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Annales de pathologie (2012) 32, 288—290 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS POUR DIAGNOSTIC Tumeur inhabituelle sur rein natif d’un transplanté rénal An unusual native kidney neoplasm presenting in a kidney graft recipient William Hanf a,, Diane Collet-Benzaquen b , Ricardo Codas c , Jean-Yves Scoazec b,d , Florence Mege-Lechevallier b a Service de néphrologie, transplantation et immunologie clinique, hôpital Édouard-Herriot, hospices civils de Lyon, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, France b Service d’anatomie et de cytopathologie cellulaire, hôpital Édouard-Herriot, hospices civils de Lyon, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, France c Service d’urologie de la transplantation et de cancérologie urologique, hôpital Édouard-Herriot, hospices civils de Lyon, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, France d Université Claude-Bernard Lyon 1, 69004 Lyon, France Accepté pour publication le 19 mai 2012 Disponible sur Internet le 9 aoˆ ut 2012 Observation Un homme de 40 ans, présentant une glomérulonéphrite extramembraneuse, dialysé depuis ses 18 ans, est hospitalisé dans le service de néphrologie pour le bilan de sa sixième année de transplantation rénale. Il a rec ¸u une première transplantation à l’âge de 20 ans qu’il perdit huit ans plus tard sur un rejet chronique actif ; puis un second greffon à l’âge de 34 ans, encore fonctionnel (clairance de la créatinine estimée à 70 mL/min/1,73 m 2 ). Le patient ne présentait pas d’autre antécédent notable et n’était pas symptomatique. Son bilan biologique était stable avec notamment absence de protéinurie. Il avait un traite- ment immunosuppresseur composé de tacrolimus, d’acide mycophénolique et de stéroïdes. Lors de son bilan annuel, l’échographie a retrouvé une lésion kystique suspecte du pôle supérieur du rein natif gauche. Le greffon ne présentait pas d’anomalie architecturale ni vélocimétrique et le rein natif droit était atrophique. Une néphrectomie gauche sous cœlioscopie à visée diagnostique et thérapeutique a été réalisée. Macroscopiquement, le rein était atrophique (8,5 × 4 × 3 cm), pesait 134 g et était déformé par une tumeur kystique de 3,4 cm de grand axe et encapsulée (Fig. 1). Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (W. Hanf). 0242-6498/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2012.05.001

Tumeur inhabituelle sur rein natif d’un transplanté rénal

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nnales de pathologie (2012) 32, 288—290

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

AS POUR DIAGNOSTIC

umeur inhabituelle sur rein natif d’un

ransplanté rénal

n unusual native kidney neoplasm presenting in a kidney graft recipient

William Hanfa,∗, Diane Collet-Benzaquenb,Ricardo Codasc, Jean-Yves Scoazecb,d,Florence Mege-Lechevallierb

a Service de néphrologie, transplantation et immunologie clinique, hôpital Édouard-Herriot,hospices civils de Lyon, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, Franceb Service d’anatomie et de cytopathologie cellulaire, hôpital Édouard-Herriot, hospices civilsde Lyon, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, Francec Service d’urologie de la transplantation et de cancérologie urologique, hôpitalÉdouard-Herriot, hospices civils de Lyon, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, Franced Université Claude-Bernard Lyon 1, 69004 Lyon, France

Accepté pour publication le 19 mai 2012Disponible sur Internet le 9 aout 2012

Observation

Un homme de 40 ans, présentant une glomérulonéphrite extramembraneuse, dialysé depuisses 18 ans, est hospitalisé dans le service de néphrologie pour le bilan de sa sixième annéede transplantation rénale. Il a recu une première transplantation à l’âge de 20 ans qu’ilperdit huit ans plus tard sur un rejet chronique actif ; puis un second greffon à l’âge de34 ans, encore fonctionnel (clairance de la créatinine estimée à 70 mL/min/1,73 m2). Lepatient ne présentait pas d’autre antécédent notable et n’était pas symptomatique. Sonbilan biologique était stable avec notamment absence de protéinurie. Il avait un traite-ment immunosuppresseur composé de tacrolimus, d’acide mycophénolique et de stéroïdes.Lors de son bilan annuel, l’échographie a retrouvé une lésion kystique suspecte du pôlesupérieur du rein natif gauche. Le greffon ne présentait pas d’anomalie architecturaleni vélocimétrique et le rein natif droit était atrophique. Une néphrectomie gauche souscœlioscopie à visée diagnostique et thérapeutique a été réalisée.

