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Université de Genève Faculté des Lettres Département de linguistique juin 2004 Zrinka Simunic Une approche modulaire des stratégies discursives du journalisme politique Thèse de Doctorat sous la direction du Professeur Eddy Roulet Membres du jury : Eddy Roulet, Université de Genève Directeur de thèse Emilio Manzotti, Université de Genève Président du jury Jean-Michel Adam, Université de Lausanne Membre du jury Corinne Rossari, Université de Fribourg Membre du jury Laurent Filliettaz, Université de Genève Membre du jury

Une approche modulaire des stratégies discursives du ... · Université de Genève Faculté des Lettres Département de linguistique juin 2004 Zrinka Simunic Une approche modulaire

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Université de Genève Faculté des Lettres Département de linguistique juin 2004

Zrinka Simunic

Une approche modulaire des stratégies discursives du journalisme politique

Thèse de Doctorat sous la direction du Professeur Eddy Roulet

Membres du jury: Eddy Roulet, Université de Genève Directeur de thèse Emilio Manzotti, Université de Genève Président du jury Jean-Michel Adam, Université de Lausanne Membre du jury Corinne Rossari, Université de Fribourg Membre du jury Laurent Filliettaz, Université de Genève Membre du jury

Une approche modulaire des stratégies discursives du journalisme politique

© 2004 Zrinka Simunic 1

Une approche modulaire des stratégies discursives

du journalisme politique

(Analyse d’un corpus d’articles de presse portant sur la signature du traité de paix pour la Bosnie-Herzégovine

publiés dans quatre quotidiens suisses romands)

Une approche modulaire des stratégies discursives du journalisme politique

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Table des matières Avant-propos ……………………………………………… 7 Introduction ……………………………………………… 9

Chapitre 1 1. Définition et caractérisation des stratégies discursives ………….. 15

1.1. La stratégie : science ou art de l’action humaine finalisée,

volontaire et difficile ………………………………………. 15

1.2. Panorama des principales définitions et classements des stratégies discursives ………………………………... 16

1.2.1. L’activité verbale et le contexte: les stratégies discursives dans l’approche interprétative sociolinguistique de John J. Gumperz …………... 17

1.2.2. La hiérarchie des buts et des moyens: la notion de stratégie dans le modèle d’analyse de l’action proposé par Pierre Bange ………………………….. 21

1.2.3. Les potentialités argumentatives: la notion de stratégie discursive dans la pragmatique « intégrée » de Oswald Ducrot & Jean-Claude Anscombre ………………………...... 28

1.2.4. La complexité des pratiques discursives: la notion de stratégie discursive dans l’approche textuelle et pragmatique de Jean-Michel Adam …... 32

1.2.5. L’espace d’indécidabilité dans la construction du sens social: la notion de stratégie discursive dans l’approche sémio-discursive de Patrick Charaudeau …………………………... 35

1.2.6. La lutte pour la définition de la situation : la notion de stratégie discursive dans l’approche communicationnelle de Uli Windisch …………... 41

1.2.7. A propos des divergences entre les définitions proposées ………………………………………....... 48

1.3. La notion de stratégie dans la première version

du modèle genevois ………………………………………. 54

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1.3.1. Un modèle de « l’articulation du discours » ………... 54 1.3.2. La conception intentionnelle des stratégies

d’interaction ………………………………………... 56 1.3.3. La conception formelle des stratégies

conversationnelles et interprétatives ………………… 58

1.4. La notion de stratégie discursive dans un modèle d’analyse de l’organisation du discours de type modulaire 62

1.4.1. L’aspect difficile des activités discursives: la description de la dimension interactionnelle …. 65

1.4.2. L’aspect finalisé des activités discursives: la description de la dimension référentielle …………. 67

1.4.3. L’aspect volontaire des activités discursives: les interrelations entre les dimensions référentielle et hiérarchique textuelle ………….. 70

1.4.4. L’organisation opérationnelle: des actes discursifs aux opérations discursives …………... 71

1.4.5. L’organisation stratégique: des opérations discursives aux stratégies discursives …………... 72

Chapitre 2 2. Un inventaire d’informations d’origine modulaire préalable à la description des stratégies discursives du journalisme politique 75

2.1. Les informations relevant de la dimension interactionnelle 76

2.1.1. Les propriétés matérielles de l’interaction réunissant

une source d’information, une instance médiatique et une instance de réception …………………………. 80 2.1.1.1. L’occupation du canal ……………………………. 82 2.1.1.2. La situation matérielle des interactants …………… 82 2.1.1.3. Le nombre d’interactants ……………………. 83 2.1.1.4. La distance ou la co-présence spatiale

et temporelle entre les interactants …………… 83 2.1.1.5. Le lien d’interaction …………………………….. 85

2.1.2. La complexité du cadre interactionnel dans le cas de la communication médiatique …………………… 85 2.1.2.1. Le premier niveau d’interaction ……………. 87 2.1.2.2. Le deuxième niveau d’interaction ……………. 88 2.1.2.3. Le troisième niveau d’interaction ……………. 88

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2.1.3. L’impact du cadre interactionnel sur le choix des stratégies discursives ………………………….. 89 2.1.3.1. Contraintes externes à l’interaction entre

le journaliste et ses lecteurs ……………………. 89 2.1.3.2. Contraintes internes à l’interaction entre

le journaliste et ses lecteurs ……………………. 91 2.1.3.3. Les champs de liberté du journaliste

dans l’élaboration des stratégies discursives …... 93 2.1.3.4. Les liens entre le journalisme et la politique:

une définition fonctionnelle du journalisme politique 95

2.1.4. Une étude de cas ………………………………….. 96

2.2. Les informations relevant de la dimension référentielle 102

2.2.1. Les deux univers du discours ………………….. 102

2.2.1.1. L’univers dans lequel le discours s’inscrit: le journalisme en tant qu’activité sociale dans l’espace public …………………………….. 104

2.2.1.2. L’univers dont le discours parle: l’univers politique en tant que domaine scénique de l’instance médiatique …………………….. 106

2.2.1.3. L’articulation des deux univers du discours et la problématique des genres journalistiques …… 108

2.2.2. Le cadre actionnel …………………………………... 110 2.2.3. Représentations et structures conceptuelles …………... 113

2.2.3.1. Représentations conceptuelles génériques …… 114 2.2.3.2. Représentations et structures conceptuelles

de l’univers dans lequel le discours s’inscrit …… 114 2.2.3.3. Représentations et structures conceptuelles

de l’univers dont le discours parle ……………. 118

2.2.4. Représentations et structures praxéologiques …… 122 2.2.4.1. Représentations praxéologiques décontextualisées 122 2.2.4.2. Représentations et structures praxéologiques

de l’univers dans lequel le discours s’inscrit …... 124 2.2.4.3. Représentations et structures praxéologiques

de l’univers dont le discours parle ……………. 130

2.3. Les informations relevant de la dimension hiérarchique textuelle ………………………………... 133

2.3.1. Les interrelations entre les structures hiérarchique,

référentielle et syntaxique …………………………... 133 2.3.1.1. Le caractère dialogique des structures textuelles 135

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2.3.1.2. Le caractère dynamique des structures textuelles 141 2.3.1.3. L’acte textuel et la proposition maximale …… 144

2.3.2. L’établissement de la structure hiérarchique …… 146 2.3.2.1. La segmentation du texte en actes: un préalable

à l’analyse de sa structure hiérarchique …… 146 2.3.2.2. Le schéma de la macro-structure hiérarchique …… 149 2.3.2.3. La structure hiérarchique interne des interventions

constitutives d’un texte journalistique ……………. 151

2.4. Les informations relevant de la dimension syntaxique 156

2.4.1. La discontinuité entre les structures syntaxique et textuelle …………………………………………... 157

2.4.2. Les constructions syntaxiques caractéristiques du discours journalistique …………………………... 160

2.4.3. Les marques syntaxiques des buts et des visées communicationnelles …………………………... 163 2.4.3.1. L’emploi des formes verbales : « temps narratifs »

et « temps commentatifs » (Weinrich 1964) …… 164 2.4.3.2. Les constructions détachées …………………….. 169 2.4.3.3. Le discours représenté …………………….. 171

2.5. Les informations relevant de la dimension lexicale …... 175

2.5.1. Les marqueurs anaphoriques ………………....... 176 2.5.2. Connecteurs, opérateurs argumentatifs

et autres marqueurs de relations textuelles …………... 178 2.5.3. Les modalités …………………………………... 179 2.5.4. Le vocabulaire axiologique marqué péjorant

ou méliorant …………………………………………... 181

Chapitre 3 3. Des actes discursifs aux opérations discursives ………………… 183

3.1. Le couplage d’informations modulaires d’ordres textuel et praxéologique relevant du niveau opérationnel …... 191

3.1.1. Les informations relatives à la définition

des unités textuelles minimales et intermédiaires …… 191 3.1.2. Les informations relatives à la définition des unités

praxéologiques minimales et intermédiaires …… 192 3.1.3. Les informations relevant du cadre actionnel …… 193

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3.1.4. Les interrelations entre les unités textuelles et praxéologiques …………………………………... 194

3.1.5. Quelques principes de couplage spécifiques à la forme d’organisation opérationnelle …………... 208

3.2. Analyse des unités opérationnelles …………………. 212

3.2.1. Acte discursif: unité minimale de l’organisation opérationnelle …………………... 214

3.2.2. Opération discursive de portée locale: unité opérationnelle intermédiaire …………………... 218

3.2.3. Opération discursive de portée globale: unité opérationnelle maximale …………………... 223

3.3. Analyse des relations entre les constituants de la structure opérationnelle ………………………… 227

3.3.1. Les relations praxéologiques …………………... 228 3.3.2. Les relations textuelles …………………………... 233 3.3.3. Les combinaisons des relations du discours

praxéologiques et textuelles: vers une analyse dynamique des processus opérationnels …………... 241

3.4. L’apport de l’analyse des structures opérationnelles à la description de l’organisation d’un texte ………….. 252

Chapitre 4 4. Des opérations discursives aux stratégies discursives ………….. 255

4.1. Une analyse descriptive des stratégies discursives

propres à un type discursif (journalisme politique) …... 257

4.1.1. Les formes d’organisation impliquées dans une description enrichie des processus opérationnels 258 4.1.1.1. Les interrelations entre les buts

communicationnels des unités discursives et les structures informationnelle et topicale …… 258

4.1.1.2. Les interrelations entre les buts communicationnels des unités discursives et les structures énonciative et polyphonique …… 267

4.1.1.3. Les interrelations entre les buts communicationnels des unités discursives et les structures séquentielle et compositionnelle 276

4.1.2. Les informations modulaires relatives à la définition

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des unités textuelles et praxéologiques maximales …… 285

4.1.3. Les formes d’organisation impliquées dans l’analyse de la visée communicationnelle globale du discours médiatico-politique …………... 292 4.1.3.1. Les interrelations entre les visées

communicationnelles du discours du journalisme politique et sa structure topicale …... 293

4.1.3.2. Les interrelations entre les visées communicationnelles du discours du journalisme politique et sa structure polyphonique 298

4.1.3.3. Les interrelations entre les visées communicationnelles du discours du journalisme politique et sa structure compositionnelle …… 300

4.1.3.4. Les interrelations entre la visée communicationnelle et l’organisation stratégique 304

4.2. Une analyse comparative des stratégies discursives

propres à un genre discursif (presse ordinaire) ………….. 307

4.2.1. Les stratégies d’information …………………... 308 4.2.1.1. Le nombre et la diversité des informations

sélectionnées ……………………………... 308 4.2.1.2. La hiérarchisation des informations sélectionnées 312 4.2.1.3. Le traitement de l’information …………………….. 316

4.2.2. Les stratégies explicatives …………………………... 327 4.2.3. Les stratégies de captation …………………………... 334 4.2.4. Les stratégies argumentatives …………………... 339

Conclusion …………………………………………………. 353 Références bibliographiques ……………………………... 359 Annexes ………………………………………………………... 377 Annexe 1 ………………………………………………………………….. 379 Annexe 2 ………………………………………………………………….. 380 Annexe 3 ………………………………………………………………….. 381 Annexe 4 ………………………………………………………………….. 382 Annexe 5 ………………………………………………………………….. 383 Annexe 6 ………………………………………………………………….. 385 Annexe 7 ………………………………………………………………….. 387 Annexe 8 ………………………………………………………………….. 389 Annexe 9: Corpus étudié ………………………………………………….. 391 Annexe 10: Illustrations (documents originaux) …………………………... 405

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Avant-propos

Toute ma reconnaissance va au professeur Eddy Roulet, directeur de ma thèse,

dont les conseils, les encouragements et les observations stimulantes ont permis

le bon déroulement de cette recherche. Sans son aide et sa patience, elle n’aurait

pas pu aboutir.

J’adresse mes remerciements sincères au professeur Emilio Manzotti, président

du jury, et aux professeurs qui ont accepté d’être les membres du jury, Jean-

Michel Adam, de l’Université de Lausanne, Corinne Rossari, de l’Université de

Fribourg, et Laurent Filliettaz, de l’Université de Genève.

J’exprime ma gratitude envers les personnes et institutions qui m’ont permis

d’entreprendre cette recherche: l’Ambassade de Suisse en Bosnie-Herzégovine,

le Département de Linguistique de la Faculté des Lettres de l’Université de

Genève et à la Commission fédérale des bourses pour étudiants étrangers de la

Confédération suisse. Grâce à leur soutien, j’ai pu suivre la formation souhaitée

dans le cadre du DEA de Linguistique pendant l’année scolaire 1999/2000. Je

tiens à remercier les professeurs et les enseignants dont les conceptions et

modèles théoriques alimentent depuis mes réflexions, Eddy Roulet, Jacques

Moeschler, Uli Windisch, Antoine Auchlin, Corinne Rossari et Laurent Perrin.

Enfin, un grand merci à mes parents, à l’ensemble de mes amis et des membres

de ma famille, sans le soutien desquels la rédaction de ce travail n’aurait pas été

possible.

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Introduction

Ce travail de recherche est issu d’un double questionnement. Il s’agit d’abord d’un questionnement sur l’apport de l’analyse du discours à l’étude d’un type de discours qui relève du champ interdisciplinaire des sciences de l’information et de la communication. En effet, l’analyse du discours médiatico-politique s’opère d’habitude dans le cadre d’approches sociologiques (Wolton 1989, Lazar 1991, Charron 1995, Champagne 1995), communicationnelles (Windisch 1987, 1999, Lorimer 1994, Bougnoux 1995, Breton 1995, 1996) ou encore éthiques (Béguin 1987, Cornu 1994, 1997, Hermann & Chomsky 2003), qui s’intéressent principalement au rôle des médias dans la société, à leur influence sur l’opinion publique ou à leurs responsabilités envers les autres acteurs de la communication et de l’argumentation politiques. Adopter une approche sociolinguistique ou discursive de la complexité de ce type de discours ou de l’un de ses genres (Van Dijk 1985, Véron 1988, Adam 1997, 1999, Charaudeau 1997, 2001, Fairclough 1998, Maingueneau 2002, Roulet 2002), permet en revanche de centrer l’analyse sur le produit discursif lui-même et sur les spécificités de son organisation. Si l’on compare les deux types d’approches, on peut constater, au-delà de leurs divergences, une certaine complémentarité, dans la mesure où les premières ne peuvent pas se passer de l’analyse des langages médiatiques, ne serait-ce que sous la forme rudimentaire de l’analyse du contenu et de l’analyse du discours « proprement dit », tandis que les secondes ne peuvent faire l’abstraction ni du contexte socio-politique dans lequel sont produits et circulent les textes de presse ni de la spécificité de la situation d’interaction reliant les « acteurs de la communication politique » (Wolton 1989) et, plus particulièrement, le journaliste et ses lecteurs, tant ces différentes dimensions sont constitutives du produit discursif lui-même et de ses multiples significations.

Le deuxième type de questionnement est relatif aux avantages que l’analyse du discours peut tirer de l’ouverture vers d’autres disciplines qu’implique une description approfondie de phénomènes discursifs complexes. La prise en considération systématique du contexte et de la spécificité de la situation d’interaction devrait lui permettre de rendre compte de la complexité des productions discursives et de la manière dont leurs différentes dimensions participent à « la construction du sens social » (Charaudeau 1997) d’un type et d’un genre de discours. Une telle ouverture n’est cependant envisageable que dans le cadre d’un modèle d’analyse global, qui permet d’intégrer ces différentes dimensions et de décrire leurs interrelations. Le modèle genevois d’analyse du discours de type modulaire, dont la récente version (Roulet 1999, 2000, 2001, 2002, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001) constitue le cadre théorique de ce travail de recherche, répond entièrement à cette exigence. Il s’agit d’un modèle global, disposant d’un instrument d’analyse sophistiqué, qui « permet d’intégrer et d’articuler les dimensions linguistique, textuelle et situationnelle de l’organisation du discours » (Roulet 2001).

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Le choix du cadre théorique, qui repose sur l’approche modulaire,

implique une certaine méthodologie de travail. Les principes méthodologiques de la linguistique modulaire sont résumés de manière très concise par Nølke (1994): « Une approche modulaire est tout banalement une approche qui a recours à un modèle théorique contenant un certain nombre de sous-systèmes autonomes appelés modules, où chaque module est chargé du traitement d’une problématique restreinte. Un module peut être conçu comme constituant une théorie partielle – ou une mini-théorie – comportant un système de règles (locales) avec un domaine d’application spécifié. Les différents modules sont ensuite liés entre eux à l’aide d’un système de règles globales, appelons-les les métarègles du système. Pour faire partie du système, chaque module doit être lié à au moins un autre module par les métarègles » (1994: 11). Selon Nølke, l’idée centrale qui sous-tend toute approche modulaire est qu’il ne faut jamais perdre de vue la conception globale de ce qu’on fait. « Il s’agit d’une approche qui prend au sérieux le fait que toute démarche analytique, qui par définition progresse en décomposant son objet, doit être suivie d’une démarche synthétique. Ainsi, d’une part, le modèle théorique doit permettre l’élaboration de mini-théories se restreignant à des domaines limités. On aboutira de la sorte à une grande précision dans les analyses de détail. Mais d’autre part, le modèle doit fournir également un cadre général pour l’intégration de ces mini-théories, qui fonctionneront ainsi comme modules dans un système organique. De cette manière, on gardera la conception globale si importante pour la compréhension des faits étudiés » (id. 270).

La conception méthodologique de la modularité sur laquelle repose le modèle genevois vise à intégrer dans une approche unifiée de la complexité de l’organisation du discours les acquis, venant d’horizons différents, des recherches très approfondies, mais centrées sur des aspects isolés de cette organisation et menées dans des cadres théoriques souvent incompatibles. L’approche modulaire de l’organisation du discours, qui s’inspire de la théorie des systèmes complexes proposée par Simon (1962), consiste à décomposer le discours en des systèmes d’informations simples ou modules et à rendre compte du fonctionnement de celui-ci, en combinant des informations fournies par les différents modules. Partant de l’hypothèse, partagée avec Charaudeau (1989), selon laquelle « la construction et l’interprétation du discours sont soumises à trois types de contraintes: des contraintes situationnelles, liées à l’univers de référence et à la situation d’interaction; des contraintes linguistiques, liées à la syntaxe et au lexique de la (ou des) variété(s) de langue(s) utilisée(s); et des contraintes textuelles, liées à la structure hiérarchique du texte », le modèle genevois aboutit à un dispositif de cinq modules, définissant cinq types d’informations de base qui peuvent être décrites de manière indépendante: les modules interactionnel et référentiel (qui relèvent de la composante situationnelle), le module hiérarchique (qui relève de la composante textuelle) et les modules syntaxique et lexical (qui relèvent de la composante linguistique) (Roulet 2001b: 51). Le module textuel ou hiérarchique occupe, avec les modules syntaxique et référentiel, la place centrale dans une analyse du discours de type modulaire. « Le système proposé permet de

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formuler des combinaisons entre les informations issues de tous les modules, mais il attribue une place centrale aux modules syntaxique, hiérarchique et référentiel. Ce sont eux qui déterminent les structures portantes du discours et qui rendent compte de la possibilité de produire une infinité respectivement de phrases, de textes et de représentations du monde » (Roulet 1999: 31). Les structures portantes constituent une sorte de noyau ou de squelette autour duquel se combine et s’organise l’ensemble des formes d’organisation élémentaires (phono-prosodique, sémantique, opérationnelle, relationnelle, séquentielle, informationnelle, énonciative) et complexes (compositionnelle, périodique, topicale, polyphonique et stratégique). L’architecture du modèle est « hétérarchique, ce qui signifie qu’elle autorise des couplages entre tous les modules et formes d’organisation » (Roulet 2001a: 43).

Chaque type de discours représente une combinaison spécifique d’informations d’origines diverses (modulaires et/ou issues des formes d’organisation). Notre travail de recherche est centré sur les combinaisons d’informations propres au discours du journalisme politique.

Le choix de l’objet de recherche – les stratégies discursives du journalisme politique – est lié au cadre théorique adopté, et plus spécifiquement au caractère intégrateur du modèle genevois. Le modèle genevois constituant non seulement un instrument sophistiqué d’une analyse du discours très fine, mais également un cadre théorique qui s’appuie sur une approche cognitive interactionniste des productions discursives effectives, la description des combinaisons d’informations spécifiques au discours du journalisme politique n’est qu’un préalable à l’analyse des stratégies discursives, catégorie discursive complexe qui ne se réduit pas au seul produit discursif, mais permet de penser ensemble le texte de presse, l’instance de production et l’instance de réception.

Les stratégies discursives feront l’objet d’une analyse descriptive, centrée sur un type discursif, et d’une analyse comparative, centrée sur les « variations stratégiques » propres à un genre discursif (Véron 1988). « La notion de stratégie doit nous permettre de cerner dans un secteur donné du réseau des médias, les variations, dues à la concurrence, entre plusieurs représentants d’un même genre. La presse écrite fournit des exemples éclatants de ce type de situation et est par conséquent un domaine privilégié pour l’étude des variations stratégiques » (1988: 14-15). Ce travail de recherche poursuit un double objectif. Il vise la description des stratégies discursives du journalisme politique dans une perspective modulariste, en insistant sur les interrelations entre les composantes situationnelle et textuelle des productions discursives effectives. Il essaie en même temps de « rentabiliser le caractère intégrateur du modèle » (Traverso 2002), en le mettant à l’épreuve d’une catégorie discursive complexe, qui mobilise un grand nombre d’informations de nature diverse, et de l’hétérogénéité profonde des configurations discursives des produits médiatiques, qui résultent de « multiples négociations » et sont « traversées par les stratégies des différents acteurs qui interviennent en production » (Véron 1995).

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La réalisation de ces objectifs globaux, répondant à nos questionnements de départ, passe par la réalisation d’objectifs spécifiques, propres à chacune des étapes de cette recherche:

- définir et caractériser les stratégies discursives dans une perspective modulariste, en tenant compte des résultats des recherches actuelles en la matière;

- répertorier les informations modulaires pertinentes pour l’analyse des stratégies discursives caractéristiques du type discursif étudié;

- décrire les combinaisons d’informations qui interviennent dans l’analyse du niveau opérationnel de l’interaction médiatique et

- décrire les combinaisons d’informations qui interviennent dans l’analyse du niveau stratégique de l’interaction médiatique et des variations stratégiques au sein du genre discursif étudié.

En vue de la réalisation des objectifs fixés, nous avons constitué un corpus d’articles de presse publiés aux mois de novembre et de décembre 1995 par quatre quotidiens suisses romands (Tribune de Genève, Journal de Genève et Gazette de Lausanne, Le Nouveau Quotidien et Le Courrier). Les articles de presse sélectionnés portent sur le même événement politique – les négociations de paix sur la Bosnie-Herzégovine qui ont été couronnées par la conclusion, le 21 novembre à Dayton, et la signature, le 14 décembre à Paris, du traité de paix. Dans l’analyse de ce corpus qui réunit un nombre important de textes, nous nous sommes concentrée sur les articles de presse correspondant au sommet informatif dans la construction de l’événement (les articles publiés les 21, 22 et 23 novembre et les 14 et 15 décembre). Ce corpus présente les invariants: le moment de communication (les 21, 22, 23 novembre et les 14 et 15 décembre 1995), le thème (la signature des accords de Dayton-Paris) et le média (presse écrite), ainsi que les variables – les interactants (quatre quotidiens différents qui s’adressent à des publics différents) et le type d’articles (articles à visée informative et articles à visée explicative).

Ce qui a motivé notre choix, c’est l’importance du « moment discursif » (Moirand 1999) marqué par un nombre élevé de textes et par une variétés de « genres de la presse écrite » (Adam 1997), ainsi que l’intérêt de l’événement politique lui-même, qui restera inscrit non seulement dans l’histoire des peuples de l’ex-Yougoslavie mais aussi dans celle de la gestion internationale de la crise yougoslave. Dans la mesure où l’univers représenté dans le discours est indissociable des structures textuelles – dans une approche du discours intégrant les composantes situationnelle, textuelle et linguistique – il convient de rappeler brièvement l’événement historique qui fait l’objet des textes analysés. La présentation qui suit s’appuie sur les articles « Crise de Yougoslavie » (Stark 2000) et « Opérations de maintien et d’imposition de la paix » (Vœlckel 2000) du Dictionnaire de Stratégie (De Montbrial & Klein (éds) 2000).

Le démantèlement de l’ex-Yougoslavie, suite à l’effondrement du système communiste en Europe de l’Est, constitue l’événement historique majeur de la fin du vingtième siècle. Le bilan tragique du cycle de guerres meurtrier qui s’est déroulé entre 1991 et 1999 en plein cœur de l’Europe s’élève à plusieurs

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centaines de milliers de morts, des millions de réfugiés, des centaines de villes et de villages détruits. Les accords de Dayon-Paris ont marqué la fin de la guerre la plus longue et la plus violente des quatre guerres successives qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie tout au long des années 1990: en Slovénie (juin 1991), en Croatie (juillet-décembre 1991, puis mai-août 1995), en Bosnie-Herzégovine (avril 1992 – août 1995) et au Kosovo (à partir de mai 1998).

Toutes les organisations internationales de sécurité européenne se sont, à un moment ou à un autre, impliquées dans la gestion du conflit yougoslave, mais il a fallu attendre la formation du Groupe de contact (chargé de la gestion internationale du conflit en Bosnie-Herzégovine) pour voir aboutir les pourparlers.

Durant la première phase de la gestion internationale du conflit (juillet-décembre 1991), la Communauté européenne est entrée en scène en tant que médiateur. Son action était cependant vouée à l’échec en raison de l’absence du consensus sur la reconnaissance de l’indépendance des républiques slovène et croate, voulue et imposée par l’Allemagne contre l’avis de ses partenaires. Après l’échec des Douze à imposer la paix et à la demande expresse de Belgrade, la gestion du conflit a été confiée au Conseil de sécurité des Nations Unies.

Tentant en vain d’imposer une solution négociée, l’ONU s’est contentée, durant la deuxième phase de la guerre (janvier 1992-avril 1994), d’envoyer des « casques bleus » chargés de superviser une politique dite humanitaire. Celle-ci a permis de sauver plusieurs dizaines de milliers de vies humaines, mais n’a pas réussi à mettre un terme au conflit lui-même. Peu à peu, la FORPRONU, créée pour une opération de maintien de la paix a vu, au fil des résolutions du Conseil de sécurité, ses missions s’élargir et se compliquer et son action évoluer vers une opération d’imposition de la paix impliquant l’usage de la force. Cependant, les moyens de la Force de protection de l’ONU n’étaient pas adaptés à ses nouvelles missions.

L’échec des différents plans de paix et la poursuite des combats ont entraîné, en avril 1994, la constitution du Groupe de contact (composé de l’Allemagne, des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie), qui a élaboré un cessez-le-feu, signé en septembre 1995 à Genève. Celui-ci fut à l’origine des accords conclus à Dayton le 21 novembre, et signé à Paris, le 14 décembre 1995, qui ont mis un terme au conflit en Bosnie-Herzégovine. Avec les accords de Dayton, c’est la troisième phase de la gestion internationale du conflit qui prend fin. Après quatre années de présence en Bosnie-Herzégovine, la Force de protection des Nations Unies, commandée par un général français, a cédé la place à la Force de mise en application de l’accord de paix (IFOR) - puis la Force de stabilisation de la paix (SFOR) - sous le commandement de l’OTAN et dirigée par un général américain. La nouvelle force a obtenu un mandat beaucoup plus large, afin de pouvoir contrôler de manière plus efficace le respect du cessez-le-feu et la mise en œuvre du volet militaire de l’accord de paix.

L’accord conclu sur la base militaire américaine de l’Ohio, à Dayton, le 21 novembre, et signé à Paris, le 14 décembre 1995, a ainsi marqué un tournant dans la politique de la communauté internationale. La pax americana, qui a mis fin à

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une guerre sanglante, a suscité des réactions diverses et contradictoires de la part des journalistes, concernant les dispositions de l’accord signé et le rôle des principaux protagonistes des négociations de paix.

Compte tenu de l’approche que nous avons adoptée, cette recherche ne s’intéresse ni à construction d’un événement médiatico-politique particulier (Véron 1981), ni à la manière dont cet événement a été présenté par un certain nombre de médias dans le contexte politique suisse (Windisch 1996), ni aux « fonctions idéologiques » (Van Dijk 1995) du discours du journalisme politique, ni à ses mécanismes de propagande (Herman & Chomsky 2003), ni au décalage entre la réalité et le reflet plus ou moins déformant de cette réalité dans le miroir médiatique (Charaudeau 1997, 2001).

Nous pouvons, bien sûr, constater que chaque instance médiatique a éclairé l’événement sous un angle particulier, tandis que la juxtaposition de ces analyses partielles et nécessairement partiales et des stratégies discursives déployées par l’ensemble des quotidiens analysés ont fini par démasquer la mise en scène politique de la signature des accords de Dayton-Paris et par rendre transparentes les dimensions essentielles et la signification réelle de cet événement: les contradictions et les faiblesses dans la gestion internationale de la crise yougoslave (1), l’importance du traité de paix qui a mis fin à la guerre (2), mais qui représente en même temps une reconnaissance indirecte de l’acquisition du territoire par la force (3). Il convient toutefois de préciser que, pour nous, le discours du journalisme politique, tel qu’il est pratiqué dans la presse écrite quotidienne, et l’événement médiatico-politique en question, représentent avant tout des prétextes à une étude systématique des interrelations complexes entre les dimensions référentielle et textuelle du discours, et plus particulièrement des interrelations entre les structures textuelles et les structures conceptuelle et praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit et de l’univers représenté dans le discours (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001).

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Chapitre 1 1. Définition et caractérisation des stratégies discursives

Le premier obstacle auquel on se heurte, si on essaie de définir la notion de stratégie discursive, c’est le concept même de stratégie. Autant ce concept nous paraît évident et familier, autant il est devenu – à force d’être utilisé dans différentes sphères de l’action humaine – quelque peu vague et imprécis.

Du point de vue de son étymologie, le mot « stratégie » est issu du grec stratêgos « chef d’armée ». Le verbe stratêgein, qui signifie « commander une armée » a donné stratâgêma « manœuvre de guerre », d’où le latin stratagema « ruse » et en particulier « ruse de guerre », dont dérive aussi le mot « stratagème ». Selon le Dictionnaire de stratégie, la ruse n’étant qu’un aspect de la stratégie, le terme de « stratégie » s’est substitué, en fait, à l’ancienne expression d’ « art de la guerre » (De Montbrial & Klein 2000: 531). Depuis les premiers écrits stratégiques, qui datent du Ve et IVe s. avant notre ère, jusqu’à nos jours, la pensée stratégique a privilégié l’art militaire et son lien avec la politique. Même si certains auteurs considèrent toujours qu’il n’y a de stratégie que militaire et donc dans le cadre de la guerre, nombreux sont ceux qui essaient de transposer les concepts stratégiques élaborés dans le cadre du politico-militaire à des domaines d’action différents. 1.1. La stratégie: science ou art de l’action humaine finalisée, volontaire et difficile

Ainsi, selon la définition proposée dans le même ouvrage, « la stratégie est la science (si l’on choisit de mettre l’accent sur le savoir ou sur la méthode) ou l’art (si l’on privilégie l’expérience) de l’action humaine finalisée, volontaire et difficile » (id. 527). La stratégie est au cœur de la praxéologie, ou science de l’action. Néanmoins, précisent ses auteurs, la majeure partie des actions humaines – dont beaucoup de celles qu’étudient les physiologistes ou les sociologues – ne ressortissent pas à la stratégie, car elles ne satisfont pas à l’un au moins des critères précédents. « La stratégie, insistent-ils, ne s’occupe que de l’action humaine finalisée, volontaire et difficile: finalisée, c’est-à-dire tendue vers des objectifs ou des buts identifiés avec précision; volontaire, c’est-à-dire que la volonté (qui est liée à la durée) de l’unité agissante représente une condition fondamentale pour la réalisation de l’objectif; difficile, c’est-à-dire que cette réalisation demande des efforts substantiels et donc prolongés pour surmonter des obstacles comprenant généralement des adversaires pourvus de stratégies antagonistes, obstacles assez élevés pour entretenir l’incertitude, au moins pendant un certain temps, sur l’issue de l’épreuve » (ibid.).

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La première question que nous nous posons à propos de cette définition concerne, bien sûr, la possibilité de son application dans le domaine de l’analyse du discours. Des activités discursives qui relèveraient de la stratégie devraient satisfaire à ces trois critères définitoires. Sinon, parler de « stratégie » ne représenterait, selon l’expression même de ses auteurs, qu’un « abus du langage » et un emploi « fantaisiste et approximatif » du terme.

Les activités discursives relèvent de la stratégie à différents titres: elles participent à la conception et à l’élaboration de stratégies diverses, contribuent à leur mise en œuvre ou permettent leur description et l’évaluation de leur efficacité. Ces raisons ne justifient pas pour autant l’analyse de ces activités en termes de stratégies discursives. Dans les deux premiers cas, les activités verbales sont au service de stratégies qui ne sont pas nécessairement discursives, dans le troisième, les stratégies déployées font l’objet de l’activité discursive. Le terme de stratégie discursive n’est justifié que si les activités discursives sont tendues vers la réalisation de leurs objectifs propres, qui acquièrent, dans certaines situations, une importance stratégique. A la différence des activités qui relèvent « automatiquement » de la stratégie, telles les activités militaires, politiques ou économiques, les activités verbales sont spécifiques dans la mesure où l’ensemble (ou la plus grande partie) des moyens déployés dans le cadre de la mise en œuvre d’une stratégie discursive sont des moyens linguistiques.

Avant de proposer une définition des stratégies discursives qui mettrait en évidence le caractère finalisé, volontaire et difficile de certaines activités langagières, dans une perspective modulariste, nous passerons en revue les principales définitions et classements élaborés dans des cadres théoriques proches du modèle genevois. Le panorama qui suit ne vise nullement l’exhaustivité, mais devrait permettre, d’une part, de saisir la complexité des stratégies discursives en général et des stratégies discursives du journalisme politique en particulier et, d’autre part, d’envisager la possibilité de leur réexamen dans le cadre d’une approche intégratrice de phénomènes discursifs. 1.2. Panorama des principales définitions et classements des stratégies discursives Nous commencerons par la présentation des modèles d’analyse élaborés par John J. Gumperz (1982), qui examine les rapports entre l’activité verbale et le contexte ou la situation, et par Pierre Bange (1992), qui applique la conception hiérarchique de l’action à l’organisation de l’interaction verbale. Nous présenterons ensuite deux approches linguistiques des stratégies discursives. Celle développée par Oswald Ducrot (1980, 1984) et Jean-Claude Anscombre (1995) met en lumière le caractère dynamique du processus de mobilisation des ressources langagières et d’élaboration du sens des énoncés. L’approche de Jean-Michel Adam (1985, 1992) insiste sur l’importance des rapports entre les structures textuelles, telles la séquence narrative ou argumentative, et les activités, comme la narration ou l’argumentation.

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Nous finirons par présenter deux modèles qui s’intéressent à des stratégies discursives spécifiques, le modèle de Patrick Charaudeau (1997, 2001), qui analyse le discours d’information médiatique, et celui de Uli Windisch (1987, 1999), centré sur la communication et l’argumentation politiques. 1.2.1. L’activité verbale et le contexte: les stratégies discursives dans l’approche interprétative sociolinguistique de John J. Gumperz Pour John J. Gumperz (1982), la problématique des stratégies discursives relève des rapports entre la situation ou le contexte et l’activité verbale. A la conception classique de ces rapports, selon laquelle les comportements verbaux sont influencés par le contexte, ce sociolinguiste oppose une conception active: le contexte n’est pas une donnée matérielle, mais une production des acteurs eux-mêmes, une construction interprétative permettant à ceux-ci de définir la situation en vue de la réalisation de buts pratiques. L’idée que les activités et le contexte se conditionnent réciproquement constitue ainsi le point de départ de sa réflexion théorique. Il est influencé par les travaux des sociologues comme Harold Garfinkel, qui ont créé une nouvelle tradition dans l’analyse conversationnelle, s’intéressant principalement aux stratégies verbales de coordination entre le locuteur et le destinataire dans des interactions en face à face (1982: 4).

Dans l’introduction de son ouvrage intitulé Discourse strategies, Gumperz définit l’objet d’une théorie générale des stratégies discursives: « A general theory of discourse strategies must begin by specifying the linguistic and socio-cultural knowledge that needs to be shared if conversational involvement is to be maintained, and then go on to deal with what it is about the nature of conversational inference that makes for cultural, subcultural and situational specificity of interpretation » (1982: 3).

Selon l’approche interprétative sociolinguistique de Gumperz, une stratégie discursive efficace comporte trois éléments : la compétence communicative des interactants (communicative competence), le principe de cohérence stratégique (a principle of strategic consistency) et le processus d’interprétation reposant sur les inférences conversationnelles (conversational inference). La compétence communicative assure le choix de la bonne stratégie (meaningful strategy), c’est-à-dire de la stratégie « appropriée » dans une situation d’interaction spécifique :

The effectiveness of the strategies that speakers adopt in their efforts to create involvement and to cooperate in the joint development of specific themes depends on their control over a range of communicative options and on their knowledge of the signalling potential that these options have in alluding to shared history, values and mutual obligations. This means that the ability to use linguistic variables, to shift among locally current codes or styles, to select suitable phonetic variants, or prosodic or formulaic options, must form an integral part of a speaker’s communicative competence (1982: 206).

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Les activités verbales, souligne Gumperz, ne sont pas unilatérales, mais

s’inscrivent dans des échanges coordonnés de signes verbaux et non-verbaux entre les participants à une interaction. Pour se faire comprendre, le locuteur doit réussir à attirer et à maintenir l’attention de son interlocuteur. Il y parvient grâce non seulement à sa compétence linguistique, mais aussi et surtout grâce à sa compétence communicative. La compétence linguistique n’est qu’un élément de la compétence communicative. « Communicative competence can be defined in interactional terms as "the knowledge of linguistic and related communicative conventions that speakers must have to create and sustain conversational cooperation", and thus involves both grammar and contextualization » (1982: 209).

De même que la compétence communicative permet au locuteur de se faire comprendre, l’expérience communicative et interactive, qui ne peut non plus être réduite à la seule compétence linguistique, guide l’interlocuteur dans l’interprétation de la stratégie adoptée. Mais, précise Gumperz, ce qui sera interprété doit être d’abord créé au cours de l’interaction1. La tâche des interactants est d’exécuter des actions verbales et en même temps de les rendre interprétables en construisant un contexte dans lequel elles s’insèrent. C’est par un travail de « contextualisation », dit Gumperz, que les interactants se rendent l’un à l’autre interprétables les actions qu’ils accomplissent. La notion de contextualisation, qui est étroitement liée à la compétence communicative, occupe la place centrale dans la théorie de Gumperz2.

Le travail de contextualisation consiste dans la mise en place et l’interprétation de procédures à l’aide desquelles les participants construisent un contexte pour les énonciations. La construction du contexte consiste dans l’actualisation de schémas appartenant au savoir partagé, qui vont permettre d’interpréter les données situationnelles grâce à des « indices de contextualisation » (contextualization cues). Au cours de cette interprétation, nous utilisons, selon Gumperz, notre connaissance de la grammaire, du lexique et des conventions de contextualisation, aussi bien que toutes les informations que nous pouvons avoir sur la situation et les participants pour établir des buts de communications vraisemblables. A partir de là, nous construisons des prédictions pour identifier l’intention de communication que nous pensons sous-tendre les énonciations particulières. Tout énoncé pris en lui-même peut être compris de nombreuses manières et on interprète une énonciation donnée sur la base d’une 1 « What is to be interpreted must first be created through interaction, before interpretation can begin, and to that end speakers must enlist others’ cooperation and actively seek to create conversational involvement » (1982 : 206). 2 Il en propose la definition suivante : « The identification of specific conversational exchanges as representative of socio-culturally familiar activities is the process I have called « contextualization ». It is the process by which we evaluate message meaning and sequencing patterns in relation to aspects of the surface structure of the message, called « contextualization cues ». The linguistic basis for this matching procedure resides in « co-occurrence expectations », which are learned in the course of previous interactive experience and form part of our habitual and instinctive linguistic knowledge. Co-occurrence expectations enable us to associate styles of speaking with contextual presuppositions » (1982: 162).

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définition de ce qui se passe au moment de l’interaction, à partir d’une interprétation globale de la situation et de l’épisode social en cours, dans lequel l’énonciation en question prend place et sens. L’énonciation s’insère dans un type d’activité, « activity type » (Levinson 1978)3, et le sens d’un énoncé est évalué dans une procédure descendante à partir de ce qui l’englobe.

Les constellations de traits de surface dans la forme du message sont le moyen par lequel les locuteurs signalent et les récepteurs interprètent ce qu’est l’activité, comment le contenu sémantique doit être compris et comment chaque phase est en relation avec ce qui précède et ce qui suit. Pour Gumperz, l’interprétation des actions verbales repose toujours sur des présuppositions extralinguistiques en liaison avec le savoir linguistique (grammatical et lexical). Les aspects pertinents de la connaissance extralinguistique (reflétée dans les structures cognitives ou sociales qui existent indépendamment de la communication) peuvent être, dit Gumperz, signalés par des « indices de contextualisation » (id. 157) parmi lesquels la prosodie joue un rôle essentiel. Un indice de contextualisation est n’importe quel trait de la forme linguistique qui contribue à signaler les présuppositions contextuelles. Par exemple, un changement de code ou un changement dans la prosodie (hauteur de ton, vitesse, etc.) peuvent marquer un changement d’activité. Ces traits de surface que sont les indices de contextualisation n’ont pas une signification inhérente, ils sont au contraire utilisables pour une multitude de fonctions. Pour la plupart, ils sont utilisés et perçus de manière inconsciente.

C’est sur leur repérage que repose l’identification des stratégies discursives mises en œuvre, ainsi que leur évaluation comme appropriées ou non à la situation. Ceci est notamment visible dans le cas des interactions réunissant les membres de différentes communautés culturelles. En effet, les indices de contextualisation sont étroitement liés à chaque culture, donc très différents, sans qu’il soit possible (en tout cas facile) de repérer ces différences. C’est de là que découlent, en partie au moins, les difficultés de la communication interculturelle et l’interprétation de certaines stratégies discursives, caractéristiques d’une communauté, comme inappropriées (« inappropriate strategy ») par les membres d’une autre communauté culturelle.

Les échanges coordonnés entre les participants à une interaction reposent sur le principe de cohérence stratégique, qui est le deuxième élément constitutif d’une stratégie discursive. « A successful interaction begins with each speaker talking in a certain mode, using certain contextualization cues. (…) Speakers continue in the same mode, assigning negotiated meanings to contextualization cues, until there is a perceptible break in rhythm, a shift of content and cues, or until a mismatch between content and cues suggests that something has gone wrong » (id. 167).

Finalement, la communication se réalise au moyen d’ « inférences conversationnelles », processus d’interprétation que Gumperz définit de manière 3 « The term is used to emphasize that, although we are dealing with a structured ordering of message elements that represents the speakers’ expectations about what will happen next, yet it is not a static structure, but rather it reflects a dynamic process which develops and changes as the participants interact » (1982: 131).

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suivante: « Conversational inference, as I use the term, is the situated or contextbound process of interpretation, by means of which participants in an exchange assess others’ intentions, and on which they base their responses » (id. 153). L’inférence conversationnelle est anticipée par le locuteur qui formule son énonciation en fonction de ce qu’il attend que le récepteur infère. Et le résultat de l’inférence est manifesté dans la réponse du récepteur au locuteur. Pour désigner l’utilisation par les interactants des signes verbaux et non-verbaux à des fins communicatives, Gumperz utilise le terme de « speech activities ». « A speech activity is a set of schemata in relation to some communicative goal. Speech activity can be characterized through descriptive phrases such as "discussing politics", "chatting about the weather", "telling a story to someone", and "lecturing about linguistics". Note that the descriptive phrases we use for speech activities contain both a verb and a noun which suggests constraints on content » (id. 166).

Gumperz établit une hiérarchisation entre le type d’activité, les activités spécifiques, les mécanismes sémantiques qui permettent de signaler l’information qui fait l’objet de l’interaction et les phénomènes linguistiques qui, à première vue, semblent être isolés des autres niveaux. « We can visualize this process as consisting of a series of stages which are hierarchically ordered in such a way that more general higher level relational assessments serve as part of the input to more specific ones. Knowledge of the basic contextualization conventions and perceptions of contextualization cues play a role at every stage in the process » (id. 207).

Gumperz précise que le type d’activité ne détermine pas le sens, mais exerce des contraintes sur les interprétations en canalisant les inférences pour mettre en avant certains aspects de la connaissance d’arrière-plan. Le type d’activité assure un rôle de guidage: il ne prescrit pas comment interpréter, mais exclut des interprétations comme incompatibles; il canalise les inférences qui vont guider la compréhension. Donc, il canalise par anticipation les énonciations qui seront faites par le locuteur en fonction d’attentes d’interprétation qu’il prête au récepteur. Et en même temps, le type d’activité est constitué pour une part non négligeable par ces énonciations elles-mêmes qui contribuent à donner un sens à la situation. Tel est, selon Gumperz, le jeu de la construction sociale de la réalité. Les décisions concernant les activités discursives (discourse tasks) plus immédiates, telles la narration, la description, l’explication, la demande, qui constituent des activités spécifiques, seront prises au niveau inférieur. Gumperz tient à préciser qu’à la différence des types d’activités qui possèdent des spécificités culturelles, les tâches discursives sont universelles, communes à toutes les interactions humaines.

Les participants à une interaction doivent également négocier d’éventuelles ambiguïtés liées à l’emploi des unités lexicales susceptibles de plusieurs interprétations. La notion de convention de contextualisation permet, enfin, d’intégrer à ce processus le traitement de phénomènes linguistiques: changement de code et de style, prosodie, variations phonétique et morphologiques, choix lexicaux et syntaxiques.

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Les connaissances grammaticales et lexicales ne sont que deux parmi plusieurs facteurs qui interviennent dans le processus d’interprétation. Jouent également un rôle, à côté du cadre physique, les connaissances d’arrière-plan des participants, leurs attitudes les uns envers les autres, les hypothèses sur les rôles et les statuts, les valeurs sociales associées aux messages. C’est tout cela que Gumperz dénomme « l’input social de la conversation » (the social input to conversation), et qui s’ajoute à l’input verbal4. Il est à noter que les stratégies discursives répertoriées par Gumperz sont très variées et correspondent à tous les niveaux hiérarchiques relevés dans le cadre de son analyse. Certaines d’entre elles sont liées aux activités déployées au cours de l’interaction et à leurs objectifs (conversational strategies, communicative stratégies, persuasive stratégies), d’autres à l’identité socio-culturelle du locuteur (Standard English, American, Afro-American ou Indian rhetorical strategies), à celle du destinataire (telle in-group strategy), aux moyens linguistiques utilisés (rhetorical strategies, switching strategies, prosodic strategies), ou bien au processus d’interprétation (telles contextualization strategies, meaningful strategies, inappropriate strategies). Une telle variété ne représente qu’une illustration supplémentaire de la complexité de la notion de stratégie discursive, de son caractère dynamique et de sa nature interactionnelle. Nous retiendrons de ce bref parcours que la théorie des stratégies discursives de Gumperz accorde une grande importance aux rapports dialectiques entre les activités et le contexte. Il nous semble également que la distinction entre le type d’activités, s’inscrivant dans un contexte socio-culturel déterminé, et les activités discursives spécifiques, universelles et indépendantes de la situation d’interaction, est un point qui pourrait d’être approfondi dans une perspective modulaire. 1.2.2. La hiérarchie des buts et des moyens: la notion de stratégie dans le modèle d’analyse de l’action proposé par Pierre Bange

Prenant appui sur certains travaux récents en psychologie de l’action et psychologie cognitive, Pierre Bange (1992) introduit le concept d’action en analyse conversationnelle. Il souhaite proposer une conceptualisation de l’ensemble de la communication dans laquelle les notions de « négociation », d’ « interaction » et de « contexte » trouveront toute leur place (1992: 24).

Selon Bange, un modèle de l’action adéquat aux besoins de l’analyse des interactions verbales doit avoir, d’une part, une dimension sociologique, pour tenir compte du fait que les actions sociales et les actions de communication ne sont possibles que sur la base d’un savoir partagé sur le monde et de conventions de comportement, et, d’autre part, une dimension psychologique, car il s’agit d’analyser des comportements individuels coordonnés. Il doit aussi tenir compte 4 « The social input to conversation is itself communicated through a system of verbal and nonverbal signs that both channel the progress of an encounter and affect the interpretation of intent » (1982: 153).

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du fait que toute action est comprise et interprétée, qu’un sens lui est attribué en contexte et que c’est cette attribution de sens qui lui donne son efficience.

Partant de l’hypothèse que le modèle de l’action compatible avec les exigences de l’analyse des comportements verbaux doit être hiérarchique et séquentiel, il reprend certaines propositions de Cranach (1982), qui lui-même s’inspire du modèle TOTE (pour Test-Operation-Test-Exit), élaboré par Miller/Galanter/Pribram (1960). Ce modèle insiste sur la place et la fonction de l’élément cognitif et sur la conception hiérarchique-séquentielle de l’action. Une action complexe peut être découpée en une séquence coordonnée de tests et d’opérations, alors que la structure sous-jacente qui organise le comportement est une structure hiérarchique. Bange applique le modèle séquentiel-hiérarchique de l’action à la description du ou des niveau(x) fonctionnel(s) de l’organisation conversationnelle. Ce niveau est spécifique, d’une part, parce qu’on y manipule des significations et, d’autre part, parce qu’on est en présence d’actions de caractère social, c’est-à-dire d’actions dont le but est réalisé par la réaction du partenaire qui est elle-même une action au plein sens du terme. Il s’intéresse en particulier à tout ce qui est lié aux notions de but et d’intention, à leur rôle dans une action de communication et à leur relation avec la signification. S’inspirant de certaines propositions de Cranach, qui établit la distinction entre deux niveaux d’analyse correspondant aux deux aspects corrélés du « but » et du « projet d’action », à savoir « le niveau de la détermination des buts » et « le niveau de la stratégie », Bange introduit dans l’analyse l’idée d’une hiérarchie des niveaux, ainsi que le terme de stratégie. Pour lui, la notion de stratégie permet d’associer l’élément intentionnel et l’élément cognitif de l’action. Une stratégie est en effet quelque chose de complexe: c’est un ensemble d’actions sélectionnées et agencées en vue de concourir à la réalisation du but final, c’est-à-dire que la stratégie comporte elle-même des buts subalternes et des moyens.

Une stratégie consiste dans le choix d’un certain nombre de buts intermédiaires et subordonnés dont on croit que la réalisation dans des actions partielles conduit de manière adéquate à la réalisation du but final. Chaque action partielle pouvant à son tour se subdiviser en actions-moyens pour arriver à la réalisation de son propre but. L’idée de « stratégie » inclut donc l’idée de hiérarchie de buts et de moyens et l’idée de l’action qui lui est liée est complexe (1992: 76).

Dans le modèle hiérarchique qu’il propose, une action d’un niveau

inférieur ne trouvera place que si la réalisation du but suivant exige la réalisation d’une condition préalable qui n’est pas actuellement réunie. Il n’est pas possible, ajoute Bange, de fixer a priori le nombre de niveaux de l’action (les niveaux sont dans cette perspective des niveaux d’analyse correspondant au déroulement particulier de chaque intervention et non des niveaux objectifs préalablement déterminés de réalisation de l’action), ni de prévoir l’ordre de succession des séquences: ce sont les besoins de l’épisode social en cours qui déterminent les choix des interactants dans le cadre de buts plus ou moins clairement définis et plus ou moins contraignants (1992: 69). Reprenant l’hypothèse formulée par

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Aebli (1980), selon laquelle chaque action partielle est subordonnée à celle qui fait suite en ce sens qu’elle crée les conditions de celle-ci, au bout du compte se trouvant l’action-but, Bange affirme que toute action complexe apparaît à la fois comme séquentielle et hiérarchisée. Séquentialité et hiérarchie sont deux aspects de la même réalité. Après chaque tour de parole, l’acteur doit choisir la prochaine étape qu’il effectuera pour se rapprocher de son but final dans les circonstances données.

Après avoir souligné l’importance de l’élément intentionnel de l’action, il insiste sur la nécessité de prendre en compte la situation et l’interprétation de la situation par l’acteur. « Il faut faire entrer dans la définition de l’action des opérations cognitives qui la constituent en partie: une représentation et une évaluation du contexte extérieur, d’une part, et, d’autre part, du savoir pratique disponible dans ces circonstances, c’est-à-dire une évaluation de ce qui peut effectivement être fait pour modifier la situation » (1992: 73).

Bange vise à poser les linéaments d’une analyse de la conversation comme action. Mais cette action, précise-t-il, est sociale et réciproque: elle est interaction. Dans l’intention et dans le projet d’action d’un acteur, la réaction de son partenaire est inscrite comme le moyen de réaliser son but. Cette réaction est toujours, elle aussi, une action au plein sens du terme, avec ses raisons et ses buts, une action comportant normalement ses deux phases: une phase cognitive et une phase opérationnelle. Ce fait a pour implication que l’acteur est dans l’obligation d’inclure dans son projet des prévisions, des attentes concernant le comportement de son partenaire, dont il sait aussi que les actions s’orientent elles-mêmes selon les attentes relatives à son comportement à lui. L’action sociale devient par le fait même de cette réciprocité une interaction.

Dès qu’on se pose le problème de l’explication des phénomènes locaux, c’est-à-dire le problème de leur insertion dans des espaces fonctionnels plus vastes, on est amené à prendre en compte l’existence de buts qui guident l’organisation conversationnelle locale vers l’accomplissement d’actions plus vastes et on est renvoyé à une hiérarchisation de la structure de l’interaction. Selon Bange, un aspect essentiel de la théorie de l’action, le caractère hiérarchique-séquentiel du modèle, doit permettre de poser le problème des niveaux d’organisation de la communication et des macrostructures des interactions verbales (id. 75). Il développe l’idée que l’interaction doit être conçue comme une structure définie par des buts hiérarchisés communs (au moins partiellement) aux interactants, dont la réalisation exige que ceux-ci coopèrent sur la base d’un savoir réciproque et dont chaque étape sert à la réalisation de l’étape suivante. C’est donc à la recherche par les interactants de l’adéquation des moyens aux buts (c’est-à-dire à leur façon de concevoir la rationalité de l’interaction en cours) que doit être laissé le soin de déterminer quelles actions subordonnées à quel niveau sont nécessaires.

Bange applique ensuite à l’organisation de l’interaction la conception hiérarchique de l’action. Il considère l’interaction comme une hiérarchie de niveaux isomorphes qui s’organisent dans le cadre de la réciprocité des perspectives, de la réciprocité des motivations et de la réciprocité des images, depuis le niveau stratégique élémentaire: la « paire adjacente », jusqu’au niveau

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le plus élevé où le « type d’activité » (Levinson 1979) se structure. L’accord des partenaires de l’interaction sur les buts se traduit par une répartition de leurs activités en rôles sociaux complémentaires, c’est-à-dire en des ensembles réciproquement connus d’attentes de comportements typiques qui constituent les moyens (aux niveaux stratégiques les plus élevés) de réalisation des buts des interactions.

A partir de l’hypothèse de Cranach selon laquelle les actions sont organisées et contrôlées sur différents niveaux corrélés les uns aux autres – les niveaux d’organisation supérieurs structurés par le choix des buts, les plans et les stratégies, et dans une mesure relativement importante, guidés cognitivement et volontairement, et les niveaux d’organisation inférieurs organisés par des mécanismes particuliers, soumis à l’autorégulation subconsciente, Bange établit la distinction entre les niveaux stratégiques et les niveaux opérationnels dans les conversations. En appliquant à l’interaction verbale l’idée que les étapes sont les plus petits éléments de déroulement de l’action au niveau de l’organisation stratégique, il fait l’hypothèse que le tour de parole représente une étape d’action, conforme à la définition du tour de parole en analyse conversationnelle comme unité orientée vers le/les tour(s) précédent(s) et suivant(s). Les niveaux supérieurs sont alors représentés par l’agencement des tours de parole en séquences conversationnelles. Bange tient à préciser qu’il faut éviter de concevoir l’opposition fonctionnelle entre niveau stratégique et niveau opérationnel comme catégorique. Selon lui, il s’agit plutôt d’un passage graduel par une succession de niveaux dont les niveaux inférieurs ont pour tâche de réaliser effectivement les buts des niveaux supérieurs et dont les niveaux supérieurs assurent le guidage des niveaux inférieurs. Il ajoute que l’on peut opposer les niveaux opérationnels et les niveaux stratégiques d’organisation de l’action d’après leur contribution fonctionnelle à l’organisation d’ensemble des épisodes sociaux. Les niveaux supérieurs de l’action, les activités de projet, sont orientés vers une efficacité externe, vers l’adaptation aux exigences de l’environnement (en tenant compte des besoins internes). Les niveaux inférieurs, opérationnels, de l’action sont orientés, quant à eux, vers la consistance interne, basée sur la conformité à des règles. L’action (l’interaction) verbale paraît ainsi soumise à deux grands types de règles: les unes sont des règles sociales d’adaptation à la solution de problèmes extérieurs; les autres sont des règles de bonne organisation interne. On peut appeler intercompréhension le but global visé par les activités des niveaux opérationnels, interaction (en un sens restreint) le but visé par les activités stratégiques. Bange estime qu’il n’y a pas de raison de retomber dans une dichotomisation entre structures linguistiques (où s’effectue la compréhension) et structures pragmatiques (où l’on agit). Selon le modèle hiérarchique de l’action, c’est toujours au niveau supérieur qu’est contrôlé le résultat d’une activité et c’est seulement au niveau stratégique que le sens d’une énonciation est interprété.

Chaque énonciation modifie le contexte dans lequel l’énonciation suivante doit être interprétée; la place d’une énonciation est donc un élément déterminant pour l’interprétation de sa fonction et une telle conception ne peut trouver place que dans le cadre d’une conception intentionnelle de la signification où l’on

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admet que chaque interlocuteur cherche constamment à comprendre (interpréter, reconstruire) ce que son partenaire a voulu dire en disant cela dans une situation en constante modification. Une telle conception, souligne-t-il, est la seule dont puisse se réclamer l’analyse conversationnelle (1992: 42).Mais c’est une fois interprétées en contexte, après avoir fait l’objet d’une attribution coordonnée de signification pragmatique que ces séquences prendront valeur de telle ou telle action sociale et seront désignées comme des actions ou des séquences de conseil, de menace, de conciliation, de récit etc. (id. 56).

Pour Bange, l’action se présente sous deux faces, l’une externe, l’autre interne. D’un côté, elle est un ensemble observable de gestes, de modifications physiques dans un ensemble physique. De l’autre, elle consiste en processus cognitifs: perceptions, buts, décisions, valeurs, savoir social, etc. C’est cette face interne, dont tous les aspects sont liés entre eux, qui compose la signification de l’action. L’articulation du flot continu du comportement en action par des buts (Cranach) est le résultat de l’interprétation par laquelle l’acteur construit le sens de son action et/ou un co-acteur attribue un sens à l’action d’un acteur. Une action n’est jamais directement perçue. Ce sont les gestes qui la composent qui sont perçus. L’action en tant que telle est l’objet d’un processus de compréhension. Les actions sociales (donc aussi les actions verbales) ne peuvent se concevoir sans la présence d’un acteur et d’un co-acteur. Un problème majeur que doivent résoudre acteur et co-acteur est de coordonner les attributions de sens qu’ils font et de rendre possible la compréhension réciproque sur une base intersubjective. L’action de chacun repose sur la compréhension de l’action de l’autre.

L’hypothèse de l’adéquation des moyens aux buts est ce qui rend une action compréhensible. La notion d’appropriation ou d’adéquation des moyens aux buts recoupe celle de rationalité de l’action. L’adéquation (la rationalité) est toujours supposée comme une hypothèse nécessaire pour comprendre une action. Bange tient à rappeler que l’idée de rationalité est au principe du mécanisme de l’implicature conversationnelle de Grice et de la théorie inférentielle de la communication, qui trouvent leur application dans l’analyse conversationnelle. La rationalité se confond pour les interactions avec coopération. Le système de Grice concerne les règles qui, dans le cadre de la convention de coopération/coordination, doivent permettre au récepteur de faire le calcul inférentiel d’adéquation entre les moyens conversationnels et le but de l’énonciation, un calcul que Grice dénomme « implicature » et qui va permettre de faire une interprétation satisfaisante de l’intention de l’acteur dans la situation actuelle. Bange précise que la thèse intentionnelle s’accompagne chez Grice de l’idée d’une antériorité logique de la signification en situation (puisque celle-ci est jugée « fondamentale ») sur la signification conventionnelle du code linguistique; que cela revient à postuler une antériorité de la communication sur le code linguistique, du langage sur la langue et qu’inverser cette relation conduirait à des contradictions et à l’impossibilité d’insérer la théorie de l’acte de communication dans une théorie générale de l’action.

Bange essaie d’indiquer comment le travail de compréhension peut être analysé grâce au concept d’ « inférence conversationnelle ». La théorie

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intentionnelle de la communication considère la compréhension comme le processus complexe au cours duquel le récepteur reconstruit ce qu’il pense être l’intention du locuteur. Le mécanisme de l’implicature peut être regardé comme le mécanisme général de reconstruction de la signification en situation au moyen de la signification conventionnelle ou littérale sur la base du principe de coopération et de ses maximes d’accompagnement. L’implicature consiste à mettre en relation la signification sémantique de la phrase avec le contexte pour reconstruire l’intention de communiquer du locuteur, la signification en situation de l’énonciation. L’implicature n’est pas un phénomène particulier, mais la forme générale de mise en relation des buts et des stratégies dans la communication. Il n’est pas possible de parler de communication avant que la compréhension ait atteint le stade de la reconstruction de l’intention.

Selon Bange, les processus de codage-décodage doivent être intégrés aux processus inférentiels comme des niveaux opérationnels non autonomes qui servent à la réalisation des buts et des stratégies des partenaires de la communication. La communication est un processus complexe qui comporte des niveaux d’organisation différents obéissant à différents types de règles et travaillant sur des matériaux différents: du matériel acoustique ou graphique d’un côté, des significations textuelles et contextuelles de l’autre. Il ne conçoit pas ces niveaux comme une dichotomie catégorique, mais plutôt comme disposés sur une échelle, comme constituant une hiérarchie de niveaux multiples dans laquelle les niveaux subordonnés sont au service des niveaux supérieurs et les niveaux superordonnés guident les niveaux inférieurs. Il est impossible d’encoder ou de décoder en dehors d’une intention de communication et d’une interprétation. La différence entre le niveau opérationnel du décodage et le niveau stratégique de l’inférence réside non dans le mécanisme, mais dans le fait que les règles n’ont pas le même contenu, ni la même complexité, ni le même pouvoir de contrainte. Bange donne ainsi au terme de compréhension une plus grande extension, en y incluant la reconstruction des intentions et des opinions du locuteur et le décodage des significations conventionnelles. En définitive, conclut-il, rien ne s’oppose à l’adoption de la thèse intentionnelle (ou du modèle inférentiel) comme théorie générale de la communication, à condition de fonder la communication non dans le concept de cognition, mais dans le concept d’action. Pour Bange, le principe de pertinence semble reposer sur une confusion entre ce qui est de l’ordre de l’action sociale (les buts) et ce qui est de l’ordre des moyens verbaux mis en œuvre pour réaliser l’action sociale.

Il estime que l’hypothèse de l’interactionnisme symbolique selon laquelle la signification d’un objet est issue du processus d’interaction entre partenaires peut être reprise par l’analyse conversationnelle (1992: 19). L’interprétation n’est pas une simple application automatique de significations existantes, mais un processus au cours duquel des significations sont utilisées et modifiées comme moyens pour guider et construire l’action.

