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Monsieur Turhan Feyzioglu Les partis politiques en Turquie Du parti unique a la démocratie In: Revue française de science politique, 4e année, n°1, 1954. pp. 131-155. Citer ce document / Cite this document : Feyzioglu Turhan. Les partis politiques en Turquie Du parti unique a la démocratie. In: Revue française de science politique, 4e année, n°1, 1954. pp. 131-155. doi : 10.3406/rfsp.1954.452640 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1954_num_4_1_452640

Turhan Feyz. Parti Poli en Tr

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  • Monsieur Turhan Feyzioglu

    Les partis politiques en Turquie Du parti unique a la dmocratieIn: Revue franaise de science politique, 4e anne, n1, 1954. pp. 131-155.

    Citer ce document / Cite this document :

    Feyzioglu Turhan. Les partis politiques en Turquie Du parti unique a la dmocratie. In: Revue franaise de science politique, 4eanne, n1, 1954. pp. 131-155.

    doi : 10.3406/rfsp.1954.452640

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1954_num_4_1_452640

  • Les Partis Politiques en Turquie

    Du Parti Unique la Dmocratie

    TURHAN FEYZOGLU

    Ala fin de la seconde guerre mondiale, la Turquie a pass sans heurts d'un rgime autoritaire de parti unique un rgime multipartite. Il n'est pas ais d'expliquer cette vo-

    lution, ni certains aspects particuliers de la vie politique en Turquie sans jeter un coup d'oeil vers le pass. Une partie de cet article sera donc consacre, avant d'aborder l'tude de la situation actuelle, une esquisse historique des groupements politiques en Turquie et l'analyse de certains caractres spciaux qui diffrenciaient le rgime de parti unique turc des principaux rgimes totalitaires.

    La jeune Rpublique turque est l'hritire de l'ancien Empire ottoman. Cet empire, fond au xivs sicle par les Turcs d'Anatoie, avait au dbut des bases solides et fut un des plus durables de l'histoire. Mais sovs. l'influence de diffrents facteurs, internes et externes, i devait connatre une longue oriode de recul et ce dclin. Parmi les causes trs diverses de ce dclin, quelques-unes, par exemple l'autorit absolue des Sultans-Khaliies qui runirent dans leurs mains les pouvoirs temporels et spirituels, l'absence d'tm contre-poids rel. 'irrimobilisme et la ptrification du systme juridique rsultant du -zaractre tLocra tique de l'Ecac, l'opposition du fanatisme r?Jiqieu" toute sorte de progrs, mritent d'tre retenues, car elles serviront comprendre aWinde zs principaux partis politiques contemporains.

    Les principaux groupements pcIBiques jusqu' Sa dfaite d@ 1918

    Si l'on met part les associations secrtes et rvolutionnaires cres par les minorits dans un but de sparatisme national, les

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  • Turhan Feyzioglu

    premiers mouvements de groupement autour d'une ide politique naissent au sein de l'Empire ottoman partir de 1839, date de la promulgation de la Charte du Tanzimat reconnaissant aux sujets du sultan certains droits fondamentaux. Le plus important de ces groupements est l'Association secrte des jeunes Ottomans (plus connue sous le nom de Jeunes Turcs) fonde en 1865. Ce mouvement aboutit en 1876 la Premire Monarchie Constitutionnelle. Mais la Constitution de 1876 ayant laiss subsister la suprmatie du monarque, le sultan Abdul-Hamid dissout le Parlement en 1878. Il rgne en souverain absolu jusqu'en 1908, date laquelle, grce l'action de l'Association d'Union et de Progrs, la Constitution entrera de nouveau en vigueur.

    L'Association d'Union et de Progrs, qui est ne de la fusion d'une quinzaine d'associations fondes clandestinement Istanbul, Salonique ou Paris dans le but de mettre fin au pouvoir absolu du sultan, devient sous la Seconde Monarchie Constitutionnelle un parti politique et assume le pouvoir. Il le gardera avec un court intervalle jusqu' la fin de la premire guerre mondiale, malgr l'apparition de nombreux partis d'opposition. On accuse le Parti d'Union et de Progrs de vouloir substituer sa propre dictature celle du monarque, de ngliger la cause de l'galit des peuples ottomans et de mener une politique nationaliste visant consolider la suprmatie de l'lment turc au sein de l'Empire ; d'autres lui reprochent son modernisme, son occidentalisme, sa tendance laque.

    A partir de 1909, on voit ainsi natre le Parti libral ottoman, le Parti dmocrate ottoman, e Parti des Libraux modrs, le Parti du Peuple, le Parti socialiste ottoman et le Parti de l'Union musulmane. Ce dernier est un parti clrical qui se dresse contre les rformes entreprises par le Parti d'Union et de Progrs et dfend ouvertement le rgime thocratique. Il disparatra d'ailleurs de la scne politique la suite d'une rvolte ractionnaire qu'il aura provoque.

    Cette poussire de petits partis ne pouvait rien contre le puissant bloc que constituait le Parti d'Union et de Progrs. Afin de crer un parti capable de menr une opposition efficace, plusieurs d'entre eux dcidrent de s'unir sous le nom d'Entente librale, C'est la premire manifestation de la tendance au bipartisme que nous retrouverons plus tard et qui n'est pas tranger au systme lectoral, systme majoritaire un seul tour. La priode de la Seconde Monarchie Constitutionnelle sera marque par la lutte entre le Parti d'Union et de Progrs et l'Entente librale. L'acharnement

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  • Les Partis Politiques en Turquie

    de cette lutte, le manque d'unit nationale 1! la raction religieuse, les guerres incessantes empcheront durant toute cette priode le bon fonctionnement de l'appareil dmocratique. Surtout partir de 1912, le rgime assez librai n de la Rvolution de 1908 fera place la dictature du Parti d'Union et de Progrs.

    La priode de l'armistice et de la guerre d'indpendance

    Aprs la dfaite de 1918, le Parti d'Union et de Progrs, responsable de la guerre, disparat. Le pays se trouve en face de problmes extrmement graves et complexes qui poussent les politiciens envisager des solutions diverses. Les partis politiques et les associations pullulent Istanbul. Mais presque tous sont dpourvus de base relle dans le pays. C'est un ventail qui va de l'extrme gauche (le Parti travailliste, le Parti socialiste des Paysans et des Ouvriers de Turquie) l'extrme droite (l'Association pour le relvement de l'Islam) Pour sortir de ce chaos, des tentatives de rassemblement ont lieu. En particulier, celle entreprise par le Congrs national russit organiser des runions priodiques entre les reprsentants d'un grand nombre de partis et d'associations.

    Pendant ce temps, en dehors de la capitale, en Anatolie, comme en Thrace, se crent un peu partout des associations d'un type tout fait diffrent, naissant spontanment de l'enthousiasme populaire et ayant pour but la dfense de l'indpendance et de l'intgrit de la nation turque, menaces par l'occupation partielle du pays et par les conditions d'armistice imposes au Gouvernement d'Istanbul. En Thrace, Edirne (Andrinope) et dans la rgion environnante, une association dite de Trakia et Pachali , I Est, une Association pour la Dfense des droits nationaux dans les provinces orientales : au Nord, Trabzon (Trbizonde ) , une Association pour la Dfense des droits nationaux ; enfin l'Ouest, dans la rgion d'zmir (Smyrne) o les puissances allies ont fait dbarquer l'arme hellne, une Association de Libra- tien de la patrie et de nombreuses associations dites anti- annexionnistes sont fondes par des patriotes qui commencent

    1. La Chambre des dputs issue des lections de 1905 comprenait 142 Turcs, 60 Arabes, 25 Albanais, 23 Grecs, 12 Armniens, 5 Juifs, 4 Bulgares, 3 Serbes (R.G. Okamjan, Les Grandes Lignes du drci: public turc (en turc), Istanbul, 19-13, p. 268 : cit par T. Tunaya, Les Partis politiques en Turquie (en turc), Istanbul, 1952, p. 165) Ce dernier ouvrage est un excellent recueil de documents, indispensable pour l'tude des groupements politiques turcs depuis le XIXe sicle.