Macroscopiquement, le rein était atrophique (8,5 × 4 × 3 cm), pesait 134 g et étaitdéformé par une tumeur kystique de 3,4 cm de grand axe et encapsulée (Fig. 1).

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (W. Hanf).

242-6498/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2012.05.001

Tumeur inhabituelle sur rein natif d’un transplanté rénal 289

Figure 1. Néphrectomie gauche. Le pôle supérieur du rein gaucheest déformé par une tumeur kystique, multiloculaire, arrondieet bien limitée. Il n’existe pas de nodule solide jaune chamois.Le parenchyme rénal restant est atrophique avec une dédiffé-renciation corticomédullaire et une involution adipeuse du hilecompatibles avec une insuffisance rénale chronique terminale.Left nephrectomy. The kidney present with a rounded, well-circumscribed mass of small and large cysts in the upper sideseparated from the kidney by a fibrous capsule. There is no goldenyellow nodule. The resting kidney is atrophic with the absence ofcortico-medullar differentiation compatible with a chronic kidneydisease.

L’analyse microscopique objectivait une lésion respectantla capsule rénale, composée de nombreux kystes bordés decellules claires de grade de Führmann 1, et sans noduleexpansif dans les septas (Fig. 2 et 3). L’immunomarquage

Figure 2. Tumeur rénale en coloration HES. Faible grossissement(× 6) confirmant l’aspect kystique de la prolifération tumorale. Pré-sence de plusieurs couches de cellules ovalaires à cytoplasmes clairscompatibles avec une prolifération de cellules claires rénales.Kidney neoplasm (HES). Cystic disposition of the tumor cell proli-feration (× 6). The lining consists of multiple layers of oval cellswith clear cytoplasm suggesting a clear renal cell proliferation.

Figure 3. Tumeur rénale en coloration HES. Fort grossissement(× 40) objectivant la présence de nombreuses cellules rénalesclaires de grade de Führmann 1 recouvrant la paroi du kyste.Kidney neoplasm (HES). The presence of multiple clear renal cellsFürhmann 1 covering the cyst but without expansile nodules (× 40).

Figure 4. Immunomarquage avec l’Ac anti-EMA (× 6). Le mar-quage fixe les cellules claires rénales. Ces cellules bordent la paroides kystes sans l’infiltrer.Immunostainig with the EMA antibody (× 6). All the clear renalcells are stained with the EMA antibody. These cells recover thecyst without expansile nodules infiltrating the septa.

révélait un marquage fortement positif de l’epithelial mem-brane antigene (EMA) respectant les cloisons interkystiques(Fig. 4). Les cellules n’exprimaient pas l’antigène renal cellcarcinoma (RCC). Les autres marqueurs de tumeurs du reinétaient positif pour l’anticorps antiCK7 et négatifs pour lesAc antiCD10 et antiP504s (ou racémase).

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iagnostic proposé : tumeur à cellulesénales multiloculaire kystique

e carcinome multiloculaire kystique à cellules rénalesCMKCR) est une variante rare (1 à 5 %) du carcinome àellules rénales (RCC) [1]. Il s’agit d’une tumeur rare recon-ue dans la classification OMS 2004 qui n’a pas été décritexplicitement chez l’insuffisant rénal (IR) ou le transplanté.n effet, l’analyse moléculaire des cellules tumorales ais en évidence la même mutation du gène VHL que cellerésente dans les RCC classiques. Cette tumeur est typi-uement unilatérale et unique et survient chez l’adultee 20 à 76 ans. Il s’agit d’une tumeur constituée de mul-iples kystes bordés par des cellules à cytoplasme clair deas grade de Fürhmann (1 ou 2) et séparés par des sep-as fibreux. Les cellules peuvent être aplaties ou bombées.ccasionnellement, on peut observer des papilles ou desmas cellulaires pouvant contenir des calcifications et desones de métaplasie osseuse dans 20 % des cas. Contraire-ent aux carcinomes rénaux conventionnels, les septas sontns et n’ont jamais de nodules expansifs dans leur paroi [2].outefois, s’il n’existe pas de nodules solides dans la paroiisible macroscopiquement, il y a souvent plusieurs petits

mas de cellules claires dans les cloisons interkystiques. Leiagnostic différentiel est parfois difficile car la notion deodule expansif n’est pas précisément décrite dans la litté-ature. Les IR ou les transplantés sont susceptibles de fairees mêmes types histologiques que les non IR avec certainesumeurs propres à l’IR qui sont exposées dans l’article deickoo et al. [3].