Toute interaction consiste à résoudre un problème de coordination des actions ou de coopération, qui présuppose leur compréhension. Le premier problème qui doit être résolu par les partenaires pour qu’ils puissent interagir est celui d’une attribution de sens suffisamment analogue pour ce qu’ils jugent être

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leurs besoins dans l’interaction en cours et qui peut être variable. Ils doivent accomplir un travail d’intercompréhension qui concerne la signification générale des actions et n’est pas lié aux seules significations linguistiques.

Dans le cas des interactions verbales, le mécanisme de coordination est réalisé dans l’alternance des locuteurs. Bange essaie d’analyser le mécanisme complexe de réciprocité sur lequel repose l’interaction. En ce qui concerne les interactions verbales, la principale convention sur laquelle elles reposent, rappelle-t-il, a été formulée par Grice (1975) sous la dénomination de « principe de coopération ». Bange estime que le principe de coopération n’est pas autre chose que le principe général d’organisation coordonnée des interactions et que l’on pourrait même tout simplement le dénommer « principe d’interaction ». Selon lui, la coopérativité n’est pas autre chose que la forme propre aux actions sociales de l’adéquation des moyens aux buts qu’on appelle aussi la rationalité des actions. Dans le cas des interactions verbales, précise-t-il, il est rationnel pour les participants de respecter le principe de coopération parce que cela augmente les chances de parvenir à un équilibre de coordination et de réaliser les buts des actions de communication qui sont d’une manière générale: convaincre ou inciter à faire.

Bange résume l’ensemble du problème de la réciprocité (réciprocité des perspectives, des savoirs, des motivations, des images) en disant qu’il concerne les conditions de possibilité ou de bon déroulement des interactions (1992: 119). Ce qui caractérise l’interaction verbale, c’est que la négociation (proposition/acceptation) est la forme ouverte, explicite de constitution et de contrôle de la réciprocité; elle concerne donc aussi tous les niveaux de la réciprocité: interprétation du sens des énoncés, accord sur les motivations communes, constitution réciproque d’images respectables et réparation des accidents.

Bange ajoute que le principe de coopération, principe de coordination des actions individuelles en vue de l’interaction, « s’inscrit dans un principe anthropologique général que Hörmann (1976) dénomme principe de constance du sens », selon lequel la compréhension est guidée essentiellement par la volonté du récepteur de construire quelque chose de sensé. Toute action perçue est toujours interprétée selon les motivations qui lui donnent un sens en l’insérant dans un ensemble de relations plus vaste. L’action de comprendre consiste à construire un système de relations entre une action et le monde, qui permet de donner un sens à cette action. Les mots contribuent à ce processus de construction du sens en apportant ce dont on a besoin dans le contexte et non pas ce qu’ils possèdent potentiellement. Le récepteur crée l’information dont il a besoin pour pouvoir insérer l’énonciation dans un ensemble cohérent. Le but du récepteur étant de construire un ensemble cohérent, sensé, il fait des inférences à partir de son savoir linguistique et non-linguistique.

Quant à l’application pratique de ces principes théoriques, Bange affirme que l’analyse d’une interaction doit montrer, d’une part, sa structuration hiérarchique-séquentielle: elle doit donc faire apparaître les relations existant entre les séquences depuis le niveau englobant qui est constitué par « l’événement de communication » (Gumperz) jusqu’aux opérations de

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formulation de tours de parole. Elle doit montrer, d’autre part, le caractère à la fois schématique et émergent de l’interaction: un schéma la sous-tend, la guide vers son but, mais le schéma ne fixe que des contraintes dans le cadre desquelles les partenaires agissent en tant que personnes singulières.

Bange précise que, dans cette conception, une séquence ne peut être définie que relativement aux sous-séquences qui la constituent et relativement à la ou aux fonctions qu’elle a dans la séquence qui l’englobe. On ne peut assigner à tel type de séquence (par exemple le récit) une place fixe dans une hiérarchie. On ne peut pas non plus décréter a priori de combien de niveaux doit se composer l’interaction: c’est une affaire propre à chaque événement de communication particulier. La négociation sur le but actualise en même temps un plan commun d’interaction, une stratégie globale qui peut être représentée comme une structure hiérarchique de séquences potentielles.

Comme l’approche de Bange est compatible avec le modèle genevois d’analyse du discours de type modulaire dans la mesure où elle repose sur le principe hiérarchique-séquentiel, nous nous appuierons largement sur sa définition de la stratégie et sur la distinction qu’il établit entre les niveaux stratégiques et opérationnels. Ceci dit, les deux modèles divergeant sur d’autres points, tels la définition de la plus petite unité discursive, la reprise de ces concepts ne sera possible qu’après leur redéfinition dans une perspective modulaire. 1.2.3. Les potentialités argumentatives: la notion de stratégie discursive dans la pragmatique « intégrée » de Oswald Ducrot & Jean-Claude Anscombre

Avant de passer à leur conception de stratégies discursives, nous présenterons les grandes lignes du cheminement théorique qui a conduit Oswald Ducrot (1980, 1984) et Jean-Claude Anscombre (1995) à élaborer la théorie de l’argumentation dans la langue (et sa version plus récente qui est la théorie des topoï). Nous nous intéresserons surtout à la manière dont ils définissent le sens des énoncés.

Au départ de la théorie de l’argumentation dans la langue est la constatation que certains enchaînements discursifs ne se comportent pas comme le laisse supposer une analyse sémantique classique, faisant des indications descriptives le noyau même de la valeur sémantique profonde. Comme ces enchaînements ont tous une structure de type: argument + conclusion, Ducrot et Anscombre émettent l’hypothèse que certaines relations argumentatives ne sont pas rhétoriques au sens ordinaire, autrement dit, qu’elles ne se surajoutent pas à des valeurs sémantiques plus fondamentales, mais sont linguistiques, et donc présentes de droit dès le premier niveau de l’analyse.

Les deux linguistes évoquent divers arguments à l’appui de cette hypothèse, montrant que les valeurs informatives – lorsqu’il y en a, sont en fait dérivées de valeurs argumentatives plus profondes, et non l’inverse (ce que postulent les théories traditionnelles: la rhétorique est seconde par rapport à un niveau profond informatif). Cette théorie s’oppose à d’autres conceptions de la

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langue: aux conceptions de la langue comme instrument de communication et à celles qui font du sens la description d’un état de choses.

Les hypothèses formulées par Ducrot et Anscombre représentent également une réponse possible au débat entre le descriptivisme et l’ascriptivisme. Ce qui est en cause dans ce débat, explique Anscombre, et qui ressort particulièrement dans les arguments des descriptivistes, c’est la notion de proposition (1995: 188). Pour les descriptivistes, la notion de proposition est une notion bien précise: sous tout énoncé assertif, il y a une proposition représentant un sens littéral (présent donc dans toutes les occurrences) et par conséquent susceptible de valeurs de vérité. Pour les ascriptivistes, en revanche, toute assertion accomplit non pas une description, mais un acte, par exemple de recommandation. Dans le cadre de la théorie de l’argumentation, on ne qualifierait pas une assertion d’acte de recommandation, précise Anscombre, mais d’argument pour un tel acte. Proférer un énoncé assertif, c’est argumenter en faveur de cet acte. « Par ailleurs, et dans la mesure où en structure profonde on aura des instructions relatives à l’éventuel comportement argumentatif des occurrences, il ne sera plus question de sens littéral. On n’aura plus à traiter une constante propositionnelle (à valeur de vérité), mais une fonction propositionnelle (sans valeur de vérité), qui sera commune à tous les emplois sans pour autant représenter un sens littéral » (1995: 189).

La position de Ducrot et d’Anscombre apparaît ainsi comme un ascriptivisme modéré, reposant non sur la notion d’acte accompli, mais sur le concept de potentialités argumentatives. Car, précisent-ils, le sens profond d’un énoncé n’est pas un sens statique, mais au contraire dynamique, constitué par les stratégies discursives qu’il met et est destiné à mettre en place. Ils postulent que le sens d’un énoncé n’est pas déterminable directement à partir de la forme de la surface qui le manifeste, mais est « calculé » à partir de valeurs sémantiques « profondes », jouant dans le domaine sémantique un rôle analogue à celui de la structure profonde en grammaire générative (1995: 186). Afin de déterminer la nature de la valeur sémantique profonde, les deux linguistes établissent la distinction entre énonciation et énoncé en termes d’opposition procès/produit. Ainsi, ils appellent énonciation l’événement historique unique constitué par l’apparition d’un énoncé (1984: 179), et énoncé le produit du procès d’énonciation. Selon eux, attribuer un sens à un énoncé, c’est chercher pourquoi l’énoncé a été produit. Le sens d’un énoncé ne peut se décrire sans références à certaines intentions d’énonciation (1980a: 8).

L’idée fondamentale de cette conception énonciative du sens est que tout énoncé, fût-il en apparence tout à fait « objectif », fait allusion à son énonciation: dès qu’on parle, on parle de sa parole - « le dire est inscrit dans le dit » (1980a: 9). Le sens d’un énoncé est, en fait, la description qu’il donne de son énonciation. Cette description inclut plusieurs éléments. Premièrement, l’énoncé se présente comme produit par un locuteur. Deuxièmement, l’énoncé présente son énonciation comme adressée par un locuteur à un allocutaire. Troisièmement, l’énonciation est caractérisée comme ayant certains pouvoirs. « Dire qu’un énoncé est un ordre, une interrogation, une affirmation, une promesse, une

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menace etc., c’est dire qu’il attribue divers effets à son énonciation, qu’il la présente notamment comme créatrice de droits et de devoirs » (1980b: 37).

Postuler que le dit dénonce le dire, c’est refuser l’opposition entre le sens de l’énoncé et la valeur de l’énonciation, autrement dit entre la sémantique et la pragmatique. Si l’on entend par pragmatique l’étude des valeurs d’action des énoncés, la position de Ducrot & Anscombre est qu’il y a du pragmatique dès le niveau sémantique profond. L’hypothèse de la pragmatique intégrée est, en fait, que la valeur sémantique profonde comporte des indications de nature pragmatique, que la théorie de l’argumentation dans la langue se propose d’étudier.

« Non seulement la valeur argumentative d’un énoncé est, dans une large mesure, indépendante de son contenu informatif, mais elle est susceptible de déterminer partiellement ce contenu. Ce qui amène à refuser la séparation entre la sémantique, qui serait consacrée aux notions de vérité et de valeur informative, et la pragmatique, qui concernerait l’effet, notamment l’influence argumentative, que la parole prétend posséder » (1980a: 72).

D’autre part, l’hypothèse que le dit dénonce le dire peut être exploitée dans la description des « enchaînements d’énoncés qui constituent le discours ». En effet, le thème central de la théorie argumentative est que le sens d’un énoncé contient une allusion à son éventuelle continuation: il lui est essentiel d’appeler tel ou tel type de suite, de prétendre orienter le discours ultérieur dans telle ou telle direction. Par là, la théorie argumentative se relie à la théorie générale que Ducrot appelle « structuralisme du discours idéal », selon laquelle une entité linguistique tire toute sa réalité du discours où elle prend place – non pas de celui auquel elle est empiriquement incorporée, mais de celui qu’elle exige, qu’elle revendique.

Pour rendre compte de cette dynamique, ils substituent le terme de stratégie discursive à celui d’argumentation dans la définition qu’ils proposent du sens profond des énoncés:

Le sens profond d’un énoncé n’est pas tant de décrire un état de choses que de rendre possible une certaine continuation du discours au détriment d’autres. Dans la mesure où ces phénomènes débordent largement le cadre de la rhétorique habituelle, le terme d’ « argumentation » n’est sans doute pas le plus approprié. Il serait plus adéquat de dire que le sens « profond » d’un énoncé est constitué par les stratégies discursives qu’il met et est destiné à mettre en place. Il ne s’agit donc pas d’un sens statique, mais au contraire dynamique (1995: 189).

Cette réflexion théorique sur le sens des énoncés devrait permettre leur compréhension et contribuer à leur interprétation. Aux différentes stratégies discursives, constitutives du sens profond des énoncés, correspondent, au niveau de leur compréhension, diverses stratégies interprétatives. La compréhension des stratégies discursives mises en œuvre dans les énoncés nécessite le déploiement de stratégies interprétatives correspondantes.

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La distinction entre stratégies de production et stratégies d’interprétation reflète la conception de l’énoncé comme partie intégrante de l’énonciation. Soucieux de ne pas enfermer l’énoncé dans l’activité de production du locuteur, Ducrot et Ancombre mettent en évidence l’aspect polyphonique de l’énonciation. A la pluralité d’instances de production correspond une pluralité d’instances d’interprétation, se traduisant par une variété d’interprétations possibles des énoncés produits. Le caractère dynamique du sens reflète cet aspect polyphonique de l’énonciation.

Visant à élaborer une théorie de l’interprétation des énoncés, Ducrot et Anscombre mettent en évidence la nécessité de rapports étroits entre la sémantique linguistique et l’analyse des textes. En effet, « la sémantique linguistique, dans ses échanges avec l’analyse de discours », doit suggérer à la fois « des interprétations et des stratégies interprétatives » (1980b: 19).

Ils mettent en exergue la nature instructionnelle de la phrase: la signification de la phrase contient, selon eux, des instructions données à ceux qui devront interpréter un énoncé de la phrase, leur demandant de chercher dans la situation de discours tel ou tel type d’information et de l’utiliser de telle ou telle manière pour reconstruire le sens visé par le locuteur. « Si on admet que la signification d’une phrase comporte l’indication des vides à remplir pour obtenir le sens d’un énoncé, et aussi l’indication d’un large éventail de possibilités quant à la façon de les remplir, cette signification, établie par le linguiste, doit inciter l’analyse de textes à imaginer les multiples variations possibles du sens » (1980b: 18).

Dans une situation de discours, il y a notamment toutes les croyances et les intentions des interlocuteurs; selon celles que l’on prend en compte et celles que l’on néglige pour interpréter un énoncé, on fait varier la lecture autant qu’on veut. Pour Ducrot, « la compréhension de l’énoncé implique la découverte de la conclusion précise visée par le locuteur » (1980b: 12).

Dans cette présentation, nous avons insisté sur la définition du sens des énoncés, pour montrer que la notion de stratégie discursive occupe la place centrale dans la théorie de l’argumentation dans la langue élaborée par Oswald Ducrot et Jean-Claude Anscombre. Nous retiendrons que cette notion met en relief le caractère dynamique du sens profond des énoncés, reposant sur les « potentialités argumentatives » de ceux-ci. D’autre part, la distinction entre stratégies de production et stratégies d’interprétation permet de saisir la dimension interactionnelle des stratégies discursives.

Outre le fait que « ces interrogations, si riches et passionnantes soient-elles, constituent plus l’élément d’une recherche sur la langue en général que sur les situations de communication qu’implique le partage d’opinion » (Breton 1995: 9), elles présentent l’inconvénient de porter sur des énoncés isolés et sont, par conséquent, peu compatibles avec l’approche modulaire de la complexité de l’organisation du discours, dans ses composantes linguistique, textuelle et situationnelle.

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1.2.4. La complexité des pratiques discursives: la notion de stratégie discursive dans l’approche textuelle et pragmatique de Jean-Michel Adam

Jean-Michel Adam (1985, 1992) aborde la problématique des stratégies

discursives au niveau de l’organisation séquentielle de la textualité. Son approche linguistique et textuelle, qui s’intéresse à la structure séquentielle des textes et aux prototypes de schémas séquentiels de base, est centrée sur « la structure compositionnelle des énoncés ». Les principales stratégies discursives répertoriées par ce linguiste correspondent aux types séquentiels de base – types monogérés narratif, descriptif, argumentatif et explicatif, ainsi que type polygéré dialogal.

Qualifier des procédés qui s’appuient sur l’existence de schémas séquentiels prototypiques de « discursifs », c’est insister avant tout sur leur dimension interactionnelle. Car Jean-Michel Adam fait la distinction entre le « texte », « objet abstrait construit par définition et qui doit être pensé dans le cadre d’une théorie (explicative) de sa structure compositionnelle », et le « discours », objet concret, produit dans des situations d’interaction chaque fois spécifiques (1992: 15).

Le recours à la notion de stratégie dans le cadre d’une théorie séquentielle s’explique par la complémentarité des différents modules ou plans d’organisation pragmatique et textuelle5 dont « aucun ne constitue, à lui seul, une base de typologie susceptible de rendre compte intégralement de tous les aspects de la textualité et de toutes les sortes de textes » (1992: 16). En effet, associer le concept de stratégie aux formes de composition élémentaires, en évoquant les stratégies narrative, argumentative ou explicative, c’est mettre en relation l’organisation séquentielle avec d’autres plans d’organisation textuelle et pragmatique pour rendre compte de la complexité des pratiques discursives.

Dans la théorie séquentielle de Jean-Michel Adam, le concept de stratégie discursive se rapporte, dans un premier temps, aux procédés relevant principalement de la structure compositionnelle des énoncés (stratégies narrative, descriptive, explicative et argumentative). La comparaison entre différents types de mise en texte permet de définir leurs spécificités. Ainsi, la force essentielle de la stratégie argumentative consiste à « obliger le destinataire du message à entrer dans le jeu de l’argumentation en poursuivant les raisonnements », tandis que « la force du récit consiste à obliger l’interprétant (lecteur ou auditeur) à le compléter sans cesse: au niveau des exigences du vraisemblable, au niveau de la logique des actions, au niveau de la dimension symbolique, au niveau du sens global à donner au récit » (1985: 14). Le critère de mise en intrigue est à la base de la distinction entre le récit et la description d’actions. Quant à la stratégie

5 L’auteur signale sept ancrages possibles de bases de typologisation, tout en localisant son propos au seul niveau de la sixième: 1) typologies discursives-situationnelles qui se situent au niveau de l’interaction sociale; 2) typologies des genres (littéraires et/ou sociaux); 3) typologies portant sur les fonctions du langage et les actes de parole; 4) typologies énonciatives; 5) typologies reposant sur des bases thématiques et prenant en compte l’opposition de la fiction et de la non-fiction; 6) typologies séquentielles; 7) typologies textuelles (1992: 16).

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explicative, elle permet au locuteur de « se donner pour celui qui n’évalue pas ce dont il parle, mais qui en déploie en toute objectivité l’intelligence » (1992: 134).

Ce n’est que dans un deuxième temps, en mettant en relation l’organisation séquentielle avec d’autres plans d’organisation textuelle et pragmatique (par exemple énonciative ou illocutoire), et avec le « contexte discursif » (1985: 193) (à partir de l’exemple d’un discours politique engagé dans le cadre électoral), que Jean-Michel Adam définit les stratégies discursives de manière plus précise et approfondit la description de certaines d’entre elles, en particulier des stratégies narrative et argumentative.

Dans son ouvrage consacré aux textes narratifs, Jean-Michel Adam énumère les caractéristiques de « la stratégie discursive qui consiste à raconter une histoire ». Il pose d’abord que dans certains discours, « la dominante narrative gouverne, détermine et transforme les éléments, garantissant la cohésion-cohérence de la structure (séquence ou texte) », pour préciser ensuite que « ces éléments sont agencés selon un ordre qui fait sens pour quelqu’un (lecteur ou auditeur) »:

Passer ainsi de la clôture structurale aux opérations en jeu dans la stratégie narrative, c’est considérer la relation mutuelle de l’énonciation (narration au sens large) et de la lecture-réception. Ces opérations sont inséparables de l’inscription des récits dans des interactions chaque fois spécifiques (1985: 3).

Partant d’une conception communicationnelle des stratégies discursives, qui insiste sur le fait qu’un discours est toujours adressé à un lecteur ou à un auditeur, Jean-Michel Adam définit l’argumentation narrative « comme un processus dialogique, comme un ensemble d’activités de l’énonciateur pour anticiper et guider l’interprétation du récepteur-coénonciateur ». En racontant une histoire, le narrateur n’a pas une simple intention de communiquer une suite événementielle, il a l’intention de produire un effet. « Comme nombre d’autres actes de discours, la narration vise à amener l’interprétant potentiel (cas de la communication écrite) ou actuel (cas de la communication orale) à une certaine conclusion ou à en détourner » (1985: 7).

A partir de ces observations concernant la nature dialogique de la stratégie narrative, ce linguiste établit la distinction entre stratégies de production et stratégies de compréhension. La rhétorique pratique du discours narratif est liée à une situation dialogique (que le récepteur-destinataire soit actuel ou virtuel, présent ou absent) et à un processus de compréhension actif impliquant une forme de réponse (id. 12). Jean-Michel Adam montre, en utilisant le concept de stratégie discursive, que l’interprétation intervient dans le processus de production du discours narratif. « La stratégie discursive de chaque récit repose sur la construction d’une sorte de modèle de son auditeur/lecteur et de ses connaissances, de ses savoirs objectifs et culturels. Tout texte se présente à lui comme un jeu constant entre préorientation dirigiste de sa lecture et vides, blancs, ellipses, appelant sa participation active » (id. 14). Le processus de

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compréhension, défini comme « découverte d’une visée de l’énonciateur-narrateur (parfois en décalage, voire en contradiction, avec ce que le texte dit en fait) », est associé au concept de cohérence, car « un texte est jugé cohérent par le destinataire quand celui-ci reconnaît une « intention » maintenue de bout en bout » (id. 186). Pour monter que « la stratégie narrative se présente comme une recherche de la cohérence », Jean-Michel Adam recourt à la notion de composante instructionnelle, qui intervient au niveau de l’interprétation. Selon lui, une séquence narrative doit être considérée, du point de vue de l’interprétation, comme une « base instructionnelle » (id. 151). Le concept de stratégie discursive permet ainsi de rendre compte de la structure interactive du discours narratif et du caractère coopératif de l’énonciation, qui se trouve à la base de l’interprétation comme de la production du récit. « En effet, le narrateur cherche à produire le plus d’effet possible sur son interlocuteur. Or, une telle efficacité s’obtient au prix d’un certain degré de coopération. Cette dernière constitue dès lors un moyen au service d’une stratégie discursive » (id. 155).

A part la cohérence sémantique et la dimension compositionnelle du récit, l’analyse de la stratégie narrative, précise cet auteur, doit prendre en considération en même temps et de manière indissociable « les données de discours qui visent à expliciter pourquoi quelqu’un s’est/a été institué comme narrateur pour s’emparer un moment de l’espace socio-discursif ». Jean-Michel Adam observe que ces données « portent sur la narration, en justifiant la prise de parole et en explicitant généralement la visée du récit, ses points forts, par certains traits d’évaluation destinés à favoriser le bon décodage » (id. 141).

La prise en compte de la dimension pragmatique de la stratégie narrative permet le mieux de saisir le dynamisme et la tension inhérente à toute activité de production et d’interprétation d’un discours. Pour analyser la manière dont « on fait des choses avec les mots » (id. 199), il sera nécessaire de mettre en rapport les structures textuelles, telle la séquence narrative, avec les activités, comme la narration. Jean-Michel Adam analyse « les rapports entre structures sémantiques textuelles et structures énonciatives pragmatiques », à partir de l’exemple d’un discours giscardien. Comme le discours politique a une double visée – polémique (critiquer) et didactique (persuader) - le récit devient un moyen dans la stratégie de légitimation qui permet la substitution d’une « juridiction narrative » à une juridiction institutionnelle.

Il est à noter que dans la définition des différentes stratégies discursives, Jean-Michel Adam insiste sur nécessité de la mise en relation des séquences narrative, argumentative, descriptive, explicative et dialogale – types séquentiels de base – avec les activités (la narration, l’argumentation, la description, l’explication et le dialogue « au sens large » du terme). Cette distinction nous semble importante dans la définition des stratégies discursives et constituera, par conséquent, l’un des points de repère de notre analyse.6

6 Les deux approches étant largement complémentaires, nous aborderons plus loin d’autres concepts communs à la linguistique textuelle et à l’analyse du discours. Jean-Michel Adam définit de la manière suivante leurs tâches et leurs objets respectifs: « La linguistique textuelle a pour tâche de décrire les principes ascendants qui régissent les agencements complexes mais non anarchiques de propositions au sein d’une unité TEXTE aux réalisations toujours

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1.2.5. L’espace d’indécidabilité dans la construction du sens social: la notion de stratégie discursive dans l’approche sémio-discursive de Patrick Charaudeau

S’intéressant à la communication médiatique et au discours d’information médiatique d’un point de vue de linguiste de discours, Patrick Charaudeau (1995, 1997) cherche à intégrer trois types de problématiques qu’il nomme sémio-discursive, socio-communicative et d’interprétation. Il se fixe comme objectif de découvrir, à travers l’observation des phénomènes langagiers, les mécanismes de construction du sens social, et particulièrement de la « machine médiatique ».

Selon Charaudeau, qui choisit un cadre théorique « constructiviste », le sens n’est jamais donné par avance. Il est construit par l’action langagière de l’homme en situation d’échange social. Du fait du caractère multidimensionnel du langage, la construction du sens est soumise à trois types de contraintes. Comprendre qui parle en agissant représente la condition situationnelle de la construction du sens. La dimension « sémiotique », qui permet de comprendre « qui s’énonce en décrivant, en argumentant ou en narrant », constitue la condition discursive de la construction du sens, dans la mesure où les systèmes de représentation ne signifient qu’à travers la façon que choisit le sujet de les configurer. Enfin, une dimension linguistique, qui constitue la condition cognitive, créant les instructions de sens plus ou moins stables dont dispose le sujet pour construire ensuite du sens de discours (1995: 147). Il est à noter que ces contraintes coïncident avec celles définies dans le modèle genevois d’analyse du discours de type modulaire (contraintes situationnelles, linguistiques et textuelles).

C’est dans un cadre où peuvent se rencontrer les disciplines sociologique, psychosociale et sémio-discursive, que Charaudeau essaiera de définir la communication médiatique comme phénomène de production du sens social. Pour lui, le concept de stratégie, ou plutôt le couple de concepts contrat/stratégie, fait partie - avec les concepts langage/action, structure/sujet, représentations/identité - des « notions carrefours » qui, tout en étant traitées de façon propre par chacune des disciplines (sociologique, psychosociale ou sémio-discursive) qui s’intéressent au sens, constituent des passerelles permettant à celles-ci de se rencontrer (1997: 14).

Selon Charaudeau, le sens est construit par l’action langagière au terme d’un double processus de sémiotisation, processus de transformation et processus de transaction. Le processus de transformation consiste pour le sujet à transformer le « monde perçu » en « monde signifié » (1995: 149). L’acte d’informer s’inscrit dans le processus de transformation en tant qu’il doit décrire (identifier-qualifier des faits), raconter (décrire des événements), expliquer (donner les motifs de ces faits et événements). Le processus de transaction

singulières. L’analyse du discours – pour moi analyse des pratiques discursives qui renonce à traiter comme identiques les discours judiciaire, religieux, politique, publicitaire, journalistique, universitaire etc. – s’attarde quant à elle prioritairement sur la description des régulations descendantes que les situations d’interaction, les langues et les genres imposent aux composantes de la textualité » (1999: 35).

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consiste, pour le sujet qui produit un acte de langage, à donner une signification psychosociale à son acte (les hypothèses qu’il peut faire sur l’identité de l’autre, l’effet d’influence qu’il veut produire sur cet autre, le type de relation qu’il veut instaurer avec celui-ci et le type de régulation qu’il prévoit) (1997: 40). Ce processus est appelé transaction parce qu’il pose que, pour qu’un acte de communication soit valide, les deux partenaires doivent être en mesure de reconnaître le cadre d’intentionnalité dans lequel se produit celui-ci. Selon Charaudeau, la communication doit être considérée comme un acte d’échange reposant sur quatre principes: un principe d’altérité, un principe d’influence, un principe de pertinence et un principe de régulation. L’acte d’informer est un acte de transaction dans lequel l’objet d’échange qui circule entre les partenaires est un certain savoir, que l’un est censé posséder et l’autre pas, que l’un est chargé de transmettre et l’autre censé recevoir, comprendre, interpréter, subissant du même coup une modification de son état de connaissance, et dont le résultat ne peut être mesuré qu’à la possible réaction de cet autre. Il précise que c’est le processus de transaction qui commande le processus de transformation, et non l’inverse. L’homme ne parle pas d’abord pour découper, décrire, structurer le monde; il parle d’abord pour se mettre en relation avec l’autre. C’est en parlant avec l’autre que le monde est commenté, décrit et structuré. Ainsi tout discours, et le discours d’information, témoigne du monde en témoignant d’une relation. Les trois conditions sur lesquelles repose l’information, à savoir: supposer l’ignorance de l’autre, transmettre un savoir, supposer l’utilisation par l’autre de ce savoir, appartiennent toutes les trois au processus de transaction.

Comme tout acte de communication, la communication médiatique se réalise selon un double processus de transformation et de transaction. Dans le cas de la communication médiatique le « monde à décrire » est le lieu où se trouve l’ « événement » et le processus de transformation consiste pour l’instance de production, que Charaudeau appelle « instance médiatique », à faire passer l’événement d’un état que l’on peut qualifier de « brut » à l’état de monde médiatique construit, c’est-à-dire de « nouvelle ». Mais ce processus se trouve sous la dépendance du processus de transaction qui consiste à construire la nouvelle en fonction de la manière dont l’instance médiatique imagine l’ « instance réceptrice », laquelle réinterprète la nouvelle à sa manière.

Ce double processus s’inscrit dans un contrat qui détermine les conditions de mise en scène de l’information, orientant les opérations qui doivent s’effectuer dans chacun de ces processus, l’espace de stratégie permettant à l’instance médiatique de spécifier son projet de parole.

Avant de définir les concepts-clés de son approche sémio-discursive, à savoir les concepts de contrat de communication et de stratégie, Charaudeau examine les rapports entre langage et action. Il oppose le comportement actionnel et le comportement langagier, en confrontant les notions d’action et de but à celles de langage et visée. Il envisage l’ « action » et le « but » comme un pur enchaînement de faits physiques jusqu’à l’obtention d’un objet extérieur au sujet, car il estime que l’analyste a intérêt à distinguer ce qui est de l’ordre de la planification actionnelle et ce qui est de l’ordre de la stratégie langagière. Ainsi, il refuse de confondre « fait d’action » et « fait de communication » d’une part,

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« but » et « visée » de l’autre, et de considérer, comme en psychologie cognitive, que modifier l’état émotionnel ou cognitif de l’autre correspond également à un but d’action. Cette hypothèse formulée à des fins purement opératoires, lui permettra de penser la notion de stratégie.

Selon lui, action et but d’un côté, activité langagière et visée de l’autre contribuent à construire du sens mais sur des plans parallèles (1995: 150). L’action s’instaure dans un espace d’ « irréversibilité clos ». La réalisation d’une action nécessite la présence d’un acteur ayant projet et pouvoir d’initier une modification physique dans l’état du monde. Cette modification devrait aboutir à la réalisation du but inscrit dans le projet initial. Dans ce cadre actionnel, rien ne se négocie. L’action s’accomplit de façon « unidirectionnelle », parce qu’elle dépend de la décision de la seule instance qui en est l’initiatrice, les autres sujets n’ayant plus qu’à se soumettre et suivre les plans d’action. En revanche, le langage comme acte de communication, c’est-à-dire le discours, s’instaure dans un espace de « réversibilité ouvert ». La finalité de l’acte de communication n’est pas celle de l’action. Elle ne dépend pas de la décision d’une seule instance, car il y faut deux acteurs qui se reconnaissent mutuellement et réciproquement comme les partenaires d’une co-construction du sens qui se réalise selon certaines conventions. La finalité se trouve dans un lieu d’ « indécidabilité », notion qui justifie, selon Charaudeau, le concept de stratégie.

A la distinction entre action et langage correspond celle entre but et visée. Le but est lié à l’action et en représente l’objet de quête, c’est-à-dire un état d’équilibre final bénéfique pour l’agent de cette quête et éventuellement pour un bénéficiaire autre que l’agent. Le but est atteint directement ou au terme d’un parcours dont chaque étape comporte un but à atteindre et dont l’ensemble est plus ou moins planifié. La visée est liée à l’acte de communication et constitue une tension vers la « résolution du problème » posé par l’existence de l’autre et de sa propre intentionnalité dont il est supposé qu’elle s’oppose (ou résiste) au projet d’influence du sujet communiquant. Cette visée n’est donc que l’intention d’influencer l’autre (effet visé), et sa réalisation, comme visée ayant effectivement atteint et modifié le comportement de l’autre (effet produit), ne peut être mesurée qu’à la réaction de celui-ci. Alors que le but relève de l’application de règles procédurales pré-définies, extérieures au sujet et nécessitant la compétence, la réalisation de la visée communicationnelle exige invention et calcul permanent sur l’autre, le récepteur, sans avoir jamais la certitude de la réussite.

A propos de cette distinction, Patrick Charaudeau compare sa propre approche avec le modèle genevois d’analyse du discours de type modulaire élaboré par Eddy Roulet et montre comment la notion de stratégie pourrait y être intégrée. Il reprend la notion de structure praxéologique, qui permet de présenter le cadre actionnel dans lequel se déroule l’échange non pas comme le fondement de celui-ci, mais comme l’un de ses « motifs », ainsi que l’idée d’une séquentialisation langagière à laquelle devra se conformer tout sujet voulant atteindre son but, en précisant que « ce cadre ne préjuge pas ce que pourrait être l’activité communicative si surgissait un obstacle à la réalisation du but » (1995: 154).

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Selon Charaudeau, la distinction entre le comportement actionnel et le comportement langagier permet de donner une autonomie au langage, de ne pas le rendre totalement esclave de l’action. Selon lui, si l’on peut postuler que tout comportement humain a une finalité actionnelle, on pourra, en revanche, défendre l’idée que celle-ci repose sur des structures praxéologiques différentes. « Certaines sont fortement charpentées avec des planifications aisées à reconnaître, à suivre et à décrire, d’autres au contraire se caractérisent par un but global, sans guère de planification, tout se jouant alors sur le plan langagier. C’est le cas par exemple de certains débats dont le but global est de se construire une certaine image identitaire face aux autres et dans lesquels, une fois le contrat d’échange respecté, tout se joue dans les stratégies discursives de l’échange langagier » (1995: 155).

Les notions de contrat de communication et de stratégie sont étroitement liées à celles de structure et de sujet. Pour les définir, Charaudeau défend l’idée que dans le rapport homme-monde, il y a, à la fois, de la structure et du sujet. La structure crée une finitude dans un savoir toujours ouvert. Le sujet, en tant qu’acteur du monde et de sa symbolisation, contribue au processus de structuration, en devient dépendant tout en n’ayant de cesse que de s’individuer. Charaudeau relie ces notions à une problématique de l’influence, qui pose que tout acte de langage se réalise dans l’altérité, un sujet se définissant à travers un autre et cherchant, par conséquent, à le faire entrer dans son univers de pensée en l’influençant. Il explique la relation entre structure et contrat par le fait que la structure sociale résulte d’un jeu de régulation des échanges qui stabilisent ceux-ci, en fait un cadre de contraintes qui doit être reconnu pour signifier; ainsi les partenaires des échanges entretiennent entre eux des rapports d’ordre contractuel. Charaudeau postule que tout acte de communication, pour ce qui est de sa signification, dépend d’un contrat de communication. Cette situation-contrat de communication se compose de données externes (contraintes situationnelles), à savoir les conditions de finalité, d’identité, de propos et de dispositif, ainsi que de données internes (contraintes discursives), relatives aux espaces de locution, de relation et de thématisation. Le fait que le sujet dispose toujours dans ce cadre de contraintes d’un espace dans lequel il peut s’individuer en jouant d’influence permet, en revanche, de relier les concepts de sujet et de stratégie.

Selon Charaudeau, le contrat de communication est une convention comportementale, et c’est à ce titre qu’il peut être considéré comme élément fondateur de l’acte de langage. Il repose sur la nécessité pour les participants à l’échange langagier de posséder en commun un certain savoir et d’avoir une aptitude à relier texte et contexte et, surtout, de reconnaître le projet d’influence dans lequel ils sont engagés, qui les oblige à rendre compte de leur légitimité, de leur crédibilité et de leur visée de captation.

La situation de communication constitue le cadre de référence auquel se rattachent les individus d’une communauté sociale lorsqu’ils entrent en communication. La situation de communication est comme une scène de théâtre, avec ses contraintes d’espace, de temps, de relation, de paroles, sur laquelle se joue la pièce des échanges sociaux et ce qui en constitue leur valeur symbolique. Ces contraintes s’établissent par un jeu de régulation des pratiques sociales

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qu’instaurent les individus qui essayent de vivre en communauté et par les discours de représentation qu’ils produisent pour justifier ces mêmes pratiques afin de les fonder en valeur. Il n’y a donc pas d’acte de communication qui puisse avoir du sens hors d’une situation de communication particulière.

Ce linguiste tient à souligner que par rapport à la problématique de la situation, la notion de contrat apporte une précision intéressante. Il définit la situation comme « cadre de pré-structuration psycho-socio-langagière » qui se compose des données situationnelles (le « pourquoi ? ») et communicationnelles (le « comment ? »). Il estime que la démarche qui consiste à décrire les particularités discursives des textes en fonction de leurs conditions de production doit s’appuyer sur la notion de contrat de communication, contrairement aux approches dont la perspective d’analyse est d’ordre anthropologique et qui cherchent à décrire des mécanismes généraux des faits de discours sans se préoccuper des contraintes situationnelles immédiates. La notion de contrat de communication, à la différence de celle de cadrage ou de situation, permet de mettre l’accent sur les conditions de réalisation psycho-socio-langagières dans lesquelles naissent les enjeux d’un échange. Un enjeu est toujours dépendant des conditions dans lesquelles il peut se réaliser. Le contrat de communication définit ces conditions en termes d’enjeu psycho-social par le biais de la sélection de ses composantes situationnelles (finalité, identité et circonstances physiques) et communicationnelles (rôles langagiers).

Charaudeau émet l’hypothèse selon laquelle la mise en discours se ferait à travers un processus d’individuation dont locuteur et interlocuteur sont les agents. Considérer le discours comme mise en œuvre d’un enjeu de sens dépendant d’une situation et se construisant avec l’autre du langage, oblige l’analyste à distinguer deux types de sujets, correspondant au double espace de signifiance, externe et interne à sa verbalisation. L’être agissant est externe à l’acte de sémiologisation de la parole et peut avoir plusieurs identités (anthropologique, sociologique, psychologique). Quant à l’être de parole, il est interne à l’acte de sémiologisation de la parole et peut, lui aussi, avoir plusieurs identités discursives, lesquelles dépendent de sa manière d’intervenir dans la construction du sens à travers un certain choix des formes (1995: 164).

Les contraintes discursives concernent trois espaces d’insertion du sujet parlant. L’espace de locution permet à celui-ci d’occuper un espace de parole, de prendre possession de la parole et d’inclure l’autre dans cet espace de parole, d’où le problème, pour tout sujet parlant, de sa légitimité. L’espace de relation se caractérise par le fait que le sujet communiquant doit préciser ensuite le type de relation qu’il établit avec l’autre, du point de vue de l’influence qu’il souhaite produire sur lui. L’espace de thématisation se caractérise par le fait que le sujet communiquant organise un univers thématique et le problématise en choisissant une identité discursive (décrivant, narrant, argumentant), en se positionnant par rapport à un système de valeurs auquel on adhère, que l’on rejette, que l’on discute, en apportant la preuve qui doit valider la prise de position.

Charaudeau estime que trois éléments constituent les conditions générales de définition de la stratégie dans les sciences du langage: premièrement, un but défini comme objet de quête d’une action représentant un état d’équilibre final,

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bénéfique pour le sujet agent de cette quête. Pour obtenir ce but, il suffit d’avoir une compétence d’action fondée sur l’application d’un certain nombre de règles, si bien qu’on ne peut encore parler de stratégie. Il faut, pour cela, qu’existe une incertitude quant à l’atteinte du but, incertitude qui peut être liée soit à l’éventuelle contre-action de l’autre, soit à l’éventuelle performance supérieure de l’autre, soit à l’existence d’obstacles matériels rendant l’atteinte du but difficile. Dès lors, peut se mettre en place une visée de résolution du problème posé par l’intervention de l’incertitude. « Cette visée ouvre un nouveau champ d’activités qui, cette fois, est strictement langagier, et qui dépend d’un sujet individuel pourvu d’intentionnalité, lequel devra faire des choix parmi un ensemble de possibles. Ce type d’activité relève donc d’une conceptualisation (et d’une planification) qui consiste à calculer par avance les avantages et les inconvénients (les risques) de chaque choix en fonction des obstacles-incertitudes qui se sont présentés » (1995: 166).

Alors que le contrat relève du décidable puisque les comportements y sont attendus, les stratégies relèvent de l’indécidable. Pour que l’on puisse utiliser la notion de stratégie dans le domaine de la communication il faut qu’existe un cadre contractuel qui assure la stabilité et la prévisibilité des comportements, et l’intervention d’un sujet qui, devant tenter de réaliser des visées communicatives à des fins d’atteinte d’un but, joue soit avec les données du contrat, soit à l’intérieur de celles-ci (ibid.).

A la distinction entre « sujet psycho-social », constitué par les interlocuteurs, se définissant dans « l’espace externe » à la verbalisation de la signifiance mais avec une visée communicative, et « sujet discursif », constitué par les intralocuteurs, se définissant dans « l’espace interne » avec une visée d’effet discursif, correspondent deux types de stratégies.

Les stratégies communicatives permettent au sujet psycho-social de résoudre les problèmes qui se posent à lui lors de son insertion dans chacun des espaces de parole:

1) comment justifier sa prise de parole, sa participation sociale aux échanges langagiers (stratégie de légitimation)

2) comment, dans la relation à l’autre, influencer celui-ci, en agissant sur les croyances (stratégie de captation)

3) comment, dans la problématisation du propos, témoigner de sa position de vérité, en agissant sur les connaissances (stratégie de crédibilité)

Les stratégies discursives, qu’il conviendra de ne pas confondre avec les

procédés discursifs et les procédés linguistiques, permettent au sujet discursif de déterminer, en fonction des visées communicatives de ces trois domaines, les effets discursifs qu’il lui faut produire7. Ces effets consistent à construire des

7 Pour Charaudeau, cette perspective d’analyse des faits de discours en termes de stratégies construisant des imaginaires socio-discursifs est tout à fait complémentaire des études concernant les « places » en termes de positionnement horizontal et vertical des partenaires de l’échange l’un vis-à-vis de l’autre. Cependant, selon lui, la notion de « places » n’est pas le tout des enjeux d’un échange, mais simplement l’une de ses composantes.

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figures archétypiques qui appartiennent à ce que nous appelons des « imaginaires socio-discursifs »

1) d’identité (sociotypes), 2) de vérité (l’authentification, la vraisemblance), 3) d’action (combat, lutte, négociation),

à l’aide des procédés discursifs qui permettent d’organiser le discours de manière descriptive, narrative, argumentative, etc. (1995: 167).

Charaudeau conclut qu’analyser la façon dont se mettent en place et circulent les discours sociaux consiste à tenter de décrire en premier lieu les contraintes situationnelles et discursives des contrats de communication dans lesquelles ils s’insèrent et prennent sens et dans un second temps, les types de stratégies qui apparaissent de façon récurrente à l’intérieur de ce champ contractuel. Ce n’est qu’à cette seule condition que l’on peut, ensuite, étudier les singularités d’un texte, celles-ci n’étant repérables et ne produisant véritablement du sens que par rapport à ce qui est surdéterminant.

Il estime que dans le domaine de la communication médiatique, le rôle de l’analyste est d’observer à distance, pour tenter de comprendre et d’expliquer comment fonctionne la machine à fabriquer du sens social, tout en s’engageant dans des interprétations dont il acceptera et annoncera la relativité. Il s’agit d’un processus d’interprétation qui implique une critique sociale, non comme dénonciation (si la critique avait une telle visée, elle pervertirait l’objectif scientifique), mais comme processus faisant découvrir le non-dit, le caché, les significations possibles qui se trouvent derrière le jeu du paraître (information objective, démocratie, délibération sociale, dénonciation du mal, explication des faits et découverte de la vérité). L’information est l’affaire de discours, le discours témoignant de la manière dont s’organise la circulation de la parole dans une communauté sociale en produisant du sens. 1.2.6. La lutte pour la définition de la situation: la notion de stratégie discursive dans l’approche communicationnelle de Uli Windisch

L’approche communicationnelle de Uli Windisch (1987, 1999) permet de saisir le rôle des stratégies langagières et discursives dans la communication et l’argumentation politiques. Elle attache une attention particulière à l’analyse des événements et des crises médiatico-politiques et à la dimension conflictuelle de la communication politique.

Windisch estime que la conception classique de la communication n’est pas à même de rendre compte du fonctionnement des discours écrits et des échanges verbaux conflictuels. Cette conception fait penser, quasi automatiquement, à une réalité sociale où s’échangent des informations qui sont comprises, admises et partagées par tous les participants. Elle revient à admettre, simultanément, une réalité sociale, et non seulement linguistique, harmonieuse et consensuelle; c’est-à-dire préservée des conflits sociaux et politiques, exempte de luttes et d’antagonismes. Pour un sociologue ou un politologue, le conflit, la lutte

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sont, en revanche, des réalités quotidiennes, constitutives de toute société. « Les empoignades verbales, les engueulades, la guerre verbale, la polémique, les désaccords verbaux sont des phénomènes sociaux et langagiers tout aussi réels que les dialogues les plus harmonieux et paisibles » (1987: 17-18). Le terme de communication se rapporte, dans l’approche de Windisch, à l’ensemble des activités sociales et politiques qui se jouent à travers le langage en acte dans la vie quotidienne. L’harmonie sociale et le conflit social représentent deux situations sociales aussi réelles l’une que l’autre: elles obéissent cependant à des logiques sociales fondamentalement différentes, contradictoires. Ceci amène Windisch à établir une distinction entre la communication non-conflictuelle et la communication conflictuelle. Dire, informer et faire comprendre sont les objectifs essentiels de la première. La seconde remplit d’autres fonctions sociales: dominer, se distinguer, exclure, lutter, combattre, vaincre, résister, se révolter. Ces fonctions sociales se surajoutent à celle, plus générale et omniprésente, de communication.

Tout auteur d’un discours sur la réalité sociale ou politique propose une interprétation de cette réalité. Il veut donner sens à cette réalité et représenter efficacement ce sens, à l’aide de procédés argumentatifs et de stratégies discursives multiples. S’il y a désaccord à propos de cette interprétation et du sens donné – ce qui est presque inévitablement le cas en politique – on entre dans le domaine de la contestation de ce sens et de cette interprétation et dans le cycle de la communication conflictuelle et de la mise en circulation d’un premier discours conflictuel. « Le chercheur va reconnaître un tel discours aux opérations qu’effectue celui-ci, soit au fait qu’il réfute le discours adverse, le malmène, le disqualifie, le déstructure, le reformule ou le traduit selon des règles de la transformation d’un discours manipulateur en un discours manipulé » (1987: 31). Windisch précise que les relations de domination sont un élément constitutif de tout discours conflictuel et la fin activement poursuivie par celui qui met en circulation un tel discours. Communiquer conflictuellement c’est œuvrer par tous les moyens discursifs possibles en vue de dominer l’interlocuteur. La communication conflictuelle est définie par des rapports inégalitaires et hiérarchiques et elle vise à établir de tels rapports inégalitaires et hiérarchiques.

L’auteur d’un discours conflictuel a en tête au moins deux interlocuteurs très différents: son adversaire certes, mais aussi et surtout le public-témoin du conflit. Les objectifs de l’auteur d’un discours conflictuel sont au nombre de trois: combattre les idées et les thèses émises par son adversaire, faire triompher ses propres idées et thèse et les faire partager au public-témoin, au public visé et concerné par les enjeux du conflit (1987: 25).

Les conflits discursifs supposent une grande habileté verbale, une vaste capacité discursive et argumentative et une grande maîtrise des possibilités langagières. Toute lutte pour une place ou un discours oscille entre l’autodéfense et l’attaque de l’autre. Le dosage de ces deux composantes dans un discours donné est fonction de leur efficacité respective dans telle ou telle situation de lutte discursive.

Windisch cherche à lire les conflits sociaux et politiques à travers leurs manifestations proprement langagières, en postulant que ce passage par le

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langage offre une possibilité de mettre au jour des dimensions que l’étude plus directe et frontale des conflits, qu’en font la sociologie ou la politologie, ne laisse même pas entrevoir. Le terme de discours conflictuel renvoie de manière plus précise à la réalité spécifiquement langagière et discursive d’abord, à la partie de cette réalité langagière qui est traversée par un conflit et à l’intervention langagière d’une des parties en conflit. Avec le discours non-conflictuel, on cherche à apporter au récepteur une information qu’il ignore; le discours conflictuel vise, au contraire, à amener le récepteur à rejeter une information qu’il a admise ou pourrait admettre. Le discours conflictuel possède sa nature spécifique: ses règles, sa structure et ses contraintes propres. Passer d’un discours conflictuel à un discours non conflictuel ou inversement n’implique pas seulement un changement de contenu, mais de forme. Ce sont ces formes de langage qu’il s’agit de repérer, les différentes manières de parler. Qualifier un discours de conflictuel revient à l’identifier en comparant sa forme avec celle d’un discours non conflictuel.

Parmi les marques et les indicateurs linguistiques qui permettent de reconnaître un langage conflictuel à partir de sa forme, abstraction faite de tout contenu, Windisch distingue les « marques discrètes » et les « stratégies discursives » (1987: 34).

Les marques discrètes sont les éléments linguistiques qui signalent que, dans un texte écrit, l’auteur de ce texte s’oppose, dans et par son propre discours, à un autre discours, au discours d’un adversaire. Ces marques peuvent relever du lexique et de marques graphiques. Les marques discrètes servent à l’auteur d’un discours conflictuel à présenter le discours de l’adversaire tout en s’en distanciant. En revanche, les stratégies discursives représentent les moyens de traiter ce discours, c’est-à-dire de l’intégrer en le transformant et en le manipulant.

Parmi les stratégies discursives les plus courantes, Windisch cite le discours rapporté direct (citation d’une autorité légitimée ou illégitimée) et indirect, les différentes formes de négation et de réfutation, le démasquage, l’ironie et la simulation, la représentation fantasmatique, la stratégie de la guerre invisible.

Au niveau plus général, qui est celui du mode de traitement global du discours adverse, le locuteur a le choix entre au moins trois modes de traitement très différents: le mode argumentatif, qui consiste à évaluer en termes de vrai/faux le discours adverse à l’aide d’un langage analytique et didactique, le mode normatif, qui se contente de jugements de valeur, et le mode ludique, qui consiste à jouer avec les énoncés adverses (1987: 60).

La spécificité de la logique de fonctionnement de la communication conflictuelle est évidente. S’il fallait lire la communication conflictuelle en fonction des critères de la communication non-conflictuelle, on pourrait dire, de manière très ramassée, que la première transgresse les lois de la seconde dans ses fondements mêmes et cela de deux manières: par les distorsions et les manipulations qu’elle fait subir au discours de l’adversaire et par l’acharnement avec lequel elle conteste sa place à l’adversaire.

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En matière de communication non-conflictuelle, affirme Windisch, le fonctionnement général et les objectifs poursuivis sont diamétralement opposés puisque dans ce cas, les activités langagières déployées visent au contraire à chercher à comprendre le discours de l’interlocuteur (qui n’est plus un adversaire) dans son contenu et ses intentions véritables, à chercher à comprendre quelle est la place qui est réellement la sienne et que cet interlocuteur considère, lui aussi, comme étant la sienne. De façon imagée, on pourrait dire que l’on s’efforce de se mettre à la place de l’interlocuteur plutôt que de s’acharner à le dé-placer.

En combinant une analyse de l’argumentation quotidienne avec une interrogation en termes de relations, de représentations sociales et d’identité sociale, l’analyse de la communication conflictuelle devrait permettre de distinguer les procédés et les stratégies discursives utilisées par le sujet parlant pour légitimer son propre discours des procédés et des stratégies discursives utilisées pour « illégitimer » le discours de son adversaire, le travail discursif et argumentatif entrepris pour légitimer la place qu’il s’attribue du travail discursif et argumentatif entrepris pour contester et illégitimer la place de son adversaire et l’image et la représentation sociales qu’il cherche à donner de lui de l’image et de la représentation sociales qu’il cherche à donner de son adversaire à travers son activité langagière et argumentative. Elle devrait permettre également d’identifier le type de relation d’interaction que le sujet parlant cherche à établir avec son interlocuteur par le biais du travail langagier et argumentatif qu’il construit.

Après le repérage des caractéristiques du discours conflictuel à partir d’extraits de discours, Windisch analyse le fonctionnement général de la communication conflictuelle à partir de discours entiers. Pour illustrer le changement de perspective qu’entraîne une prise en compte plus marquée du paradigme de l’action dans les sciences du langage, il prend l’exemple du travail argumentatif qu’effectue un auteur de discours en vue de légitimer son propre discours et d’ « illégitimer » le discours ainsi que la place de l’adversaire. L’accent n’est plus mis sur la définition des marques linguistiques et des stratégies discursives mais sur l’activité du sujet parlant, sur le travail argumentatif mis en œuvre dans le discours conflictuel. Par son intervention langagière, l’auteur d’un discours effectue toute une série d’opérations: il met en circulation des explications et des développements d’une thèse qu’il cherche à faire admettre auprès de son public (contre une thèse adverse), il développe une activité argumentative qui vise à accroître la légitimité ou la crédibilité de sa thèse (simultanément, il cherche toujours à illégitimer la thèse adverse), pour ce faire, il met en œuvre des procédés argumentatifs, de légitimation et de crédibilisation.

Parmi les procédés argumentatifs et les jeux de placement utilisés pour renforcer la légitimité et l’autorité du locuteur, deux grandes catégories de ressources peuvent être distinguées: premièrement, légitimation et autorité personnelle fondées sur le « vu », l’expérience propre, les analogies, le jeu de placement en relation avec l’interlocuteur, la connaissance de la réalité, l’adoption d’un point de vue particulier; deuxièmement, légitimation et autorité du locuteur fondées sur celles d’une source extérieure (énoncés rapportés):

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source individualisée et citée, source individualisée et rapportée en discours indirect, les « on-dit » collectifs, proverbes et maximes (1987: 71). L’analyse de la communication politique, considérée comme prototype de la communication conflictuelle, en termes de stratégies discursives et du travail argumentatif permet de saisir ses principales dimensions.

Windisch définit la communication politique comme « la lutte pour la définition de la situation, par médias interposés, entre les différents acteurs sociaux et politiques afin d’imposer leur point de vue sur les événements, sur leurs causes et sur les responsabilités en présence » (1999: 10). La participation à cette lutte nécessite une certaine compétence médiatique puisque ces activités se déploient à travers les médias. Lorsque la communication devient publique et politique, il faut être capable de présenter de manière efficace son interprétation dans les médias et la faire partager par une grande partie du public. La compétence médiatique se subdivise en plusieurs composantes. La définition de la situation se fait au moyen du langage; le langage politique ne sert pas seulement à traduire une lutte; il est ce par quoi on lutte; il renferme un pouvoir dont les acteurs politiques cherchent à s’emparer et qu’ils maîtrisent plus ou moins bien. La maîtrise proprement langagière ou compétence verbale constitue ainsi la première composante de la compétence médiatique. Le pouvoir sur le langage est déjà une dimension du pouvoir.

Dans l’univers médiatisé actuel, la compétence verbale doit être doublée d’une compétence communicative. Il ne suffit pas de disposer d’une grande faculté ou compétence langagière et symbolique, encore faut-il savoir la communiquer au grand public à travers les médias. Le rôle d’arbitre des médias comporte toujours le risque de privilégier, en terme de place médiatique, celui qui a la plus grande aisance en compétence verbalo-médiatique, indépendamment de sa représentativité ou légitimité politique.

Sur des problèmes à enjeu politique, la compétence communicative doit à son tour encore être enrichie d’une compétence en communication politique. En effet, la lutte pour la définition de la situation et la communication politique prennent souvent appui sur des événements symboliques à forte connotation émotive, qui sont profondément ancrés dans la mémoire collective et, par conséquent, susceptibles de renfermer une efficacité médiatique et politique certaine. A la lutte pour la définition de la situation par le langage s’ajoute ainsi la capacité de symboliser cette situation, de représenter la réalité concernée de manière aussi imagée, significative, percutante et efficace que possible en direction du citoyen ordinaire. Windisch rappelle que certaines couches de la population sont davantage sensibles et touchées par une représentation imagée, symbolique ou mythique que par une définition conceptuelle et abstraite. L’utilisation et la manipulation non seulement des mots mais des événements historiques clés, des symboles, des rites, des mythes, des personnages symboliques et mythiques, des récits considérés comme exemplaires, font partie de la maîtrise de cette compétence en communication politique.

Finalement, lutter pour imposer une définition de la situation, pour imposer tel contenu d’un problème plutôt que tel autre, c’est aussi agir pour imposer un type de relation aux auteurs de définitions rivales, une relation de

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vainqueur à vaincu. En imposant un contenu, on impose un certain type de relation. Selon Windisch, une meilleure connaissance des différents types de compétences (verbale, médiatique, communicative et politique) semble être une nécessité pour mieux cerner la logique, les implications et les potentialités de la construction médiatique des réalités sociales et politiques.

L’analyse des compétences nécessaires aux participants à la communication politique met en évidence sa dimension actionnelle. Le sujet politique parlant n’est pas perçu comme un individu déterminé par ses caractéristiques sociales, économiques ou culturelles, mais comme acteur qui participe à cette lutte qu’est la communication politique. Des acteurs politiques (hommes politiques, journalistes ou citoyens) qui sont opposés sur un objet donné vont essayer d’imposer leur définition, leur conception, leur sens de l’objet dont il est question. La communication politique représente la lutte entre les différents acteurs, dont chacun essaiera d’imposer son sens de la situation et sa définition du problème donné. L’objet politique se construit ainsi dans l’interaction des différents acteurs.

L’approche communicationnelle insiste sur le caractère dynamique du processus de construction du sens d’un objet politique. Celui-ci n’est pas donné une fois pour toutes, il se modifie dans son contenu au cours d’une interaction ou d’interactions successives. Un même objet prend des sens multiples chez les acteurs différents. De même, le sens d’un thème varie suivant le contexte et la situation, qui agissent sur la perception d’un phénomène. L’approche communicationnelle essaie de suivre le passage d’une situation à l’autre et de cerner les problèmes tels qu’ils se déroulent réellement. Car, la communication politique construit, déconstruit et reconstruit des objets.

La dimension pragmatique occupe également une place importante dans la communication politique. Cette dimension concerne l’usage du langage et les relations qui s’établissent à travers le langage entre l’émetteur et le récepteur. Le langage politique est le matériel de base de la communication politique. Celle-ci lui accorde une importance sociale et politique, et non seulement expressive et cognitive. Car c’est le langage qui va définir la situation, en devenant lui-même l’action politique. Le langage n’est jamais neutre, il exprime des orientations et des objectifs politiques. Les mots constituent un pouvoir dont on cherche à s’emparer, car le terme utilisé est capital dans la définition de la situation. Le langage, les mots ne sont pas qu’un reflet de la réalité; ils sont créateurs et modificateurs de la réalité. Le sens des mots s’élabore, lui aussi, progressivement, par et dans la confrontation et l’affrontement entre les mots, par le sens que chacun donne à ces mots. Et ces sens vont diverger d’autant plus que divergent les visions du monde et les conceptions générales des acteurs en présence.

La dimension symbolique est déterminante dans la communication et l’argumentation politiques. Définir un objet politique, c’est lui donner un sens en le symbolisant. Pour symboliser, les acteurs sociaux ne disposent pas uniquement du langage. Pour produire le sens, pour contribuer à la définition du sens dans la lutte pour la définition de la situation, ils se servent du langage, mais aussi des symboles, des slogans, des chansons, des affiches, des graffiti, de la caricature,

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de l’humour. Le langage politique et la communication politique puisent dans tout. Tout est bon qui est efficace. Selon Windisch, le code de la communication politique n’est pas simplement un répertoire de signes, mais un répertoire à la fois de signes, de symboles, de mythes, d’images, de figures, de métaphores, qui vont être combinés dans l’optique de leur acceptabilité par certaines couches de la population. Comme une grande partie de la population ne fonctionne pas au discours rationnel, argumentatif et logique, le discours politique comporte différents niveaux auxquels on fait référence, des éléments rationnels, scientifiques, statistiques, vérifiés empiriquement à la dimension imagée, figurée, symbolique. Les publics différents seront ainsi touchés par des aspects différents du même discours.

L’idée de la réception constitue la préoccupation première des acteurs politiques. La communication politique vise à interagir, à agir sur le public, en vue de le persuader, de le convaincre, de l’informer, de dominer. Celui qui réussit à imposer sa définition de la situation impose un type de relation d’ordre hiérarchique. La communication est l’action et elle agit sur les rapports de force. La réception est l’une des dimensions les plus importantes de l’approche communicationnelle. Car un fossé sépare l’interprétation des médias et celle du public. Un même message est interprété de manière totalement différente par des publics différents. L’analyste doit tenir compte de l’efficacité d’un discours et de la manière dont les messages sont reçus sous l’angle des effets voulus et non-voulus du discours. En décrivant la manière dont le sujet est présenté dans un discours, l’analyste a la possibilité de voir dans quelle mesure l’émetteur essaie de maîtriser les effets de son discours.

Finalement, « la lutte pour la définition de la situation » a une dimension interprétative. Dans la communication et l’argumentation politiques, il n’y a pas de vérité absolue, il faut parler d’interprétations d’un problème. Un débat politique est un affrontement de différentes interprétations et la communication politique une lutte d’interprétations.

La dimension interprétative permet également de mettre en évidence la multidimensionnalité de l’analyse quand le discours politique est médiatisé. Un événement politique fait l’objet de l’interprétation médiatique, laquelle peut donner lieu à de nouvelles interprétations. Les discours sur les événements et leur interprétation deviennent alors un enjeu dans la lutte pour la définition de la situation face au public des téléspectateurs, auditeurs de radio et lecteurs de journaux. « A ce moment-là, les médias ne doivent plus seulement maîtriser la couverture des événements réels, les cerner de manière aussi adéquate que possible, mais également gérer la manière dont ces événements sont interprétés par les différents acteurs politiques ainsi que la manière dont ces différents événements, discours et interprétations seront présentés au grand public » (1999: 10). Un phénomène donné n’est jamais défini indépendamment, séparément par chacun des acteurs. Les objets sont toujours co-construits, car chacun fait attention à ce que dit l’autre.

Windisch s’intéresse également à la nature et à la logique spécifiques de la représentation médiatique des événements politiques. La représentation de la réalité par les médias ne correspond pas à la réalité effective. Ceci ne veut pas

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dire que les médias modifient toujours intentionnellement cette réalité mais que ces reconstructions sont inhérentes à la logique du travail médiatique. Cette logique de la représentation médiatique n’est pas sans conséquence sur la représentation de la réalité. Lorsque les images et les représentations médiatiques prennent une importance telle qu’elles sont le seul moyen d’accès à la connaissance de la réalité pour la très grande majorité des individus – l’expérience directe et vécue étant le propre d’une proportion infime d’individus – la manière dont un événement est interprétée compte davantage que l’événement lui-même. En effet, conclut Windisch, on en arrive ainsi au point où ce ne sont plus les événements en eux-mêmes qui sont déterminants mais celui qui, parmi les différents acteurs politiques appelés à interpréter ces événements, réussit à imposer sa définition de la situation. 1.2.7. A propos des divergences entre les définitions proposées

Guidée par nos propres préoccupations théoriques, nous avons présenté ces différentes approches de manière partielle et partiale, en les réduisant à la seule problématique des stratégies discursives, bien que celle-ci, à l’exception de l’approche de Gumperz, ne soit pas au centre de leur intérêt. En dépit de son caractère réducteur, ce parcours présente un double intérêt. D’une part, il met en évidence les problèmes que pose à l’analyste la définition d’une « notion-carrefour » (Charaudeau), telle la notion de stratégie discursive, qui sert de passerelle entre la linguistique, la philosophie du langage, la sociologie et la psychologie. Si nous comparons les définitions et les classements proposés, nous avons l’impression que le terme de « stratégie discursive » ne représente qu’une « étiquette » qui recouvre des notions souvent très différentes. D’autre part, le parcours effectué nous permet de dégager, au-delà de leurs divergences, des points que ces définitions ont en commun, dont certains sont susceptibles d’être réexaminés dans une approche unifiée de la complexité de l’organisation du discours.

