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Annales de pathologie (2014) 34, 153—156 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com HISTOSÉMINAIRE DE LA SOCIÉTÉ FRANC ¸AISE DE PATHOLOGIE Tumeurs rares du rein. Cas n o 5. Carcinomes du rein à translocation Rare renal tumors. Case n o 5. Translocation renal carcinomas Nathalie Rioux-Leclercq Service d’anatomie et cytologie pathologiques, CHU Pontchaillou, 2, rue Henri-Le-Guilloux, 35033 Rennes cedex 9, France Accepté pour publication le 6 evrier 2014 Disponible sur Internet le 16 mars 2014 Renseignements cliniques Femme de 43 ans chez qui est découverte de fac ¸on fortuite en imagerie une lésion intrapa- renchymateuse de la berge latérale du rein droit de 22 × 18 mm microcalcifiée. La présence de microcalcifications a fait évoquer un carcinome rénal papillaire sans pouvoir éliminer une lésion tumorale rare et une biopsie de la tumeur a été décidée. Diagnostic Carcinome rénal associé à une translocation PRCC-TFE3. Description histologique La biopsie rénale est occupée par une prolifération de cellules claires à cytoplasme opti- quement vide de taille petite à moyenne s’organisant majoritairement en nids ou plus rarement en travées sans architecture papillaire (Fig. 1). Les nids sont de taille très variable. Les noyaux sont petits, réguliers à chromatine dense sans nucléole ni mitose identifiable (Fig. 2). Il existe de très nombreuses microcalcifications de taille variable. Il n’y a ni nécrose ni stroma vasculaire (Fig. 3). L’étude immunohistochimique montre une positivité nucléaire diffuse et marquée de l’anticorps anti-TFE3, et une négativité pour l’anticorps anti-TFEB (Fig. 4). L’étude cytogénétique en FISH retrouve un réarrangement du locus Xp11 en faveur d’une translocation impliquant le gène TFE3. Adresse e-mail : [email protected] 0242-6498/$ see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.02.007

Tumeurs rares du rein. Cas no 5. Carcinomes du rein à translocation

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Annales de pathologie (2014) 34, 153—156

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

HISTOSÉMINAIRE DE LA SOCIÉTÉ FRANCAISE DE PATHOLOGIE

Tumeurs rares du rein. Cas no 5. Carcinomesdu rein à translocation

Rare renal tumors. Case no 5. Translocation renal carcinomas

Nathalie Rioux-Leclercq

Service d’anatomie et cytologie pathologiques, CHU Pontchaillou, 2, rue Henri-Le-Guilloux,35033 Rennes cedex 9, France

Accepté pour publication le 6 fevrier 2014Disponible sur Internet le 16 mars 2014

Renseignements cliniques

Femme de 43 ans chez qui est découverte de facon fortuite en imagerie une lésion intrapa-renchymateuse de la berge latérale du rein droit de 22 × 18 mm microcalcifiée. La présencede microcalcifications a fait évoquer un carcinome rénal papillaire sans pouvoir éliminerune lésion tumorale rare et une biopsie de la tumeur a été décidée.

Diagnostic

Carcinome rénal associé à une translocation PRCC-TFE3.

Description histologique

La biopsie rénale est occupée par une prolifération de cellules claires à cytoplasme opti-quement vide de taille petite à moyenne s’organisant majoritairement en nids ou plusrarement en travées sans architecture papillaire (Fig. 1). Les nids sont de taille trèsvariable. Les noyaux sont petits, réguliers à chromatine dense sans nucléole ni mitoseidentifiable (Fig. 2). Il existe de très nombreuses microcalcifications de taille variable. Iln’y a ni nécrose ni stroma vasculaire (Fig. 3). L’étude immunohistochimique montre unepositivité nucléaire diffuse et marquée de l’anticorps anti-TFE3, et une négativité pourl’anticorps anti-TFEB (Fig. 4). L’étude cytogénétique en FISH retrouve un réarrangementdu locus Xp11 en faveur d’une translocation impliquant le gène TFE3.

Adresse e-mail : [email protected]

0242-6498/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.02.007

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Figure 1. Carcinome à translocation TFE3 présentant une archi-tecture en nids de taille variable.TFE3 translocation renal carcinoma with nested pattern.