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  • Turhan Feyzoghi

    se rallier une ide mrie depuis longtemps : celle d'accepter comme un fait la dsagrgation et la disparition de l'Empire ottoman et de concentrer tout l'effort national pour fonder un nouvel Etat, tout fait indpendant et concidant avec les frontires ethniques de la nation turque.

    Mustafa Kemal quitte Istanbul et, dbarquant Samsun le 19 mai 1919, commence grouper et organiser cette rsistance nationale. De l'unification de toutes ces associations parses, natra d'abord la Grande Assemble Nationale d'Ankara et plus tard e Parti rpublicain populaire. Le Congrs de l'Association pour la Dfense des droits nationaux dans les provinces orientales, qui se tient Erzurum le 23 juillet 1919, constitue le premier pas sur la voie de l'unification. Le Congrs de Sivas qui se runit le 4 septembre 1919, pose le principe de l'unit de toutes les associations de rsistance et fonde l'Association pour la dfense des droits de l'Anatolie et de la Roum lie. On lit un comit reprsentatif permanent. Mustafa Kemal "en devient le prsident. Il est poursuivi par le Gouvernement d'Istanbul et condamn mort par contumace.

    A la suite de l'occupation d'Istanbul par les forces allies le 16 mars 1920, de la dispersion de la Chambre des dputs et de la dportation Malte des principaux dputs nationalistes par les Anglais, Mustafa Kemal, en sa qualit de prsident du Comit reprsentatif, ordonne aux prfets des rgions non occupes de procder de nouvelles lections, Ainsi se runit Ankara, le 23 avril 1920, la premire Grande Assemble Nationale. Un Gouvernement de fait est n, qui mobiliser?; toutes les forces nationales et rorganisera l'arme. Une Constitution sommaire, adoptant le rgime conventionnel, est promulgue le 20 janvier 1921. La guerre continue jusqu'en 1922. Elle aboutit a victoire. Un nouvel armistice est sign Mudania e 1 octobre 1922, Le trait de Svres sign par le Gouvernement d'Istanbul est remplac par celui de Lausanne qui reconnat les frontires nationales. Aucune indemnit de guerre, aucune restriction de souverainet n'est admise par e Gouvernement de 'l'Assemble Nationale d'Ankara. Les capitulations consenties osr l'Empire ottoman depuis des sicles sont abolies.

    Y avait-il des divisions politiques au sein de cette premire Assemble Nationale d'Ankara ? Du point de vue de a formation intellectuelle de ses membres., cette Assemble tait extrmement htrogne. Une discussion ouverte sur certains problmes, tel que

  • Les Partis Politiques en Turquie

    l'avenir du Khalifat, a lacit pouvait amener une grave scission. Mais de part et d'autre oa vitait autant que possible d'aborder ces problmes pineux. Un seul dsir, un seul idal runissait tous ces hommes de mentalits trs diverses : celui de mener bien a lutte pour l'indpendance.

    Il se forma pourtant au sein de l'Assemble Nationale deux groupes bien distincts et organiss. Mais pour bien marquer le but commun qui les animait, ces deux groupes s'appelrent : le premier groupe de l'Association pour la Dfense des droits et le second groupe de l'Association pour a Dfense des droits. Le premier groupe, plus radical et plus lacisant que le second, avait la majorit. Le prsident de son bureau, lu au scrutin secret, tait Mustafa Kema. Le second groupe, plus conservateur, se posait en dfenseur des liberts publiques et en adversaire acharn de tout pouvoir pouvant dgnrer en dictature. Il lutta contre les lois provisoires accordant les pleins pouvoirs Mustafa Kemal, contre la cration de tribunaux spciaux pour les crimes de lse- patrie, demanda la modification de la loi lectorale 2.

    Le Parti rpublicain populaire sera la continuation du premier groupe.

    Naissance du Parti rpublicain populaire e le Rpublique - Adoption de ta nouvelle Constitution

    Aprs l'armistice de Mudania, consacrant la victoire du Gouvernement d'Ankara, on assiste sur le plan intrieur une rapide volution : c'est une volution dmocratique, mais ellz aboutira un rgime autoritaire de parti unique.

    Le 30 octobre 1922, a Grande Assemble Nationale adopte une rsolution dclarant que l'Empire ottoman s'est croul, qu'un nouvel Etat ivxc sst fond, que la souverainet appartient exclusivement au peuple ci: que le Sultanat est aboli. Le Khalifat esi spar du Sultanat.

    En 1923, l'Assemble Nationale dcide de se dissoudre afin de permettre de nouvelles lections, Mustafa Kemal public, en sa qualit ce prsident de l'Association pour la Dfense des droits

    2. Il y eut mme un petii groupe coicr:iin;53r.: au sein cle cette Assemble. Ceci s'explique surtout par le fait que les r*"oiuf.ionr.3ires russes e; ceux d'Ankara entretenaient de bennes relations et avaient e sentiment de- lutter contre des ennemis communs : contre le pouvoir absolu des tsars ou des sultans et contre l'imprialisme.

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  • Turhan Feyzioghi

    de 1' Anatolic et de la Roumlie, une plateforme lectorale, ha. tendance, laque et rpublicaine de cette plateforme est claire. Elle prcise que le seul et vrai reprsentant de la Nation est la Grande Assemble Nationale, que l'abolition du Sultanat constitue une rgle immuable et laisse entendre que le chef religieux, le Khalife, est subordonn la Grande Assemble Nationale. Il y est en mme temps question de fonder, aprs les lections, un parti portant le nom de parti populaire et poursuivant les buts proclams dans cette plateforme. Seuls les candidats acceptant ces principes sont soutenus par l'Association. Les opposants, en particulier les membres du second groupe, participent aux lections comme candidats indpendants et ne sont pas rlus, sauf quelques rares exceptions.

    Le 23 octobre 1923, l'Association de la Dfense des droits nationaux prend le nom de Parti populaire 3. Six jours plus tard, la Rpublique est proclame et Mustafa Kemal est lu la prsidence.

    Le 20 avril 1924, la Grande Assemble Nationale adopte une nouvelle Constitution, abrogeant la Constitution provisoire de 1921. Cette nouvelle Constitution, qui avec quelques modifications est toujours en vigueur, est imprgne du souci d'empcher la prpondrance de l'excutif. La Grande Assemble Nationale n'est pas encore devenue un instrument docile entre les mains des leaders du parti. Elle cherche assurer la suprmatie du lgislatif sur le Gouvernement. Comme la dissolution du 16 mai n'a jamais t oublie en France sous la troisime Rpublique (et sous la quatrime), la dissolution du Parlement par le monarque en 1878 et l'emploi abusif de ce procd sous la Seconde Monarchie Constitutionnelle hante Fesprit des constituants de 1924. La personnalit de Mustafa Kemal et la gloire dont il jouit ne sont pas de nature apaiser ces craintes : donc, on ne reconnat pas le droit de dissolution au Gouvernement et on refuse mme d'accepter l'existence d'un pouvoir excutif distinct du pouvoir lgislatif.

    D'aprs l'article 4, La Grande Assemble Nationale, tant l'unique et vritable manation de la nation, dtient seule la souverainet . L'article 5 prcise que le pouvoir lgislatif et le pouvoir excutif se concentrent dans la Grande Assemble Nationale. Celle-ci exerce directement le pouvoir lgislatif et elle exerce le pouvoir excutif par l'intermdiaire d'un prsident de la Rpu-

    3. En 1924, ce nom fut remplac par celui de Parti rpublicain populaire ou Parti rpublicain du Peuple , que le parti porte actuellement.