Ainsi, nous pouvons constater que toutes les approches mentionnées font état de la complexité des stratégies discursives, en situant l’étude de celles-ci dans une problématique plus large des comportements langagiers et des activités verbales. Ces dernières sont spécifiques par rapport aux activités non verbales, dans la mesure où elles portent sur « le sens des énoncés » (Ducrot), qu’ « on y manipule des significations » (Bange). Afin de mieux saisir la spécificité des activités verbales, Patrick Charaudeau propose la distinction entre « comportement langagier » et « comportement actionnel », le premier étant caractérisé par l’existence d’une visée, liée à l’acte de communication, et le second par l’existence d’un but, lié à l’action. Cette distinction l’amène à postuler que l’action, d’une part, et l’activité langagière, de l’autre, reposent sur des structures praxéologiques différentes.

Les auteurs cités considèrent que les stratégies discursives sont inséparables de la situation, chaque fois spécifique, dans laquelle elles se déroulent. Gumperz a mis en évidence les rapports dialectiques entre les activités

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verbales et le contexte: les activités verbales dépendent du contexte, dans lequel elles s’insèrent, mais, en même temps, elles le construisent et le modifient. Comme les activités discursives et le contexte se conditionnent réciproquement, l’analyse des stratégies discursives effectives doit tenir compte de la spécificité de chaque situation d’interaction et suivre son évolution progressive. Charaudeau parle du contrat de communication, concept qui, à la différence de celui de situation, permet de décrire les particularités discursives des textes en fonction des conditions de production psycho-socio-langagières dans lesquelles naissent les enjeux d’un échange. Il estime que l’étude des singularités d’un texte doit être précédée de la description des contraintes situationnelles et discursives des contrats de communication dans lesquels le texte en question prend sens.

Les approches citées partagent le même intérêt pour l’analyse des stratégies discursives issues des situations d’interaction spécifiques, avec une certaine préférence pour le discours politique (Gumperz, Adam, Windisch) et le discours des médias (Charaudeau, Adam), à l’exception de l’approche de Bange, qui se réclame de l’analyse conversationnelle.

Les stratégies discursives ne peuvent être analysées indépendamment de leurs conditions de production, mais elles incluent également un certain nombre de procédés qui sont universels, affirme Gumperz. Jean-Michel Adam a montré que les stratégies relevant de l’organisation compositionnelle des énoncés s’appuient sur des structures textuelles relativement stables et a établi des relations de correspondance, au niveau de l’organisation compositionnelle des productions discursives, entre leurs structures textuelles et praxéologiques. Quant à Charaudeau, il distingue l’espace de conventions comportementales ou de « contrat de communication » de celui d’individuation et considère la description des stratégies communicationnelles et discursives qui apparaissent de façon récurrente à l’intérieur du champ contractuel comme un préalable à l’étude des singularités d’un texte.

Les approches mentionnées mettent également en évidence la diversité des stratégies discursives. Les classements proposés sont établis selon deux principaux critères, qui recoupent la distinction évoquée par Charaudeau entre la notion de structure et celle de sujet.

Le premier type de classement insiste sur la structure des productions discursives. Ainsi, Gumperz fait la différence entre le sens du message et sa structure de surface et postule que le processus de contextualisation consiste à repérer, au niveau de la structure de surface, un certain nombre d’indices, permettant d’identifier des échanges verbaux comme représentatifs de certaines activités sociales et culturelles. Il propose un classement de stratégies discursives reposant sur le type d’indices repérés (« prosodic strategies », « swiching strategies », « rhetorical strategies »). Pour Charaudeau, le type de stratégie reflète la structure des activités verbales. La tripartition en stratégies communicationnelles, stratégies discursives et procédés discursifs repose sur l’hypothèse selon laquelle tout acte de communication dépend d’un contrat de communication, comportant des contraintes situationnelles, discursives et linguistiques. Adam a établi un classement des stratégies discursives au niveau de la structure compositionnelle des textes (stratégies narrative, descriptive,

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argumentative, explicative). Quant à Bange, il insiste sur la dimension hiérarchique des activités verbales, en différenciant les niveaux stratégiques et les niveaux opérationnels de la structure de l’interaction.

Le deuxième type de classement s’appuie davantage sur la notion de sujet, dans le sens large du terme, qui comprend le sujet parlant (ou écrivant) et le sujet interprétant. Le sujet de Gumperz se définit par sa compétence communicationnelle, concept qui permet de distinguer, parmi les stratégies communicationnelles, les stratégies appropriées ou inappropriées du point de vue du sujet parlant, des stratégies interprétatives adéquates mises en œuvre par le sujet interprétant. Pour Bange le niveau stratégique est celui de l’interprétation des actions verbales. Ducrot et Adam distinguent les stratégies de production des stratégies d’interprétation, en insistant, eux aussi, sur la dimension interprétative des stratégies discursives. Celle-ci fait partie intégrante du processus de production. Quant à Charaudeau, il associe la notion même de stratégie à celle de sujet, qui (inter)agit dans un espace d’individuation, conformément à une intentionnalité. La distinction qu’il propose entre stratégies communicatives et stratégies discursives correspond à celle entre sujet externe (caractérisé par une visée communicationnelle) et sujet interne (caractérisé par une visée d’effet discursif). Dans son approche communicationnelle du discours politique, exemple prototypique du discours conflictuel, Windisch insiste également sur la dimension interactionnelle des stratégies discursives. Le classement proposé (stratégies d’attaque, de défense et de persuasion) s’appuie sur les différents types de relations qu’un acteur politique souhaite imposer à d’autres acteurs politiques.

Quel que soit le critère choisi pour le classement des stratégies répertoriées, la plupart des approches témoignent de la volonté de dépasser la dichotomie entre les notions de sujet et de structure. En mettant en valeur la dimension pragmatique des stratégies discursives déployées, elles aboutissent à des typologies unifiées, fondées sur le critère de finalité actionnelle. Gumperz évoque, parmi d’autres, les stratégies de persuasion; Bange postule un passage graduel entre niveaux stratégiques et opérationnels, basé sur l’existence des buts et des sous-buts; Adam propose un reclassement des procédés compositionnels répertoriés en termes de buts (tels la soumission, la manipulation ou la persuasion); Ducrot reprend la distinction austinienne entre ce que l’on fait en disant quelque chose (acte illocutoire), et ce que l’on fait et que l’on ne dit pas (acte perlocutoire); Charaudeau insiste sur les rapports entre le sujet et la structure, déterminés par les enjeux spécifiques d’une interaction, et établit un parallèle entre les types de stratégies et les types de contraintes qui définissent les contrats de communication.

Si les auteurs cités affirment unanimement qu’une stratégie discursive est quelque chose de complexe, leurs approches, qui s’inscrivent dans des cadres théoriques différents, divergent sensiblement sur la manière de rendre compte de cette complexité. Pour Bange, la complexité des stratégies discursives reflète « la hiérarchie de buts et de moyens ». Gumperz utilise le terme de « cohérence stratégique ». Ducrot met en avant l’aspect dynamique des stratégies discursives lié au « sens profond des énoncés ». Le « passage graduel entre les niveaux

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stratégiques et les niveaux opérationnels » de Bange comporte également un aspect dynamique. Pour rendre compte de la complexité des stratégies discursives, Adam met en avant le caractère multidimensionnel des pratiques verbales et des productions discursives. Charaudeau distingue les dimensions situationnelle, discursive et linguistique dans la construction du sens social. L’approche communicationnelle de Windisch vise à saisir les multiples « facettes » de la communication et de l’argumentation politiques. Finalement, tous les auteurs évoquent l’importance de la dimension interactionnelle dans la définition et la caractérisation des stratégies discursives.

Par rapport aux trois critères définitoires de la stratégie, conçue comme « science ou art de l’action humaine finalisée, volontaire et difficile », les approches mentionnées ont surtout rendu compte du caractère finalisé des actions verbales, en insistant, dans leurs définitions, sur l’élément « intentionnel », les « buts » pratiques, les « objectifs » ou la « visée » communicationnelle de celles-ci.

Gumperz affirme que les activités verbales permettent de définir la situation en vue de la réalisation des buts pratiques. La tâche des interactants est d’exécuter des actions verbales et en même temps de les rendre interprétables en construisant un contexte dans lequel elles s’insèrent. Au cours de l’interprétation, ils utilisent, grâce à leur compétence communicative, toutes les informations disponibles pour établir les buts de communication vraisemblables. A partir de là, ils construisent des prédictions pour identifier l’intention de communication qu’ils pensent sous-tendre les énonciations particulières.

Bange s’intéresse aux notions de but et d’intention et à leur relation avec la signification. Après avoir postulé que toute action complexe est à la fois séquentielle et hiérarchisée, il distingue deux niveaux d’analyse, correspondant aux deux niveaux corrélés du but et du projet d’action, à savoir le niveau de la détermination des buts et le niveau de la stratégie. Il définit une stratégie comme un ensemble d’actions sélectionnées et agencées en vue de concourir à la réalisation du but final. L’hypothèse de l’adéquation des moyens aux buts est ce qui rend une action compréhensible. Dans l’intention et le projet d’action d’un acteur, la réaction de son partenaire est inscrite comme moyen de réaliser son but. Les actions verbales sont des actions de caractère social, dont le but est réalisé par la réaction du partenaire. L’existence de buts qui guident l’organisation conversationnelle locale vers l’accomplissement d’actions plus vastes nécessite une hiérarchisation de la structure de l’interaction. L’idée de stratégie inclut, selon Bange, l’idée d’une hiérarchie de buts et de moyens.

Ducrot postule que « le dire est inscrit dans le dit », le sens d’un énoncé ne pouvant se décrire sans référence à certaines intentions d’énonciation. L’intention d’énonciation donne le sens à l’énoncé. L’énoncé présente son énonciation comme adressée par un locuteur à un allocutaire. Selon la conception énonciative du sens que propose Ducrot, attribuer un sens à un énoncé, c’est chercher pourquoi l’énoncé a été produit. Le sens d’un énoncé contient une allusion à son éventuelle continuation et prétend orienter le discours dans telle ou telle direction. La distinction entre stratégie de production et stratégies d’interprétation reflète la conception de l’énonciation comme partie intégrante de l’énoncé. Les

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stratégies discursives sont constitutives du sens profond des énoncés, tandis que la compréhension de l’énoncé implique la découverte de la conclusion précise visée par le locuteur.

La mise en relation des procédés relevant de la structure compositionnelle des énoncés avec les plans d’organisation énonciative et illocutoire permet à Adam d’observer les rapports entre structures sémantiques textuelles et structures énonciatives pragmatiques. La notion de stratégie discursive contribue à la description de certaines activités discursives, telle la narration. En racontant une histoire, le narrateur a l’intention de produire un effet, d’anticiper et de guider l’interprétation. La narration vise à amener l’interprétant à une certaine conclusion ou à en détourner. La stratégie narrative consiste à obliger l’interprétant à compléter le récit, à la recherche d’une cohérence sémantique. C’est la distinction entre le but et la visée qui permet à Charaudeau de penser la notion de stratégie. Le but est défini comme objet de quête d’une action représentant un état d’équilibre final bénéfique pour l’agent. Charaudeau postule que la visée de l’acte de communication n’est que l’intention d’influencer l’autre. La visée représente une tension vers la résolution du problème que pose la présence de l’autre. La finalité actionnelle du comportement actionnel repose sur l’application de règles procédurales pré-définies. En revanche, la finalité actionnelle du comportement langagier repose sur invention et calcul permanent sur l’autre. La structure praxéologique de l’action est caractérisée par le plan, la structure praxéologique de l’acte de communication est caractérisée par la présence d’un obstacle. Charaudeau définit les conditions générales suivantes de définition de la stratégie: le but, une incertitude quant à la réalisation du but et une visée de résolution du problème, ainsi qu’un sujet pourvu d’intentionnalité.

Windisch distingue la communication conflictuelle de la communication non-conflictuelle par leurs objectifs respectifs: combattre les idées de son adversaire, faire triompher ses propres idées et les faire partager au public témoin, pour la première; dire, informer et faire comprendre, pour la seconde. Aux deux types de communication correspondent deux réalités langagières et discursives spécifiques, qui ont leurs règles, leurs structures et leurs contraintes propres, les formes et les contenus différents, les visées et les stratégies spécifiques. Le discours conflictuel vise à amener le récepteur à rejeter une information qu’il a admise. Le discours non-conflictuel cherche à apporter au récepteur une information qu’il ignore.

Quant à la définition des deux autres dimensions constitutives des stratégies discursives, à savoir leur caractère volontaire et difficile, ces approches sont beaucoup moins explicites. Pour rendre compte du caractère volontaire de l’action verbale, certaines d’entre elles mettent en évidence la dimension psychologique ou l’élément cognitif de l’action : la représentation et l’évaluation du contexte extérieur en vue d’une modification de la situation (Bange), les relations dialectiques entre le sujet et le monde (Charaudeau), la force essentielle de la stratégie argumentative ou narrative (Adam) ou la détermination et la compétence des acteurs politiques (Windisch). Pour les autres, les éléments cognitifs et intentionnels sont indissociables. Le caractère difficile de l’action verbale est associé dans la plupart de ces approches à la dimension

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interactionnelle (qui inclut l’aspect interprétatif) des stratégies discursives, du fait de la présence de l’interlocuteur ou de l’existence des contraintes liées à des situations d’interaction spécifiques (dans le cas, par exemple, de la communication médiatique ou de la communication politique) : le but de l’action verbale est réalisé par la réaction du partenaire (Bange), la tâche des interactants est d’exécuter des actions verbales et en même temps de les rendre interprétables en construisant un contexte dans lequel elles s’insèrent (Gumperz), la compréhension de l’énoncé implique la découverte de la conclusion précise visée par le locuteur (Ducrot), l’interprétation intervient dans le processus de production du discours (Adam), la visée communicationnelle exige l’invention et le calcul permanent sur l’autre sans avoir jamais la certitude de la réussite (Charaudeau), la communication politique représente la lutte entre les différents acteurs (Windisch). En fait, seuls les modèles de Charaudeau et de Windisch attachent une plus grande importance au caractère difficile de l’activité verbale, le premier avec la notion d’ « obstacle à la réalisation d’un but » et le second avec le concept de « lutte pour la définition de la situation ».

A part ces quelques orientations communes qui permettent leur rapprochement, la manière dont chacune de ces approches définit les dimensions constitutives des stratégies discursives révèle plutôt leurs divergences profondes qu’une unanimité réelle. La problématique des stratégies discursives est traitée de façon différente en fonction du cadre théorique choisi et des objectifs spécifiques à chacune des approches: étude des rapports entre les activités verbales et le contexte (Gumperz), élaboration d’un modèle d’action adéquat aux besoins de l’analyse conversationnelle (Bange), analyse des rapports entre l’énonciation et l’énoncé (Ducrot & Anscombre), mise en relation des différents plans d’organisation textuelle et pragmatique (Adam), communication et argumentation politiques définies en termes de lutte pour la définition de la situation entre différents acteurs (Windisch), construction du sens social (Charaudeau).

La principale source de divergences réside, à notre avis, dans le concept même de discours, qui n’est pas saisi par ces différentes approches dans toute sa complexité. Au-delà de la disparité terminologique, le concept de discours y est utilisé de manière plus ou moins vague et plus ou moins réductrice. Chez Charaudeau, par exemple, le terme de « stratégie discursive » s’oppose à ceux de « stratégie communicationnelle » et de « procédés discursifs ». Dans le modèle d’analyse du discours de type modulaire (1.4), la notion de discours recouvre les dimensions situationnelles, textuelles et linguistiques, si bien que, pour nous, le terme de stratégie discursive se rapporte à l’ensemble des stratégies et procédés répertoriés par Charaudeau.

Notons également que les approches mentionnées illustrent deux façons différentes d’aborder le discours en général, et le discours du journalisme politique en particulier. L’étude de celui-ci relève soit de la problématique de l’information médiatique (Charaudeau) soit de celle de la communication politique (Windisch). Le modèle genevois d’analyse du discours de type modulaire intègre les deux problématiques dans une approche unifiée de la complexité de l’organisation du discours et vise à rendre compte des

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interrelations subtiles entre ses dimensions constitutives, pour en proposer une analyse dynamique.

En conclusion, le bref parcours des différentes définitions de la notion de stratégie discursive nous a permis de constater que la notion de stratégie discursive échappe à une définition précise à partir du moment où son analyse s’appuie sur un concept de discours trop réducteur. Il a également mis en évidence la nécessité et la pertinence de la description des stratégies discursives dans le cadre d’un modèle d’analyse du discours « qui intègre aujourd’hui, dans une perspective interactionniste, les dimensions linguistiques, textuelles et situationnelles » (Roulet 2001a: 11). 1.3. La notion de stratégie dans la première version du modèle genevois

Si nous admettons que la principale source de divergences entre les définitions présentées réside dans un concept de discours trop réducteur, le recours à une approche unifiée de la complexité de l’organisation du discours devrait permettre de dépasser ces divergences et de rendre compte du caractère multidimensionnel des stratégies discursives. Nous essaierons ainsi de redéfinir la notion de stratégies discursives en nous appuyant sur le modèle genevois d’analyse du discours de type modulaire élaboré par Eddy Roulet et son équipe de recherche. En effet, il s’agit d’un modèle et d’un instrument d’analyse global, visant à rendre compte de la complexité de l’organisation du discours.

Avant de proposer une définition de stratégies discursives conforme à la version la plus récente du modèle (Roulet 1995, 1999, 2000, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001), il nous semble utile de rappeler l’étape initiale dans l’élaboration de celui-ci (Roulet 1980, 1981, Roulet et al. 1985), qui a donné lieu à une première définition de stratégies. 1.3.1. Un modèle de « l’articulation du discours »

La première version du modèle genevois est centrée, d’une part, sur l’analyse des différents modes d’articulation du discours et la description des marques linguistiques de ces articulations, et d’autre part, sur l’élaboration d’une conception dynamique des stratégies conversationnelles et interprétatives mises en œuvre dans les interactions en face à face.

Elle est influencée par la théorie des actes de langage élaborée par Austin et Searle, mais s’en distancie dans la mesure où ces auteurs réduisent l’énonciation aux actions (et non aux interactions) langagières de l’énonciateur. Partant de l’hypothèse de Bakhtine que le discours est interaction et que la structure du discours est largement déterminée par les contraintes de l’interaction verbale, et s’inspirant surtout des travaux des ethnométhodologues comme Goffman ou Sacks, qui resituent l’étude des actes de langage dans les domaines plus larges de l’interaction en face à face et de la structure de la conversation, la première version du modèle genevois insiste cependant sur « la nécessité de

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dépasser la perspective interactionnelle de Bakhtine et des analystes de la conversation anglo-saxons pour concevoir le discours en tant que négociation » (Roulet et al. 1985: 14).

Le but de ce premier modèle est de poser un cadre permettant de réexaminer différents concepts d’une linguistique pragmatique (acte de langage, fonction illocutoire, connecteur) étudiés généralement hors contexte et sans référence à la structure du discours. Il vise également à montrer qu’il est possible de décrire celle-ci à l’aide de principes et de catégories simples. S’appuyant sur une conception du discours comme négociation, il procède au repérage des constituants du discours à différents niveaux et des marques des relations entre ces constituants, ainsi qu’à la reconstitution des processus d’articulation qui sont en jeu dans le discours: « l’étude des stratégies interactionnelles, interactives et interprétatives mises en œuvre par les interlocuteurs et la formulation des conditions d’enchaînement et d’interprétation qui déterminent l’articulation du discours, dans une perspective qui tente d’intégrer les approches argumentative et conversationnelle » (1985: 5).

Pour définir les constituants du discours à différents niveaux, la première version du modèle genevois part de la distinction établie par Goffman entre deux types de contraintes qui influencent la forme même de ces constituants: contraintes rituelles (souci de ménager les faces positive, l’image qu’on donne de soi, et négative, c’est-à-dire l’intégrité de son territoire et la liberté de décision) et contraintes communicatives (souci de communiquer avec précision). Les processus de figuration, qui permettent de neutraliser le caractère menaçant de tout acte pour les faces des participants à l’interaction sociale, constituent les traces des contraintes rituelles dans la structure du discours, tandis que les procédés qui visent à soutenir l’attention de l’interlocuteur et les procédés de reformulation paraphrastique (qui ont pour fonction de résoudre des problèmes communicatifs et d’assurer la bonne transmission du message) représentent les traces des contraintes communicatives.

Comme une interaction n’est pas une simple relation linéaire, sans orientation ni fin, la perspective interactionnelle bakhtinienne ne permet de saisir ni la structure hiérarchique du discours, ni les contraintes qui déterminent la construction et la clôture des constituants. C’est pourquoi le modèle genevois, qui conçoit le discours en tant que négociation, essaie d’en dégager deux contraintes qui déterminent dans une grande mesure la structure du discours, tant dialogique que monologique : la complétude interactionnelle (la satisfaction de la contrainte du double accord qui autorise la clôture d’une négociation et, par conséquent, de l’échange qui la constitue) et la complétude interactive (la clarté et le caractère justifié des interventions, qui permet à l’interlocuteur de prendre position et autorise la poursuite linéaire de l’interaction).

A partir de cette distinction nouvelle, il pose, pour toute conversation, une structure à trois niveaux hiérarchiques: échange, intervention et acte de langage. Ces unités, qui sont « le lieu même du discours comme négociation », s’insèrent dans des unités de rang supérieur, les incursions. D’après la fonction qu’ils exercent au sein des unités plus vastes, les échanges confirmatifs se distinguent des échanges réparateurs. Les premiers remplissent généralement les fonctions

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d’ouverture et de clôture d’une incursion, et les seconds la fonction de transaction. Les interventions constitutives d’échanges, elles, peuvent avoir soit une fonction illocutoire initiative, si elles appellent une réaction, soit une fonction illocutoire réactive, si elles renvoient à une intervention antérieure. Quant aux plus petites unités constitutives d’une intervention, elles sont liées par des fonctions interactives.

Le recours à la notion de stratégie s’avère nécessaire dès que l’on cesse d’envisager l’étude du discours du point de vue de son organisation pour le mettre en rapport avec les pratiques des sujets parlants en situation, leurs intentions, motifs, buts communicatifs. L’intégration systématique de la notion de stratégie dans un modèle de description du discours devrait permettre, d’une part, de relier les faits de nature interactionnelle et les faits à proprement parler d’organisation discursive et, d’autre part, d’éviter un recours ad hoc à la notion de stratégie (1985: 195).

La première version du modèle genevois envisage deux manières différentes d’aborder la problématique des stratégies et en propose, par conséquent, deux conceptions différentes. Elles s’appuient toutes les deux sur le repérage des marques linguistiques responsables de l’organisation argumentative et hiérarchique du discours, conçues comme indicateurs de stratégies. L’analyse stratégique qu’elles proposent part de l’hypothèse générale selon laquelle les faits d’enchaînement et d’interprétation dans le discours sont contraints. Il en découle que les divers constituants du discours dégagés par l’analyse hiérarchique (actes, interventions, échanges) peuvent être considérés comme imposant ou satisfaisant des contraintes de nature différente, contraintes qui permettent de rendre compte à la fois de leurs interprétations, des enchaînements auxquels ils donnent lieu et de leur complétude. 1.3.2. La conception intentionnelle des stratégies d’interaction

Selon la première conception, la notion de stratégie est liée à l’exécution

des interventions illocutoires. Les « stratégies d’interaction » sont définies en termes de visées, correspondant aux deux principales exigences des interactions en face à face, à savoir la clarté et le ménagement des faces des interlocuteurs.

Le locuteur voulant exécuter une intervention illocutoire qui pourrait menacer la face de l’interlocuteur se trouve ainsi, si on laisse de côté la stratégie d’évitement consistant à renoncer à intervenir, devant le choix entre deux grandes stratégies: assurer la compréhension de la fonction illocutoire, « être clair », au risque de porter atteinte à la face de l’interlocuteur, ou ménager celle-ci, « ne pas s’imposer », en étant ambigu, au risque de ne pas être compris. Mais le choix n’est pas aussi tranché, car ces deux stratégies fondamentales peuvent s’analyser en des sous-stratégies: on peut assurer la compréhension de la fonction illocutoire de deux manières: ouvertement ou non ouvertement; de même, on peut ménager la face de l’autre en étant ambigu, de deux

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manières, selon qu’on oriente ou non l’interlocuteur vers l’interprétation illocutoire visée (Roulet 1981: 13).

Ce classement des stratégies d’interaction appelle plusieurs commentaires.

Tout d’abord, il nous permet d’observer que, dans la conception qui le sous-tend, la place centrale est accordée à la volonté du locuteur de réaliser certains buts, en choisissant une manière d’agir qui serait le mieux à même de répondre à des contraintes et à des exigences extérieures et d’éloigner ainsi d’éventuels risques que comporte une situation d’interaction. Les concepts de buts, de risques et de choix permettent ainsi de définir l’activité du locuteur face à des contraintes communicationnelles. Assurer la compréhension et ménager la face de l’interlocuteur constituent deux principaux buts qui orientent le locuteur lors de son intervention. Celle-ci est soumise à un certain nombre de contraintes, de natures diverses, dont la satisfaction permet de prévenir des risques potentiels: porter atteinte à la face de l’interlocuteur ou ne pas être compris. Les concepts de buts et de contraintes communicationnelles sont étroitement liés: pour « assurer la compréhension », il faut « être clair », de même que pour « ménager la face de son interlocuteur », il est nécessaire de « ne pas s’imposer ». Cependant, ces deux concepts ne suffisent pas, à eux seuls, à définir la notion de stratégie. Celle-ci inclut également le concept de choix. Le locuteur a le choix de privilégier l’une des exigences de l’interaction au détriment de l’autre, mais il peut également essayer de les concilier. Cependant, le choix de telle ou telle stratégie ou sous-stratégie ne sera pas sans répercussions sur le type de rapports (de dominance, de soumission ou de recherche de rapports égalitaires) entre les interlocuteurs. D’où le constat que « les stratégies les plus intéressantes ne sont pas les deux extrêmes, qui privilégient exclusivement l’une des exigences (clarté ou ménagement) aux dépens de l’autre, mais les deux stratégies intermédiaires, qui permettent de concilier dans une certaine mesure ces deux exigences à première vue antagonistes » (1981: 14). Si nous reprenons ces concepts à la lumière de la définition générale des stratégies citée au début de ce chapitre, nous nous apercevons qu’ils peuvent être associés aux trois critères définitoires qui y sont mentionnés. Les concepts de buts, de risques (et de contraintes) et de choix correspondent respectivement aux aspects finalisé, difficile et volontaire de toute stratégie. Finalement, le classement proposé démontre que ces trois aspects sont indissociablement liés. Le choix d’une stratégie par le locuteur repose sur la détermination des buts communicatifs, dont la réalisation dépend du respect des contraintes, imposées par la présence de l’interlocuteur ayant des buts plus ou moins divergents. Il ne s’agit donc pas du libre choix, mais d’un choix limité par des contraintes.

Aux stratégies d’exécution des interventions illocutoires correspondent les différents modes de réalisation linguistique. Reprenant les observations de Goffman sur le rôle capital de l’implicite dans les processus de figuration à la lumière des réflexions de Grice (1979) sur l’implicitation, la conception intentionnelle de stratégies distingue, dans l’expression de la fonction illocutoire, ce qui est explicité de ce qui est implicité; dans ce qui est implicité, ce qui l’est conventionnellement de ce qui l’est conversationnellement; enfin, dans cette

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dernière catégorie, ce qui est le fait d’une implicitation conversationnelle généralisée de ce qui est le fait d’une implicitation conversationnelle particulière.

Elle met ensuite en rapport les stratégies qui commandent l’interaction en face à face et ses différents modes de communication avec la problématique des marqueurs illocutoires, pour constater que le mode explicite est caractérisé par l’emploi de marqueurs dénominatifs de fonction illocutoire, tandis qu’à l’implicitation conventionnelle, conversationnelle généralisée et conversationnelle particulière correspondent respectivement les marqueurs indicatifs de fonction illocutoire, les marqueurs potentiels de fonction illocutoire et l’absence de marqueur de la fonction illocutoire implicite. Une distinction est établie entre ces marqueurs de fonction illocutoire et les marqueurs de fonction interactive. Ceux-ci « appartiennent à la catégorie des marqueurs indicatifs, ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où les actes interactifs, de par leur caractère intrinsèquement subordonné à d’autres actes, ne présentent guère de menace potentielle pour la face de l’interlocuteur » (1981: 19). Quant aux structures syntaxiques fondamentales (déclarative, interrogative et impérative), considérées dans d’autres approches comme marqueurs de fonction illocutoire spécifique (assertion, demande d’information, ordre), elles font partie des marqueurs d’orientation illocutoire, « permettant d’établir, quoique à des niveaux différents, le même type de relations de droits et d’obligation entre les interlocuteurs » (ibid.).

La conception intentionnelle de stratégies élaborée dans le cadre de la première version du modèle genevois aboutit ainsi à l’établissement d’un parallélisme entre les stratégies d’interaction, les modes de communication correspondants et les différents types de marqueurs de fonction illocutoire.

1.3.3. La conception formelle des stratégies conversationnelles et interprétatives

Avant de proposer leur modèle stratégique, les tenants de la deuxième

conception (Antoine Auchlin et Jacques Moeschler) se distancient de l’approche qu’ils qualifient d’instrumentale. Envisagée d’une façon intuitive, une stratégie est, certes, conçue comme un ensemble de moyens, attribués à un responsable et mis en œuvre pour atteindre certains buts. Mais, affirment-ils, caractériser linguistiquement le responsable d’une stratégie imposerait un choix entre deux conceptions pragmatiques des stratégies, une conception polyphonique et une conception intentionnelle. Sans vouloir renoncer à l’utilisation des notions de polyphonie et d’intention dans leur description, ils leur associent un statut dérivé, plutôt que primitif. En outre, ils reprochent à la conception instrumentale « une certaine circularité dans la description de la relation moyen-but », l’accès à la caractérisation des buts et des motifs ne pouvant s’opérer que de façon spéculative, à partir des traces des buts dans les moyens.

Selon la conception formelle, c’est la relation qui s’opère entre l’imposition de contraintes et leur satisfaction qui est nommée stratégie. Une

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stratégie est définie comme relation entre deux objets, appelés respectivement source et cible.

R<source, cible>

« Les notions de source et de cible dénotent respectivement un ensemble de départ et un ensemble d’arrivée associés par la relation stratégie. A ce titre, elles doivent être interprétées comme des variables, et non comme des constantes, ce que sont les notions de but et de moyen de la conception instrumentale. Cette définition implique que pour chaque type de stratégie (interactive, interactionnelle, interprétative) la valeur des variables source et cible soit donnée par des contraintes de nature différente » (Roulet et al. 1985: 199).

En postulant que la notion centrale dans l’analyse stratégique est celle de contrainte, Auchlin & Moeschler tiennent à préciser que « la notion de stratégie est non pas primitive, mais dérivée, en ce qu’elle repose sur les hypothèses, introduites indépendamment – concernant l’aspect nécessairement contraint de l’activité discursive ».

La distinction entre différents types de contraintes régissant les faits d’interprétation et d’enchaînement à des niveaux hiérarchiques divers est à l’origine du classement en stratégies conversationnelles et stratégies interprétatives. Les stratégies conversationnelles se subdivisent en stratégies interactives et stratégies interactionnelles. Les stratégies interprétatives président à l’interprétation des stratégies conversationnelles.

L’analyse stratégique proposée, en vertu du détour qu’elle impose par les stratégies interprétatives, est très différente de l’analyse hiérarchique élaborée dans la première conception. Ainsi, la notion de complétude (interactive et interactionnelle) est envisagée, en termes stratégiques, à travers l’opposition local/global, et surtout à travers l’aspect rempli/non rempli du format des stratégies.

La définition formelle des stratégies, dans la mesure où elle repose sur la mise en relation de deux entités, implique la délimitation d’un espace cognitif ou discursif dans lequel cette relation prend effet, c’est-à-dire la détermination de son format. Les tenants de la conception formelle posent par hypothèse l’existence d’une contrainte supplémentaire sur la formation des stratégies, contrainte spécifiant que la reconnaissance de l’existence d’une stratégie impose le remplissage de son format. Cette hypothèse sur la contrainte liée au format permet de définir deux modes d’accès aux stratégies: un mode d’accès inférentiel et un mode d’accès totalisant (1985: 200).

La conception formelle définit, de façon générale, la portée d’une stratégie (quelle qu’elle soit) comme l’ensemble du matériel nécessaire pour remplir son format. Cependant, la caractérisation de la portée d’une stratégie s’opère à partir de considérations hétérogènes: « les unes sont des hypothèses tirées de la taille discursive du format, les autres relèvent d’une loi régissant les rapports

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d’inclusion entre stratégies, qui stipule de manière générale qu’une stratégie n’est dite locale que si elle est incluse dans une autre stratégie » (1985: 201).

Un des problèmes importants pour la description des stratégies auquel se trouve confrontée la conception formelle concerne l’identification des constituants susceptibles de remplir en termes de contraintes les variables source des stratégies. Ses auteurs postulent qu’à un constituant peut correspondre un ensemble de variables source, définies par les contraintes illocutoires et/ou interactives qu’il actualise, et non pas une seule variable source. Le constituant donnant une valeur à la variable cible doit satisfaire les contraintes imposées par la source de la stratégie; une telle satisfaction peut être évaluée à partir des critères suivants: l’existence d’un lien thématique, la nature des rapports entre contenus propositionnels, la compatibilité illocutoire et/ou interactive et l’homogénéité argumentative.

Les tenants de la conception formelle posent d’une façon générale qu’à la variable source d’une stratégie interactive est par convention associée l’imposition des contraintes d’enchaînement portant sur la bonne formation interactive des interventions. Et de façon symétrique, qu’à la variable cible d’une telle stratégie correspond, également par convention, la satisfaction des contraintes imposées par la source.

La description des stratégies interprétatives permet de présenter d’une façon plus complète les différentes hypothèses sur les relations entre faits d’interprétation, faits de progression et faits d’articulation du discours. La variable source d’une stratégie interprétative ne peut être remplie que par le format d’une stratégie interactive, que ce format soit effectivement rempli ou postulé projectivement. Les variables source et cible d’une stratégie interprétative consistent respectivement en contraintes d’interprétation associées au format d’une stratégie interactive et interprétation.

A la source d’une stratégie interprétative sont associées des contraintes que la cible doit satisfaire. Il existe deux grands types de contraintes interprétatives, d’une part, les instructions argumentatives et/ou fonctionnelles données par les connecteurs pragmatiques, les marqueurs de fonction illocutoire ou interactive, les opérateurs argumentatifs, les marqueurs de structuration et, d’autre part, les lois de discours. Envisagée comme cible d’un processus stratégique, l’interprétation doit être conçue comme une représentation hypothétique du sens à attribuer aux divers constituants du discours. Cet aspect hypothétique des interprétations peut être examiné à travers les procédés d’infirmation et de confirmation auxquels elles sont soumises. Le fait d’envisager les interprétations dans leur aspect hypothétique « ne vise pas le caractère indécidable du sens intentionné par un énonciateur, mais plutôt les divers mouvements et déplacements auxquels sont soumises, en regard de la progression du discours, les interprétations ». Ils distinguent deux mouvements principaux, ou modes d’accès, modifiant les interprétations: les mouvements projectifs et les mouvements rétroactifs qui interviennent dans le développement des stratégies interprétatives (1985: 223).

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Finalement, la valeur de la source, de même que celle de la cible, d’une stratégie interactionnelle ne peuvent être données que par le format rempli d’une stratégie interprétative.

L’analyse proposée permet ensuite d’identifier deux types de relations qui s’établissent entre ces stratégies, à savoir les relations d’inclusion et de blocage, ainsi que l’ordre suivant des relations entre stratégies conversationnelles (interactive et interactionnelle) et stratégie interprétative, stratégies qui doivent être attribuées à des énonciateurs distincts:

stratégie interactive → stratégie interprétative → stratégie interactionnelle et en termes de source et de cible

stratégie interactive: (s, c) ∨ stratégie interprétative: (s, c)

∨ stratégie interactionnelle: (s, c) (1985: 234)

L’insertion des stratégies interprétatives dans les stratégies

conversationnelles permet de distinguer deux phases des processus stratégiques, qui peuvent être qualifiées schématiquement d’active et de réactive, correspondant en fait à l’attribution de fonctions illocutoires initiative et réactive aux constituants de l’échange.

En mettant en avant le caractère contraint du déroulement des processus stratégiques, phase par phase, ainsi que l’interdépendance des processus de production et d’interprétation des constituants du discours à différents niveaux, la conception formelle vise à réinscrire dans une perspective dynamique les descriptions statiques fournies par les analyses argumentative et hiérarchique des constituants du discours. Cependant, l’analyse stratégique qu’elle propose reste rudimentaire, car des notions-clés, telles que la polyphonie et diaphonie, ne sont pas susceptibles d’y être intégrées. Ceci s’explique par un degré de précision du modèle insuffisant pour la définition des contraintes et pour la caractérisation de la valeur des variables stratégiques. En outre, la première version du modèle genevois privilégie les propriétés argumentatives des constituants du discours aux dépens de leurs propriétés thématiques.

Parmi les propriétés plus fines susceptibles d’entrer dans la caractérisation de la valeur des variables stratégiques, les auteurs de la conception formelle mentionnent l’attribution des actes à des auteurs particuliers et distincts, c’est-à-dire les faits de diaphonie et de polyphonie.

La description des différentes « phases » dans le déroulement des processus stratégiques et la prise de conscience des différences entre l’analyse hiérarchique et l’analyse stratégique constituent, à notre avis, les principaux apports de la conception formelle des stratégies élaborée dans le cadre de la première version du modèle genevois.

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En outre, la mise en évidence de la nécessité d’intégrer dans l’analyse stratégique d’autres dimensions constitutives du discours, représente, sans aucun doute, la piste à suivre si l’on se pose comme objectif de redéfinir la notion de stratégie dans un modèle d’analyse du discours de type modulaire. 1.4. La notion de stratégie discursive dans un modèle d’analyse de l’organisation du discours de type modulaire

Le modèle hiérarchique récursif élaboré au début des années quatre-vingt « a permis de rendre compte de la manière dont, avec un nombre fini de catégories, on peut produire une infinité de discours, qu’ils soient monologiques ou dialogiques ». Depuis ces premières recherches sur l’articulation du discours, synthétisées dans Roulet et al. (1985), le modèle a progressivement évolué vers la reconnaissance d’une « organisation hiérarchique de l’activité humaine à tous les niveaux, de la proposition syntaxique à l’échange, à l’action et aux représentations que nous nous faisons du monde » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 5).

Limité au départ à la description de la structure hiérarchique et à l’organisation polyphonique, le modèle genevois a fini par prendre en considération l’ensemble des dimensions constitutives de l’organisation du discours, celles qui ont déjà fait l’objet de descriptions précises mais ponctuelles dans des cadres épistémologiques différents, comme l’organisation informationnelle, compositionnelle, actionnelle, inférentielle ou interactionnelle, et celles qui échappent toujours à une analyse plus approfondie. L’analyse de la structure hiérarchique en a subi elle-même quelques modifications, concernant principalement la définition des unités textuelles et la mise en exergue du caractère dynamique du discours, conçu désormais comme le produit émergent de représentations sous-jacentes d’ordres praxéologique et textuel. Ainsi, une approche partielle de l’organisation des discours a petit à petit cédé la place à un modèle global « s’appliquant à toutes les dimensions de toutes les formes de discours » (ibid.).

C’est la prise de conscience de l’hétérogénéité et de l’extrême complexité des données à prendre en compte dans l’étude de discours authentiques qui a conduit à l’élaboration d’un modèle d’analyse de type modulaire, s’inspirant de l’étude modulaire des systèmes complexes esquissée par Simon (1962). Celle-ci « propose une approche qui devrait permettre de rendre compte de manière simple, progressive et systématique de l’organisation d’objets complexes, en les décomposant en un certain nombre de systèmes et de sous-systèmes d’informations » (2001: 30). Une telle approche se prête d’autant mieux au champ de discours que la conception de modularité sur laquelle elle repose est compatible avec l’interactionnisme cognitiviste auquel adhère le modèle genevois. En effet, il s’agit d’une conception méthodologique de la modularité qui vise à décrire l’organisation du discours, dans ses composantes linguistique, textuelle et situationnelle, et qui postule un ensemble évolutif de sous-systèmes

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interdépendants, définissant les modules par la propriété de spécificité de l’information (id. 31)8.

Le dispositif modulaire élaboré dans le cadre de la version la plus récente du modèle genevois comporte cinq systèmes d’informations de base, qui peuvent être décrits de manière indépendante: les modules interactionnel et référentiel (qui relèvent de la composante situationnelle), le module hiérarchique (qui relève de la composante textuelle) et les modules syntaxique et lexical (qui relèvent de la composante linguistique).

Ce dispositif permet de passer de la description des dimensions modulaires à la description des formes d’organisation élémentaires et complexes. Les formes d’organisation élémentaires (phono-prosodique, sémantique, opérationnelle, relationnelle, séquentielle, informationnelle, énonciative) reposent sur la combinaison d’informations d’origine modulaire, tandis que les formes d’organisation complexes (compositionnelle, périodique, topicale, polyphonique et stratégique) sont fondées sur le couplage entre des informations issues de modules et de formes d’organisation (Roulet 2001b: 51).

Compte tenu de ce développement du modèle, la notion de stratégie devrait être reprise et redéfinie dans une perspective nouvelle. En effet, l’évolution du modèle vers une approche modulaire permet de formuler de nouvelles hypothèses et de redéfinir la notion de stratégie avec un degré de généralité – et de précision - plus élevé qu’il ne l’a pu être auparavant. D’autre part, l’élaboration d’un instrument d’analyse sophistiqué, susceptible de rendre compte de la complexité des productions discursives, permet de vérifier ces hypothèses et d’affiner l’analyse des stratégies discursives mises en œuvre dans des situations d’interaction spécifiques.

Dans une perspective modulariste, une stratégie discursive peut être définie comme un processus discursif complexe, hiérarchiquement et séquentiellement organisé, issu de la combinaison d’informations modulaires d’origines praxéologique et textuelle (relatives à la définition des unités praxéologiques et textuelles de rangs différents) avec les informations liées aux formes d’organisation simples et complexes qui interviennent dans l’analyse des buts et des visées communicationnelles des productions discursives réalisées dans une situation d’interaction spécifique.

La combinaison d’informations modulaires d’ordres praxéologique et textuel s’effectue dans le cadre de la forme d’organisation opérationnelle, qui vise à rendre compte de la manière dont « les ressources communicationnelles s’imbriquent dans la structuration des actions » (Filliettaz 2001b: 209). La combinaison d’unités praxéologiques et textuelles minimales et intermédiaires donne lieu aux unités discursives relevant du niveau opérationnel de l’interaction, tandis que la hiérarchisation des opérations discursives en fonction de leur contribution à la réalisation des enjeux individuels et communs d’une situation d’interaction spécifique relève du niveau stratégique. C’est au niveau stratégique, à partir de leur place au sein des unités discursives plus vastes (de portée 8 contrairement à la conception fodorienne de la modularité qui vise à décrire le fonctionnement de l’esprit et qui postule un ensemble permanent de sous-systèmes stables et indépendants, en définissant les modules principalement par une propriété d’étanchéité

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globale), que s’effectue l’attribution de la signification aux opérations discursives de portée locale.

Les stratégies de production et d’interprétation relevées par Ducrot et par Adam apparaissent, dans la perspective interactionniste cognitiviste, comme deux facettes « conceptuelles » du même processus stratégique de mise en relation des ressources langagières et des conduites finalisées, processus anticipé par l’instance de production et reconstitué par l’instance de réception. De fait, les stratégies de production et d’interprétation peuvent être considérées l’une comme point de départ et l’autre comme point d’arrivée des opérations discursives effectives. Une stratégie de production consisterait à donner un sens, en fixant leur but global et leurs sous-buts, à l’ensemble des opérations discursives qui seront effectuées, ainsi qu’à chacune d’entre elles. En revanche, une stratégie d’interprétation consisterait à comprendre le sens de l’ensemble des opérations discursives qui ont été effectuées, en reconstituant, étape par étape, les sous-buts de chacune des opérations, ainsi que leur but global.

Il s’ensuit de cette définition que l’analyse des stratégies discursives nécessite la prise en considération de l’ensemble des dimensions constitutives de cet instrument complexe permettant d’articuler les enjeux individuels et communs d’une situation d’interaction. Les dimensions linguistiques, textuelle et situationnelles de l’organisation du discours doivent être considérées à la fois comme des ressources sur lesquelles s’appuie l’élaboration de différentes stratégies discursives et comme des contraintes imposées aux participants d’une interaction verbale.

Comme cette définition ne préjuge rien sur le moment où s’opère le choix d’une stratégie discursive ni sur les paramètres interactionnels (le canal, le mode et le lien d’interaction), elle peut s’appliquer aux différents cadres interactionnels. Si l’on s’intéresse cependant à une situation d’interaction spécifique, telle l’interaction médiatique, quelques précisions peuvent y être apportées, concernant surtout la complexité du cadre interactionnel et le caractère plus ou moins planifié de certaines opérations discursives.

C’est pourquoi nous estimons que la description des formes d’organisation dont relève la problématique des stratégies discursives devrait être précédée d’un inventaire d’informations d’origine modulaire pertinentes pour l’analyse des productions discursives qui émergent dans des situations d’interaction spécifiques, en l’occurrence, du discours du journalisme politique et, plus particulièrement, du discours de la presse écrite (Chapitre 2). Conformément à la démarche méthodologique descendante proposée par Bakhtine, nous commencerons par la description de la composante situationnelle de l’organisation du discours pour rendre compte, d’une part, de la spécificité de la situation d’interaction réunissant une instance médiatique et une instance de réception et, d’autre part, du cadre actionnel et des représentations conceptuelles et praxéologiques des deux univers du discours. Une attention particulière sera accordée à l’examen des structures hiérarchiques praxéologiques et textuelles, sur lesquelles s’appuient les unités et les processus discursifs qui relèvent des niveaux opérationnel et stratégique de l’interaction entre l’instance médiatique et l’instance de réception. Nous aborderons également les dimensions syntaxiques

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et lexicales du discours journalistique, qui interviendront dans la combinaison des informations liées aux constituants de l’organisation opérationnelles avec les informations relatives aux formes d’organisations simples et complexes impliquées dans la description des buts et des visées communicationnelles des unités et des processus discursifs.

Nous procéderons ensuite à une analyse descriptive de la forme d’organisation opérationnelle du discours de la presse écrite, qui a une place centrale dans l’étude des stratégies discursives de production et d’interprétation (Chapitre 3). Nous combinerons les informations issues des formes d’organisation opérationnelle et relationnelle, pour compléter l’analyse des unités discursives par celle des processus opérationnels caractéristiques du discours de la presse écrite.

La distinction entre les unités discursives qui relèvent du niveau opérationnel et celles qui relèvent du niveau stratégique de l’interaction médiatique nous permettra de combiner les informations issues des formes d’organisation opérationnelle et relationnelle avec les informations concernant les formes d’organisation simples (informationnelle, énonciative, séquentielle) et complexes (topicale, polyphonique, compositionnelle, stratégique) qui interviennent dans l’analyse des buts communicationnels et des visées communicationnelles du discours du journalisme politique (Chapitre 4). Une analyse dynamique des stratégies effectives mises en œuvre par différentes instances de production dans une situation d’interaction identique devrait nous permettre de rendre compte des différents modes de structuration correspondant à leurs projets respectifs. C’est pourquoi l’analyse descriptive du niveau stratégique (celui des visées communicationnelles) sera complétée par une analyse comparative des variations stratégiques au sein d’un type discursif (le discours du journalisme politique) et d’un genre discursif (le quotidien d’information).

Avant de procéder à l’étude des stratégies discursives, nous tenterons ici de les caractériser, en réexaminant leurs principaux aspects à la lumière des dimensions modulaires et des formes d’organisation du discours sur lesquelles sera axée notre analyse. 1.4.1. L’aspect difficile des activités discursives: la description de la dimension interactionnelle

L’importance de la dimension interactionnelle dans l’analyse des activités verbales a été évoquée par tous les auteurs que nous avons cités dans le bref survol des principales conceptions des stratégies discursives. La plupart des approches mentionnées associent à la dimension interactionnelle des productions discursives (qui inclut l’aspect interprétatif), le caractère difficile de l’action verbale, lié, d’une part, à la présence d’une instance de réception et, d’autre part, à l’existence des contraintes spécifiques à chaque situation d’interaction.

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L’analyse de la dimension interactionnelle du discours, dans une perspective modulariste, est centrée sur la description du cadre interactionnel, qui fait intervenir à chaque niveau les différentes propriétés de l’interaction9.

La communication médiatique et, plus spécifiquement, le discours de la presse écrite, fournissent l’exemple d’une situation d’interaction complexe, qui fait intervenir ces propriétés à trois niveaux différents, emboîtés l’un dans l’autre, depuis le niveau d’interaction le moins élevé réunissant une source d’information et le journaliste à celui qui relie l’instance médiatique et l’instance de réception, en passant par le cadre interactionnel qui se situe au niveau intermédiaire de l’interaction et qui met en rapport le journaliste et le lecteur. Du fait de cette complexité de la situation d’interaction, l’analyse des stratégies discursives du journalisme politique devra accorder une importance particulière aux formes d’organisation énonciative et polyphonique, qui permettent d’articuler les premier et deuxième niveaux d’emboîtement. C’est au niveau de l’analyse d’un article de presse (le premier niveau d’emboîtement) comportant des déclarations d’hommes politiques, d’experts, de témoins ou de citoyens, accordées aux journalistes (le deuxième niveau d’emboîtement) qu’il sera intéressant d’observer la manière dont les discours représentés sont intégrés dans le discours du journaliste, du point de vue de leur prise en charge énonciative et d’un degré d’autonomie plus ou moins élevé.

Les propriétés matérielles de l’interaction entre l’auteur d’un article de presse et son lecteur, à savoir le canal écrit, la distance spatio-temporelle et la non-réciprocité, auront un impact direct sur les stratégies discursives qui, du coup, ne seront pas identiques à celles déployées dans une interaction en face à face. Une comparaison des discours dialogiques et monologiques s’avère nécessaire, pour rendre compte des spécificités des stratégies discursives de la presse écrite, déterminées en partie par les propriétés matérielles de l’interaction.

Finalement, l’instance médiatique (en l’occurrence, tel ou tel quotidien) donnera la dernière touche au produit médiatique au niveau de l’interaction le plus élevé, où s’effectuent la sélection et la hiérarchisation des informations. C’est en partie par une logique économique que l’instance médiatique est guidée dans ses rapports avec l’instance de réception (le public). Le fait que l’instance de réception soit plurielle constitue une spécificité supplémentaire de la communication médiatique. Ce cadre interactionnel est caractérisé, d’une part, par la distance spatio-temporelle et, d’autre part, par une certaine réciprocité que l’on pourrait qualifier de partielle. En fait, une forme de réciprocité peut être postulée à ce niveau d’interaction dans la mesure où l’instance de production (qui suit une logique économique) évolue en fonction des réactions de l’instance de réception (en tant que consommateur du produit final), et que, d’autre part, l’opinion publique change sous l’influence des médias. C’est dans ce sens qu’on peut parler de la « co-construction » du discours d’information médiatique.

9 « Un niveau d’interaction résulte d’une combinaison de ces paramètres »: « 1) le canal utilisé (en termes de dominance – oral, écrit, visuel), 2) le mode de communication (ou type de « présence » donné par la distance spatiale et temporelle entre interactants), ainsi que 3) le type de lien communicationnel (unidirectionnel ou réciproque, selon la nature de la rétroaction) » (Burger 1997: 20).

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Il faut préciser que la dimension interactionnelle entretient d’étroites interrelations avec d’autres dimensions modulaires. Premièrement, nous pouvons observer que la complexité du cadre interactionnel qui vient d’être esquissé est due à l’ambiguïté du statut de l’instance médiatique. La notion de « statut » relève du module référentiel ou, plus précisément, du cadre actionnel. Deuxièmement, le cadre interactionnel peut être mis en relation avec les objectifs de l’instance de production et des effets que celle-ci veut produire sur l’instance de réception – qui relèvent également du module référentiel. Troisièmement, les relations d’interaction entre l’instance médiatique et l’instance de réception ont un impact sur la structure conceptuelle: la sélection des informations, leur hiérarchisation et leur traitement seront effectués en fonction du public visé. Autrement dit, les choix discursifs auxquels se livrera chaque journal pour transmettre les faits qu’il a sélectionnés seront ajustés aux attentes du public visé.

Ces trois exemples d’interrelations entre les dimensions interactionnelle et référentielle de l’organisation du discours montrent que les différents aspects des stratégies discursives sont étroitement liés. 1.4.2. L’aspect finalisé des activités discursives: la description de la dimension référentielle Aborder le discours sous l’angle des stratégies qui y sont déployées, c’est mettre au premier plan les rapports entre les participants à l’interaction. Ces rapports reposent sur leurs objectifs individuels, mais sont orientés en même temps vers la réalisation d’un enjeu qu’ils ont en commun. Cet aspect finalisé des actions participatives des interactants relève de la dimension référentielle de l’organisation du discours.

L’étude de la dimension référentielle des interactions verbales porte à la fois sur des entités schématiques qui préexistent à l’action et sur des processus émergents qui sont propres à sa réalisation effective (Bange 1992, Roulet 1999, Filliettaz 2000, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001). L’intégration des aspects contextuels à la description de l’organisation du discours nécessite ainsi la prise en compte des ressources cognitives, psychologiques et sociales que les individus mobilisent dans leurs interactions avec l’environnement.

Une analyse stratégique devrait mettre en évidence, en premier lieu, l’aspect finalisé des productions discursives. Etant donné que celles-ci sont adressées et évaluées, elles renvoient à des actions conjointes. Selon Filliettaz, « une transaction en librairie tout comme un éditorial sont à traiter au plan référentiel comme des pratiques sociales impliquant une pluralité d’instances agentives (un client et un libraire, un journaliste et des lecteurs) qui doivent opérer à travers le discours une reconnaissance intersubjective de leurs visées respectives » (Filliettaz 2001a: 110). Pour rendre compte des propriétés référentielles d’une interaction verbale, saisie du point de vue de la configuration des actions qui y sont en jeu, on aura recours au cadre actionnel. La description des configurations d’action à l’aide d’un cadre actionnel résulte, selon Filliettaz,

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de l’articulation des quatre paramètres: les enjeux communs, les actions participatives, les positions actionnelles et les complexes motivationnels.

La notion d’enjeu désigne la finalité partagée qui articule l’engagement des interactants dans l’action collective. Les enjeux de l’interaction renvoient à la fois aux mondes objectif, social et subjectif, car une action conjointe vise non seulement à modifier des états de choses dans le monde, mais à rendre manifeste des relations interpersonnelles légitimes ainsi que des expériences vécues valorisantes. Les interactants assument à l’égard de l’enjeu commun des responsabilités distinctes et poursuivent des objectifs individuels qui ne se recoupent que rarement. L’engagement réciproque et interdépendant de la part des participants à l’interaction n’est pas sans conséquence sur la manière dont les interactants se représentent la position qu’ils occupent dans la configuration des enjeux qui organise leur association momentanée. Comme les enjeux de l’interaction mobilisent des catégories à la fois objectives, sociales et subjectives, la position des agents dans l’interaction ne peut se ramener à un paramètre unique, mais se manifeste à la fois sous la forme de statuts sociaux (par exemple, « journaliste »), de rôles praxéologiques (par exemple, « informer ») et de mises en jeu de faces (par exemple, « être crédible »). Quant à la notion de complexe motivationnel, Filliettaz (2000) postule, avec Anscombe (1990), la distinction entre les intentions et les motifs. « Si les intentions, les visées ou les finalités apparaissent comme constitutives de l’action et en fondent la signification, les motifs quant à eux fonctionnent comme un "cadre externe", une "toile de fond" qui en fixe la pertinence » (2000: 90).

Dans les interactions verbales, les individus mobilisent également les ressources cognitives, qui relèvent principalement de la dimension conceptuelle de l’organisation du discours. Dans l’exemple de la communication médiatique, le but direct (ou visée communicationnelle) de l’instance de production consiste à produire une modification des représentations conceptuelles de l’instance de réception (« faire croire »). Cette modification des représentations conceptuelles ne sera pas sans répercussions sur les comportements individuels. Le but indirect (ou but actionnel) poursuivi par l’instance médiatique est de provoquer une modification de l’état du monde (« faire faire »). La notion de but permet ainsi d’assimiler les deux mondes du discours, le monde réel et le monde représenté, et d’articuler la représentation conceptuelle du monde dont le discours parle et la représentation praxéologique du monde dans lequel le discours se déroule. Le monde du discours médiatique est, en effet, un lieu de construction du « sens social » (Charaudeau 1997) et des « objets politiques » (Windisch 1987). Ce processus de construction relève à la fois de la dimension praxéologique, dans ce qu’il a de dynamique, et de la dimension conceptuelle, dans la mesure où il porte sur des objets d’ordre conceptuel.

Cette étroite imbrication des dimensions praxéologiques et conceptuelles donne un caractère dynamique aux structures conceptuelles émergentes. D’autre part, la modification des représentations conceptuelles ne laissera pas intactes les structures praxéologiques qui émergeront au cours de l’interaction. Rappelons que ces rapports dialectiques entre les activités verbales et le contexte ont été mis en évidence par Gumperz (1982).

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L’analyse des stratégies discursives du journalisme politique devrait tenir compte de l’organisation informationnelle et topicale, qui nous permet de suivre la manière dont les objets politiques sont construits tout au long de l’interaction. Nous intégrerons l’analyse des rapports de dérivation entre les objets de discours activés à celle de la structure conceptuelle des productions discursives. Nous tenterons de décrire ces deux formes d’organisation du discours à la lumière des rapports d’interdépendance entre les actions conjointes et les concepts dans le processus de construction des objets politiques. En considérant l’action comme une interaction, nous nous intéresserons également au rôle du destinataire dans la construction des objets politiques.

Certaines représentations praxéologiques et conceptuelles reposent sur des ressources socio-historiques. Selon Bakhtine (1984), les genres de discours, dont les formes d’expression médiatisent nécessairement l’organisation des pratiques langagières, témoignent de l’ancrage socio-historique de l’agir humain. Un autre exemple est fourni par un certain nombre de séquences textuelles typiques, telle la séquence narrative. Il démontre que les représentations praxéologiques interviennent également au niveau de l’organisation typifiante des actions désignées dans le discours. Rappelons à ce propos que Charaudeau (1995), qui distingue l’espace de conventions comportementales (ou de contrat de communication) de celui d’individuation, considère la description des stratégies communicationnelles et discursives qui apparaissent de façon récurrente à l’intérieur du champ contractuel comme un préalable à l’étude des singularités d’un texte.

La dimension référentielle intervient dans le couplage des informations issues des formes d’organisation séquentielle et opérationnelle, qui devrait nous permettre de rendre compte des rapports entre certains types de séquences (séquence narrative, descriptive, explicative ou argumentative) et les activités correspondantes (raconter, décrire, expliquer, argumenter) et de définir avec précision les buts (informer, persuader) des stratégies discursives qui résultent de leur combinaison. Elle intervient également dans la description de l’organisation compositionnelle, dans la mesure où elle oriente la recherche du but d’une stratégie narrative, descriptive, explicative ou argumentative vers les niveaux supérieurs de la structure hiérarchique.

Pour que l’aspect finalisé des activités discursives soit intégré à la description des productions discursives, la dimension référentielle, comme le montrent ces quelques exemples, doit être mise en rapport avec les autres dimensions constitutives de l’organisation du discours, notamment avec la dimension hiérarchique textuelle, avec laquelle elle entretient d’étroites interrelations.

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1.4.3. L’aspect volontaire des activités discursives: les interrelations entre les dimensions référentielle et hiérarchique textuelle

Pour que les activités langagières puissent émerger et faire l’objet d’un

processus d’intercompréhension, l’entrée en contact des interactants et leurs intentions respectives ne suffisent pas. Un troisième élément s’avère tout aussi indispensable, à savoir les ressources langagières qui permettent aux interactants de passer à l’action verbale ou, du moins, d’exprimer leur volonté de s’engager dans une activité verbale ou non verbale.

L’étude des stratégies discursives nécessite, par conséquent, la prise en considération des autres dimensions constitutives de l’organisation du discours. Les activités discursives se situant à l’intersection des dimensions situationnelles et textuelle, leur analyse stratégique devrait être précédée par la mise en évidence des liens de profonde imbrication entre les productions langagières et la réalisation séquentielle des enjeux transactionnels. Selon Filliettaz (2001b), ces deux aspects des produits des interactions situées sont indissociables: d’une part, l’organisation et l’interprétation des formes verbales dépendent de la manifestation d’actions conjointes et, d’autre part, « les processus référentiels sont régulés langagièrement. Les ressources langagières que mobilisent les interactants dans la régulation de leurs actions conjointes s’organisent en unités textuelles de rangs différents, des actes textuels aux interventions et échanges. Ces formes sémiotiques, des plus élémentaires aux plus complexes, renvoient, de leur côté, à des « situations d’interaction intériorisées » (Bronckart 1996, cité par Filliettaz 2001b).

Dans ce sens, les interrelations entre les structures praxéologiques et textuelles des productions discursives sont particulièrement intéressantes, aussi bien du point de vue de la complémentarité de leurs unités constitutives que de celui d’une plus ou moins grande congruence de leurs structures séquentielles-hiérarchiques respectives. Il s’agit d’interrelations complexes et subtiles entre deux structures distinctes, mais interdépendantes, qu’il faudra bien se garder de ne pas confondre.

Les unités praxéologiques constituent des actions à différents niveaux de la structure praxéologique, des plus petites unités praxéologiques ou actions minimales, aux plus grandes unités praxéologiques, incursions, en passant par des unités praxéologiques intermédiaires, phases, épisodes et transactions. Les différents types de relations entre unités praxéologiques - étape, réorientation, interruption - permettent d’expliciter la structure praxéologique (Filliettaz 2001a: 119-123).

Les unités textuelles font, en revanche, l’objet d’une négociation, à partir du moment où elles souscrivent, à différents niveaux de la structure textuelle (actes, interventions et échanges) à la vérité objective, à la légitimité sociale et à la véracité subjective (id. 113). Les unités textuelles sont liées entre elles par des relations interactives et illocutoires.

Le principe hiérarchique-séquentiel sur lequel reposent les deux structures assure la continuité, mais non pas la convergence entre elles. Même si, dans certaines situations d’interaction, les structures praxéologique et textuelle

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coïncident dans une large mesure, ces convergences momentanées et exceptionnelles ne peuvent pas être considérées comme une règle ou une constante théorique. C’est pourquoi il faut bien prendre garde de ne pas les associer ou les assimiler les unes aux autres.

L’autre danger consisterait à dissocier ces deux structures complémentaires. Pour pallier ce danger, Filliettaz propose d’analyser leurs interrelations dans le cadre de la forme d’organisation opérationnelle, résultant du couplage des informations de natures praxéologique et textuelle. 1.4.4. L’organisation opérationnelle: des actes discursifs aux opérations discursives L’organisation opérationnelle offre, selon Filliettaz (2001b), l’avantage d’une étude « non réductionniste et non dualiste » des structures opérationnelles (2001b: 220). Les unités de l’organisation opérationnelle ne se ramènent ni à une intention de modifier efficacement un état de choses ni à l’émission d’une prétention à la validité, mais résultent de la combinaison de ces procédés. Issu de la combinaison d’une action minimale et d’un acte textuel, l’acte discursif en tant que la plus petite unité de la structure opérationnelle produit nécessairement deux types d’effets. Au plan téléologique, il rend manifeste une intention de modifier un état de monde. En revanche, au plan communicationnel, il se trouve engagé dans un procès d’intercompréhension. Cette distinction représente un progrès important par rapport à la première version du modèle genevois, qui réduisait les processus communicationnels à des unités praxéologiques, en assimilant les procès d’intercompréhension et les structures téléologiques.

Dans la description de l’organisation opérationnelle, Filliettaz fait état de deux principales difficultés auxquelles doit faire face une étude systématique de ses unités constitutives.

La première est liée au caractère sémiotiquement hétérogène des actions qu’un agent peut accomplir dans le monde. Ainsi, au moins trois types d’actions doivent être distingués, qui renvoient à trois modes distincts d’expression d’une intentionnalité. Les actions langagières expriment une finalité par l’intermédiaire de procès d’intercompréhension qui mobilisent des conventions sémiotiques des langues naturelles. Les actions communicationnelles non langagières communiquent la finalité sans mobiliser des ressources de nature conventionnelle. Quant aux actions non-communicationnelles, elles constituent des modes non ostensifs d’expression d’une intentionnalité (id. 206).

La deuxième difficulté est issue de la complexité notionnelle des unités discursives, qui résultent d’une mise en relation des unités praxéologiques, définies par des enjeux actionnels, et des formes médiatisées d’actions, s’appuyant sur des ressources langagières.

