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C. R. Acad. Sci. Paris, t. 332, Série I, p. 597–600, 2001 Théorie des groupes/Group Theory (Équations aux dérivées partielles/Partial Differential Equations) Un critère de commutativité pour l’algèbre des opérateurs différentiels invariants sur un espace homogène nilpotent * Hidénori FUJIWARA a , Gérard LION b,d , Bernard MAGNERON c,d , Salah MEHDI b,d a Faculté de technologie à Kyushu, Université de Kinki, Iizuka 820, Japon b Modal’X, UFR SEGMI, Université Paris-X, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre cedex, France c Institut Galilée, département de mathématiques, Université Paris-XIII, avenue Jean-Baptiste-Clément, 93430 Villetaneuse, France d Institut de mathématiques de Jussieu, case 7012, Université Paris-VII, 2, place Jussieu, 75251 Paris cedex 05, France Courriel : [email protected]; [email protected]; [email protected]; [email protected] (Reçu le 19 octobre 2000, accepté le 15 janvier 2001) Résumé. Soient G un groupe de Lie réel nilpotent connexe, simplement connexe, H un sous-groupe fermé de G d’algèbre de Lie h et f une forme linéaire sur h satisfaisant f ([h, h]) = {0}. Soit χ f le caractère unitaire de H dont la différentielle en l’élément neutre est 1f . Soit τ Ind G H χ f la représentation unitaire de G induite à partir du caractère χ f de H. Soit D G,H,f l’algèbre des opérateurs différentiels G-invariants sur le fibré de base G/H associé à ces données. Corwin et Greenleaf ont démontré en 1992, que si τ est à multiplicités finies alors cette algèbre est commutative. Nous établissons ici l’implication réciproque. 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS A commutativity criterion for the algebra of invariant differential operators on a nilpotent homogeneous space Abstract. Let G be a connected simply connected real nilpotent Lie group, H a connected closed subgroup of G with Lie algebra h and f a linear form on h satisfying f ([h, h]) = {0}. Let χ f be the unitary character of H with differential 1f at the origin. Let τ Ind G H χ f be the unitary representation of G induced from the character χ f of H. Let D G,H,f be the algebra of G-invariant differential operators on the bundle with basis G/H associated to these data. Corwin and Greenleaf have shown in 1992 that if τ is of finite multiplicities, this algebra is commutative. We prove here the converse part. 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS Note présentée par Michel DUFLO. S0764-4442(01)01873-0/FLA 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés 597

Un critère de commutativité pour l'algèbre des opérateurs différentiels invariants sur un espace homogène nilpotent

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Page 1: Un critère de commutativité pour l'algèbre des opérateurs différentiels invariants sur un espace homogène nilpotent

C. R. Acad. Sci. Paris, t. 332, Série I, p. 597–600, 2001Théorie des groupes/Group Theory(Équations aux dérivées partielles/Partial Differential Equations)

Un critère de commutativité pour l’algèbre desopérateurs différentiels invariants sur un espacehomogène nilpotent *

Hidénori FUJIWARA a, Gérard LION b,d, Bernard MAGNERON c,d,Salah MEHDI b,d

a Faculté de technologie à Kyushu, Université de Kinki, Iizuka 820, Japonb Modal’X, UFR SEGMI, Université Paris-X, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre cedex, Francec Institut Galilée, département de mathématiques, Université Paris-XIII, avenue Jean-Baptiste-Clément,

93430 Villetaneuse, Franced Institut de mathématiques de Jussieu, case 7012, Université Paris-VII, 2, place Jussieu, 75251 Paris cedex 05,

FranceCourriel : [email protected]; [email protected]; [email protected];[email protected]

(Reçu le 19 octobre 2000, accepté le 15 janvier 2001)

Résumé. SoientG un groupe de Lie réel nilpotent connexe, simplement connexe,H un sous-groupefermé deG d’algèbre de Lieh et f une forme linéaire surh satisfaisantf([h,h]) = 0.Soit χf le caractère unitaire deH dont la différentielle en l’élément neutre est

√−1f .

