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Annales de pathologie (2014) 34, 164—167 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com HISTOSÉMINAIRE DE LA SOCIÉTÉ FRANC ¸AISE DE PATHOLOGIE Tumeurs rares du rein. Cas n o 8. Tumeurs de collision et tumeurs multiples Rare renal tumors. Case No. 8. Collision tumors and multiple tumors Eva Compérat Service d’anatomie et cytologie pathologiques 1, université Pierre-et-Marie-Curie Paris VI, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France Accepté pour publication le 8 evrier 2014 Disponible sur Internet le 19 mars 2014 Renseignements cliniques Femme de 67 ans chez laquelle est découverte, de fac ¸on fortuite, une tumeur rénale. Il s’agit d’une lésion intraparenchymateuse hétérogène de 1,5 cm. Décision d’exérèse. Diagnostic Tumeur de collision. Une partie est composée par un carcinome à cellules claires GI de Fuhrman, l’autre partie par un carcinome papillaire de type I de GI. Description histologique Il s’agit d’un côté pour environ la moitié de la lésion d’un carcinome à cellules claires de grade I de Fuhrman. La tumeur est relativement bien limitée. L’autre partie de la tumeur correspond à un carcinome papillaire assez typique de grade I également. Les deux tumeurs sont séparées par une limitante fibreuse fine, il n’existe pas de partie intri- quée. L’immuno-histochimie met en évidence un marquage de CK7 et p504s pour la partie papillaire. La partie cellules claires ne montre pas de marquage. WT-1 est négatif pour les deux composantes (Fig. 1a et b). Commentaires Des tumeurs associant des types histologiques différents sont excessivement rares, néan- moins elles posent souvent de nombreux problèmes diagnostiques. Dans la littérature ces Adresses e-mail : [email protected], [email protected] 0242-6498/$ see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.02.014

Tumeurs rares du rein. Cas no 8. Tumeurs de collision et tumeurs multiples

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Page 1: Tumeurs rares du rein. Cas no 8. Tumeurs de collision et tumeurs multiples

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nnales de pathologie (2014) 34, 164—167

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

ISTOSÉMINAIRE DE LA SOCIÉTÉ FRANCAISE DE PATHOLOGIE

umeurs rares du rein. Cas no 8. Tumeurs deollision et tumeurs multiples

are renal tumors. Case No. 8. Collision tumors and multipleumors

Eva Compérat

Service d’anatomie et cytologie pathologiques 1, université Pierre-et-Marie-Curie Paris VI,groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France

Accepté pour publication le 8 fevrier 2014Disponible sur Internet le 19 mars 2014

Renseignements cliniques

Femme de 67 ans chez laquelle est découverte, de facon fortuite, une tumeur rénale. Ils’agit d’une lésion intraparenchymateuse hétérogène de 1,5 cm. Décision d’exérèse.

Diagnostic

Tumeur de collision. Une partie est composée par un carcinome à cellules claires GI deFuhrman, l’autre partie par un carcinome papillaire de type I de GI.

Description histologique

Il s’agit d’un côté pour environ la moitié de la lésion d’un carcinome à cellules clairesde grade I de Fuhrman. La tumeur est relativement bien limitée. L’autre partie de latumeur correspond à un carcinome papillaire assez typique de grade I également. Lesdeux tumeurs sont séparées par une limitante fibreuse fine, il n’existe pas de partie intri-quée. L’immuno-histochimie met en évidence un marquage de CK7 et p504s pour la partiepapillaire. La partie cellules claires ne montre pas de marquage. WT-1 est négatif pour lesdeux composantes (Fig. 1a et b).