Les actes discursifs, qui sont les plus petites unités de l’organisation opérationnelle, s’organisent en unités plus vastes, que nous nommons opérations discursives. Une opération discursive résulterait de la mise en relation des unités

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textuelles et praxéologiques de rang intermédiaire. Quant aux unités praxéologiques de rang supérieur, telles la transaction et l’incursion, elles se combinent avec les unités textuelles maximales, pour donner lieu aux processus complexes qui relèvent du niveau stratégique, marqués par la prédominance des « relations de discours praxéologiques » (Roulet 2002a)10.

Engagées simultanément dans des processus de natures différentes, les unités opérationnelles (actes discursifs et opérations discursives) contribuent en même temps à la réalisation des buts actionnels et des visées communicationnelles11.

Le principe séquentiel-hiérarchique sur lequel reposent les structures textuelle et praxéologique réapparaît au niveau de la structure opérationnelle des productions discursives sous la forme d’une « hiérarchie des buts et des moyens » (Bange 1992). En fait, les différentes unités discursives poursuivent des buts actionnels et des visées communicationnelles à des niveaux différents de la structure opérationnelle. Les buts confiés aux unités opérationnelles de portée globale peuvent être décomposés en un certain nombre de sous-buts, pris en charge par les unités opérationnelles de portée locale. La réalisation des sous-buts constitue le moyen de parvenir au but final, celui de l’ensemble des opérations discursives déployées. Ainsi, les opérations discursives de rang inférieur se trouvent engagées dans une relation de « moyen » par rapport à l’opération de rang supérieur dans laquelle elles se trouvent enchâssées. Le principe séquentiel-hiérarchique nous permet d’établir, au niveau des structures opérationnelles une hiérarchie des buts et des sous-buts pris en charge par les unités discursives de portées différentes, des plus petites unités, actes discursifs, aux plus grandes unités, qui incluent l’ensemble des constituants de la structure opérationnelle.

Issue de la mise en relation des structures praxéologique et textuelle, la structure opérationnelle devrait également articuler les buts actionnels et les visées communicationnelles qui donnent le sens à ses constituants. Quant à l’interprétation de ce sens, elle s’effectue au niveau stratégique (Bange 1992). 1.4.5. L’organisation stratégique: des opérations discursives aux stratégies discursives

Reprenant l’idée de Bange d’un passage graduel entre niveaux opérationnels et stratégiques, nous postulons également une continuité entre les formes d’organisation opérationnelle et stratégique, le niveau opérationnel étant celui de l’exécution des opérations discursives conformément à la hiérarchie des buts et des moyens établie au niveau stratégique, où s’opère l’attribution du sens aux opérations discursives mises en œuvre.

10 Dans le cadre de son analyse de la structure opérationnelle d’une incursion en librairie, Filliettaz fait état de l’absence des liens au niveau textuel entre les échanges successifs qui marquent les différentes étapes de l’incursion, prises en charge au niveau de la structure praxéologique (Filliettaz 2001b: 212). 11 Rappelons la distinction établie par Charaudeau (1995) entre le concept de but, associé à l’action, et celui de visée, associé au langage.

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Le processus d’attribution du sens aux opérations discursives s’effectue en fonction de la contribution de celles-ci à la réalisation du but final poursuivi par l’ensemble des unités constitutives de la structure opérationnelle. C’est au niveau stratégique que les unités discursives sont interprétées en fonction de leur place dans la hiérarchie des moyens et des buts qui structure l’organisation opérationnelle.

La notion de stratégie étant étroitement liée aux rapports entre les interactants, dans la mesure où elle concerne le caractère finalisé, volontaire et difficile des activités discursives, le processus d’attribution du sens n’est pas l’affaire de la seule instance de production. Il convient de rappeler que les stratégies de production et d’interprétation constituent deux facettes conceptuelles du même processus stratégique d’attribution du sens aux unités opérationnelles. La stratégie de production consiste, pour l’instance de production, à attribuer le sens aux opérations discursives, tandis que la stratégie d’interprétation consiste, pour l’instance de réception, à reconstituer le sens attribué aux opérations discursives par l’instance de production. L’analyse de l’interaction médiatique pose cependant un certain nombre de problèmes spécifiques, concernant la complexité de son cadre interactionnel et le caractère pluriel des interactants, aussi bien de l’instance de production (quotidien, journalistes) que de l’instance de réception (public, lecteurs). En effet, plusieurs stratégies discursives s’y trouvent superposées, emboîtées l’une dans l’autre. Pour résumer, nous pouvons dire que l’approche modulaire offre la possibilité d’étudier les stratégies discursives dans le cadre de l’une des formes d’organisation complexes du discours, qui est la forme d’organisation stratégique, résultant du couplage d’informations d’origine modulaire (interactionnelles, référentielles, textuelles, syntaxiques, lexicales) et de celles issues des formes d’organisation élémentaires (opérationnelle, relationnelle, informationnelle, énonciative, séquentielle) et complexes (topicale, polyphonique, compositionnelle).

Situer la problématique des stratégies discursives dans le cadre de la forme d’organisation stratégique, qui traite des relations de faces et de places entre les interactants, c’est insister une nouvelle fois sur les rapports entre les participants à l’interaction. La caractérisation des ces rapports en termes d’enjeux communs, d’actions participatives, de positions actionnelles et de complexes motivationnels, dans le cadre de la description des dimensions modulaires, représente le point de départ de l’analyse des stratégies discursives, tandis que leur réexamen en termes de relations de face et de place, dans le cadre de l’analyse de l’organisation stratégique, en constituera le point d’arrivée.

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Chapitre 2

« Au lieu d’en arriver à restreindre, comme il est souhaitable, l’objet de notre recherche, nous l’avons élargi et compliqué considérablement. En effet, le milieu social organisé dans lequel nous avons inséré notre complexe et la situation d’échange social la plus immédiate présentent eux-mêmes des complications extraordinaires, ils comportent des relations de natures très variées et à facettes multiples, et, parmi ces relations, toutes ne sont pas nécessaires à la compréhension des faits de langue, toutes ne sont pas des éléments constitutifs du langage. Enfin, l’ensemble de ce système complexe de phénomènes et de relations, de processus, etc., nécessite une réduction à un dénominateur commun. Toutes ses lignes doivent se rencontrer dans un centre unique, le tour de magie que constitue le processus linguistique ».

Mikhaïl Mikhaïlovitch BAKHTINE (1977: 73) 2. Un inventaire d’informations d’origine modulaire préalable à la description des stratégies discursives du journalisme politique Le dispositif modulaire élaboré dans le cadre du modèle genevois est composé de cinq modules ou systèmes d’informations de base, qui peuvent être décrits de manière indépendante : « les modules interactionnel et référentiel (qui relèvent de la composante situationnelle), le module hiérarchique (qui relève de la composante textuelle) et les modules syntaxique et lexical (qui relèvent de la composante linguistique) » (Roulet 2001b: 44). En combinant des informations issues des modules, l’analyste devrait pouvoir décrire les différentes formes d’organisation du discours. Dans le présent chapitre, nous visons à établir un inventaire d’informations d’origine modulaire préalable à la description des formes d’organisation opérationnelle et stratégique, qui occupent la place centrale dans l’analyse des stratégies discursives. Si le discours est un agencement complexe d’informations de diverses natures, une catégorie discursive (par exemple, celle de stratégie discursive) ou un type de discours particulier (tel le discours du journalisme politique) reposent sur la combinaison d’un certain nombre d’informations spécifiques. C’est pourquoi cet inventaire sera limité à des informations d’origine modulaire qui nous semblent pertinentes pour l’analyse des stratégies discursives en général, et des stratégies discursives du journalisme politique en particulier. Ainsi, la description de la dimension interactionnelle (2.1.) sera centrée aussi bien sur le rôle de différents aspects du cadre interactionnel dans l’étude des stratégies discursives que sur la notion même de journalisme politique dans une perspective modulariste. De même, la description de la dimension référentielle

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(2.2.) cherchera non seulement à rendre compte des représentations et des structures praxéologiques et conceptuelles qui interviennent dans l’élaboration des stratégies discursives en général, mais également à mettre en évidence la spécificité des informations de nature référentielle que l’instance médiatique mobilise dans le cadre de l’élaboration de stratégies discursives qui lui sont propres. Dans l’analyse de la dimension hiérarchique du discours (2.3.), nous nous intéresserons à la manière dont se combinent les unités textuelles à différents niveaux de la structure textuelle et à la spécificité de celle-ci par rapport aux structures praxéologique et conceptuelle. Finalement, la description des dimensions syntaxique (2.4.) et lexicale (2.5.) devrait permettre de rendre compte des ressources langagières mobilisées dans l’élaboration des stratégies discursives et, plus spécifiquement, de celles qui émergent dans la situation d’interaction reliant une instance médiatique et une instance de réception. Dans cette étape de la recherche, la sélection d’informations sera effectuée avec le plus grand soin, car un nombre trop élevé d’informations à traiter, ainsi que leur diversité, constitueraient le principal obstacle à une analyse plus approfondie de phénomènes discursifs. 2.1. Les informations relevant de la dimension interactionnelle

L’analyse de la dimension interactionnelle sera centrée sur le fonctionnement de la communication médiatique en tant que type d’interaction sociale et sur celui du discours médiatique en tant que « construction collective » (Kerbrat-Orecchioni 1990) issue d’une situation d’interaction spécifique.

La notion d’interaction a donné lieu à plusieurs définitions, qui rendent compte de manière plus ou moins complète de son étendue et de sa complexité12. La plupart d’entre elles s’appuient sur le critère d’alternance de deux ou plusieurs interactants dans l’élaboration du texte conversationnel, en ne prenant en considération que des dialogues, trilogues et/ou polylogues.

Ce critère définitoire s’avère cependant trop restrictif du moment où il exclut de l’analyse des interactions un certain nombre de situations plus complexes dans lesquelles le produit discursif, ainsi que son auteur, servent de médiateurs entre deux ou plusieurs interactants. Ainsi, pour décrire le cadre interactionnel de la communication médiatique en général et du discours de la

12 Kerbrat-Orecchioni (1990) envisage deux perspectives possibles de l’analyse d’une interaction. La première « consiste à considérer l’interaction comme un texte produit collectivement » et « à dégager les règles de composition textuelle qui sous-tendent son organisation ». La deuxième « consiste à la considérer comme le lieu où se construisent en permanence l’identité sociale, et la relation interpersonnelle. Dans cette perspective, les relations qu’il s’agit de décrire ne sont plus celles qui s’établissent entre les différents constituants du texte conversationnel, mais celles qui s’instaurent entre les interactants eux-mêmes, par le biais de l’échange verbal ». Pour concilier ces deux approches de l’interaction, elle en propose la définition suivante : « Les interactions sont des séquences structurées d’actions, mais elles sont aussi par excellence le lieu où se déploient les rituels, où se construisent les identités, où se négocient les statuts » (1990: 277-278).

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presse écrite en particulier, nous avons besoin de recourir à une conception des interactions verbales qui élargirait leur étude aux discours monologiques et considérerait ceux-ci comme partie intégrante d’une interaction sociale plus englobante.

Le modèle d’analyse de l’interaction verbale élaboré par Bakhtine (1977) semble répondre à cette exigence. D’une part, l’ordre méthodologique descendant qu’il propose accorde la priorité dans l’étude de la langue aux formes et aux types d’interactions verbales. « La véritable substance de la langue n’est pas constituée par un système abstrait de formes linguistiques, ni par l’énonciation-monologue isolée, ni par l’acte psycho-physiologique de sa production, mais par le phénomène social de l’interaction verbale, réalisée à travers l’énonciation et les énonciations » (1977: 135-136). Toute énonciation, « quelque signifiante et complète qu’elle soit par elle-même, ne constitue qu’une fraction d’un courant de communication verbale ininterrompu (touchant à la vie quotidienne, la littérature, la connaissance, la politique etc.) » (id. 136). Les interactions verbales doivent également, selon Bakhtine, être mises en rapport avec les conditions concrètes où elles se réalisent. « Grâce à ce lien avec la situation, la communication verbale s’accompagne toujours d’actes sociaux de caractère non-verbal, dont elle ne constitue souvent que le complément, et au service desquels elle se trouve ». L’étude des « relations entre l’interaction concrète et la situation extralinguistique immédiate, et, par-delà celle-ci, le contexte social élargi » constitue ainsi un problème important de l’analyse de la communication verbale. « Jamais la communication verbale ne pourra être comprise et expliquée en dehors de ce lien avec la situation concrète » (id. 137). D’autre part, le modèle bakhtinien propose une définition du dialogue susceptible d’être étendue à l’ensemble des pratiques discursives. « Le dialogue, au sens étroit du terme, ne constitue, bien entendu, qu’une des formes, des plus importantes il est vrai, de l’interaction verbale. Mais on peut comprendre le mot ’dialogue’ dans un sens élargi, c’est-à-dire non seulement comme l’échange à haute voix et impliquant des individus placés face à face, mais tout échange verbal, de quelque type qu’il soit » (ibid.)13. Les propositions de Bakhtine semblent être tout à fait compatibles avec une approche modulaire de la dimension interactionnelle du discours du journalisme politique14. Admettre, avec Bakhtine, qu’une interaction verbale

13 La linguistique textuelle insiste également sur l’importance du co(n)texte dans l’interprétation de l’intentionnalité d’un texte. A propos de son analyse de la célèbre phrase d’ouverture du discours prononcé par le général de Gaulle, le 4 juin 1958, sur le forum d’Alger, Jean-Michel Adam (1999) affirme que « d’un point de vue méthodologique, l’intentionnalité d’un texte doit être contextuellement recherchée dans les témoignages de l’époque et dans les discours associés du général lui-même, qui peuvent nous aider à reconstituer des éléments du cadre situationnel et de l’interdiscours » (1999: 133). 14 Si nous faisons abstraction du critère de présence spatiale, qui garantit, en quelque sorte, la validité de la démarche descriptive, nous pouvons observer que Kerbrat-Orecchioni (1990) analyse elle-même certains échanges en composantes verbales et non-verbales et admet la possibilité de l’enchaînement d’une intervention verbale sur une intervention non verbale et vice versa (1990: 234-235). Comme la communication médiatique repose sur le même type de

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s’insère dans une interaction sociale plus englobante, c’est non seulement insister sur la complexité notionnelle de l’activité discursive, qui comporte une composante textuelle et une composante praxéologique, mais surtout prendre en considération le contexte social plus large qui contribue à l’élaboration du produit discursif final.

Dans le cas de l’analyse de l’interaction médiatique, cet élargissement de perspective s’avère indispensable dans le processus même de l’identification des interactants. En effet, la communication médiatique n’est pas limitée aux rapports entre l’instance médiatique et l’instance de réception, bien que ces rapports aient fait l’objet d’une longue tradition de recherches sociologiques sur la fonction d’agenda (agenda setting), ouvertes dans les années 50 par l’équipe de Paul Lazarsfeld, de l’université de Columbia15.

S’agissant d’un processus beaucoup plus complexe, dans la mesure où l’instance médiatique se trouve à l’intersection des sphères politique et publique, son étude nécessite également la prise en compte des rapports qui s’établissent entre les médias et les sources. Seule une analyse centrée sur le processus dynamique de négociation entre les différents acteurs est susceptible d’expliquer le rôle des médias et l’efficacité des stratégies discursives déployées par les journalistes. « En effet, comment espérer débrouiller la question de la nature et de l’origine de l’influence des médias, sans prendre en compte la manière dont ceux-ci construisent et mettent en scène leurs messages ? Par exemple, le fait que les informations politiques données par les journaux nous influencent d’une manière quelconque ne nous autorise pas à attribuer cette influence aux seuls journalistes. Le contenu des médias est également dépendant des acteurs qui, comme on dit, "font l’événement" » (Charron 1997: 31)16.

Dans ce processus dynamique de négociation entre différents acteurs – la mise en scène médiatique et son interprétation par l’instance de réception s’inscrivent dans un cadre interactionnel complexe, composé de deux interactions distinctes mais, en même temps, complémentaires: celle entre l’instance médiatique et l’instance de réception et celle entre l’instance médiatique et sa source d’information. Le produit médiatique – l’information – va se construire structures, il nous semble intéressant de redéfinir la notion de présence spatiale, ou plus exactement d’élargir son étendue, en tenant compte des spécificités de l’interaction médiatique. 15 « Lazarsfeld et ses collaborateurs considéraient le produit médiatique (les informations et les commentaires sur les affaires publiques) comme une donnée brute. La question qu’ils se posaient était de savoir si cette donnée (ce stimulus) avait ou non des effets sur le public. L’hypothèse qui, depuis 25 ans, recueille une assez large adhésion, pose que l’influence des médias est davantage « cognitive » que « normative » : les médias réussiraient assez peu à orienter les opinions des gens, mais ils seraient très efficaces pour orienter leur attention sur tel ou tel objet. » (Charron 1997: 30-31). 16 « En tant que « sources d’information », ces acteurs alimentent les journalistes. Ainsi, au modèle de l’agenda setting, centré sur la relation médias-public, s’est substitué, au cours des années 80, le modèle plus complexe de construction de l’agenda public (agenda building), qui considère les rapports d’influence entre l’agenda des sources (particulièrement l’agenda des autorités politiques (policy agenda), l’agenda des médias et l’agenda du public. […] Les acteurs sociaux en quête de « publicité » (accès contrôlé à l’espace public) doivent négocier leur présence médiatique avec des journalistes qui, eux, sont en quête d’information. On peut dire que les protagonistes procèdent à un marchandage de l’information contre la publicité » (ibid.).

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dans l’interaction de ces trois acteurs. Le discours d’information médiatique n’est pas construit par la seule instance médiatique, mais co-construit dans l’interaction avec la (les) source(s) d’information et l’instance de réception, comme le montre le schéma suivant:

Source d ’information

Instance médiatique

Instance de réception

Mettre en scène et mettre en discoursl’événement brut

Interpréterl’événement médiatique

Influencer(produire un effet)

Événementbrut

Événementmédiatique

Événementinterprété

Approuver ou désapprouver

1. Sélectionner les informations2. Les hiérarchiser3. Les rapporter4. Les commenter

1 2 3 4

Figure 1 : La composante situationnelle de l ’interaction médiatique

Ce schéma, qui s’inspire largement, surtout du point de vue terminologique, du modèle d’analyse du discours d’information médiatique élaboré par Charaudeau (1997)17, appelle plusieurs commentaires.

Premièrement, il présente l’interaction entre trois instances qui participent directement (instance médiatique) ou indirectement (source d’information, instance de réception) à l’élaboration du produit médiatique comme un processus dynamique de production et d’interprétation, au cours duquel l’univers dont le discours parle (événement brut) se transforme successivement en événement médiatique et en événement interprété. Par conséquent, il rend compte non seulement de la dimension interactionnelle de la communication médiatique, mais également de sa dimension référentielle, à l’aide des représentations

17 A part les termes d’ « instance médiatique » et d’ « instance de réception », y figurent les notions d’ « événement brut », d’ « événement médiatique » et d’ « événement interprété », que nous avons empruntées à cet auteur. A noter que nous employons le terme de « stratégie discursive » pour désigner l’ensemble des « stratégies » relevées par Charaudeau, qui distingue les stratégies communicatives des stratégies textuelles ou « discursives », au sens étroit du terme, et des procédés discursifs et linguistiques (1997: 232).

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praxéologiques et conceptuelles de l’univers dans lequel le discours s’inscrit. Bref, il s’agit d’un schéma global de l’interaction dans son acception la plus large, qui considère l’interaction verbale, et en l’occurrence l’interaction médiatique, comme partie intégrante de l’interaction sociale.

Deuxièmement, comme ce schéma est relativement complet, il nous permet de délimiter et de décrire avec plus de précision chacune des dimensions constitutives de la composante situationnelle de l’organisation du discours médiatique. Ainsi, par exemple, nous pouvons identifier, au niveau des représentations mentales des êtres, des choses et des événements, les deux univers du discours qui feront l’objet d’une description détaillée dans le cadre de l’analyse de la dimension référentielle : l’univers dont le discours parle (la représentation de l’événement brut) et l’univers dans lequel le discours s’inscrit (l’ensemble des représentations que comporte le schéma). Nous pouvons également distinguer les représentations conceptuelles des représentations praxéologiques et nous rendre compte de leur complémentarité.

Finalement, ce schéma nous rappelle la profonde imbrication des structures verbales et non-verbales, ainsi que la complexité des stratégies de production et d’interprétation du discours qui relient les représentations conceptuelles de l’événement brut, de l’événement médiatique et de l’événement interprété.

Cependant, s’il présente l’avantage de réunir des informations de natures diverses pour rendre compte des relations entre différentes dimensions de la composante situationnelle de l’organisation du discours, le schéma ci-dessus ne permet pas de saisir la spécificité de la dimension interactionnelle ni de décrire celle-ci de manière plus approfondie.

Il nous semble que l’application d’un modèle d’analyse du discours de type modulaire présente un intérêt incontestable dans la description de ces phénomènes discursifs complexes. L’approche modulaire consiste justement à analyser la composante situationnelle en deux systèmes d’information simples, les modules interactionnel et référentiel, dont le premier permet de décrire la matérialité de l’interaction, en faisant abstraction en quelque sorte, des relations complexes qu’elle entretient avec d’autres dimensions modulaires. 2.1.1. Les propriétés matérielles de l’interaction réunissant une source d’information, une instance médiatique et une instance de réception

Dans l’analyse de la dimension interactionnelle, le modèle genevois s’inspire de la conception de l’interaction élaborée par Goffman (1988), qui distingue, dans un premier temps, l’ordre de l’interaction de l’ordre social, pour envisager, dans un deuxième temps, deux définitions possibles de la notion d’interaction. L’interaction au sens étroit se confond avec les situations d’échanges en face à face, tandis que l’interaction au sens large s’étend à « toute occasion où un individu parvient à la portée de la réponse d’un autre, que ce soit par co-présence physique, par connexion téléphonique ou par échange épistolaire » (1988: 202-203). Le modèle genevois reprend la notion d’interaction

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dans son acception large et propose la description de la dimension interactionnelle sous forme d’analyse de cadres interactionnels dans lesquels s’inscrivent des productions discursives effectives.

L’analyse du cadre interactionnel devrait permettre à l’analyste d’expliciter, grâce à un nombre fixe de catégories génériques simples, les propriétés matérielles des situations d’interaction spécifiques. « Le module interactionnel définit les propriétés matérielles de la situation d’interaction du discours et des situations d’interaction qu’il représente à différents niveaux: canal écrit ou oral, alternance des tours de parole ou d’écriture, nombre d’interactants, co-présence ou distance spatio-temporelle entre ceux-ci, réciprocité ou non de la communication » (Roulet 2001b: 46).

Nous nous intéresserons principalement aux informations relatives à la matérialité de l’interaction médiatique. Celle-ci réunit trois participants: une source d’information, une instance médiatique et une instance de réception. Avant de procéder à la description des paramètres interactionnels, nous tenons à préciser que l’interaction médiatique met l’analyste du discours devant les difficultés considérables, concernant principalement la complexité de la situation d’interaction et l’identification des participants à des niveaux d’interaction différents. La complexité de la situation d’interaction et, plus spécifiquement, le caractère asymétrique du cadre interactionnel (réunissant trois instances), constitue la première difficulté dans l’analyse des paramètres interactionnels. Visant à représenter le cadre interactionnel de la mise en scène médiatique d’un événement politique particulier (la conférence de paix sur la Bosnie-Herzégovine), nous avons situé la communication entre <l’instance médiatique> (metteur en scène) et <l’instance de réception> (récipiendaires) au niveau de l’interaction le plus élevé, et celle entre un <journaliste> (scripteur) et son <lectorat> (lecteur) au deuxième niveau d’emboîtement. Quant à l’événement politique particulier sur lequel porte l’information (<conférence de paix>), il se situe au niveau de l’interaction représentée.

Il est à noter également que, dans le contexte de la communication de masse, le terme de « participant » ne se rapporte pas à un individu, mais à des secteurs d’activités, dont le fonctionnement est assuré par une pluralité de participants dépendant les uns des autres (Lorimer 1994)18. Les secteurs sont eux-mêmes interdépendants, le bon fonctionnement interne de l’un des secteurs contribuant au bon fonctionnement des autres. Le rôle central dans ce processus d’harmonisation et de coordination d’activités sociales est accordé à l’instance médiatique. En assurant la communication, l’échange d’informations, entre les secteurs politique et public, les médias maintiennent la stabilité du système. Les

18 Selon la définition proposée par Rowland Lorimer (1994), les médias de masse, en tant qu’une forme de communication de masse dans la société moderne, représentent un ensemble d’activités qui s’appuient sur des configurations technologiques spécifiques (presses écrite, radiophonique et audio-visuelle), qui sont institutionnellement constituées, soumises à une réglementation juridique et dont l’accomplissement est assuré par plusieurs protagonistes contribuant, à des niveaux différents, à l’élaboration et à la transmission du produit médiatique au public.

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stratégies discursives du journalisme politique ne peuvent, par conséquent, être réduites au seul niveau de l’interaction entre le journaliste et le lecteur et interprétées en dehors de ce processus d’interaction sociale. 2.1.1.1. L’occupation du canal

L’occupation du canal, à savoir la problématique des tours de parole ou d’écriture et de la synchronisation des interventions des différents interactants, est importante dans des interactions en face à face. En règle générale, dans l’analyse de l’interaction médiatique – qu’il s’agisse de la presse écrite, radiophonique ou audio-visuelle - la question de l’occupation du canal ne se pose pas, le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur n’ayant pas la possibilité d’occuper le canal. Dans des situations où ces derniers ont exceptionnellement la possibilité de prendre la parole (le courrier des lecteurs ou les interventions de téléspectateurs ou d’auditeurs de chaînes radiophoniques lors d’émissions « en direct »), ils ne font que partager le canal, déjà occupé par le média, avec d’autres protagonistes, en participant à un niveau d’interaction inférieur à celui de la mise en scène médiatique. Le droit à la prise de parole est rendu possible par la mise en place de différents dispositifs « qui restent sous le contrôle de la machine médiatique » (Charaudeau 2001: 13) et qui influent sur les relations entre les interactants (Kerbrat-Orecchioni 1992)19. 2.1.1.2. La situation matérielle des interactants

La situation matérielle des interactants, qui constitue le deuxième paramètre interactionnel, est liée au type de support physique qu’ils utilisent. Ce qui permet de distinguer un locuteur d’un scripteur, c’est le canal sur lequel ils fonctionnent, oral pour le premier et écrit pour le second. En revanche, un auditeur ou un lecteur fonctionnent sur un canal audio-visuel. Insistant sur le rôle déterminant du support utilisé, Marcel Burger (2001) préfère le terme de « canal de l’interaction »20 à celui de « situation matérielle des interactants ».

Pour illustrer l’importance de ce paramètre dans l’analyse de l’interaction médiatique, rappelons que ce sont justement les caractéristiques du support médiatique qui sont à la base du classement en presses écrite, radiophonique et 19 Comme le remarque Kerbrat-Orecchioni (1992), la problématique des tours de parole est liée à celle des relations hiérarchiques qui s’établissent sur un axe vertical entre les interactants. Ainsi, en imposant à l’autre le « protocole » de l’interaction, l’instance médiatique « se met en position haute » par rapport à lui (1992: 83). 20 Rappelons que Burger définit la matérialité de l’interaction à l’aide de trois paramètres: - le canal de l’interaction, c’est-à-dire le support physique utilisé par les interactants: oral, écrit, visuel; - le mode d’interaction: c’est-à-dire le degré de co-présence spatiale et temporelle des interactants; - le lien d’interaction: c’est-à-dire la rétroaction, réciprocité ou non réciprocité, entre les interactants. (2001: 141).

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télévisuelle. Un support médiatique n’équivaut pas à un seul canal de l’interaction, mais résulte d’une combinaison spécifique autour d’un support physique prédominant. Burger parle dans ce sens de « valeur dominante » dans des interactions « témoignant d’un caractère pluri-canal » (2001: 141). Ainsi, la presse écrite utilise le canal écrit pour transmettre le texte, mais également le canal visuel pour transmettre des éléments du contexte. La presse radiophonique utilise le canal oral, pour transmettre les paroles, et le canal audio(-visuel) pour transmettre d’autres types de signaux sonores, de la musique etc. La presse télévisuelle exploite tous les types de supports: oral, écrit et audio-visuel.

La spécificité du support médiatique et de la situation matérielle des interactants détermine les stratégies discursives de production et d’interprétation que ceux-ci mettront en œuvre. Dans l’exemple de la presse écrite, ces stratégies s’appuient principalement sur le support écrit, mais peuvent aussi exploiter des éléments visuels. 2.1.1.3. Le nombre d’interactants

Le nombre d’interactants est un paramètre qui, dans le cas de l’interaction médiatique, ne peut être décrit que de manière approximative. Le terme de « participant » désigne, en effet, des secteurs d’activités dont les frontières sont floues et qui réunissent un nombre de protagonistes indéterminé. Même au niveau de l’analyse d’un article de presse, le cadre interactionnel comporte une pluralité de participants: un scripteur et un nombre de lecteurs indéfini.

Le nombre de participants à l’interaction détermine aussi bien les stratégies de production (le journaliste s’adressant à un public nombreux et anonyme, dont il doit imaginer et supposer la réaction) que les stratégies d’interprétation (des publics différents n’interprétant pas de la même manière le même texte). 2.1.1.4. La distance ou la co-présence spatiale et temporelle entre les interactants

La détermination du degré de co-présence spatiale et temporelle ne pose pas de problèmes majeurs si l’on s’intéresse à des situations d’interaction réunissant un nombre de participants restreint. Ainsi, une interaction en face à face est caractérisée par la co-présence spatiale et temporelle, les interactants occupant la même position dans l’espace et dans le temps. Le cadre interactionnel d’un échange épistolaire est caractérisé, en revanche, par la distance à la fois spatiale et temporelle. Dans les deux cas de figure, les interactants en tant qu’individus servent de points de repère aux concepts d’espace et de temps. Ces concepts doivent, à notre avis, être redéfinis afin d’être s’appliqués à des situations où les interactants interviennent non en tant qu’individus mais en tant que membres d’un groupe social. De même qu’un individu se situe dans un endroit précis de l’espace physique, un groupe d’individus crée un espace social, communicationnel.

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D’après Meyrowitz (1985), les médias électroniques (surtout la télévision), affaiblissent les liens entre ces deux espaces. Alors qu’autrefois le lieu et l’espace étaient indissociables, les technologies de communication, par exemple le téléphone, permettent à deux personnes qui se trouvent à des endroits géographiquement très éloignés de partager le même espace communicationnel. De notre point de vue, dans l’exemple de la conversation téléphonique, il s’agit d’une combinaison de distance spatiale et de co-présence temporelle (Burger 2001: 142). Il nous semble, en effet, que dans des interactions « intersubjectives » (Kerbrat-Orecchioni), nous n’avons pas besoin de recourir à la notion de co-présence communicationnelle. Nous réservons ce terme aux situations d’interaction dans lesquelles nous devons élargir la notion d’espace physique, individuel, pour rendre compte du fait que les membres d’un groupe social, même s’ils ne se trouvent pas au même lieu, partagent le même espace communicationnel. L’espace physique, individuel, est un élément constitutif de l’espace communicationnel. Le premier s’organise autour de l’interactant et le second autour de l’objet de l’interaction. Dans l’interaction médiatique, l’espace communicationnel se crée autour du produit médiatique.

La comparaison des différentes instances médiatiques nous permet de constater que le plus haut degré de co-présence communicationnelle est assuré par le média télévisuel. C’est en termes de « co-partage » des drames du monde et de réflexions sur le monde que Charaudeau (2001) décrit la spécificité de la télévision21. Dans l’exemple de la presse écrite, qui provoque les mêmes « attitudes de solidarité » que la télévision, nous pouvons caractériser le mode d’interaction à l’aide de trois concepts : la distance spatiale, la distance temporelle (au niveau de l’interaction entre le journaliste et son lecteur), la co-présence communicationnelle (au niveau de l’interaction entre l’instance médiatique et l’instance de réception).

Les tensions entre ces deux niveaux de l’interaction se reflèteront dans le choix des stratégies discursives. Mentionnons ici des procédés linguistiques liés à l’emploi des temps verbaux (présent, futur), qui visent à effacer la distance temporelle, ou l’application du principe de proximité géographique dans la sélection et la hiérarchisation des informations, qui renforce la co-présence communicationnelle. 21 « Ce dispositif propre à la télévision fait que le téléspectateur se trouve dans une position ambivalente entre spectateur du monde et spectateur de la télévision. » Le premier « a l’impression de partager ce monde, voire d’y participer par émotion interposée. Il subit une attraction (comme dans un mouvement de zoom avant) vers le montré, se trouve pris par celui-ci, est plongé dans un état de fascination, parfois de sidération lorsque la pulsion domine, états qui paralysent toute activité de pensée. La télévision produit alors un effet communautaire de proximité et d’immédiateté par le biais d’un co-partage des drames du monde. » Le second « est installé devant un appareil de télévision, confortablement assis ou vaquant à diverses occupations du quotidien, hors des drames du monde. […] Comme dans un mouvement de zoom arrière, il se met à considérer ce spectacle de façon globale, il peut exercer son activité de pensée et contrôler ses émotions. La télévision produit alors un effet communautaire de distance par le biais d’un co-partage de réflexions sur le monde, de jugements sur l’événement et sur sa mise en spectacle, d’une raison de penser qui associerait les individus autour de mêmes valeurs. Cela explique les attitudes de solidarité que peut provoquer la télévision » (Charaudeau 2001: 15-16).

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2.1.1.5. Le lien d’interaction

Quant au dernier paramètre interactionnel, deux types de liens peuvent s’établir entre les participants à une interaction. Si chaque interactant peut réagir aux propos d’un autre, comme c’est le cas dans les interactions en face à face ou dans l’échange téléphonique, la situation d’interaction est caractérisée par un lien de réciprocité. En revanche, les interactions où l’une des parties n’a pas la possibilité de réponse immédiate sont caractérisées par un lien unidirectionnel (tel est, par exemple, le cas de l’échange épistolaire). Selon Burger (2001), un parallélisme peut être établi entre ce paramètre interactionnel et le degré de co-présence spatio-temporelle, le partage de l’environnement temporel assurant un lien de réciprocité, et la distance spatiale un lien unidirectionnel.

L’interaction médiatique en général, et le discours de la presse écrite en particulier, sont caractérisés par un lien unidirectionnel: entre l’auteur d’un article et son destinataire, il n’y a pas de réciprocité, car le lecteur n’a pas la possibilité de réponse immédiate au journaliste (quant au courrier des lecteurs, il ne lui donne que la possibilité de réponse différée).

Le lien unidirectionnel et l’absence de contact physique avec l’instance de réception permettent à l’instance médiatique de déployer diverses stratégies discursives, sans pour autant avoir la certitude que l’effet souhaité corresponde à l’effet produit. Pour compenser cette absence de réponse de la part de l’instance de réception, l’instance médiatique entreprend divers sondages de l’opinion publique. Le fait que l’instance médiatique ait besoin de connaître les réactions de son public peut s’expliquer par des raisons économiques et politiques, ainsi que par la nature profondément dialogique de toute communication langagière. C’est surtout à cette notion bakhtinienne de dialogisme que nous nous référons en postulant une forme de réciprocité, que nous qualifierons de « partielle », au niveau de l’interaction réunissant l’instance médiatique et l’instance de réception. 2.1.2. La complexité du cadre interactionnel dans le cas de la communication médiatique

Dans des situations d’interaction complexes, telle l’interaction médiatique, qui comportent plusieurs situations d’interaction emboîtées l’une dans l’autre, le cadre interactionnel fait intervenir les paramètres interactionnels à différents niveaux. Dans l’exemple de notre corpus d’articles de presse, le cadre interactionnel comporte au moins trois niveaux d’emboîtement, le premier réunissant un metteur en scène et des récipiendaires, le deuxième un scripteur et ses lecteurs, et le troisième les locuteurs et les récipiendaires. La pluralité de niveaux d’interaction et le nombre de « positions d’interaction » (Burger 2001: 143)22 à chaque niveau peuvent être représentés au 22 « Nous proposons le terme de position d’interaction pour renvoyer à cette identité particulière qui définit chaque interactant sous l’angle des conditions matérielles de sa participation à l’interaction et au discours. Une position d’interaction définit l’identité de chaque interactant

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moyen du schéma ci-dessous. Les rectangles en traits gras marquent les contours physiques des interactions réellement accomplies, par opposition à la matérialité de l’interaction représentée dans le discours23. Les informations interactionnelles sont marquées en italiques et les informations d’ordre référentiel, destinées à faciliter la lecture, entre crochets. Il nous semble important de souligner ici de nombreux points de ressemblance entre les cadres interactionnels du discours de la presse écrite et ceux des presses radiophonique et télévisuelle (à condition qu’ils portent sur la même information d’ordre référentiel, à savoir la <CONFERENCE DE PAIX>):

- au moins trois niveaux d’interaction et six positions d’interaction, dont quatre sont identiques (metteur en scène/récipiendaires, locuteurs/récipiendaires);

- un certain nombre de paramètres interactionnels communs, à tous les niveaux d’interaction (la réciprocité partielle et la co-présence communicationnelle au premier, la non-réciprocité au deuxième, et le canal oral, la co-présence spatio-temporelle et la non-réciprocité au troisième niveau d’interaction).

canal écrit et visuelco-présence communicationnelle

réciprocité partielle<PRODUIT MEDIATIQUE>

locuteurs<conférenciers>

récipiendaires<public>

canal oralco-présence spatio-temporelle

non-réciprocité<CONFERENCE DE PAIX>

<ARTICLE DE PRESSE>

récipiendaires<instance de

réception>

metteuren scène<instance

médiatique>

canal écrit distance spatio-temporelle

non-réciprocité

Figure 2 : Interaction médiatique : la mise en scène d’un événement politique dans la presse écrite

scripteur<journaliste>

lecteurs<lectorat>

en termes de valeurs prises par les trois paramètres du canal, du mode et du lien d’interaction. La position d’interaction spécifie un interactant en tant qu’il se situe à un certain niveau de l’interaction. » (Burger 2001: 143). 23 Cette dernière, comme nous le verrons plus tard, lors d’une étude de cas, ne se limite pas toujours à un seul niveau.

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En revanche, les différences au niveau de la matérialité de l’interaction médiatique entre la presse écrite, d’une part, et la presse radiophonique et télévisuelle, de l’autre, ne tiennent qu’aux deux paramètres définissant respectivement le premier et le deuxième niveau, à savoir le canal de l’interaction et le degré de co-présence temporelle.

C’est surtout le type de support physique utilisé qui différencie les trois types d’interaction: le canal écrit et visuel pour la presse écrite, le canal oral pour la presse radiophonique et le canal oral, visuel et écrit pour la presse télévisuelle. Les supports médiatiques différents impliquent des modes d’interaction distincts entre le journaliste et son public, de la distance spatio-temporelle pour la presse écrite à la possibilité de co-présence temporelle pour certaines émissions de radio ou de télévision.

Le choix du support médiatique a des répercussions sur l’authenticité de l’interaction représentée, comme l’a observé Burger à propos de la différence entre un entretien télédiffusé et le même entretien en tant qu’il est retranscrit dans la presse : « Le téléspectateur assiste autant à l’accomplissement de l’entretien par l’intervieweur et son invité dans une relation en face à face, qu’à l’accomplissement d’une interaction médiatique dont il est un des acteurs ». En revanche, le lecteur d’un article de presse « n’assiste pas à proprement parler à l’accomplissement de l’entretien, car celui-ci n’est pas effectivement exécuté dans le cadre médiatique comme à la télévision. Le lecteur participe par contre à l’interaction médiatique qui l’engage, justement comme lecteur, au propos journalistique rapportant un entretien » (2001: 153). Nous ne pensons pas cependant que le choix de tel ou tel support médiatique puisse modifier la nature de l’événement représenté dans le discours (même si ce discours repose sur le langage audio-visuel) et transformer un événement médiatique en événement réellement accompli. L’impression qu’a le téléspectateur d’assister à un événement réel est due à ce que nous nommons la co-présence communicationnelle. Les médias audio-visuels établissent un degré très élevé de co-présence communicationnelle, qui est particulièrement marquée dans des émissions « en direct », permettant à la chaîne de télévision ou de radio d’établir la co-présence temporelle avec le public.

Examinons maintenant de plus près les trois niveaux d’interaction que comporte le schéma du cadre interactionnel du discours de la presse écrite. 2.1.2.1. Le premier niveau d’interaction

Au niveau le plus élevé, l’interaction médiatique réunit deux interactants, le metteur en scène (<instance médiatique>) et les récipiendaires (<instance de réception>). Ce cadre interactionnel se caractérise par un lien pluri-canal (visuel et écrit) et par la co-présence communicationnelle, qui repose sur l’idée d’une autonomie de l’espace communicationnel par rapport à l’espace physique. Quant au lien d’interaction, une forme de réciprocité que nous qualifions de « partielle », peut être postulée à ce niveau d’interaction dans la mesure où

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l’instance médiatique évolue en fonction des réactions de son public et que l’opinion publique change sous l’influence des médias.

La différence entre ces trois paramètres et ceux qui caractérisent les deux autres niveaux d’interaction repose sur l’opposition entre l’identité collective de groupes responsables de différents secteurs d’activités et l’identité individuelle de membres de ces groupes chargés d’activités spécifiques. Le premier cadre interactionnel est, en fait, le cadre de l’interaction sociale. Dans le secteur de responsabilité des médias les activités verbales occupant la place centrale, ce cadre interactionnel met en évidence la profonde imbrication entre celles-ci et les activités non-verbales dans le processus d’interaction sociale. Vu sous l’angle des stratégies discursives du journalisme politique, c’est le niveau de sélection, de hiérarchisation et de diffusion de l’information. 2.1.2.2. Le deuxième niveau d’interaction

Le deuxième niveau d’interaction réunit le journaliste et ses lecteurs. Ce cadre interactionnel, emboîté dans le premier, se caractérise par un canal où domine l’écrit. En écrivant, le journaliste accède à une identité interactionnelle de scripteur. L’interaction entre le scripteur et ses lecteurs est caractérisée par la distance à la fois spatiale, les interactants ne partageant pas le même environnement, et temporelle, le moment de l’écriture étant différent du moment de la lecture, ainsi que par un lien unidirectionnel, les lecteurs n’ayant pas la possibilité de réponse immédiate au scripteur.

Il s’agit du niveau d’interaction le plus important pour l’analyse des stratégies discursives du journalisme politique : c’est le niveau de production et d’interprétation du discours. 2.1.2.3. Le troisième niveau d’interaction

L’interaction qui fait l’objet du discours se situe au troisième niveau. Les extraits analysés de notre corpus portent sur la conférence de paix qui a eu lieu le 14 décembre 1995 à Paris. Les participants à cette conférence, signataires et co-signataires des accords de paix sur la Bosnie-Herzégovine, se sont adressés aux invités, hommes politiques et journalistes. Ce cadre interactionnel est ainsi caractérisé par un canal où domine l’oral. En parlant, les participants à la conférence accèdent à une identité interactionnelle de locuteurs, tandis que le public, qui suit leurs interventions, devient le récipiendaire. L’interaction entre les locuteurs et le public se caractérise par un lien unidirectionnel, le public n’ayant pas la possibilité de réplique, par la co-présence spatiale, les interactants partageant le même environnement, et par la co-présence temporelle, le moment de la parole étant le même que le moment de la réception.

A ce niveau, l’interaction réellement accomplie entre les différents acteurs politiques se transforme en interaction représentée dans le discours.

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2.1.3. L’impact du cadre interactionnel sur le choix des stratégies discursives

Nous avons déjà pu observer que certains choix discursifs sont motivés par des données relevant de la dimension interactionnelle. Nous essaierons ici de faire un bilan de ce parcours, en rappelant les principales informations portant sur la matérialité de l’interaction, pertinentes pour l’analyse des stratégies discursives du journalisme politique. L’analyse des paramètres interactionnels a mis en évidence la complexité de l’interaction médiatique, dont le bon déroulement est assuré par plusieurs participants qui interagissent à des niveaux différents.

Le principe d’emboîtements successifs nous a permis de décomposer un cadre interactionnel complexe en plusieurs cadres interactionnels simples et de rendre compte des relations de dépendance des niveaux emboîtés par rapport aux niveaux superordonnants. Nous avons pu constater que le cadre interactionnel qui nous intéresse le plus, celui des stratégies de production et d’interprétation de textes journalistiques, se situe au niveau d’interaction intermédiaire. Poursuivant la réflexion de Bakhtine (1977), qui propose un ordre méthodologique descendant pour l’analyse des interactions verbales, et de Charaudeau (1995), pour qui l’espace des stratégies se situe dans un champ de liberté à l’intérieur d’un cadre de contraintes, nous faisons l’hypothèse que le processus d’élaboration et d’interprétation des stratégies discursives du journalisme politique est soumis à des contraintes externes, qui relèvent du premier niveau d’interaction, et internes, qui relèvent du deuxième niveau, tandis que le champ de liberté dont dispose le journaliste correspond au(x) niveau(x) d’interaction représenté(s). 2.1.3.1. Contraintes externes à l’interaction entre le journaliste et ses lecteurs

Avant de passer aux contraintes externes immédiates à l’interaction entre le journaliste et ses lecteurs, rappelons que le contexte socio-politique et socio-historique dans lequel s’inscrit l’interaction sociale entre différents acteurs (hommes politiques, journalistes, citoyens) impose à l’instance médiatique, qui sert d’intermédiaire entre les sphères politique et publique, un certain nombre de contraintes relatives à la sélection et à la hiérarchisation des informations (comme par exemple le principe de proximité géographique, qui accorde une priorité à des informations issues du contexte social le plus immédiat, ou la nature du système politique, qui détermine le degré d’indépendance des médias par rapport aux sources).

Les contraintes externes à l’interaction entre le journaliste et ses lecteurs, plus immédiates, sont liées aux paramètres interactionnels qui interviennent au premier niveau d’interaction médiatique:

- la présence d’une pluralité d’acteurs impliqués dans l’interaction sociale, qui sont susceptibles d’interpréter et d’évaluer le produit médiatique. L’analyse du discours du journalisme politique ne peut faire l’impasse sur les spécificités de l’argumentation et de la communication politiques. Si l’on considère

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l’argumentation politique comme une « lutte pour la définition de la situation » et la communication politique comme un exemple de « communication conflictuelle » (Windisch 1987), on doit parler en termes de degrés d’objectivité ou d’impartialité de journalistes en tant qu’acteurs de la vie politique et publique.

- la présence d’une pluralité d’acteurs impliqués dans chaque secteur d’activités, qui pousse chacun d’entre eux à améliorer la qualité de son produit.

- la présence d’une pluralité d’instances médiatiques qui utilisent le même support médiatique. Certaines contraintes sociales « aux effets homogénéisants » sont spécifiques au discours de la presse écrite : « effets d’agenda, exigences de lisibilité, structures d’interdépendance entre journalistes et sources, entre protagonistes au sein du monde de la presse » (Neveu 1993).

- la présence au sein d’une même instance médiatique de plusieurs individus, qui participent à l’élaboration du produit médiatique.

- l’ambiguïté de la position interactionnelle de l’instance médiatique: « […] « information » et « communication » sont des notions qui renvoient à des phénomènes sociaux ; « les médias » constituent un support organisationnel qui s’empare de ces notions pour les intégrer dans leurs diverses logiques économique (faire vivre une entreprise), technologique (étendre la qualité et la quantité de leur diffusion) et symbolique (servir la démocratie citoyenne) » (Charaudeau 1997: 5).

- un lien de réciprocité partielle entre l’instance de production et l’instance de réception, qui influence la qualité du produit médiatique. Ces rapports sont marqués par la logique économique « selon laquelle tout organe d’information agit comme une entreprise avec pour finalité la fabrication d’un produit qui se définit par la place qu’il occupe sur le marché d’échange des biens de consommation » (Charaudeau 1997: 5). La logique économique fait que l’instance médiatique vise à atteindre le plus grand nombre possible de consommateurs et que ceux-ci ont la possibilité de choisir entre plusieurs produits médiatiques.

- l’identité de l’instance de réception, qui intervient dans la sélection, la hiérarchisation et le traitement d’informations. Les choix discursifs auxquels se livrera chaque journal pour transmettre les faits qu’il a sélectionnés seront ajustés aux attentes du public visé : « dans cet espace de motivations sociales, une cible dite « éclairée », disposant déjà d’informations et de moyens intellectuels pour les traiter, aura des exigences particulières quant à la fiabilité de l’information fournie et à la validité des commentaires qui accompagnent celle-ci (…) alors qu’une cible dite « grand nombre », qui se caractérise par une grande diversité de pratiques (socioprofessionnelles et quotidiennes), aura des exigences de fiabilité et de validité moindres, ou différentes, et s’attachera davantage à l’effet de dramatisation de certaines formules (dans les titres, chapeaux, articles et divers énoncés des présentateurs des journaux télévisés ou radiophoniques) et aux propos stéréotypés » (Charaudeau 1995: 19);

- la mise en scène et la mise en discours propres à chaque journal et à chaque événement médiatique particulier constituent un univers à part, différent du monde réel, dont le média concerné ne peut donner qu’une image simplifiée et partielle. Le nombre d’événements réels qui se produisent dans le monde est

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supérieur au nombre d’événements que l’instance médiatique sélectionne pour en produire des événements médiatiques. Quant à la mise en scène et à la mise en discours de ceux-ci, l’instance médiatique n’exploite qu’une partie des informations disponibles, en tenant compte des attentes de son public. « L’instance médiatique se doit donc de faire des hypothèses sur ce qui est susceptible d’impliquer le sujet-cible, et donc sur une partition de l’espace public en catégories qui devraient permettre à ces sujets de les reconnaître, des les comprendre, de s’identifier et de réagir. Ce sont ces catégories – et non les faits eux-mêmes – qui sont données à voir et à consommer. » (Charaudeau 1997: 157).

Finalement, mentionnons un dernier élément qui n’apparaît pas dans le schéma ci-dessus, à savoir le lien de réciprocité partielle entre l’instance médiatique et la source d’information, qui détermine le degré de distanciation de l’instance médiatique par rapport à la source d’information, problème crucial de l’analyse du discours d’information médiatique. « Le degré de dépendance à l’égard des sources dessine un espace d’expression » (Neveu 1993). 2.1.3.2. Contraintes internes à l’interaction entre le journaliste et ses lecteurs

Si l’on essaie d’analyser un épisode de l’activité déployée par l’instance médiatique (en l’occurrence un quotidien) pour atteindre l’instance de réception (le public visé), on quitte le niveau de l’interaction sociale pour passer à celui de l’interaction interpersonnelle entre le journaliste et son lecteur. Celle-ci peut être envisagée, comme le met en évidence Kerbrat-Orecchioni (1992), de deux manières: « comme une suite d’événements dont l’ensemble constitue un "texte", produit collectivement dans un contexte déterminé », ou bien sous l’angle des « relations qui s’établissent non plus entre les différents constituants du texte conversationnel », mais « entre les interactants eux-mêmes », par le biais de l’échange verbal (1992: 9). Nous nous concentrerons ici sur ce deuxième aspect du fonctionnement de l’interaction interpersonnelle, en analysant les relations qui s’établissent entre le journaliste et son lecteur dans le processus de mise en œuvre et de compréhension de stratégies discursives24.

Les contraintes internes à l’interaction entre le journaliste et son (ses) lecteur(s) sont liées aux paramètres qui définissent la matérialité du niveau intermédiaire de l’interaction médiatique:

- le scripteur, qui représente le premier des deux pôles de l’interaction, parce qu’il ouvre l’interaction et dirige son déroulement. Au cours de l’interaction, le journaliste construit, reconstruit et déconstruit des objets politiques. Son information doit s’adapter aux règles journalistiques de brièveté, de clarté et de concision. Il doit posséder la compétence discursive qui lui permet de prévoir, au cours de l’élaboration des différentes stratégies discursives, les réactions de son (ses) lecteur(s) et de rendre son discours plus efficace.

24 Nous n’aborderons la problématique complexe de la combinaison des unités textuelles et praxéologiques que plus loin, dans le cadre de l’analyse de la forme d’organisation opérationnelle (3.1., 3.2.).

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- le lecteur, qui représente le deuxième pôle de l’interaction, parce qu’il reconstruit les objets politiques en interprétant les stratégies discursives mises en œuvre par le scripteur. Il doit posséder la compétence discursive qui lui permet de suivre le parcours tracé par le journaliste. Bien que tributaire de la manière dont le journaliste construit l’objet politique, le processus d’interprétation reste, dans une large mesure, subjectif, si bien que l’effet visé par le journaliste diffère toujours, plus ou moins, de l’effet réellement produit sur le(s) lecteur(s).

- le canal écrit, qui oblige le scripteur à ajuster les structures praxéologiques aux structures textuelles au niveau de l’organisation opérationnelle. En revanche, un si haut degré de correspondance entre les deux types de structures ne caractérise pas la presse audio-visuelle. Dans le langage audio-visuel, le texte se combine avec des éléments non verbaux ou paraverbaux (image, son, gesticulation etc.), si bien que la dimension textuelle ne coïncide que partiellement avec la dimension praxéologique.

- la distance spatiale qui sépare les deux interactants oblige le scripteur à chercher le moyen de se rapprocher du lecteur, soit sur le plan du contenu, en introduisant des thèmes et sous-thèmes susceptibles de l’intéresser davantage (selon le principe de proximité géographique), de toucher ses sentiments ou de flatter ses stéréotypes (Bougnoux 1995)25; soit sur le plan de la forme, en utilisant des tournures caractéristiques de l’interaction en face à face (interrogatives, exclamatives, elliptiques, humour, ironie, discours direct etc.).

- la distance temporelle qui sépare les interactants est supprimée en quelque sorte au niveau de l’interaction supérieure où nous avons postulé une forme de co-présence spécifique à l’interaction médiatique, que nous avons qualifiée de « communicationnelle ». Elle permet non seulement d’élargir la notion d’espace physique mais aussi celle de temps: pour assurer la co-présence communicationnelle entre les participants à l’interaction sociale, l’instance médiatique doit diffuser l’information à l’opinion publique dans les plus brefs délais. Au niveau de l’interaction intermédiaire, il s’agit donc plutôt de supprimer la distance qui sépare la source d’information et l’instance de réception. Le journaliste le fait en rapprochant, en quelque sorte, les événements du lecteur, grâce à l’emploi des « temps du discours » (Benveniste 1966b, Weinrich 1964), qui relève de la dimension syntaxique de l’organisation du discours.

- le lien unidirectionnel, lié à la problématique de l’occupation du canal, a des répercussions directes sur le type de relations hiérarchiques qui s’établissent entre le scripteur et le lecteur. La possibilité d’occuper le canal durant toute l’interaction, d’ouvrir et de clore celle-ci, placerait le journaliste dans la position de « dominant » (celui qui possède l’information dont l’autre a besoin) et son (ses) lecteurs dans la position de « dominé(s) » (ceux qui sont tributaires de la manière dont le journaliste présente l’événement, construit l’objet politique et

25 « Le premier canal ou médium d’une information, c’est donc la mise en contact ou la relation, qui par définition relèvent moins de la connaissance que de la reconnaissance : pour prendre contact avec quelqu’un, il faut lui proposer non un écart mais une continuité ou une redondance, une confirmation qui renforce ce qu’il sait (aime, désire ou recherche) déjà. Le message qui circule le mieux est celui qui flatte nos stéréotypes, celui qu’un récepteur peut facilement reprendre à son compte et coproduire » (Bougnoux 1995: 17).

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définit la situation), si l’absence de réponse de la part de son (ses) lecteur(s) ne le privait pas de contrôle du processus de reconstruction, de compréhension et d’interprétation de l’information, en le laissant perplexe quant à l’effet réellement produit sur le lecteur. Les stratégies discursives doivent ainsi être soigneusement élaborées, pour orienter la lecture dans la direction souhaitée par le journaliste.

- la position de « délocuté » (Kerbrat-Orecchioni) occupée par le troisième participant à l’interaction médiatique. L’occupation des deux pôles de l’interaction interpersonnelle par le scripteur et son lecteur met ceux-ci dans un rapport de complicité et dans une position haute par rapport au troisième « participant » à l’interaction médiatique, absent de ce niveau intermédiaire. 2.1.3.3. Le champ de liberté du journaliste dans l’élaboration des stratégies discursives

Plusieurs facteurs réduisent le champ de liberté du journaliste. Il ne peut écrire n’importe quoi: participant à un processus d’interaction complexe, il doit tenir compte des intérêts de l’ensemble des acteurs qui y prennent part. Le scripteur ne peut non plus écrire n’importe comment: il doit respecter un certain nombre de règles et tenir compte des exigences de son (ses) lecteur(s). Le journaliste organise le niveau de l’interaction interpersonnelle en tenant compte, d’une part, des objectifs de l’instance de production et des effets que celle-ci veut produire sur l’instance de réception et, d’autre part, des contraintes matérielles internes au cadre d’interaction intermédiaire, telles la distance spatio-temporelle, la non-réciprocité entre les interactants et, dans le cas de la presse écrite, le canal écrit.

L’ensemble de ces contraintes correspond à ce que Kerbrat-Orecchioni qualifie de « double contrainte » interactionnelle26 pour rendre compte d’impératifs contradictoires et de dilemmes permanents qu’imposent aux interactants les communications sociales. L’interaction médiatique semble se plier aux mêmes règles que les autres types d’interactions sociales27.

Tiraillé par les contraintes imposées aux niveaux des interactions sociale et interpersonnelle, le journaliste procède à la construction des objets politiques au(x) niveau(x) de l’interaction représentée. Dans cet univers du discours qui lui est propre, il essaie de concilier les deux principes contradictoires qui régissent

26 « Les communications sociales se caractérisent pas le fait qu’elles sont prisonnières d’un réseau de doubles contraintes, voire de contraintes multiples (dont certaines ont un caractère général, quand d’autres sont spécifiques à certains types de communication – politique, didactique, amoureuse, etc.), puisque les interactants sont censés respecter simultanément des principes contradictoires, et qu’ils ne peuvent obéir à certains d’entre eux sans ipso facto en enfreindre d’autres » (1992: 279). 27 L’absence de la maxime gricéenne de modalité (soyez sincère) des préceptes de la bonne information journalistique (soyez clair, bref et concis) trouve son explication dans les conflits inhérents à toute communication sociale, dont celui entre sincérité et politesse est le plus constant. La politesse envers l’ensemble des protagonistes à la communication médiatique, au niveau de l’interaction sociale, et la sincérité vis-à-vis du lecteur au niveau de l’interaction intermédiaire, semblent être dans un conflit permanent.

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toute interaction sociale, en élaborant deux principales stratégies qui relèvent de la dimension interactionnelle: la stratégie d’évitement et la stratégie de figuration. Ces deux stratégies, qui lui permettent de ne pas porter atteinte à la face de l’un ou de l’autre participant à l’interaction, s’appuient sur divers éléments, dont nous ne mentionnerons ici que ceux qui relèvent de la matérialité de l’interaction représentée:

- le journaliste procède à une sélection des acteurs de l’espace public qui font des déclarations ou sont susceptibles de prendre la parole, et cela « en fonction de l’identité du déclarant et de la valeur de son dit » (Charaudeau 1997: 184). Celle-ci intervient dans la mesure où le journaliste peut être amené à choisir la déclaration qu’il va rapporter selon son effet de valeur. Charaudeau en distingue quatre principaux: effet de « décision », de « savoir », de « témoignage » et d’« opinion »28.

- la manière dont l’identité des interactants se construit tout au long du discours dépend de l’attitude du journaliste. Le journaliste peut, en effet, marquer une plus ou moins grande distance par rapport aux déclarants par le degré de prise en charge énonciative de leur discours (dont l’analyse relève de la combinaison d’informations situationnelles, textuelles et linguistiques), ou bien, par une manière polie, impolie ou neutre de décrire leur comportement (en recourant à un vocabulaire axiologique marqué au niveau de la dimension lexicale).

- le nombre d’interactants qui apparaissent (dans une même situation d’interaction) au(x) niveau(x) représentés, dépend du choix du journaliste.

- la manière de représenter les relations entre les interactants permet au journaliste de transformer le cadre interactionnel initial en un cadre représenté nouveau.

- la multiplication des niveaux d’interaction représentés élargit l’espace stratégique du journaliste, et la possibilité d’emboîter sur l’un ou l’autre niveau représenté produit un effet d’ambiguïté (voir plus loin, 2.1.4.)

28 Ainsi, on a affaire à: - une parole performative, lorsque la déclaration émane d’un locuteur qui a le pouvoir de décider; - une parole d’analyse, lorsque la déclaration émane d’un locuteur qui a une position d’autorité du fait de son savoir; - une parole testimoniale, lorsque la déclaration émane d’un locuteur qui se contente de décrire ce qu’il a vu ou entendu à propos d’un certain fait; - une parole évaluative, lorsque la déclaration émane d’un locuteur qui exprime un jugement ou une appréciation sur les faits (Charaudeau 1997: 184).

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2.1.3.4. Les liens entre le journalisme et la politique: une définition fonctionnelle du journalisme politique

Après avoir décrit les propriétés matérielles de l’interaction médiatique, nous proposerons une première définition, fonctionnelle, du journalisme politique. Une définition structurale ne peut être proposée que dans le cadre de l’analyse des dimensions praxéologique (pour sa composante non-verbale) et textuelle (pour sa composante verbale)29. La définition fonctionnelle est, selon l’ordre méthodologique descendant proposé par Bakhtine, première par rapport à la définition structurale : les structures textuelles participent à la réalisation de buts spécifiques, et leur fonction (locale) dépend de la fonction (globale) du discours journalistique. De même, la fonction du journalisme politique dépend des structures plus englobantes dont il fait partie.

En mettant en évidence des liens entre le journalisme et la politique, l’analyse du cadre interactionnel nous permet de qualifier le journalisme comme une activité doublement politique. Le journalisme fait partie de la vie politique d’une société, en assurant le lien entre les hommes politiques et les citoyens. L’ordre méthodologique descendant que propose Bakhtine pour l’analyse des interactions verbales trouve son application dans l’étude de l’impact de la dimension interactionnelle sur les stratégies discursives du journalisme politique, en permettant de distinguer le champ où s’exerce la liberté du journaliste de celui des contraintes imposées par le niveau d’interaction superordonnant. La vie politique fait l’objet du discours journalistique. Le journalisme construit, déconstruit et reconstruit les objets politiques sélectionnés. Le journalisme est une manière de rendre compte du monde politique, de le représenter dans le discours, de définir la situation. Le terme de journalisme politique est trop restrictif, les rapports entre le journalisme et la politique ne pouvant être extraits du contexte de l’interaction sociale réunissant trois instances: politique, médiatique et citoyenne, qui entretiennent des rapports complexes. « Le champ du politique est celui de l’espace de la vie publique où se jouent des rapports de pouvoir et d’influence entre une instance politique et une instance citoyenne à des fins de la gestion de la citoyenneté », marqués par une visée de « faire faire » et/ou de « faire penser ». Le champ du médiatique est aussi celui de l’espace de la vie publique,

29 A partir de l’exemple de la publicité, Tzvetan Todorov explique la nécessité de distinguer rigoureusement les points de vue fonctionnel et structural, même si l’on peut parfaitement passer de l’un à l’autre. « La publicité assume certainement une fonction précise au sein de notre société; mais la question devient beaucoup plus difficile lorsque nous nous interrogeons sur son identité structurale: elle peut emprunter les média, visuel ou sonore (d’autres encore), elle peut avoir ou non une durée dans le temps, être continue ou discontinue, se servir de mécanismes aussi variés que l’incitation directe, la description, l’allusion, l’antiphrase, et ainsi de suite. […] C’est là une différence de point de vue plutôt que d’objet: si l’on découvre que la publicité est une notion structurale, on aura à rendre compte de la fonction de ses éléments constitutifs; réciproquement, l’entité fonctionnelle « publicité » fait partie d’une structure qui est, disons, celle de société. La structure est faite de fonctions, et les fonctions créent une structure » (Todorov 1978: 14).

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mais les rapports qui s’y jouent entre l’instance médiatique et l’instance citoyenne sont différents du précédent », marqués par une visée de « faire savoir » à propos de ce qui se produit dans cet espace public » (Charaudeau 2001: 9).

