche du vrai, et nous leraconte.

Les niveaux auxquels se déroule sa ré-flexion sont toujours deux : le niveau inté-rieur du Cogito et le niveau extérieur du Sum,de l’Être vu par le Cogito.

a)Au premier niveau de la subjectivité se

déploie le premier moment de la pensée,c’est-à-dire le premier regard immédiat, inté-rieur de l’Intellect :

Descartes, en se libérant ou faisant abs-traction, à travers le doute méthodique, detout ce qui est faux et trompeur – soit lesconnaissances acquises soit les sens – com-

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prend par intuition, avec l’intellect, la certi-tude universelle : que la substance ou essencede son Je est la Pensée – « Cogito » - c’est àdire que lui, comme tout homme, est uneSubstance pensante, et que donc, pour cela,pour le fait de penser, il Existe, par déduction– « Ergo sum » .

« Remarquant que cette vérité : je pensedonc je suis, était aussi ferme et sûre quetoutes les plus extravagantes suppositionsdes sceptiques n’étaient pas en mesure de ladéraciner, je jugeai pouvoir l’accepter sansscrupules comme principe premier de laphilosophie que j’étais en train de chercher »(Discours, partie IV).

À ce principe premier et évident de la« Nova philosophia » - nous comprenons parintuition que nous sommes de nature (subs-tance) pensante et reconnaissons que, pourcela, nous existons – le philosophe parvient àtravers une « intuition intellective » (in-tuitus =regard intellectif intérieur sur soi-même), quel’on peut autrement définir « appréhension »(grec mathesis) intuitive sur une base métho-dique, ce qui constitue le premier élément quel’on retrouve de la Pensée dans la connais-sance.

Sur la base de cela, nous pouvons af-firmer, contre la tendance à interpréter Des-cartes comme un subjectiviste, que le « Je »n’est pas posé par le philosophe, de manièreindividualiste, comme une « méthode depensée », mais représente le commencementde la recherche métaphysique, après que lephilosophe s’est libéré, selon le règles métho-diques déjà fixées, de tout ce qui est pour luidouteux et trompeur.

En partant, donc, de son Je pensantcomme seule certitude première, selon lapremière règle de l’évidence, il parvient de là,par une intuition de l’intellect, comme on avu, à la vérité du « Cogito, ergo sum ».

b)De la conscience immédiate ou intuitive,

le philosophe, suivant la deuxième règle(analyse), passe à l’analyse médiate, c’est àdire à l’observation, à travers la raison, deson Être et de son « mode d’être » en tant queSubstance pensante (niveau du Sum) :« ensuite, examinant avec attention ce quej’étais… » ; il se rend compte, de cette ma-nière, à travers les idées claires et distinctesprésentes à sa raison, que pour penser etpour douter, il doit donc exister.

Puis, en divisant (analyse) son Je, saSubstance pensante d’avec les substancescorporelles dont il a, également, une cogni-tion claire et distincte, il acquiert la cons-cience « médiate » d’exister en tant quenature pensante indépendante des corps, dumonde et de l’espace, c’est à dire d’être unesubstance libre et absolue dans le Cogito, danset par la Pensée.

Cette analyse de l’Être, qui se déroule àtravers les idées claires et distinctes de la rai-son, et où la Conscience pensante s’élève aufur et à mesure dans la connaissance, serareprise et développée, comme on le verra, aucentre des successives Méditations métaphy-siques.

Ce qu’il importe surtout de soulignerdu Discours de la Méthode, c’est le fait qu’ilmarque un progrès dans la réflexion méta-physique et dans la recherche philosophiqueen général, car il donne à la Philosophie lefondement théorique et méthodique qui luimanquait.

Cette oeuvre innovatrice avait com-mencé, en effet, à bouleverser la philosophietraditionnelle et ses représentants – les théo-logiens et les Scolastiques – à cause de laNouvelle Métaphysique qu’elle affirmait,dans laquelle, de manière déconcertante, lacertitude métaphysique première – le Cogito– est saisie, comme on a vu, par l’intuition etpar la lumière de la raison naturelle, indé-pendamment de toute révélation divine, etest, en plus, fondée et démontrée par le phi-losophe sur une base méthodique objective,jusqu’à arriver, par là, à la pensée métaphy-sique sur l’Être (Sum), ce que l’on n’avait ja-mais vu arriver auparavant en métaphysique.Donner une méthode objective universelle àla métaphysique et, avec elle, à la philosophieentière, et puis porter la métaphysique, mé-thodiquement, du niveau du Cogito au ni-veau du Sum, c’était, en somme, un peubouleversant.

Fonder, de plus, l’Admiranda Metho-dus sur le doute, mais utiliser ce derniercomme un moyen pour arriver à la certitudeuniverselle de chaque homme (Cogito, ergosum), cela était également bouleversant,puisque, de cette manière, on mettait com-plètement en crise soit le relativisme, alorstriomphant et cultivé même en Philosophie

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parmi les théologiens et les érudits, soit lescepticisme.