Commentaires

Des tumeurs associant des types histologiques différents sont excessivement rares, néan-moins elles posent souvent de nombreux problèmes diagnostiques. Dans la littérature ces

Adresses e-mail : [email protected], [email protected]

242-6498/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.02.014

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eurs

tie daire dhe tum nu

Tumeurs rares du rein. Cas no 8. Tumeurs de collision et tum

Figure 1. a et b : deux contingents tumoraux différents. Une pargrade de Fuhrman, l’autre partie correspond à un carcinome papillTwo different tumoral contingents within the tumor. A portion of tother portion corresponds to a type 1 papillary carcinoma. Minimu

lésions sont appelées « tumeurs de collision », dont la défi-nition n’est pas totalement claire. Pour certains auteurs cestumeurs sont composées de deux contingents malins avecplusieurs histogenèses distinctes qui forment une mêmetumeur au sein d’un même organe ; pour d’autres il s’agitde tumeurs associant un contingent malin et un contin-gent bénin [1,2]. La plupart du temps les cas rapportésdans la littérature sont uniques. Les contingents histolo-giques décrits sont variables : carcinomes papillaires aveconcocytome ou carcinome à cellules claires ; carcinome àcellules claires associés à des carcinomes urothéliaux ou destumeurs des tubes collecteurs mais tous les types histolo-giques peuvent être observés en association [1,3—6]. Du faitdu peu de cas rapportés, il n’existe aucun consensus pource type de tumeur : la meilleure facon de procéder est derester descriptif en évaluant la part relative des deux contin-gents et de donner un type histologique et un stade pourchaque contingent. Le pronostic sera très probablement liéau contingent le plus agressif avec le grade de Fuhrman (si

possible) le plus élevé et dont le stade est le plus élevé.

Les tumeurs multiples sont quant à elles plus fréquem-ment observées dans les syndromes héréditaires comme lamaladie Von-Hippel Lindau, le syndrome de Birt-Hogg-Dubé,les carcinomes papillaires héréditaires, la léïomyomatosehéréditaire et la sclérose tubéreuse de Bourneville. La mul-tifocalité peut aussi être observée dans la maladie kystiquedu rein acquise et l’oncocytomatose rénale [7].

La maladie Von-Hippel Lindau est une maladie autoso-male dominante située sur le chromosome 3p25-26 avec unefréquence à la naissance de 1/36 000. Elle fait partie dugroupe des phacomatoses. Le problème de cette maladien’est pas l’atteinte rénale, mais plutôt les lésions céré-brales, de la moelle épinière, des angiomes de la rétine,mais aussi des phéochromocytomes et des kystes du rein quien sont les manifestations les plus fréquentes. Au niveaurénal, on observe des kystes et des carcinomes à cellulesclaires, qui peuvent apparaître à un âge très jeune. La mala-die peut se manifester dès l’âge de 5 ans, avec un pic defréquence aux alentours de 35 ans et est toujours diagnos-tiquée avant 60 ans. Le traitement est multidisciplinaire etcomme mentionné précédemment le pronostic dépend deslésions cérébrales.

Dans le syndrome Birt-Hogg-Dubé (BHD), il y a des mani-festations dermatologiques (fibrofolliculomes) décrites pour

multiples 165

e la tumeur est occupée par un carcinome à cellules claires de base type 1. Les atypies nucléaires sont minimes (HES × 2,5 et 10).

mor is composed by clear cell carcinoma (Fuhrman low grade), theclear atypia (H&E × 2.5 and 10).

la première fois en 1977 et des symptômes rénaux qui ontété décrits plus tard par Roth en 1993. Dans cette maladieexiste des critères majeurs tels que la présence d’au moins5 fibrofolliculomes ou d’une mutation de la lignée germi-nale, et des critères mineurs tels que des kystes pulmonaires(risque de pneumothorax), des cancers rénaux < 50 ans,uniques ou multiples, d’histologie diverse, ou le fait qu’unparent du premier degré soit porteur de cette maladie.Mais d’autres symptômes tels que des lipomes multiples,des bronchiectasies, des tumeurs coliques et des carcinomesmédullaires de la thyroïde ont été décrits [8]. La folliculine,découverte en 2001 sur le chromosome 17p11.2 est un gènesuppresseur de tumeur. En ce qui concerne les manifesta-tions rénales, ces malades peuvent développer des tumeursmultiples ou bilatérales. Il peut s’agir de types histologiquesdifférents. Mais cette maladie est surtout connue pour lestumeurs hybrides, c’est-à-dire des tumeurs qui montrent descaractéristiques d’oncocytomes et de carcinomes chromo-phobes. Chez des malades atteints d’un syndrome de BHD,ces tumeurs sont souvent multiples. Les tumeurs hybrides