Les différences entre le journalisme et la politique apparaissent au niveau de leurs relations avec l’instance de réception. L’instance politique se trouve dans un lieu d’exercice du pouvoir, face à l’instance citoyenne placée dans un lieu de responsabilité sociale. En revanche, l’instance médiatique se trouve « dans un lieu de gestion de l’information » face à l’instance de réception placée « dans un lieu de savoir ». « L’instance médiatique gère l’information en fonction de l’idée qu’elle se fait de ce que sont: « l’intérêt social » (sélectionner – et donc imposer – dans la masse des faits ce qui sera jugé le plus important), l’ « authenticité » (montrer la réalité vraie) et la « vérité » des événements (dévoiler les causes) » (Charaudeau 2001: 9). La fonction du journalisme « politique » peut être définie par rapport à sa place dans un processus d’interaction sociale plus englobant. Par « journalisme politique » nous entendons donc l’activité de gestion de l’information par l’instance médiatique et par le journaliste à des niveaux d’interaction social et interpersonnel, réunissant les instances politique et citoyenne (lecteur). 2.1.4. Une étude de cas

Le modèle genevois constitue à la fois un instrument de représentation, de description et de développement (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 7), visant à rendre compte de l’aspect dynamique des phénomènes discursifs à partir de l’analyse de discours authentiques. Ce serait donc priver l’approche modulaire de sa dimension dialectique que de ne pas soumettre les hypothèses formulées à l’épreuve des données empiriques ni de chercher à compléter, réévaluer ou modifier une description globale, schématique et approximative, en l’occurrence celle de l’interaction médiatique, à la lumière d’analyses minutieuses de textes authentiques, représentatifs de différents aspects de l’organisation du discours. C’est ce que nous tenterons de faire à propos de la dimension interactionnelle du discours médiatique, à partir de l’analyse d’un article de presse extrait de notre corpus. Cette analyse montrera, en effet, que le schéma du cadre interactionnel proposé plus haut peut être soumis à des variations considérables au niveau de l’interaction représentée, qui constitue, pour le journaliste, son champ de liberté et le lieu d’élaboration de ses stratégies discursives.

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JOURNAL DE GENEVE ET GAZETTE DE LAUSANNE VENDREDI 15 DECEMBRE 1995

LA BOSNIE MEURTRIE ATTEND LA RECONCILIATION

Alors que les présidents Milosevic, Tudjman et Izetbegovic signaient l’accord de paix au Palais de l’Elysée, un hélicoptère français a été

mitraillé par des éléments de l’armée bosniaque et quatre grenades ont explosé dans le centre de Sarajevo

Il est peu probable que les Parisiens gardent un grand souvenir de la signature de l’accord de paix sur la Bosnie. Dans leur mémoire collective ce jeudi 14 décembre 1995 restera plus sûrement associé au souvenir d’une nouvelle journée d’embouteillages monstres pour cause de 21e jour de grève dans les transports publics, surtout dans les parages de l’Elysée et des Invalides où l’interdiction de la circulation n’a fait qu’exaspérer davantage les automobilistes. La télévision, en revanche, a bien fait les choses, notamment la télévision publique. Les téléspectateurs auront tous compris qu’il était important de bien mesurer le rôle historique joué en cette circonstance par la France en général et son président en particulier. A défaut d’avoir pris une part déterminante à l’essentiel lors des négociations de Dayton, maîtrisées par Bill Clinton, Jacques Chirac tenait à partager l’événement avec le président des Etats-Unis au moment où la signature de ce traité par les ennemis d’hier conférait une lourde symbolique à une accessoire séance de signatures.

« Contribution déterminante »

Nul n’étant jamais mieux servi que par soi-même, le chef de l’Etat a d’ailleurs tenu a rappeler que « la contribution déterminante de la diplomatie américaine » dans « le succès de Dayton » avait été précédée par « la mise en place de la Force de réaction rapide » en Bosnie et par « l’harmonisation progressive des positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, dans le cadre du Groupe de contact mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ». Autant d’étapes – a fait observer M. Chirac – dans lesquelles la part de la France a été importante et qui ont « créé les conditions du succès des négociations de Dayton ».

Les images télévisées ont scrupuleusement raconté ce moment solennel gravement mis en scène. La cérémonie a eu lieu dans la salle des fêtes du Palais de l’Elysée. Elle s’est déroulée en présence d’un parterre de ministres, ambassadeurs, hauts fonctionnaires et haut militaires, réunis sous un plafond peint présentant la République en « sauvegarde de la paix ».

A 11 h. 35, Jacques Chirac est entré le premier, encadré par Bill Clinton et par le Premier ministre russe, Viktor Tchernomyrdine, et suivi par les signataires du traité de paix, au nombre de 9. Tous ont pris place sur une estrade drapée de vieux rose. Chacun s’est posté devant son drapeau. Dans l’ordre alphabétique: l’Allemagne, la Bosnie, la Croatie, les Etats-Unis, l’Union européenne, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, la Serbie. Sur le rebord de la table en bois blanc, où attendaient trois maroquins rouges, une inscription avait été gravée: « Conférence de la Paix sur l’ex-Yougoslavie. Paris. » Jacques Chirac a parlé pendant une dizaine de minutes. Puis le Bosniaque Alija Izetbegovic, le Croate Franjo Tudjman et le Serbe Slobodan Milosevic ont tour à tour accompli le geste attendu. Après un instant d’hésitation, ils se sont

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serré la main (c’est le Croate qui a tendu la main au Serbe, qui l’a acceptée puis l’a tendue au Bosniaque) sous les applaudissements de l’éminente assistance. Ensuite, leurs trois paraphes ont été « parrainés » par les cosignatures des trois illustres « témoins »: le chancelier allemand Helmut Kohl, le Premier ministre britannique, John Major, le Premier ministre espagnol, Felipe Gonzales, présent en tant que président en exercice de l’Union européenne, et le Premier ministre russe. A partir de 12 h. 30, 12 discours ont suivi, de six à sept minutes chacun, parmi lesquels ceux des principaux intéressés, mais aussi ceux du secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali et du nouveau secrétaire général de l’OTAN, Janvier Solana. A 13 h. 30, les apéritifs étant consommés, les quelques 50 invités du président de la République ont pris place à bord d’un bus spécial pour éviter les embouteillages (à l’exception de Bill Clinton qui a fait le trajet dans sa limousine blindée). Un banquet les attendait de l’autre côté de la Seine, au Quai d’Orsay, dans les salons du Ministère des affaires étrangères où les deux pièces maîtresses du menu choisi, le homard de Bretagne et le chapon de Bresse, ont fait, paraît-il, l’unanimité. (page 4)

Le cadre interactionnel de ce texte comporte cinq niveaux. Le premier est

celui de l’interaction entre une instance politique (qui se situe au niveau international et dont l’identité sera construite progressivement, tout au long du texte), une instance médiatique (Journal de Genève et Gazette de Lausanne, quotidien suisse romand) et une instance citoyenne (groupe de lecteurs dont le nombre correspond approximativement au tirage du journal). La date et le lieu de publication (le 15 décembre 1995, Genève-Lausanne) constituent des marqueurs de co-présence communicationnelle entre les interactants.

Le deuxième niveau est celui de l’interaction entre le journaliste et ses lecteurs. Ce niveau se caractérise par un effort constant de l’auteur de l’article de réduire, par sa manière de présenter l’événement, la distance spatio-temporelle qui le sépare du lecteur. Ainsi, dès l’ouverture de l’interaction, le journaliste vise à annuler la distance temporelle, en faisant référence dans le titre à un état futur auquel donnera lieu la situation décrite dans l’article (« La Bosnie meurtrie attend la réconciliation »). Il essaie en même temps de diminuer la distance spatiale en mettant en rapport la situation en Bosnie, et plus spécifiquement la conférence de paix qu’il a suivie, avec les problèmes de la vie quotidienne qui préoccupent les lecteurs (« dans leur mémoire collective, ce jeudi 14 décembre 1995 restera plus sûrement associé au souvenir d’une nouvelle journée d’embouteillages monstres »).

L’auteur de cet article complexifie considérablement le niveau de l’interaction représentée par rapport au cadre interactionnel décrit plus haut (Figure 2), en faisant suivre le niveau de l’interaction interpersonnelle par deux niveaux représentés supplémentaires. Le premier niveau de l’interaction représentée (le troisième cadre interactionnel) réunit ainsi un metteur en scène (« la chaîne de télévision publique française ») et les récipiendaires (« les téléspectateurs »). Ce cadre interactionnel est caractérisé par le canal oral et visuel, par la distance spatio-temporelle et par un lien unidirectionnel. Le deuxième niveau de l’interaction représentée (le quatrième cadre interactionnel)

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réunit un locuteur (« hôte ») et les récipiendaires (« invités »). Il est caractérisé par le canal oral, la co-présence spatio-temporelle et la non-réciprocité. Le troisième niveau de l’interaction représentée (le cinquième cadre interactionnel) réunit les locuteurs (« conférenciers ») et les récipiendaires (« public »). Il est caractérisé par le canal oral, la co-présence spatio-temporelle et la non-réciprocité.

La séquence textuelle la plus complexe du point de vue interactionnel correspond au quatrième paragraphe. Le journaliste emboîte successivement sur le premier et le deuxième niveau d’interaction représenté, avant de passer au troisième: (niveau I) Les images télévisée ont scrupuleusement raconté ce moment solennel (niveau II) gravement mis en scène. (niveau III) La cérémonie a eu lieu dans la salle des fêtes du Palais de l’Elysée. Ce passage est graduel, le journaliste revenant au niveau précédent : (niveau III) Elle s’est déroulée en présence d’un parterre de ministres, ambassadeurs, hauts fonctionnaires et haut militaires, (niveau II) réunis sous un plafond peint présentant la République en « sauvegarde de la paix ». Le troisième niveau n’est stabilisé (au moins provisoirement) qu’à partir du paragraphe suivant.

Comme les trois niveaux de l’interaction représentée sont emboîtés dans l’interaction entre le journaliste et son lecteur, leur matérialité réelle est celle de l’interaction effective (marquée dans le schéma ci-dessous par le rectangle en traits gras). C’est à ce niveau, qui correspond aux titre, sous-titre et premier paragraphe du texte, que le journaliste prépare les cadres interactionnels qui s’enchaîneront l’un sur l’autre. Grâce à l’intervention du média télévisuel, les Parisiens ou <téléspectateurs> accéderont à l’identité interactionnelle de récipiendaires. L’organisateur de la cérémonie solennelle qui fait l’objet de l’intervention du média télévisuel accédera, au niveau d’interaction suivant, à l’identité interactionnelle de locuteur, et son discours d’inauguration ouvrira la voie aux interventions des autres participants à la conférence de paix.

scripteur<journaliste>

lecteurs<citoyens>

canal écritdistance spatio-temporelle

non-réciprocité<ARTICLE DE PRESSE>

locuteurs<conférenciers>

récipiendaires<public>

canal oralco-présence spatio-temporelle

non-réciprocité

<CONFERENCE DE PAIX>

Figure 3 : Exemple d’un cadre interactionnel comportant trois niveaux représentés

<EMISSION DE TELEVISION>

<DISCOURS D’INAUGURATION>

locuteur<hôte>

récipiendaires<invités>

metteur en scène

<chaîne de TV>

récipiendaires<téléspectateurs>

canal oral et visueldistance spatio-temporelle

non-réciprocité

canal oralco-présence spatio-temporelle

non-réciprocité

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Pourquoi le journaliste recourt-il à cette multiplication des niveaux d’interaction représentés avant de passer au niveau qui l’intéresse plus particulièrement, celui de la « conférence de paix » ? Dans quel but ?

Nous ne pouvons, pour l’instant (à partir des informations relevant de la dimension interactionnelle), qu’apporter quelques éléments de réponse à la première question. Les stratégies interactionnelles sont imposées à l’instance médiatique par la présence de la source d’information et de l’instance de réception. En multipliant les niveaux de l’interaction représentée, le journaliste oriente le lecteur vers une certaine interprétation du texte, centrée sur l’aspect mise en scène télévisuelle de la cérémonie solennelle. Le niveau de l’interaction médiatique (« émission télévisée ») lui permet d’adresser des critiques à l’organisateur de la conférence de paix, concernant sa mise en scène médiatique.

Poussé par des impératifs contradictoires auxquels doit obéir toute interaction verbale (principes de sincérité et de politesse), le journaliste adopte sur le plan interactionnel la stratégie de la fausse piste. Un cadre d’interaction implicite, dont les éléments ne sont mis en place de manière définitive que dans le dernier paragraphe, nous oblige à procéder à une réévaluation de l’ensemble des paramètres interactionnels, à tous les niveaux d’interaction représentés, en commençant par le dernier niveau, qui devient une sorte de filtre au cours d’un processus d’interprétation rétrograde. Le processus de mise en place et d’interprétation du cadre interactionnel ne s’arrête donc pas au troisième niveau de l’interaction représentée, mais se poursuit en amont, à travers trois niveaux d’interaction supplémentaires se superposant aux niveaux représentés qui viennent d’être décrits30.

Le premier niveau (supplémentaire) de l’interaction représentée est celui de l’organisation protocolaire d’une réunion diplomatique de haut niveau, réunissant un metteur en scène et des journalistes. Ce cadre interactionnel est caractérisé par le canal oral, la co-présence spatio-temporelle et un lien unidirectionnel. La télévision publique accède, au niveau de la mise en scène médiatique de la conférence de paix, à l’identité de metteur en scène face aux téléspectateurs. Ce cadre interactionnel est caractérisé par un canal oral et visuel, la distance spatio-temporelle et la non-réciprocité. Finalement, l’hôte accède, au niveau de la mise en scène politique, à l’identité interactionnelle de locuteur et ses invités à celle de récipiendaires. Ce dernier cadre interactionnel est caractérisé par un canal oral, la co-présence spatio-temporelle et la non-réciprocité.

Ce qui caractérise le deuxième schéma, c’est l’ordre décroissant dans l’enchaînement des niveaux d’interaction représentés, allant du cadre interactionnel le plus englobant, celui de l’organisation protocolaire d’une réunion diplomatique, (qui est le point d’aboutissement de la première interprétation, Figure 3) vers les cadres interactionnels d’une importance plus

30 La superposition des deux schémas représentant les deux faces de ce cadre interactionnel complexe permet de rendre compte du phénomène de « téléscopage » relevé par Charaudeau (2001) à propos d’une caractéristique du discours médiatique « qui consiste, en toute bonne foi sans doute, à développer une stratégie de brouillage énonciatif. Où discours objectivant et prise de position se téléscopent » (2001: 83).

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locale, ceux de mises en scène médiatique et politique de la conférence de paix (points d’aboutissement de cette interprétation rétroactive, Figure 4).

scripteur<journaliste>

lecteurs<citoyens>

canal écritdistance spatio-temporelle

non-réciprocité<ARTICLE DE PRESSE>

locuteur<organisateur>

récipiendaires<public>

canal oralco-présence spatio-temporelle

non-réciprocité

<ORGANISATION PROTOCOLAIRE D ’UNE REUNION DIPLOMATIQUE DE HAUT NIVEAU>

Figure 4 : La modification du cadre interactionnel au cours du processus d’interprétation rétrograde

<MISE EN SCENE MEDIATIQUE>

metteur en scène<hôte>

metteur en scène

<chaîne de TV>

récipiendaires<téléspectateurs>

canal oral et visueldistance spatio-temporelle

non-réciprocité

canal oralco-présence spatio-temporelle

non-réciprocité

<MISE EN SCENE POLITIQUE>

récipiendaires<télévision publique>

Les deux schémas correspondent aux deux niveaux de traitement de l’information: le premier est explicite, superficiel et informatif, le second implicite, profond et explicatif, le premier caractérise la presse audio-visuelle, le second la presse écrite. Leur articulation permet au journaliste de renforcer des liens de complicité avec le lecteur, en se distanciant en même temps de l’instance politique. La combinaison des différents modes de traitement de l’information dans le même texte représente une manière d’atteindre des publics différents, plus ou moins exigeants quant à la qualité de l’information. En outre, l’humour et l’ironie qui en résultent permettent au journaliste d’agir plus efficacement sur le lecteur, en touchant son affectivité.

En débouchant sur la question de la finalité de l’activité discursive déployée par l’instance médiatique (atteindre le plus grand nombre, agir sur le lecteur, dénoncer les mises en scène télévisuelle et politique), cette étude de cas sert, d’une certaine manière, d’introduction à l’analyse de la dimension référentielle, en confirmant l’étroite imbrication des dimensions constitutives de la composante situationnelle de l’organisation du discours. Car « les participants à l’interaction ne sauraient se ramener à des instances de parole. Au contraire, ils se comportent avant tout comme des agents engagés dans des conduites finalisées et qui assument mutuellement une responsabilité dans la gestion d’activités

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conjointes spécifiques » (Filliettaz 2001a: 99). Pour décrire les aspects contextuels des productions discursives comme « un ensemble de propriétés profondément intégrées à l’organisation du discours », la prise en compte des « ressources cognitives que les individus mobilisent dans leurs interactions avec l’environnement, et qui, par conséquent, médiatisent les rapports de leurs discours avec les univers référentiels » (id. 101) s’avère tout aussi nécessaire. Nous essaierons d’en rendre compte dans le cadre de l’analyse de la dimension référentielle. 2.2. Les informations relevant de la dimension référentielle

Dans l’analyse de la dimension référentielle, nous nous intéressons principalement à deux types d’informations - conceptuelles (relatives à des êtres et des objets) et praxéologiques (qui sont en rapport avec les actions et les événements) – qui nous permettent de décrire les deux univers du discours. « Le module référentiel décrit les représentations mentales, conceptuelles et praxéologiques, des activités, ainsi que des êtres et des objets qui constituent les univers dans lesquels le discours s’inscrit et dont il parle […] ainsi que les réalisations émergentes de ces représentations dans des discours spécifiques » (Roulet 2001b: 45-46).

Les linguistes ne sont pas spécialistes de l’analyse des actions ni de l’analyse des concepts. Le monde des actions et des concepts étant infiniment vaste, nous essaierons de délimiter la part de ce monde dont nous avons vraiment besoin pour étudier le discours et nous nous contenterons d’une description très rudimentaire. Celle-ci portera, dans un premier temps, sur la délimitation des deux univers du discours (2.2.1.) et sur un aspect important de la dimension référentielle, qui est le cadre actionnel (2.2.2.). Nous procéderons ensuite à la description des deux univers du discours au moyen des représentations et des structures conceptuelles (2.2.3.) et praxéologiques (2.2.4.). 2.2.1. Les deux univers du discours

Les activités langagières exercent une double fonction, communicative et représentative, en se référant aux deux univers du discours - l’univers dans lequel le discours s’inscrit et celui que le discours permet de représenter. La manière dont on envisage les rapports entre ces deux fonctions est le reflet de l’importance accordée, sur le plan théorique, à l’un ou l’autre des deux univers du discours. « Admettre, avec Bally, Bakhtine, Austin, Searle, Ducrot, Bronckart et H. Clark, que la fonction fondamentale du langage est d’ordre communicatif, et que la fonction de représentation est seconde » (Roulet 2001b: 28) revient, d’une certaine manière, à postuler que l’univers dans lequel le discours s’inscrit déterminerait l’univers représenté dans le discours. Cela ne signifie aucunement que l’univers réel serait lui-même déterminé par l’activité verbale, bien que celle-ci participe à son évolution, mais que la manière dont il sera représenté dans le

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discours dépendra des caractéristiques de l’univers dans lequel le discours s’inscrit, de l’intentionnalité de l’instance de production, de son rôle praxéologique et de ses rapports avec les autres participants à la communication. Cela ne veut pas dire non plus que l’univers représenté dans le discours serait entièrement dépendant de l’univers dans lequel le discours s’inscrit et n’exercerait, à son tour, aucune influence sur celui-ci, mais plutôt que cette influence serait moins directe.

Les deux univers du discours peuvent difficilement être délimités comme deux entités référentielles distinctes, car ils reposent sur le même type de représentations et donnent lieu au même type de structures (conceptuelles et praxéologiques), composées d’éléments identiques (êtres, objets et événements)31. Dans l’exemple du discours du journalisme politique, les ressemblances affectent le contenu même des représentations et des structures référentielles, l’univers politique étant à la fois l’univers dans lequel le discours s’inscrit et celui que le discours permet de représenter.

Mais, si les liens entre le journalisme et la politique sont multiples, leurs divergences le sont également. Le passage du discours politique au discours journalistique donne lieu aux mêmes « transpositions sémantiques du monde du texte » que n’importe quel autre changement de formation discursive (Adam 1999)32. A la différence du discours politique qui est utilisé comme moyen dans la lutte pour le pouvoir, le discours journalistique est censé démasquer cette lutte, la rendre plus transparente, l’interpréter en la chargeant de nouvelles significations. A ces objectifs différents correspondent des stratégies discursives différentes.

La délimitation de ces deux univers nous intéresse dans la mesure où elle nous permet de mieux décrire la mise en place de stratégies spécifiques au discours du journalisme politique. A titre d’exemple, la distinction entre les êtres appartenant à l’univers dans lequel le discours s’inscrit (le journaliste et son lecteur) et ceux qui font partie de l’univers représenté (protagonistes de l’événement politique qui fait l’objet d’un article de presse), permet de marquer, en combinaison avec d’autres informations modulaires33, le degré de prise en 31 Filliettaz parle de degrés de « superposition » et de « divergence » entre le monde ordinaire et les mondes représentés (Filliettaz 2001a: 101). 32 S’intéressant aux « transpositions sémantiques du monde du texte », Jean-Michel Adam (1999) a analysé l’impact du changement de formation discursive, tel le passage du genre journalistique au poème, sur la structure du monde représenté. Il a montré qu’une différence générique « affecte le rapport des deux textes à la réalité-vérité et, de ce fait, les conditions sémantico-pragmatiques de sa lecture. Le texte journalistique source est sémantiquement soumis à la loi vériconditionnelle de l’information: ou bien il rapporte des faits fidèlement ou bien il ment. Le poème, en revanche, n’est pas soumis à la vériconditionnalité. Ni vrai ni faux relativement au monde, il institue un ordre propre de vérité-validité. Cette modification du pacte pragmatique de lecture a des conséquences sur la reconstruction de l’intentionnalité du texte. En effet, à une intentionnalité dominée par l’information à transmettre succède une intentionnalité poétique » (1999: 177). 33 Parmi les informations lexicales et syntaxiques, il faut mentionner les marqueurs d’univers répertoriés par Charolles (1997) et repris par Adam (1999) (selon, pour, d’après etc.), ainsi que la modalisation du conditionnel. Notons également que, pour Adam, l’univers de discours est un « univers de sens attribuable à un ou des énonciateurs » (1999: 65).

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charge énonciative du discours par le journaliste. Un autre exemple de l’utilité de la distinction entre les deux univers du discours est fourni par la problématique de la visée communicationnelle et des genres discursifs. Dans une situation d’interaction spécifique, en l’occurrence, celle reliant une instance médiatique (quotidien) et une instance de réception (public), cette distinction permet, en effet, de combiner des informations praxéologiques relevant de l’univers dans lequel le discours se déroule, relatives au type d’activité (journalisme politique) et à ses principales visées (informative, explicative, de captation et argumentative) avec des informations conceptuelles34 relevant de l’univers dont le discours parle, liées à la portée et au degré de généralité des représentations conceptuelles mobilisées.

Ces exemples ne font qu’illustrer l’importance de la distinction entre deux univers du discours pour une analyse plus approfondie et plus complète des stratégies discursives du journalisme politique. C’est pourquoi nous décrirons séparément les concepts et les activités constitutives des représentations et des structures conceptuelles et praxéologiques de l’univers dans lequel le discours se déroule et de l’univers représenté dans le discours. Cependant, tout en dissociant, pour les besoins de l’analyse, les différents aspects des deux univers du discours, nous garderons toujours présente à l’esprit l’idée de leur complémentarité et de leur étroite interdépendance.

En outre, comme il ne s’agit pas d’univers clos et refermés sur eux-mêmes, nous ne pourrons pas non plus faire abstraction des liens de profonde imbrication que ces univers entretiennent avec des contextes plus larges, dans lesquels les concepts et les activités qui les constituent trouvent leur sens. Ainsi, dans la description de l’univers dans lequel le discours s’inscrit, nous insisterons sur l’importance du contexte socio-politique et socio-historique dans la production et l’interprétation du discours du journalisme politique, de même que dans la description de l’univers dont le discours parle nous prendrons en considération le contexte socio-discursif dans lequel se situe l’événement qui fait l’objet de l’information médiatique. 2.2.1.1. L’univers dans lequel le discours s’inscrit: le journalisme en tant qu’activité sociale dans l’espace public

L’analyse des stratégies discursives du journalisme politique devrait rendre compte des deux principaux aspects de l’univers dans lequel le discours s’inscrit, l’un, statique, qui fixe ses repères conceptuels, l’autre, dynamique, centré sur des processus praxéologiques. L’aspect statique de l’univers du journalisme politique peut être décrit au moyen des schémas conceptuels esquissant le parcours mental entre les représentations conceptuelles d’une source d’information, d’une instance de production, d’un produit médiatique et 34 D’autres informations modulaires interviennent également dans la description des genres discursifs. Dans un autre cadre théorique, celui de la linguistique textuelle, qui s’inspire également du modèle bakhtinien, Jean-Michel Adam postule que “les genres influencent potentiellement tous les niveaux de la textualisation” (1999: 91).

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d’une instance de réception. En revanche, son aspect dynamique peut être saisi grâce aux représentations praxéologiques des activités de production et d’interprétation de textes journalistiques, déployées respectivement par l’instance médiatique et par l’instance de réception.

Nous nous arrêterons brièvement sur deux points qui nous semblent être particulièrement importants pour la description des stratégies discursives du journalisme politique, à savoir la complémentarité des représentations conceptuelles et praxéologiques et leur dépendance des contextes socio-politique et socio-historique plus englobants.

La complémentarité des représentations conceptuelles et praxéologiques apparaît dès le niveau des schématisations rudimentaires de la communication médiatique, à propos des concepts de base, tel le concept de PRODUIT MÉDIATIQUE. En effet, il est impossible d’établir des liens entre ce concept et ceux d’INSTANCE MÉDIATIQUE ou d’INSTANCE DE RÉCEPTION, sans recourir à des représentations de nature praxéologique concernant, plus spécifiquement, les activités de production ou d’interprétation de textes journalistiques. D’autre part, les représentations praxéologiques des stratégies discursives du journalisme politique liées aux activités discursives les plus élémentaires35, par exemple « informer », s’appuient nécessairement sur des schématisations conceptuelles. Celles-ci comportent les concepts de JOURNALISTE (celui qui transmet l’information, la manière dont l’information est transmise), de LECTEUR (celui à qui l’information est destinée, la manière dont l’information est reçue) et de SOURCE D’INFORMATION (l’événement ou la personne à l’origine de l’information). Les représentations conceptuelles et praxéologiques de l’univers dans lequel le discours s’inscrit doivent être interprétées par rapport aux contextes socio-politique et socio-historique plus larges, dans lesquels elles trouvent leur sens. Le contexte socio-politique dans lequel se déroule l’interaction entre une instance médiatique et une instance de réception aura une influence directe sur la sélection et la hiérarchisation des informations (le principe de proximité géographique). Le contexte politique intervient également au niveau du traitement des informations, dans la mesure où il détermine le degré de liberté dont peut disposer la presse d’un pays dans la régulation de ses rapports avec les sources et le public. Quant à l’analyse des formes sous lesquelles se présenteront les contenus sélectionnés, elle nécessite également la prise en considération du

35 Les activités discursives étant notionnellement complexes, leur analyse complète doit prendre en considération non seulement la dimension référentielle de l’organisation du discours, mais également ses interrelations avec la dimension textuelle hiérarchique. Dans l’exemple du discours du journalisme politique, font partie des stratégies discursives les concepts et les activités purement communicationnels (raconter, décrire, expliquer, argumenter), ainsi que les concepts et les activités liés à une finalité extérieure (vendre le journal, s’affirmer en tant qu’acteur de la vie politique). Les premiers relèvent de la dimension textuelle, les seconds de la dimension référentielle. Ces activités se combinent pour donner lieu à un certain nombre d’opérations et de stratégies discursives, caractéristiques des genres discursifs de la presse écrite ou du style individuel d’un journaliste (informer/relater, commenter/exprimer son opinion, attirer l’attention du lecteur, agir sur lui, toucher ses sentiments en recourant à l’humour, à l’ironie, aux symboles etc.), qui seront abordées plus loin (Chapitres 3 et 4).

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contexte socio-historique, favorisant le développement de genres discursifs spécifiques.

La complémentarité des représentations conceptuelles et praxéologiques et leur dépendance des contextes socio-politique et socio-historique plus larges constituent des informations modulaires qui peuvent être exploitées de différentes manières dans la description des stratégies discursives.

Premièrement, le concept de STRATÉGIE DISCURSIVE fournit lui-même l’exemple de l’interdépendance des représentations de natures conceptuelle et praxéologique, reliant les concepts d’INSTANCE MÉDIATIQUE, d’INSTANCE DE RÉCEPTION et de PRODUIT MÉDIATIQUE avec les représentations praxéologiques des activités de « production » et d’ « interprétation » de textes journalistiques. Deuxièmement, le contexte socio-politique oriente les stratégies discursives typiques (narrative, descriptive, argumentative et explicative) vers une finalité extérieure à l’activité verbale elle-même (persuader, influencer, dénoncer, critiquer, se faire valoir, être crédible, attirer l’attention etc.) et les inscrit dans des stratégies de « crédibilité » et de « captation » spécifiques au discours d’information médiatique (Charaudeau 1997). Finalement, au cours de son développement historique, chaque type de discours a créé un certain nombre de genres discursifs spécifiques. Dans le domaine du discours d’information médiatique, on distingue différents genres, tels les genres de la presse écrite, les genres télévisuels et les genres radiophoniques, qui servent de cadre aux stratégies discursives effectives. Au-delà de leurs spécificités liées à la matérialité de l’interaction, l’analyse des genres discursifs relève de la dimension référentielle et de la mise en relation des deux univers du discours. 2.2.1.2. L’univers dont le discours parle: l’univers politique en tant que domaine scénique de l’instance médiatique L’univers dont le discours parle ne doit pas être confondu avec l’univers réel, celui dans lequel le discours s’inscrit. L’univers dont le discours parle est un univers représenté, dans lequel des objets réels se transforment, grâce à l’activité discursive de l’instance de production, en objets de discours.

La problématique des représentations conceptuelles et praxéologiques de l’univers dont le discours parle est au cœur de l’analyse des stratégies discursives du journalisme politique. Ces représentations ou « imaginaires » dépendent à la fois « du type d’événement dont il est question, des rapports que les médias entretiennent avec les événements réels et le monde politique, du type de population auquel on croit s’adresser, de l’époque de référence et de l’espace culturel auquel appartient le sujet visé » (Charaudeau 2001: 12-13). En outre, l’influence des médias s’exerce au niveau des représentations conceptuelles et praxéologiques du lecteur, d’ordres « cognitif, émotionnel et pragmatique » (ibid.), que les stratégies discursives visent à modifier.

Les représentations conceptuelles et praxéologiques de l’univers réel se transforment à travers l’activité journalistique en structures praxéologiques et conceptuelles de l’univers représenté dans le discours médiatique.

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L’interprétation qu’en fait le lecteur donne lieu à un processus d’ajustement des représentations conceptuelles et praxéologiques des participants à l’interaction.

L’univers référentiel que construit le média se compose de plusieurs « domaines scéniques » (politique, sport, culture) constitués d’actions et de paroles (Charaudeau 2001), dont chacun peut être décrit des points de vue conceptuel et praxéologique36. La notion de domaine scénique permet de regrouper des épisodes praxéologiques successifs autour de mêmes entités conceptuelles. Chauraudeau distingue dix domaines scéniques de la présentation de la situation en ex-Yougoslavie par les médias français: « diplomatique (scène de négociation dans laquelle au moins un des belligérants est présent), médiation-interposition (toute action directe ou indirecte relevant d’un mandat international visant à résoudre le conflit), humanitaire (tout ce qui a trait à l’aide humanitaire), conflit armé (tout acte ayant trait à la guerre impliquant les ex-Yougoslaves armés), civile (scène rendant compte de la situation des populations civiles), religieuse (scène ayant trait aux institutions religieuses), opinion publique internationale (actions ou réactions de personnalités ou de groupes constitués se déroulant dans un autre cadre que les lieux du conflit), médiatique (mise en scène des médias ou de journalistes), de politique française (tout événement lié aux hommes politiques français ou à la politique française) et de politique internationale (tout événement politique se déroulant dans un autre lieu que la France) » (2001: 33-34).

De grands événements médiatico-politiques traversent plusieurs domaines scéniques. Dans l’exemple de notre corpus, la signature des accords de Dayton relève non seulement des domaines diplomatique et de politique internationale, mais aussi, indirectement, du domaine médiatique et de ceux de médiation-interposition, de politiques suisse, française, européenne, américaine et occidentale et de scènes civile et humanitaire. Comme le montrera notre étude de cas, des épisodes praxéologiques constitutifs de la même transaction peuvent appartenir à des domaines thématiques différents (Figure 13 et, plus loin, Figure 33) Les représentations conceptuelles et praxéologiques de l’univers dont le discours parle créent ainsi des « familles événementielles » (Adam 1997a), dont les composants entretiennent d’étroites relations avec des représentations conceptuelles et praxéologiques de l’univers dans lequel le discours s’inscrit.

36 Pour décrire un domaine scénique du point de vue praxéologique, Charaudeau propose une grille d’analyse comportant les catégories suivantes: la qualité des acteurs, leur rôle actionnel, la nature de l’action et la finalité de l’action (2001).

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2.2.1.3. L’articulation des deux univers du discours et la problématique des genres journalistiques

L’articulation des deux univers du discours est liée à la problématique des genres journalistiques. Leur étude, au-delà des spécificités liées à la matérialité de l’interaction (canal oral/écrit) et au type de support médiatique (presses écrite, télévisuelle et radiophonique), relève de la dimension référentielle de l’organisation du discours. Les genres journalistiques articulent des éléments de l’univers dans lequel le discours s’inscrit (l’identité de l’instance de production, ses objectifs, le type de discours prédominant, les propriétés de la cible) et de l’univers dont le discours parle (le type d’événement médiatique et ses différents aspects).

Parmi les approches des catégories génériques de la presse écrite, nous avons choisi comme cadre de référence deux typologies qui s’appuient sur des critères linguistiques: textuels et sémio-discursifs.

Le classement des genres de la presse écrite proposé par Jean-Michel Adam (1997a) part des catégorisations pratiques établies par les professionnels et les usagers de cette formation discursive, pour les soumettre ensuite à « une réflexion plus proprement linguistique et textuelle attentive aux unités linguistiques et aux agencements compositionnels ». Face aux divergences des critères utilisés par les manuels de journalisme, Adam résume les classements qu’ils proposent « en distribuant les textes réalisés – quel que soit leur contenu – sur un continuum, selon qu’ils tendent plutôt vers l’une ou l’autre position énonciative » : vers le pôle « Information » ou vers le pôle « Commentaire » (1997a: 10). Il propose ensuite une approche renouvelée des catégorisations des productions discursives qui consiste à considérer tel fait de langue ou de discours concret comme n’étant jamais qu’un représentant plus ou moins caractéristique d’une catégorie. Il insiste sur la nature intrinsèquement floue des classifications, car « entre le centre et la périphérie d’une catégorie, entre les zones périphériques de catégories proches, il existe des différences graduelles que les recherches doivent tenter de décrire » (id. 12). Quant au problème de la catégorisation des genres de la presse écrite, Adam estime que les unités rédactionnelles de la presse écrite doivent être étudiées comme « des réalités tant discursives-interactionnelles que textuelles-linguistiques ». Dans une formation discursive particulière, les genres donnent forme aux actions discursives et règlent avec plus ou moins de force et de précision les différents plans d’organisation du discours. Du point de vue de la dimension textuelle, un énoncé médiatique est le produit hétérogène et complexe d’interrelations entre différents plans de structuration. Adam propose six critères minimaux définissant les genres de la presse écrite: sémantique ou thématique (« familles événementielles » et rubriques), énonciatif (degré de prise en charge des énoncés et identité de l’énonciateur), longueur (brièveté vs développement), pragmatique (buts, intentions communicatives), compositionnel (plans de textes et séquences) et stylistique (texture micro-linguistique) (id. 17).

Selon Charaudeau (1997), une typologie des genres doit définir le type d’objet-texte auquel s’applique la typologie, déterminer le lieu de pertinence dans

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lequel agit la typologie et définir des axes de typologisation selon des critères homogènes d’organisation discursive (que le matériau soit verbal ou visuel). Pour saisir l’objet d’une typologie des genres, Charaudeau combine deux éléments: la visée d’une finalité qui détermine le type d’influence que l’instance d’énonciation veut avoir sur l’instance de réception – textes informatifs (faire savoir), didactiques (faire apprendre), démonstratifs (prouver), persuasifs (convaincre) etc. – et un type de propos (correspondant à un domaine de la pratique sociale). Il aboutit ainsi à une première typologie de macro-genres: persuasif + domaine de la pratique du pouvoir = type propagandiste; persuasif + domaine de la pratique commerciale = type publicitaire; information + domaine de la pratique informative sur l’espace public = type journalistique (1997: 135). Charaudeau précise ensuite que c’est le produit fini qui constitue le lieu de pertinence de sa propre typologie, en rappelant que « les guides de rédaction qui sont rédigés par les professionnels ou les écoles de journalisme participent pour une part d’une typologie de production (puisqu’ils sont dans le faire), pour une autre dans le produit fini (puisqu’ils sont dans le dire) » (id. 137). L’établissement d’une typologie constituant, pour lui, l’acte final – et non premier – d’un travail minutieux de description et d’analyse, il se contente de proposer un ordre méthodologique, en croisant les principaux types de modes discursifs du traitement de l’information: « événement rapporté », « événement commenté », « événement provoqué », avec les principaux types d’instance énonciatrice (origine interne ou externe, degré d’engagement). Charaudeau précise qu’un tel choix est réducteur dans la mesure où il ne tient pas compte des sous-catégories des modes discursifs, des caractéristiques précises des dispositifs ni de l’apport discriminant de la composante thématique.

Le traitement de la problématique des genres discursifs dans une perspective modulaire nécessite une reformulation des critères élaborés par les deux approches qui viennent d’être mentionnées. Dans l’approche modulaire, l’étude des catégories génériques de la presse écrite relève de la dimension référentielle de l’organisation du discours. La plupart des critères mentionnés par Adam concernent les dimensions praxéologique et conceptuelle de l’univers dans lequel le discours s’inscrit. Seul le critère sémantique ou thématique (le premier en importance) concerne l’univers représenté dans le discours. En revanche, pour Charaudeau, l’ensemble des critères de base relèvent de l’univers dans lequel le discours s’inscrit et de l’articulation de ses deux aspects, praxéologique (modes discursifs) et conceptuel (types d’instance énonciatrice).

La combinaison des principaux critères définis dans les deux approches nous permet de définir le journalisme politique comme un type de discours (journalistique) portant sur un domaine thématique (politique), et la presse écrite comme un macro-genre du discours journalistique, à l’intérieur duquel nous pouvons distinguer plusieurs sous-genres, regroupés autour de ses principales visées communicationnelles. Vu l’importance qu’elles accordent aux notions de but et d’intention communicative dans la définition des genres discursifs, les deux typologies proposées nous invitent à nous interroger sur le rapport entre genres et stratégies discursives. Nous faisons l’hypothèse que l’étude des stratégies discursives repose sur les informations modulaires d’ordre référentiel

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relatives à la définition des visées communicationnelles de types de discours et de macro-genres de discours. Comme la même visée communicationnelle (par exemple, explicative) traverse plusieurs sous-genres discursifs (par exemple, l’éditorial et le commentaire politique) nous ne nous intéresserons pas à la problématique du classement de ces sous-genres discursifs, qui s’appuie sur des critères autres que celui de but ou de visée.

Une analyse comparative des articles de presse à visées informative et explicative portant sur le même événement médiatico-politique (la signature de l’accord de Dayton) fait ressortir les liens entre deux univers du discours: les genres à visée informative ont pour objet le déroulement même de l’événement représenté dans le discours (la cérémonie de signature, les protagonistes, leur comportement), tandis que les genres à visée explicative portent sur son arrière-plan constitué par le contexte politique global (la situation politique, économique, les problèmes liés à l’application de l’accord, etc.)37. 2.2.2. Le cadre actionnel Le cadre actionnel permet d’articuler dans une représentation schématique unifiée des informations de natures conceptuelle et praxéologique qui interviennent dans l’analyse des productions discursives. « Le cadre actionnel vise à expliciter quelques-unes des propriétés référentielles d’une interaction verbale effective, saisie du point de vue de la configuration des actions qui y sont en jeu. Plus spécifiquement, il cherche à rendre compte du fait que le discours fonctionne toujours comme le lieu de convergence d’une pluralité d’instances agentives engagées non seulement dans un enjeu qui leur est commun, mais également dans des activités externes à la rencontre qui les associe momentanément » (Filliettaz 2001a: 112). La description des configurations d’action résulte de l’articulation des quatre paramètres: les enjeux communs, les actions participatives, les positions actionnelles (statuts sociaux, rôles praxéologiques, face) et les complexes motivationnels.

L’idée du cadre actionnel est, en elle-même, assez simple à comprendre: quand deux interactants se rencontrent, pour chacun d’entre eux le moment de la rencontre correspond à tout un programme d’activités. Cependant, son application au discours de la presse écrite met en évidence l’absence de linéarité dans le déroulement des activités de ses deux interactants - instance médiatique, d’une part, et instance de réception, de l’autre. Ainsi, dans l’organigramme ci-dessous (Figure 5), chacune des flèches désigne plutôt un plan global d’activités pour chacune des instances agentives, qui ne reflète pas une progression linéaire. 37 Pour Charaudeau (1997), l’articulation des deux univers du discours de la presse écrite doit satisfaire aux quatre types d’exigences qui caractérisent le « contrat de communication médiatique »: exigences de visibilité, de lisibilité, d’intelligibilité et de dramatisation. « Ces quatre types d’exigences coexistent dans un même organe d’information, et c’est pourquoi il est toujours difficile de procéder à un classement des formes textuelles et d’opérer une typologie des genres journalistiques, d’autant que chaque instance médiatique joue sa propre stratégie dans la manière de satisfaire à ces exigences » (1997: 220-221).

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Pour l’instance de production d’un objet de savoir et de consommation, ce plan comporte les activités de recherche, de sélection, de hiérarchisation, de traitement et de diffusion des informations susceptibles d’intéresser et d’attirer le public. Pour l’instance de réception, le plan comporte les activités comme « s’intéresser aux problèmes de société », « chercher à être informé », « acheter et lire le journal », « avoir un certain nombre d’exigences quant à la fiabilité et à la validité de l’information » etc.

A la différence des actions participatives, qui incombent à chacune des instances agentives, la notion d’enjeu commun « désigne ce que les interactants font ensemble ou encore la finalité partagée qui articule leur engagement dans l’action collective » (Filliettaz 2001a: 113). Dans l’exemple de l’interaction médiatique, c’est l’information qui constitue l’élément nodal de la situation d’action. Les médias d’information étant des intermédiaires collectifs entre le lecteur et la source d’information - et non pas des individus – la rencontre entre l’instance médiatique et l’instance de réception n’est que symbolique et coïncide avec l’acte d’achat et de consommation du produit qui personnifie son fabricant. Les enjeux de l’interaction renvoient à la fois aux mondes objectif, social et subjectif. L’événement du « monde à commenter » (Charaudeau 1997: 42), qui fait l’objet de l’information, n’est jamais transmis à l’instance de réception dans son état brut. Le monde objectif passe par le travail de construction de sens d’un sujet d’énonciation qui le constitue en « monde commenté », au terme d’un double processus de transformation et de transaction (ibid.).

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avoir un certain nombre d’exigences quant à la fiabilité et à la validité de l’information

répondre aux attentesde ses lecteurset en attirer d’autres (être crédible et capter le public)

Position actionnelle- statut social: média d ’information- rôle praxéologique: prestataire- face : image et territoire

Position actionnelle- statut social: citoyen- rôle prax.: demandeur - face : image et territoire

complexemotivationnel :consommerde l’informationpour agir etpour occuperune certaineposition sociale

INSTANCEAGENTIVE

INSTANCEAGENTIVE

complexemotivationnel :produireun objet desavoir etun objet deconsommation

Action participative Action participative

chercher, sélectionneret hiérarchiser desinformations

s’intéresseraux problèmesde société et chercher à être informé

Enjeuinformation

rapporter,commenter et diffuser

acheter et l irele journal

Figure 5 : Cadre actionnel de l’univers dans lequel le discours s’inscrit

Dans le cadre actionnel, comme le montre l’organigramme ci-dessus, il faut également préciser les complexes motivationnels qui expliquent l’engagement des acteurs. Ainsi, l’instance de production poursuit un double objectif: « être le plus crédible possible tout en attirant le plus grand nombre possible de récepteurs » (Charaudeau 1997: 73), poussée par deux logiques différentes. En tant qu’instance de production d’un objet de savoir, elle vise à transmettre l’information. En tant qu’instance de production d’un objet de consommation, elle vise à vendre le journal. L’instance de réception cherche, quant à elle, à être informée pour agir et pour occuper une certaine position sociale.

Finalement, toute situation d’action conjointe génère des positions actionnelles, dont la description permet de spécifier, du point de vue référentiel, les identités des instances agentives. La position actionnelle « ne se ramène pas à un paramètre unique, mais se manifeste à la fois sous la forme de statuts sociaux, de rôles praxéologiques et de mises en jeu de faces » (Filliettaz 2001a: 115). Les

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statuts sociaux renvoient aux « pré-requis que doivent satisfaire les agents pour participer à l’interaction » (ibid.). Dans notre exemple, les instances agentives ont respectivement les statuts de média d’information et de citoyen. Alors que les statuts sociaux perdurent à l’interaction, « les rôles praxéologiques sont liés aux enjeux qui émergent dans des situations particulières » (ibid.). Ainsi, l’instance médiatique est prestataire de services, tandis que l’instance de réception est demandeur. Dans le cadre actionnel, on fait également intervenir la plus ou moins grande sensibilité des interlocuteurs aux problèmes de face positive et de face négative. Dans notre cas, l’instance médiatique doit, d’une part, ménager la face positive de ses lecteurs, qui ont un certain nombre d’exigences quant à la fiabilité et à la validité de l’information, et d’autre part, sauvegarder sa propre face positive, en répondant aux attentes des lecteurs qui lui ont fait confiance. En outre, pour attirer d’autres lecteurs, elle devra non seulement adapter au mieux son discours au type de sensibilité et au problème de face que manifestent les lecteurs qu’elle connaît, mais également déterminer les degrés de sensibilités de consommateurs potentiels, qu’elle ne connaît pas. Le double objectif de l’instance médiatique et sa grande sensibilité aux problèmes de face auront des implications au niveau de la forme d’organisation stratégique, qui traite de la gestion des problèmes de face et de place. 2.2.3. Représentations et structures conceptuelles

L’analyse de la dimension référentielle est centrée sur deux types d’informations, conceptuelles et praxéologiques. Les informations conceptuelles sont en rapport avec des êtres et des objets. « Le fait que les transactions portent sur des objets déterminés renvoie à des savoirs conceptuels que les interactants doivent être en mesure de mobiliser et dont ils négocient la validité dans leurs productions discursives » (Filliettaz 2001a: 99).

Les informations conceptuelles concernent les représentations et les structures conceptuelles, deux aspects de la dimension référentielle qu’il est important de distinguer, l’aspect représentation correspondant à la dimension sous-jacente et l’aspect structure à la dimension émergente. Les représentations et les structures conceptuelles des univers du discours sont les notions qui échappent le plus à une analyse linguistique précise. C’est le domaine que le linguiste, qui n’est pas spécialiste en la matière, a le plus de difficultés à gérer. Il doit, en effet, faire face à deux difficultés majeures:

- un nombre infini de concepts, correspondant aux multiples dimensions des réalités linguistique et extra-linguistique, qui l’oblige à opérer des choix en fonction de son objet de recherche;

- l’appartenance de concepts à des niveaux de généralité différents, liée à leur imbrication dans des unités praxéologique de rangs différents, qui l’oblige à tenir compte également de la portée des concepts choisis.

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2.2.3.1. Représentations conceptuelles génériques

Si l’on s’intéresse au discours du journalisme politique du point de vue des stratégies discursives qui y sont déployées, on peut faire l’hypothèse que la représentation conceptuelle générique sur laquelle repose un grand nombre de représentations conceptuelles spécifiques est celle d’ACTEUR, reliée à d’autres concepts génériques, tels les concepts d’IDENTITÉ, de QUALITÉS, de BUT et de MOYENS. Parmi les représentations conceptuelles spécifiques, mentionnons celles de SOURCE D’INFORMATION, d’INSTANCE MÉDIATIQUE et d’INSTANCE DE RÉCEPTION, constitutives de l’univers dans lequel s’inscrit le discours du journalisme politique, et celle de PARTICIPANTS A LA CONFÉRENCE DE PAIX, appartenant à l’univers dont le discours parle. Une autre représentation conceptuelle générique, celle de PRODUIT, est à la base de plusieurs représentations conceptuelles spécifiques, dont celles de PRODUIT MÉDIATIQUE (faisant partie de l’univers dans lequel s’inscrit le discours médiatique) et d’ACCORD DE PAIX (appartenant, dans notre exemple, à l’univers représenté dans le discours). Nous pouvons faire l’hypothèse que le concept de PRODUIT est lié à ceux de FABRICANT, de DESTINATAIRE, de FORME et de CONTENU.

ACTEUR

QUALITES

IDENTITE

MOYENS BUT PRODUIT

FORME

DESTINATAIRE

FABRICANT CONTENU

Figure 6 : Représentations conceptuelles génériques

Les concepts de FABRICANT et de DESTINATAIRE permettent de réunir deux acteurs de l’univers dans lequel s’inscrit le discours d’information médiatique, INSTANCE MÉDIATIQUE et INSTANCE DE RÉCEPTION, autour du PRODUIT MÉDIATIQUE, résultat de leur interaction, ainsi que les acteurs de l’univers dont le discours parle, PARTICIPANTS A LA CONFÉRENCE DE PAIX, autour de la signature de l’ACCORD DE PAIX, résultat de leurs négociations. 2.2.3.2. Représentations et structures conceptuelles de l’univers dans lequel le discours s’inscrit

La représentation schématique des informations conceptuelles repose sur l’idée que l’esprit des membres d’une communauté est rempli de toute sorte de

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concepts et que chaque concept est un noyau rattaché - au niveau des représentations - par toute une série de liens possibles à d’autres concepts. Dans la description des représentations conceptuelles de l’univers dans lequel s’inscrit le discours, nous essaierons de poursuivre le parcours mental entre la représentation conceptuelle d’une source d’information et celle d’une instance de réception.

Si nous prenons un concept comme SOURCE D’INFORMATION, dans l’esprit de chacun d’entre nous, ce concept est lié de manière privilégiée à d’autres concepts, comme, par exemple, celui de DEGRÉ DE FIABILITÉ ou d’IDENTITÉ de la source (les différents types de source d’information – l’événement lui-même, un document, une déclaration, une information d’agence de presse, un rapport de journaliste etc.). Les adjectifs qui accompagnent le plus souvent le terme de « source d’information » concernent ces deux concepts. Ainsi, on parle de sources « fiables », ou bien, de sources « anonymes ». L’instance médiatique précisera l’identité de la source (en indiquant le nom de l’agence de presse ou du journaliste) pour insister sur la fiabilité de son information. Finalement, ce qui caractérise toute source d’information, c’est qu’elle a et qu’elle permet l’accès à un certain nombre d’informations.

Le concept d’INSTANCE MÉDIATIQUE occupe la place centrale parmi les représentations conceptuelles des principaux acteurs de l’univers dans lequel s’inscrit le discours d’information médiatique. Il est relié, dans notre esprit, aux concepts de MOYENS (accès à l’information), de BUT (produit médiatique), d’IDENTITÉ, collective (quotidien, chaîne de télévision ou de radio) et individuelle (journaliste, éditorialiste ou expert), de QUALITÉS (stratégies de production appropriées, discursives ou celles liées à l’orientation idéologique, qui détermine un certain nombre de valeurs de la ligne rédactionnelle de l’instance médiatique).

Finalement, le concept d’INSTANCE DE RÉCEPTION est relié à ceux d’IDENTITÉ, collective (le public) et individuelle (lecteur, téléspectateur, auditeur), du destinataire de l’information médiatique, de QUALITÉS (et de MOYENS dont dispose celle-ci pour interpréter de manière appropriée les stratégies mises en œuvre par l’instance médiatique) et de BUT (l’information contenue dans le produit médiatique). Font partie de la représentation conceptuelle de l’instance de réception des exigences des lecteurs quant à la qualité de l’information, leur intérêt personnel et les croyances partagées dans le milieu socioculturel auquel ils appartiennent, que nous regroupons autour du concept d’IDENTITÉ.

Il est évident que de telles descriptions n’ont rien de très élaboré ni de très scientifique car, encore une fois, les linguistes n’ont pas la compétence nécessaire à ce type d’analyse. Le schéma ci-dessous (Figure 7) ne fait ainsi qu’illustrer de manière approximative ce que pourraient être des représentations conceptuelles de l’univers du discours de la presse écrite dans l’esprit des gens appartenant à une certaine communauté.

Le concept de PRODUIT MÉDIATIQUE, qui nous intéresse plus particulièrement, est relié à celui de FORME (article de presse, émission de radio ou de télévision), à ceux de l’identité de son FABRICANT (journaliste) et de son

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DESTINATAIRE (lecteur, auditeur ou téléspectateur), de leurs QUALITÉS respectives (les propriétés de la mise en scène médiatique et la capacité à interpréter les stratégies de production déployées), ainsi que de CONTENU auquel il est consacré (politique, culture, sport).

PRODUITMEDIATIQUE

MISE EN SCENE

ACCES AL’INFORMATION

IDENTITE FORME

CONTENU

CAPACITE

A INTERPRETERIDENTITE

DEGRE DEFIABILITE

SOURCE D’INFORMATION

INSTANCE MEDIATIQUE

INSTANCE DERECEPTION

Figure 7 : Réseau conceptuel de l’univers dans lequel le discours s’inscrit

STRATEGIES DE PRODUCTIONAPPROPRIEES

VISEE

STRATEGIES

D’INTERPRETATIONAPPROPRIEES

IDENTITEDATE DE PARUTION

QUALITE

Tout rudimentaire et arbitraire soit-il, le schéma ci-dessus permet au

moins de mettre en évidence: - la place centrale qu’occupe le concept de PRODUIT MÉDIATIQUE dans ce

véritable « réseau conceptuel » de l’univers dans lequel le discours s’inscrit; - le nombre de concepts qui y sont « connectés », de manière plus ou

moins directe: dans un premier temps, les concepts de FABRICANT/INSTANCE MÉDIATIQUE de DESTINATAIRE/INSTANCE DE RÉCEPTION, de FORME, de CONTENU; puis, dans un deuxième temps, les concepts « dérivés », tels le concept de VISÉE (de crédibilité et de captation) et de STRATÉGIES DE PRODUCTION ET D’INTERPRÉTATION APPROPRIÉES38.

- l’impossibilité de se focaliser sur l’un des concepts sans tenir compte de ses liens complexes et multiples avec d’autres concepts faisant partie du même « réseau conceptuel ». Si l’on se penche sur le concept de STRATÉGIES DE PRODUCTION APPROPRIÉES, on peut constater qu’il est relié, entre autres, aux 38 Comme le précise Charaudeau (2001) à propos de la notion de « produit fini » du média télévisuel, il ne faut pas interpréter cette notion « comme le résultat figé d’une mise en scène. Il s’agit, à l’intérieur d’un processus de fabrication de l’information de désigner le moment où se configure matériellement la mise en nouvelle qui constitue alors l’objet du regard du téléspectateur mais dont le sens est gros de tout ce qui a présidé à sa mise en œuvre (la production) et de tout ce qui préside à son interprétation (la réception) » (2001: 27).

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concepts de CONTENU, de MISE EN SCÈNE MÉDIATIQUE et de CAPACITÉ D’INTERPRÉTATION de l’instance de réception, mais aussi, de manière indirecte, au concept de FORME du produit médiatique.

La description des représentations conceptuelles repose, rappelons-le, sur l’idée que l’esprit des membres d’une communauté est rempli de toute sorte de concepts, dont chacun constitue un noyau rattaché par de multiples liens à d’autres concepts. Chaque situation d’interaction donne lieu à une combinaison spécifique de ces concepts: pour coordonner leurs engagements dans l’action conjointe, les interactants sont conduits à combiner des propriétés interactionnelles et à les articuler dans des structures émergentes39. A ce moment-là, nous quittons le domaine des représentations conceptuelles pour entrer dans celui des structures conceptuelles. Les structures conceptuelles ne mentionnent pas nécessairement l’ensemble des caractéristiques typiques des concepts. Elles permettent de représenter les productions discursives effectives comme « le lieu d’une négociation des représentations conceptuelles » (Filliettaz 2001a: 132).

PRODUIT MEDIATIQUE

INSTANCEMEDIATIQUEJournal de Genève,correspondantsur place

INSTANCEDE RECEPTIONlectorat liéau pôle intellectuelde la vie sociale

CONTENUl ’organisationprotocolaired ’une réunion diplomatique

TITRELa Bosniemeurtrieattend laréconciliation

IMPORTANCERELATIVEpremier article en importance visuelle dans la rubrique International

VISEEdouble visée explicativeet informative

QUALITE qui satisfait aux attentesdes lecteurs

Figure 8 : Structure conceptuelle de l’objet transactionnel

FORMEarticle de presse

BUTdénonciationde la mise enscène politique

BUTinterprétationde l’événementmédiatique

DATE DEPARUTIONle 15 décembre1995

Le schéma ci-dessus, qui représente la structure conceptuelle de l’univers dans lequel s’inscrit le discours à partir de l’exemple analysé (celui de l’article de 39 « A la suite de Bange (1992), il faut considérer que l’étude des interactions en général et de leur dimension référentielle en particulier porte à la fois sur des entités schématiques qui préexistent à l’action et sur des processus émergents qui sont propres à sa réalisation effective » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 102).

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presse intitulé « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation », publié dans le Journal de Genève, § 2.1.4.), fait ressortir la différence entre les faces schématique et émergente de la dimension conceptuelle. A propos de l’entité conceptuelle centrale, celle de PRODUIT MÉDIATIQUE, la structure explicite non seulement des propriétés typiques, comme par exemple celles concernant le FABRICANT, le DESTINATAIRE, la FORME ou le CONTENU, mais également des propriétés qui ne relèvent pas nécessairement de ce sous-ensemble (TITRAILLE ou IMPORTANCE RELATIVE). En outre, les propriétés constitutives de la structure conceptuelle ne se réduisent pas à ces catégories abstraites. A chacune d’entre elles sont assignées des propriétés spécifiques: « article de presse » (FORME), « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation » (TITRE), « premier article en importance visuelle dans la rubrique International » (IMPORTANCE RELATIVE), « le 15 décembre 1995 » (DATE DE PARUTION), « Journal de Genève », « correspondant sur place » (INSTANCE MÉDIATIQUE), « organisation protocolaire d’une réunion diplomatique de haut niveau » (CONTENU), « dénonciation de la mise en scène politique » (BUT), « explication et information » (VISÉE) ou « lectorat lié au pôle intellectuel de la vie sociale » (INSTANCE DE RÉCEPTION). 2.2.3.3. Représentations et structures conceptuelles de l’univers dont le discours parle

Après avoir relevé quelques propriétés des représentations et des structures conceptuelles de l’univers dans lequel le discours s’inscrit qui nous semblent pertinentes pour l’analyse des stratégies discursives du journalisme politique, nous procéderons à la description des représentations et des structures conceptuelles de l’univers dont le discours parle, à partir de l’exemple de notre corpus d’articles de presse relatifs à la signature des accords de Dayton.

Le problème du rapport entre les représentations et les structures conceptuelles de l’univers représenté dans le discours est d’une importance cruciale dans l’analyse des stratégies discursives du journalisme politique. En effet, ces stratégies consistent justement à agir, avec des moyens discursifs, sur les représentations conceptuelles des membres d’une communauté, à modifier celles-ci, à les faire évoluer dans la direction souhaitée.

Alors que les représentations et les structures conceptuelles du monde dans lequel le discours s’inscrit sont relativement stables et complémentaires, les représentations conceptuelles du monde dont le discours parle partagées par les membres d’une communauté et les structures conceptuelles proposées par l’instance médiatique divergent sensiblement et évoluent sans cesse au cours de l’interaction. Si la communication et l’argumentation politiques s’inscrivent dans la « lutte pour la définition de la situation » (Windisch 1999: 9), l’un des buts des stratégies discursives déployées par l’instance médiatique qui impose sa définition de la situation consiste à essayer d’imposer, à travers l’élaboration d’une structure conceptuelle, une modification des représentations conceptuelles communément partagées.

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Comme le montre le schéma ci-dessous (Figure 9), parmi les représentations conceptuelles de l’univers dont le discours parle, le concept d’ACCORD DE PAIX occupe la place centrale. Ce concept est relié, de manière directe, à ceux d’OBJET (la fin des hostilités dans un pays), de DISPOSITIONS (concernant les modalités de son application), de MÉDIATEURS (représentants de la communauté internationale) et de SIGNATAIRES (représentants des ex-belligérants), et de manière indirecte, aux concepts d’APPLICATION, de GARANTIES de mise en œuvre de ce qui a été signé (derrière tout accord de paix, il doit y avoir une instance garantissant que ce qui a été signé sera respecté et appliqué de la manière et dans les délais prévus par l’accord) et de RESPONSABILITÉ des signataires. Ceux-ci doivent exercer des fonctions politiques et militaires qui garantissent leur légitimité et la valeur juridique de l’accord de paix (le concept d’IDENTITÉ). Ils signent l’accord poussés par certains MOTIFS, ont un COMPORTEMENT plus ou moins coopératif etc.

ACCORD DE PAIX

POUVOIRPOLITIQUE

OBJET

DISPOSITIONS

MÉDIATEURSCO-SIGNATAIRES SIGNATAIRES

Figure 9 : Représentations conceptuelles de l’univers dont le discours parle

APPLICATION

IDENTITÉ

MOTIFS

IDENTITÉ

MOTIFS

GARANTIES RESPONSABILITÉ

COMPORTEMENT

Si nous nous intéressons à la manière dont ces représentations abstraites sont exploitées dans des interactions situées, nous pouvons constater une tendance vers la diversification des entités conceptuelles et leur élargissement en dehors du champ conceptuel décrit ci-dessus. Ainsi, l’établissement de la macro-structure conceptuelle40 des textes consacrés à la signature de l’accord de paix

40 Dans l’établissement de la macro-structure conceptuelle et des principales catégories thématiques développées par chaque quotidien, nous avons tenu compte de la manière dont il a hiérarchisé ses informations, en évaluant l’importance visuelle des articles étudiés (qui, dans la plupart des cas, ont été regroupés sur la même page). « L’importance d’un article n’existe pas en soi, son environnement participe à son existence, c’est-à-dire quels articles entourent celui que l’on veut analyser et quels effets produisent-ils sur notre fragment du point de vue de sa mise en scène. Pour pouvoir tenir compte de cette dimension, il est très important, lors d’une analyse de presse, d’observer la page entière dans laquelle est inséré l’article ou même le numéro complet

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publiés le 15 décembre 1995 dans le Journal de Genève nous a permis de déterminer les catégories thématiques suivantes développées par ce quotidien : - le déroulement de la cérémonie solennelle de signature de l’accord de paix, - l’application du document signé sur le terrain, - la réception de l’information par l’opinion publique.

Le déroulement de la cérémonie de signature fait l’objet de l’article « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation », qui occupe la première place en importance visuelle dans la rubrique International (Annexe 10). La structure conceptuelle de cet article est caractérisée par l’introduction, dans l’univers représenté dans le discours, d’entités conceptuelles appartenant à l’univers dans lequel le discours s’inscrit. En effet, le journaliste élargit la structure conceptuelle de la signature de l’accord de paix, en analysant non seulement son déroulement, mais également le regard critique porté sur la cérémonie et sur ses protagonistes par les acteurs de l’interaction médiatique: les instances politique, médiatique et citoyenne.