À cause de cette nouvelle manière« illuministe » de philosopher, affirmée dansle Discours par opposition à toute la« Philosophia recepta » des siècles passés, Des-cartes est accusé d’être un « indoctus » et des’opposer aux Auctoritates.Voyons maintenant, dans les Méditations mé-taphysiques, comment le philosophe répondaux savants et démontre les vérités de laScience universelle.

2. Les Méditations sur la Philosophie pre-mièreMeditationes de Prima Philosophia (1641)

« Toutefois j’ai ici à considérer que jesuis homme » (Première Méditation)

À partir de la certitude première, trou-vée dans le Discours, de la pensée absolue etpure, indépendante du monde sensible, Des-cartes se trouve maintenant à considérer,dans les Méditations métaphysiques, que« toutefois il est homme », c’est-à-dire qu’iln’est pas seulement Nature pensante, il estaussi un être sensible, corporel, physique.En avançant dans la recherche des fonde-ments de la connaissance universelle, ses Mé-ditations (1641) commencent donc à s’orienter,de façon innovatrice, vers la physique, vers lanature et l’homme.

Le ferme propos du philosophe est celuide rendre la métaphysique une science uni-verselle, « contenant les fondements, commeil le dit, pour comprendre toutes les premiè-res choses qui existent et que l’homme peutconnaître en philosophant avec ordre », etcela en partant de la vérité de l’Esprit pur,trouvée dans le Discours, au niveau de laconnaissance spéculative, et l’orientant versla compréhension du monde physique hu-main.

Cela conduit Descartes à considérerl’existence des deux substances qui sont pré-sentes dans l’homme – l’âme et le corps – et àdémontrer par la suite, en rapport de conti-nuité avec le Discours, leur existence réelledistincte, comme il le dit dans le titre françaisde l’œuvre : « Méditations touchant la pre-mière philosophie, dans lesquelles l’existencede Dieu et la distinction réelle entre l’âme etle corps de l’homme sont démontrées ».

Ce qui est intéressant de voir, principa-lement, c’est comment dans les Méditations,qui affirment pour la première fois, en sensanti-traditionnel, une métaphysique ouvertevers l’homme, Descartes parvient à concilier,en catholique et croyant qu’il était, l’existencedes deux « vérités » - l’âme et le corps – avecDieu et aussi avec la métaphysique desthéologiens, les critiques constants du philo-sophe, en démontrant par là, comme on verraau cours de l’analyse, que le « Livre de laNature et de l’Homme » a été écrit par Dieu.

L’œuvre, qui était déjà prête en 1640 -l’année où Descartes est frappé par la dou-leur énorme de la mort de sa fille, Francine, etde son père - avait été, en fait, durement atta-quée à sa naissance par les théologiens (Voë-tius in primis), parmi lesquels Descartescraignait particulièrement les Jésuites - pen-sons à l’aguerri Père Bourdin, duquel il sedéfendra dans une de ses lettres – et aussi parles Scolastiques, ce pourquoi Descartes avaitdécidé d’attendre qu’elle reçût l’approbationdes docteurs du Corps de la Sorbonne, maisensuite, voyant que les Méditations, mêmeaprès l’ « imprimatur » de la Sorbonne,n’avaient pas de divulgation en France, s’étaitadressé à l’éditeur hollandais Elzevier pourune deuxième édition, et l’œuvre sera doncpubliée en 1644, en Hollande, où elle devientmatière d’enseignement universitaire et estlargement diffusée.

La raison pour laquelle les Méditations,écrites, cette fois, en latin et pour les érudits(Meditationes de prima philosophia), étaient ré-sultées si difficiles à accepter de la part del’Église et des théologiens sorbonnards,c’était qu’elles affirmaient, comme on a dit,une nouvelle métaphysique humaniste, op-posée à la métaphysique dogmatique et« impositive », d’où Descartes, comme il écritlui-même dans une lettre à l’ami Mersenne de1630, avait « commencé ses études », en seréférant par là, justement, aux études juvéni-les de métaphysique, qui l’avaient profon-dément marqué, dans le Collège jésuite de LaFlèche, le collège le plus clos et dogmatiquedu monde.

Nous pouvons donc comprendre etmontrer, au cours de notre analyse, que lanouvelle orientation que Descartes donne à lamétaphysique comme science ouverte vers laconnaissance du monde humain et physique,

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se définit par opposition à la métaphysiqueimpositive et scolastique, fondée surl’appréhendissement passif de mystères etvérités occultes (Philosophia recepta), qui luiavait été transmise et imposée dans le Collègede La Flèche.

Voyons donc, à travers l’œuvre, le carac-tère anti-scolastique des Méditations et, de là,leur principal aspect innovateur, consistant, àtravers l’ouverture de la Métaphysique versla Physique, en l’objectivité donnée par lephilosophe aux idées métaphysiques desubstance.

