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Un soldat de la garde impériale A soldier of the imperial guard a Service de neurologie et pathologie du mouvement, hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille, rue du Pr.-Émile-Laine, 59037 Lille cedex, France b EA 1046, université Lille II, CHRU Lille, 42, rue Paul-Duez, 59000 Lille, France c Service de neurophysiologie clinique, hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille, rue du Pr.-Émile-Laine, 59037 Lille cedex, France U ne patiente de 30 ans, née en France, originaire d'Afrique centrale ayant comme simple antécédent une gast- rite à Helicobacter pylori sans facteur de risque vasculaire, ne prenant aucun traitement commença à ressentir en 2010 une fatigabilité vespérale, une diplopie horizontale binoculaire et un ptosis uctuant avec un amaigrissement de 7 kg. L'examen clinique était normal par ailleurs. Lors d'une première hospitalisation, les examens paracliniques étaient normaux (anticorps anti-récepteur à l'acétylcholine, anti- corps anti-musk, sérologies virales, électroneu- romyogramme (ENMG) de stimulation et de détection avec stimulation répétitive, IRM céré- brale), mis à part une infection ancienne à Eps- tein Barr virus, une hépatite B guérie, une infection à papillomavirus au frottis, et un micro- nodule pulmonaire sur le scanner thoracique. Il existait une réponse partielle des signes ocu- lomoteurs lors du test à la prostigmine, justiant l'introduction d'un traitement anticholinestéra- sique par pyridostigmine dans l'hypothèse d'une myasthénie séronégative, apportant une amélioration partielle sur l'asthénie. En 2012, elle fut de nouveau hospitalisée pour une aggravation du tableau clinique avec dys- pnée et diplopie verticale. En raison d'une sus- picion de poussée de myasthénie, elle reçut une cure d'immunoglobulines polyvalentes en perfusion intraveineuse, permettant une amé- lioration presque complète des symptômes. En n d'année 2012, le tableau clinique s'enri- chit de troubles psychiatriques avec des atta- ques de panique théâtrales entraînant des chutes, et de réexes vifs et diffusés aux deux membres inférieurs. De nouveau, une exploration paraclinique assez complète fut réalisée. La ponction lom- baire révéla trois bandes surnuméraires sans autres anomalies. Le bilan de collagénose comportant les anticorps anti-nucléaires, les anticorps anti-phospholipides, l'enzyme de conversion de l'angiotensine, la protéinurie de 24 h et les sérologies virales neurotropes étaient négatifs. La biopsie des glandes sali- vaires accessoires était normale. La recher- che de mutations génétiques pour les paraparésies spastiques les plus fréquentes (SPG3 et SPG4) était négative de même que les sérologies de Whipple, d'HTLV1. Le bilan métabolique était normal. L'IRM cérébro- médullaire ainsi que les potentiels évoqués sensitifs et moteurs étaient normaux. L'ENMG de contrôle ne décela aucune anomalie autant en stimulo-détection qu'en stimulation répéti- tive et en détection à l'aiguille. En 2013, le tableau clinique continua d'évoluer avec un franc syndrome tétrapyramidal, une sensation d'anxiété extrême et un nystagmus dans le regard latéral droit. On notait l'apparition d'une démarche « enraidie », sans fauchage ou varus équin de la cheville, limitant le périmètre de marche à 60 mètres, ayant un aspect de marche en « robot », contrastant avec un test- ing musculaire discordant d'un examen à l'autre. Ce tableau atypique était associé à une ago- raphobie connant la patiente chez elle. Devant l'enrichissement du tableau excluant le diag- nostic de myasthénie, le traitement anticholi- nestérasique fut arrêté, sans modication clinique. En 2014, la patiente présenta deux crises con- vulsives, favorisées par une dette de sommeil, sans anomalie à l'électroencéphalogramme réalisé au décours. Toutefois, la présentation psychiatrique de la patiente ne permettait pas d'exclure des crises non épileptiques psycho- gènes. Le bilan métabolique complet était nor- mal, sans anomalies du prol des acides aminés, du cycle de l'urée, de l'ammoniémie. QUESTIONS Devant ce tableau clinique et les examens normaux déjà réalisés, quel est le diagnostic que vous évoquez ? Quel est l'examen para- clinique qui permet de le conrmer ? Quelle prise en charge proposez-vous ? Y. Chen a,b C. Tard a,b A. Delval b,c L. Defebvre a,b Auteur correspondant : Y. Chen, Service de neurologie et pathologie du mouvement, hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille, rue du Pr.-Émile-Laine, 59037 Lille cedex, France. Adresse e-mail : yaohua.sophie.chen@gmail. com (Y. Chen) Pratique Neurologique FMC 2014;5:247248 Testez-vous http://dx.doi.org/10.1016/j.praneu.2014.06.009 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 247