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  • Les Partis Politiques en Turquie

    blique et d'un Conseil des ministres. Le prsident de a Rpublique, lu pour la dure d'une lgislature par l'Assemble Nationale, nomme le prsident du Conseil parmi les dputs. Toutes les dcisions manant du prsident de la Rpublique doivent tre contresignes par le prsident du Conseil et par le ministre comptent. Le Conseil des ministres et les ministres sont responsables devant l'Assemble nationale. Il s'agit donc d'un compromis entre le rgime parlementaire et le rgime d'assemble, compromis qui ressemble celui de la Constitution franaise de 1946.

    Le pouvoir que les constituants de 1924 lui ont refus, Mustafa Kemai le prendra par le biais du parti unique : tout en prservant les apparences du rgime dmocratique. Mais le rgime qui a fonctionn en Turquie jusqu' 1946 n'est pas tout fait de mme nature que les rgimes totalitaires parti unique qui ont vu le jour aprs la premire guerre mondiale.

    Caractristiques qui diffrenciaient le rgime de parti unique turc des principaux rgimes totalitaires

    Le Parti rpublicain populaire tait le fruit d'un mouvement rvolutionnaire : il s'tait dress contre a monarchie au nom du principe de la souverainet nationale et avait supprim une dynastie qui avait domin depuis six sicles les destines du pays.

    Ce parti ne pouvait pas professer ouvertement une doctrine totalitaire. Officiellement son idologie est donc toujours reste dmocratique. La propagande et l'enseignement insistaient sur Its services rendus au peuple par les leaders du parti. On louait., avec zle, leur gnie. Mais (contrairement ce qui se passait en Italie fasciste et en Allemagne nazie), on ne faisait jamais l'apologie des rgimes autoritaires. On ne mdisait jamais de l'esprit de 1789. Au contraire, on faisait l'apologie de la dmocratie et de a Rvolution franaise laquelle on comparait volontiers la Rvolution turque de 1920-1923.

    Comme le souligne trs justement M. Duverger, qui a fait une analyse pntrante du parti unique turc dans son livre intitul Les Partis politiques, le Parti rpublicain populaire ne dduisait pas son droit gouverner de son caractre d'lite politique ou de pointe avance de la classe ouvrire ou de la nature providentielle de son chef, mais de la majorit qu'il obtenait aux lections . Il est vrai que ces lections n'taient que la ratification pure et

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  • Turhan Feyzoglu

    simple des listes de candidats tablies par le parti. Mais les doctrinaires du parti prenaient soin d'expliquer de temps en temps que cette situation anormale tait le rsultat des conditions politiques exceptionnelles et provisoires.

    On a mme entrepris deux essais de multipartisme, assez significatifs, durant cette priode. Un parti d'opposition, le Parti rpublicain progressiste, fut fond en 924 par des dputs dmissionnant du Parti rpublicain populaire. Malgr son nom, le nouveau parti tait conservateur (contradiction assez frquente dans le domaine des partis politiques) et fut soutenu par les milieux clricaux et ractionnaires. Un soulvement arm dans les provinces orientales, auquel s'taient mls certains dirigeants locaux du parti, amena sa fin.

    Entre 1924 et 1928 les principales rformes de modernisation et de lacisation sont ralises : on abolit le Khalifat, on interdit les confrries religieuses et l'emploi de certains titres religieux, on ferme les tkks , on rejette le fez ; le Code civil suisse est adopt avec tous les rsultats rvolutionnaires qu'il comporte (interdiction de la polygamie, galit de la femme et de l'homme) ; la modernisation et la lacisation des tribunaux, du code pnal et des codes de procdure entreprises sous la Seconde Monarchie Constitutionnelle par le Parti d'Union et de Progrs sont compltes, ainsi que la lacisation et la neutralisation de l'enseignement tous les degrs : un alphabet phontique bas sur les caractres latins et trs facile apprendre remplace l'alphabet arabe; le calendrier est rform ; l'article de la Constitution relatif la religion de l'Etat est aboli.

    Une fois ces principales rformes, dont certaines mrissaient dj depuis longtemps, ralises, Mustafa Kemal encourage de nouveau la formation d'un parti d'opposition. Mais le Parti libral rpublicain, fond par Fethi Okyar en 1 930 attire son tour ies ir.erds ractionnaires. D'autre part, son dveloppement rapide et peut-tre inattendu suscite des inquitudes vives dans les milieux gouvernementaux. Au bout d'un certain temps, Mustafa Kemal renonce son attitude neutre et prend position en faveur du Parti rpublicain populaire. Le leader du nouveau parti, qui est lui-mme un rformiste convaincu,, dcide de dissoudre son parti. Ces deux essais prouvent du moins, pour employer encore une fois une expression de M. Duverger.. que e Parti rpublicain populaire avait mauvaise conscience et qu'il reconnaissait la valeur du pluralisme, la diffrence des partis communistes et fascistes.

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  • Les Partis Politiques en Turquie

    A partir de 1931 le rgime devient plus dur. On modifie en particulier a loi sur la presse : dsormais une simple dclaration m suffira plus pour publier des priodiques ; il faudra l'autorisation pralable de l'administration. Pourtant on peut affirmer que les liberts publiques n'ont jamais t supprimes en Turquie aussi catgoriquement que dans les pays vraiment totalitaires. La Turquie n'a connu ni les camps de concentration ni les arrestations massives. Des anciens politiciens, des crivains, des journalistes dont l'hostilit au parti ne faisait aucun doute ont pu vivre librement et mme travailler, condition d'obir aux lois et de se tenir l'cart des activits purement politiques. On s'est fort loign de l'esprit de la Constitution en ce qui concerne les relations entre le pouvoir lgislatif et l'organe excutif, mais les leaders du parti ont gnralement respect les articles constitutionnels relatifs l'indpendance des tribunaux. Ils ont mme essay de renforcer cette indpendance et les garanties de la magistrature. Le Conseil d'Etat cr en 1868 n'a acquis la justice dlgue et la complte indpendance qu' partir de 1925, c'est--dire sous le rgime du parti unique. L'autonomie communale s'est galement dveloppe sous ce rgime. L'lection au suffrage universel direct des maires des communes rurales (communes ayant moins de deux mille habitants) a largement contribu l'ducation politique des masses.

    Une autre diffrence fondamentale avec les rgimes fascistes et communistes : l'adhsion au parti rpublicain populaire n'tait pas le privilge d'une lite : le parti tait pratiquement ouvert tous ceux qui voulaient y adhrer. Il a eu son drapeau, mais il n'a jamais adopt des uniformes de parti ou cr des institutions comparables aux jeunesses communistes, aux chemises noires, a Kitlerjugend. aux S. S. ou aux S.A. La grande organisation affilie au parti. les Maisons du Peuple , avait pour but l'ducation gnrale des niasses et la propagation de la culture.

    ds l'opinion publique et tsdouesmenf du rgime Noisssncs des partis d'opposition

    Dfaite du Parti Rpublicain populaire

    Pourtant, comme dans chaque rgime de parti unique, il y avait des abus invitables. La simulacre de dmocratie et d'lection qui consistai!: veter pour les candidats inscrits sur une liste unique ne satisfaisait peint ; 'opinion publique. Le peuple ne s'intressait

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  • Turhan Feyzioglu

    gure aux lections. Malgr les progrs raliss dans les domaines conomique et social, le prestige du parti et de ses dirigeants s'usaient cause de l'absence de la libre discussion.

    La mort de Kemal Ataturk, survenue le 10 octobre 1938, ne cra aucune difficult de succession et n'affecta pas la continuit de la politique poursuivie par le parti. Inn fut lu la prsidence de la Rpublique par la Grande Assemble Nationale et devint le chef du parti. Mais partir de 1940 le mcontentement s'accentua par suite des difficults engendres par la guerre. Des adoucissements furent apports au rgime : on cra des collges consultatifs pour dsigner les candidats du parti ; on forma au sein de l'Assemble Nationale un groupe soi-disant indpendant ; on publia des listes de candidature contenant plus de noms que le nombre des siges pourvoir, de faon donner aux lecteurs la possibilit de choix entre les hommes. Enfin pour certaines lections partielles le parti ne prsenta aucun candidat, laissant ainsi la place aux candidats indpendants.