Deux sont, peut-on dire symbolique-ment en rappelant la dioptrique, les « verresoptiques », de mémoire galiléenne, que Des-cartes utilise pour démontrer, de près et deloin, l’existence réelle des trois Substances –l’Âme, le Monde et Dieu – dont son « Je » aune cognition, c’est à dire une idée, claire etdistincte, verres correspondant, justement,aux deux niveaux de la méditation : le Cogi-to, niveau de la pensée, et l’Être (Sum), ni-veau de la réalité ou existence objective.

Avec ces deux verres optiques le philo-sophe nous démontre la « correspondance »entre les idées métaphysiques de substanceque nous avons et la réalité, l’être réel de cessubstances.

Toutes les Méditations tournent autourde ce centre : la réalité objective de l’Idée desubstance, que le philosophe démontre.

1 - Dans la demonstration de la réalité de lapremière Idée de substance – notre Pensée-même ou Nature pensante (Cogito) – poséecomme objet de la méditation – le mouve-ment qu’il faut suivre dans la réflexion deDescartes est celui qui va de l’intérieur, de sasubjectivité, vers l’extérieur, la réalité objec-tive.a)

Procédant de l’intérieur de soi-même, lephilosophe utilise pour critère de vérité lafaculté perceptrice ou « sensorielle » del’Intellect – la perception claire et distincte del’intellect - qui est le nouveau élément qu’onretrouve dans l’ « histoire de ses pensées » -étant celle-ci la faculté humaine qui établit laliaison, qui représente le « pont » entre l’idéesubjective de nous mêmes en tant que Subs-tances pensantes et la réalité objective del’idée.

Ce que notre intellect, donc, perçoit demanière claire et distincte, cela existe et est

présent en nous, pour cela, comme idée ob-jectivement ou matériellement vraie.

Qu’il s’agisse de notre Substance-mêmeou bien d’un corps hors de nous, la perceptionclaire et distincte de l’Intellect est « une inspec-tion de l’Esprit », comme Descartes la définit(DS, p.101), et comme telle nous transmetl’objectivité ou la corporéité de la substanceque nous concevons et dont nous sommesconscients : « Voilà enfin – dit-il – que je suisspontanément revenu où je voulais; en effet,puisque maintenant il m’est clair que lescorps-mêmes ne sont pas proprement perçuspar les sens ou par la faculté de l’imaginationmais par le seul Intellect, et qu’ils ne sont pasperçus du fait qu’on les touche ou qu’on lesvoit, mais seulement parce qu’on les conçoit,il m’est clair qu’il n’y a rien que je puisseconnaître avec plus de facilité et d’évidenceque mon esprit ».b)

Procédant vers l’extérieur, au niveau duSum (être), le philosophe démontre ensuite,méthodiquement, en utilisant toujours ledoute comme un « levier d’Archimède »,l’Être réel et le « mode d’être » (modus essendi)de sa Substance pensante en tant que libre etautonome par rapport aux corps et au mondesensible, en démontrant aussi, de cette façon,du point de vue chrétien, l’immortalité del’âme au moment de la mort physique ducorps - cette année-là, rappelons le, mouru-rent sa fille Francine et son père.

Comme on peut voir, le caractère pro-fondément innovateur de la première médi-tation consiste en le fait que Descartesdémontre la réalité objective de l’Idée desubstance – dans ce cas-là le Cogito – à tra-vers la lumière sensorielle ou « aperception »de son intellect, alors que cela pour les théo-logiens et les Scolastiques était un péché,c’était un péché non seulement tâcher de sai-sir l’objectivité des vérités métaphysiques, en leurdonnant une épaisseur corporelle, mais, enplus, le faire avec la lumière naturelle de sapropre raison, ce qui excluait tout mystèreocculte, mais aussi, d’ailleurs, toute révéla-tion divine.

Ils l’accusaient, principalement, devouloir démontrer méthodiquement et objec-tivement les vérités métaphysiques à traversla raison, faisant ainsi abstraction del’exégèse des textes sacrés et mélangeant lamétaphysique avec la physique.

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Celles-ci sont les accusations que Des-cartes dément dans les méditations successi-ves, montrant, au contraire, la conciliationqui peut exister entre la Métaphysique hu-maniste qu’il affirme et la Théologie.

En reparcourant brièvement ladeuxième méditation, où le philosophe dé-montre la réalité objective de l’Idée de lasubstance « Corps » et l’existence réelle descorps, on remarque que le mouvement de laréflexion, étant les corps l’objet de la médita-tion, est inverse par rapport à celui de la pre-mière méditation.

Descartes, procédant, en fait, del’extérieur vers l’intérieur, part maintenant dela « cause objective » externe de notre Idéesubjective des corps, étant celle-ci, justement,la cause matérielle « efficiente » qui fait ensorte que notre intellect ait l’idée claire etdistincte des corps et qu’il reconnaisse cetteidée comme matériellement vraie.

Il regarde, en ce sens, avec ses deux ver-res optiques, l’objectivité corporelle (causeexterne) qui se réflète dans le Cogito, c’est àdire dans notre Idée intérieure des corps,dont il démontre ainsi la vérité objective.

