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C. R. Acad. Sci. Paris, t. 331, Série I, p. 277–280, 2000Équations différentielles/Ordinary Differential Equations
Un lemme de Hensel pour les opérateurs différentielsMagali BOUFFET
Laboratoire Émile-Picard, Université Paul-Sabatier, bâtiment 1R2, 118, route de Narbonne,31062 Toulouse cedex, FranceCourriel : [email protected]
(Reçu le 10 mai 2000, accepté après révision le 3 juillet 2000)
Résumé. Dans cette Note, on démontre un lemme de Hensel différentiel, et par suite un théorèmed’existence de factorisation, pour des opérateurs différentiels à coefficients dans un corpsvalué, dans le cas où la dérivation n’est pas triviale sur le corps résiduel. 2000 Académiedes sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
A Hensel lemma for differential operators
Abstract. In this paper, we prove a differential Hensel lemma and a factorization theorem fordifferential operators with coefficients in a valued field, in the case when the derivationis not trivial on the residue field. 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques etmédicales Elsevier SAS
1. Notations
Soit L = C((z))((X)), où X = e1/z . (Pour un corpsK , on noteK((X)) le corps des séries deLaurent formelles enX à coefficients dansK .) On munitL de la valuationX-adique, notéev. On munitC((z)) de la dérivationδ = −z2 d
dz , que l’on étend àL en posantδX = X . Le corps différentielL est
alors un corps valué ultramétrique complet. Pourm ∈ N∗, on noteLm =(⋃
n>1C((z1n )))((X1/m)), et
L∞ =⋃m>1 Lm. La valuation et la dérivation précédentes s’étendent àLm et àL∞ de manière évidente.
Le corpsL∞ est une clôture algébrique deL, et on remarque que ce corps est encore complet. Le corpsrésiduel deL∞ est
⋃n>1C((z1/n)) sur lequel on met la valuationz-adiquevz . Soit (K,δ) un corps
différentiel, on noteDK l’anneau des opérateurs différentiels à coefficients dansK . PourP dansDL∞
,
dont les coefficients sont dans l’anneau de valuation deL∞, on noteP l’image deP dans le corps résiduel.On va montrer ici le résultat suivant :
THÉORÈME 1.1. –Soit P ∈ DL
, non constant, alorsP se factorise dans l’anneauDL∞
en produitd’opérateurs d’ordre1.
Note présentée par Bernard MALGRANGE .
S0764-4442(00)01649-9/FLA 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. 277
M. Bouffet
2. Décomposition relative aux pentes du polygone de Newton
DÉFINITION 2.1. – Soit(K,δ) un corps différentiel, on dira queP ∈ DK estunitaire si son coefficientdominant enδ vaut1.
DÉFINITION 2.2. – Soit(K,δ) un corps différentiel muni d’une valuationv, on dira queP ∈ DK estfuchsiensi son polygone de Newton relativement à la valuationv n’a que la pente nulle.
On trouvera dans [2] la démonstration du théorème suivant :
THÉORÈME 2.3. –Soit (K,δ) un corps différentiel complet pour une valuation discrètev, tel que lecorps résiduel deK soit de caractéristique nulle. SoitP ∈DK , non nul. Alors il existe une extension finieL deK , desηi ∈ L, pour16 i6 q, et desPi ∈DL fuchsiens tels queP (δ) = P1(δ− η1) · · ·Pq(δ− ηq).
Soit P ∈ DL
, non nul, alors ce théorème nous dit qu’on peut factoriserP sous la formeP (δ) =
P1(δ − η1) · · ·Pq(δ − ηq), avec lesηi dansL∞ et lesPi dansDL∞
fuchsiens. Siai est le coefficientdominant dePi, on peut écrirePi = aiQi, avecQi unitaire et encore fuchsien, donc à coefficients dansl’anneau de valuation deL∞. Le problème est alors de factoriser les opérateursQi en produits d’opérateursdifférentiels d’ordre1 dans l’anneauD
L∞.
3. Factorisation des opérateurs fuchsiens à coefficients dansL∞
On remarque que factoriser un opérateur différentiel revient à résoudre un système différentiel nonlinéaire.
Dans [2], Robba a démontré un lemme de Hensel différentiel dans le cas oùα= infa∈K,a6=0(v(δ(a))−v(a)) > 0. Cette condition implique que la dérivation est triviale sur le corps résiduel. En passant à cecorps résiduel, il se ramène donc à des équations algébriques et la condition précédente lui permet alorsde construire une contraction qui lui donne la solution cherchée. Dans le cas deL∞, cette condition n’estévidemment pas vérifiée puisqu’on aα= 0. On ne peut pas utiliser non plus la démonstration donnée dans[2] pour le corpsC((z)), muni de la dérivationz d
dz et de la valuationvz , car bien queα = 0, le corpsrésiduel est un corps de constantes,C. Ceci permet encore de se ramener au cas commutatif. Le problèmeici est donc que l’on ne peut pas se ramener au cas commutatif, heureusement en contre-partie cette non-commutativité entraîne la non-unicité des factorisations, ce qui nous permettra de choisir la factorisation dedépart dans le corps résiduel.