    Toutes ces demi-mesures ne pouvaient pas satisfaire le besoin de plus en plus profond prouv pour une vraie dmocratie. En 1945, le prsident Inn fait un pas dcisif : il dclare dans un de ses discours qu'un rgime quelque peu autoritaire tait ncessaire au dbut pour raliser les rformes, que le parti a nanmoins gard intactes les institutions rpublicaines et que le pays a dsormais besoin des partis d'opposition pour le fonctionnement du rgime dmocratique. En juillet 1945, un ancien politicien, membre du second groupe dans la premire lgislature, et un riche industriel fondent le premier parti d'opposition : le Parti du Relvement national, il rclame le libralisme politique et conomique, des lections libres avec reprsentation proportionnelle. Ce parti suscite xxtl certain intrt, mais n'inspire pas assez ce confiance, Les intellectuels ne le soutiennent gure. Le peuple attend mieux. Et, en effet, la vritable opposition couve au sein du parti rpublicain populaire.

    Le 12 juin 1945, quatre dputs (ce sont les futurs fondateurs et dirigeants du Parti dmocrate : M. Eayar, Menderes, Kprii et Koraltan) avaient dpos sur le bureau du groupe parlementaire une proposition visant la dmocratisation au statut interne du parti et la modification de certaines lois. Le prsident du conseil (et vice-prsident du Parti rpublicain populaire) M. Saracoglu avait ripost en dclarant que les propositions concernant les lois devraient tre dposes sur le bureau de l'Assemble et celles

  • Les Partis Politiques en Turquie

    concernant le statut interne du parti ne pourraient tre tudies, que par le Congrs du parti. La proposition avait t rejete l'unanimit, moins les quatre signataires. M. Bayar dpose alors sur le bureau de l'Assemble une proposition de loi visant la modification de certains articles du Code de la Presse. Elle est galement rejete.

    Mais la presse a dj commenc se livrer des attaques de plus en plus hardies contre le Parti rpublicain populaire et ses dirigeants. M. Menderes et M. Kprl publient dans un journal d'Istanbul des articles critiquant la politique intrieure du Parti rpublicain populaire : cela leur vaudra d'tre expulss du parti le 21 septembre 1945. M. Koraltan qui prend leur dfense est galement expuls. Ils conservent leurs mandats de dputs. M. Bayar, sur l'expulsion de ses camarades, se dmet de ses fonctions parlementaires, puis quitte le Parti rpublicain populaire.

    Aprs des mois de prparatifs, les quatre dissidents fondent le Parti dmocrate. C'est un parti qui se situe, comme nous le verrons, lgrement droite par rapport au Parti rpublicain populaire. L'opinion publique et une grande partie de la presse accueillent avec un grand intrt le nouveau parti, qui se dveloppe trs rapidement, surtout l'ouest du pays.

    Les lections lgislatives du 21 juillet 1946 montrent que, dans tous les dpartements o il a pu s'organiser, le Parti dmocrate menace trs srieusement les positions du Parti rpublicain populaire. Il gagne 61 siges sur 480. Tous ses leaders sont lus. Le Parti du Relvement national, et d'autres partis plus insignifiants dont nous dirons quelques mots plus loin, clipss par l'apparition du Parti dmocrate, n'obtiennent aucun sige.

    Le Parti dmocrate ne cessera de rclamer, partir de cette date l'abrogation des lois anticonstitutionnelles, la neutralit du prsident de la Rpublique vis--vis des partis politiques, la modification de la loi lectorale pour mieux assurer le secret du vote et l'impartialit de l'administration. La tension politique augmente de jour en jour et les critiques rciproques des partis tant au sein de l'Assemble Nationale que dans la presse et dans les runions publiques deviennent de plus en plus violentes. Devant la pression toujours grandissante de l'opinion publique, le prsident Inn laisse la direction effective du Parti rpublicain populaire au prsident du conseil, adopte une attitude neutre et rappelle l'administration son devoir de stricte impartialit vis--vis des partis.

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  • Turhn Feyzioglu

    La majorit rpublicaine, populaire modifie eu abroge, l'une aprs l'autre, les lois portant la marque du rgime de parti unique et dnonces par l'opposition comme anticonstitutionnelles. Il s'ensuit un climat de dtente. Pourtant cette dtente provoque dans le Parti dmocrate une grave scission. Un certain nombre de dputs et de membres du Comit excutif central affirment qu'il faut adopter une attitude plus aggressive dans la lutte mene contre les dictateurs d'hier. Ils fondent un nouveau parti d'opposition : le Parti national. Ce parti se situe par sa doctrine nettement droite, mme par rapport au parti dmocrate. Il sera extrmement agressif et violent dans ses thmes de propagande et dans ses critiques contre le pouvoir qu'il dclare illgitime et despotique .

    La loi lectorale est enfin modifie en 1948, mais les oprations lectorales n'tant pas entirement places sous l'autorit des juges, comme le rclamaient les partis d'opposition, ceux-ci dcident en guise de protestation de ne pas participer aux lections partielles qui ont lieu la mme anne. Seul le Parti rpublicain populaire prsente des candidats et la participation lectorale est trs basse. Enfin, un nouveau cabinet rpublicain populaire fait prparer, avec la ferme volont de ne laisser subsister aucun doute sur le secret du vote et sur l'honntet des oprations lectorales, un projet de loi contenant toutes les garanties dsirables. Une commission spciale, forme de professeurs d'Universit lus par les Conseils des facults intresses et de hauts magistrats lus par la Cour de Cassation et par le Conseil d'Etat, donne au projet sa forme dfinitive, Les partis d'opposition sont invits soumettre cette commission toutes leurs suggestions relatives au projet de loi. Chose rare pour une loi lectorale et signe rconfortant pour l'avenir de la dmocratie : les discussions au sein de la commission de l'Assemble, ainsi qu'en sance pnire, bien qu'elles soient violentes, sont marques d'une bonne volont rciproque, de sorte que l'opposition dmocrate et la majorit rpublicaine populaire tombent d'accord sur le texte dfinitif.

    A la suite des lections de 1950, qui se droulent sons l'autorit des magistrats et dar-s l'ordre le plus parfait, le Parti rpublicain populaire n'obtient que 63 siges et remet le pouvoir qui! dtenait depuis 27 ans au Parti dmocrate. Celui-ci obtient 53 % des voix et 411 siges sur 487. Le phnomne de sous- reprsentation propre aux systmes lectoraux majoritaires un seul tour joue contre le Parti rpublicain populaire et contre le

  • Les Parfis Politiques en Turquie

    Parti national qui n'obtient qu'un seul sige. Par l'adhsion de 3 dputs dmocrates passs l'opposition, ce nombre s'est lev par la suite quatre.

    En 1952, un nouveau parti, le Parti paysan, a t fond par 4 dputs dmissionnant galement du parti dmocrate. Le nombre des partis reprsents au sein de l'Assemble s'est lev ainsi quatre.