Mais la démonstration de l’existence dedeux substances indépendantes, « non-causées » l’une par l’autre – l’âme et le corps– toutes les deux dans l’homme, porte Des-cartes non pas à soutenir - comme quelquesstudieux ont affirmé - l’existence de « deuxvérités », une spirituelle et une physique,qu’au contraire le philosophe n’a jamais af-firmé de manière dualiste dans aucune de sesoeuvres, mais plutôt à chercher, en catholiqueet croyant, la cause parfaite de toutes les deuxsubstances – la Pensée et les Corps – qu’ilretrouve enfin en Dieu créateur, substanceparfaite et absolue, dont il démontrel’existence dans la troisième méditation.

Nous pouvons donc dire que les Médita-tions cartésiennes donnent une nouvelleorientation humaniste, anti-scolastique, à lamétaphysique, en l’ouvrant vers la connais-sance de toutes les Substances premières,vers l’homme et le monde corporel, maisqu’elles remontent enfin de la Nature hu-maine jusqu’à Dieu, la Substance de toutesles substances existantes, en démontrant ainsique le « Livre de l’homme et de la nature » aété écrit par Dieu.

Cette conciliation entre la Métaphysiquehumaniste et la Théologie apparaît encore

plus évidente dans la quatrième méditation,où Descartes affirme l’accord qui existe entreles vérités saisies par notre raison et Dieu,cause première de ces vérités, accord qui expli-que pourquoi ces vérités ne peuvent pas êtreune source d’erreur pour les hommes : « Il estcertain – écrit le philosophe à la fin de laquatrième méditation – que toute perceptionclaire et distincte (de l’intellect) est quelquechose : elle ne peut pas, donc, provenirdu néant mais doit nécessairement avoir Dieupour auteur, Dieu – je dis – c’est à dire cetêtre suprêmement parfait à qui répugned’être fallacieux; il s’agit, donc, il n’y a pas dedoute, de quelque chose de vrai ».

En suivant le chemin de Descartes, nousarrivons, avec lui, à une métaphysique nondogmatique, qui considère l’homme et sonessence non seulement pensante mais aussicorporelle – « Toutefois, dit le philosophe dudébut, je me trouve ici à considérer que jesuis homme » - en considérant la réalité natu-relle des corps, une métaphysique qui dé-passe donc la méditation abstraite etscolastique, et qui s’ouvre vers le monde del’homme, ce qui représente aujourd’hui en-core la question plus actuelle et essentiellepour la métaphysique théologique et dogma-tique de l’Église de notre temps.

La considération qui surgit spontané-ment de la lecture des Méditations, c’estqu’une conciliation est possible entre les vé-rités humaines de la raison et la religion.Descartes nous le démontre dans cette oeu-vre : il nous démontre qu’il est possible decroire en les vérités auxquelles nous parve-nons avec la lumière naturelle de notre raisonet en même temps, peut-être, pour cela, avecencore plus de conviction, de croire chrétien-nement en Dieu.

Mais ses Méditations métaphysiques re-présentent aussi le deuxième moment essen-tiel dans notre chemin de recherche sur la« Totalité » de la Pensée. Ici nous retrouvons,en fait, en rapport de continuité avecl’intuition primaire du Cogito, affirmée dansle Discours (partie IV), ce qui représente lefondement « sensoriel » de la pensée et de laconnaissance objectivement fondée : la percep-tion claire et distincte de notre intellect, la facultéhumaine qui représente le pont entre la pen-sée et la réalité objective, et que Descartesdétermine comme critère de vérité ou

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d’objectivité de toutes nos cognitions subs-tantielles.

À la base de la pensée il y a donc « lesentir », en termes cartésiens, qui est donnépar la perception de l’intellect, ce pourquoi lapensée ne se réduit pas à « raison et logiquefroide », exclusivement et mécaniquementpsychiques, comme on pense généralement,mais elle est aussi « sensorielle », est une to-talité de facultés étroitement liées aux corpset aux sensations : l’intuition, la perception,l’imagination, enfin la volonté, comme onverra.

Tous ces éléments et facultés sensoriel-les à la base de la Pensée, qu’on retrouve pasà pas dans le « mouvement organique » de lapensée de Descartes dans sa recherche pro-gressive de la vérité, définissent une« esthétique » de la pensée » – peut-on direselon la signification étymologique du terme« esthétique » (du grec aisthanomai, sentir) –qui éloigne complètement l’image communeet diffuse d’un Descartes comme Philosopherationaliste froid, en éloignant en mêmetemps l’idée de la pensée humaine commefaculté froide.

Cette esthétique de la pensée sera com-plétée par le philosophe, comme on verra,dans sa dernière oeuvre, les Passions de l’âme(1649).

3. Les Principes moraux (1644)Principia philosophiae

« Toute la philosophie est comme un arbre,dont les racines sont la métaphysique, le tronc estla physique et les branches qui sortent de ce troncsont toutes les autres sciences…or, comme ce n’est pas des racines ni du tronc desarbres qu’on cueille des fruits, mais seulement desextrémités de leurs branches, ainsi la principaleutilité de la philosophie dépend de celles de sesparties qu’on ne peut apprendre que les derniè-res » (Principes, Préface).