Soit doncP un opérateur différentiel unitaire d’ordren à coefficients dans l’anneau de valuation deL∞.Il s’écrit P = δn +an−1δ
n−1 + · · ·+a1δ+a0, avec pour touti, 06 i6 n−1, v(ai)> 0. On va donc dansun premier temps chercher à factoriserP sous la forme :
(∗) P = (δ+ x1)(δn−1 + x2δ
n−2 + · · ·+ xn−1δ+ xn),
ce qui revient à résoudre dans l’anneau de valuation deL∞ le système différentiel non linéaire denéquations àn inconnues suivant :
(∗)
x1 + x2 = an−1
x1xi + δxi + xi+1 = an−i, 26 i6 n− 1,
x1xn + δxn = a0
Les coefficientsai sont des éléments de l’anneau de valuation deL∞, donc ils s’écrivent
ai =
∞∑k=0
λi,kXk/mi , avecmi ∈N, et λi,k ∈
⋃n>1
C((z1/n
)).
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Un lemme de Hensel pour les opérateurs différentiels
On posem = ppcm(mi, 0 6 i 6 n − 1). On peut alors écrireai =∑∞
k=0 λi,kXk/m. On cherche les
xi sous la formexi =∑∞
k=0 xi,kXk/m, avecxi,k ∈
⋃n>1C((z1/n)). On se ramène ainsi à résoudre
des équations différentielles linéaires à coefficients dans⋃n>1C((z1/n)) dont les inconnues sont les
xi,k, 1 6 i 6 n, et k > 1. Soit (δ + x1,0)(δn−1 + x2,0δn−2 + · · · + xn−1,0δ + xn,0) une factorisation
de P = δn + λn−1,0δn−1 + · · · + λ1,0δ + λ0,0 dans
⋃n>1C((z1/n)). (On sait d’après [2] qu’une telle
factorisation est possible.)On résout dans l’ordre desk croissants, donc on doit résoudre pour chaquek > 1 un système du type :
(∗k)
δu2 +(x1,0 − x2,0 +
k
m
)u2 + u3 = ∗2,k,
δu3 +(x1,0 +
k
m
)u3 − x3,0u2 + u4 = ∗3,k,
......
...
δun−1 +(x1,0 +
k
m
)un−1 − xn−1,0u2 + un = ∗n−1,k,
δun +(x1,0 +
k
m
)un − xn,0u2 = ∗n,k,
où les∗i,k sont des données dans⋃n>1C((z1/n)). Pour résoudre ces systèmes, on ne peut pas utiliser un
lemme de Hensel classique, car les coefficients de ce système d’équations ne sont pas a priori dans l’anneaude valuation de
⋃n>1C((z1/n)) mais dans le corps tout entier. On va essayer de se ramener à des équations
d’ordre1.
LEMME 3.1. –Soit l’équationδu+ au = b, où a, b ∈⋃n>1C((z1/n)). Une condition suffisante pour
qu’il en existe une solution dans⋃n>1C((z1/n)) est quevz(a)< 1.
Idée de démonstration. – On remarque juste que pouru dans⋃n>1C((z1/n)), vz(δu)> vz(u) + 1. La
conditionvz(a)< 1 nous permet de calculer tous les coefficients deu par récurrence, le terme inconnu neprovenant à chaque étape que du termeau de l’équation.
PROPOSITION 3.2. –Soit P ∈ DL∞
, unitaire, fuchsien, non constant, etm un entier tel que tous les
coefficients deP soient dansLm. Supposons queP se factorise dans l’anneau(⋃
n>1C((z1/n)))[δ] sous
la forme∏ni=1(δ + yi,0) avecvz
(y1,0 − yi,0 + k/m
)< 1, pour touti, 26 i6 n, et toutk > 1. AlorsP se
factorise sous la forme(δ+ x1)R avecx1 = y1,0, R=∏ni=2(δ+ yi,0), et(δ + x1) etR fuchsiens.
Démonstration. –Ce résultat est évident pour un opérateur d’ordre2, car si(δ + y1,0)(δ + y2,0) est une
factorisation deP dans l’anneau(⋃
n>1C((z1/n)))
[δ], on doit résoudre à chaque étape une équation du
typeδu+ (y1,0 − y2,0 + k/m)u=donnée dans⋃n>1C((z1/n)), k > 1. Le lemme 3.1 nous permet alors
de conclure.Soitn> 2. Supposons que ce résultat soit vrai pour tous les opérateurs d’ordren. Soit alorsP ∈ D
L∞
un opérateur unitaire fuchsien d’ordren+ 1, et notonsP = (δ+ y1,0)(δ+ y2,0)(δ+ y3,0) · · · (δ+ yn+1,0).On écrit également l’opérateurP sous la forme(δ+ x1,0)(δn + x2,0δ
n−1 + · · ·+ xn,0δ+ xn+1,0). SoitQl’opérateur(δ + y1,0)(δ + y3,0) · · · (δ + yn+1,0) que l’on écrit également sous la forme(δ + x1,0)(δn−1 +x2,0δ
n−2 + · · ·+ xn−1,0δ+ xn,0). On a les relations :x1,0 = x1,0 = y1,0, x2,0 = x2,0 + y2,0, xi,0 = xi−1,0y2,0 + δxi−1,0 + xi,0, pour tout i, 3 6 i 6 n etxn+1,0 = xn,0y2,0 + δxn,0.
Notonsa= x1,0 − x2,0 + k/m, a= x1,0 − x2,0 + k/m, b= x1,0 + k/m et b= x1,0 + k/m. On a alorsa= a− y2,0 et b= b= y1,0 + k/m. On a aussix2,0 = b− a.
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On rajoute au système(∗k) associé à l’opérateurQ l’équationδu + (b − y2,0)u + u2 = 0, le systèmeobtenu s’écrit alors matriciellement sous la formeδV +BV = ∗, et le système (*k) associé à l’opérateurP s’écrit sous la formeδU +AU = ∗, avecU = t(u2, . . . , un+1), V = t(u,u2, . . . , un),
B =
b− y2,0 1 0 · · · · · · 0
0 a 1. . .
...... −x3,0 b
. . .. . .
......
... 0. . .
. . . 0... −xn−1,0
.... . . b 1
0 −xn,0 0 · · · 0 b
et
A=
a− y2,0 1 0 · · · 0
−x2,0y2,0 − δx2,0 − x3,0 b 1. . .
...... 0
. . . 1 0
−xn−1,0y2,0 − δxn−1,0 − xn,0...
. . . b 1−xn,0y2,0 − δxn,0 0 · · · 0 b
.
Ces deux systèmes sont équivalents sur⋃n>1C((z1/n)) car il existeP dansGln
(⋃n>1C((z1/n))
)tel
queP−1AP +P−1δP =B (on choisit aussi∗= P−1∗). On a supposé qu’il existait dans⋃n>1C((z1/n))
une solution au système (*k) associé à l’opérateurQ car il est d’ordren. D’après l’hypothèse surla valuation dey1,0 − y2,0 + k/m, l’équation δu + (b − y2,0)u + u2 = 0 admet une solution dans⋃n>1C((z1/n)), ce pour toutu2. Les deux systèmes étant équivalents sur
⋃n>1C((z1/n)), il existe donc
une solution au système (*k) associé à l’opérateurP dans⋃n>1C((z1/n)), ce pour toutk > 1. 2
La proposition précédente et le lemme suivant permettent de montrer par récurrence l’existence d’unefactorisation en produit d’opérateurs d’ordre1 d’un opérateur unitaire fuchsien, le théorème 2.3 complètele cas d’un opérateur quelconque, ce qui démontre le théorème 1.1.
Les conditions précédente sur la valuation des coefficients deP semblent contraignantes, en fait il n’enest rien.
LEMME 3.3. –SoitP ∈ D∪n>1C((z1/n)), unitaire, non constant, etm un entier fixé supérieur ou égal
à 1. AlorsP se factorise dans l’anneau(⋃
n>1C((z1/n)))[δ] sous la formeP =
∏ni=1(δ+ yi), avec pour
tout i, 16 i6 n, vz(y1 − yi + k
m
)< 1, ce pour toutk > 1.
Idée de démonstration. – La clé de ce lemme est la non-unicité de la factorisation deP en produitd’opérateurs d’ordre1. Il s’agit juste de mettre les différents facteurs « dans le bon ordre », en remarquantque l’opérateur(δ + a)(δ + b) s’écrit aussi(δ + b + A)(δ + a − A), où A est solution de l’équationdifférentielle quadratique formelleA2 + δA+A(b− a) = δa− δb.
Application
Ce résultat de factorisation nous a permis de mettre en place une théorie de Galois différentielle formellepour les équations différentielles linéaires à coefficients dansC((z))((e1/z)).
Références bibliographiques
[1] Jacobson, Basic Algebra II, Freeman, New York, 1980.[2] Robba P., Lemmes de Hensel pour les opérateurs différentiels. Application à la réduction formelle des équations
différentielles, L’Enseig. Math. (série 2) 26 (1980) 279–311.[3] Schilling O.F.G., The Theory of Valuations, Mathematical Surveys IV.
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