Soitτ ≡ IndGHχf la représentation unitaire deG induite à partir du caractèreχf deH . Soit

DG,H,f l’algèbre des opérateurs différentielsG-invariants sur le fibré de baseG/H associéà ces données. Corwin et Greenleaf ont démontré en 1992, que siτ est à multiplicités finiesalors cette algèbre est commutative. Nous établissons ici l’implication réciproque. 2001Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

A commutativity criterion for the algebra of invariant differentialoperators on a nilpotent homogeneous space

Abstract. Let G be a connected simply connected real nilpotent Lie group, H a connected closedsubgroup of G with Lie algebra h and f a linear form on h satisfying f([h,h]) = 0. Letχf be the unitary character of H with differential

√−1f at the origin. Let τ ≡ IndG

Hχf

be the unitary representation of G induced from the character χf of H . Let DG,H,f be thealgebra of G-invariant differential operators on the bundle with basis G/H associated tothese data. Corwin and Greenleaf have shown in 1992 that if τ is of finite multiplicities,this algebra is commutative. We prove here the converse part. 2001 Académie dessciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

Note présentée par Michel DUFLO.

S0764-4442(01)01873-0/FLA 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés 597

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H. Fujiwara et al.

1. Énoncé du problème

SoientG un groupe de Lie réel nilpotent connexe, simplement connexe, d’algèbre de Lieg, H un sous-groupe fermé connexe deG d’algèbre de Lieh etf ∈ h∗ satisfaisantf([h,h]) = 0. La restriction def àh

définit un homomorphisme deh dansC qui induit un caractèreχf deH donné parχf (expY ) = e√−1f(Y )

pourY dansh.Soit C∞(G,H,f) (resp.H(G,H,f)) l’espace vectoriel des fonctions complexesC∞ surG (resp. des

classes de fonctions complexes de carré intégrable moduloH surG) et qui vérifient la relation de covarianceφ(gh) = χ−1

f (h)φ(g) pour toush dansH etg dansG. Nous considérons la représentationL (resp.τ ) deGdansC∞(G,H,f) (resp.H(G,H,f)) réalisée par les translations à gauche.

La représentationτ se décompose en une somme hilbertienne continue de représentations unitairesirréductibles :τ

∫ ⊕G

m(π)π dµ(π), oùm(π) désigne la multiplicité deπ dansτ et dµ une mesure de

Plancherel sur le dual unitaireG deG. L. Corwin, F.P. Greenleaf et G. Grélaud ont démontré dans [5] quepour presque toutes les représentationsπ deG, les multiplicitésm(π) apparaissant dansτ sont soit finieset admettent une borne uniforme, soit infinies. Dans le premier cas, nous dirons queτ est à multiplicitésfinies.

Par ailleurs, il est utile de noter que les multiplicitésm(π) deτ ont aussi une interprétation géométrique.En effet, considérons dansg∗ le sous-espace affineΓG,H,f = ψ ∈ g∗ | ψ(Y ) = f(Y ), for all Y ∈ h. Sinous notonsOπ l’orbite co-adjointe deG associée à une représentation unitaire irréductibleπ deG parl’application de Kirillov (voir [9]), alorsm(π) =

O ∈H g∗ |O⊂ Oπ ∩ ΓG,H,f

.

Enfin, nous arrivons à la question qui est l’objet de notre étude. SoitDG,H,f l’algèbre des opérateursdifférentiels linéaires surG qui laissent stableC∞(G,H,f) et qui commutent à l’actionL de G surC∞(G,H,f).

Lorsqueτ est à multiplicités finies, L. Corwin et F.P. Greenleaf ont établi dans [3] la commutativité del’algèbreDG,H,f . De plus, concernant la propriété réciproque, ils ont énoncé la :

CONJECTURE. – L’algèbre DG,H,f est commutative si et seulement si τ est à multiplicités finies.

SoitU(g) l’algèbre enveloppante de la complexifiée deg eta le sous-espace vectoriel complexe deU(g)engendré par les éléments de la formeY +

√−1f(Y ) avecY ∈ h. On forme alors l’idéal à gaucheU(g)a de

U(g) et la sous-algèbreU(g,h, f) = X ∈ U(g) | for all Y ∈ h, [Y,X ] ∈ U(g)a. Il est connu que l’actionà droite deU(g) surC∞(G,H,f) induit l’isomorphisme d’algèbresDG,H,f U(g,h, f)/U(g)a (voir [3],Section 4).

Par ailleurs, on sait [4,10] queτ est à multiplicités finies si et seulement si, sur un ouvert de Zariski deΓG,H,f , le sous-espace vectoriel isotropeh + g() est de dimension maximale pour la forme bilinéaireB

donnée parB(X,Y ) = ([X,Y ]) ou, de façon équivalente, siG · ∩ ΓG,H,f est une variété lagrangienne.Ainsi, on peut aussi formuler la conjecture comme suit :

L’algèbre U(g,h, f)/U(g)a est commutative si et seulement si G · ∩ΓG,H,f est une variété lagrangiennepour tout dans un ouvert de Zariski de ΓG,H,f .