L’arbre de la Philosophie commeScience universelle prend sa forme complètedans les Principes, datés de1644.Des racines – la Méthaphysique – et du tronc– la Physique – déjà représentés dans les Mé-ditations, on arrive ici à la branche ultime, delaquelle dépend, comme Descartes l’écrit,l’utilité de la Philosophie, sa même finalité,mais à laquelle on n’arrive qu’à la fin, au bout

d’un chemin progressif de maturation et derecherche : la Morale.

Les Principes constituent la Summa de laphilosophie métaphysique et physique deDescartes et sont par lui exposés en 504maximes, selon un ordre synthétique.Dans ses intentions, cette oeuvre devaientêtre un manuel à enseigner et à faire connaî-tre dans les écoles, par opposition àl’enseignement impositif et dogmatique de laScolastique de l’époque.

Tout en étant cessées les hostilités à seségards de la part des Jésuites, les Théologiensles plus irréductibles continuaient toutefois àl’attaquer encore pendant qu’il écrivaitl’œuvre.

Descartes leur répondra que sa SummaPhilosophiae, tout en contenant des enseigne-ments différents de ceux des collèges, étaitécrite par amour de la vérité, et donc non pascontre eux, mais pour eux, les théologiens,« vu qu’ils disaient aimer au-dessus de touteautre chose la vérité ».

Dans la Préface il déclare la finalité pra-tique de l’œuvre : celle de faire progresserdans la recherche du vrai jusqu’à arriver, àtravers la pratique des Principes exposés,« au degré maximum de félicité et de sagessedans la vie ».

On s’y attendrait alors que l’œuvrecommence et se déroule tout entière commerecherche de ces principes pratiques,« fondements certains » de la morale, queDescartes, arrivé à l’âge de la pleine maturité,se propose de trouver.

Ce qui surprend, au premier abord,c’est que les Principes se présentent, aucontraire, comme une oeuvre de physique,plus précisement de « physique générale », se-lon la définition que Descartes donne, puis-que ils exposent, dans la partie centrale, lanotion générale des cieux et de la terre, descorps matériels et des planètes.

C’est vraiment de la physique, en fait,comme il dit, qu’il arrive à trouver graduel-lement les fondements de la Morale humaine.« Toutefois je vous dirai, en confidence -écrit-il dans une lettre - que la notion tellequelle de la physique, que j’ai tâchéd’acquérir, m’a grandement servi pour établirdes fondements certains en la morale « (DS,p. 140).

Il est intéressant, donc, de comprendreen quel sens, à partir de la physique, et, en

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plus, de la physique générale de l’univers, Des-cartes arrive à tirer les principes de la moralepour la vie humaine.

Il faut préciser, en premier lieu, que laphysique contenue dans les Principes, quireprésente, de manière complète, le « tronc »de la philosophie, en rapport de continuitéavec la philosophie naturelle des Méditations,contient et développe toutes les recherchesphysiques juvéniles que le philosophe avaitexposées dans ses deux petits Traités del’Homme et du Monde, datés de 1633, qu’iln’avait pas pu publier cette année-là, à causede la condamnation de Galileo de la part del’ « aveugle » Tribunal d’Inquisition.

Toute la deuxième partie de cette Phy-sique se focalise sur la recherche du« principe des choses matérielles », le mou-vement, considéré soit dans les corps inani-més soit, particulièrement, dans le corpshumain, où il est déterminé par la circulationdes « esprits animaux ».

Du mouvement « à l’intérieur » du corpshumain le philosophe transpose ensuitel’analyse au mouvement « visible » des pla-nètes dans l’univers céleste.

Ce que Descartes découvre, à ce point-là – nous le soutenons ici avec certitude – àtravers ses observations et recherches, et enaccord avec les principes mathématico-physiques de sa pensée (ordre et mesure),c’est l’existence d’un ordre rationnel dansl’univers, « isomorphique » à celui qui estprésent dans le corps de l’homme : il voit, end’autres termes, que dans le cosmos existeune rationalité, pour laquelle les planètes etla Terre se meuvent autour du Soleil – dit-ilen soutenant, maintenant, Galileo ouverte-ment – qui est, comme le cœur est dansl’homme, le Feu, la chaleur, le principe de viede tous les organismes.

Mais ce qui est encore plus important,c’est le fait que cet ordre universel n’est passeulement rationnel, il est aussi, comme lephilosophe fait comprendre, « éthique » : il ya une éthique dans le cosmos, puisque tousles corps et les organismes sont finalisés auprincipe éthique universel de conservation dela vie et de la chaleur, ou énergie, provenantdu Soleil.

Descartes est ainsi parvenu au principefondamental de la physique générale : quedans le cosmos tout est ordonné de manièrerationnelle et est, en même temps, orienté de

manière éthique, selon mesure (rationalitééthique), c’est à dire que tout est finalisé auprincipe physique et éthique de conservationde la vie et de l’énergie, qui gouverne entiè-rement le monde naturel.

De là le dernier pas du philosophe dansson chemin de recherche.

