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Un éclairage sur lavie U Gail Goriesky et Lambertus van Zelst Organisme de recherche, le Musmm Support Center de la Smithsonian Institution recourt a m méthodes scìent;Ji4~es les plus avancées pour @ire la lumière sur l'histoire d'œuvres d'art et d bbjets archéologiques, et les situer dans un contexte vivant. Gail Goriesky travaille au hboratoire anabtique de conservation du Museum Support Center en taizt que technicien de l'information ; Lambertus van ZeLít est le directeur du laboratoire. Mary Baker, spécialiste de In chimie des pobmères, mène des recherches sur une coinbinairon spatiale (Programme Mercury) pour en arrêter les podes d'entxposage et de manipuhtion. A une douzaine de kilomètres au sud de Washington, D.C., le Museum Support Center de la Smithsonian Institution abrite les laboratoires et les bureaux où travaillent les trente-huit employés du Conservation Analytical Laboratory (CAL). Dépendant de la Smithsonian, qui regroupe quinze musées nationaux, le zoo national et sept instituts de re- cherche, le CAL est spécialisé dans la re- cherche et la formation en matière de conservation, d'études techniques et d'analyse des collections des musées, et de matériaux culturels ayant un rapport avec ces dernières. Son Département d'archéométrie s'intéresse plus spécialement aux techno- logies et aux procédés chimiques, phy- siques et biologiques appliqués à l'histoi- re de l'art ou à l'archéologie. Son person- nel dispose du matériel et des installations considérables qu'offrent le CAL et d'au- tres organismes, notamment le National Institute of Standards and Technology (NIST) (ex-National Bureau of Stan- dards) et la Carnegie Institution de Washington, D.C. Le présent article évo- que quelques-unes des activirks du CAL. Radiographie et peinture Nous savons depuis longtemps que sous la surface d'un tableau se cachent des in- formations qui peuvent grandement améliorer notre connaissance de l'histoi- re de l'art et nos compétences esthétiques. Des techniques comme la radiographie et la réflectographie sous rayonnement in- frarouge sont devenues d'usage courant. Les chercheurs du CAL ont ajouté un nouvel outil àcet arsenal : l'autoradiogra- phie par activation neutronique. Mise au point au début des années 70 au Labora- toire national de Brookhaven, cette tech- nique a été perfectionnée dans le cadre d'un programme conjoint CAL/NIST. Le tableau est soumis pendant un bref laps de temps à l'action d'un rayon de neutrons thermiques issu d'un réacteur nucléaire. La plupart de ces neutrons tra- 16 Mrrsewn inarnationaf (Paris, UNESCO), no 183 (vol. 46, no 3, 1994) O UNESCO 1994 I I l i I I I l l I j I l I

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Un éclairage sur lavie U

Gail Goriesky et Lambertus van Zelst

Organisme de recherche, le Musmm Support Center de la Smithsonian Institution recourt a m méthodes scìent;Ji4~es les plus avancées pour @ire la lumière sur l'histoire d'œuvres d'art et d bbjets archéologiques, et les situer dans un contexte vivant. Gail Goriesky travaille au hboratoire anabtique de conservation du Museum Support Center en taizt que technicien de l'information ; Lambertus van ZeLít est le directeur du laboratoire.

Mary Baker, spécialiste de In chimie des pobmères, mène

des recherches sur une coinbinairon spatiale (Programme Mercury)

pour en arrêter les podes d'entxposage et de manipuhtion.

A une douzaine de kilomètres au sud de Washington, D.C., le Museum Support Center de la Smithsonian Institution abrite les laboratoires et les bureaux où travaillent les trente-huit employés du Conservation Analytical Laboratory (CAL). Dépendant de la Smithsonian, qui regroupe quinze musées nationaux, le zoo national et sept instituts de re- cherche, le CAL est spécialisé dans la re- cherche et la formation en matière de conservation, d'études techniques et d'analyse des collections des musées, et de matériaux culturels ayant un rapport avec ces dernières.

Son Département d'archéométrie s'intéresse plus spécialement aux techno- logies et aux procédés chimiques, phy- siques et biologiques appliqués à l'histoi- re de l'art ou à l'archéologie. Son person- nel dispose du matériel et des installations considérables qu'offrent le CAL et d'au- tres organismes, notamment le National Institute of Standards and Technology (NIST) (ex-National Bureau of Stan-

dards) et la Carnegie Institution de Washington, D.C. Le présent article évo- que quelques-unes des activirks du CAL.