    Une douzaine de partis minuscules (fonds entre 1945 et 1952) n'ont suscit aucun intrt rel. Les uns ont dcid de se rallier au Parti national (comme le Parti des Dmocrates indpendants, parti local fond Afyon, lors de la scission du Parti dmocrate), ou au Parti paysan (comme le Parti libral paysan), d'autres ont disparu dans une complte indiffrence, quelques-uns continuent lutter patiemment malgr le nombre insignifiant de leurs adhrents et des voix qu'ils ont obtenues aux lections (comme le Parti du Relvement national, premier parti d'opposition fond en 1945 ; le Parti travailliste dmocrate, le Parti socialiste turc, le Parti des Ouvriers et des Paysans de Turquie)

    Malgr l'existence d'un assez grand nombre de partis, pratiquement le rgime actuel peut-tre considr comme un rgime bipartite. Il parat certain que le systme lectoral actuel, non seulement parce qu'il est un systme majoritaire un seul tour, mais en mme temps cause de la grandeur des circonscriptions lectorales, favorise e bipartisme. Par consquent ce sont les programmes et les structures internes des deux principaux partis (Parti rpublicain populaire et Parti dmocrate) qui doivent retenir notre attention. Mais il nous faut montrer auparavant que la libert politique n'est pas encore illimite en Turquie.

    setueiies de Sa libert po!Hiqe Dfense du Rgime senr l'extrme droite et !'sxr&n@ gs^sh

    La libert politique comporte actuellement en Turquie deux limites, une limite Yexirme droite : interdiction des partis racistes, monarchistes et des partis visa::-: - contrairement au principe de la lacit conformer de faon totale ou partielle l'ordre politique, social, conomique ou juridique de l'Efat aux dogmes religieux N> (articles 163 et 141 v. Code pnal) et une limite l'extrme gauche : interdiction des partis communistes (article 141 du Code pnal)

    US

  • Turhan Feyziogln

    On ne peut donc pas fonder en Turquie des partis comparables la Ligue musulmane du Pakistan ou au Front religieux d'Isral. Ces deux Etats ont pour base l'unit religieuse. La base de la Rpublique turque est l'unit nationale, lunit religieuse tant un des lments de celle-ci. La libert du culte est reconnue, mais l'exploitation de la religion pour des fins politiques est interdite. L'histoire du pays suffit expliquer cette interdiction. L'Etat doit tre gouvern selon la raison et selon les exigences de l'poque et non pas selon des prceptes religieux.

    Jusqu' prsent les tribunaux ont interdit deux petits partis en application de l'article 163 du Code pnal : le Parti de la Dfense islamique et le Parti musulman dmocrate. Rcemment une enqute judiciaire a t ouverte pour savoir si le Parti national avait viol cet article. Nous en reparlerons dans notre conclusion.

    D'aprs l'article 141 du Code pnal, sont interdits les groupements poursuivant le but de supprimer compltement ou partiellement et par des considrations racistes les liberts publiques des citoyens, les partis anti-rpublicains ou poursuivant contrairement aux principes dmocratiques le but de placer la socit sous l'emprise d'un individu ou d'un groupe quelconque et enfin les partis communistes. Un jugement rendu par la Cour d'Assises d'Istanbul et confirm par la Cour de Cassation tablit une distinction entre les partis communistes et les partis social- dmocrates ou socialistes, ces derniers tant considrs lgitimes.

    En fait, depuis 1908 un grand nombre de partis portant l'tiquette de social-dmocrate, de socialiste, de travailliste ou de communiste ont t fonds en Turquie. Aucun d'eux n'a pu jouer un rle quelconque dans la vie politique du pays. Les causes de ce phnomne ne sont pas simplement d'ordre juridique. On peut l'expliquer par des causes conomiques, sociales et psychologiques. Les habitants des agglomrations rurales constituent en Turquie la grande majorit de la population. La rforme agraire entreprise par le Parti rpublicain populaire et poursuivie par le Gouvernement dmocrate tend diminuer le nombre des ouvriers agricoles privs de terre.

    L'effort d'industrialisation entrepris depuis un quart de sicle par l'Etat a donn naissance une classe ouvrire toujours grandissante dans les principales villes, mais cet vnement a concid dans une certaine mesure avec une politique sociale. On a essay de dpasser le capitalisme par un systme de scurit sociale. Les ouvriers turcs n'ont pas eu lutter pour obtenir le vote du Code

    1U

  • Les Partis Politiques en Turquie

    du Travail et des nombreuses lois concernant l'hygine sociale ou garantissant aux travailleurs la scurit sociale contre les risques d'accident du travail, de maladies, de maternit; de viei!les>e! Ce systme d'assurances sociales obligatoires et les procds d'arbitrage prvus pour les conflits collectifs de travail ont retard a naissance d'une vritable conscience de classe dans le proltariat, faut naturellement ajouter ces considrations l'absence de libert syndicale jusqu' 1946.

    Les syndicats ouvriers sont depuis cette date en plein dveloppement. Une dizaine de fdrations se sont constitues et ces fdrations viennent de s'unir, depuis le 31 juillet 1952, au sein d'une seule centrale qui s'appelle la Confdration des Syndicats de travailleurs turcs . Mais tous ces organismes restent exclusivement professionnels et indpendants vis--vis des partis. La loi du 20 fvrier 947 empche les syndicats de se livrer des activits purement politiques en tant que personne morale. Ce caractre apolitique des syndicats rend difficile la naissance d'un vritable Parti socialiste.

    Un facteur d'ordre psychologique, mais trs important, vient s'ajouter ces causes : la mfiance traditionnelle envers la Russie, Aprs la disparition des tsars et des sultans, les relations turco- sovtiques taient devenues amicales. Mais la mfiance s'est ranime depuis le pacte germano-sovitique de 1939S la suite de l'attitude revendicatrice adopte subitement l'gard de a Turquie par ITLR.S.S. L'ide dit communisme est aujourd'hui tellement lie celle du dangereux voisin que la conscience populaire considre e eomtrmmsme comme une trahison et va jusqu' se mfier des partis qui c-e dirent socialistes.

    Telles sont les principales raisons axii exp;;quent le nombre lasser! flar.t de voix que Je parti des ouvriers et des paysans de Tiu-qu.:rer e pari- socialiste turc et le parti travailliste- drcoerste ont obtenu lors des lections de 1950 et des lecfio-is partielles cifi .-. yZ> k .

    Les conditions actuelles ne cent donc gure propices au dv-i- CDpeanznt d'un parti socialiste. Tout aa pins pcuL on s'attendre ce que la Confdration des syndicats ^ ::;:" ailleurs tue."---- \- comble dans une certain-? mesure ce^ta !sci:r,- ^u fourni le ro;e a ;n

    aire parti dirigiste doit voluer :-:: ivoiucra i-'cssaircr^^^ vers le socialisme, le Psrr dmocrate resiant iluie son aocra- isme m-anc. Mai?,- il semble au contraire- que 1 opposition cie pro-

  • Twrhan Feyzioglu

    gramme entre les deux grands partis, loin de s'accentuer, tend s'effacer.

    des prmepayx partis politiques

    M. Duverger, reprenant une ide nonce par l'Amricain Hocornbe, note que dans un rgime bipartite les partis tendent se rapprocher. II cite l'appui de cette hypothse l'exemple des partis britanniques qui cherchent gagner les votes de quelques millions d'Anglais modrs situs au centre et qui votent tantt conservateur, tantt travailliste. L'exprience turque, bien qu'elle soit toute rcente, semble confirmer cette hypothse. Peut-tre celle-ci ne se vrifie-t-ee que quand il s'agit de deux partis caractre plutt pragmatique que doctrinaire : c'est le cas des partis turcs, du moins des deux principaux partis turcs.

    Les programmes du Parti dmocrate et du Parti rpublicain populaire sont, tous les deux, trs dtaills. Ils contiennent non seulement des principes gnraux, mais aussi des chapitres spciaux consacrs chaque domaine de l'activit gouvernementale. Nous nous bornerons donner les grandes lignes de ces programmes.

    Les deux partis ont une conception commune, celle des dmocraties occidentales, en ce qui concerne la forme du gouvernement, les liberts fondamentales, la dignit et l'galit humaines, l'ide de justice sociale. Ils sont galement d'accord en ce qui concerne les restrictions de libert que nous venons de voir.

    Quant leurs doctrines conomiques, si l'on peut parler de doctrine pour des partis qui sont essentiellement pragmatistes. on peut dire qu'ils sont tous les deux partisans de l'entreprise prive, sans s'abandonner au laisser-faire , Le Parti rpublicain populaire, malgr son lger glissement vers la droite, se situe toujours nettement gauche par rapport au Parti Dmocrate. Quand tait au pouvoir, le Parti rDt'blca.n populaire a nationalis les compagnies concessionnaires errant un service public important, en particulier toutes les compagnies de chemin de fer, les exploitations forestires, les mines., les principaux transports maritimes et a cr ut; important secteur public par des entreprises industrielles ou commerciales d'Etat.