Un soldat de la garde impériale

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Page 1: Un soldat de la garde impériale

Pratique Neurologique – FMC 2014;5:247–248 Testez-vous

Un soldat de la garde

impériale

A soldier of the imperial guard

Y. Chen a,b

C. Tard a,b

A. Delval b,c

L. Defebvre a,b

aService de neurologie et pathologie du mouvement, hôpital Roger-Salengro, CHRUde Lille, rue du Pr.-Émile-Laine, 59037 Lille cedex, FrancebEA 1046, université Lille II, CHRU Lille, 42, rue Paul-Duez, 59000 Lille, FrancecService de neurophysiologie clinique, hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille, rue duPr.-Émile-Laine, 59037 Lille cedex, France

ne patiente de 30 ans, née enFrance, étaient négatifs. La biopsie des glandes sali-

Auteur correspondant :Y. Chen,Service de neurologie etpathologie du mouvement,hôpital Roger-Salengro,CHRU de Lille, rue duPr.-Émile-Laine, 59037 Lillecedex, France.Adresse e-mail :yaohua.sophie.chen@gmail.

Uoriginaire d'Afrique centrale ayantcomme simple antécédent une gast-

rite àHelicobacter pylori sans facteur de risquevasculaire, ne prenant aucun traitementcommença à ressentir en 2010 une fatigabilitévespérale, une diplopie horizontale binoculaireet un ptosis fluctuant avec un amaigrissementde 7 kg. L'examen clinique était normal parailleurs. Lors d'une première hospitalisation,les examens paracliniques étaient normaux(anticorps anti-récepteur à l'acétylcholine, anti-corpsanti-musk, sérologiesvirales, électroneu-romyogramme (ENMG) de stimulation et dedétection avec stimulation répétitive, IRM céré-brale), mis à part une infection ancienne à Eps-tein Barr virus, une hépatite B guérie, uneinfectionà papillomavirus au frottis, et unmicro-nodule pulmonaire sur le scanner thoracique. Ilexistait une réponse partielle des signes ocu-lomoteurs lors du test à la prostigmine, justifiantl'introduction d'un traitement anticholinestéra-sique par pyridostigmine dans l'hypothèsed'une myasthénie séronégative, apportantune amélioration partielle sur l'asthénie.En 2012, elle fut de nouveau hospitalisée pourune aggravation du tableau clinique avec dys-pnée et diplopie verticale. En raison d'une sus-picion de poussée de myasthénie, elle reçutune cure d'immunoglobulines polyvalentes enperfusion intraveineuse, permettant une amé-lioration presque complète des symptômes.En fin d'année 2012, le tableau clinique s'enri-chit de troubles psychiatriques avec des atta-ques de panique théâtrales entraînant deschutes, et de réflexes vifs et diffusés aux deuxmembres inférieurs.De nouveau, une exploration paracliniqueassez complète fut réalisée. La ponction lom-baire révéla trois bandes surnuméraires sansautres anomalies. Le bilan de collagénosecomportant les anticorps anti-nucléaires, lesanticorps anti-phospholipides, l'enzyme deconversion de l'angiotensine, la protéinuriede 24 h et les sérologies virales neurotropes

http://dx.doi.org/10.1016/j.praneu.2014.06.009© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