Sous cette forme, on retrouve une question de M. Duflo [6], énoncée dans un contexte plus général que lecadre nilpotent.

La conjecture de Corwin et Greenleaf a été démontrée par H. Fujiwara, G. Lion et S. Mehdi lorsqueHest réductif dansG, ou pour presque toutf lorsqueH est abélien [7], et aussi par A. Baklouti et J. Ludwig[2], lorsqueh est un idéal deg. Nous l’établissons en toute généralité ici.

2. Notations

Pour ∈ g∗, on noteg() l’algèbre de Lie du stabilisateur de pour l’action co-adjointe deG. Onse donne un drapeau d’idéaux deg : 0 = g0 ⊂ g1 ⊂ · · · ⊂ gn−1 ⊂ gn = g. Soit dansg∗. On définit

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Un critère de commutativité pour l’algèbre des opérateurs différentiels. . .

T () = j ∈ N | 1 j n, gj ⊂ gj−1 + g(). Il existe un ouvert de Zariski non videΩ de ΓG,H,f surlequel la dimension degi ∩ g() est minimale pour touti= 1, . . . , n. L’ensembleT () = m1 < · · ·<mtne dépendant pas du choix de parmi les éléments deΩ, on le noteraT .

On dit qu’un élémentσ de U(g) est central surΓG,H,f s’il vérifie π(σ) = θ(σ, )Id, où θ est unefonction à valeurs complexes pour variant dans un ouvert de Zariski non vide deΓG,H,f . Rappelonsqu’à tout indicemk deT , Corwin et Greenleaf [3] associent un élémentσk central surΓG,H,f vérifiant lesconditions :

σk = ξkXmk+Ak avecξk etAk dansU(gmk−1) ;

ξk ∈ U(gmk−1) est central surΓG,H,f ;

les fonctions → θ(σk, ) et → θ(ξk, ) ne s’annulent pas sur un ouvert de Zariski deΓG,H,f .

D’autre part, on considère deux ensembles d’indicesI = i1 < i2 < · · ·< id etJ = j1 < j2 < · · ·< jpdéfinis par :h ∩ gir = h ∩ gir−1 pour tout r dans 1, . . . , d et J = 1, . . . , n I de sorte quep = dim(G/H) et d = dim(H). À partir de l’ensembleJ , on construit une suite de sous-algèbreskr |0 r p de la manière suivante :k0 = h et kr = h + gjr de sorte quek0 = h ⊂ k1 ⊂ · · · ⊂ kp−1 ⊂ kp = g

etdim(kr/kr−1) = 1. Puis, à partir de l’ensembleI, on construit un drapeauhs | 0 s d d’idéaux deh

en formanth0 = 0 et hs = h ∩ gis . On forme alors la base de MalcevX1,X2, . . . ,Xn en choisissantXk = Ys ∈ hs, Xk ∈ hs−1 lorsquek ∈ I ou en prenant un élément quelconque degk qui n’est pas dansgk−1 lorsquek ∈ J . Pours= 1, . . . , d, on noteas le sous-espace vectoriel complexe deU(g) engendré parles éléments de la formeY +

√−1f(Y ) avecY ∈ hs.

Si g′ est une sous-algèbre de codimension1 de g, nous dirons pour ∈ g∗ que laH-orbiteH · estsaturée (resp. non saturée) par rapport àg′ si la dimension de l’orbiteH · dansg∗ est supérieure (resp.égale) à celle de l’orbiteH · (|g′) dansg′∗.

Notons que l’isomorphisme d’algèbresDG,H,f U(g,h, f)/U(g)a, induit une injection naturelle deDG′,H,f dansDG,H,f .

Enfin, on désigne parσ → tσ l’anti-automorphisme principal deU(g).

3. Résultats

La propriété suivante est importante pour établir les théorèmes suivants :

LEMME. – Soient mk ∈ T et is ∈ I tels que mk = is. On suppose que, pour dans un ouvert de Zariskide ΓG,H,f , on a hs ∩ g() = hs−1 ∩ g(). Alors

(i) il existe un polynôme P tel que P (tσ1, . . . ,tσk) ≡ 0 modulo U(gmk

)as et dans lequel les facteursde σk ne sont pas tous nuls modulo U(g)a ;

(ii) il existe un polynôme Q tel que Q(tσ1, . . . ,tσk, Ys) ≡ 0 modulo U(gmk−1)as−1 et dans lequel les

facteurs de Ys ne sont pas tous nuls modulo U(g)a.