Nous proposons la représentation schématique suivante de la structure conceptuelle de l’article étudié:

pour détecter si l’événement a été repris ou non ailleurs, ce qui peut influencer la forme et le contenu de l’article observé ». (Favez, Richard & Windisch 1987: 95)

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LA MISE EN SCENE DELA CEREMONIE DE SIGNATURE

DE L’ACCORD DE PAIX

LE ROLE HISTORIQUEJOUE PAR LA FRANCEEN GENERAL ET PARSON PRESIDENT EN

PARTICULIER

UNE ACCESSOIRE SÉANCE DE SIGNATURE

LE PRESIDENT FRANCAIS LA TELEVISION PUBLIQUE

FRANCAISELES TELESPECTATEURS

LE JOURNALISTE LE SIMPLE CITOYEN

D’AUTRESEVENEMENTS

PLUS MARQUANTS

L’ORGANISATION TECHNIQUE ET PROTOCOLAIRED’UNE REUNIONDIPLOMATIQUE

DE HAUT NIVEAU

GREVE, EMBOUTEILLAGETIRS D’OBUS

PROTAGONISTES

Figure 10 : Structure conceptuelle de l’univers dont le discours parle

La structure conceptuelle de cet article repose sur le concept d’ACCORD DE PAIX, vu par les PROTAGONISTES de la MISE EN SCÈNE de cérémonie de signature. Cependant, ce concept n’est relié ni à celui de SIGNATAIRES de l’accord de paix ni à celui de PARTICIPANTS au processus de négociation. En effet, pour l’auteur de ce texte, l’organisateur de la réunion (LE PRÉSIDENT FRANÇAIS) et la TÉLÉVISION PUBLIQUE sont les principaux protagonistes de la cérémonie solennelle - avec l’opinion publique française (LES TÉLÉSPECTATEURS, LE SIMPLE CITOYEN) qui « n’en gardera probablement pas un grand souvenir ». Il nous semble que cet événement diplomatique a été pour le correspondant à Paris l’occasion de s’interroger sur le rôle des médias audiovisuels, sur l’influence qu’ils exercent sur l’opinion publique et sur la possibilité de leur utilisation à des fins politiques.

Les principaux protagonistes de la cérémonie solennelle ne sont donc pas les signataires et co-signataires du traité de paix, mais ceux qui observent son déroulement - l’organisateur de la réunion, les médias, l’opinion publique - et qui le commentent et l’interprètent en fonction de leurs objectifs propres. Les interprétations de la signature de l’accord de paix évoquées dans cet article sont

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au nombre de trois. Celle du président français et de la télévision publique française, destinée aux participants de la cérémonie et aux téléspectateurs, insiste sur le rôle historique de la France dans le succès du processus de paix. A l’opposé de cette interprétation « officielle » se trouve celle de l’opinion publique française, préoccupée par d’autres événements qui se sont produits le même jour, tels la grève ou les embouteillages. Le contraste entre ces deux interprétations a permis au correspondant du Journal de Genève de dénoncer la mise en scène politique et médiatique de l’événement. Son interprétation, qui se veut neutre et objective, minimise l’importance de la cérémonie solennelle, qui ne constituerait qu’un épisode dans l’organisation technique et protocolaire d’une réunion diplomatique de haut niveau (voir plus loin l’analyse de la structure praxéologique du même texte, 2.2.4.3.). 2.2.4. Représentations et structures praxéologiques Quand on travaille sur le module référentiel, on s’intéresse également aux informations praxéologiques, relatives aux actions et aux événements. Les instruments d’analyse de la composante praxéologique de la dimension référentielle, élaborés dans le cadre du modèle genevois, visent à « expliciter quelques-unes des ressources typifiantes liées à l’accomplissement et à l’identification des actions dans le monde » et à « représenter, dans leurs dimensions séquentielle et hiérarchique, les processus actionnels effectivement négociés » (Filliettaz 2001a: 104). La description des représentations praxéologiques ne porte pas sur l’ensemble des actions qui peuvent effectivement prendre place dans un contexte, mais cherche à saisir quelques-uns des parcours actionnels typiques liés à une situation d’interaction déterminée. Les représentations praxéologiques renvoient à la dimension schématique de l’agir humain et se distinguent des structures émergentes que négocient les interactants dans des incursions situées. Les structures praxéologiques constituent des processus complexes, séquentiellement et hiérarchiquement organisés, que les interactants négocient progressivement, dans le but de réaliser avec succès des parcours transactionnels effectifs. Nous pouvons distinguer deux types de représentations et de structures praxéologiques, qui relèvent respectivement de l’univers dans lequel le discours s’inscrit et de l’univers dont le discours parle. 2.2.4.1. Représentations praxéologiques décontextualisées

Ces deux aspects complémentaires de la dimension praxéologique peuvent être analysés, dans un premier temps, indépendamment des contextes socio-politique et socio-historique plus larges. Une telle analyse donne lieu à un premier classement des activités discursives décontextualisées, « prototypes

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séquentiels » (Adam 1992)41 ou « modes d’organisation du discours » (Charaudeau 1997)42. Nous nous appuierons sur le classement élaboré dans le cadre de l’approche modulaire, qui distingue trois « types de discours sous-jacents aux productions langagières » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 310): narration, description et délibération.

Les représentations praxéologiques décontextualisées jouent incontestablement un rôle important dans la régulation des productions discursives. « Outre le fait qu’elles médiatisent les rapports des agents aux activités qu’ils accomplissent « par » leur discours », elles interviennent également « au niveau de l’organisation typifiante des actions désignées dans le discours » (Filliettaz 2001a: 110). A ces activités qui n’ont pas de finalité « extra-verbale », correspondent des séquences discursives typiques : narrative, descriptive et délibérative.

Si l’on met ces activités discursives en relation avec les contextes socio-politique et socio-historique, en s’intéressant au journalisme politique en tant qu’activité sociale dans l’espace public, les processus praxéologiques typiques s’inscriront dans des finalités extérieures à l’activité verbale elle-même (dénoncer la mise en scène politique, agir sur le lecteur, le convaincre, vendre le journal, etc.) et se présenteront sous forme d’activités (rapporter, commenter, etc.) et de genres discursifs (brève, éditorial, etc.) spécifiques à un domaine ou à un macro-genre de discours (en l’occurrence, celui de la presse écrite)43. Le même type de distinction peut être postulé au niveau des représentations praxéologiques de l’univers dont le discours parle, entre les représentations praxéologiques décontextualisées, telles « la lutte pour la définition de la situation » (Windisch 1999) et les catégories particulières, telles l’atteinte des objectifs politiques spécifiques (la signature de l’accord de paix).

41 Partant de l’hypothèse séquentielle, selon laquelle « les « types relativement stables d’énoncés » et les régularités compositionnelles dont parle Bakhtine sont à la base des régularités séquentielles », Jean-Michel Adam (1992) distingue les séquences prototypiques suivantes: narrative, descriptive, argumentative, explicative et dialogale (1992: 30). 42 Charaudeau (1997) fait l’hypothèse qu’« il existe, sous forme de schématisations cognitives, dans la tête de tout sujet se trouvant dans un processus de production ou d’interprétation à l’intérieur d’une situation d’échange contractualisée, deux types de catégories : d’une part des catégories générales de mise en discours, indépendantes de la situation d’échange, d’autre part, des catégories particulières, intrinsèquement liées aux instructions des contraintes situationnelles de chaque contrat de communication » (1997: 166). Les catégories générales correspondent à ce qu’il appelle « des modes d’organisation du discours », au nombre de quatre (le descriptif, le narratif, l’argumentatif et l’énonciatif), « dont chacun sert à organiser discursivement une manière particulière de rendre compte du monde » (ibid.). 43 Charaudeau (1997) distingue trois catégories particulières, qu’il appelle « des modes discursifs », issues des catégories générales, mais propres à une situation d’échange particulière. Les modes discursifs du traitement de l’information médiatique s’organisent, selon lui, autour de trois finalités de base : rapporter ce qui se passe ou s’est passé dans l’espace public, commenter le pourquoi et le comment de l’événement rapporté, provoquer la confrontation d’idées (1997: 166-167).

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2.2.4.2. Représentations et structures praxéologiques de l’univers dans lequel le discours s’inscrit Nous faisons l’hypothèse que, dans l’exemple du discours médiatique, les « attentes typifiantes des instances agentives » (Filliettaz 2001a: 106) s’expriment minimalement à travers la récurrence des éléments suivants: - une mise en scène de la part de l’instance médiatique comportant préférentiellement des activités comme sélectionner les informations, les hiérarchiser, les rapporter, les commenter en vue de capter le lecteur et de le convaincre de sa crédibilité; - l’interprétation par l’instance de réception de cette mise en scène médiatique, à l’issue des processus de sélection d’informations et de lecture (verticale et/ou horizontale); - une organisation chronologique minimale des principales activités de production et d’interprétation (rapporter, commenter, interpréter les informations et les commentaires lus).

Dans l’exemple de la presse écrite, la représentation praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit comporte, donc, deux grands types d’activités, qui caractérisent respectivement l’instance de production et l’instance de réception. On peut considérer que les informations concernant ces deux types d’activités constituent le produit d’un « construit collectif », intériorisé par les agents sous la forme d’une représentation praxéologique, dont on peut proposer la schématisation suivante:

SELECTIONNERLES INFORMATIONS

LES RAPPORTER

LES COMMENTER

LES HIERARCHISER

Figure 11 : Représentation praxéologique des activités de production

CONVAINCRELE LECTEUR

DE SA CREDIBILITE

L’instance de production doit sélectionner un certain nombre d’informations susceptibles d’intéresser l’instance de réception, avant de les hiérarchiser, en accordant à chacune d’entre elles une plus ou moins grande importance relative44. Elle peut se contenter de rapporter les informations sélectionnées à ses lecteurs, en leur imposant un certain découpage du monde 44 « La politique éditoriale, en classant des nouvelles en différentes rubriques – nouvelles internationales, sport, culture, etc. – et en en attribuant la place – à la une – et en accordant un certain nombre de lignes aux informations, essaie de guider le lecteur » (Lazar 1991: 36).

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réel. Mais elle peut également commenter ces informations, c’est-à-dire exprimer son opinion et essayer de convaincre le lecteur de son fondement. Ces deux activités langagières sont intrinsèquement liées, dans la mesure où elles poursuivent « une même quête: connaître le pourquoi des faits, des êtres et des choses, pour laquelle on raconte en commentant et on commente en racontant » (Charaudeau 1997: 189)45. Opposées dans leur finalité, dans leur visée – informative pour l’une et explicative pour l’autre, elles font cependant appel à « des facultés d’esprit et à des mises en œuvre du discours différentes. Le récit propose du monde une vision d’ordre « constatif ». Le commentaire argumenté impose du monde une vision d’ordre « explicatif ». Ici, on n’est plus appelé à se projeter dans un monde raconté mais à évaluer, mesurer, jauger le commentaire pour décider, en raison, si l’on y adhère ou si on le rejette » (id. 189-190). Il est à noter également que ces deux activités peuvent avoir pour l’objet les faits et(ou) les dits. Les faits et les dits rapportés et commentés sont, donc, des éléments constitutifs d’événements qui relèvent de la représentation praxéologique de l’univers dont le discours parle. Dans les articles de presse à visée informative, ces deux types d’éléments font l’objet de l’activité de rapporter, qui, quant à elle, fait partie de la représentation praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit. En revanche, dans les articles à visée explicative, les faits et les dits sont enchâssés dans le commentaire du journaliste, qui en crée un événement commenté. Quelle que soit la visée globale d’un épisode praxéologique – informative ou explicative – l’instance médiatique doit capter le lecteur et le convaincre de la fiabilité des informations fournies et de la validité de son argumentation. Dans la communication médiatique, le langage acquiert ainsi une importance sociale et politique, et non seulement expressive et cognitive. Le langage n’est pas une traduction de la réalité, le langage est l’action. L’instance médiatique cherche à transmettre une information, mais aussi à établir un certain type de relations avec le destinataire de cette information – à agir sur lui et à l’influencer.

Quant aux activités constitutives du processus de communication et d’argumentation, elles peuvent être langagières et non-langagières. Tout d’abord, pour équilibrer d’une certaine manière les deux visées communicationnelles opposées, visées de « captation » et de « crédibilité » (Charaudeau 1997), les médias combinent les principales activités langagières, rapporter et commenter46,

45 Les deux activités constitutives du discours d’information médiatique – rapporter et commenter les faits et les dits - se combinent de différentes manières, si bien qu’il est difficile de les délimiter. « La visée informative de faire savoir a besoin de « crédibilité » pour sa réalisation. On ne peut informer si l’on n’est pas en mesure de donner simultanément des garanties sur la véracité des informations que l’on transmet, et donc faire savoir s’accompagne nécessairement d’un faire croire : le commentaire est une activité étroitement liée à la description de l’événement » (Charaudeau 1997: 190-191). 46 Il faut préciser que ces deux activités relèvent d’un univers plus englobant, qui est celui de la communication verbale. En effet, le fonctionnement de la langue est adapté aux différentes « situations de communication », grâce aux mécanismes syntaxiques qui « signalent commentaire et récit », « permettant au locuteur d’influencer le récepteur, de modeler l’accueil qu’il souhaite voir réserver à son texte ». Ces deux activités langagières expriment, en fait, deux « attitudes de locution » (Weinrich 1964: 30), deux « plans d’énonciation » (Benveniste 1966b:

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de manière à créer une tension. Car, la tension « est exigée justement dans un genre qui, par sa structuration linguistique, prédispose le lecteur ou l’auditeur à un mode de réception détendu. Si le narrateur confère de la tension à son récit, c’est par compensation. Grâce à un sujet propre à impressionner, mais aussi en disposant des signaux stylistiques de manière à provoquer la tension, il « captive » son lecteur, il l’oblige à une attitude réceptive qui contrebalance en partie la détente de l’attitude initiale. Il raconte comme s’il commentait » (Weinrich 1964: 43).

D’autre part, les médias exploitent des moyens non-langagiers (la mise en page, les illustrations, la mise en exergue visuelle de la titraille etc.) pour hiérarchiser les informations sélectionnées, attirer l’attention du lecteur sur certaines d’entre elles et lui faciliter la lecture du texte, que le découpage en plusieurs segments discursifs, à l’aide des intertitres ou des illustrations, rendra mieux structuré. En effet, le discours d’information médiatique s’organise autour de deux axes: celui du temps et celui de l’espace. Dans cette « mise en forme de l’espace et du temps », les unités péritextuelles jouent un rôle important. « Dans ces deux espaces/temps, ce sont les flashes, les manchettes, les gros titres, les intertitres, les exergues, les clips, etc., qui servent d’unités de base de la mosaïque » (Demers 1995: 218). Le rôle des médias ne consiste donc pas à transmettre simplement les informations disponibles, mais à les sélectionner, à les hiérarchiser, à les interpréter, en créant une mise en scène et une mise en discours particulières. Cette mise en scène et cette mise en discours propres à chaque journal et à chaque événement médiatique particulier constituent un univers à part, différent du monde réel, dont le média concerné ne peut donner qu’une image simplifiée et partielle, ainsi que du monde de l’instance de réception, qui modifie l’image médiatique à travers son interprétation subjective.

Le produit médiatique représentant le lieu de rencontre des intentions de l’instance de production et des besoins de l’instance de réception, le schéma ci-dessus (Figure 11) ne représente qu’une des deux facettes du processus de production/interprétation du discours d’information médiatique. Les deux activités principales de la représentation praxéologique du processus de production du discours d’information médiatique – rapporter et commenter – font l’objet de l’appréciation de la deuxième instance agentive, qui déploie des activités complémentaires, pour s’informer d’un certain nombre de sujets de la vie sociale. Cependant elle n’a pas un rôle passif, car elle peut approuver ou désapprouver le type d’informations et de commentaires fournis par l’instance de production. Le processus de réception comporte différentes activités qui peuvent être représentées à l’aide du schéma suivant:

238), deux « positions énonciatives relatives à un contenu informationnel » (Adam 1997a: 9). Ces distinctions nous permettent d’observer un parallélisme entre les structures praxéologique et syntaxique, ainsi qu’une certaine continuité dans leurs interrelations.

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EFFECTUERDES CHOIX

INTERPRETERLES INFORMATIONS

ET LES COMMENTAIRESLECTURE

HORIZONTALE DESAPPROUVER

LECTUREVERTICALE APPROUVER

Figure 12 : Représentation praxéologique du processus d’interprétation

En ouvrant le journal, le lecteur peut remarquer que toutes les

informations réunies sous la même rubrique, ou dans le même article de presse, n’ont pas le même traitement. Certaines d’entre elles occupent, grâce à leur saillance visuelle, une place privilégiée dans l’organisation du discours par rapport à d’autres. C’est notamment le cas des informations introduites dans le titre, le sous-titre et les intertitres, unités discursives dites « péritextuelles ». Grâce à leur mise en exergue, ces unités deviennent des pivots de la lecture verticale (partielle) du journal ainsi que du choix des textes qui feront l’objet de la lecture horizontale (intégrale). L’interprétation des informations et des commentaires par l’instance de réception sera ainsi le résultat des deux types de lectures, précédés du processus de sélection d’informations.

Les représentations praxéologiques de l’univers dans lequel s’inscrit le discours médiatique, qui sont tout à fait générales et abstraites, seront exploitées de manière spécifique dans chaque interaction particulière entre une instance médiatique et une instance de réception, à travers des structures praxéologiques spécifiques. En effet, la structure praxéologique constitue l’exploitation spécifique, dans une interaction particulière, de la représentation praxéologique abstraite. Un modèle d’analyse du discours doit donc se donner les moyens de décrire non seulement les activités typifiées dont on peut chercher à capter quelques propriétés à l’aide des représentations schématiques, mais également tenter de rendre compte des actions effectives qui émergent dans des situations d’interaction spécifiques. Selon Filliettaz (2001a) « un des problèmes majeurs auquel on se trouve confronté dans une telle tentative réside dans le caractère nécessairement unique et partiellement insaisissable des conduites humaines effectives » qui « renvoient à des réalités empiriques qui varient selon une infinité de points de vue et qui, par conséquent, échappent dans une certaine mesure à toute entreprise de description systématique » (2001a: 111)47. Pour 47 Se situant dans la continuité des auteurs qui ont étudié la construction hiérarchique et séquentielle des processus actionnels, des psychologues de l’action (Miller, Galanter & Pribram 1960, Hacker 1973, von Cranach et al. 1982) aux linguistes (Pike, Roulet 1974, 1995, Roulet et al. 1985, Bange 1992), Filliettaz (2001a) esquisse un modèle spécifique à une analyse référentielle du discours, en définissant les principes sous-jacents aux structures praxéologiques ainsi que les unités et les relations qui entrent dans leur composition (2001a: 119).

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rendre compte du caractère à la fois séquentiel et hiérarchique des actions négociées, Filliettaz propose l’ordre décroissant des unités référentielles qui entrent dans la construction des structures praxéologiques (incursion, transactions, épisodes, phases, actions minimales) (id. 119-121).

Si nous essayons de l’appliquer au discours de la presse écrite, nous pouvons faire l’hypothèse que le produit médiatique (dans notre exemple, le numéro du Journal de Genève du 15 décembre 1995), lieu de production et d’interprétation du discours d’information médiatique, correspond à l’incursion ou l’unité praxéologique maximale, qui renvoie à la « rencontre » dans son ensemble. Elle est composée de séquences rituelles d’ouverture (la Une) et de clôture (la dernière page) et de plusieurs transactions successives, correspondant aux différentes rubriques. Une première hiérarchisation des informations sélectionnées – la plus importante – s'opère au niveau de l'incursion, dès la séquence d'ouverture: « Parce que nous ne pouvons recevoir toutes les informations, celles qui viennent en tête sont nécessairement ressenties comme les plus importantes. Et taire inversement, ou publier telle information en queue de journal ou en petits caractères, c’est l’enterrer » (Bougnoux 1995: 24).

Une page de journal correspond à une transaction. La transaction, qui regroupe l’ensemble des conduites finalisées qui portent sur le même « objet transactionnel » (Auchlin & Zenone 1980), constitue l’unité centrale du modèle hiérarchique de l’action. Dans notre exemple (Figure 13), l’objet transactionnel est constitué par des catégories thématiques (le déroulement de la cérémonie solennelle, l’application du document signé sur le terrain, la réception de l’information par l’opinion publique) réunies sous la rubrique International autour du même événement médiatique (la signature des accords de Dayton).

Une transaction peut être décomposée en plusieurs épisodes, correspondant aux différents articles de presse. La transaction que nous analysons comporte trois épisodes hiérarchiquement et séquentiellement organisés. Nous pouvons faire l’hypothèse que l’article intitulé « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation », qui occupe la première place en importance visuelle sur la page, représente l’épisode principal de la transaction. Chaque épisode comporte minimalement deux phases, une phase de préparation, constituée des unités péritextuelles, et une phase d’élaboration, regroupant l’ensemble des unités textuelles d’un article de presse. Les phases praxéologiques assurent la récursivité des structures praxéologiques : elles sont analysables en unités praxéologiques minimales (actions minimales), mais peuvent également être constituées d’unités de même rang et de rang supérieur.

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EPISODEL’ARTICLE :« La Bosnie

meurtrie attendla réconciliation »

EPISODEL’ARTICLE

« Le commentaire :Jeu de rôles

à l’Elysée »

TRANSACTIONRUBRIQUE

INTERNATIONALL’INFORMATIONPORTANT SUR LA SIGNATUREDE L’ACCORD

DE PAIX

TRANSACTIONSDIVERSES RUBRIQUES

INCURSIONPHASERAPPORTER

ETCOMMENTER

LES FAITSET LES DITS

OUVERTURELA UNE

CLOTURELA DERNIERE PAGE

TRANSACTIONSDIVERSES RUBRIQUES

PRODUCTION ET INTERPRETATION

DU PRODUITMEDIATIQUE

(JOURNALDE GENEVE

DU 15 DECEMBRE 1995)

PHASERAPPORTER

LES FAITSET LES DITS

PHASECOMMENTER

LES FAITSET LES DITS

Figure 13 : Structure praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit

PHASEATTIRER

L’ATTENTIONDU LECTEURCOMPLETER

LE TEXTE

PHASEAUTHENITIFIER

LES FAITS(PHOTOGRAPHIE)

EPISODEL’ARTICLE

« Double messagedu Congrès américain »

PHASEPROBLEMATISER

PHASEELUCIDER

PHASEEVALUER

PHASEPROBLEMATISER

PHASEELUCIDER

PHASEEVALUER

Comme on peut l’observer à partir du schéma ci-dessus, qui représente la structure praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit, l’épisode correspondant au premier article en importance visuelle dans la rubrique International comporte trois phases. La première (constituée par la titraille) vise à attirer l’attention du lecteur sur le texte. Le but communicationnel de la deuxième consiste à rapporter et à commenter un certain nombre de faits et de dits relatifs à l’événement sélectionné, et celui de la troisième à authentifier les faits et les dits rapportés et commentés. La deuxième phase est analysable en deux phases de rang inférieur, dont chacune peut être décomposée en unités plus petites, en l’occurrence en phases de problématisation, d’élucidation et d’évaluation (Charaudeau 1997). Le processus d’interprétation de ces activités discursives permet de déterminer les buts communicationnels complémentaires de la titraille et du texte de l’article: évoquer dans le titre d’autres événements plus marquants, c’est minimiser l’importance de la cérémonie de signature, tandis que réduire

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celle-ci dans le texte à l’organisation protocolaire d’une réunion diplomatique, c’est dénoncer la mise en scène politique de cet événement jugé « accessoire » et secondaire. L’interprétation des activités discursives appartenant à l’univers dans lequel s’inscrit le discours nécessite la prise en considération de la dimension praxéologique de l’univers représenté dans le discours. 2.2.4.3. Représentations et structures praxéologiques de l’univers dont le discours parle

Les dimensions praxéologiques des deux univers du discours sont étroitement liées: les unités praxéologiques de l’univers dans lequel s’inscrit le discours médiatique portent sur des unités praxéologiques de l’univers représenté dans le discours. Une analyse systématique de celles-ci devrait, par conséquent, contribuer à une meilleure compréhension des stratégies de production et d’interprétation mises en œuvre par les deux instances agentives.

Dans l’exemple de notre corpus, l’analyse des représentations praxéologiques de l’univers dont le discours parle consiste à décrire le scénario typique de la signature de l’accord de paix. Nous faisons l’hypothèse que ce scénario comporte:

- les activités comme ouvrir la négociation, se mettre d’accord (ou ne pas se mettre d’accord), conclure la paix (poursuivre la guerre), signer l’accord et l’appliquer. Ces activités peuvent elles-mêmes faire l’objet d’un découpage plus fin. Ainsi, nous pouvons décomposer l’activité sur laquelle sont centrés les textes choisis, à savoir « signer l’accord » de la manière suivante: entrer, s’installer, apposer sa signature, serrer la main aux autres, prononcer son discours et applaudir ceux des autres.

- une organisation chronologique minimale de ces activités. Nous proposons le schéma suivant des représentations praxéologiques de

l’univers dont le discours parle:

OUVRIR LA NEGOCIATION

SE METTRE D’ACCORD

CONCLURE LA PAIX

SIGNER L’ACCORD

APPLIQUER L’ACCORD

1 2 3 4 5 6

1. ENTRER2. S’INSTALLER3. APPOSER SA SIGNATURE4. SERRER LA MAIN AUX AUTRES5. PRONONCER SON DISCOURS6. APPLAUDIR CEUX DES AUTRES

NE PAS SE METTRE

D’ACCORDPOURSUIVRELA GUERRE

Figure 14 : Représentation praxéologique de l’univers dont le discours parle

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Ce scénario se réalise de manière différente dans chaque événement particulier de signature de l’accord de paix. La structure praxéologique est la réalisation particulière, émergente, du schéma sous-jacent. Ainsi, le correspondant du Journal de Genève a entièrement repris, dans son article, ce schéma d’action, tout en insistant sur un détail qui différencie l’événement particulier auquel il a assisté du scénario typique, à savoir le fait que la cérémonie de clôture des négociations de paix menées et conclues à Dayton se soit déroulée à Paris.

L’unité maximale de la structure praxéologique de cet événement médiatique, tel qu’il a été construit dans l’article « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation », est constituée par le processus de négociations. Elle se compose, en tant qu’incursion qui « renvoie à la « rencontre » dans son ensemble » (Filliettaz 2001a: 119), de séquences rituelles et de transactions. Pour le journaliste, la cérémonie solennelle qui fait l’objet de l’article ne constitue pas une transaction, mais correspond à la séquence rituelle de clôture de négociations. Pour insister sur le caractère « accessoire » de la conférence de paix à Paris, l’auteur du texte met en avant le côté mise en scène de cette réunion diplomatique.

EPISODESIGNATURE

DE L’ACCORDDE PAIX

EPISODEPREVOIR LE NOMBRE

D’INVITES

EPISODEPREVOIR LE MENU

ACTIONENTRER

ACTIONAPPOSER

SA SIGNATURE

ACTIONPRONONCER

SON DISCOURS

ACTIONS’INSTALLER

ACTIONSERRER LA MAIN

AUX AUTRES

ACTIONAPPLAUDIR

CEUX DES AUTRES

EPISODEPREVOIR LA DISPOSITIONDES INVITES

EPISODEPREVOIR

LA COUVERTUREMEDIATIQUE

EPISODEPREVOIR

L’APERITIF

INCURSIONNEGOCIATIONS

DE PAIX

OUVERTURE

CLOTUREORGANISATIONTECHNIQUE ETPROTOCOLAIRED’UNE REUNIONDIPLOMATIQUE

TRANSACTIONSE METTRE D’ACCORD

TRANSACTIONCONCLURE

LA PAIX

TRANSACTIONPARAPHERL’ACCORD(DAYTON)

EPISODEPREVOIR

LE TRANSPORT

Figure 15 : Structure praxéologique de l’univers dont le discours parle

PHASEDE PREPARATION

PREPARER LAMISE EN SCENE

POLITIQUE

PHASE D’EXECUTIONORGANISER LEDEROULEMENT

DE LA CEREMONIE

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La séquence rituelle de clôture se décompose en plusieurs épisodes, dont certains ne font pas partie de la signature de l’accord de paix, tels offrir l’apéritif, organiser le transport, préparer le menu ou partager un repas. Ces épisodes sont pourtant réunis autour du même objet transactionnel que l’épisode de signature, à savoir l’organisation technique et protocolaire d’une réunion diplomatique.

Quant au déroulement de la cérémonie solennelle, il ne représente qu’une phase de l’épisode de signature de l’accord de paix, l’autre phase étant constituée par sa mise en scène politique. Le déroulement de la cérémonie de signature peut être analysé en actions minimales, identiques aux activités typifiantes qui figurent dans le scénario décrit plus haut, à savoir entrer, s’installer, apposer sa signature, serrer la main aux autres, prononcer son discours et applaudir ceux des autres.

Une structure praxéologique aussi complexe, surtout par rapport aux attentes typifiantes liées à ce genre d’événement, s’explique par l’intention du journaliste de reconstruire non seulement les différentes étapes de son déroulement, mais également sa mise en scène politique et médiatique48. La multiplication du nombre d’épisodes constitutifs de la cérémonie de clôture des négociations de paix finit par transformer la signature de l’accord en un simple épisode dans l’organisation technique et protocolaire d’une réunion diplomatique. En outre, insister sur le caractère « accessoire » de la cérémonie de clôture revient à mettre en valeur, de manière indirecte, les transactions qui l’ont précédée et la contribution de leurs protagonistes au succès du processus de négociations de paix.

Les actions et les concepts constitutifs des structures praxéologiques et conceptuelles des deux univers du discours s’articulent, au niveau de la dimension textuelle (2.3.), autour des structures hiérarchiques plus ou moins élaborées, présentant des degrés de complexité différents et correspondant à des stratégies de production ou d’interprétation spécifiques49. L’analyse des structures textuelles permettra de rendre compte de l’aspect dynamique des processus discursifs, résultant d’une mise en relation de l’infinie variété des actions et des concepts avec un nombre restreint de combinaisons d’unités textuelles.

48 Rappelons à ce propos que le cadre interactionnel de cet article présente le même degré de complexité au niveau de l’interaction représentée, constituée de trois cadres interactionnels emboîtés l’un dans l’autre et susceptibles de faire l’objet de deux types d’interprétations (§ 2.1.4.). 49 Selon Habermas (1987), à ces « procès d’intercompréhension par lesquels les participants entrent en accord ou en opposition au sujet de quelque chose qui appartient à l’unicité du monde objectif, à la particularité du monde subjectif, ou à la communauté du monde social » s’ajoutent les stratégies auxquelles recourt l’analyste, « l’interprète », afin de saisir la signification d’un texte et de « comprendre les raisons pour lesquelles l’auteur se sent justifié de poser (comme vraies) certaines affirmations déterminées, de reconnaître (comme justes) certaines valeurs et normes déterminées, d’exprimer (comme véridiques) certaines expériences vécues déterminées » (Habermas 1987: 148).

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2.3. Les informations relevant de la dimension hiérarchique textuelle

A la différence de la dimension référentielle, qui concerne les concepts et les activités dans le monde, la dimension hiérarchique relève de l’ordre du texte et des activités verbales. Dans la mesure où les activités verbales font partie intégrante des activités dans le monde, les deux dimensions risquent d’être confondues. L’avantage de l’approche modulaire consiste justement à pallier ce danger. En effet, en distinguant le module référentiel du module hiérarchique, l’approche modulaire permet d’aborder la problématique des activités verbales sous deux angles différents: la dimension référentielle mettant en évidence leur aspect « téléologique » et la dimension hiérarchique leur aspect « communicationnel » (Habermas 1987).

La dimension hiérarchique doit également être distinguée de la dimension syntaxique, la première relevant de l’ « ordre du discours » et la seconde de l’ « ordre de la langue » (Benveniste 1966a). Certes, la frontière entre les deux est difficile à saisir dans la mesure où certains cas d’isomorphisme peuvent être observés entre structures hiérarchiques textuelle et syntaxique au niveau des unités textuelles minimales et des unités syntaxiques maximales50. Mais, les deux types de constituants reposent sur des principes distincts: le principe de passage en mémoire discursive (Berrendonner 1983) pour les uns, le principe de rection pour les autres.

En dépit de leurs propriétés spécifiques, que l’approche modulaire met en valeur, les trois structures portantes de l’organisation du discours qui relèvent respectivement des ordres de l’action, du texte et de la langue, ne forment pas des niveaux d’analyse séparés par des frontières étanches, car elles reposent sur le principe hiérarchique récursif, qui semble être une propriété de tous les systèmes complexes (Simon 1962). Il ne s’agit donc ni d’une superposition nette de niveaux d’analyse distincts (Benveniste 1966a), ni de la présence d’un continuum entre des structures de même nature (Pike 1967), mais d’une combinaison de dimensions complémentaires, qui interagissent sans cesse les unes avec les autres51. 2.3.1. Les interrelations entre les structures hiérarchique, référentielle et syntaxique

L’établissement de la structure hiérarchique s’opère dans le cadre du module textuel, qui définit les constituants du discours à différents niveaux. Le module textuel « distingue trois catégories de constituants: l’échange, 50 « Quelle que soit la difficulté de ces deux questions: la définition de l’unité textuelle minimale et la description de la relation entre celle-ci et l’unité syntaxique maximale, il nous paraît difficile d’en repousser plus longuement l’examen si l’on veut progresser dans l’élaboration d’un modèle de l’organisation du discours » (Roulet 2001c: 60). 51 « Je fais donc l’hypothèse qu’une interaction verbale ne se laisse ramener ni à une structure hiérarchique et relationnelle discursive, comme dans les travaux genevois antérieurs, ni à une structure praxéologique générale, comme le laisse entendre Bange (1992), mais qu’elle est constituée par la combinaison des deux modes de structuration » (Roulet 1995: 135).

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l’intervention et l’acte, et trois types de rapports entre ceux-ci: la dépendance, l’interdépendance et l’indépendance » (Roulet 2001b: 45).

L’échange constitue l’unité textuelle maximale. La définition de la structure hiérarchique de l’échange comme « résultat d’un processus de négociation, sous-jacent à toute interaction » (Roulet 2001c: 56) met en évidence les interrelations entre les structures praxéologique et textuelle. Les intentions et les objectifs individuels envisagés par chacun des acteurs, au niveau de la structure praxéologique, seront négociés au cours d’échanges verbaux, sous forme de propositions, d’approbations ou de rejets, avant de faire l’objet d’une ratification. « L’établissement d’un parallèle entre le déroulement d’une négociation et la construction d’un échange permet de mieux saisir les contraintes qui commandent tant la structure hiérarchique récursive que la clôture des constituants du discours » (Roulet 1988: 28). Le déroulement du processus de négociation n’étant pas fixé d’avance, les interventions constitutives des échanges entretiennent des rapports d’interdépendance, fondés sur le « mécanisme d’intercompréhension » (Habermas 1987)52.

Si la définition de l’unité textuelle maximale est liée à la contrainte de « complétude dialogique », la définition de l’intervention textuelle est liée à la contrainte de « complétude monologique » (Roulet 2001c: 57). Partant de la notion d’intervention (move), introduite par Sinclair & Coulthard (1975), le modèle genevois présente une conception plus élaborée de l’unité textuelle de rang intermédiaire, qui permet de rendre compte de la récursivité des structures textuelles53. Dans cette conception, l’intervention peut être constituée des unités du même rang, des unités de rang inférieur et des unités de rang supérieur. L’intervention textuelle entretient d’étroites interrelations avec les structures praxéologique et conceptuelle: à la structure hiérarchique de chaque intervention correspond une stratégie conceptuelle particulière visant la réalisation d’un projet spécifique.

L’intervention peut être décomposée en actes, unités textuelles minimales, qui ne doivent pas être confondues avec les unités syntaxiques maximales. En effet, les actes textuels ne relèvent pas de l’ordre de la langue, mais de l’ordre du texte. Par conséquent, leur définition ne peut pas être issue de la même démarche méthodologique que « celle qui a guidé les linguistes, au fil du XXe siècle, dans la description de l’ordre de la langue et qui les a conduits, fût-ce avec un succès certain, de l’analyse des phonèmes à celle des morphèmes, puis des clauses » (Roulet 2001c: 63). A la démarche ascendante se substitue ainsi la démarche descendante, proposée par Bakhtine, allant des plus grandes aux plus petites 52 « Sont seules instructives pour une théorie de l’activité communicationnelle les théories analytiques de la signification qui s’attachent à la structure de l’expression langagière et non aux intentions du locuteur. Elle garde ainsi en vue le problème de la façon dont les actions de plusieurs acteurs peuvent être reliées les unes aux autres à l’aide du mécanisme de l’intercompréhension, c’est-à-dire, la façon dont elles peuvent édifier des réseaux dans des espaces sociaux et des époques historiques » (Habermas 1987: 285). 53 « La récursivité des modèles hiérarchiques, propriété indispensable pour rendre compte d’une infinité de structures phrastiques ou textuelles possibles, est fondée sur la possibilité pour un constituant d’un rang donné d’intégrer des constituants de même rang ou de rang supérieur » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 90).

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unités textuelles. Si l’échange constitue la plus grande unité dialogique et l’intervention la plus grande unité monologique, l’acte textuel est défini comme la plus petite unité de la structure hiérarchique « délimitée par un passage en mémoire discursive, dans le sens de Berrendonner (1990) » (Roulet 2001c: 64)54. Les structures hiérarchiques textuelle et syntaxique entretiennent d’étroites interrelations, car un isomorphisme peut être observé entre les unités textuelles minimales et les unités syntaxiques maximales.

La profonde imbrication des structures référentielles, textuelles et syntaxiques met l’analyste devant un certain nombre de difficultés, dont nous ne mentionnons ici que celles qui nous semblent être directement liées à la problématique des stratégies discursives:

- la délimitation des unités textuelles par rapport aux unités praxéologiques correspondantes, dans le cas d’un isomorphisme entre structures praxéologique et hiérarchique textuelle, et la mise en évidence de leurs interrelations;

- la mise en évidence, à travers l’analyse de stratégies conceptuelles différentes, de l’aspect dynamique des structures textuelles hiérarchiques;

- la délimitation des unités qui relèvent des dimensions textuelle et syntaxique, préalable au découpage du texte en unités textuelles minimales, et la mise en évidence des interrelations entre les structures textuelle et syntaxique.

Face à la complexité des problèmes soulevés, la possibilité de mise en rapport des unités qui relèvent de niveaux d’analyse différents représente le principal atout de l’approche modulaire. « Un des intérêts d’un dispositif modulaire distinguant des modules syntaxique, hiérarchique et référentiel est de poser de manière claire le problème crucial, quoique le plus souvent négligé, de la définition et de la délimitation des unités qui relèvent de ces différents niveaux, et en particulier de celles qui sont aux frontières de ceux-ci » (Roulet 2001c: 59). Nous examinerons successivement les rapports que la structure hiérarchique entretient avec les structures praxéologique (2.3.1.1.), conceptuelle (2.3.1.2.) et syntaxique (2.3.1.3.). 2.3.1.1. Le caractère dialogique des structures textuelles

L’isomorphisme entre structures hiérarchiques et praxéologiques est tel que ces deux structures ont été confondues dans la première version du modèle genevois. Les constituants de base du discours (échanges, interventions et actes) y ont été considérés comme unités de rang inférieur, à la différence de l’incursion (définie comme unité maximale) et de la transaction, se situant à « un macro-niveau du discours » (Roulet et al. 1985: 23-24).

La mise en évidence progressive d’un certain nombre de principes qui régissent la structure praxéologique (§ 2.2.4.) a permis de distinguer l’incursion et la transaction en tant qu’unités praxéologiques, relevant du module référentiel, 54 « Nous postulons que, pour constituer une étape du processus de négociation sous-jacent à toute interaction, chaque acte doit faire l’objet d’un enregistrement en mémoire discursive » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 64).

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de l’échange, qui constitue l’unité textuelle maximale et relève du module hiérarchique, et de délimiter, par la suite, les structures praxéologique et hiérarchique textuelle. La structure praxéologique du discours et le cadre actionnel plus englobant reposent sur les notions de but, de complexes motivationnels et d’action individuelle de chacun des interactants. La négociation, le dialogue et l’entente constituent, par contre, des mots-clés de l’analyse de la structure hiérarchique et de la définition de l’unité textuelle maximale. En effet, à part les représentations praxéologiques liées à des activités spécifiques, tout dialogue active généralement chez les interlocuteurs, « des représentations praxéologiques générales, sous-jacentes à toute interaction, comme le schéma de négociation » (Roulet 1996: 22)55, qui relèvent de la dimension textuelle.

Dans le modèle genevois, on distingue ainsi les représentations praxéologiques prototypiques des activités dans le monde, qui se réalisent dans des interactions particulières sous la forme de structures praxéologiques, du schéma de négociation sous-jacent aux structures hiérarchiques textuelles. Cette distinction est à la base de la délimitation entre les unités praxéologiques et textuelles. Elle peut être rapprochée de la distinction établie par Habermas, dans sa théorie de l’agir communicationnel, entre les actions stratégiques, orientées vers le succès, et les actions communicationnelles orientées vers l’intercompréhension. Habermas précise que cette distinction se rapporte au « savoir pré-théorique de locuteurs compétents qui peuvent, par eux-mêmes, distinguer intuitivement quand ils exercent une influence sur d’autres et quand ils s’entendent avec d’autres » (Habermas 1987: 296)56.

A propos du savoir pré-théorique orienté vers l’entente, Roulet estime que l’on peut poser intuitivement pour toute négociation au moins trois phases: une phase de proposition, une phase de réaction et une phase d’évaluation ou de ratification57. Chacune de ces phases doit être claire et complète, pour permettre l’ouverture de la phase suivante. Cette contrainte de complétude interactive constitue « une première source de la récursivité à plusieurs niveaux dans le déroulement d’une négociation » (Roulet 1988: 28). Comme le processus de négociation ne peut se clore que s’il aboutit à un accord entre les interactants « ne serait-ce que sur le point qu’ils ne peuvent trouver de terrain d’entente », la contrainte de complétude interactionnelle constitue « une seconde source de récursivité » (ibid.). De ce schéma de négociation comportant trois phases et régi

55 décrit dans Roulet et al. (1985) et Roulet (1988 et 1992) 56 « En parlant de « stratégique » et de « communicationnel », je ne veux pas seulement désigner deux aspects analytiques sous lesquels la même action peut être décrite tantôt comme l’influence réciproque de partenaires agissant de façon rationnelle par rapport à une fin, tantôt comme un processus d’intercompréhension entre ressortissants d’un monde vécu. Au contraire, les actions sociales peuvent être distinguées en fonction de l’attitude adoptée par les participants, selon que cette attitude est orientée vers le succès ou vers l’intercompréhension; et de fait, ces attitudes doivent pouvoir, dans des circonstances appropriées, être identifiées au regard du savoir intuitif des participants eux-mêmes » (Habermas 1987: 296). 57 Le terme d’évaluation est utilisé dans la première version du modèle (Roulet 1985, Roulet et al. 1985, Roulet 1988), et celui de ratification dans les versions ultérieures (Roulet 1996, 1999, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001).

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par les contraintes de complétudes interactive et interactionnelle, « on peut dégager un système multi-récursif, qui permet de rendre compte du déroulement de toutes les négociations possibles » (Roulet 1988: 29).

Roulet fait ensuite l’hypothèse que le déroulement d’un échange linguistique suit le même schéma que le déroulement d’une négociation. Un échange comporte ainsi au moins trois interventions. Celles-ci doivent être formulées « de manière suffisamment claire pour être évaluées par l’interlocuteur; sinon, celui-ci est obligé d’ouvrir une négociation secondaire pour clarifier l’intervention de l’autre » (Roulet 2001c: 57). Cette visée de complétude interactive ou monologique oblige les interactants à préparer, à motiver ou à reformuler leur intervention. Selon le principe de récursivité, la négociation principale peut donner lieu à l’ouverture d’une négociation secondaire de rang inférieur, qui peut donner lieu elle-même à l’ouverture d’une autre négociation secondaire de rang inférieur, et ainsi de suite. Le déroulement d’un échange linguistique étant également soumis à la contrainte de complétude interactionnelle ou dialogique, « une réaction ou une ratification négative entraîne une relance de l’intervention antérieure et donc une prolongation de la négociation, qui comportera non plus trois, mais cinq, sept, éventuellement davantage, interventions » (Roulet 2001c: 58).

La conception de la structure hiérarchique de l’échange comme structure émergente de l’activité récursive de négociation vise à mettre en avant l’aspect dynamique des processus discursifs à l’œuvre dans différentes formes d’organisation du discours résultant du couplage d’informations d’origine modulaire. Ainsi, par exemple, l’unité maximale de la structure hiérarchique est régie par le principe de complétude dialogique, qui inclut une dimension rituelle: être complet et acceptable pour l'autre (Goffman 1974).

Bien que la notion d’échange se rapporte, plus spécifiquement, aux cadres interactionnels caractérisés par la co-présence spatio-temporelle, ainsi qu’à la complétude « dialogique » au sens étroit de ce terme, l’approche modulaire n’exclut pas la possibilité d’envisager le dialogisme dans le sens de Bakhtine (1977)58 et de considérer toute intervention, aussi bien orale qu’écrite, comme élément constitutif d’un échange dont les autres éléments sont à reconstituer. L’analyse de textes monologiques écrits, en l’occurrence celle d’un corpus d'articles de presse, comme interventions constitutives d’unités textuelles de rang supérieur nécessite un élargissement de la notion de dialogisme à des cadres interactionnels plus complexes, caractérisés par la participation d’un nombre d’interactants supérieur à deux, par la distance spatio-temporelle et par un lien de réciprocité partielle entre les interactants.

Cet élargissement de perspective nous permettra ensuite d’appliquer le schéma de négociation à l’interaction médiatique, en attribuant à ses trois participants la responsabilité de l’une des trois phases du processus de négociation sous-jacent au déroulement de tout échange linguistique (Figure 16). 58 « Toute énonciation-monologue, même s’il s’agit d’une inscription sur un monument, constitue un élément inaliénable de la communication verbale. Toute énonciation, même sous forme écrite figée, est une réponse à quelque chose et est construite comme telle » (Bakhtine 1977: 105).

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La phase de proposition du schéma de négociation sous-tend l’intervention de la source d’information, la phase de ratification celle de l’instance de réception. L’intervention médiatique, qui nous intéresse plus particulièrement, correspondrait à la phase intermédiaire initiative-réactive. Sur le plan de la structure hiérarchique de l’échange, cette intervention permet d’établir un lien entre les interventions des deux autres participants à l’interaction, séparés par la distance spatio-temporelle. Le schéma représentant la composante situationnelle de l’interaction médiatique s’avère ainsi n’être qu’une réalisation spécifique du schéma de négociation sous-jacent à toute interaction.

Source d ’information

Instance médiatique

Instance de réception

Phase deproposition

Phase de réaction

Phase deréaction

Phase de proposition

Phase deratification

Figure 16 : La schéma de négociation sous-jacent à l ’interaction médiatique

Etant donné que ce schéma pose tout de même le problème d'une négociation à trois et que les interactants sont séparés par la distance spatio-temporelle, nous considérerons la proposition (principale) non pas comme une intervention de la source d'information, mais comme le reflet de cette intervention dans l’opinion publique, comme un questionnement qui apparaît dans le monde politique, comme une question qui se pose dans le public. Autrement dit, ce à quoi réagit le journaliste et ce qu’il négocie avec le lecteur, c’est plutôt un commentaire concernant une information d'autre source, que cette information elle-même. De même, le journaliste n’ayant pas accès à la réaction du lecteur, nous considérerons qu’il formule la proposition (secondaire) en fonction de la réaction supposée de celui-ci.

La complexité du cadre interactionnel et la spécificité des paramètres interactionnels dans le cas de l’interaction médiatique se refléteront aussi dans la structure hiérarchique textuelle émergeant du schéma de négociation sous-jacent,

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décrit plus haut. Par rapport à la structure textuelle des échanges en face à face, un cadre interactionnel réunissant un nombre d’interactants supérieur à deux, séparés, de surcroît, par la distance à la fois spatiale et temporelle, complexifie considérablement la structure hiérarchique de l’unité textuelle maximale. La distance spatio-temporelle nous autoriserait à analyser ce trilogue, ainsi que le processus de négociation qui le sous-tend, en deux « dialogues » successifs: celui entre la source d’information et l’instance médiatique et celui entre l’instance médiatique et l’instance de réception. La participation de l’instance médiatique aux deux échanges, ainsi que les liens de réciprocité partielle (représentés par les flèches entrecoupées dans le schéma ci-dessus, Figure 16), qui s’établissent rétroactivement entre les interactants, nous conduisent à regrouper ces deux échanges tronqués (le premier n’ayant pas de destinataire et le second n’incluant pas la source d’information) dans un échange plus englobant, celui entre la source d’information et l’instance de réception, par média interposé.

Si nous combinons les informations relevant de la composante situationnelle qui figurent dans le schéma ci-dessus avec les règles de production des structures textuelles hiérarchiques (Roulet 2001c: 54), nous obtenons la représentation schématique suivante de la structure hiérarchique de l’échange réunissant une source d’information, une instance médiatique et une instance de réception:

E

I

I

I

Ip

Es

I

I

proposition

ratification

proposition

réaction

réaction

Figure 17 : Le schéma de la structure hiérarchique du discours médiatique

Notons que ce schéma ne correspond que partiellement à la structure des textes sur lesquels est centrée notre analyse (ceux-ci ont plus précisément la structure de la deuxième intervention).

Le parallélisme entre le schéma de négociation qui sous-tend l’interaction médiatique (Figure 16) et la structure hiérarchique textuelle de celle-ci (Figure 17) est évident: aux trois phases de négociation correspondent les trois interventions constitutives de l’échange. Alors que les première et troisième interventions ne sont pas nécessairement verbalisées, l’intervention de l’instance médiatique59 présente une structure textuelle complexe: elle se compose d’une 59 A ce niveau d’analyse, l’intervention de l’instance médiatique est, en fait, celle du journaliste.

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intervention principale, qui correspond à la phase de réaction, et d’un échange subordonné, dont le rôle consiste à permettre la prise en considération du destinataire de l’information. L’échange subordonné peut, lui-même, se décomposer en deux interventions, correspondant respectivement à la proposition de l’instance médiatique et à la réaction (supposée) de l’instance de réception.

Le statut fondamentalement dialogique des unités textuelles aussi bien monologales que dialogales a été souligné par Bronckart (1996), au sujet de l’organisation séquentielle des productions discursives. Sans vouloir anticiper sur la problématique de l’organisation séquentielle, qui sera traitée ultérieurement (4.1.1., 4.1.3.), nous reprenons ici un passage qui peut s’appliquer à la macro-structure textuelle de l’intervention journalistique, comme structure émergente d’un processus de négociation sous-jacent: « Les séquences et les autres formes de planification constituent le produit d’une re-structuration d’un contenu thématique déjà organisé dans la mémoire d’un agent producteur sous forme de macro-structure. Or, la forme que prend cette réorganisation est manifestement motivée par les représentations qu’a cet agent des propriétés des destinataires de son texte, ainsi que de l’effet qu’il souhaite produire sur eux. L’emprunt à un prototype de séquence disponible dans l’intertexte résulte donc d’une décision de l’agent producteur, orienté par ses représentations des destinataires et par le but qu’il poursuit à leur égard. Et dans la mesure où elles reposent sur de telles décisions interactives, les séquences ont un statut fondamentalement dialogique » (Bronckart 1996: 236-237).

S’appuyant sur l’approche bakhtinienne du dialogisme, le schéma de la structure hiérarchique du discours médiatique permet, dans un premier temps, de mieux saisir les rapports d’interdépendance que l’intervention de l’instance médiatique entretient avec les autres constituants de l’échange médiatique. Un texte journalistique peut être défini, sur le plan textuel, comme une intervention à la fois réactive et initiative, constitutive de l’échange entre la(les) source(s) d’information et l’instance de réception, ou plus précisément entre des commentaires qui circulent dans le public à propos de l’une et de l’autre.

A partir de ce schéma, un parallélisme peut être établi entre, d’une part, les trois phases de négociation qui sous-tendent l’intervention de l’instance médiatique et, d’autre part, les stratégies discursives que cette dernière déploie dans la sélection des informations, dans leur traitement et dans l’anticipation des réactions de l’instance de réception. Ce parallélisme nous amène, dans un deuxième temps, à faire l’hypothèse que l’importance relative accordée par le journaliste à l’une ou l’autre des phases du processus de négociation sous-jacent à son intervention variera en fonction de la visée globale de celle-ci, de « l’intention qui la dirige et qui l’oriente » (Grize 1974: 186)60, hypothèse que des analyses plus approfondies permettront de vérifier.

60 Définissant le texte comme « la manifestation d’une activité spécifiquement humaine qui est l’activité discursive », J.-B. Grize postule que « la nature d’un texte est commandée par celle de l’activité qui l’engendre. Or, une activité ne se distingue de la simple agitation, elle n’a de cohérence, que par l’intention qui la dirige et qui l’oriente. Aussi dirais-je que la nature d’un texte résulte et désigne le projet du sujet discoureur » (1974: 186).

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Après avoir essayé de mettre en évidence des rapports d’interdépendance que l’intervention de l’instance médiatique entretient avec les autres constituants de la structure hiérarchique du discours médiatique, nous nous intéresserons aux interrelations entre les structures hiérarchiques textuelles et la dimension référentielle de l’univers représenté dans le discours. 2.3.1.2. Le caractère dynamique des structures textuelles

La structure hiérarchique d’une intervention textuelle est déterminée, comme nous venons de le voir, par sa place au sein de l’unité textuelle maximale. En outre, les constituants de l’échange entretiennent d’étroites interrelations avec les constituants des structures praxéologique et conceptuelle des deux univers du discours (§ 2.2.3., § 2.2.4.).

L’application de l’approche bakhtinienne du dialogisme à l’interaction médiatique, et plus spécifiquement, au discours de la presse écrite, nous a permis de définir le texte journalistique comme une intervention complexe, composée d’une intervention principale et d’un échange subordonné qui, lui-même, peut être analysé en deux interventions (Figure 17). Nous avons également fait l’hypothèse que l’importance accordée à l’un ou à l’autre constituant de cette intervention complexe variera en fonction de sa visée globale. Nous avons intuitivement associé l’intervention principale à une visée informative et explicative, et l’échange subordonné à des visées émotionnelle et argumentative.

Mais plus que par sa position et son rôle au sein de l’échange, la structure hiérarchique de l’intervention textuelle est influencée par les structures praxéologique et conceptuelle de l’univers représenté dans le discours. Autrement dit, si nous comparons entre elles plusieurs interventions qui occupent la même position dans la structure de l’échange – en l’occurrence celle d’une intervention à la fois réactive et initiative dans l’interaction médiatique – nous pouvons constater qu’à la structure hiérarchique de chacune d’entre elles correspond, au niveau de la dimension référentielle, une structure conceptuelle particulière, une manière spécifique de représenter l’objet de discours, visant la réalisation d’un projet spécifique. Car « le discours construit des micro-univers à l’intention de ceux sur lesquels il se propose d’intervenir, univers dans lesquels les éléments sont agencés de telle sorte que les conclusions désirées s’imposent, qu’elles soient évidentes » (Grize 1974: 190)61.

Reflet des activités discursives qui engendrent le texte et des micro-univers qui y sont représentés, la structure hiérarchique textuelle se situe à l’intersection des deux univers du discours. La principale difficulté de l’analyse

61 Pour élaborer le concept de « schématisations argumentatives », J.-B. Grize distingue trois types d’activités qui les engendrent. « D’abord les activités de position, par où j’entends poser des objets dans un certain éclairage. Ensuite des activités de disposition, activités qui fixent à la fois les degrés de liberté de ce qui est posé et la place qu’occupent les éléments dans l’ensemble. Enfin des activités d’enchaînement, les plus proches de ce qu’on appelle généralement la logique de l’argumentation. A chaque type d’activités correspondent des familles d’opérations spécifiques que le chercheur a pour tâche de déterminer » (1974: 190).

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et de l’explication des structures hiérarchiques textuelles réside dans l’impossibilité de dissocier les activités discursives qui sont à leur origine des structures praxéologique et conceptuelle de l’univers représenté dans le discours. Car ni les unes ni les autres n’émergent à la surface du texte à l’état pur et dans leur intégralité, mais s’enchevêtrent tout au long du texte. La combinaison des propriétés de l’objet de discours construit par une intervention textuelle et de la visée de celle-ci dans une situation d’interaction spécifique donne lieu à des structures textuelles hiérarchiques qui divergent de la structure de l’intervention journalistique représentée plus haut (Figure 17).

Les dimensions référentielle et textuelle interagissent de deux manières. Premièrement, les activités discursives épousent la forme des objets sur lesquels elles portent. Pour s’en assurer, il suffit de se rappeler le schéma de la structure praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit auquel a abouti notre étude de cas (Figure 13). Chacun des épisodes correspondant à un texte journalistique comporte minimalement deux phases, une phase de préparation et une phase d’élaboration. Leur structure interne est loin de correspondre à celle des phases constitutives du processus de négociation sous-jacent à l’interaction médiatique. D’une part, le titre et le sous-titre, qui constituent la phase de préparation de cet épisode, semblent résumer en eux-mêmes l’ensemble des visées attribuables à un article de presse. D’autre part, la structure praxéologique de la phase d’élaboration suit les contours de la structure praxéologique de l’univers représenté dans le discours et des propriétés conceptuelles des objets de discours sur lesquels portent deux principales actions discursives: commenter les éléments de la mise en scène médiatique de la cérémonie de signature de l’accord de paix, en évoquant la couverture médiatique, le discours d’inauguration et l’effet souhaité par le metteur en scène, et décrire l’organisation protocolaire d’une réunion diplomatique de haut niveau, autrement dit raconter son déroulement (en évoquant le nombre de participants, la durée des interventions, le transport et le menu).

Deuxièmement, les objets de discours s’adaptent aux cadres textuels qui émergent des activités discursives typiques62. La deuxième partie de l’article de presse étudié, dans laquelle le journaliste décrit le déroulement de la cérémonie de signature, illustre la manière dont les structures hiérarchiques textuelles interagissent avec les structures praxéologique et conceptuelle de l’univers représenté dans le discours. Cette intervention représente la combinaison d’une structure textuelle hiérarchique caractérisée par la fréquence des constructions détachées (Figure 18), d’une phase du processus de négociation sous-jacent à visée informative (Figure 17), d’une étape dans le déroulement d’actions discursives spécifiques, celles de description d’actions (Figure 13) et d’une étape

62 Une unité discursive représente ainsi la combinaison d’une certaine structure hiérarchique textuelle, d’une certaine structure praxéologique et conceptuelle de l’univers dans lequel le discours s’inscrit et d’une certaine structure praxéologique et conceptuelle de l’univers dont le discours parle. Certaines de ces combinaisons donnent lieu, au niveau des formes d’organisation séquentielle et compositionnelle, à des séquences typiques (narrative, descriptive), d’autres, du fait de leur diversité ou de leur portée, échappent à toute tentative de classement définitif (séquences délibératives).

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dans le déroulement des actions représentées dans le discours, à savoir la cérémonie de clôture des négociations de paix (Figure 15). Si l’on superpose ces différentes structures, on peut constater que les rapports de dépendance entre les constituants de la structure textuelle hiérarchique de cette intervention déterminent l’importance relative des objets de discours sur lesquels porte l’activité de description.

Is

Ip

Ip

Is

I

Ip

Is

Figure 18 : Structure hiérarchique textuelle et la construction des objets de discours

le transport et le menu

la cérémonie de signature

les discours officiels

l’entrée des participants à la conférence

Les deux premières interventions de cette séquence décrivent l’entrée des participants dans la salle de conférence et le moment même de la signature de l’accord de paix. Elles forment une intervention subordonnée par rapport à l’intervention suivante, qui porte sur les discours officiels qui ont suivi. L’ensemble de ces trois interventions est subordonné à l’intervention qui clôt cette séquence et qui traite du transport des invités et du menu qui leur est proposé.

Les différentes combinaisons des structures praxéologiques et conceptuelles des deux univers du discours donnent ainsi lieu à des modes de structuration du texte différents, correspondant à des projets spécifiques de chaque locuteur/scripteur. Dans notre exemple, le journaliste veut minimiser l’importance de la cérémonie de signature, laquelle fait l’objet de l’intervention textuelle qui occupe la position subordonnée par rapport à l’intervention qui porte sur certains détails secondaires relevant de l’organisation technique et protocolaire de cette réunion diplomatique.

La mise en relation des dimensions praxéologique et conceptuelle d’interventions textuelles permet d’envisager une analyse dynamique des unités et des processus discursifs qui participent à l’élaboration des stratégies discursives du journalisme politique. En dissociant, pour les besoins de l’analyse, les deux structures portantes de l’organisation du discours, l’approche modulaire permet d’aborder la problématique du choix ou du conflit entre différents modes de structuration textuelle d’une intervention. « Les différents modes de structuration sont possibles, mais ils correspondent à des situations et à des stratégies différentes de la part des interlocuteurs » (Roulet 2001c: 93). Notre corpus d’articles de presse devrait pouvoir répondre à ce genre de

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questionnement, notamment en matière de « variations stratégiques » (Véron 1988) dans la construction du même événement par des instances médiatiques différentes. 2.3.1.3. L’acte textuel et la proposition maximale L’analyse de la structure hiérarchique ne s’arrête pas au niveau de l’intervention, mais se poursuit jusqu’au niveau des actes, unités textuelles minimales. Condition d’une analyse plus approfondie de la structure hiérarchique, le découpage du texte en actes soulève cependant le problème de délimitation des structures hiérarchiques textuelle et syntaxique. Le problème est d’autant plus délicat que les unités textuelles présentent un haut degré d’isomorphisme avec les unités syntaxiques (2.4.1.). L’approche modulaire essaie d’y apporter une solution, en rendant compte des interrelations fines et complexes entre différentes dimensions constitutives du discours63.

Dans la première version du modèle genevois, l’unité textuelle minimale n’était pas bien dissociée de l’unité syntaxique maximale; la catégorie acte, confondue avec le concept d’acte de langage, tel qu’il est défini dans la théorie de Searle (1972), se réalisait sous la forme d’une proposition. Roulet précise que, dans la version récente du modèle, la notion d’acte textuel a été redéfinie à partir des réflexions de Rubattel (1987), d’Auchlin (1993) et de Berrendonner (1983, 1990). Rubattel a introduit le terme de « semi-acte » pour désigner des segments textuels qui n’ont pas la forme propositionnelle (tel le syntagme prépositionnel malgré la pluie), mais qui jouent dans le discours le même rôle (en l’occurrence, celui de contre-argument) qu’une unité de forme propositionnelle (bien qu’il pleuve). Auchlin a fait une observation analogue à propos des syntagmes détachés ou disloqués à gauche. Face aux problèmes soulevés par ces deux auteurs, Roulet rappelle que « l’acte hiérarchique est l’unité minimale d’un processus de négociation, et que celui-ci implique des étapes successives, qui doivent faire l’objet d’un enregistrement par les interactants » (Roulet 2001c: 64). Il postule que « pour constituer une étape du processus de négociation sous-jacent à toute interaction, chaque acte doit faire l’objet d’un enregistrement en mémoire discursive » (ibid.), s’inspirant d’une proposition de Berrendonner (1990) concernant la définition de l’unité minimale de ce que ce dernier appelle « la macro-syntaxe » (qui correspond à l’ordre du texte, par opposition à la micro-syntaxe, qui correspond à la syntaxe de rection). A l’instar de l’unité « énonciation », utilisée par Berrendonner, les frontières gauche et droite de l’acte hiérarchique sont liées à « un passage par la mémoire discursive ». Vers la gauche, l’acte entretient un « rapport de présupposition » avec des connaissances qui peuvent être encyclopédiques, issues du contexte ou du cotexte

63 « Dans l’état actuel de nos connaissances, il nous paraît qu’une approche modulaire, permettant à la fois de distinguer nettement les aspects syntaxiques et textuels des constructions et de les combiner pour rendre compte des propriétés de celles-ci, est la mieux à même de rendre compte des isomorphismes et des différences entre les deux modes de structuration » (Roulet 2001c: 70).

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(Berrendonner 1990: 28). Vers la droite, l’énonciation de chaque acte entraîne un stockage des informations qu’il active en vertu d’une « règle de production » (ibid.).

En fondant la définition de l’unité textuelle minimale sur des critères d’ordre cognitif64, la nouvelle version du modèle vise principalement à remédier au problème de l’isomorphisme entre unités syntaxiques et textuelles. Liés par des relations qui font intervenir la mémoire discursive (relations de pointage) et qui relèvent de la « macro-syntaxe », les actes hiérarchiques doivent être radicalement distingués des constituants de la proposition, dont les relations, qui ne font pas intervenir la mémoire discursive (relations de liage), relèvent de la syntaxe (Blanche-Benveniste et al. 1990, Berrendonner 1990). La relation de pointage est considérée par Berrendonner comme ayant les propriétés inverses de la relation de liage et permettant en particulier le remplacement du pronom pointeur par une expression nominale. Cette possibilité de substitution constitue, d’après Roulet, un test permettant d’évaluer de manière fiable l’existence d’un passage par la mémoire discursive. « Le passage en mémoire discursive, qui indique la frontière entre deux énonciations, est signalé en particulier par la possibilité d’utiliser indifféremment comme anaphore un pronom ou une expression définie pour marquer la co-référence » (Roulet 2001c : 65).