Il parvient, de la dernière « branche »,celle à laquelle on n’arrive qu’à la fin, au de-gré le plus élevé de sagesse et de maturitépersonnelle, et qui constitue le but-même etl’utilité de la Philosophie, à établir la normeéthique universelle pour le monde humain,fondement de la Philosophie pratique.

Mais les principes moraux qu’il affirmeet qu’il nous transmet servent – il est bon dele souligner – non pas à « conserver la vie »,selon la loi du cosmos, mais à « ne pas crain-dre la mort », comme le philosophe dit, et à« bien vivre », ce qui signifie, justement, vivrede manière courageuse, sans jamais resterirrésolus et être « ignaves » (ceux qui neprennent pas parti), comme le font les espritsgrands et forts comme Descartes, en croyanten soi-mêmes, en sa propre raison et dans sespropres choix courageux.

Comme Descartes avait affirmé dès laquatrième méditation, pour bien agir dans lavie il faut toujours avant connaître et « nerien juger que ce que l’on ait conçu et connude manière claire et distincte ».

Seulement ainsi chaque homme peutfaire un bon usage de son libre arbitre, de sapropre volonté, sans jamais assumer rien pas-sivement ou aveuglement, dansl’ « indifférence » et dans l’ignorance, maistoujours, comme Descartes l’enseigne, endiscernant avec la lumière de sa propre rai-son le vrai et le faux, le juste et l’injuste

La vraie, absolue liberté de chacun denous consiste, justement, en notre penséeautonome, à refuser ce qui est faux en suivantsa propre raison, et également, dans le do-maine pratique, elle consiste à bien orienter lavolonté, donc ses propres désirs, et à refuserce qui est en dehors de l’ordre et de la mesurenaturels, et qui, étant excessif, est toujours,généralement, nocif.

La liberté individuelle, en ce sens, signi-fie aussi, contre toute imposition ou forme dedéterminisme, faire un bon usage de ses pro-pres passions, en discernant celles qui sontnocives, vicieuses, toujours excessives, et ensuivant au contraire celles qui sont bienfai-

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santes pour nous-mêmes, les passions queDescartes appelle, justement, « libres ».

Les règles morales affirmées dans lesPrincipes sont toutes fondées sur la liberté dela pensée et du choix orientés éthiquement,c’est à dire en accord avec la raison, commeJean Paul Sartre aussi a mis en relief dansl’essai intitulé « La liberté cartésienne » .

« Bien connaître et bien juger pour bienagir » dans la vie, telle est la norme éthiqueuniverselle, pour chaque homme, que lephilosophe établit et qui représente l’utilité etle sens, comme on a dit, de la métaphysiqueet de la Philosophie entière.

En cette norme consiste le but de laconnaissance, des études et de la recherche :connaître signifie, en ce sens, se servir de lalumière de sa propre raison, de sa propreconnaissance pour bien juger et agir dans lavie, pour bien se conduire en faisant deschoix résolus et justes.

Et, affirme Descartes, « lorsqu’on estcertain que cela est, on ne saurait manquerd’être content ».

Cette norme devrait, cartésiennement,gouverner le cosmos humain.

TROISIÈME PARTIE : Le dernier momentde la recherche, Les Passions de l’âme (1649)

« Je suis du nombre de ceux qui aiment leplus la vie »

1 - Le complètement de l’« esthétique de lapensée »

Dans une lettre à Chanut, datée de 1646,le philosophe écrit : « Mais…il y a un fortgrand intervalle entre la notion générale duciel et de la terre, que j’ai tâché de donner enmes Principes, et la connaissance particulièrede la nature de l’homme, de laquelle je n’aipoint encore traité ».

Pour cela se développe la dernière,grande oeuvre philosophique et scientifiquede Descartes.

Les Passions de l’âme, comme elle est in-titulée, qui furent publiées à Amsterdam en1649, exposent sa connaissance particulière,en physicien et biologiste, du corps humainet des fonctions vitales, en proposant desconceptions qui non seulement étaient sur-prenantes pour l’époque, mais qui devancentaussi les cognitions modernes de médecine etde physiologie sur le fonctionnement desorganes vitaux dans le corps humain.

Dans les années précédentes Descartess’était retiré dans son ermitage à Egmond etavait commencé à étudier directement lecorps humain.

Entre 1644 et 1649 on le voit, de tempsen temps, en quelque voyage, pour le resteimmergé dans la dissection des animaux etdans l’étude anatomique et embryologiquedu corps humain.

Ces recherches, qui repartent du Traitéjuvénile de l’Homme et prennent une nouvelleforme dans la Description du corps humain,écrite entre 1647 et 1648, sont finalisées àcomprendre le rapport existant entre les deuxsubstances – l’âme et le corps – dansl’homme, intérêt focal de Descartes.

Pour ne pas susciter, à ce sujet-là, despolémiques de la part de l’Église et pour nepas entrer en collision avec les théologiensinquisiteurs, déjà épouvantés par le titre del’œuvre, « Les Passions de l’âme », il précisetout de suite, dans la Préface, que tout ce qu’ilexplique dans son oeuvre sur l’homme, il nel’écrit ni en orateur ni en « Philosophe mo-ral », mais seulement « en physicien ».