    Les difficults engendres par la guerre avaient accentu l'intervention de l'Etat dans tous les domaines de la vie conomique

    Ik6

  • Les Partis Politiques en Turquie

    et suscit des vellits de libralisme. Le Parti dmocrate, fond la fin de la guerre adopta donc une attitude plus librale : d'aprs son programme l'initiative prive doit rester la rgle et l'Etat se doit se livrer qu'exceptionnellement aux activits industrielles ou commerciales. Pour assurer la stabilit de la vie conomique et encourager l'entreprise prive, l'Etat doit prciser les limites de ses activits conomiques par des plans longue chance. Le programme prconise en outre un assouplissement des monopoles d'Etat, des rgimes d'exploitation forestire et de transport maritime et la dnationalisation de certaines entreprises industrielles.

    Par son nouveau programme de 1947, le Parti rpublicain populaire a assoupli lui-mme son tatisme et s'est rapproch du Parti dmocrate : il a adopt par exemple la thse de la dlimitation du secteur public, de l'assouplissement du rgime forestier. Par contre, depuis qu'il est au pouvoir, le Parti dmocrate a mieux senti la ncessit de certaines interventions dans les activits conomiques et il a agi avec prudence en matire de dnationalisation.

    Le Parti national a un programme moins nuanc que ceux des deux principaux partis. Il est nettement libral. Quant au Parti paysan, il a un programme trs sommaire qui met l'accent sur la dfense des intrts de la classe paysanne.

    Un trait caractristique de la vie politique turque depuis 1946, consiste dans l'effort dploy par les partis pour arriver une vue commune sur la politique trangre et pour ne pas sacrifier la fermet et la continuit de celle-ci aux dissidences de politique infrieure.

    Structure interne des principaux partis

    Au sujet de la structure des deux grands partis qui domiacnr a scne politique en Turquie, une remarque prliminaire s'Impose. Les deux partis rivaux prsentent des schmas d'organisation peu prs identiques. On a dit propos des partis amricains que dcrire l'un revient dcrire l'autre. Ceci ^U peu prs vrai pour ?? parfis turcs

    Les partis turcs sont des partis structure directe, en ce sens au'is ne so,:-t pas bass sur i'uinon ou l'affiliation de ce^t:ainr: groupes sociaux, tels que les syndicats les groupements intellectuels, les coopratives : ils sont bass sur l'adhsion individuelle.

    Les deux grands partis sont fortement organiss puisque leurs rseaux d'organisation s'tendent jusqu'aux communes rurales et

    w

  • Twfhan Feymoghi

    dans les villes jusqu'aux quartiers. Ce rseau comporte pour chacun des partis cinq chelons. L'lment de base des partis est ce crue l'on appelle le foyer . Les foyers de commune rurale ou de quartier sont rattachs un centre appel centre cantonal qui est constitu gnralement dans un chef-lieu de canton. Mais comme il est Impossible ou superflu de crer un centre dans chaque canton, les statuts prcisent que la comptence tatione loc de chacun de ces centres sera fixe par l'chelon suprieur. Elle s'tend gnralement sur plusieurs cantons. L'chelon immdiatement suprieur correspond une circonscription administrative bien dtermine : au kaza (en Turquie, le kaza est, comme l'arrondissement franais, une circonscription administrative sans personnalit juridique, place sous l'autorit d'un sous-prfet). Ensuite il y a le centre dpartemental qui constitue un chelon trs important, car la , circonscription lectorale pour les lections lgislatives est le dpartement (le vilyet ) Enfin, au sommet, on trouve les organes centraux : la prsidence, le comit excutif central et dans le Parti rpublicain populaire le secrtariat gnral.

    Les deux partis ont effectivement mis sur pied leur organisation dans chacun des 63 dpartements. En ce qui concerne les chelons infrieurs., seuls les chiffres relatifs au Parti rpublicain populaire ont t officiellement publis en 1950, mais on peut affirmer qu'ils sont du mme ordre de grandeur pour le Parti dmocrate- Le Parti rpublicain populaire possde 490 centres d'arrondissement, L084 centres de canton et 23.307 foyers, dont 3.640 sont des foyers de quartiers et 19.667 sont des foyers de commune rurale (le nombre ofA cls communes rurales dans le pays tant d'environ 40.000)

    L articule lion entre ces divers chelons, ainsi que le choix de leurs dirigeants, sont minutieusement rglements par les statuts. Chaque ro^er fient un Congrs annuel. Seuls les adhrents enregistrs au foyer peuvent y participer, Ce Congrs lit, d'une part les membres du Cciait excutif du foyer, d'autre part les dlgus qui participeront au Congrs cantonal Le Congrs catifoy-s! lit son. tour Ic-i nombres du Comit excutif du canton et les cll- -.iH r,v. .-ongvft fi':irrondissement. Les mmes oprations ss rp- icrt nu Congrs 4'arronmssemenc et ai- Congrs departmental. ii y a sur ce point une lgre difFercn.ee entre les stafurs des deux partis : dans le Parti rpublicain populaire, les prsidents des Comits excutifs sont lus directement par les Congrs et participent de plein droit au Congrs de l'chelon suprieur ; tandis que dans le parti dmocrate, les membres de chaque comit excutif

    m

  • Les Partis PoUiques en Turquie

    se runissent pour lire entre eux leur prsident et celui-ci, s'il n'est pas lu en mme temps dlgu, ne peut pas participer ar> Congrs de l'chelon suprieur.

    Le nombre de dlgus qu'un chelon envoie au Congrs de l'chelon suprieur varie selon le nombre des adhrents inscrits dans la circonscription considre (art. 12 du statut du P.R.P. ; art. 38 du statut du P.D.)

    Le Congrs national est l'organe suprme des partis, Le Congrs national du Parti rpublicain populaire se tient tous les ans, tandis que celui du Parti dmocrate est biennal. Dans le Parti dmocrate, le prsident, les membres du Comit excutif central, les membres du Comit excutif du groupe parlementaire et les dlgus lus par les Congrs dpartementaux participent au Congrs national. Dans le Parti rpublicain populaire,- la composition du Congrs national est presque la mme. La principale diffrence consiste dans la participation plus large des parlementaires : tous les dputs du parti participent au Congrs.

    Les prsidents, les membres des Comits excutifs centraux (ainsi que le secrtaire gnral du Parti rpublicain populaire) sont lus par les Congrs nationaux.

    Les expulsions et les autres sanctions disciplinaires ne peuvent tre prononces que par des commissions spciales lues cet effet par les Congrs dpartementaux et les Congrs nationaux.

    On voit que les rgles relatives au recrutement et l'autorit des dirigeants peuvent tre considres comme dmocratiques. En ce qui concerne le Parti rpublicain populaire, cette structure est le rsultat d'une rforme interne, car jusqu' 946 le parti tait organis de haut en bas : en eiiei, z Cedjris national du pam se runissait avec des intervalles de qnatre annes, le statue prcisait que le prsident tait inamovibk . k vice-prsident ci 1c secrtaire gnral taient nomme 5 par -eim-Ci, ses chelons suprieurs avaient un large pouvoir de e^v^k q^aat au choix cls dirigeants des chelons infrieurs ci I?> candidats aux lections lgislatives taient dsigns eitire.-.e^f p.?.?: ies autorits centrales du. parri. Cette structure constituait peu: Lire ^u riebut la force du par^;. mais devint peu peu sa prir-rp'^e :o;bi??se : une autocrat-. pr-u-nge aboutit souvent la olKp^^Icvi ae ] eaLhou^lasr;^ nans a ins^s^ des adhrents et h la .-cire-:-:- d.'-> xorc-.