vaires accessoires était normale. La recher-che de mutations génétiques pour lesparaparésies spastiques les plus fréquentes(SPG3 et SPG4) était négative de même queles sérologies de Whipple, d'HTLV1. Le bilanmétabolique était normal. L'IRM cérébro-médullaire ainsi que les potentiels évoquéssensitifs et moteurs étaient normaux. L'ENMGde contrôle ne décela aucune anomalie autanten stimulo-détection qu'en stimulation répéti-tive et en détection à l'aiguille.En 2013, le tableau clinique continua d'évolueravec un franc syndrome tétrapyramidal, unesensation d'anxiété extrême et un nystagmusdans le regard latéral droit. On notait l'apparitiond'unedémarche« enraidie », sans fauchageouvarus équin de la cheville, limitant le périmètrede marche à 60 mètres, ayant un aspect demarche en « robot », contrastant avec un test-ingmusculairediscordantd'unexamenà l'autre.Ce tableau atypique était associé à une ago-raphobieconfinant lapatiente chezelle.Devantl'enrichissement du tableau excluant le diag-nostic de myasthénie, le traitement anticholi-nestérasique fut arrêté, sans modificationclinique.En 2014, la patiente présenta deux crises con-vulsives, favorisées par une dette de sommeil,sans anomalie à l'électroencéphalogrammeréalisé au décours. Toutefois, la présentationpsychiatrique de la patiente ne permettait pasd'exclure des crises non épileptiques psycho-gènes. Le bilan métabolique complet était nor-mal, sans anomalies du profil des acidesaminés, du cycle de l'urée, de l'ammoniémie.

QUESTIONSDevant ce tableau clinique et les examensnormaux déjà réalisés, quel est le diagnosticque vous évoquez ? Quel est l'examen para-clinique qui permet de le confirmer ?Quelle prise en charge proposez-vous ?

com (Y. Chen)

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Page 2: Un soldat de la garde impériale

Tableau 1. Sept critères principaux proposés en 1989par Lorish et al.

Apparition d'une raideur et d'une rigidité des muscles axiaux

Évolution lente de la rigidité qui gagne les muscles des racinesdes membres, entraînant une difficulté lors de la réalisationdes mouvements volontaires et de la marche

Déformation fixe du rachis

Spasmes paroxystiques provoqués par un mouvement, un bruitbrusque ou une émotion

Examen sensitivomoteur normal

Absence de troubles cognitifs

Électromyogramme caractérisé par une activité continue depotentiels d'unité motrice sans signe de dénervation, quidisparaît sous diazépam en intraveineux ou per os