Partant des automatismes du corpsanimal, de manière tout à fait innovatrice parrapport à la physiologie et à la médecine tra-ditionnelles, dont les Auctoritates sacréesétaient Aristote, Galien, Hippocrate et lesmédecins arabes, Descartes non seulementreprésente, dessine le corps humain commeune machine parfaite « soimouvante » - un au-tomate (grec autòs-matos, qui se meut de soi-même) – où le mouvement des organes estréglé par des lois mécaniques, plus précisé-ment, par une « rationalité animale » mécani-que.

Le mouvement et la formation del’organisme humain entier sont par lui re-conduits, en sens atomiste, à un élémentpremier, le sang, et à ses « esprits animaux »,les particules sanguines qui, avec leur flux,modèlent et font bouger tous les organes ducorps.

Celui-ci est justement le noyau de lathéorie cartésienne qu’il nous intéresse ici deconsidérer pour comprendre le rapport entrel’âme et le corps et, en particulier, pour com-prendre l’origine de nos passions et sensa-tions : la théorie des esprits animaux.

Ces esprits corporels sont, comme Des-cartes dit, « l’air chaud » des particules san-guines qui partent du cœur – le Feu, le siège

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de la chaleur vitale – et qui coulent rapide-ment en se diffusant dans les divers organes,jusqu’à arriver au cerveau à travers la glandepinéale.

« Il ne faut concevoir en l’homme –écrit-il – aucun autre principe de mouvementet de vie qu’il ne soit son sang et ses esprits,agités par la chaleur du feu qui brûle conti-nuellement en son cœur, et qui n’est de na-ture autre que celle de tous les feux qui sontdans les corps inanimés ».

Tout en nous tire son origine première,donc, de ces chaleureux esprits animaux, qui,poussés par le cœur, remontent jusqu’au cer-veau, et ici, avec leur mouvement, engen-drent les « émotions », les « mouvements del’âme » (latin ex-moveo, motus) ou passions,qui influent ensuite sur nos pensées, idées,sur notre faculté intellective.

Le lien en nous, donc, entre la Subs-tance rationnelle et le corps est donné par lesesprits animaux qui, se mouvant dans l’âme,suscitent les passions, ce pourquoi notre cer-veau « sent » des émotions comme si ellesétaient dans le cœur, avec une égale sensibi-lité (Passions, Partie 1, art. XXXV).

Les esprits créent en nous une sorted’ « empathie » rationnelle, relient dans uneunité les deux substances, la raison et lecorps, à travers les passions qu’ils suscitent etqui deviennent ensuite pensées, idées,connaissances.

Autrement dit, les passions de l’âme aux-quelles Descartes se réfère sont les passionsrationnelles à l’intérieur de la pensée, qui estexcitée par le mouvement de nos esprits ani-maux, représentables comme une sorte devent chaud de printemps qui réchauffe la raisonet puis fait « souffler » les idées et lesconnaissances dans un sens ou dans l’autre,suivant les émotions que les esprits suscitenten nous.

Cette unité créée par les esprits entre lessens et la raison, dans une empathie ration-nelle, est aussi un accord éthique, commeDescartes l’explique, puisque les passionsservent à fortifier et à faire demeurer dansl’âme « les pensées qu’il est bien qu’elle gardeet qui, sans cela, pourraient facilement êtreeffacées » (Passions, Partie 2, art. LXXIV).

Nous sommes ici arrivés, donc, dans lesPassions de l’âme, à la conclusion que la pen-sée est en elle-même fondamentalement« passionnelle », puisqu’elle a pour origine pre-

mière nos esprits animaux, qui, comme un ventchaud, soufflent sur notre connaissance, suscitenten nous des passions déterminées et, pourcela, nous font retenir certaines pensées etnon pas d’autres.

Se définit maintenant par là, de manièrecomplète, l’esthétique de la pensée que nousavons suivie du début, à travers l’ « histoiredes pensées de René Descartes », et qui dé-montre, comme il était dans le propos de cetécrit, que la pensée est une totalité de facultéshumaines, rationnelles et sensorielles, liées ànotre corps dans une unité, et par lesquelless’accomplit, conjointement et graduellement,la maturation du « Je » dans son chemin deconnaissance et de recherche.

En suivant dans ce chemin, commeDescartes l’enseigne, notre raison et, avecelle, nos passions « primitives », nous parve-nons à une sorte d’harmonie éthique entreelles, qui représente le plus haut degré de lafélicité et de la sagesse pour chaque homme.

2 - Réponse à Henri LefebvreNous pouvons maintenant répondre à

Henri Lefebvre, qui, dans le livre intituléQu’est-ce que penser ? (1985), s’est demandé,de manière critique, quel est le sens au-jourd’hui du principe cartésien « Cogito, ergosum ».

Dans la pensée sont enveloppés et sedéploient, comme on l’a vu, la certitude et lesens de l’Être de chaque homme dans sa To-talité.

À quoi cette certitude universelle sert-elle, celà est maintenant clair.

Elle représente le fondement premier etle sens-même de la Philosophie et de laconnaissance comme chemin progressif derecherche de la vérité.

En partant de cette certitude première,il est possible, procédant méthodiquement,selon ordre et mesure, comme Descartes lemontre, d’éclairer, d’illuminer son proprechemin de recherche en éliminant tout ce quiest douteux, incertain, et apprenant à discer-ner le vrai du faux, en sorte d’élever de plusen plus sa propre connaissance jusqu’à at-teindre de nouvelles certitudes et principesfondamentaux.

Sans ces fondements premiers, théori-ques et méthodiques, il n’est possible, aucontraire, de parvenir à aucune vérité et à

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aucun principe pratique dans la vie pour seformer et pour se conduire soi-mêmes.

On marche, ainsi, aveuglément.Dans le manque de critères objectifs de

connaissance et de valeur, en Philosophie,comme dans toutes les Sciences, et aussi dansla vie, tout devient relatif, arbitraire, il de-vient possible de tout invertir – soutenir lefaux comme vrai, l’opinion comme connais-sance, l’injuste comme juste… - et de faireproliférer les doutes et les incertitudes hu-maines, en y tirant du profit.

La Philosophie devient alors le « règnede la parlerie », comme Lefebvre aussi l’a dit :des opinions faciles et arbitraires.

Par rapport à tout cela, nous affirmonsdans cet écrit, par contraste, la Philosophieilluministe de Descartes comme chemin illu-miné d’évolution du Je pensant dans la re-cherche du vrai.

Le chemin de recherche de la vérité est,comme on a vu, un parcours de maturationhumaine graduelle et progressive, qui est faitde plusieurs étapes : chacun pourra s’arrêteroù il voudra, à l’étape où il sent d’avoir trou-vé les certitudes ou les vérités qu’il cherchait.

Quelle que soit cette étape, on aura làtrouvé, comme Descartes enseigne, sa proprefélicité et les principes pour « bien vivre ».

« La Philosophie que je cultive n’est pas sibarbare ni si farouche qu’elle rejette l’usagedes passions; au contraire, c’est en lui seulque je mets toute la douceur et la félicité decette vie » (René Descartes)

Bibliographie :

- Samuel S. De Sacy, Descartes par lui-même,« Écrivains de toujours », Éditions du Seuil,1966- Anthologie, par les beaux soins de EttoreLojacono, Opere filosofiche di René Descartes,Edizioni torinesi, 1966- Anthologie, par les beaux soins de GianniMicheli, Opere scientifiche di René Descartes(vol. 1, La Biologia), Edizioni torinesi, 1966- Jean Paul Sartre, « La liberté cartésienne »,dans Situations I (1947)- Henri Lefebvre, Qu’est-ce que penser ?,Éd.Publisud, 1985

La continuation de la dialectique du JeLa dialectique rationnelle du Je, qui

constitue l’essence de la Philosophie carté-sienne, continue, sur de bases culturelles di-verses, dans la Philosophie hégélienne del’Esprit, où nous voyons, justement, la Penséedevenir Totalité, dans une différente perspec-tive historiciste, en unité avec la Nature et laRéalité, dans le cadre d’une Philosophie sys-tématique qui se constitue comme connais-sance éthique et universelle, comme savoirencyclopédique unitaire, et qui est, pour cela,semblable et proche, dans ses parties essen-tielles – Science de la logique, Philosophie dela Nature, Philosophie de l’Esprit – toutcomme dans ses finalités « pratiques », de laPhilosophie cartésienne.

Dans une perspective qui continue d’unpoint de vue « historiciste » la dialectiquecartésienne du Je, Hegel affirme que la fina-lité de l’Histoire est la réalisation de la Libertéen tant qu’essence, « Substance de l’Esprit »,et que cette liberté est conquise par le Sujet àtravers un chemin progressif de maturationet d’émancipation jusqu’à la formation d’uneConscience juridique, morale et éthique (Es-prit objectif : droit, moralité, éthicité), ayantdes buts universels.

Le dernier degré de ce chemin del’Esprit est représenté justement pour Hegel,comme pour Descartes, par la Philosophie entant que Savoir absolu, où l’Esprit « est »synthétiquement Conscience subjective etobjective, unité absolue de la Pensée et de l’êÊtre,qui s’auto-comprend comme telle (Esprit ab-solu).

Dans la continuation de la dialectiquephilosophique et formative du Je, on ren-contre, parmi les philosophes contemporains,Henri Lefebvre, qui est parti lui aussi de ladialectique hégélienne de l’Esprit et qui estarrivé, enfin, à travers le matérialisme histo-rique marxien, à corriger ses limites spécula-tives, jusqu’à l’affirmation d’une Théoriedialectique du Social, dans laquelle il nousmontre que la Conscience individuelle peutse former, peut mûrir et devenir Conscienceéthique et juridique seulement dans et par lavie sociale, comme Conscience transforma-trice de la réalité.