Figure 2. Cellules claires à cytoplasme optiquement vide ànTp

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oyaux peu atypiques au sein d’un carcinome à translocation TFE3.FE3 translocation renal carcinoma with clear tumor cells. No aty-ia or prominent nucleoli are observed.

igure 3. Volumineuse microcalcification au sein d’un carcinome translocation TFE3.FE3 translocation renal carcinoma contains voluminous psam-oma bodies.

ommentaires

es carcinomes du rein associés à une translocationiTf/TFE3 ont été individualisés dans la classification OMS

up

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N. Rioux-Leclercq

igure 4. Carcinome à translocation TFE3 : positivité nucléaireiffuse et marquée des cellules tumorales pour l’Ac anti-TFE3.umor cells are immunoreactive for TFE3 protein, showing a diffusend intense nuclear positivity with anti-TFE3 antibody.

es tumeurs urologiques de 2004 [1]. Ils appartiennent la famille des facteurs de transcription Microphtalmia-ssociated Transcription Factors (MiTF) qui incluent lesacteurs de transcription MiTF, TFE3, TFEB et TFEC. Pourémoire, MiTF est exprimé en pathologie tumorale dans

es PECOmes, les angiomyolipomes, les mélanomes et lesarcomes à cellules claires [2,3].

L’âge moyen du diagnostic se situe vers 24,5 ans9 mois—78 ans) avec deux tiers des cas diagnostiqués avant0 ans. Un second pic se situe entre 50 ans et 66 ans. Il s’agit’une tumeur dont l’incidence est difficile à apprécier ayantongtemps été diagnostiquée à tort comme un carcinomeapillaire ou un carcinome à cellules claires. Ces carcinomes

translocation représenteraient 50 % des tumeurs rénalesalignes primitives chez l’enfant et environ 1 % à 4 % chez

’adulte. Il existe une petite prédominance féminine avecn sex-ratio à 1,7/2,3. Le mode de découverte est fortuitans près de 80 % des cas (62 % des cas après 30 ans). Maisvant 30 ans dans 64 % des cas, des douleurs abdominales,ne hématurie, une anémie ou une masse à la palpation

euvent être révélatrices de la tumeur rénale [2].

En macroscopie, il s’agit souvent de tumeurs hétérogènesal limitées associant des zones jaunes chamois, grisâtres,lanchâtres, par places friables. Les remaniements nécro-iques ou hémorragiques sont fréquents. La taille peut variere 3 à 14 cm (moyenne à 7,8 cm) (Fig. 5).

En microscopie, l’architecture est très variable etomplexe associant dans une même tumeur une organisa-ion alvéolaire, papillaire ou en nids des cellules tumoralesutour de fins axes vasculaires, des zones d’architecturelus acineuse avec présence de lumières glandulaires, desones pouvant faire évoquer un carcinome à cellules clairesypique avec un stroma vasculaire développé, l’ensemblee ces patterns pouvant être plus ou moins prédominant auein d’une même tumeur. Il n’est pas rare d’observer éga-ement des microcalcifications, de taille et de nombre trèsariables, des amas d’histiocytes spumeux, ou de la nécrose.es cellules tumorales sont uniformes polygonales avec desadres cytoplasmiques bien visibles, un cytoplasme tantôtlair, tantôt finement granuleux ou éosinophile avec parfoises globules hyalins intracytoplasmiques. Les noyaux sontlassiquement à contours irréguliers avec un nucléole peu

bien visible. Les mitoses sont très rares. Les nucléoleseuvent être à peine visibles ou très proéminents et des

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ocat

diagnostic repose également sur l’immunohistochimie (Ac

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Figure 5. Aspect macroscopique d’un carcinome à translocationTFE3 hétérogène avec des zones hémorragiques et nécrotiques.Macroscopic aspect of a TFE3 translocation renal carcinomashowing yellow to gray areas with haemorrhages and necrosis.

noyaux multilobés peuvent être observés. Une composantesarcomatoïde ou rhabdoïde peut également être présente[4,5].