Radiographie et peinture

Nous savons depuis longtemps que sous la surface d'un tableau se cachent des in- formations qui peuvent grandement améliorer notre connaissance de l'histoi- re de l'art et nos compétences esthétiques. Des techniques comme la radiographie et la réflectographie sous rayonnement in- frarouge sont devenues d'usage courant. Les chercheurs du CAL ont ajouté un nouvel outil àcet arsenal : l'autoradiogra- phie par activation neutronique. Mise au point au début des années 70 au Labora- toire national de Brookhaven, cette tech- nique a été perfectionnée dans le cadre d'un programme conjoint CAL/NIST. Le tableau est soumis pendant un bref laps de temps à l'action d'un rayon de neutrons thermiques issu d'un réacteur nucléaire. La plupart de ces neutrons tra-

16 Mrrsewn inarnationaf (Paris, UNESCO), no 183 (vol. 46, no 3, 1994) O UNESCO 1994

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versent la peinture sans produire d'effet, mais certains entrent en réaction avec les atomes de divers composants de la pein- ture et produisent des isotopes radio- actifs. Quand l'activation par les neutrons thermiques est achevée, les radio-isotopes continuent à émettre une radiation : grâ- ce à celle-ci, une image de leur répartition spécifique peut être obtenue en plagant une pellicule photographique près de la surface du tableau. A différents éléments correspondront des radio-isotopes dis- tincts, chacun doté de ses caractéristiques propres, notamment d'une durée de vie spécifique. A partir de ces différences de durée de vie, on obtient un ensemble d'(c autoradiographies )) en changeant pé- riodiquement la pellicule photogra- phique : les pellicules exposées en premier font surtout apparaître la répartition des radio-isotopes éphémères, les pellicules exposées ensuite étant dominées par les radio-isotopes de plus grande longévité. Le résultat est une série d'images donnant la répartition des divers éléments chi- miques, et donc une repiésentation de la difision des composants du tableau, en particulier des pigments. Au bout de deux ou trois mois, les radiations émises par le tableau ont tellement diminué que l'on ne peut plus en obtenir d'informa- tion ; il peut alors sans danger être rendu aumusée.

Les autoradiographies ressemblent à des radiographies et donnent des infor- mations semblables sur la technique de l'artiste, l'évolution de la composition, les repentirs (changements apportés par le créateur), etc. Les rayons X font surtout apparaître les Cléments lourds, par exemple le plomb du blanc de céruse. Les autoradiographies révèlent l'emplace- ment de certains autres éléments, ou pig- ments, sur le tableau. Ingrid Alexander, spécialiste d'histoire de l'art, a amplement. recouru à cette technique pour étudier

l'œuvre du peintre américain Albert I? Ryder (XDC' siècle). Tout en menant une vie de bohème à New York, Ryder a éla- boré cet univers onirique et imagé, qui le caractérise, en brossant d'une pâte épais- se des scènes bibliques et littéraires très colorées. I1 retravaillait beaucoup ses ta- bleaux, parfois pendant plusieurs années, et l'on sait qu'il apportait de nombreuses modifications en cours de composition.

Dans L'apparihon du Christ à Marie (National Museum of American Art, Smithsonian Institution), les autoradio- graphies font apparaître plusieurs modifi- cations de la composition. L'artiste a cor- rigé le geste de bénédiction du Christ, dont il a abaissé aussi la main gauche. Le bras droit, lui, a été aminci, peut-être sur les instances de Charles Fitzpatrick, ami de l'artiste, qui aurait objecté à celui-ci que son Christ semblait bien trop robuste pour quelqu'un qui venait de passer trois jours au tombeau. La ligne d'horizon a été re- haussée, occultant un peu de la lumière qui, à l'origine, inondait l'ensemble de la toile ; la grande auréole a également dis- paru du tableau définitif L'image autora- diographique met en évidence des points et des touches rapides de peinture en plu- sieurs endroits, qui témoignent de la vitesse d'exécution de Ryder.