    L'exemple du Parti dmocrate a pi-.M\\-> mu vn svaiui. ci socratique peut constituer un atc'Ji pour 'in ^rn poliaqu?: u.;i ces principaux attraits du parti, une des vaisor^s de s eiitr^asiasoie qcu

  • Twrhan FeysioglM

    rgnait parmi ses adhrents fut en effet le caractre dmocratique de sa structure interne. Le Parti rpublicain populaire ne tarda pas suivre l'exemple et mme surenchrir. Ds le Congrs de 946, on abandonna le principe de l'inamovibilit du prsident, II fut dcid que celui-ci serait lu par le Congrs National parmi les dputs du parti. Le Congrs de 1947 dcida l'lection parmi les membres du parti et introduisit les principes dmocratiques de direction tous les chelons. Une brochure publie par le parti en 1948 prcisait que les modifications apportes au statut avait substitu l'ancienne direction organise de haut en bas, un systme fond sur l'lection par les chelons infrieurs (C.H.P., 25 yil, Ankara 1948, p. 30) Enfin, le nouveau statut adopt en 1951 dont nous avons montr les grandes lignes acheva cette volution.

    Un problme se pose ici : notre poque, tout pouvoir a le souci de se lgitimer, ce qui pousse la plupart des partis se donner une direction d'apparence dmocratique. Mais, derrire cette faade, il n'y a parfois qu'une autocratie dguise. Les principes poss par les statuts des deux principaux partis turcs ont-ils une valeur relle ? Dans une large mesure, oui. D'abord, l'heure actuelle, les chelons infrieurs sont conscients de leur rle et assez jaloux de leurs prrogatives. D'autre part, on a pris la prcaution de mettre dans les statuts des rgles prcises pour empcher les manipulations lectorales, que l'on constate frquemment dans les lections internes des partis politiques. Pour toutes les lections de quelque Importance, le vote mains leves est interdit, le scrutin secret est obligatoire. D'aprs les articles 17, 42 et 49 du statut du Parti dmocrate, le prsident du parti, les membres des Comits excutifs (du Comit central jusqu'aux Comits de foyers) et les prsidents de ces Comits ne peuvent dans aucun cas tre lus au scrutin public. En ce qui concerne les autres lections (par exemple, celles des dlgus et des membres du bureau d'un Congrs) la rgle est toujours le vote secret (art, 42 b), mais le Congrs peut dcider, la majorit des deux tiers, d'avoir recours au scrutin public (art. 42 d) Ivlenie dans ce cas le vote par liste n'est pas possible. Chaque candidat doit tre mis aux voix sparment (art. 42 e)

    Les dispositions des articles 28 et 40 du statut du Parti rpublicain populaire sont galement trs strictes : toutes les lections, tous les chelons, doivent tre bulletins secrets. Seuls les membres du bureau et des commissions d'tudes d'un Congrs sont

    150

  • Les Partis FoMtiques en Tu/rquie

    lus au scrutin public, condition que le Congrs ne dcide pas e contraire.

    Pour empcher le truquage des corps lectoraux, les statuts prcisent que les dlgus seront munis de cartes de Congrs et que ces cartes seront contrles. La prsentation de listes de candidature officielles n'est pas possible. Certes rien n'empche les dirigeants de soutenir officieusement une liste et ce soutien joue souvent un rle important. Mais on peut affirmer que ni aux chelons locaux, ni l'chelon national, les lections ne sont jamais une ratification pure et simple de la volont des dirigeants. L'tude des rsultats montre qu'il s'agit en gnral de vritables lections et non de cooptation tacite.

    Un trait commun et intressant de la structure interne des deux grands partis est la runion rgulire d'une confrence consultative destine assurer un contact direct entre le Comit excutif central et les chelons infrieurs. Pendant la priode de tension qui avait suivi les lections de 1946, les leaders dmocrates avaient souvent consult un petit collge compos des reprsentants des organisations dpartementales, avant de prendre certaines dcisions particulirement graves, comme celle de la non-participation aux lections partielles, en guise de protestation. Le procd fut ensuite introduit dans e statut (art. 20 h) Le Parti rpublicain populaire l'a adopt en allant un peu plus loin et en crant un organe spcial : le conseil du parti (art. 24 27) qui se runit au moins trois fois par an.

    Dans les dmocraties modernes, lintervention des partis dans la dsignation des candidats altre profondment les notions classiques de reprsentation et d'lection. A cet gard, Les procds de dsignation des candidats par les partis prsentent un grand intrt. Nous avons vu qu'autrefois, es candidats rpublicains populaires taient tout simplement dsigns par les leaders Le Paru dmocrate a laiss le choix de la grande partie des candidats aux organisations locales. Ce procd tait pkis dmocratique mais i avait en plus l'avantage de permettre le choix des carciidats susceptibles de plaire aux lecteurs dune circonscription donne. Actuellement, pour les lections Jgislatives, e Corrui excutif central du parti dsigne un cinquime des candidats de chaque dpartement. Les autres candidats sont lus au bcrat^n secret po.r un collge qui comprend les prsidents des comits excutifs de foyer et de canton et tous les membres des comits executes d'arrondissement et de dpartement. Les candidats aux lections

    loi

  • Twrhan F&ymoglu

    municipales et aux lections des Conseils gnraux sont entirement zlus par des collges semblables.

    Le Parti rpublicain populaire a d encore une rois suivre l'exemple de son rival Et encore une fois il est all plus loin. Les dlgus dpartementaux ont exig, lors du Congrs national de 1951, la dmocratisation des procds de dsignation des candidats. Le nouveau statut confia aux collges dpartementaux le soin d'lire tous les candidats du parti. Le Comit excutif central ne joue plus aucun rle direct dans ce domaine,

    II est vident que les dirigeants des partis ne manquent pas des moyens plus ou moins dtourns pour influencer dans une certaine mesure les dcisions des collges de candidature. Nanmoins, le caractre dmocratique des statuts des principaux partis constitue une garantie certes insuffisante elle seule pour l'avenir de la dmocratie. Cette rflexion nous conduit au dlicat problme que nous voulons aborder dans notre conclusion.

    CONCLUSION

    On peut affirmer, en toute objectivit, qu'il existe des raisons valables pour avoir confiance dans l'avenir du rgime dmocratique en Turquie. Les expriences antrieures avaient chou soit parce que le peuple ne s'y tait pas rellement intress, soit cause du rveil d'une forte raction religieuse, soit enfin cause de l'absence d'un fonds commun entre les partis en prsence : absence de fonds commun qui les amenait se considrer non comme des concurrents loyaux, mais -comme des ennemis qu'il fallait supprimer a tout prix.

    Le mouvement qui se manifesta entre 1946 et 1950 en faveur d^;\ rgime politique plus libral et plus dmocratique n'a pas t contrairement aux expriences antrieures l'uvre d'une iitp ou d'une classe restreinte. Le signal donn par des hommes poiitique-- a crc an mouvement de fond qui secoua toutes les (.ouch^.z re =a ::;v;ori. Les leaders qui paraissaient avoir dclench ce mou-^-ae-i ->- taient plus les matres : tel l'apprenti sorcier. II? dur-n*- sr-iVi-? l'opinion publique et s'incliner devant la velout populaire. Le peuple a prouv maintes occasions qu'il voulait a tout prix uji iv.gie ae libre discussion et un gouvernement issu d'lections libres.

    La lutte contre l'analphabtisme, facilite par l'adoption du nouvel alphabet et les progrs accomplis dans le domaine de 'du-

    152

  • Les Partis Politiques en Turquie

    cation nationale depuis un quart de sicle, ont lev le niveau intellectuel des masses. D'autre part, ies lections des communes rurales, les lections municipales et celles des conseils gnraux ont servi et serviront de base pour la dmocratie l'chelon national.

    Il est vrai que, cette fois encore, le libralisme politique a concid avec un certain rveil du sentiment religieux. Certains observateurs surtout trangers ont pu craindre qu'il s'agissait d'une contre-rvolution capable de balayer toute Teeuvre rformatrice de Kemal Ataturk et de son parti. En vrit, ces craintes sont mal fondes. Aprs une longue priode de lacisrne anticlrical et surtout la lin d'une guerre qui a amen presque dans tous les, pays un retour la religion, on pouvait s'attendre un rveil du sentiment religieux en Turquie. Bien que le peuple turc reste profondment attach tout ce qu'il y a de spirituel, de mtaphysique, de moral dans la religion, il ne se laissera plus guider par des politiciens exploitant les croyances religieuses. II ne saurait tre question de retourner aux prceptes juridiques du Chriat , .