Ce lemme se démontre en raisonnant par récurrence sur les dimensions deG et deH .

THÉORÈME 3.1. –Soient G un groupe de Lie réel nilpotent connexe, simplement connexe, d’algèbre deLie g, H un sous-groupe fermé connexe de G d’algèbre de Lie h, f une forme linéaire sur h satisfaisantf([h,h]) = 0 et τ ≡ IndG

Hχf la représentation unitaire de G induite à partir du caractère χf de H . Onsuppose h ⊂ g′, où g′ est un idéal de codimension 1 de g. Soit G′ le sous-groupe de G d’algèbre de Lie g′.Alors, l’injection de DG′,H,f dans DG,H,f est bijective si et seulement si sur un ouvert de Zariski non videde ΓG,H,f , les H-orbites dans ΓG,H,f sont saturées par rapport à g′.

On choisit la suite d’idéaux deg de telle sorte quegn−1 = g′. Avec les notations des paragraphesprécédents, sous les deux hypothèses suivantes :

U(g,hd−1, f |hd−1) ⊆ U(g′) + U(g)ad−1 et U(g′,hd−1, f |hd−1

) ⊆ U(g′,h, f),

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H. Fujiwara et al.

A. Baklouti et H. Fujiwara, ([1], théorème 4.4), ont montré que l’injection deDG′,H,f dansDG,H,f n’estpas surjective lorsque sur un ouvert de Zariski non vide deΓG,H,f lesH-orbites ne sont pas saturées parrapport àg′.

Dans les autres cas, on procède par récurrence sur les dimensions deG et deH , en utilisant le lemme.

THÉORÈME 3.2. –Soient G un groupe de Lie réel nilpotent connexe, simplement connexe, H un sous-groupe fermé connexe de G et f une forme linéaire sur h satisfaisant f([h,h]) = 0. Soit τ = IndG

Hχf lareprésentation unitaire de G induite à partir du caractère χf de H . Alors DG,H,f est commutative si etseulement si τ est à multiplicités finies.

La méthode permettant de déduire le théorème 2 du théorème 1 a été élaborée par H. Fujiwara, G. Lionet S. Mehdi ([7], théorème 1), et indépendamment par F.P. Greenleaf [8].

Remerciements. Nous remercions l’Université Paris-XIII qui a rendu possible cette collaboration en invitantH. Fujiwara à la fin du printemps de l’année 1999.

* Ce travail a été partiellement financé par le ministère de l’Éducation du Japon qui lui a attribué la subventionno 11640189

Références bibliographiques

[1] Baklouti A., Fujiwara H., Opérateurs différentiels associés à certaines représentations unitaires d’un groupe de Lierésoluble exponentiel, Prépublication, 2000.

[2] Baklouti A., Ludwig J., Invariant differential operators on certain nilpotent homogeneous spaces, Monatshefte fürMathematik (to appear).

[3] Corwin L., Greenleaf F.P., Commutativity of invariant differential operators on nilpotent homogeneous spaceswith finite multiplicity, Commun. Pure Appl. Math. 45 (1992) 681–747.

[4] Corwin L., Greenleaf F.P., A canonical approach to multiplicity formulas for induced and restricted representationsof nilpotent Lie groups, Commun. Pure Appl. Math. 41 (1988) 1051–1088.

[5] Corwin L., Greenleaf F.P., Grélaud G., Direct integral decomposition and multiplicities for induced representationsof nilpotent Lie groups, Trans. Amer. Math. Soc. 304 (1987) 549–583.

[6] Duflo M., Open problems in representation theory of Lie groups, in: Conference on “Analysis on HomogeneousSpaces”, Katata, Japan, 1986, pp. 1–5.

[7] Fujiwara H., Lion G., Mehdi S., On the commutativity of the algebra of invariant differential operators on certainnilpotent homogeneous spaces, Trans. Amer. Math. Soc. (to appear).

[8] Greenleaf F.P., Geometry of co-adjoint orbits and non-commutativity of invariant differential operators onnilpotent homogeneous spaces, Commun. Pure and Appl. Math. 53 (2000).

[9] Kirillov A.A., Éléments de la théorie des représentations, Éditions Mir, Moscou, 1974.[10] Lipsman R., Orbital parameters for induced and restricted representations, Trans. Amer. Math. Soc. 313 (1989)

433–471.[11] Pukanszky L., Leçons sur les représentations des groupes, Monographies de la Société Mathématique de France,

Vol. 2, Dunod, Paris, 1967.

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