Y. Chen et al.Testez-vous

RÉPONSES

Le diagnostic de syndrome de l'homme raide (« stiff-personsyndrome ») avec une forme atypique de « jambes raides » aété confirmé par le dosage sérique des anticorps anti-glutamicacid decarboxylase (GAD) positif (> 300 U/mL).Le traitement par immunoglobulines polyvalentes intraveineu-ses a été évalué contre placebo dans une étude en cross-over, chez 14 patients (âgemédian : 46 ans) selon un schémaclassique de 2 g/kg par mois pendant 3 mois. L'efficacité aété montrée sur le score clinique de spasticité, ainsi que surle taux des anticorps anti-GAD [1]. D'autres traitementsimmunologiques tels que des bolus de corticoïdes, desplasmaphérèses, ou de perfusion de rituximab sont égale-ment proposés devant le mécanisme auto-immun de lamaladie, en cas d'échec des immunoglobulines. Il faudraégalement adjoindre un traitement symptomatique, anti-épi-leptique si besoin, psychiatrique et rééducatif. Les modula-teurs GABAergiques sont volontiers proposés, compte tenude la physiopathologie, comme les benzodiazépines et lesanti-spastiques. Le traitement symptomatique par benzodia-zépines (diazépam) est le plus souvent utilisé. Les dosesnécessaires sont en général élevées à très élevées maisassez bien tolérées.Devant la présence d'anticorps anti-GAD, il convient derechercher un diabète de type I, qui peut apparaître plusieursannées après les anticorps. Dans le cadre d'un syndromeparanéoplasique associé aux anticorps anti-GAD, on recher-chera également un processus tumoral, au premier rangduquel les cancers du sein, du poumon et le thymome.Le GAD est une enzyme présente au niveau du systèmenerveux central pour réguler la synthèse de l'acide gamma-amino-butyrique (GABA) à partir de l'acide glutamique.Elle y est représentée sous 2 isoformes : GAD 65Dalton,principalement dans les vésicules synaptiques, qui a uneconformation plus souple que l'isoforme 67Dalton (présentedans le cytoplasme) avec d'avantages de sites de liaisonaux co-facteurs [2]. Elle est présente également dansles cellules b pancréatiques, ce qui explique souvent unepositivité faible d'anticorps anti-GAD chez les patientsdiabétiques.Les symptômes liés à la présence pathologique des anticorpsanti-GAD sont très nombreux. Le plus fréquent est le syn-drome de l'homme raide. Décrit pour la première fois en1956, les critères proposés initialement en 1966 ont évoluésavec l'identification des anticorps en 1988 (Tableau 1) [3], puisont été complétés en 1998 en intégrant des variantes du syn-drome : présentation plus fruste localisée aux membres infé-rieurs ou présentation encéphalitique. Le sex-ratio est de 2/1 etla maladie survient en général dans la 4e ou 5e décennie. Lesanticorps ont une sensibilité de 60 % à 90 % dans le sérum, etde 85 % dans le LCR. La présence de bandes oligoclonales estretrouvée chez 30 à 60 % des patients [4].Le deuxième mode de révélation classique est une ataxiecérébelleuse, qui touche principalement les femmes, avecun âge de début le plus souvent vers 50 ans. Le taux desanticorps est aussi élevé que celui du syndrome de l'hommeraide, mais avec un épitope spécifique des cellules de Pur-kinje. Le tableau clinique peut associer à la fois le syndrome dela personne raide et l'ataxie cérébelleuse.Enfin, d'autres symptômes sont associés à la présence d'untaux d'anticorps anti-GAD significatifs tels que l'épilepsie

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pharmacorésistante, les troubles oculaires et les troubles psy-chiatriques [3].La physiopathologie, notamment la pathogénicité des anti-corps anti-GAD, est étudiée depuis une dizaine d'années.Le taux beaucoup plus élevé dans les maladies neurologi-ques que le diabète, et la sécrétion intrathécale des anti-corps anti-GAD témoignent d'une réelle association. Desétudes in vitro et in vivo chez les rongeurs montrent égale-ment que l'injection de sérum de patient inhibe de manièredose dépendante l'activité de synthèse GABA. Une étuderécente in vivo chez l'Homme a montré une réduction signi-ficative d'activité GABA au niveau cérébelleux chez lespatients avec tableau d'ataxie cérébelleuse et des anticorpsanti-GAD [5]. La diversité des symptômes associée auxanticorps anti-GAD pourrait être expliquée par la reconnais-sance d'épitopes différents [2].

Déclaration d'intérêtsLes auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relationavec cet article.

RÉFÉRENCES

[1] Dalakas MC. The role of IVIg in the treatment of patients with stiffperson syndrome and other neurological diseases associated withanti-GAD antibodies. J Neurol 2005;252(S1):i19–25.

[2] Ali F, Rowley M, Jayakrishnan B, Teuber S, Gershwin ME,Mackay IR. Stiff-person syndrome (SPS) and anti-GAD-relatedCNS degenerations: Protean additions to the autoimmune centralneuropathies. J Autoimmun 2011;37(2):79–87.

[3] Hijazi J, Bedat-Millet A-L, Hannequin D. Le syndrome del'homme raide et autres maladies neurologiques associées auxanticorps anti-GAD. Rev Med Intern 2010;31(1):23–8.

[4] Honnorat J, Saiz A, Giometto B, Vincent A, Brieva L, deAndres C, et al. Cerebellar ataxia with anti-glutamic acid decar-boxylase antibodies: study of 14 patients. Arch Neurol 2001;58(2):225–30.

[5] Hosoi Y, Suzuki-SakaoM, Terada T, Konishi T, Ouchi Y, MiyajimaH, et al. GABA-A receptor impairment in cerebellar ataxia withanti-glutamic acid decarboxylase antibodies. J Neurol 2013;260(12):3086–92.