Recherche suc les céramiques anciennes

La matière première de la ckramique, l'ar- gile,. est le produit de l'effritement de roches. Les principaux composants miné- raux des argiles tendent à être très sem- blables, quelle que soit la provenance de celles-ci, alors que leur composition chi- mique est pour une grande part tributai- re de la roche d'origine. Les Cléments pré- sents en proportions infimes, ou (( oligo- éléments )), revêtent à cet égard une importance particulière. Les formations

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Guil Goriesky et Lumbertus van Zeht

Albert Pinkhum Ryder, L'apparition du Christ à Marie, uers 1885, NutionulMusam of American Art. Le bras droit du

Christ est orienté vers le bas.

rocheuses dont provient l'argile détermi- rien! la composition de la roche en oligo- déments et jouent donc beaucoup sur la composition chimique de l'argile. Il s'en- suit que la composition en oligo46ments est très semblable dans des argiles de même origine géologique, et que la com- position en oligo-Cléments des céra- miques est fonction de l'argile dont elles sont faites. Les chercheurs peuvent ainsi classer les céramiques archéologiques en fonction de leur composition en oligo- éléments, regroupant celles qui sont fa- briquées à partir d'une argile de même origine et séparant les céramiques qui proviennent de zones géographiques dif- férentes. Ces études de provenance peu- vent donner des aperps précieux sur le commerce et la structure des échanges entre les populations de divers sites.

En collaboration avec le NIST, le CAL a lancé un grand programme d'ana- lyse des oligo-déments des céramiques et outils taillés ou polis. La technique utili- sée - l'analyse par activation neutro- nique - n'exige que des échantillons mi- nuscules, obtenus en creusant l'extrémité d'un tesson ou en grattant le dessous d'un pot. Ronald Bishop, archéologue principal, a largement utilisé cette tech- nique pour étudier le commerce et les échanges chez les anciens Mayas et se fai- re ainsi une meilleure idée de leurs rela- tions sociales, économiques et politiques. A titre d'exemple, on citera son étude sys- tématique (en collaboration avec la spé- cialiste d'histoire de l'art de la Duke Uni- versity Dorie Reents-Budet et l'épigra- phiste guatémaltèque Federico Ortega) de beaux vases très ornés qui représentent

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l'art maya à son apogée. En se fondant sur une imposante base de données éta- blie à partir de l'analyse de milliers de fragments de céramiques mayas trouvés lors de fouilles, les chercheurs ont déter- miné le lieu où ont été fabriquées ces po- teries à la décoration si recherchée, y compris les vases placés dans les musées. On dispose de la sorte de critères objec- tifs pour situer géographiquement la fa- brication et la distribution de la céra- mique, ainsi que pour interpréter les textes et les scènes historiques ou reli- gieuses gravés sur un vase.

Pamela Vandiver, spécialiste de la ter- re cuite, s'intéresse aussi aux céramiques archéologiques et historiques. Portant surtout sur les techniques de fabrication, ses recherches visent à déterminer les techniques qui étaient utilisées pour fa- briquer les premières céramiques du Moyen-Orient, les facteurs technolo- giques qui expliquent les différences entre les céladons coréens et chinois, les inno- vations techniques qui ont permis de fa- briquer les faïences de Saint-Porchaire, etc. Récemment, Pamela Vandiver a étu- dié des céramiques très anciennes des sites du paléolithique supérieur de Dolni Estonice (ex-Tchécoslovaquie). La fabri- cation continue de céramiques usuelles (poteries) remonte à la culture du Jomon (pléistocène supérieur), c'est-à-dire à quelque 12 500 ans. Toutefois, le façon- nage de l'argile et la fabrication d'objets non utilitaires ont précédé cette phase d'au moins 15 O00 ans. D'après les rap- ports archéologiques concernant les ob- jets trouvés à Dolní Wstonice, les figu- rines étaient faites d'os broyés de mam- mouths, de cendre, de loess (terre fine de couleur brun jaunâtre) et probablement de graisse animale. On a dressé un inven- taire des formes, dimensions et nombre des fragments de figurines dont on a dé- terminé les variétés de couleur, de texture

et de dureté. Seuls 14 fragments de figu- rines de Dolni Wstonice sont des repré- sentations humaines - 1 homme et 13 femmes -, alors que 707 représen- tent des animaux d'espèces identifiables. Quelque 3 O00 autres fragments provien- nent d'animaux non identifiables. Un autre groupe d'objets est constitué de pièces aplaties et sphériques et d'déments en forme de boulettes de 1 cm. Nombre d'objets portent des empreintes de doigts et d'outils, en particulier de microlithes. On distingue des lignes de raccord entre les différentes parties, par exemple là où les pattes ont été ajoutées au corps ou bien là où des nez, des oreilles et des

e?z Moravie, République tchèque.

A gauche : Le microscope électronique pemzet de voir L'intérieur de la (( Vénus )>. Les phquettes d'argile cuites à base température sont mseniblkes et, mêlées à du verre, se tran$omzent en céramique.