Comme l’observe Anne Grobet (2002)65, si les unités de l’acte hiérarchique et de l’énonciation reposent sur le même critère définitoire de « passage par la mémoire discursive », elles se distinguent au niveau du statut théorique qui leur est accordé dans l’organisation discursive: à la différence de Berrendonner, pour qui l’ « énonciation » relève de la macro-syntaxe, Roulet considère que l’acte relève de la dimension hiérarchique du discours, dont il constitue la plus petite unité. « Dans ce cadre, l’acte se voit défini par un système de règles, dont l’acte constitue le symbole terminal. Ces règles définissent l’acte comme une unité terminale par rapport à l’intervention et à l’échange tout en indiquant les relations hiérarchiques qu’il peut avoir avec eux. Pour Roulet, le choix d’une unité hiérarchique comme unité discursive minimale du discours ne revient pas à nier toute pertinence aux autres unités, qui restent utiles au niveau des dimensions auxquelles elles ressortent, mais il entérine le rôle central 64 « Berrendonner propose donc une définition de l’unité textuelle minimale, l’énonciation, en termes de traitement cognitif de l’information et non de structure linguistique, qui s’inscrit parfaitement dans notre conception de l’interaction comme négociation, et il fournit un critère heuristique qui permet de délimiter cette unité » (Roulet 2001c: 67). 65 Il est à noter que, contrairement à Berrendonner (1983, 1990), qui considère le test de substitution comme un critère décisif pour évaluer la présence d’un stockage des informations en mémoire discursive, Grobet (2002) estime que la segmentation en actes est le produit de l’interrelation de différents indices de contextualisation, qui peuvent coïncider. « Au niveau de la segmentation du discours, les indices de contextualisation lexicaux, syntaxiques et prosodiques contribuent à marquer la cohésion interne des unités ainsi que leurs frontières. Celles-ci sont marquées à la fois prospectivement par l’achèvement d’une structure syntaxique, par la présence d’éventuels ponctuants et d’un intonème continuatif ou conclusif, et rétrospectivement par le début d’une nouvelle structure syntaxique, par certains connecteurs ou régulateurs, ainsi que par la présence d’une pause, voire d’une augmentation du débit des premières syllabes qui suivent. Dans certains cas simples, les indices syntaxiques, prosodiques et lexicaux coïncident » (Grobet 2002: 89-91).

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attribué, dans le modèle genevois, à la dimension hiérarchique » (Grobet 2002: 83).

Comme la problématique de la segmentation du texte en actes est au cœur de l’analyse de la dimension hiérarchique, la poursuite de notre étude de cas nous permettra, après cette mise en perspective théorique, de l’aborder de manière plus détaillée. 2.3.2. L’établissement de la structure hiérarchique

La structure hiérarchique d’un texte peut être soumise à un double examen, qui s’appuie sur deux types d’approches méthodologiques complémentaires: une approche descendante allant des plus grandes aux plus petites unités de la structure textuelle et une approche ascendante adoptant la démarche inverse. Dans les deux cas, la segmentation du texte en unités textuelles minimales constitue le préalable à une analyse complète de sa structure hiérarchique. 2.3.2.1. La segmentation du texte en actes: un préalable à l’analyse de sa structure hiérarchique

Avant de procéder à l’établissement de la structure hiérarchique de l’article « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation », publié dans le Journal de Genève, nous en proposons le découpage suivant en unités textuelles minimales: [1] LA BOSNIE MEURTRIE ATTEND LA RECONCILIATION [2] Alors que les présidents Milosevic, Tudjman et Izetbegovic signaient l’accord de

paix au Palais de l’Elysée, [3] un hélicoptère français a été mitraillé par des éléments de l’armée bosniaque [4] et quatre grenades ont explosé dans le centre de Sarajevo [5] Il est peu probable que les Parisiens gardent un grand souvenir de la signature de

l’accord de paix sur la Bosnie. [6] Dans leur mémoire collective [7] ce jeudi 14 décembre 1995 restera plus sûrement associé au souvenir d’une

nouvelle journée d’embouteillages monstres pour cause de 21e jour de grève dans les transports publics,

[8] surtout dans les parages de l’Elysée et des Invalides [9] où l’interdiction de la circulation n’a fait qu’exaspérer davantage les automobilistes. [10] La télévision, en revanche, a bien fait les choses, [11] notamment la télévision publique. [12] Les téléspectateurs auront tous compris qu’il était important de bien mesurer le

rôle historique joué en cette circonstance par la France en général et son président en particulier.

[13] A défaut d’avoir pris une part déterminante à l’essentiel lors des négociations de Dayton,

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[14] maîtrisées par Bill Clinton, [15] Jacques Chirac tenait à partager l’événement avec le président des Etats-Unis [16] au moment où la signature de ce traité par les ennemis d’hier conférait une lourde

symbolique à une accessoire séance de signatures. [17] « Contribution déterminante » [18] Nul n’étant jamais mieux servi que par soi-même, [19] le chef de l’Etat a d’ailleurs tenu à rappeler que « la contribution déterminante de

la diplomatie américaine » dans « le succès de Dayton » avait été précédée par « la mise en place de la Force de réaction rapide » en Bosnie et par « l’harmonisation progressive des positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, dans le cadre du Groupe de contact mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ».

[20] Autant d’étapes – [21] a fait observer M. Chirac – [22] dans lesquelles la part de la France a été importante [23] et qui ont « créé les conditions du succès des négociations de Dayton ». [24] Les images télévisée ont scrupuleusement raconté ce moment solennel

gravement mis en scène. [25] La cérémonie a eu lieu dans la salle des fêtes du Palais de l’Elysée. [26] Elle s’est déroulée en présence d’un parterre de ministres, ambassadeurs, hauts

fonctionnaires et hauts militaires, [27] réunis sous un plafond peint présentant la République en « sauvegarde de la

paix ». [28] A 11 h. 35, [29] Jacques Chirac est entré le premier, [30] encadré par Bill Clinton et par le Premier ministre russe, Viktor Tchernomyrdine, [31] et suivi par les signataires du traité de paix, au nombre de 9. [32] Tous ont pris place sur une estrade drapée de vieux rose. [33] Chacun s’est posté devant son drapeau. [34] Dans l’ordre alphabétique: [35] l’Allemagne, la Bosnie, la Croatie, les Etats-Unis, l’Union européenne, la France, la

Grande-Bretagne, la Russie, la Serbie. [36] Sur le rebord de la table en bois blanc, [37] où attendaient trois maroquins rouges, [38] une inscription avait été gravée: [39] « Conférence de la Paix sur l’ex-Yougoslavie. Paris. » [40] Jacques Chirac a parlé pendant une dizaine de minutes. [41] Puis le Bosniaque Alija Izetbegovic, le Croate Franjo Tudjman et le Serbe

Slobodan Milosevic ont tour à tour accompli le geste attendu. [42] Après un instant d’hésitation, [43] ils se sont serré la main [44] (c’est le Croate qui a tendu la main au Serbe, [45] qui l’a acceptée [46] puis l’a tendue au Bosniaque) [47] sous les applaudissements de l’éminente assistance. [48] Ensuite, leurs trois paraphes ont été « parrainés » par les cosignatures des trois

illustres « témoins »: [49] le chancelier allemand Helmut Kohl, le Premier ministre britannique, John Major, le

Premier ministre espagnol, Felipe Gonzales, présent en tant que président en exercice de l’Union européenne, et le Premier ministre russe.

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[50] A partir de 12 h. 30, [51] 12 discours ont suivi, de six à sept minutes chacun, [52] parmi lesquels ceux des principaux intéressés, [53] mais aussi ceux du secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali et du

nouveau secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana. [54] A 13 h. 30, [55] les apéritifs étant consommés, [56] les quelque 50 invités du président de la République ont pris place à bord d’un bus

spécial [57] pour éviter les embouteillages [58] (à l’exception de Bill Clinton [59] qui a fait le trajet dans sa limousine blindée). [60] Un banquet les attendait de l’autre côté de la Seine, au Quai d’Orsay, dans les

salons du Ministère des affaires étrangères [61] où les deux pièces maîtresses du menu choisi, le homard de Bretagne et le

chapon de Bresse, ont fait, paraît-il, l’unanimité.

Pour segmenter ce texte en actes, nous avons combiné le test de substitution (pour des segments textuels les plus complexes)66 avec les indices de contextualisation lexicaux, syntaxiques et graphiques. Nous nous contenterons ici de les mentionner simplement, parce que ce type d’information relève des dimensions lexicale et syntaxique de l’organisation du discours (2.4., 2.5.).

Parmi les indices lexicaux d’un passage par la mémoire discursive, nous avons tenu compte de la présence (ou de la possibilité d'insérer) des connecteurs.

Pour ce qui concerne les indices syntaxiques, nous avons observé la correspondance entre unités textuelles minimales et certains types de propositions et de syntagmes, tels:

- les syntagmes détachés à gauche67 (actes [6], [28], [42], [50], [54]); - les relatives appositives (actes [9], [22], [23], [37], [45], [52], [59] et [61]),

ainsi que les constructions participiales ayant une valeur analogue (actes [14], [27] et [30-31]);

- les subordonnées temporelles, causales, finales, ainsi que les constructions infinitives et participiales ayant une valeur analogue (actes [2], [13], [16], [18],

66 Le critère de passage en mémoire discursive a résisté à l’épreuve des séquences textuelles les plus complexes, telles la séquence correspondant aux actes [20-23], où se superposent deux niveaux d’énonciation différents. L’acte [21] constitue un acte distinct, qui enchaîne sur l’acte [19], un pontage de type anaphorique s’établissant entre les syntagmes nominaux « le chef d’Etat » et « M. Chirac ». A ce niveau de l’énonciation « historique » se superpose le niveau de l’énonciation de « discours », selon la dichotomie établie par Benveniste. Les actes [22] et [23] enchaînent ainsi sur l’acte [20], car les pronoms relatifs « lesquelles » et « qui », dont l’emploi marque un passage par la mémoire discursive, remplacent le substantif « étapes ». 67 A la différence du sens très précis attribué à la notion de construction détachée par Combettes (1998), nous utilisons ce terme dans son acception plus large, en désignant par détachement « le fait qu’un constituant se trouve isolé du reste de la phrase – cette séparation se marquant d’ordinaire par des faits de ponctuation et par des faits prosodiques. » Il s’agit d’ « une série assez hétéroclite d’énoncés qui auront pour seul point commun de comprendre un constituant en position frontale, séparé par une virgule de la suite de l’énoncé » (Combettes 1998: 9-10).

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[55] et [57]), dont certaines rentrent également dans la catégorie des détachements à gauche;

- les propositions coordonnées (actes [4], [23] et [31])68.

Malgré cet isomorphisme, les unités syntaxiques se distinguent clairement des unités textuelles par le type de « relations de discours » (Roulet 2002a) qu’elles entretiennent avec d’autres constituants (les unités syntaxiques au niveau de la forme d’organisation sémantique, les unités textuelles au niveau de la forme d’organisation relationnelle)69.

Quant aux indices graphiques, ils se combinent avec les indices de nature syntaxique, mais peuvent parfois intervenir de manière plus indépendante et marquer, en l’absence d’autres indices, les frontières des constituants textuels (actes [21], [35], [39], [44-46], [49], [58-59]). C’est à partir du découpage du texte en actes que nous procéderons à l’établissement de sa macro-structure hiérarchique, en combinant deux démarches méthodologiques complémentaires, l’une descendante l’autre ascendante. 2.3.2.2. Le schéma de la macro-structure hiérarchique

Selon Roulet (2001c), l’analyste peut recourir à divers instruments heuristiques pour attribuer, à titre d’hypothèse, telle ou telle structure hiérarchique textuelle à une intervention particulière. Il peut faire appel à des informations d’ordres très divers, tels que « la reconstruction du processus de négociation sous-jacent, la possibilité de supprimer un constituant subordonné, la présence d’un connecteur (ou la possibilité d’en insérer un dans la séquence, sans modifier l’interprétation de celle-ci), voire les indications données par la ponctuation ou la prosodie » (2001c: 76).

Dans l’exemple de l’article étudié, la macro-structure hiérarchique correspond à la structure émergente d’une étape du processus de négociation sous-jacent à l’interaction médiatique. Il s’agit de la réaction du journaliste à la mise en scène médiatico-politique de la cérémonie de signature des accords de Dayton.

La représentation schématique de sa macro-structure textuelle (Figure 19) met en évidence, dans un premier temps, les relations de dépendance entre les unités péritextuelles et les unités textuelles. Ces relations ne doivent pas être 68 En revanche, « ni les complétive ni les syntagmes détachés à droite ne constituent des actes distincts » (Roulet 2001c: 74) 69 Roulet (2002a) utilise l’approche modulaire comme instrument heuristique pour approfondir et préciser la notion de relation de discours. A partir de la notion de « mémoire discursive » introduite par Berrendonner (1983), Roulet établit une distinction entre différents types de relations de discours, textuelles (qui affectent les unités hiérarchiques), sémantiques (qui concernent les constituants de la structure syntaxique) et praxéologiques (qui s’établissent entre les unités praxéologiques), en précisant que ces relations de discours n’articulent pas deux segments textuels, mais un segment textuel et une information en mémoire discursive, qui peut éventuellement avoir sa source dans le constituant antérieur.

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confondues avec les relations de discours praxéologiques entre deux phases constitutives d’un épisode praxéologique, comme l’a montré Roulet (2002a).

Sur le plan de la structure hiérarchique, le titre et le sous-titre de cet article ([1-4]), forment une intervention subordonnée par rapport à l’intervention constituée par l’ensemble des unités textuelles ([5-61]). En revanche, ils correspondent à la phase de préparation dans la structure d’un épisode praxéologique.

Le découpage en paragraphes nous a permis d’identifier les constituants de la macro-structure hiérarchique de la seconde intervention ([5-61]). Nous avons obtenu un schéma qui comporte huit interventions, correspondant respectivement aux actes [5-9], [10-16], [17-23], [24-27], [28-39], [40-49], [50-53] et [54-61].

Is [24-27]

Is [28-39]

Ip [40-49]Ip

Ip [50-53]

Ip [18-23]

As [17] Is

Ip [10-16]

Is [5-9]

Ip

Ip

Is [1- 4]

I

Is

Is

Ip [54-61]

Is

Ip

Figure 19 : Le schéma de la macro-structure hiérarchique d’un article de presse

en revanche

d’ailleurs

A 11 h. 35

A partir de 12 h. 30

A 13 h. 30

Grâce à la présence des connecteurs en revanche et d’ailleurs, introduisant respectivement un constituant principal et un constituant subordonné, nous avons établi les relations de dépendance entre les deuxième ([10-16]) et troisième ([17-23]) interventions, ainsi qu’entre l’intervention de rang supérieur qu’elles forment ([10-23]) et la première intervention ([5-9]).

Alors que dans la première partie de l’article ([5-23]), le journaliste réagit à l’événement en le commentant, dans la deuxième partie ([24-61]), il se contente de relater les faits, en combinant les éléments de la description d’action avec les effets narratifs (4.1.3.3.). Chacun des constituants de cette grande séquence (voir aussi la Figure 18) est subordonné au constituant suivant. Dans la détermination du nombre de constituants, nous avons tenu compte des indices syntaxiques. A part le constituant ([24-27]) qui introduit cette séquence, les trois constituants qui

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suivent ([28-49], [50-53] et [54-61]) sont caractérisés par la présence, en position frontale, d’un syntagme détaché à gauche qui marque la succession temporelle (à 11 h. 35; à partir de 12 h. 30; à 13 h. 30). En l’absence de ce marqueur, nous avons rattaché l’intervention ([40-49]) à l’intervention précédente ([28-39]). Le critère de suppression nous a permis de constater que la séquence des actes [10] à [16] peut résumer la première grande intervention ([5-23]):

[10] La télévision, en revanche, a bien fait les choses, [11] notamment la télévision publique. [12] Les téléspectateurs auront tous compris qu’il était important de bien mesurer le rôle historique joué en cette circonstance par la France en général et son président en particulier. [13] A défaut d’avoir pris une part déterminante à l’essentiel lors des négociations de Dayton, [14] maîtrisées par Bill Clinton, [15] Jacques Chirac tenait à partager l’événement avec le président des Etats-Unis [16] au moment où la signature de ce traité par les ennemis d’hier conférait une lourde symbolique à une accessoire séance de signatures.

De la même façon, la séquence des actes [54] à [61] résume la deuxième grande intervention ([24-61]):

[54] A 13 h. 30, [55] les apéritifs étant consommés, [56] les quelque 50 invités du président de la République ont pris place à bord d’un bus spécial [57] pour éviter les embouteillages [58] (à l’exception de Bill Clinton [59] qui a fait le trajet dans sa limousine blindée). [60] Un banquet les attendait de l’autre côté de la Seine, au Quai d’Orsay, dans les salons du Ministère des affaires étrangères [61] où les deux pièces maîtresses du menu choisi, le homard de Bretagne et le chapon de Bresse, ont fait, paraît-il, l’unanimité.

Ces deux séquences entretiennent les mêmes rapports de dépendance que les deux grandes interventions ([5-23] et [24-61]) qu’elles résument. La première séquence ([10-16]), qui subordonne la seconde ([54-61]), constitue ainsi un bref résumé de l’ensemble du texte. 2.3.2.3. La structure hiérarchique interne des interventions constitutives d’un texte journalistique Nous allons maintenant essayer d’approfondir la description de la structure hiérarchique des deux grandes interventions de la macro-structure hiérarchique que nous venons de décrire.

Le critère de suppression, combiné avec les indices lexicaux et syntaxiques, nous permet d’établir la structure hiérarchique interne des constituants de la première grande intervention ([5-23]).

Les syntagmes détachés à gauche ([6] et [20]) occupent la position subordonnée par rapport au constituant du même rang qui suit. Nous avons considéré que les relatives appositives, de même que les constructions participiales ayant une valeur analogue, correspondent, sur le plan textuel, aux

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actes subordonnés ([9] et [14])70. Les marqueurs surtout et notamment introduisent un constituant subordonné ([8] et [11]). Nous avons estimé que les actes qui correspondent aux subordonnées temporelles ([16]) et causales ([13] et [18]) ont un statut subordonné par rapport au constituant du même rang qu’ils précèdent ou suivent. Finalement, c’est en nous appuyant sur le critère de suppression que nous avons pu établir les rapports de dépendance entre les interventions correspondant aux actes [10-11] et [12-15], ou entre celles constituées des actes [18-19] et [20-23].

La structure hiérarchique de la première grande intervention ([5-23]) peut être représentée par le schéma suivant:

As [18] Nul n ’étant jamais mieux servi que par soi-même,

Ap [19] le chef de l’Etat a d’ailleurs tenu à rappeler ...

Ap [20] Autant d’étapes –

As [21] a fait observer M. Chirac –

A [22] dans lesquelles la part de la France ...

A [23] et qui ont « créé les conditions du succès ...Ip

IsIs

Ip

Ip

Ap [5] Il est peu probable que les Parisiens gardent un grand souvenir ...

As [6] Dans leur mémoire collective

IpAp [7] ce jeudi 14 décembre 1995 restera plus sûrement associé ...

Ip Ap [10] La télévision, en revanche, a bien fait les choses,

Ap [13] A défaut d’avoir pris une part déterminante ...

Ip Ap [15] Jacques Chirac tenait à partager l’événement ...

IsIs

Is

Is

Ip

I

Ap [8] surtout dans les parages de l’Elysée et des Invalides

As [9] où l’interdiction de la circulation n’a fait qu’exaspérer ... Is

As [17] « Contribution déterminante »

As [11] notamment la télévision publique.

Ap [12] Les téléspectateurs auront tous compris qu’il était important ...

As [16] au moment où la signature de ce traité ...

Ip

Is

As [14] maîtrisées par Bill Clinton,Is

Figure 20 : Le schéma de la structure hiérarchique de la première grande intervention ([5-23])

A la différence de cette première partie de l’article, qui représente un commentaire journalistique, la deuxième partie ([24-61]) constitue une description du déroulement de la réunion. Elle comporte, au niveau de la macro-structure hiérarchique, quatre constituants ([24-27], [28-49], [50-53] et [54-61]), dont chacun est subordonné au constituant suivant (voir aussi les Figures 18 et 19). 70 Cependant, si la proposition relative est précédée d’un syntagme détaché à gauche ([20]), c’est ce dernier qui occupe la position subordonnée.

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Le deuxième constituant ([28-49]), dont la structure hiérarchique est représentée plus loin (Figure 22), peut être analysé en deux interventions ([28-39]) et ([40-49]). Celles-ci ont une structure hiérarchique similaire, caractérisée par les détachements à gauche, de même que l’ensemble de la deuxième partie du texte. L’acte [28] et la séquence des actes [40-41] sont subordonnés aux constituants qui occupent le même rang ([29-31] et [42-47]), avec lesquels ils forment, à un niveau hiérarchique plus élevé, deux interventions ([28-31] et [40-47]). Celles-ci sont subordonnées aux interventions qui suivent ([32-39] et [48-49]).

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Ip [28- 49] A 11 h. 35,

Is

Ap [24] Les images télévisée ont scrupuleusement raconté...

A- I [25] La cérémonie a eu lieu dans la salle ...

Ap [26] Elle s’est déroulée en présence ...

As [50] A partir de 12 h. 30, Ap [51] 12 discours ont suivi, de six à sept minutes chacun,

As [52] parmi lesquels ceux des principaux intéressés,

Ap [53] mais aussi ceux du secrétaire général de l’ONU ...

As [54] A 13 h. 30,

As [55] les apéritifs étant consommés,

As [56] les quelque 50 invités du président ...

Ap [57] pour éviter les embouteillages

Ap [58] (à l’exception de Bill Clinton

As [59] qui a fait le trajet dans sa limousine blindée).

Ap [60] Un banquet les attendait de l’autre côté de la Seine, au Quai d’Orsay ...

As [61] où les deux pièces maîtresses du menu choisi, le homard de Bretagne ...

Ip Ip

As [27] réunis sous un plafond peint ...I

Figure 21 : Le schéma de la structure hiérarchique de la deuxième grande intervention ([24-61])

A part les syntagmes détachés à gauche ([28], [36], [42], [50] et [54]), les relatives appositives ([37], [45], [52], [59] et [61]) et les participiales ayant une valeur analogue ([27], [30] et [31]), les subordonnées causales et temporelles (y compris les constructions participiales) ([55]), qui correspondent aux actes subordonnés, les subordonnées finales71 (y compris les constructions infinitives)

71 Nous avons considéré que le connecteur pour dans l’acte [57] introduit le constituant principal. Faute d’études plus approfondies sur son rôle, nous nous sommes appuyée sur un certain nombre d’informations relevant du module référentiel. En effet, les informations d’ordres praxéologique et conceptuel nous ont permis de conclure que le journaliste a voulu

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([57]) ou la présence du connecteur mais ([53]) qui indiquent, sur le plan textuel, le constituant principal, nous avons repéré d’autres types d’indices qui nous ont permis de compléter la description de la structure hiérarchique de cette intervention.

Nous avons attribué un statut subordonné par rapport au constituant précédent à toutes les explications mises entre parenthèses ou précédées de deux points ([35], [39], [44-46], [49] et [58-59]). Nous avons observé que la séquence des actes [42] à [44], mise entre parenthèses, est subordonnée à l’acte [41]. Le critère de suppression nous a permis de déterminer les rapports de subordination entre les actes [41] et [45].

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A [45] qui l’a acceptée A [46] puis l’a tendue ...

I

As [47] sous les applaudissements de l’éminente assistance.

As [28] A 11 h. 35, Ap [29] Jacques Chirac est entré le premier,

A [30] encadré par Bill Clinton et par le Premier ministre ...A [31] et suivi par les signataires du traité de paix ...

Ap [32] Tous ont pris place sur une estrade drapée de vieux rose. Ap [33] Chacun s’est posté devant son drapeau.

Ap [34] Dans l’ordre alphabétique : As [35] l’Allemagne, la Bosnie, la Croatie ...

Ap [36] Sur le rebord de la table en bois blanc, As [37] où attendaient trois maroquins rouges, Ap [38] une inscription avait été gravée :As [39] « Conférence de la Paix sur l’ex-Yougoslavie. Paris. »

As [40] Jacques Chirac a parlé pendant une dizaine de minutes. Ap [41] Puis le Bosniaque Alija Izetbegovic, le Croate Franjo Tudjman ... As [42] Après un instant d’hésitation,

Ap [43] ils se sont serré la main Ap [44] (c’est le Croate qui a tendu ...

Ap [48] Ensuite, leurs trois paraphes ont été « parrainés » par les cosignatures ...As [49] le chancelier allemand Helmut Kohl, le Premier ministre britannique, John Major ...

Figure 22 : Le schéma de la structure hiérarchique de la séquence des actes [28] à [49]

Si nous appliquons le critère de suppression à l’intervention correspondant aux actes [24] à [47], nous pouvons constater que les séquences descriptives, correspondant aux actes [25-27], [33-39] et [44-46], qui appartiennent à l’arrière plan, ont un statut subordonné et pourraient être facilement supprimées:

insister sur le concept d’« embouteillages » et sur les problèmes auxquels a dû faire face l’organisateur de cette réunion diplomatique.

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[24] Les images télévisées ont scrupuleusement raconté ce moment solennel gravement mis en scène. [28] A 11 h. 35, [29] Jacques Chirac est entré le premier, [30] encadré par Bill Clinton et par le Premier ministre russe, Viktor Tchernomyrdine, [31] et suivi par les signataires du traité de paix, au nombre de 9. [32] Tous ont pris place sur une estrade drapée de vieux rose. [40] Jacques Chirac a parlé pendant une dizaine de minutes. [41] Puis le Bosniaque Alija Izetbegovic, le Croate Franjo Tudjman et le Serbe Slobodan Milosevic ont tour à tour accompli le geste attendu. [42] Après un instant d’hésitation, [43] ils se sont serré la main [47] sous les applaudissements de l’éminente assistance.

Si la deuxième partie de l’article ([24-61]) est très peu marquée par les

connecteurs (à l’exception de l’acte [53]), elle abonde en adverbes et locutions adverbiales de temps (dans les actes [28], [41], [42], [46], [48], [50] et [54]), qui subordonnent le constituant précédent (à l’exception de l’acte [46] que nous avons interprété comme indépendant de l’acte [45]).

[44] (c’est le Croate qui a tendu la main au Serbe, [45] qui l’a acceptée [46] (et) puis (qui) l’a tendue au Bosniaque)

Les constituants indépendants au niveau de la structure hiérarchique

correspondent aux propositions juxtaposées ou coordonnées au niveau de la structure syntaxique (actes [22-23], [25-26] et [30-31]).

Cette description a mis en évidence la complexité des structures textuelles

du discours journalistique et leurs interrelations avec les structures syntaxiques, surtout dans la segmentation du texte en unités textuelles minimales et dans l’établissement des rapports de dépendance entre celles-ci. Afin de mieux distinguer les informations modulaires de diverses natures, ainsi que les différents types de relations de discours, nous compléterons notre inventaire par des informations de nature syntaxique et lexicale. Celles-ci ayant fait l’objet d’une longue tradition de recherches très approfondies, nous n’avons pas la prétention de faire un inventaire complet des informations linguistiques qui participent à la production et à l’interprétation du discours, mais nous contenterons de survoler quelques points qui nous semblent pertinents pour l’analyse des stratégies discursives du journalisme politique dans une perspective cognitive interactionniste.

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2.4. Les informations relevant de la dimension syntaxique L’analyse des dimensions linguistiques permet de rendre compte des moyens langagiers mobilisés dans la réalisation d’une stratégie discursive. « Le module syntaxique définit les catégories et les règles syntaxiques qui permettent d’engendrer les structures syntaxiques de toutes les propositions maximales de la langue » (Roulet 1999: 215). Sans la moindre prétention à l’exhaustivité, un examen, même rudimentaire, d’informations d’ordre syntaxique s’impose dans la mesure où celles-ci interviennent dans différentes étapes de la production et de l’interprétation du discours:

- elles facilitent le découpage du texte en actes, en tant qu’indices d’un passage en mémoire discursive marquant les frontières entre unités textuelles minimales;

- certaines tournures syntaxiques servent de marques des structures informationnelle / topicale, séquentielle / compositionnelle et énonciative / polyphonique du discours;

- certaines catégories syntaxiques marquent le degré de prise en charge énonciative des propositions.

Par conséquent, les informations d’ordre syntaxique participent à la définition des différentes catégories discursives (unité périodique, topique/propos, séquences narrative/descriptive/délibérative, discours produit/discours représenté, modalisation) et à l’élaboration des différentes formes d’organisation du discours, des plus simples au plus complexes.

Cependant, l’absence de correspondance entre les catégories discursives et les marques formelles de nature linguistique72 impose l’abandon de l’approche grammaticale des données syntaxiques au profit d’une approche discursive. Celle-ci devrait permettre de regrouper les informations d’ordre syntaxique autour des trois principaux axes de réflexion:

- Les interrelations entre les unités syntaxiques et textuelles. Il nous semble qu’une approche discursive des informations d’ordre syntaxique devrait rendre compte, dans un premier temps, de leurs interrelations avec les informations d’ordre textuel. En effet, « la même structure hiérarchique discursive peut être réalisée par des structures syntaxiques différentes : juxtaposition de deux propositions indépendantes, ou proposition indépendante formée d’une proposition principale et d’une proposition subordonnée » (Roulet 1995: 128). Nous essaierons d’inventorier les principales structures syntaxiques du point de vue du degré de leur correspondance avec les unités textuelles minimales (2.4.1.).

- Les constructions syntaxiques propres aux différentes formes d’organisation du discours journalistique. Une autre manière de dépasser 72 Grobet (2002) souligne, à propos de l’organisation informationnelle du discours, l’importance cruciale de « la question de l’absence de correspondance entre les fonctions informationnelles (topique, commentaire, etc.) et les marques formelles (lexicales, syntaxiques, etc.) » (2002: 31).

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l’approche grammaticale des structures syntaxiques consiste à analyser celles-ci en tenant compte de la spécificité de la situation d’interaction et du cadre actionnel dans lesquels ces constructions apparaissent (2.4.2.). Nous faisons l’hypothèse que le choix d’une tournure syntaxique n’est pas le fruit du hasard, mais traduit le mieux les objectifs poursuivis par les interactants dans une situation d’interaction spécifique. La dimension syntaxique du discours journalistique peut être abordée sous l’angle de ses interrelations avec la dimension interactionnelle et avec les buts et les visées communicationnelles caractéristiques de ses différents genres : presses écrite, radiophonique et télévisuelle.

- Les marques syntaxiques des degrés de prise en charge énonciative des propositions, liée à la notion de modalisation73, nous permettront d’affiner l’analyse des interrelations complexes entre les dimensions hiérarchiques textuelle et syntaxique (2.4.3.). Nous n’aborderons que celles parmi ces marques que nous aurons jugées nécessaires à l’analyse des stratégies de production et d’interprétation du discours de la presse écrite, telles que l’emploi des formes verbales (2.4.3.1.), les constructions segmentées et clivées (2.4.3.2.) ou les différentes formes d’enchâssement du discours représenté dans le discours produit par le journaliste (2.4.3.3.).

Une telle mise en relation des données syntaxiques et textuelles, tout arbitraire et incomplète soit-elle, nous préserve des dangers d’une description purement quantitative de la composante linguistique de l’organisation du discours et d’un « verbocentrisme inadapté à la complexité et à la variété des productions sémiotiques » (Filliettaz 2001c: 325). 2.4.1. La discontinuité entre les structures syntaxique et textuelle Nous avons déjà pu observer, à propos du découpage du texte en actes, la discontinuité entre structures hiérarchiques textuelle et syntaxique et l’absence de frontière étanche qui se situerait au niveau des unités textuelles minimales (actes) et des unités syntaxiques maximales (propositions maximales). Une proposition maximale correspond à un seul acte textuel dans un nombre limité de cas: ceux de la proposition indépendante (a) et de la proposition complexe comportant une subordonnée complétive (b) et/ou relative déterminative (ou d’une construction participiale ayant une valeur analogue) (c):

73 « La modalisation est la composante du procès d’énonciation permettant d’estimer le degré d’adhésion du locuteur à son énoncé ». Cette notion est liée aux concepts de distance, de transparence et de tension. « Le concept de distance envisage le rapport entre sujet et monde par l’intermédiaire de l’énoncé ». « Le concept de transparence étudie la présence ou l’effacement du sujet d’énonciation ». « Le concept de tension enregistre les rapports entre locuteur et interlocuteur par le moyen du texte ». (Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Larousse, 1994).

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a) [25] La cérémonie a eu lieu dans la salle des fêtes du Palais de l’Elysée. b) [5] Il est peu probable que les Parisiens gardent un grand souvenir de la

signature de l’accord de paix sur la Bosnie. c) [12] Les téléspectateurs auront tous compris qu’il était important de bien mesurer le

rôle historique joué en cette circonstance par la France en général et son président en particulier.

D’autres cas de figure peuvent cependant se présenter: la proposition

principale et la(les) proposition(s) subordonnée(s) correspondent chacune à un acte textuel, dans le cas des propositions complexes comportant une relative appositive (d) et/ou une subordonnée circonstancielle (e)74:

d) [60] Un banquet les attendait de l’autre côté de la Seine, au Quai d’Orsay, dans les

salons du Ministère des affaires étrangères [61] où les deux pièces maîtresses du menu choisi, le homard de Bretagne et le chapon de Bresse, ont fait, paraît-il, l’unanimité.

e) [2] Alors que les présidents Milosevic, Tudjman et Izetbegovic signaient

l’accord de paix au Palais de l’Elysée, [3] un hélicoptère français a été mitraillé par des éléments de l’armée bosniaque [4] et quatre grenades ont explosé dans le centre de Sarajevo

S’y apparente le cas des constructions participiales et infinitives75 ayant la

valeur de propositions subordonnées circonstancielles (f) ou de relatives appositives (g): f) [18] Nul n’étant jamais mieux servi que par soi-même, [19] le chef de l’Etat a

d’ailleurs tenu à rappeler que « la contribution déterminante de la diplomatie américaine » dans « le succès de Dayton » avait été précédée par « la mise en place de la Force de réaction rapide » en Bosnie et par « l’harmonisation progressive des positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, dans le cadre du Groupe de contact mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ».

g) [26] Elle s’est déroulée en présence d’un parterre de ministres, ambassadeurs,

hauts fonctionnaires et hauts militaires, [27] réunis sous un plafond peint présentant la République en « sauvegarde de la paix ».

74 « A côté des cas où les frontières syntaxiques et discursives coïncident, avec superposition d’une proposition maximale et d’un acte discursif, ou de deux propositions maximales et de deux actes discursifs, on observe des cas où elles ne coïncident pas, une proposition maximale correspondant à deux actes discursifs » (Roulet 1995: 127). 75 Nous utilisons le terme de constructions participiale et infinitive, celui de propositions subordonnées participiale et infinitive étant réservé, selon certains grammairiens, aux participes et aux infinitifs dont le sujet n’est pas identique à celui de la proposition principale.

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Les syntagmes nominaux et prépositionnels, détachés à gauche (h), constituent également des actes distincts, subordonnés à l’ensemble des actes textuels correspondant au reste de la proposition: h) [54] A 13 h. 30, [55] les apéritifs étant consommés, [56] les quelque 50 invités du

président de la République ont pris place à bord d’un bus spécial [57] pour éviter les embouteillages[58] (à l’exception de Bill Clinton [59] qui a fait le trajet dans sa limousine blindée).

Les incises (i) peuvent également être considérées comme actes distincts,

la deuxième partie de la proposition initiale que nous avons reconstituée (j) étant détachée en position frontale76: i) [20] Autant d’étapes – [21] a fait observer M. Chirac – [22] dans lesquelles la

part de la France a été importante [23] et qui ont « créé les conditions du succès des négociations de Dayton ».

au lieu de j) [20] M. Chirac a fait observer qu’il s’agissait d’ « autant d’étapes [21] dans

lesquelles la part de la France a été importante [22] et qui ont « créé les conditions du succès des négociations de Dayton ».

Le dernier exemple permet d’observer que les propositions coordonnées qui forment une seule proposition syntaxique, sont également considérées comme des actes distincts ([21] et [22]).

Les exemples ci-dessus témoignent des interrelations fines et complexes, et non pas d’une coupure nette, entre structures syntaxique et textuelle. Ils montrent que, tous types de séquence confondus, ce n’est pas au niveau de la proposition syntaxique maximale que le degré d’isomorphisme avec les unités textuelles minimales est le plus élevé, mais au niveau des constituants syntaxiques de rang inférieur (propositions principales et subordonnées, constructions participiales et infinitives, syntagmes nominaux et prépositionnels détachés à gauche, incises), et que, par conséquent, il y a une « discontinuité » (Roulet 1995: 126)77 entre structures hiérarchiques textuelle et syntaxique.

76 Dans ce type de segmentation, « le propos éclate par surprise, et le thème est comme l’écho de cette explosion » (Bally 1946: 69). 77 « Contrairement aux approches qui posent intuitivement une relation biunivoque entre l’acte de langage, qui serait l’unité minimale du discours, et la proposition syntaxique, on ne peut affirmer ni que l’unité discursive minimale se réalise sous la forme de l’unité syntaxique maximale, la proposition maximale, ni qu’elle est constituée au plan syntaxique de propositions maximales. C’est d’ailleurs pourquoi on doit affirmer, contre Benveniste (1966), que le discours présente une structure hiérarchique, mais qu’on doit aussi admettre avec lui qu’il y a discontinuité entre structures syntaxiques et discursives, entre langue et discours. » (Roulet 1995: 126)

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2.4.2. Les constructions syntaxiques caractéristiques du discours journalistique

Les choix discursifs qui caractérisent le discours du journalisme politique sont déterminés, dans une large partie, par la logique médiatique et par le rôle des médias audiovisuels dans la communication politique. Le souci du court terme, l’accélération de la circulation des informations, la dramatisation et la spectacularisation – certains des aspects de la communication médiatique – vont de pair avec la traduction de problèmes politiques complexes en un langage « bref, court et direct », avec une symbolisation accrue, avec une information fragmentaire – au détriment des analyses globales et complexes. « Les débats politiques médiatisés peuvent entraîner, nécessitent même, une certaine simplification. Le propre des hommes politiques et des médias ne consiste-t-il pas à présenter de manière simple des problèmes complexes, de façon à ce qu’ils soient accessibles à un large public ? La simplification, la vulgarisation, la réécriture des problèmes spécialisés et complexes représentent des dimensions majeures de l’élargissement de la participation et de la communication politiques » (Windisch 1996: 23).

Ces caractéristiques du langage médiatique se manifestent au niveau du choix des tournures syntaxiques. Les tournures elliptiques (a), des formules brèves et condensées (b) attirent l’attention du lecteur par leur caractère inachevé ou ambigu, qui demande un certain effort interprétatif:

a) [34] Dans l’ordre alphabétique: [35] l’Allemagne, la Bosnie, la Croatie, les Etats-

Unis, l’Union européenne, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, la Serbie. (proposition présentant une ellipse du verbe)

b) [17] « Contribution déterminante »

L’alternance des propositions qui forment des unités périodiques de

longueurs différentes permet de maintenir l’attention du lecteur (c): c) [1] LA BOSNIE MEURTRIE ATTEND LA RECONCILIATION

[2] Alors que les présidents Milosevic, Tudjman et Izetbegovic signaient l’accord de paix au Palais de l’Elysée, [3] un hélicoptère français a été mitraillé par des éléments de l’armée bosniaque [4] et quatre grenades ont explosé dans le centre de Sarajevo

Les constructions segmentées (d) et clivées (e), qui produisent un effet de surprise au niveau de l’organisation informationnelle, contribuent également à maintenir l’attention du lecteur: d) [20] Autant d’étapes – [21] a fait observer M. Chirac – [22] dans lesquelles la part

de la France a été importante [23] et qui ont « créé les conditions du succès des négociations de Dayton ».

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e) [42] Après un instant d’hésitation, [43] ils se sont serré la main [44] (c’est le Croate qui a tendu la main au Serbe, [45] qui l’a acceptée [46] puis l’a tendue au Bosniaque) [47] sous les applaudissements de l’éminente assistance.

Les répétitions (i) et les énumérations (k) produisent un effet de

redondance et facilitent la réception de l’information: i) [2] Alors que les présidents Milosevic, Tudjman et Izetbegovic signaient l’accord

de paix au Palais de l’Elysée, [3] un hélicoptère français a été mitraillé par des éléments de l’armée bosniaque [4] et quatre grenades ont explosé dans le centre de Sarajevo

[5] Il est peu probable que les Parisiens gardent un grand souvenir de la signature de l’accord de paix sur la Bosnie.

k) [48] Ensuite, leurs trois paraphes ont été « parrainés » par les cosignatures des trois illustres « témoins »: [49] le chancelier allemand Helmut Kohl, le Premier ministre britannique, John Major, le Premier ministre espagnol, Felipe Gonzales, présent en tant que président en exercice de l’Union européenne, et le Premier ministre russe.

Certaines tournures syntaxiques, telles les constructions attributives et

appositives de types identifiant et qualifiant (k) ou les syntagmes nominaux longs et complexes (l), liés au phénomène de « nominalisation », assurent une plus grande « densité d’information » (Combettes 1988: 80). l) [6] Dans leur mémoire collective [7] ce jeudi 14 décembre 1995 restera plus

sûrement associé au souvenir d’une nouvelle journée d’embouteillages monstres pour cause de 21e jour de grève dans les transports publics, [8] surtout dans les parages de l’Elysée et des Invalides [9] où l’interdiction de la circulation n’a fait qu’exaspérer davantage les automobilistes.

Certaines constructions syntaxiques (appelées traditionnellement discours

direct, indirect et indirect libre) permettent d’introduire dans le texte des citations (marquées par des signes de ponctuation adéquats: deux-points, guillemets ou tirets), dont la longueur varie (mot, syntagme, proposition), de même que leur effet d’objectivation ou de distanciation (m) ou leur orientation argumentative, allant dans le même sens que celle du journaliste (citation d’autorité) ou s’y opposant (m):

m) [18] Nul n’étant jamais mieux servi que par soi-même, [19] le chef de l’Etat a

d’ailleurs tenu à rappeler que « la contribution déterminante de la diplomatie américaine » dans « le succès de Dayton » avait été précédée par « la mise en place de la Force de réaction rapide » en Bosnie et par « l’harmonisation progressive des positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, dans le cadre du Groupe de contact mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ». [20] Autant d’étapes – [21] a fait observer M. Chirac – [22] dans lesquelles la part de la France a été importante [23] et qui ont « créé les conditions du succès des négociations de Dayton ».

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Le dernier exemple illustre la manière dont se combinent les discours direct et indirect (ce dernier est marqué par la présence des verbes de parole, en l’occurrence rappeler et faire observer dans les actes [19] et [21]) dans une forme hybride qui n’appartient ni à l’un ni à l’autre type de discours rapporté ([20-23]). Si on ajoute à de tels exemples le cas suivant (n): n) [40] Jacques Chirac a parlé pendant une dizaine de minutes. on comprend bien pourquoi les appellations traditionnelles ont été abandonnées dans le modèle genevois au profit de celles de « discours représentés formulés (de manière directe, indirecte et indirecte libre), désigné et implicité » (Roulet 1999). Le dernier type de construction est révélateur des interrelations entre les dimensions syntaxique, interactionnelle et référentielle du discours du journalisme politique78. Les différentes formes du discours représenté formulé marquent dans « l’information politique » (Charaudeau 1997: 160) une frontière entre deux voix (celle du journaliste et celle d’un homme politique) qui relèvent de niveaux d’interaction distincts, et entre deux univers du discours et deux types de discours (médiatique et politique) différents79.

La spécificité des ressources langagières mobilisées par les presses écrite, radiophonique et télévisuelle fournit un autre exemple d’interrelations entre les dimensions linguistiques et interactionnelle. Si la communication médiatique est caractérisée, d’une manière générale, par un langage bref, court et direct et par des interventions textuelles relativement concises, à chaque situation de communication s’attache un « dispositif » particulier80. En effet, pour mettre en scène un événement médiatique, les presses écrite, radiophonique et télévisuelle exploitent des ressources langagières et du « matériau » différent: « l’oralité, la scripturalité, la gestualité et l’iconicité », éléments qui relèvent respectivement des « systèmes phonique, graphique, mimogestuel et iconique » (Charaudeau 1997: 118) et qui font partie des dispositifs scéniques particuliers. C’est dans le processus d’ajustement des procédés discursifs caractéristiques du langage médiatique aux « dispositifs de contact, de spectacle et de lisibilité » (id. 119) que se sont constitués les discours respectifs des presses radiophonique, télévisuelle et écrite. Charaudeau a montré que les caractéristiques générales de la voix, de l’image et de l’écrit ont des incidences sur les représentations du temps, de l’espace et des conditions de réception que construisent chacun de ces

78 Si l’on met en relation les informations d’ordre interactionnel et syntaxique, on peut constater que les notions relatives aux « opérations de rubriquage » (Charaudeau 1997), au style individuel d’un journaliste et au style de la rédaction du journal relèvent de niveaux d’interaction différents. 79 Quant à la distinction entre l’information politique et les autres types d’information médiatique, « informations culturelle, sportive, sociale et pratique » (Charaudeau 1997: 160), elle relèverait, du moins en partie, du niveau de l’interaction représentée. 80 Charaudeau définit le dispositif comme « une composante du contrat de communication sans laquelle il n’est pas d’interprétation possible des messages », qui comprend « un ou plusieurs types de matériau et se constitue en support à l’aide d’une certaine technologie » (1997: 118).

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trois médias. Dans une perspective modulaire, nous aborderons la problématique de l’ « espace stratégique » (id. 126) développé par un média en termes d’influence des différents paramètres interactionnels (tels le canal d’interaction ou le degré de co-présence spatio-temporelle) sur les stratégies de production et d’interprétation déployées par les interactants.

La structure syntaxique du discours de la presse radiophonique est caractérisée par l’importance de l’intonation et de l’organisation prosodique dans la structuration du sens. Deux principales stratégies interprétatives déployées par l’auditeur, l’une qui recourt à « la reconstruction imaginée libre à l’aide d’associations personnelles » et l’autre qui repose sur une « logique juxtapositive » (id. 120-121), commandent le choix du lexique et des constructions syntaxiques. Le discours de la presse télévisuelle est marqué par l’interdépendance de la parole et de l’image, qui abolit la distance temporelle et crée l’illusion de la co-présence spatiale. Bien qu’il s’agisse du « média du visible », qui propose deux types de regards: l’un de « transparence », en prétendant découvrir le caché, et l’autre d’ « opacité », en imposant sa propre dramatisation (id. 125), le sens des images télévisées dépend du commentaire qui les accompagne. Quant à la presse écrite, le canal écrit et la distance spatio-temporelle autorisent des constructions syntaxiques plus élaborées, des développements explicatifs qui procèdent par subordinations et enchâssements d’arguments. Le canal écrit élargit ainsi l’espace stratégique de production et d’interprétation, mais impose des procédés qui annulent le décalage temporel entre l’événement brut, l’événement médiatique et l’événement interprété. 2.4.3. Les marques syntaxiques des buts et des visées communicationnelles

Afin de compléter la liste des informations d’ordre syntaxique pertinentes pour l’analyse des stratégies discursives de la presse écrite, nous étudierons les interrelations entre la dimension syntaxique et les principaux buts (rapporter/ commenter) et visées communicationnelles (informer/ expliquer/ capter/ argumenter) du discours de la presse écrite.

Nous faisons l’hypothèse que certaines marques syntaxiques permettent de distinguer deux attitudes opposées de l’instance médiatique, l’une qui consiste à rapporter les événements, l’autre à les commenter, l’une qui vise à informer l’instance de réception ou à lui expliquer quelque chose, l’autre à la séduire ou la convaincre de la justesse des arguments avancés. L’étude des marques morphosyntaxiques d’un langage plus marqué du point de vue de l’expression de la subjectivité, qui sont révélatrices de la deuxième attitude (telles l’emploi des temps commentatifs ou des modes autres que l’indicatif), ne nous intéresse cependant que dans la mesure où elle contribue à une description plus complète de la dimension syntaxique du discours de la presse écrite et d’une analyse plus fine de ses interrelations avec la dimension textuelle (les constructions détachées, les différentes formes du discours représenté).

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2.4.3.1. L’emploi des formes verbales: « temps narratifs » et « temps commentatifs » (Weinrich 1964)

Cette brève analyse de l’emploi des formes verbales portera principalement sur les temps verbaux, et, dans une moindre mesure, sur les catégories de mode et de voix.

Nous analyserons l’emploi des temps verbaux sous l’angle des oppositions énonciatives établies par Harald Weinrich (1964) et Emile Benveniste (1966), et affinées par Jean-Michel Adam (1997b)81. Nous nous référerons à la théorie des temps verbaux élaborée par Harald Weinrich, qui fait appel à trois axes d’analyse: l’attitude de locution (récit – commentaire), la perspective de locution (information rapportée – degré zéro – information anticipée) et la mise en relief (premier plan – arrière plan) pour rendre compte des différents types de transitions temporelles.

(Dans le découpage en propositions maximales proposé ci-dessous, nous avons maintenu la numérotation en actes, pour mettre en évidence la discontinuité entre les dimensions hiérarchiques textuelle et syntaxique. Les frontières entre unités syntaxiques sont marquées en gras. Tous les verbes à une forme personnelle sont écrits en italiques).

[1] P1 LA BOSNIE MEURTRIE ATTEND LA RECONCILIATION [2] P2 Alors que les présidents Milosevic, Tudjman et Izetbegovic signaient l’accord de

paix au Palais de l’Elysée, [3] un hélicoptère français a été mitraillé par des éléments de l’armée bosniaque [4] et quatre grenades ont explosé

dans le centre de Sarajevo [5] P3 Il est peu probable que les Parisiens gardent un grand souvenir de la signature de l’accord de paix sur la Bosnie. [6] P4 Dans leur mémoire collective [7] ce jeudi 14 décembre 1995 restera plus sûrement associé au souvenir d’une nouvelle journée d’embouteillages monstres pour cause de 21e jour de grève dans les transports publics, [8] surtout dans les parages de l’Elysée et des Invalides [9] où l’interdiction de la circulation n’a fait qu’exaspérer davantage les automobilistes. [10] P5 La télévision, en revanche, a bien fait les choses, [11] notamment la télévision publique. [12] P6 Les téléspectateurs auront tous compris qu’il était important de bien mesurer le rôle historique joué en cette circonstance par la France en général et son président en particulier. [13] P7 A défaut d’avoir pris une part déterminante à l’essentiel lors des négociations de Dayton, [14] maîtrisées par Bill Clinton, [15] Jacques Chirac tenait à partager l’événement avec le président des Etats-Unis [16] au moment où la signature de ce traité par les ennemis d’hier conférait une lourde symbolique à une accessoire séance de signatures.

81 Harald Weinrich fait la distinction entre le « monde raconté » et le « monde commenté », Emile Benveniste entre « histoire » et « discours », et Jean-Michel Adam entre « diégétisation liée » et « diégétisation autonome ».

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[17] P8 « Contribution déterminante » [18] P9 Nul n’étant jamais mieux servi que par soi-même, [19] le chef de l’Etat a d’ailleurs tenu à rappeler que « la contribution déterminante de la diplomatie américaine » dans « le succès de Dayton » avait été précédée par « la mise en place de la Force de réaction rapide » en Bosnie et par « l’harmonisation progressive des positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, dans le cadre du Groupe de contact mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ». [20] P10 Autant d’étapes – [21] a fait observer M. Chirac – [22] dans lesquelles la part de la France a été importante [23] et qui ont « créé les conditions du succès des négociations de Dayton ». [24] P11 Les images télévisée ont scrupuleusement raconté ce moment solennel gravement mis en scène. [25] P12 La cérémonie a eu lieu dans la salle des fêtes du Palais de l’Elysée. [26] P13 Elle s’est déroulée en présence d’un parterre de ministres, ambassadeurs, hauts fonctionnaires et hauts militaires, [27] réunis sous un plafond peint présentant la République en « sauvegarde de la paix ». [28] P14 A 11 h. 35, [29] Jacques Chirac est entré le premier, [30] encadré par Bill Clinton et par le Premier ministre russe, Viktor Tchernomyrdine, [31] et suivi par les signataires du traité de paix, au nombre de 9. [32] P15 Tous ont pris place sur une estrade drapée de vieux rose. [33] P16 Chacun s’est posté devant son drapeau. [34] P17 Dans l’ordre alphabétique: [35] l’Allemagne, la Bosnie, la Croatie, les Etats-Unis, l’Union européenne, la France, la Grande-Bretagne, la Russie, la Serbie. [36] P18 Sur le rebord de la table en bois blanc, [37] où attendaient trois maroquins rouges, [38] une inscription avait été gravée: [39] « Conférence de la Paix sur l’ex-Yougoslavie. Paris. » [40] P19 Jacques Chirac a parlé pendant une dizaine de minutes. [41] P20 Puis le Bosniaque Alija Izetbegovic, le Croate Franjo Tudjman et le Serbe Slobodan Milosevic ont tour à tour accompli le geste attendu. [42] P21 Après un instant d’hésitation, [43] ils se sont serré la main [44] (c’est le Croate qui a tendu la main au Serbe, [45] qui l’a acceptée [46] puis l’a tendue au Bosniaque) [47] sous les applaudissements de l’éminente assistance. [48] P22 Ensuite, leurs trois paraphes ont été « parrainés » par les cosignatures des trois illustres « témoins »: [49] le chancelier allemand Helmut Kohl, le Premier ministre britannique, John Major, le Premier ministre espagnol, Felipe Gonzales, présent en tant que président en exercice de l’Union européenne, et le Premier ministre russe. [50] P23 A partir de 12 h. 30, [51] 12 discours ont suivi, de six à sept minutes chacun, [52] parmi lesquels ceux des principaux intéressés, [53] mais aussi ceux du secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali et du nouveau secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana. [54] P24 A 13 h. 30, [55] les apéritifs étant consommés, [56] les quelque 50 invités du président de la République ont pris place à bord d’un bus spécial [57] pour éviter les embouteillages [58] (à l’exception de Bill Clinton [59] qui a fait le trajet dans sa limousine blindée). [60] P25 Un banquet les attendait de l’autre côté de la Seine, au Quai d’Orsay, dans les salons du Ministère des affaires étrangères [61] où les deux pièces maîtresses du menu choisi, le homard de Bretagne et le chapon de Bresse, ont fait, paraît-il, l’unanimité.

Cet article présente une grande hétérogénéité du point de vue de l’emploi des temps verbaux. Le début du texte ([5-12]) est marqué par la prédominance des temps commentatifs (le présent, le passé composé, le futur simple et le futur

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antérieur) et des transitions hétérogènes de premier degré82; l’intervention la plus longue ([24-61]) par la prédominance des temps narratifs (le passé composé utilisé à la place du passé simple, ainsi que quelques occurrences de l’imparfait et du plus-que-parfait) et des transitions temporelles homogènes83.

Les séquences les plus intéressantes sont celles qui se situent à la lisière de ces deux registres. Elles sont caractérisées par des transitions hétérogènes de deuxième degré ou « métaphores temporelles », qui affectent deux dimensions du procès de communication et « peuvent fonctionner comme signaux démarcatifs » (Weinrich 1964: 228). Ainsi la transition entre le passé composé (employé comme un temps narratif) et le présent, dans les actes [4] et [5], marque le début du commentaire du journaliste, et celle entre le futur antérieur et l’imparfait, dans l’acte [12], la fin du commentaire du journaliste (de l’événement commenté) et la transition vers le registre narratif.

Nous pouvons représenter la répartition entre temps commentatifs et temps narratifs dans ce texte à l’aide du tableau suivant: Propositions maximales (numérotation en actes)

Monde commenté Monde raconté

P1 (Acte [1])

Temps commentatif (présent)

P2 (Actes [2-4])

Temps narratifs (imparfait, passé composé)

P3 - P6 (Actes [5-12])

Temps commentatifs (présent, futur, passé composé, futur antérieur)

P7 – P10 (Actes [13-23])

(imparfait, passé composé, plus-que-parfait)

P11 – P25 (Actes [24-61])

Temps narratifs (imparfait, passé composé, plus-que-parfait)

P25 (Acte [61])

Temps commentatif (présent)

82 Les « transitions temporelles hétérogènes de premier degré » (Weinrich 1964) affectent l’une des dimensions du procès de communication. Dans notre exemple, il s’agit, dans la plupart des cas, de la perspective de locution : présent-imparfait ([1-2]), passé composé-présent ([4-5]), présent-futur simple ([5-7]), futur simple-passé composé ([7-9]), passé composé – futur antérieur ([10-12]), futur antérieur-imparfait ([12-16]). Les deux transitions imparfait – passé composé (employé à la place du passé simple), que nous avons repérées, marquent la mise en relief. Dans les deux cas, l’emploi de l’imparfait permet au journaliste de mettre en arrière-plan les faits qui lui semblent moins important ([2] et [15-16]) que ceux rapportés au moyen d’un passé composé ([3-4] et [14]). 83 Les « transitions temporelles homogènes » (Weinrich 1964) (passé composé – passé composé, imparfait – imparfait) sont largement prédominantes dans la grande séquence ([24-61]), surtout dans les suites de propositions P11-P16 et P19-P25. Certaines d’entre elles ([3-4], [15-16] et [22-23]) marquent également la fin du paragraphe.

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Ce tableau met en évidence l’alternance dans le texte de deux types de

séquences, dans lesquels prédominent respectivement les temps narratifs et les temps commentatifs. Les seules informations d’ordre syntaxique portant sur la prédominance quantitative de l’une ou de l’autre catégorie verbale ne suffisent à déterminer ni la visée globale du texte dans son ensemble ni celle des séquences textuelles concernées. Les informations d’ordre textuel, concernant la position d’un constituant dans la structure hiérarchique, doivent également être prises en considération.

Si nous comparons le tableau ci-dessus avec la représentation schématique de la structure hiérarchique de ce texte (Figure 19), nous pouvons observer que les deux blocs ([5-12] et [24-61]) que l’analyse de l’emploi des temps verbaux a permis de dégager correspondent, l’un partiellement, l’autre entièrement, aux deux grandes interventions textuelles ([5-23] et [24-61]) auxquelles a abouti l’analyse de la structure hiérarchique. Cependant, les structures textuelles et syntaxiques divergent largement, car le bloc le moins important du point de vue du nombre de propositions syntaxiques concernées correspond à l’intervention qui occupe la position principale dans la structure hiérarchique et vice versa. Le fait que les temps commentatifs, moins nombreux, soient employés dans l’intervention qui résume l’ensemble du texte, nous conduit à postuler que la séquence caractérisée par la prédominance des temps narratifs remplit la fonction d’argument et que le texte dans son ensemble a une visée globale argumentative. En fait, seule la combinaison d’informations d’ordres syntaxique et textuel permet d’interpréter de manière satisfaisante chaque séquence et le texte dans son ensemble.

Quant au caractère ambigu de la séquence intermédiaire ([13-23]), il traduit l’ambiguïté de ce texte sur le plan référentiel. Deux attitudes opposées du journaliste apparaissent dans cette séquence: une attitude neutre envers le déroulement même de la cérémonie de signature et une attitude plus critique envers sa couverture médiatique. Les deux registres sont entremêlés: le journaliste commente en racontant, et raconte en commentant. Seuls les objets sur lesquels portent ces deux activités discursives permettent de les dissocier. Le commentaire du journaliste vise à dénoncer la mise en scène politique, tandis que la description des actions vise à révéler la mise en scène médiatique de l’événement.

L’ambiguïté propre à la séquence intermédiaire caractérise, en fait, l’ensemble du texte. La prise en considération de la structure hiérarchique permet de lever cette ambiguïté – l’intervention la plus importante sur le plan hiérarchique, quel que soit le nombre de constituants qui la composent, détermine le sens des interventions subordonnées et oriente l’interprétation de l’ensemble du texte. Ainsi, même dans la grande séquence marquée par la prédominance des temps narratifs, le journaliste ne fait que commenter la manière dont l’événement politique a été transmis par le média télévisuel. En faisant semblant de transmettre fidèlement ce que la télévision « a raconté », le journaliste crée un contraste par rapport à la première partie du texte. Ce texte dénonce ainsi, par son organisation même et par sa propre ambiguïté, les mises en scène politique et

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médiatique. L’écart entre l’image télévisée et le commentaire qui l’accompagne, dont le média télévisuel peut abuser à des fins manipulatoires, n’a d’égal que le ton ironique du journaliste, qui masque son commentaire par le récit.

Certaines formes verbales s’inscrivent dans le processus de modalisation. Dans le style des journaux, le conditionnel exprime la nuance d’information non confirmée. « Dans son emploi de métaphore temporelle, le Conditionnel perd son caractère narratif, mais non point ce « désengagement » à quoi se reconnaît le monde raconté face au monde commenté. Il lui reste également, sinon l’orientation précise de l’information anticipée, du moins l’incertitude propre à ce type d’information » (Weinrich 1964: 232)84. Le futur antérieur (futur de probabilité) a une valeur modale similaire (P6 [12]).

En ce qui concerne l’emploi des modes, à part le mode prédominant qui est l’indicatif, nous avons trouvé aussi un exemple de l’emploi du subjonctif (P3 [5]). Le subjonctif précédé d’une expression modale (il est peu probable que …) permet au journaliste de restreindre la validité de son énoncé85. Quant à la catégorie voix, nous avons repéré dans le texte, à côté des verbes à la voix active, quelques verbes au passif (P9 [19]). A la différence de la distinction entre « temps informatifs » et « temps commentatifs » (Weinrich 1964), qui affecte l’organisation séquentielle, l’opposition entre la voix active et la voix passive est liée à l’organisation informationnelle du discours. La signification du verbe au passif est organisée autour du complément d’agent, qui devient le thème ou le support informatif de la proposition complétive. Quelque soit son étendue, il ne constitue pas un acte textuel distinct et fait partie des « mises en relief internes à l’acte marquées par la syntaxe » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 256) qui relèvent de l’organisation sémantique du discours. La substitution de la forme passive à la forme active du verbe entraîne la mise en valeur de l’objet d’une action et la mise au second plan, voire l’omission, de son agent.

Ce bref survol de l’emploi de quelques formes verbales récurrentes a permis d’illustrer l’importance des informations d’ordre syntaxique dans l’interprétation des buts et des visées communicationnelles du discours journalistique.

84 « Dans le style des journaux, l’emploi métaphorique du Conditionnel prend souvent une forme frappante, mais aussi quelque peu schématique. Je voudrais rappeler avant tout que cette nuance d’information non confirmée n’appartient pas au temps lui-même, mais à la métaphore temporelle. Un contexte commentatif est donc nécessaire » (Weinrich 1964: 235). 85 « Les métaphores temporelles peuvent être représentées par des formes au subjonctif. L’équivalence entre métaphore temporelle et subjonctif contribue aussi à mieux comprendre ce qu’est le subjonctif: un groupe de formes verbales exerçant habituellement la fonction que remplissent occasionnellement les métaphores temporelles, à savoir limiter la validité du discours » (Weinrich 1964: 249-250).

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2.4.3.2. Les constructions détachées

Les « constructions détachées » (Combettes 1998) font partie des catégories qui mettent en évidence la discontinuité entre les structures hiérarchiques textuelle et syntaxique. En effet, il s’agit de constituants « dont le fonctionnement dépend autant, sinon plus, de contraintes textuelles, de facteurs discursifs, que de caractéristiques strictement syntaxiques, comme si une construction à valeur textuelle, commandée essentiellement par des facteurs pragmatiques, informationnels, devait se mouler dans des cadres syntaxiques plus ou moins stricts » (1998: 40).

Combettes propose deux critères définitoires des constructions détachées: 1) la présence de la prédication seconde de type qualifiant86 et 2) la nécessité de la coréférence avec une autre expression (présence d’un référent sous-jacent, supposé connu du lecteur, ou d’un référent supposé nouveau)87. Les constructions détachées répertoriées par cet auteur correspondent à des unités syntaxiques diverses: groupes adjectivaux et participiaux apposés, constructions absolues, gérondifs et appositions nominales de type qualifiant. En revanche, les appositions nominales de type identifiant, les modalisateurs d’énonciation et les compléments circonstanciels, qui ne satisfont pas aux deux critères définitoires mentionnés ci-dessus, font partie des constructions liées. A ces critères syntaxiques se substituent - au niveau du découpage en unités textuelles minimales des séquences comportant les deux types de constructions - des critères textuels, concernant plus particulièrement leur positionnement. Nous ne nous intéresserons ici qu’aux syntagmes détachés, car les constructions participiales ou infinitives ont, quelle que soit leur position, le même comportement au niveau de la structure textuelle.