Le diagnostic sera confirmé par immunohistochimie ettechnique de cytogénétique. En immunohistochimie, cestumeurs présentent une positivité nucléaire marquée etdiffuse de plus de 30 % des noyaux pour l’anticorps anti-TFE3 (Santa Cruz, clone P16, sc 5958, 1/200) ainsi qu’unepositivité pour le CD10, la vimentine, Pax 8, Pax 2,HMB45 et/ou Melan A, P504S et une négativité pour TFEB,MiTf, CK7.

Ce carcinome est caractérisé par des anomalies cytogé-nétiques spécifiques impliquant dans 100 % des cas le locusdu gène TFE situé en Xp11.2. La mise en évidence partechnique FISH de ces translocations confirme le diagnosticmais la FISH diagnostique tous les remaniements impliquantTFE3 quelle que soit la translocation en cause. Plusieurstranslocations impliquant la région Xp11.2 ont été décritesdont 2 sont plus fréquentes : t(X; 1) (p11.2; q21) formantle gène de fusion Papillary renal Cell Carcinoma (PRCC-

TFE3) et la t(x;17)(p11.2;q25) donnant le gène Alveolar SoftPart Sarcoma (ASPL-TFE3). La protéine de fusion contenantune partie de TFE3 agit alors comme un facteur de trans-cription intranucléaire aberrant, sur-exprimé par rapport auTFE3 natif d’où la positivité nucléaire en immunohistochimieavec l’Ac anti-TFE3. Un caryotype peut également mettreen évidence la translocation spécifique mais nécessite unprélèvement de tissu frais alors que la FISH peut être réali-sée sur coupes de tissu fixé en formol et inclus en paraffine[6].

L’histopronostic de ces tumeurs semble différent en fonc-tion de l’âge au moment du diagnostic. Trente à 80 % des casprésentent au moment du diagnostic des métastases gan-glionnaires. Mais en cas de métastase ganglionnaire au-delàde 25 ans, le pronostic est plus péjoratif que chez l’enfantavec une survie à 3 ans de 14,3 % en présence de méta-stase ganglionnaire et de 70,6 % en l’absence de métastaseganglionnaire. En cas de métastases non ganglionnaires, lamoyenne de survie est inférieure à 2 ans alors qu’elle est de6,3 ans tous stades confondus en l’absence de métastasesà distance. Dans les formes métastatiques, des thérapiesciblées sont proposées sur le même schéma que pour lescarcinomes à cellules claires du rein (inhibiteurs de tyrosinekinase ou inhibiteurs de la voie mTOR) avec une réponse

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Figure 6. Carcinome à translocation t(6;11) avec amas de petitescellules à cytoplasme réduit plutôt éosinophiles se regroupant enclusters au centre de nids.Renal carcinoma with the t(6;11) translocation: presence of anested architecture with a mixture of small and larger clear andeosinophilic cells.

objective globale pour la population de 33 % [6,7]. Il fautsavoir que ces tumeurs peuvent métastaser très tardive-ment, jusqu’à 20 à 30 ans après le diagnostic initial.

Les principaux diagnostics différentiels sont :• le carcinome à translocation t(6;11) est beaucoup plus

rare avec une trentaine de cas rapportés dans la lit-térature. Ce carcinome survient chez des sujets jeunesautour de 25 ans. Dix pour cent des cas rapportés ont pré-senté des métastases avec décès. Macroscopiquement ethistologiquement cette tumeur est proche du carcinomeà translocation Xp11 mais des amas de petites cellulesà cytoplasme réduit plutôt éosinophiles se regroupanten clusters au sein de nids de cellules de plus grandetaille, sont observés (Fig. 6). Il existe une transloca-tion t(6;11)(p21;q12) qui implique une fusion entre laportion 5′ du gène Alpha et le facteur de transcriptionTFEB situé en 6p21, qui entraîne la formation d’un gènede fusion avec sur-expression de la protéine TFEB. Le

anti-TFEB : Santa Cruz, sc11004, 1/400) et la FISH [8] ;• le carcinome mélanotique avec translocation Xp11. Cette