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Gail Gorìesky et Lainbertus van Zelst

queues, modelés à part, ont été mis en place après coup.

Un sous-échantillon représentatif de 30 fragments a été analysé par diverses méthodes (xéroradiographie, diffraction Rx, microsonde, microscope électro- nique, chromatographie liquide et gazeu- se) ; il en est ressorti que ces fragments ont été chauffés à une température de 600 à 800 OC, qu'ils sont faits de loess lo- cal sans ajout de substances organiques ou d'os et qu'ils ont été fagonnés à la main en milieu humide, les parties ayant été fabriquées séparément avant d'être as- semblées. Les figurines de céramique ont été trouvées en dehors du site d'habita- tion, sur une aire de cuisson, ce qui don- ne à penser que les céramiques étaient fa- briquées à des fins particulières. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expli- quer le nombre de fragments retrouvés. Il se peut que des figurines non séchées ou mal séchées aient éclaté quand on les pla- Fait dans le feu, certaines restant intactes. L'ensemble du processus avait peut-être aussi un sens social et rituel. Menées en parallèle avec les travaux &Olga Soffer, de l'université de l'Illinois, ces recherches se fondent sur l'analyse des techniques céra- miques pour tenter de mieux com- prendre les comportements humains au paléolithique supérieur.

Os, ADN, régime alimentaire et maladie

Outre qu'elles nous font connaître les ob- jets fabriqués par l'homme, les fouilles ar- chéologiques permettent de trouver des témoignages sur les modes de vie, les re- lations, les migrations, les maladies et les interactions avec l'écosystème des molé- cules qui survivent dans les matériaux biologiques, notamment les os et les dents. Noreen Tuross, biogéochimiste, recourt aux techniques de la biochimie

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protéinique, de la biologie moléculaire et de la géochimie isotopique pour étudier la préservation des fossiles de vertébrés et déchiffrer les informations qu'ils contien- nent. Récemment, une étude qu'elle a effectuée avec Marilyn Fogel, de la Car- negie Institution de Washington, lui a permis de déterminer la durée de l'allai- tement maternel dans deux anciennes po- pulations amérindiennes àpartir de l'exa- men des isotopes stables d'azote dans les squelettes. Le régime alimentaire de l'une des plus anciennes populations humaines du Nouveau Monde a aussi été étudié en analysant les proportions d'isotopes de carbone et d'azote, et il est apparu que ces autochtones américains utilisaient des denrées alimentaires provenant de l'es- tuaire. Les études nutritionnelles de ce type ont jeté sur le passé une lumière nouvelle, comparable à celle qu'apportent les méthodes plus classiques de reconsti- tution des régimes alimentaires. Actuelle- ment, les travaux du CAL sur l'alimenta- tion préhistorique remontent jusqu'au paléolithique, puisque l'on étudie sous cet angle les ossements et les dents prove- nant: du site de Kents Cavern, dans le De- von (Angleterre).

I1 semble que d'autres molécules pré- servées dans l'os puissent, elles aussi, nous éclairer sur la vie dans le passé. Des im- munoglobulines (anticorps) ont en effet été trouvées dans plusieurs échantillons d'os humains, et l'on étudie actuellement au CAL quelles maladies - surtout les tréponématoses comme la syphilis ou le pian - les hommes préhistoriques ont pu connaître. Des éléments génétiques, sous la forme d'ADN, sont également présents dans la plupart des ossements re- trouvés du pléistocène : l'archéologie mo- léculaire fait appel aux techniques les plus avancées pour établir les relations entre les peuples contemporains et anciens sur le plan de l'ADN.

Les exemples évoqués dans le présent article ne donnent qu'un aperp des mul- tiples travaux du CAL. Parmi bien des projets de recherche, on citera des études sur la provenance des métaux archéolo- giques et historiques, la métallurgie an- cienne et historique, le commerce et les structures d'échange de l'obsidienne, la détérioration des matériaux des collec- tions, l'amélioration des méthodes d'en- treposage et d'exposition, ainsi que la mise au point de techniques de traite- ment permettant une meilleure conser- vation.

Les auteurs de cet article tierznent B remer- cier de leur aide Ingrid C. AlexandeZer, Ro- nald L. Bishop, Noreen C. Tuross et Pame- la B. VdndiveZer, ainsi que Jacqueline S. Olin et Alan W Postlewaite qui les ont aide% pour sa mise en forme.

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