En effet, les syntagmes détachés ne constituent des actes textuels distincts que placés en position frontale (syntagmes détachés à gauche). En tant que syntagmes détachés à droite, ils font partie intégrante de l’acte textuel correspondant à la proposition syntaxique qui les intègre:

86 Pour Combettes (1998), une construction détachée représente une sorte de proposition réduite qui, après ellipse du sujet, ne conserverait que le prédicat ou qu’une partie du prédicat. « La CD introduit dans l’énoncé une nouvelle structure prédicative, réduite certes, qui ne pourrait fonctionner seule, mais qui établit avec un sujet une relation identique à celle d’une prédication complète. Cette caractéristique, qui oppose nettement la CD aux constructions liées, est fondamentale : elle explique que la CD apparaît souvent comme une parenthèse, une sorte d’incise explicative, qui n’est pas utilisée pour déterminer un groupe nominal, mais pour apporter sur lui une nouvelle information comme le ferait une structure de phrase indépendante bâtie sur une articulation prédicative » (1998: 12). 87 « La CD, en tant que proposition réduite, sous-entend obligatoirement un référent qui serait représenté par le groupe sujet dans une proposition complète. Une des caractéristiques fondamentales de la CD est non seulement de s’appliquer à un référent, mais aussi d’imposer, pourrait-on dire, une coréférence entre ce sujet sous-jacent et un référent recouvert par une expression située en principe dans la phrase » (1998: 13).

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[60] P25 Un banquet les attendait de l’autre côté de la Seine, au Quai d’Orsay, dans les salons du Ministère des affaires étrangères [61] où les deux pièces maîtresses du menu choisi, le homard de Bretagne et le chapon de Bresse, ont fait, paraît-il, l’unanimité.

Le statut particulier des syntagmes détachés à gauche s’explique à la fois par leur autonomie textuelle (leur portée textuelle, qui s’étend au-delà du seul acte qui suit) que par leur autonomie syntaxique (ils remplissent la fonction de « complément de phrase »):

[28] P14 A 11 h. 35, [29] Jacques Chirac est entré le premier, [30] encadré par Bill Clinton et par le Premier ministre russe, Viktor Tchernomyrdine, [31] et suivi par les signataires du traité de paix, au nombre de 9.

L’analyse des syntagmes détachés à gauche permet d’approfondir un autre aspect des interrelations entre les structures hiérarchiques textuelle et syntaxique, lié à l’organisation informationnelle (4.1.1., 4.1.3.). Les syntagmes détachés à gauche présentent, sur ce point, deux particularités par rapport aux syntagmes détachés à droite.

Premièrement, l’acte textuel constitué par le syntagme détaché à gauche enchaîne sur une information présente dans la mémoire discursive (le topique), verbalisée ou non, qui a sa source soit dans un constituant textuel antérieur soit dans l’ « environnement cognitif immédiat » (Roulet 1999 : 58). Dans l’exemple qui suit, les actes [28], [36], [42], [50] et [54], constitués des syntagmes détachés à gauche, enchaînent tous sur la même information présente dans la mémoire discursive, qui a sa source dans l’acte [24] (enchaînements à distance) comme le montre la représentation suivante de leur organisation informationnelle. (La trace de point d’ancrage d’un topique est marquée en gras, et celui-ci explicité, si nécessaire, entre crochets droits après la trace. Les points d’ancrage en mémoire discursive qui ne sont pas marqués par une trace sont indiqués entre parenthèses au début de l’acte).

[10] (A PROPOS DE LA SIGNATURE DE L’ACCORD DE PAIX) La télévision, en revanche, a bien fait les choses,

[24] Les images télévisée [LA TELEVISION] ont scrupuleusement raconté ce moment solennel gravement mis en scène.

[28] (CE MOMENT SOLENNEL GRAVEMENT MIS EN SCENE) A 11 h. 35, [29] (A 11 H. 35) Jacques Chirac est entré le premier, [36] (CE MOMENT SOLENNEL GRAVEMENT MIS EN SCENE) Sur le rebord de la

table en bois blanc, [38] (SUR LE REBORD DE LA TABLE EN BOIX BLANC) une inscription avait été

gravée: [42] (CE MOMENT SOLENNEL GRAVEMENT MIS EN SCENE) Après un instant

d’hésitation, [43] (APRES UN INSTANT D’HESITATION) ils se sont serré la main [50] (CE MOMENT SOLENNEL GRAVEMENT MIS EN SCENE) A partir de 12 h. 30, [51] (A PARTIR DE 12 H. 30) 12 discours ont suivi, de six à sept minutes chacun, [54] (CE MOMENT SOLENNEL GRAVEMENT MIS EN SCENE) A 13 h. 30, [56] (A 13 H. 30) les quelque 50 invités du président de la République ont pris place à

bord d’un bus spécial

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Deuxièmement, l’acte textuel composé d’un syntagme détaché à gauche introduit un objet de discours qui sera le topique de l'acte suivant (la progression linéaire)88. [50] (CE MOMENT SOLENNEL GRAVEMENT MIS EN SCENE) A partir de 12 h. 30, [51] (A PARTIR DE 12 H. 30) 12 discours ont suivi, de six à sept minutes chacun, [52] parmi lesquels [DISCOURS] ceux des principaux intéressés, [53] mais aussi ceux [DISCOURS] du secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-

Ghali et du nouveau secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana.

En revanche, le syntagme détaché à droite est l’élément constitutif de l’information activée dans l’acte textuel en cours. Il peut, dans certaines situations, remplir une fonction de clarification. La marque lexicale de cette fonction implique un passage en mémoire discursive et l’autonomie textuelle du syntagme détaché à droite:

[10] P5 La télévision, en revanche, a bien fait les choses, [11] notamment la télévision publique.

Dans la plupart des cas, cependant, les syntagmes détachés à droite ont une faible charge informationnelle, car ils renvoient à des référents très accessibles. Il s’agit, en fait, de « mises en relief internes à l’acte marquées par la syntaxe » (Grobet 2001: 256) dont l’analyse relève de l’organisation sémantique du discours.

2.4.3.3. Le discours représenté

Le troisième aspect des interrelations entre les structures hiérarchiques textuelle et syntaxique se manifeste dans le traitement du discours représenté89. Le terme de discours représenté désigne « la manière dont le locuteur/scripteur, dans l’interaction verbale, sélectionne, retraite et subordonne à son propre discours le discours d’autrui, ainsi que la manière dont il anticipe dans son propre discours les réactions de l’autre » (Roulet 2001d: 277). Le discours représenté est une catégorie discursive complexe qui fait intervenir l’ensemble des informations modulaires.

La définition du discours représenté donne lieu à une première distinction, entre le « discours produit » et le « discours représenté » (Roulet 1999). Le discours produit est « le discours énoncé par le locuteur/scripteur occupant le rang le plus élevé dans le cadre interactionnel, alors que les discours de locuteurs/scripteurs de rangs inférieurs sont des discours représentés » (Roulet 88 L’analyse des différents types de traces topicales relève de la dimension lexicale (2.5.). 89 Roulet (1999, 2001d) substitue, en suivant l’usage de Fairclough (1988), le terme de discours représenté aux appellations usuelles de discours rapporté ou de reprise, « puisque le discours en question n’a pas nécessairement été énoncé antérieurement (il peut s’agir d’une anticipation du discours d’autrui) et qu’il n’est pas nécessairement formulé (il peut être seulement désigné ou implicité) » (Roulet 2001d: 278, note en bas de page n°3).

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2001d: 282). Les notions de discours produit et de discours représenté sont des notions relatives, dont la définition dépend du niveau du cadre interactionnel dans lequel l'analyste choisit de se situer et du rang qu’occupent les unités praxéologiques et textuelles auxquelles on se réfère90. Dans l’analyse d’un article de presse, la notion de discours produit relève du cadre interactionnel réunissant le journaliste/scripteur et son lecteur, à un épisode praxéologique et à une intervention hiérarchique; celle de discours représenté aux cadres interactionnels emboîtés et aux unités praxéologiques et textuelles de rangs inférieurs. Cependant, si l’on analyse plusieurs articles de presse relatifs au même sujet, ou bien, un journal entier, c’est le discours du journaliste qui constitue le discours représenté par rapport au discours produit par l’instance médiatique et destiné à l’instance de réception.

Le discours produit par le journaliste peut donner lieu, en fonction de son but communicationnel, à deux types d’événements médiatiques. Ceux-ci se distinguent par le rapport spécifique qu’ils instaurent entre le discours représenté et les faits rapportés ou commentés. Cette question, qui relève de la dimension référentielle du discours, est d’autant plus intéressante que le discours des médias d’information se situe justement dans « ce jeu de marquage-démarquage d’une part, non-marquage-intégration, d’autre part » (Charaudeau 1997: 179). En effet, le terme de discours représenté désigne aussi bien le « dit rapporté » dans les articles à visée informative que les dits faisant l’objet d’un commentaire journalistique dans les articles à visée argumentative, suivant la distinction entre l’événement rapporté et l’événement commenté, établie par Charaudeau (1997)91. Dans l’événement rapporté, le discours représenté est juxtaposé aux faits qui sont rapportés. Dans l’événement commenté, le discours représenté est enchâssé dans le commentaire du journaliste.

Les différences dans le traitement du discours représenté dans ces deux types d’événements médiatiques se reflètent dans son statut au niveau des structures textuelle et syntaxique. Nous analyserons d’abord la dimension syntaxique de ces différentes formes du discours représenté. Celui-ci peut en effet présenter une plus ou moins grande autonomie syntaxique par rapport au discours produit, due à sa forme (explicite ou implicite) et, en cas de la forme

90 Le repérage des segments de discours produits et représentés d’une intervention textuelle s’effectue dans le cadre de la forme d’organisation énonciative. Celle-ci repose sur le couplage d’informations d’ordres linguistique, interactionnel et référentiel. 91 Dans son analyse des contraintes discursives de la machine médiatique, Charaudeau (1997) explique comment « les modes d’organisation du discours (descriptif, narratif, argumentatif et énonciatif) » s’articulent autour des « finalités de base qui caractérisent le traitement de l’information : rapporter ce qui se passe ou s’est passé dans l’espace public, construisant ainsi un espace de médiatisation que nous appelons « événement rapporté », (…) commenter le pourquoi et le comment de l’événement rapporté par des analyses et points de vue divers plus ou moins spécialisés et, éventuellement justifier ses propres engagements ou prises de positions » (1997: 167). L’événement rapporté peut être constitué d’actions et des faits qui en résultent, ou bien de paroles, c’est-à-dire des déclarations et autres réactions verbales provenant des acteurs de la vie publique. Dans le premier cas, il s’agit du « fait rapporté » et dans le second du « dit rapporté ». Quant au commentaire, il peut porter aussi bien sur les faits que sur les dits.

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explicite, à sa complexité (liée à la longueur), à l’emploi des formes verbales, à la position du verbe de parole et à la ponctuation (les guillemets, les deux points).

La juxtaposition du discours représenté aux faits rapportés explique une relative fréquence du discours représenté formulé dans les genres informatifs. Le discours représenté formulé apparaît le plus souvent sous forme de citation, partielle ou complète, précédée /ou suivie/ d’un commentaire explicatif du journaliste, comportant un verbe de parole (il a précisé que/ou a-t-il précisé/, il a déclaré que /ou a-t-il déclaré/ etc.) ou précédé d’une locution prépositionnelle équivalente (selon lui, d’après lui, etc.)92. Le discours représenté formulé de manière directe est séparé du discours produit par les deux-points et/ou les guillemets ou les tirets. Il est caractérisé, en outre, par une autonomie dans l’emploi des temps et par le maintien de sa tournure syntaxique originelle (assertive, interrogative ou exclamative). Le discours représenté formulé de manière indirecte est intégré au discours produit du fait de l’absence de signes de ponctuation, de la concordance des temps et de la modification de sa tournure syntaxique originelle. Les différentes combinaisons des discours représentés formulés de manières directe et indirecte donnent lieu au discours représenté formulé de manière indirecte libre et à la forme hybride du discours représenté formulé de manière directe.

Ce dernier type de discours est susceptible de produire deux types d’effets – un effet de distanciation ou un effet d’objectivation. Dans les deux exemples qui suivent, le discours produit par le journaliste et le discours représenté formulé sont mis entre crochets droits, précédés de l’indication de la source de la voix (la description de l’organisation énonciative sera abordée plus tard, 4.1.1.2.):

[20] J[Ch[Autant d’étapes] – [21] a fait observer M. Chirac – [22] Ch[dans lesquelles la part de la France a été importante [23] et qui ont « créé les conditions du succès des négociations de Dayton »]]

[18] J[Nul n’étant jamais mieux servi que par soi-même, [19] le chef de l’Etat a d’ailleurs tenu à rappeler que Ch[« la contribution déterminante de la diplomatie américaine » dans « le succès de Dayton » avait été précédée par « la mise en place de la Force de réaction rapide » en Bosnie et par « l’harmonisation progressive des positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, dans le cadre du Groupe de contact mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ».]]

92 Dans son analyse de la manière dont « les formes temporelles opèrent un préclassement du monde », du point de vue de l’attitude de locution, en « monde raconté » et en « monde commenté », en ordonnant « sous l’angle de communication tous les objets qui s’y prêtent », Weinrich (1964) a mis en évidence le fait que les « verbes de communication » partagent la même fonction syntaxique que les formes temporelles. Ainsi, « ils donnent au lecteur quelques indications pour s’orienter par rapport à la communication. Par leur signification même, ils se rapportent à la communication », « ils agissent sur la situation de communication, ils interviennent pour le guider dans le procès de communication qui se déroule entre locuteur et auditeur », en « marquant, avec d’autres signaux, cette fois syntaxiques, le passage du récit au discours direct » (1964: 208).

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L’interprétation de l’effet que produit la forme hybride de discours représenté formulé dans une situation d’interaction spécifique dépend de l’orientation argumentative de l’ensemble du texte (en l’occurrence, il s’agit de la distanciation du journaliste par rapport au contenu du discours représenté formulé de manière directe).

Dans les genres commentatifs, le discours représenté est soit intégré partiellement au discours produit (c’est-à-dire rapporté à la troisième personne sous forme de discours représentés formulés indirect, indirect libre ou de la forme hybride du discours direct) soit intégré totalement dans le discours du journaliste (sous forme de discours représenté désigné ou implicité). Dans les deux exemples qui suivent, le discours représenté désigné est indiqué, après l’expression qui le désigne (marquée en italiques), entre crochets droits vides, précédés de l’indication de la source de la voix:

[40] J[Jacques Chirac a parlé Ch [ ] pendant une dizaine de minutes.]

[50] J[A partir de 12 h. 30, [51] 12 discours I+BG+S [ ] ont suivi, de six à sept minutes chacun, [52] parmi lesquels ceux des principaux intéressés, [53] mais aussi ceux du secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali et du nouveau secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana.]

A partir de ces exemples, nous pouvons observer les interrelations entre

les structures syntaxique et textuelle des différentes formes de discours représenté. En ce qui concerne le discours représenté désigné, ses structures syntaxique et textuelle sont largement isomorphes : à une proposition maximale correspond un acte textuel. En revanche, la comparaison entre les discours représentés formulés permet de repérer des cas de discontinuité entre les deux structures portantes du discours.

Le discours représenté formulé se présente le plus souvent sous la forme d’une subordonnée complétive ou d’une proposition indépendante: dans le premier cas, il est précédé du discours produit dans la proposition principale, dans le second, il est précédé d’un syntagme prépositionnel à valeur analogue. L’introduction du discours produit sous forme d’une incise comportant le verbe de parole au milieu ou à la fin du segment du discours représenté assouplit la tournure syntaxique de celui-ci. Il est à noter qu’en dépit d’une autonomie relative du discours représenté93 détaché en tête de phrase, dans ces différentes formes de discours représenté formulé, le discours produit et le discours représenté font partie, au niveau de la structure syntaxique, d’une seule proposition maximale.

Les deux tournures syntaxiques n’ont pas le même statut au niveau de la structure textuelle. Dans le cas de la proposition subordonnée comportant le

93 Dans les textes du journalisme politique, des informations relevant du module référentiel peuvent, parfois, justifier également une certaine autonomie du discours produit comportant un verbe de parole, après une citation. Ainsi, le discours représenté peut y être évalué, d’une certaine manière, en tant qu’émanant d’une personnalité politique forte et représentative (Gardin & Richard-Zappella 1993: 48).

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discours représenté détachée en tête de phrase et de la proposition principale mise en relief en fin de phrase, un affaiblissement relatif des relations syntaxiques au profit d’un renforcement des liens textuels entre les constituants de la proposition maximale justifie, à notre avis, son découpage en deux actes textuels - dont le premier (le discours représenté) serait subordonné au second (proposition comportant le verbe de parole). Ce dernier type de constructions ferait partie des exemples qui témoignent de la « discontinuité » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001) entre les structures hiérarchiques syntaxique et textuelle. 2.5. Les informations relevant de la dimension lexicale

L’analyse des moyens langagiers mobilisés au cours de l’élaboration d’une stratégie discursive doit tenir compte non seulement de la dimension syntaxique, mais également de la dimension lexicale de la composante linguistique de l’organisation du discours. « Le module lexical consiste en un dictionnaire définissant la prononciation, l’orthographe, les propriétés grammaticales et les sens des mots des différentes variétés de la langue […] le sens conceptuel des lexèmes ayant un contenu référentiel et le sens procédural de formes telles que les déictiques et les connecteurs, qui donnent des instructions sur les informations à récupérer en mémoire discursive pour interpréter le discours » (Roulet 2001b: 44).

Il n’est pas question ici d’entreprendre une étude quantitative des données lexicales, mais simplement d’attirer l’attention sur le rôle de la dimension lexicale dans l’analyse des opérations et des stratégies discursives94. En effet, les informations de nature lexicale interviennent dans différentes étapes de la production et de l’interprétation du discours, en tant que marqueurs linguistiques de son organisation opérationnelle et stratégique :

- au niveau du découpage du texte en actes, en tant qu’indices lexicaux d’un

passage en mémoire discursive marquant les frontières entre unités textuelles minimales;

- au niveau des formes d’organisation relationnelle, informationnelle, séquentielle et énonciative;

- au niveau de l’analyse des degrés de prise en charge énonciative du discours;

- au niveau de la distinction entre différentes visées communicationnelle du discours de la presse écrite.

94 « Fréquences, répartitions, cofréquences, cadences, probabilités, approximations et autres données statistiques ne signifient pas idéologie mais simples thématisations; elles ne signifient pas intentionnalité mais stratégies discursives; elles ne signifient pas langue mais corpus et, au-delà, discours, usages, situations de communication, sites d’emploi » (Dictionnaire d’Analyse du Discours, Charaudeau P. & D. Maingueneau (éds) 2002 : 344).

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Les données de nature lexicale feront donc l’objet d’une approche discursive visant à regrouper, autour des notions d’opérations et de stratégies discursives, les principaux marqueurs de structuration du discours: les marques lexicales d’un passage par la mémoire discursive (Berrendonner 1983), telles les anaphores pronominales et lexicales (2.5.1.), les connecteurs et les opérateurs argumentatifs (Ducrot et al. 1980, Roulet et al. 1985, Roulet 1990, Rossari 1993, 1996, 2000) (2.5.2.), ainsi que les traces lexicales de la modalisation, telles la présence des modalités (Roulet 1979) (2.5.3.) ou du vocabulaire axiologique péjorant ou méliorant (Roulet 1999) (2.5.4.).

2.5.1. Les marqueurs anaphoriques Certaines expressions anaphoriques ont déjà été mentionnées dans le cadre

de l’analyse de la dimension syntaxique. En effet, les anaphoriques constituent « une classe hétérogène d’expressions (pronoms, SN définis, SN démonstratifs, possessifs, adverbes, temps grammaticaux, etc.) » (Kleiber 1994: 23), qui marquent la continuité référentielle dans le discours. Le sens d’un marqueur anaphorique est à la fois composé d’une « partie descriptive » et d’une « partie instructionnelle » (id. 17). C’est la partie instructionnelle, qui indique la manière d’accéder au référent, qui opère la différenciation entre les différents marqueurs (id. 18).

Il existe deux conceptions différentes de l’anaphore. La conception textuelle définit un marqueur anaphorique comme un « phénomène textuel », comme « une expression dont l’interprétation référentielle dépend d’une autre expression (ou d’autres expressions) mentionnée dans le texte et généralement appelée son antécédent. » (id. 22). La conception cognitive renonce au critère textuel et promeut le critère de la « saillance préalable » pour définir l’anaphore en termes de continuité référentielle cognitive (textuelle ou non), comme « un processus qui indique une référence à un référent déjà connu par l’interlocuteur, c’est-à-dire un référent « présent » ou déjà manifeste dans la mémoire immédiate » (id. 25). La conception cognitive repose sur la notion de mémoire discursive (Berrendonner 1983), reprise dans le modèle genevois95.

Les notions d’anaphores et de mémoire discursive interviennent, tout d’abord, dans la définition même des unités textuelles minimales. En effet, la frontière entre deux actes textuels est marquée par la possibilité d’utiliser comme anaphore un pronom et une expression définie, possibilité qui signale le passage par la mémoire discursive.

La conception mémorielle des anaphores constitue, ensuite, le point de départ de l’analyse de l’organisation informationnelle et de l’identification du topique. « Un topique peut être indiqué ou non par une trace (anaphore,

95 « J’admets tout d’abord avec Berrendonner (1983) qu’il est nécessaire de dépasser l’observation des enchaînements entre les seuls constituants du texte pour décrire les enchaînements entre ces constituants et des informations stockées en mémoire discursive » (Roulet 1999: 57).

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expression définie, etc.) dans l’acte qui introduit l’objet de discours; il peut avoir sa source soit dans l’environnement cognitif immédiat (…) soit dans l’objet de discours de l’acte antérieur (…) soit dans le topique du constituant précédent » (Roulet 1999: 58). Dans le processus d’identification du topique interviennent des facteurs linguistique, hiérarchique et référentiel. Si l’acte textuel comporte une trace de point d’ancrage du topique, l’identification du topique est le résultat du couplage entre des informations hiérarchiques et des informations lexicales.

Etant donné que l’analyse des processus référentiels doit s’attacher aussi bien à l’identification du référent qu’à son « mode de donation » (Kleiber 1994: 18), les marqueurs anaphoriques interviennent, enfin, dans la description de l’organisation topicale. « Par exemple, un pronom personnel, un syntagme nominal défini ou un syntagme nominal démonstratif peuvent tous renvoyer au topique. Ils ne le font toutefois pas avec la même clarté, et avant tout, ils l’appréhendent de manière spécifique. […] C’est ce type de différences qu’il s’agit de traiter dans le cadre de l’organisation topicale » (Grobet 2001: 260).

Dans l’exemple de notre article, la trace du point d’ancrage du topique est constituée, dans la plupart des cas par des anaphores pronominales et lexicales96. Nous avons également repéré un nombre assez élevé d’anaphores présuppositionnelles, définies par Kleiber (1994):

[13] A défaut d’avoir pris une part déterminante à l’essentiel lors des négociations de Dayton, [14] maîtrisées par Bill Clinton, [15] Jacques Chirac tenait à partager l’événement avec le président des Etats-Unis [16] au moment où la signature de ce traité par les ennemis d’hier conférait une lourde symbolique à une accessoire séance de signatures. [18] Nul n’étant jamais mieux servi que par soi-même, [19] le chef de l’Etat a d’ailleurs tenu à rappeler que « la contribution déterminante de la diplomatie américaine » dans « le succès de Dayton » avait été précédée par « la mise en place de la Force de réaction rapide » en Bosnie et par « l’harmonisation progressive des positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, dans le cadre du Groupe de contact mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ». [54] A 13 h. 30, [55] les apéritifs étant consommés, [56] les quelque 50 invités du président de la République ont pris place à bord d’un bus spécial [57] pour éviter les embouteillages [58] (à l’exception de Bill Clinton [59] qui a fait le trajet dans sa limousine blindée).

96 Dans notre exemple, c’est soit un pronom anaphorique qui constitue la trace du point d’ancrage du topique (pronoms relatifs simples qui et où dans les actes [9], [23], [37], [45], [59] et [61], et complexes lesquels (lesquelles) dans les actes [22] et [52]; pronoms personnels elle (la) et ils (les) dans les actes [26], [43], [45], [46] et [60]; pronom démonstratif ceux dans l’acte [53], pronoms indéfinis tous et chacun dans les actes [32] et [33] – soit une expression définie: SN définis (la signature de l’accord de paix) dans l’acte [5], (les images télévisée) dans l’acte [24], (la cérémonie) dans l’acte [25]; SN démonstratifs (ce jeudi 14 décembre 1995) dans l’acte [7], (ce traité) dans l’acte [16]; SN possessifs (leur mémoire) dans l’acte [6] et (leurs trois paraphes) dans l’acte [48].

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Leur interprétation s’appuie sur les connaissances encyclopédiques ainsi que sur la « mémoire interdiscursive », qui caractérise le discours de la presse (Moirand 1999) et qui se constitue au fil des textes « sur des formulations récurrentes, qui appartiennent forcément à des discours antérieurs, et qui, fonctionnant sous le régime de l’allusion, participent à l’interprétation de ces événements » (1999: 173). 2.5.2. Connecteurs, opérateurs argumentatifs et autres marqueurs de relations textuelles

Les connecteurs interviennent dans l’analyse de l’organisation relationnelle du discours de la presse écrite, en tant que marqueurs d’un certain nombre de relations interactives génériques entre les constituants de la structure hiérarchique et des informations d’origines lexicale.

Le modèle genevois postule l’existence de relations interactives entre tous les constituants de la structure hiérarchique d’une intervention. Les informations d’origine lexicale interviennent dans la première étape de l’analyse de l’organisation relationnelle, qui consiste à indiquer dans la structure hiérarchique les relations qui sont marquées (ou qui peuvent être marquées) dans le texte par un connecteur. « On distingue généralement, parmi celles qui peuvent être marquées par un connecteur, les relations interactives argumentatives, contre-argumentatives, reformulatives et de topicalisation » (Roulet 1999: 77)97.

Les relations interactives argumentatives concernent tous les niveaux de la structure textuelle. Leur fréquence varie sensiblement d’un texte à l’autre: elle est plus élevée dans les articles à visées explicative et argumentative que dans les articles à visée informative. Les relations argumentatives entre les constituants de la structure hiérarchique de notre article sont marquées soit par la présence effective des connecteurs (le connecteur d’ailleurs qui permet d’établir une relation argumentative entre les actes [18] et [19]), soit par la possibilité de leur insertion (comme, par exemple, la possibilité de l’insertion du connecteur argumentatif en effet entre l’acte [5] et l’intervention [6-9]). Les relations interactives de contre-argument peuvent également apparaître à tous les niveaux de la structure textuelle. Dans notre exemple, elles s’établissent entre deux interventions ([5-9] et [10-16]) et entre deux actes successifs ([52] et [53]). Les relations interactives contre-argumentatives sont, dans la plupart des cas, marquées par la présence des connecteurs (en l’occurrence en revanche et mais). 97 Ces relations interactives génériques sont marquées par les connecteurs suivants: - argument (parce que, puisque, car, même, d’ailleurs, si, alors, par conséquent, de sorte que, etc.); - contre-argument (bien que, quoique, même si, mais, pourtant, néanmoins, cependant, seulement, etc.) - reformulation (en fait, de fait, au fond, en tous cas, de toute façon, enfin, finalement, décidément, après tous, en somme, somme toute, etc.) - topicalisation (généralement marquée par quant à, en ce qui concerne, ou la dislocation à gauche) (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 172).

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Les relations interactives de reformulation s’établissent entre deux constituants de la structure textuelle, dont le second reprend le contenu du premier, en le reformulant, afin de le présenter sous un angle différent ou d’insister sur l’un de ses aspects. Le deuxième constituant subordonne le premier, car il apporte une modification – voire une amélioration que le journaliste a jugée nécessaire – de l’information initiale. C’est pourquoi il est considéré comme plus important et plus complet d’un point de vue informationnel par rapport au premier constituant.

L’organisation relationnelle de notre article n’étant pas très marquée par la présence des connecteurs, nous n’avons pu repérer aucune relation interactive de reformulation ou de topicalisation qui repose sur la présence effective ou la possibilité d’insertion d’un connecteur98.

L’établissement des relations interactives qui ne sont pas marquées par des formes spécifiques, telles les relations de succession, de préalable ou de commentaire, constitue la deuxième étape de l’analyse de l’organisation relationnelle d’un texte. « Il est aussi des relations interactives pour lesquelles il n’existe aucun marqueur, sinon la position du constituant subordonné. C’est le cas des relations de préalable et de commentaire » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 171). Si la relation interactive générique de commentaire repose sur le critère de postposition du constituant subordonné par rapport au constituant principal (et par conséquent, relève de la dimension syntaxique), des marques lexicales, telles la présence de pronoms relatifs ou d’adverbes (surtout, notamment) permettent de décrire la relation interactive spécifique (par exemple entre les actes [7] et [8] ou entre les actes [10] et [11] de notre texte). Quant à la relation interactive générique de succession, elle recouvre, dans le modèle genevois « seulement les relations consécutives entre les événements d’un récit » (id. 172). Dans notre texte, la relation de succession entre deux actes est marquée, indirectement, par les adverbes de temps ensuite, puis etc. (dans les actes [41], [46] et [48]), et celle entre les unités de rang supérieur, par les indices syntaxiques (les actes [28], [42], [50] et [54]). A ces marqueurs lexicaux de relations interactives et de structure séquentielle, on peut ajouter les indications lexicales des discours représentés formulé et désigné, tels les verbes de parole et les substantifs qui ont une signification analogue99. 2.5.3. Les modalités Nous avons déjà évoqué la notion de modalisation ou « d’affectation de modalités à l’énoncé »100 à propos de certaines catégories syntaxiques (telles les

98 Les seules relations de topicalisation dans le texte sont celles marquées par les syntagmes détachés à gauche ([6], [20], [28], [36-37], [42], [50], [54] et [55]). 99 Dans notre exemple, nous avons pu repérer, dans les actes [19], [21] et [40], les verbes de parole rappeler, faire observer, parler, et, dans l’acte [51], le substantif discours. 100 « Les modalités sont des facettes d’un processus plus large de modalisation, d’affectation de modalités à l’énoncé, par lequel l’énonciateur, dans sa parole même, exprime une attitude à

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modes et les temps verbaux) marquant le degré de prise en charge énonciative des discours produits et représentés. Les modalités, « comme les marques illocutoires et argumentatives, constituent des traces privilégiées de l’activité énonciative dans l’énoncé » (Roulet 1979: 41).

L’analyse des modalités doit tenir compte de phénomènes linguistiques divers101, dont nous mentionnerons ici ceux qui relèvent de la dimension lexicale, à savoir la présence des verbes, des adverbes et des adjectifs modaux.

Nous avons trouvé dans notre corpus plusieurs exemples de « verbes modaux », tels que pouvoir, devoir, menacer, risquer, sembler, paraître etc. (Roulet 1979: 47), d’adverbes (modalisateurs d’assertion) et d’adjectifs modaux: Le texte que nous avons choisi pour notre étude de cas comporte de nombreuses marques de modalisation. Il est, d’une certaine manière, encadré par des expressions modales. La distance par rapport à l’événement et une attitude critique du journaliste sont marquées dès les premiers actes ([5] et [6]) par des expressions de modalité, constituées par un adjectif modal (probable) et par un adverbe modal (sûrement), et maintenues tout au long du texte grâce à des moyens syntaxiques (l’emploi des temps et des modes, discours représenté, ironie). L’acte qui clôt cet article comporte également un modalisateur d’énonciation, formé d’un verbe modal (paraître).

[5] Il est peu probable que les Parisiens gardent un grand souvenir de la signature de l’accord de paix sur la Bosnie. [6] Dans leur mémoire collective [7] ce jeudi 14 décembre 1995 restera plus sûrement associé au souvenir d’une nouvelle journée d’embouteillages monstres pour cause de 21e jour de grève dans les transports publics, [8] surtout dans les parages de l’Elysée et des Invalides [9] où l’interdiction de la circulation n’a fait qu’exaspérer davantage les automobilistes.

[60] Un banquet les attendait de l’autre côté de la Seine, au Quai d’Orsay, dans les salons du Ministère des affaires étrangères [61] où les deux pièces maîtresses du menu choisi, le homard de Bretagne et le chapon de Bresse, ont fait, paraît-il, l’unanimité.

Ces expressions sont renforcées par d’autres marques de modalisation : la présence de l’opérateur argumentatif peu102 et par la structure syntaxique verbe-sujet.

l’égard du destinataire et du contenu de son énoncé » (Dictionnaire d’Analyse du Discours, Charaudeau P. & D. Maingueneau (éds) 2002: 384). 101 Comme un même type de modalité peut être véhiculé par des marqueurs linguistiques très différents, qui sont plus ou moins intégrés syntaxiquement dans l’énoncé, les classements en la matière sont très délicats. 102 Les opérateurs argumentatifs peu et un peu (Ducrot et al. 1980, Roulet 1999) constituent également des traces de prise de position de l’énonciateur.

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2.5.4. Le vocabulaire axiologique marqué péjorant ou méliorant

Nous allons conclure cet inventaire d’informations modulaires pertinentes pour une analyse des stratégies discursives du journalisme politique, en rappelant l’importance des choix lexicaux dans la construction d’un événement médiatique et dans la présentation de ses acteurs103.

En comparant les textes de presse à visées informative et argumentative du point de vue des choix lexicaux, nous avons pu observer, dans les uns, une préférence pour un vocabulaire plus « neutre » et, dans les autres, une préférence pour un vocabulaire plus marqué du point de vue de l’expression de la subjectivité. Notre article est représentatif du deuxième cas de figure, ce que le fragment qui suit permet d’illustrer (il s’agit de l’intervention textuelle qui occupe la place la plus importante dans la structure hiérarchique du texte):

[10] La télévision, en revanche, a bien fait les choses, [11] notamment la télévision publique. [12] Les téléspectateurs auront tous compris qu’il était important de bien mesurer le rôle historique joué en cette circonstance par la France en général et son président en particulier. [13] A défaut d’avoir pris une part déterminante à l’essentiel lors des négociations de Dayton, [14] maîtrisées par Bill Clinton, [15] Jacques Chirac tenait à partager l’événement avec le président des Etats-Unis [16] au moment où la signature de ce traité par les ennemis d’hier conférait une lourde symbolique à une accessoire séance de signatures.

A part la présence de nombreux marqueurs analysés précédemment (en revanche, a bien fait les choses, notamment, auront compris, les négociations de Dayton, les ennemis d’hier etc.), nous avons observé que le choix des mots, leurs combinaisons et la préférence pour certaines classes de mots contribuent à l’effet produit par le discours du journaliste.

Les mots qui apportent le plus au niveau du développement du concept de séance de signature appartiennent à la catégorie grammaticale des adjectifs qualificatifs. Leur utilisation est caractéristique d’un discours marqué du point de vue de l’expression de la subjectivité. Comme ils précèdent le substantif, ils n’ont pas une valeur purement descriptive, mais expriment le point de vue du journaliste (accessoire). Pour être plus convaincant, celui-ci essaie de les mettre en valeur, en créant un contraste sémantique avec le syntagme nominal qui précède. Le choix des mots n’est pas révélateur des seules visées informative, explicative ou argumentative des textes de presse, mais également de la visée de captation de la titraille:

103 Pour Bakhtine, « le mot est le phénomène idéologique par excellence » (1977: 31).

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[1] LA BOSNIE MEURTRIE ATTEND LA RECONCILIATION

[2] Alors que les présidents Milosevic, Tudjman et Izetbegovic signaient l’accord de

paix au Palais de l’Elysée, [3] un hélicoptère français a été mitraillé par des éléments de l’armée bosniaque [4] et quatre grenades ont explosé dans le centre de Sarajevo

Le contraste sémantique entre, d’une part, les noms réconciliation et paix et d’autre part, les verbes meurtrir, mitrailler et exploser produit un effet de dramatisation, caractéristique du fonctionnement des unités péritextuelles du discours d’information médiatique. Dans la « mise en forme de l’espace et du temps », les unités péritextuelles jouent un rôle important. « Dans ces deux espaces/temps, se sont les flashes, les manchettes, les gros titres, les intertitres, les exergues, les clips, etc., qui servent d’unités de base de la mosaïque » (Demers 1995: 218). Les informations véhiculées par les unités péritextuelles deviennent « les arguments d’un méta-discours politique ». « Les points d’ancrage du méta-discours se chargent de sens et dirigent l’esprit vers certaines associations positives ou négatives, relatives à des normes esthétiques, morales et intellectuelles » (ibid.). L’effet de dramatisation que produit sur le lecteur l’alternance d’un vocabulaire péjorant et méliorant dans les unités péritextuelles est, ainsi, révélateur de la visée émotionnelle du discours médiatique.

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Chapitre 3

« Nous nommons instrumentale une action orientée vers le succès, lorsque nous la considérons sous l’aspect de la poursuite de règles techniques d’action et que nous évaluons le degré d’efficience d’une intervention dans un contexte d’états de chose et d’événements ; nous nommons stratégique une action orientée vers le succès, lorsque nous la considérons sous l’aspect de la poursuite de règles de choix rationnelles et que nous évaluons le degré d’efficience de l’influence prise sur les décisions d’un partenaire rationnel. Les actions instrumentales peuvent être raccordées à des interactions sociales, (tandis que) les actions stratégiques représentent elles-mêmes des actions sociales. En revanche, je parle d’actions communicationnelles, lorsque les plans d’action des acteurs participants ne sont pas coordonnés par des calculs de succès égocentriques, mais par des actes d’intercompréhension. »

Jürgen Habermas: Théorie de l’agir communicationnel (1987: 295)

3. Des actes discursifs aux opérations discursives En suivant les principes méthodologiques de l’approche modulaire de la complexité du discours (Roulet 1999, 2000, 2001, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001), qui s’inspire de l’analyse des systèmes complexes proposée par Simon (1962), nous avons dressé, dans le chapitre précédent, un inventaire d’informations modulaires pertinentes pour l’analyse des stratégies discursives du journalisme politique. Dans la présentation de ces informations, nous avons appliqué la démarche méthodologique descendante établie par Bakhtine (1977: 137). Nous avons commencé par les unités relevant des dimensions situationnelles, pour passer progressivement aux unités textuelles et linguistiques. L’établissement de cet inventaire constitue un préalable à l’analyse des stratégies discursives, catégorie discursive complexe dont la description nécessite la prise en considération de plusieurs formes d’organisation du discours, simples et complexes.

Nous faisons l’hypothèse que la problématique des stratégies discursives relève, dans un premier temps, du couplage d’informations modulaires d’ordres textuel et praxéologique, dans le cadre de la forme d’organisation opérationnelle. Nous chercherons la confirmation de cette hypothèse dans des théories de l’activité communicationnelle qui offrent des points de rattachement avec l’approche modulaire de la complexité de l’organisation du discours, avant de procéder à l’analyse de l’organisation opérationnelle des productions discursives effectives. En effet, comme l’a souligné Nølke dans son ouvrage consacré aux principes méthodologiques de l’approche modulaire, la « transportabilité » des résultats obtenus par d’autres chercheurs constitue un avantage non négligeable

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du modèle modulaire, à condition que l’on « adapte les théories “étrangères” au système notationnel du modèle » (1994: 270).

Trois théories peuvent être intégrées dans le modèle genevois de telle sorte qu’elles précisent la manière dont s’articulent les dimensions praxéologique et textuelle de l’organisation opérationnelle du discours.

(1) La théorie de l’agir communicationnel élaborée par Habermas (1987) vise à montrer comment les actes communicationnels ou les expressions non verbales équivalentes assument la fonction de coordination de l’action et contribuent à construire des interactions. S’appuyant sur la distinction opérée par Austin (1970) entre actes illocutoires et perlocutoires, Habermas délimite les frontières entre activité orientée vers l’intercompréhension (activité communicationnelle) et activité orientée vers le succès (activités instrumentale et stratégique). Ces trois « types d’actions » appartiennent à des situations d’action différentes: sociale (activités communicationnelle et stratégique) et non sociale (activité instrumentale).

Figure 23: Types d ’action d’après Habermas (1987: 295)

Orientationsd’actionSituation

d’action

Activité orientéevers le succès

Activité orientée vers l’intercompréhension

Activité instrumentale

Activité stratégique

Activité communicationnelle

Non sociales

Sociales

Centrée sur l’intercompréhension langagière en tant que mécanisme d’orientation d’action, la théorie de l’agir communicationnel cherche à « rendre évidente la valeur stratégique du problème de la coordination de l’action » (Habermas 1987: 289). « Dans l’activité communicationnelle, les participants ne sont pas primordialement orientés vers le succès propre; ils poursuivent leurs objectifs individuels avec la condition qu’ils puissent accorder mutuellement leurs plans d’action sur le fondement de définitions communes des situations. Pour cette raison, la négociation des définitions de situations est une composante essentielle des opérations d’interprétation requises pour l’agir communicationnel » (id. 295-296). Habermas insiste sur l’imbrication des actions orientées vers le succès et des actions orientées vers l’intercompréhension, en affirmant que « les effets perlocutoires sont l’indice d’une insertion des actions langagières dans des contextes d’interaction stratégique » (id. 302) et que « les actions langagières fonctionnent comme mécanismes de coordination pour d’autres actions » (id. 304).

Comme la notion de négociation occupe la place centrale dans le modèle genevois, la structure textuelle de l’échange étant définie comme structure

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émergente d’un processus de négociation sous-jacent à toute interaction (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 56), les deux approches de l’activité discursive présentent de nombreux points de convergence. Les activités orientées vers l’intercompréhension et les activités orientées vers le succès relèvent, dans le modèle genevois, des dimensions textuelle et praxéologique de l’organisation du discours et des formes d’organisation issues de leurs combinaisons. Au critère de situation d’action qui permet à Habermas de distinguer les actions non sociales des actions sociales correspondent, dans le modèle genevois, la distinction entre les buts individuels et les buts communs poursuivis par les interactants (pour les unités praxéologiques) et les principes de complétude monologique et de complétude dialogique (pour les unités textuelles).

L’apport de la théorie de l’agir communicationnel à l’analyse des unités discursives consiste dans le classement des informations modulaires selon deux critères définitoires de l’action (orientation d’action et situation d’action). A partir de ce classement, la méthodologie modulaire permettra d’analyser l’activité discursive de manière systématique, en affinant la description des unités praxéologiques et textuelles, de leurs interrelations et des formes d’organisation issues de leurs combinaisons104.

(2) Pour déterminer le cadre dans lequel interviennent les règles de couplage des informations modulaires préalablement classées selon les critères d’orientation d’action et de situation d’action, nous recourrons à la théorie de l’activité communicationnelle élaborée par Bange (1992). En appliquant le modèle hiérarchique-séquentiel de l’action (Miller/Galanter/Pribram 1960, Cranach et al. 1982) à la description des niveaux fonctionnels de l’organisation conversationnelle, Bange (voir aussi § 1.2.2.) vise à dépasser la « dichotomisation entre structures linguistiques (où s’effectue la compréhension) et structures pragmatiques (où l’on agit) » (1992: 92). Selon Bange, toute action comporte deux phases: une phase cognitive et une phase opérationnelle. « L’action (l’interaction) verbale paraît soumise à deux grands types de règles: les unes sont des règles sociales d’adaptation à la solution de problèmes extérieurs; les autres sont des règles de bonne organisation interne. » (id. 91). Bange introduit dans l’analyse conversationnelle l’idée d’une hiérarchie des niveaux en établissant la distinction entre le niveau de l’action individuelle et le niveau de l’interaction. « On peut appeler intercompréhension le but global visé par les activités des niveaux opérationnels, interaction (en un sens restreint) le but visé par les activités stratégiques » (ibid.).

Nous rejoignons Bange dans son idée d’un passage graduel entre les niveaux opérationnel et stratégique. « Il faut éviter de concevoir l’opposition fonctionnelle entre niveau stratégique et niveau opérationnel comme catégorique. Il s’agit plutôt d’un passage graduel par une succession de niveaux dont les niveaux inférieurs ont pour tâche de réaliser effectivement les buts des niveaux

104 « L’idée centrale qui sous-tend toute approche modulaire est qu’il ne faut jamais perdre de vue la conception globale de ce qu’on fait. La vertu d’une approche modulaire réside dans le fait que chaque type de phénomènes peut être défini et analysé en complète indépendance des autres types, ce qui dote l’analyse de leurs interdépendances d’une valeur explicative » (Nølke 1994: 11).

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supérieurs et dont les niveaux supérieurs assurent le guidage des niveaux inférieurs » (ibid.). Nous essaierons de développer cette idée à la lumière de l’approche modulaire de l’interaction verbale. Nous faisons l’hypothèse que l’analyse des opérations discursives, et de manière plus générale du niveau opérationnel de l’interaction verbale, soumis aux « contraintes exercées par les règles opérationnelles » (ibid.), relève du couplage d’informations d’ordres textuel et praxéologique relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques minimales et intermédiaires. En revanche, l’analyse des stratégies discursives et du niveau stratégique de l’interaction verbale, obéissant aux « règles stratégiques » (ibid.)105, relèverait du couplage d’informations d’ordres textuel et praxéologique liées à la définition des unités textuelles et praxéologiques maximales106.

(3) Finalement, pour différencier la finalité de l’action individuelle de la finalité de l’interaction, nous intégrerons dans le modèle genevois la distinction entre la notion de but et celle de visée communicationnelle que propose Charaudeau (1995) dans un cadre théorique constructiviste (voir aussi § 1.2.5.).

Rappelons que pour Charaudeau, communiquer, c’est « construire du sens en fonction de l’enjeu de relation dans lequel se trouvent impliqués les deux partenaires de l’acte de communication », le sujet communiquant et le sujet interprétant, au cours d’un « processus de transformation du monde perçu en monde signifié » (1995: 148-149). Ce processus de transformation se déroule « sous l’orientation communicative d’un autre processus, celui de transaction, lequel se fonde sur l’hypothèse que ce qui motive tout acte de langage est un enjeu d’échange du monde configuré dans une finalité réciproque d’influence » (ibid.). Charaudeau explique ensuite comment les notions de structure et de sujet s’insèrent dans cette problématique. « Lorsque deux individus se trouvent engagés dans un acte d’échange, il y faut, pour que dans cet échange existent des sujets, que s’établisse une régulation. Etendu à plusieurs individus et plusieurs échanges, on assiste à la généralisation du phénomène qui consiste en une autorégulation collective à travers laquelle sont investies des formes qui constitueront un cadre de contraintes pour les échanges futurs, et témoignent en même temps de la signification propre à ce cadre. Cela fonde la structure. Mais en même temps, ces mêmes sujets, qui par le fait de la régulation dont ils sont les acteurs ont contribué à l’élaboration de la structure en tant que ça, disposent d’une marge de manœuvre qui leur est nécessaire à la construction de leur je. C’est ainsi qu’ils s’individuent et créent dans cet acte de transaction, à côté de l’espace de contraintes, un autre espace qui est celui de leur marge de manœuvre 105 « Les contraintes exercées par les règles opérationnelles sont plus fortes, plus automatiques, elles excluent dans une large mesure les alternatives. C’est la raison pour laquelle il ne peut guère être question d’ « intention » à ce niveau. Les règles stratégiques, au contraire, autorisent des possiblités de choix plus grandes et même d’autant plus grandes que les voies possibles pour la solution des problèmes (les stratégies) sont plus nombreuses et moins routinisées, c’est-à-dire qu’on monte plus haut dans la hiérarchie des macrostructures » (Bange 1992: 91). 106 Les propositions de Bange doivent cependant être adaptées au système notationnel du modèle genevois: à l’unité stratégique minimale dans le modèle de Bange (paire adjacente) correspond dans le modèle genevois l’unité discursive issue du couplage des unités textuelles et praxéologiques de rang supérieur (échange et transaction).

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et que j’appelle: « espace de stratégies » (id. 149-150). Selon Charaudeau, « une analyse des faits discursifs cherchera à mettre en évidence ce qui relève à la fois d’un ordre structurel et d’un ordre processuel », car « sans étude du cadre de structuration, on ne pourrait rendre compte des processus qui ont toujours besoin d’une base stable et fixe pour se produire » (ibid.).

Les positions de Charaudeau et de Roulet se complètent : la distinction entre l’espace de contraintes et d’autorégulation collective des échanges et la marge de manœuvre et d’individuation des sujets communiquant et interprétant relève du couplage d’informations d’ordres textuel et praxéologique. « La notion de structure praxéologique proposée par E. Roulet a l’avantage de présenter le cadre actionnel dans lequel se déroule l’échange et qui en constitue, non pas le fondement, mais l’un des « motifs ». Et du même coup, il propose une séquentialisation langagière à laquelle devra se conformer tout sujet voulant atteindre son but. Cependant, ce cadre ne préjuge pas de ce que pourrait être l’activité communicative si surgissait un obstacle à la réalisation du but. Dès lors, le sujet désirant réaliser ce but devra calculer le possible moyen de résoudre ce problème. Et c’est dans la mesure où la solution dépend d’un autre (car sinon ce n’est plus un problème de communication) qu’il devra passer par une tentative d’influence et donc de construire des visées d’effets de discours » (id. 154).

L’apport du modèle de Charaudeau à l’analyse de la forme d’organisation opérationnelle consiste dans la distinction qu’il établit entre la finalité de l’action (le but actionnel fermé) et la finalité de l’activité discursive (la visée communicationnelle ouverte), car « l’action s’instaure dans un espace d’irréversibilité clos », tandis que « le langage, comme acte de communication (il faudrait dire: comme discours), s’instaure dans un espace de réversibilité ouvert » (id. 152). « Le but est lié à l’action et en représente l’objet de quête, c’est-à-dire un état d’équilibre final bénéfique pour l’agent de cette quête, et éventuellement pour un bénéficiaire autre que l’agent. Le but est atteint directement ou au terme d’un parcours dont chaque étape comporte un but à atteindre, et dont l’ensemble est plus ou moins planifié » (id. 153). « La visée est liée à l’acte de communication et constitue une tension vers la “résolution du problème” posé par l’existence de l’autre et de sa propre intentionnalité dont il est supposé qu’elle s’oppose (ou résiste) au projet d’influence du sujet communiquant. Cette visée n’est donc que l’intention d’influencer l’autre (effet visé), et sa réalisation, comme visée ayant effectivement atteint et modifié le comportement de l’autre (effet produit), ne peut être mesurée qu’à la réaction de celui-ci » (ibid.).

La notion de but, liée à l’action individuelle, relève, dans le modèle genevois, des unités discursives minimales et intermédiaire (niveau opérationnel), celle de visée, liée à l’interaction, des unités discursives de rang supérieur (niveau stratégique).

Le classement des activités constitutives du discours d’information médiatique (Charaudeau 1997) – selon le critère de finalité actionnelle du journaliste: rapporter, commenter, provoquer l’événement (les deux premières activités pouvant être décomposées à leur tour en activités de problématisation, d’élucidation et d’évaluation des faits et des dits rapportés et commentés), ou selon le critère de visée communicationnelle inscrite dans le contrat

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d'information médiatique: visée d'information (ou de crédibilité) et visée de captation (ou de séduction) – peut également être adapté au système notationnel du modèle genevois. Ces deux critères correspondent respectivement aux niveaux opérationnel et stratégique du discours journalistique, car les activités de rapporter, de commenter et de provoquer visent la construction de l'événement médiatique, tandis que celles d'informer et de capter visent à produire un effet sur l'instance de réception.

Le tableau ci-dessous permet de représenter la manière dont les

propositions de Habermas, de Bange et de Charaudeau peuvent être adaptées au modèle genevois afin de contribuer à une description systématique de l’organisation opérationnelle du discours, dans une perspective modulariste.

Figure 24: L’adaptation des propositions de Habermas, de Bange et de Charaudeau au système notationnel du modèle genevois

Dimensionsimpliquées TextuellePraxéologique

Intervention

Action minimale

TransactionEchange

Acte textuel

Phase

Incursion

Épisode

Unitésdiscursives

Opérations discursives(but)

Stratégies discursives(visée)

Le présent chapitre sera consacré à l’analyse des structures opérationnelles de quelques extraits de notre corpus. Le couplage d’informations modulaires de natures textuelle et praxéologique, relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques minimales et intermédiaires nous permettra de définir, dans un premier temps, les constituants de l’organisation opérationnelle. Nous commencerons par la description de l’unité minimale de l’organisation opérationnelle, l’acte discursif, issu de la combinaison d’un acte textuel et d’une action minimale. Nous introduirons ensuite la notion d’opération discursive, pour désigner l’unité discursive intermédiaire, résultant de la combinaison d’une intervention textuelle et d’une unité praxéologique de rang intermédiaire (phase ou épisode). Le couplage d’informations issues des formes d’organisation opérationnelle et relationnelle nous permettra de décrire, dans un deuxième temps, les relations entre ces constituants. L'analyse des unités et des relations

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discursives vise à rendre compte de la complexité des structures opérationnelles, comportant un versant textuel et un versant actionnel107.

La démarche allant des structures opérationnelles aux stratégies sera explicitée dans le chapitre suivant: elle permettra de rendre compte de la manière dont les différentes opérations discursives (journalistiques et rédactionnelles) contribuent à l’efficacité du discours du journalisme politique, le texte journalistique ne constituant que la face émergente d’un processus de négociation sous-jacent à l’interaction entre une source d’information, une instance médiatique et une instance de réception.

Après avoir intégré les propositions de Habermas, de Bange et de Charaudeau dans le cadre de l’approche modulaire de la complexité de l’organisation du discours, nous traçons de la manière suivante les principaux axes de réflexion du présent chapitre:

- définir les principes de couplage qui interviennent dans la description des structures opérationnelles (3.1.);

- décrire les constituants de l’organisation opérationnelle, en combinant les informations d'ordres textuel et praxéologique, relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques minimales et intermédiaires, avec les informations liées au cadre actionnel, liées à la définition des buts de l'instance médiatique (quotidien/journaliste) (3.2.);

- décrire les relations entre ces constituants, en combinant les informations issues des formes d’organisation opérationnelle et relationnelle108 (3.3.);

- en guise de conclusion, montrer l'apport de cette approche à la description de l'organisation d'un texte et, plus spécifiquement, à celle de l'organisation du discours de la presse écrite (3.4.).

La démarche proposée appelle plusieurs commentaires. Premièrement, aborder la problématique des stratégies discursives en commençant par le niveau opérationnel de l’interaction verbale ne signifie pas adopter un ordre méthodologique inverse à celui qui a présidé à la description des systèmes d’informations de base, mais respecter la progression qui caractérise l’approche modulaire de la complexité du discours: la description des formes d’organisation simples qui interviennent dans l’analyse des structures opérationnelles précède celle des formes d’organisation complexes qui interviennent dans l’analyse des stratégies discursives.

107 Comme l’observe Filliettaz (2001b), « dès lors qu’on cherche à spécifier la nature des rapports que les processus actionnels entretiennent avec les formes sémiotiques complexes qui les médiatisent, on mobilise nécessairement des informations à la fois référentielles et hiérarchiques, et plus spécifiquement deux des structures qui leur sont propres: les structures praxéologiques et les structures hiérarchiques textuelles. […] Ces catégories renvoient à des informations de nature différente et se fondent sur des unités et des relations distinctes » (2001b: 210). 108 Dans la récente version du modèle genevois (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001, Roulet 2002, 2003), l’analyse des relations textuelles relève de la forme d’organisation relationnelle, et celle des relations praxéologiques de la dimension référentielle. Cependant, compte tenu de la complexité des unités discursives, susceptibles d’entretenir plusieurs types de relations (Roulet 2002a), il est possible d’étendre la forme d’organisation relationnelle à l’ensemble des relations discursives (sémantiques, textuelles et praxéologiques).

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En outre, une telle démarche est dictée par la place qu’occupe la dimension textuelle des productions discursives dans l’analyse du discours. Quelle que soit l’étendue du cadre théorique choisi, le produit discursif lui-même, dans sa dimension textuelle, constitue la principale source d’informations pour l’analyste du discours. N’ayant pas l’accès à « la situation d’action langagière interne ou effective », qui « influe réellement sur la production d’un texte empirique » (Bronckart 1996: 94)109, celui-ci ne peut que formuler des hypothèses concernant les opérations psychologiques qui sous-tendent l’élaboration des structures textuelles à partir des informations relatives à « la situation d’action externe » (ibid.) et aux relations dialectiques que celle-ci entretient avec le produit discursif. Comme l’observe Charaudeau à propos des « lieux de pertinence de la machine médiatique: lieu des conditions de production, lieu de construction du discours, lieu d’interprétation » (1997: 16), c’est dans le lieu de construction du discours que sont produits des « effets possibles », « effets qui surgissent en écho aux effets visés par l’instance d’énonciation et représentent des possibles interprétatifs pour l’instance de réception » et c’est « à travers le discours que se construit la structuration mentale de l’espace social de l’échange, et donc de l’espace public » (1997: 18-19). Dans le modèle genevois d’analyse du discours, une partie de cette problématique complexe est traitée dans le cadre de formes d’organisation issues du couplage d’informations modulaires d’ordres textuel et praxéologique.

Finalement, la démarche proposée permet de concilier « deux approches générales des productions textuelles » (Bronckart 1996: 184-185), l’une, monologique, centrée sur le niveau opérationnel de l’interaction verbale, « qui saisit le texte du seul point de vue de son auteur » et « cherche surtout à y analyser les traces de la “pensée” et des intentions communicatives d’un “sujet parlant” » (ibid.), et l’autre, dialogique, « qui considère que tout texte, même lorsqu’il est produit par un seul agent, est fondamentalement orienté vers un destinataire, et doit donc faire l’objet d’une analyse qui porte notamment sur les diverses traces de cette interaction entre auteur et destinataire » (ibid.) - approche qui est à même de saisir le niveau stratégique de l’interaction verbale.

109 En mettant en évidence la complexité des représentations sociales des « propriétés des mondes formels (physique, social et subjectif) susceptibles d’exercer une influence sur la production textuelle », Bronckart propose de distinguer « la situation d’action langagière externe, à savoir les caractéristiques des mondes formels, telles qu’une communauté d’observateurs pourrait les décrire, et la situation d’action langagière interne ou effective, c’est-à-dire les représentations de ces mêmes mondes, telles qu’un agent les a intériorisées » (1996: 94).

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3.1. Le couplage d’informations modulaires d’ordres textuel et praxéologique relevant du niveau opérationnel

Nous postulons que l’analyse du niveau opérationnel de l’interaction verbale relève, en premier lieu, de la forme d’organisation opérationnelle. Cette forme d’organisation simple, « qui repose sur la combinaison d’informations issues des modules hiérarchique (pour la structure de l’échange) et référentiel (pour la structure des actions), permet d’intégrer les descriptions des dimensions verbale et actionnelle du discours » (Roulet 2001b: 47). Par conséquent, les informations modulaires répertoriées dans le chapitre précédent seront réexaminées à la lumière des règles de couplage spécifiques à la forme d’organisation opérationnelle. Les deux systèmes d’informations de base, textuel et praxéologique, qui ont été analysés indépendamment l’un de l’autre, seront abordés dans le présent chapitre sous l’angle de leurs interdépendances. Il convient de préciser que nous nous en tiendrons, dans un premier temps, aux seules combinaisons d’informations modulaires qui interviennent dans la description des constituants de l’organisation opérationnelle et des relations entre ces constituants, en laissant de côté les combinaisons d’informations issues des formes d’organisation, qui permettront d’étendre cette description aux processus discursifs. 3.1.1. Les informations relatives à la définition des unités textuelles minimales et intermédiaires

Les informations modulaires de nature textuelle impliquées dans l’analyse des constituants de l’organisation opérationnelle concernent la définition des unités textuelles minimales (actes textuels) et intermédiaires (interventions). Les informations relatives à la définition des unités textuelles de rang supérieur (échanges) n’interviennent à ce stade de recherche qu’indirectement, dans la mesure où l’intervention du journaliste fait partie de la structure textuelle émergente d’un processus de négociation sous-jacent reliant une source d’information, une instance médiatique et une instance de réception.

(1) Les informations relatives à la définition de l’acte textuel. Le découpage d’un texte journalistique en unités textuelles minimales constitue non seulement un préalable à l’analyse de sa structure hiérarchique mais également à celle des constituants de son organisation opérationnelle. Les informations relatives aux unités textuelles minimales interviennent dans la définition des unités discursives minimales.

(2) Les informations relatives à la définition de l’intervention textuelle. Les unités textuelles minimales sont constitutives des unités textuelles de rang intermédiaire. Celles-ci assurent la récursivité de l’organisation textuelle, en permettant d’engendrer une infinité de structures textuelles. Les informations relatives aux unités textuelles de rang intermédiaire interviennent dans la définition des unités discursives intermédiaires.

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Les unités textuelles minimales et intermédiaires ne suffisent pas, à elles seules, à définir les constituants de l’organisation opérationnelle. Ces derniers, comme l’observe Filliettaz, « ne procèdent pas seulement d’articulations linguistiques et textuelles, mais invitent à une nécessaire extension du côté des processus actionnels » (2001b: 218). 3.1.2. Les informations relatives à la définition des unités praxéologiques minimales et intermédiaires Les informations modulaires de nature praxéologique impliquées dans l’analyse des constituants de l’organisation opérationnelle sont relatives à la définition des unités praxéologiques minimales (actions minimales) et intermédiaires (phases et épisodes). Quant aux unités praxéologiques de rang supérieur (transaction et incursion), elles relèvent du niveau stratégique de l’interaction verbale110. (1) Les informations relatives à la définition de l’action minimale. Cette unité est définie par Filliettaz (2001a) comme « la plus petite unité praxéologique guidée cognitivement par un but ou une intention, et potentiellement identifiable comme telle par le co-agent » (2001a: 121). Nous postulons que, dans le cas de textes monologiques écrits, caractérisés par la profonde imbrication des structures textuelles et praxéologiques, les frontières de l’unité praxéologique minimale coïncident avec celles de l’unité textuelle minimale. Les informations relatives à l’unité praxéologique minimale interviennent dans la définition de l’unité discursive minimale.

(2) Les informations relatives à la définition de la phase. Les unités praxéologiques minimales sont constitutives des unités praxéologiques de rang intermédiaire, phases. Celles-ci assurent la récursivité de l’organisation praxéologique, en permettant d’engendrer une infinité de structures praxéologiques. Les informations relatives à ce type d’unités praxéologiques interviennent dans la définition de l’unité discursive intermédiaire.

(3) Les informations relatives à la définition de l’épisode. Les phases sont constitutives des unités praxéologiques plus grandes, épisodes. Dans l’exemple du discours de la presse écrite, un épisode correspond à une intervention textuelle qui n’entretient pas de rapports textuels avec d’autres unités du même rang. Il est constitué par l’ensemble des unités textuelles et péritextuelles faisant partie d’un article de presse, mais peut comporter également des éléments autres que textuels: les « illustrations » (Kayser 1963: 97)111. Les

110 La dimension praxéologique de l’organisation du discours a été décrite par Filliettaz (1999, 2000, 2001a). 111 « Sont considérées comme “illustrations”, la reproduction photographique, le dessin, la caricature, la carte, le graphique et certains tableaux statistiques. Parmi ces derniers, on ne retiendra que ceux qui, de par leur composition technique, apparaissent plus proches de l’illustration que du texte, et on éliminera ceux qui se bornent à présenter une énumération alignée à l’intérieur d’un paragraphe ou entre deux paragraphes. Nous ne tenons pas compte des illustrations publicitaires » (Kayser 1963: 97).

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informations relatives à cette unité praxéologique interviennent dans la définition de l’unité discursive intermédiaire.

Les unités praxéologiques minimales et intermédiaires entretiennent avec les unités textuelles correspondantes d’étroites interrelations, que nous nous proposons d’examiner. 3.1.3. Les informations relevant du cadre actionnel

L’analyse des unités et des relations discursives nécessite également la prise en considération des informations relatives aux propriétés du cadre actionnel du discours du journalisme politique et, plus spécifiquement, aux buts et aux sous-buts poursuivis par l’instance de production (la rédaction du journal et le journaliste) à travers les unités praxéologiques de rangs différents. Les informations impliquées dans l’analyse des structures opérationnelles concernent principalement les buts et les sous-buts des unités praxéologiques intermédiaires (épisode et phase) et minimales (actions minimales)112.

(1) Les informations relatives aux buts des unités praxéologiques intermédiaires (épisode et phase). Les buts et les sous-buts des unités praxéologiques de rangs différents s’inscrivent dans le cadre actionnel propre à une situation d’interaction donnée. