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Un monde parfait, sans échanges - Framasoft · Un monde parfait, sans échanges Florent Latrive ... torisait un accès gratuit aux œuvres de façon ... terpellé la secrétaire

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Page 1: Un monde parfait, sans échanges - Framasoft · Un monde parfait, sans échanges Florent Latrive ... torisait un accès gratuit aux œuvres de façon ... terpellé la secrétaire

Un monde parfait, sans échanges

Florent Latrive

25 août 2005

Avec la nouvelle loi sur la propriété intellectuelle, chantersous la douche vous conduira-t-il en prison ?

Il n’a pas compris pourquoi chanter l’In-ternationale lui a valu les menottes. C’est

exactement au moment où Olivier Besance-not entamait « Producteurs, sauvons-nous nousmêeeeem-euh ». . . que des policiers casqués ontenvahi la salle de la Mutualité, lâché des gre-nades lacrymogènes et plaqué le porte-parole dela Ligue communiste révolutionnaire sur son pu-pitre, mains dans le dos. Le leader de la LCR etles 350 militants qui chantaient à pleine gorgeont tous été placés en garde en vue, puis misen examen pour contrefaçon : l’Internationalene tombera dans le domaine public qu’en 2014et, dans l’intervalle, il est interdit de la chan-ter sans demander l’autorisation. Ils risquentjusqu’à cinq ans de prison et 500 000 eurosd’amende pour « délit en bande organisée ».

Gratuité zéro

La mésaventure de la LCR marque la nou-velle politique internationale de « gratuité zéro »,réponse législative aux difficultés des industriesculturelles confrontées au développement fulgu-rant des échanges gratuits d’œuvres via les sys-tèmes peer-to-peer depuis 2000. « C’est notreguerre contre le terrorisme à nous », avait dé-claré le patron des producteurs hollywoodiensJack Valenti 1. En 2007, les producteurs de ci-néma et de musique ont obtenu la signature dutraité de Villedieu-les-Poêles, ratifié par 185 paysà ce jour et dont la transposition dans les légis-lations nationales est en cours. Aux États-Unis,

le No Singing in the Shower Act a été voté enavril. En France, c’est le ministre de la Propriétéintellectuelle, Pascal Nègre, l’ex-patron d’Uni-versal Music France, qui a défendu, devant leParlement, le paquet « Beaumarchais » l’annéedernière. Objectif : renforcer la traque aux pi-rates, ne plus laisser passer une seule infractionà la propriété intellectuelle. Et surtout, mettreun terme aux tolérances qui existaient dans la loijusqu’ici, avec la suppression de toutes les excep-tions au droit d’auteur, dont le droit de citation,la copie privée ou la représentation dans le cerclede famille. La justification théorique émane dubest-seller Fuck them, they’re pirates ! 2, qui dé-montrait que, si les gens copiaient de la musiqueou des films sans complexe via l’Internet, c’étaitle résultat même du laxisme de la loi qui au-torisait un accès gratuit aux œuvres de façontrop large. Selon son auteur, John H. Exclusive,les enfants sont éduqués à la gratuité dès l’écoleen prenant l’habitude de recopier des citationsd’auteurs, en se prêtant des disques, en regar-dant des vidéos entre copains ou en allant à labibliothèque. Autre exemple : à force d’entendrede la musique en allant dîner chez leurs amis,le public aurait perdu progressivement la notionde valeur des œuvres. « Le mythe de la gratuitédétruit la valeur de la création. Lorsque tout estgratuit, on ne perçoit plus la valeur de la créa-tion, que l’on prend et que l’on jette », avait dé-claré l’ex-ministre de la Culture Renaud Donne-dieu de Vabre, avant d’échanger son poste avecPascal Nègre.

1. Toutes les citations sont réelles et (à peine) sorties de leur contexte.2. Dont l’on ne peut citer aucune phrase ici, la loi interdisant désormais à la presse toute citation d’œuvre. Traduit

en français aux éditions Précieuses, sous le titre Métempsycose de l’auteur, entre tradition et modernité.

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« Copier, c’est pas cool »

Pour préparer le public à une telle loi, unecampagne de prévention a été lancée, avec lesaffiches « Siffloter n’est pas jouer », « Chantersous la douche, c’est Mozart qu’on assassine »ou « Une cassette vidéo, c’est forcément solo ».L’Éducation nationale a distribué 15 millionsd’exemplaires de son fascicule « Copier, c’est pascool, c’est ringue et ça déchausse les dents »dans les écoles et les lycées. Après plusieurs moisde pédagogie, le gouvernement a donc décidéde passer à l’action, comme en témoigne, entreautres, l’intervention des forces de l’ordre lorsdu meeting de la LCR. Il faut désormais uneautorisation du ministre de la Propriété intel-lectuelle pour accéder à une bibliothèque ou unemédiathèque. Gibert Jeunes, à Paris, a été ferméla semaine dernière car le commerce d’ouvragesd’occasion est proscrit. La vente d’enceintes pourchaînes hi-fi a été prohibée, car elles permettentd’écouter de la musique à plusieurs sans payer.Seuls les casques, dotés d’une puce capable d’en-registrer les droits, sont autorisés. Et une lignede dénonciation anonyme a été ouverte, le 0-800-PIRATES 3, pour dénoncer quiconque cherche àprêter un livre, chante dans sa salle de bain ouphotocopie un extrait de journal. Trois cafés lil-lois ont été frappés d’une fermeture administra-tive, lundi, pour avoir laissé traîner des journauxsur leur comptoir, à disposition des clients. Surl’Internet, la loi informatique et libertés, déjàamendée en 2004 pour permettre aux ayantsdroit de surveiller les internautes, a été abrogée :toute personne prise en flagrant délit de téléchar-gement gratuit d’œuvres via l’Internet peut voir

son disque dur ciblé par des virus informatiqueset son abonnement à EDF coupé.

Régression

Lors des questions au gouvernement, hier, ledéputé néo-postsocialiste Christian Paul a in-terpellé la secrétaire d’État à la Culture au-près du ministre de la Propriété intellectuelle,l’UDF Jannely Fourtou. « Je tiens [votre poli-tique] pour une croisade moyenâgeuse, infantileet stérile. Il y a comme un parfum de régression,voire d’Inquisition, à tenter d’éradiquer commeune hérésie des pratiques culturelles de masseprobablement irréversibles. » D’autres modes definancement de la création sont possibles, a-t-ilargué, en rappelant l’exemple de la licence lé-gale radio (abolie l’année dernière), où les pro-grammateurs pouvaient diffuser tous les disquespossibles en échange d’un prélèvement sur leurchiffre d’affaires. Établir une redevance minimesur la consommation d’eau permettrait ainsi delégaliser le chant sous la douche. Tout commeune taxe sur les chaussures ouvrirait la voie àla légalisation de la pratique consistant à sif-floter dans la rue. Ce mode de calcul est légi-time économiquement, a insisté Paul : les pour-voyeurs d’eau gagnent plus d’argent car le chan-teur sous la douche y demeure plus longtemps,tout comme les fabricants de chaussures béné-ficient de l’usure accélérée des godasses de tousceux qui folâtrent dans la rue en chantonnant.Dans un communiqué envoyé hier soir, la LCR arepris cette idée pour légaliser l’Internationaledans les meetings, en proposant d’établir unetaxe sur les fabricants de drapeaux rouges.

Mentions légales : toute photocopie de cet article est prohibée ; toute demande de citationdoit être adressée à la rédaction ; le photocopillage tue la presse et affame le Tiers-Monde.

3. 0,34 euro/min, entièrement reversés à la Sacem.

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