tumeur survient chez l’enfant (11—12 ans), et est le plussouvent métastatique au moment du diagnostic. Elle seprésente comme une tumeur grisâtre mastique, ferme àla palpation, faite de cellules claires, éosinophiles avecfréquemment un aspect épithélioïde. Cette tumeur a laparticularité de produire de la mélanine et de présenterun stroma vasculaire développé. Elle a un aspect histo-logique à cheval entre un PECome, un carcinome et unmélanome. Le diagnostic est immunohistochimique avecune positivité des cellules tumorales à la fois pour lesmarqueurs mélanocytaires Melan A et HMB45 et pour l’Acanti-TFE3. La FISH retrouve un réarrangement de TFE3.Il s’agit donc d’une entité rare survenant chez l’enfant,agressive qui associe au sein d’une tumeur complexe ungène de fusion TFE3 avec une production de mélanine [9] ;

• le carcinome rénal à cellules claires : l’architecture estmoins complexe avec un stroma vasculaire développé, laprésence de remaniements hémorragiques et de foyersriches en sidérophages, peu ou pas de microcalcifications.En cas de doute, l’immunohistochimie montre une néga-tivité pour l’Ac anti-TFE3 et la FISH ne retrouve pas detranslocation impliquant TFE sur le chromosome X ;

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[of Urological Pathology (ISUP) Vancouver classification of renal

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le carcinome rénal papillaire sous-type 1 ou 2 :l’architecture est papillaire de facon prédominanteavec en immunohistochimie une négativité pour TFE3,une positivité pour la CK7+ et la P504S+. L’étude en FISHretrouve fréquemment une trisomie 7 ou 17 ;le carcinome papillaire à cellules claires : l’architectureest tubulopapillaire avec des cellules claires dont lesnoyaux présentent un arrangement particulier, alignés àla surface apicale de la cellule rappelant l’aspect histolo-gique d’un endomètre en phase sécrétoire débutante. Lescellules néoplasiques expriment diffusément la CK7 et lavimentine mais sont négatives pour le TFE3, et la P504S[6].

POINTS IMPORTANTS À RETENIR

• Les carcinomes associés à la translocation TFE sontaprès les néphroblastomes les tumeurs du rein lesplus fréquentes chez les enfants.

• Ces carcinomes peuvent associer différentsaspects architecturaux avec au sein d’une mêmetumeur des zones proches du carcinome à cellulesclaires et des territoires rappelant un carcinomerénal papillaire.

• Ces carcinomes sont fréquemment métastatiquesganglionnaires au moment du diagnostic chez lejeune.

• Le diagnostic ne peut être confirmé que s’il existeune positivité nucléaire diffuse et marquée avecl’Ac anti-TFE3 et une translocation Xp11.2 en FISH.

• Penser à rechercher le statut TFE enimmunohistochimie et en FISH devant toutcarcinome à cellules claires avant 45 ans ou devanttoute tumeur rénale atypique d’architecturecomplexe à cellules claires et éosinophiles après50 ans.

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N. Rioux-Leclercq

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférences

1] World Health Organization Classification of Tumors.Eble JN, Sau-ter G, Epstein JI, Sesterhenn IA, editors. Pathology and Geneticsof tumours of the urinary system and male genital organs. Lyon,France: IARC Press; 2004.

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4] Argani P, Antonescu CR, Couturier J, et al. PRCC-TFE3 renal car-cinomas. Am J Surg Pathol 2002;26:1553—66.

5] Argani P, Olgac S, Tickoo SK, et al. Xp11 translocation renal cellcarcinoma in adults: expanded clinical, pathologic, and geneticspectrum. Am J Surg Pathol 2007;31:1149—60.

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8] Argani P, Laé M, Hutchinson B, et al. Renal carcinomaswith the t(6;11)(p21;q12). Clinicopathological features anddémonstration of the specific alpha-TFEB gene fusion by immu-nohistochemistry, RT-PCR, and DNA PCR. Am J Surg Pathol2005;29:230—40.

9] Argani P, Aulmann S, Karanjawala Z, et al. MelanoticXp11 translocation renal cancers. A distinctive neoplasm withoverlapping features of PEComa, carcinoma, and melanoma. AmJ Surg Pathol 2009;33:609—19.