Il s’agit ici du premier cas décrit de CMKCR chez unatient transplanté rénal.

Ces patients présentent un risque 15 fois supérieur à celuie la population générale de développer une tumeur du reinussi bien sur le rein natif que sur le rein transplanté [4].a littérature expose rarement les différents types histo-ogiques des cancers rénaux. Les lymphomes sont le plusouvent évoqués sur les greffons rénaux. Récemment, Mel-hior et al. ont repris plus de 800 patients transplantésénaux et ont montré que la plupart des tumeurs se déve-oppant sur les reins natifs étaient des carcinomes rénaux

cellules claires (huit cas/neuf tumeurs rénales). Aucunas de CMKCR n’a été répertorié [5]. Il a été supposé queertaines tumeurs rénales pouvaient apparaître plus spé-ifiquement sur les reins atrophiques des IR chroniquescarcinome papillaire à cellules claires) et que l’insuffisanceénale chronique pouvait être un phénomène épidémiolo-ique favorisant la survenue de RCC. Toutefois, la présence

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W. Hanf et al.

’une lourde immunosuppression en rapport avec la trans-lantation favorise aussi la tumorogénèse et ne permet pasans ce cas d’établir un lien évident de causalité entre insuf-sance rénale et tumeur rénale. Une étude de registre a toute même montré sur plus de 40 000 malades et 368 tumeursénales que la présence de kystes sur les reins natifs auoment de la transplantation était un facteur de risque deévelopper des carcinomes rénaux [6]. De même, l’étudeécente multicentrique francaise sur 1250 patients atteintse RCC a montré la moindre sévérité des RCC lorsqu’ils sur-enaient chez des patients IR chroniques [7]. Enfin, le CMKCRst de meilleur pronostic que le RCC conventionnel dès lorsue la tumorectomie est en marge saine. À ce jour, aucunas de métastase ou de récidive locale n’a été observé.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

1] Halat S, Eble JN, Grignon DJ, Lopez-Beltran A, Montironi R, TanPH, et al. Multilocular cystic renal cell carcinoma is a subtypeof clear cell renal cell carcinoma. Mod Pathol 2010;23:931—6.

2] Sibony M. Diagnostic des tumeurs kystiques du rein de l’adulte.Ann Pathol 2009;29S:49—54.

3] Tickoo SK, de Peralta-Venturina MN, Harik LR, Worcester HD,Salama ME, Young AN, et al. Spectrum of epithelial neoplasmsin end-stage renal disease: an experience from 66 tumor-bearingkidneys with emphasis on histologic patterns distinct fromthose in sporadic adult renal neoplasia. Am J Surg Pathol2006;30:141—53.

4] Kasiske BL, Snyder JJ, Gilbertson DT, Wang C. Cancer afterkidney transplantation in the United States. Am J Transplant2004;4:905—13.

5] Melchior S, Franzaring L, Shardan A, Schwenke C, PlümpeA, Schnell R, et al. Urological de novo malignancy afterkidney transplantation: a case for the urologist. J Urol2011;185:428—32.

6] Hurst FP, Jindal RM, Graham LJ, Falta EM, Elster EA, StackhouseGB, et al. Incidence, predictors, costs, and outcome of renalcell carcinoma after kidney transplantation: USRDS experience.Transplantation 2010;90:898—904.

7] Neuzillet Y, Tillou X, Mathieu R, Long JA, Gigante M, Paparel,et al. Renal cell carcinoma (RCC) in patients with end-stagerenal disease exhibits many favourable clinical, pathologic, andoutcome features compared with RCC in the general population.Eur urol 2011;60:366—73.