    Nous avons vu les prcautions lgales prises pour dtendre le rgime contre toute dictature d'extrme droite, clricale ou non. Mais la vritable garantie rside dans la mentalit et dans la vigilance des nouvelles gnrations. Les associations de jeunesse, les grands journaux indpendants ragissent spontanment et souvent avec plus d'intransigeance que les autorites gouvernementales contre toute manifestation des tendances ractionnaires.

    Si la discussion entre les deux grands partis devient parfois trop violente (par exemple lorsqu'il s'agit z rsoudre le problme pineux de la liquidation des biens acquis autrefois par \z Parti rpublicain populaire au dtriment du Trsor), ces deux partis sont d'accord iur le principe de la lacit. Les principaux leaders qui se trouvent la tte de chacun de ces partis ont t les collaborateurs d'Atattirk. Il n'y a aucun doute que ce fonds commun cre un climat favorable l'panouissement d'un rgicie dmocratique.

    Le Parti national qui, par son is per tance, occupe ^a troisime place, est le plus conservateur des partis turcs. Certains articles de son programme, relatifs au respect des traditions et ck la religion, lui ont valu le soutien de l'extrme droite. Le parti a t accus par ses deux grands rivaux d'tre ractionnaire. Par consquent, la dfaits de ce parti aux lections de 1950 est as-ez significative. Aprs cette dfaite, en 1952. son comit excutif central

    153

  • Turhan Feyzioglii

    a jug utile de faire adopter au Congrs du parti une rsolution prcisant que le parti n'est nullement ractionnaire et qu'il ne vise pas restaurer les institutions primes, abolies depuis 1923.

    Au dernier Congrs du Parti national (juin 1953), le problme de la raction religieuse a caus une grave scission. En effet, un groupe important, dirig par un des principaux fondateurs du parti.. M. Hikrnet Bayur, a dmissionn pour protester contre l'attitude quivoque de certains membres du Comit excutif central en ce qui concerne les rformes kmaiistes. Ces dmissions furent suivies par d'autres, trs nombreuses, dans tous les chelons et dans toutes les rgions du pays. Les autorits judiciaires, alertes par les rvlations des membres dmissionnaires, viennent de commencer une enqute qui n'est pas encore termine la date o ces lignes sont crites pour savoir si le parti s'est livre des activits contraires l'article 163 du Code pnal, cit plus haut. Cette scission a oblig le Comit excutif central repousser toutes les accusations et prciser de nouveau que le Parti national croit la ncessit des rformes accomplies depuis 1923 , qu'il est partisan du rgime rpublicain et de la souverainet populaire, de l'galit juridique de la femme et de l'homme, de la rforme de l'alphabet, de la sparation complte de la religion et de l'tat, du principe de ne point exploiter la religion pour des fins politiques, de la fermeture des tekks et de toutes les autres rformes telles que l'interdiction de la polygamie et l'adoption du nouveau Code civil, qui ont t faites dans le but d'lever la socit turque au niveau de a civilisation contemporaine 4. Cette dclaration est significative., si l'on tient compte du fait qu'elle mane de l'aile conservatrice d'un parti qui se situe l'extrme droite dans l'ventail des partis politiques turcs.

    4. Carnhi-rit/ei du er juIITet 1953. 5. Depuis 3 correction des preuves de cet article, quelques vnements

    imj-^vesnis one ci lieu. L'cnqucta judiciaire sur les activits du Parti national, i-^DTiGiinc- dans le texte, s est termine, en premire instance, par ja condamnation d-rvs d:rig;an!: du phrti un jour de prison avec sursis. Des prparatifs "Car i-:?. ieniatieri d'un neuve? u paru, qui remplacerait le Parti national et rAlturaif. de ses cadres, vienncxt d'etre annoncs.

    L~: plus i inpoi "a;i i: dzs rviV^nsnts rcents est la solution qui vieat d'tre adopte au sujet des biens acquis par le Parti rpublicain populaire, alors qu'il tait parti unique. Une loi. p.- .^osie pri? quelques dputs dmocrates ei adopte par la majorit citir.ccrat? de l'Assemble nationale, vient d'ordonner le retour ie cas biens au Trsor. Celte Ici qui prive le Parti rpublicain populaire de la presque totalit de ses biens a t amrement critique par les partis d'opposition

    154

  • Les Partis Politiques en Turquie

    et par la presse indpendante. Elle a suscit l'tranger des commentaires assez favorables et des doutes sur la stabilit de la jeune dmocratie turque.

    Il faut rappeler, ce sujet, que les dons reus autrefois par le Parti rpublicain populaire, et manant pour la plupart du Trsor et des collectivits publiques locales, plaaient ce parti dans une situation financire privilgie, difficile dfendre aprs la lin du rgime de parti unique. Cependant cet ancien parti unique n'avait pas perdu le pouvoir la suite d'une rvolution, mais la suite d'lections libres qu'il avait diriges trs loyalement ; il tait devenu le principal parti d'opposition, c'est--dire un facteur important dans ie fonctionnement du rgime dmocratique. Par consquent, on doit admettre que le problme de transition qui se posait tait particulirement dlicat rsoudre.

    La solution qui vient d'tre adopte est critiquable : je crois, en toute objectivit, que l'on aurait pu trouver une solution moins radicale et plus conforme au fair-play ; on aurait pu confier la solution du problme un organe judiciaire ou recourir une sorte d'arbitrage.

    Quels seront les rsultats de cette liquidation du pass ? Cette loi semble avoir augment comme l'avait prvu d'ailleurs le prsident du Conseil dans son discours l'Assemble nationale le zle et le prestige des rpublicains populaires. Librs d'une tare du pass, ils continuent nergiquement leur lutte politique. Le Parti rpublicain populaire, faisant figure de martyr, gagnera certainement en prestige ce qu'il aura perdu en moyens matriels.

    Comme le montrent les discussions sur la libert de la presse, sur les moyens d'assurer l'impartialit de la Radio d'Etat, sur les rapports entre le pouvoir et l'opposition, sur la cration d'un tribunal constitutionnel, sur le droit de grve et sur d'autres problmes, la priode de transition vers un rgime dmocratique plus stable n'est pas termine. Il reste galement beaucoup faire dans les domaines conomique et social.

    Mais la faon dont s'est droule la rcente lection d'Uchak (gagne par l'opposition rpublicaine populaire) et le rcent projet gouvernemental visant modifier certains articles de la loi lectorale sont des signes rconfortants. Il s'agit de modifications mineures, tendant complter, avant les lections gnrales du 2 mai 1954, quelques petites lacunes de l'excellente loi lectorale de 1950 qui assura sous le contrle des magistrats des lections incontestablement honntes. Selon le nouveau projet, mme la verification des pouvoirs sera effectue dfinitivement par le Conseil suprme lectoral, compos des membres du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation. Le prsident du Conseil a dclar, au sujet de ce projet accueilli favorablement par l'opposition, que le gouvernement ne veut pas se contenter de garantir la parfaite honntet et la libert des lections, mais qu'il veut aussi prendre toutes les mesures ncessaire pour ne laisser subsister aucun doute, si minime soit-il dans la conscience populaire {Cumhuriyc, 27 janvier 1954)

    A la suite des vnements rcents, je conserve mon optimisme, expos dans ma conclusion, en ce qui concerne l'avenir du rgime dmocratique en Turquie. Il me parat difficile de croire que des hommes politiques qui doivent leurs succs et leurs prestiges aux services qu'ils ont rendus la cause de la libert, puissent tourner le dos cet idal. Mais je pense que la vritable garantie a rgime dmocratique rside dans le bon sens et l'amour de la libert du psup'ie turc.

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