sont incluses dans la nouvelle classification 2013 de l’ISUP.En cas d’association avec un syndrome de BHD, il existeun mélange entre oncocytome et carcinome chromophobe,des cellules typiques pour un carcinome chromophobe dis-persées sur un fond d’oncocytome typique et des grandescellules avec un cytoplasme éosinophile avec des vacuolesintracytoplasmiques. Les noyaux sont plutôt irréguliers dansces cellules (Fig. 2).

Les carcinomes papillaires héréditaires se voient chez desmalades plus jeunes que ceux avec des carcinomes papil-laires habituels. Les malades présentent une mutation dans80 % des cas sur le chromosome 7q31-34 (proto-oncogènec-met) et dans des cas plus rares au locus 1q21. Il s’agitde tumeurs multifocales et bilatérales, un dépistage avantl’âge de 10 ans est souhaitable. Dans ce cas, les tumeurs sontgénéralement de petite taille au moment de la découverte(< 3 cm) et peuvent être traitées par tumorectomie. Il esttrès important dans l’optique de la prise en charge d’être leplus conservateur possible (nephron sparing surgery [NSS]).

La léïomyomatose héréditaire associée aux carcinomesdu rein est une nouvelle entité de la classification ISUP2013. Il s’agit d’une maladie autosomale dominante, maisqui est connue de longue date, car Virchow en 1854 l’avaitdéjà décrite. Le gène en question est HLRCC situé sur le

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Figure 2. Tumeur hybride. D’un côté un contingent oncocytaire,l’autre partie correspond à des aspects de carcinome chromophobe(HES × 20).Hybrid tumor. On one part of the tumor is an oncocytic tumor, theother part corresponds to a chromophobe carcinoma (H&E × 20).

FpP

cdelêpddcsdmualpbdlto

FtRt

ps

snmbTpPcdstcqprr

igure 3. Carcinome papillaire de type 2, les nucléoles sontroéminents (HES × 10).apillary carcinoma type 2; nucleoli are prominent (H&E × 10).

hromosome 1q42.3-43 qui code pour une enzyme mitochon-riale fumarate hydrase (FH). Il a été suggéré que cettentité est la contrepartie héréditaire des carcinomes papil-aires de type 2. Il s’agit de tumeurs agressives qui doiventtre reconnues comme une entité séparée. Les syndromesrincipaux sont des léiomyomes cutanés et utérins, ceserniers sont très difficiles à traiter et il n’est pas rare’effectuer une hystérectomie avant l’âge de 30 ans chezes malades. Les carcinomes rénaux associés à cette maladieont des carcinomes papillaires de type 2 et parfois mêmees carcinomes des tubes collecteurs (Fig. 3). Contraire-ent à d’autres syndromes héréditaires, il s’agit de tumeurs

niques mais très agressives. Ces patients se présententvec des tumeurs avancées et décèdent fréquemment deeur maladie. Histologiquement on observe des nucléolesroéminents éosinophiles avec halo clair, pouvant ressem-ler à une inclusion à CMV. Ces nucléoles sont aussi observésans les léiomyomes de ces malades. La plupart du tempses tumeurs rénales forment des papilles, mais une architec-ure plus compacte et/ou cribriforme peut également êtrebservée. Il est important de prendre en charge le plus vite

tollc

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osé1[ucLn

E. Compérat

igure 4. Oncocytomatose, des amas de cellules oncocytaires dis-ribués au sein du parenchyme rénal de facon anarchique (HES × 4).enal oncocytomatosis; clusters of oncocytic cells anarchical dis-ributed within the renal parenchyma (H&E × 4).

ossible ces malades et opérer des carcinomes rénaux à untade débutant.

La sclérose tubéreuse de Bourneville est un autreyndrome héréditaire transmis de facon autosomique domi-ante faisant partie du panel des phacomatoses. Lesalades développent des tumeurs bénignes cutanées, céré-rales, cardiaques et rénales. Les gènes impliqués sontSC1 et TSC2 situés sur le chromosome 9q34 et 16p3.3, res-ectivement. Il s’agit de gènes suppresseurs de tumeurs.our diagnostiquer ce syndrome, il faut présenter deuxritères majeurs ou 1 majeur et 1 mineur. La présence’angiomyolipomes multiples est un critère majeur, la pré-ence d’un angiomyolipome unique un critère mineur. Leraitement dépend de la localisation, en cas de tumeursérébrales un traitement antiépileptique peut être indi-ué. D’autres traitements avec inhibiteurs de la voie mTOReuvent réduire la taille des tumeurs aussi bien extra-énales que rénales. La chirurgie avec NSS est indiquée, lesécidives étant fréquentes.

Une affection où l’on peut observer fréquemment des

umeurs multiples est la maladie kystique du rein acquisebservée chez l’insuffisant rénal après des années de dia-yse. Le risque du cancer du rein augmente avec la durée dea dialyse. Ces malades présentent le plus fréquemment desarcinomes papillaires.

L’oncocytomatose rénale correspond à des multiplesetites tumeurs à cellules oncocytaires plus ou moinsien limitées qui s’associent à des changements oncocy-aires dans des tubes collecteurs, à des microkystes bordésar des cellules oncocytaires et à des amas d’oncocytesans l’interstitium rénal. Ces lésions s’observent chez desalades atteints d’insuffisance rénale chronique le plus sou-

ent au stade de l’hémodialyse. Il s’agit de lésions bénignest multiples (Fig. 4).

Des tumeurs sporadiques multifocales sont rarementbservées, avec une estimation entre 4,3 à 25 %. La pré-ence d’adénomes papillaires peut expliquer le chiffre trèslevé de 25 % selon des séries. Des séries avec plus de000 patients rapportent une fréquence entre 4,3 % à 5,4 %5,8]. En particulier les carcinomes rénaux papillaires ontne plus grande tendance à la multifocalité comparés auxarcinomes à cellules claires (10,9 % versus 2 %) (Fig. 5) [8].a plupart du temps on observe une tumeur « index » et desodules satellites dont l’histologie est identique. Néanmoins

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Tumeurs rares du rein. Cas no 8. Tumeurs de collision et tumeurs

Figure 5. Multiples tumeurs papillaires dans le même rein.Multiple papillary tumors in the same kidney.

il est possible d’observer des types histologiques différents,comme par exemple une association de carcinome à cellulesclaires avec un carcinome papillaire. La présence des deuxsous-types dans le même rein a été décrite entre 17 % à 26 %.

Au cours de la conférence de consensus de l’InternationalSociety of Urological Pathology (ISUP), les participants ontpréconisé en grande majorité (90 %) de prélever jusqu’à5 tumeurs. Dans le cas où plus de 5 tumeurs sont présentespar rein, on peut se permettre de prélever seulement les5 les plus grandes, surtout si les tumeurs de plus petite tailleressemblent macroscopiquement aux autres. Il n’existe pasde restriction pour les prélèvements. En cas de doute surla nature des autres tumeurs, des prélèvements supplémen-taires doivent être effectués. En revanche, il n’existe pasde consensus pour la stadification de ces tumeurs. Il fautétablir un stade pTNM à la tumeur la plus grande, pour lereste on peut rester descriptif [9].

multiples 167

POINTS IMPORTANTS À RETENIR

• Il n’existe pas de consensus pour établir le stadedes tumeurs de collision et des tumeurs multiples,notamment si plusieurs types histologiques sontprésents.

• Il faut chercher, surtout en cas de tumeursmultiples, des syndromes génétiques, notammentchez des sujets jeunes.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-tion avec cet article.

Références

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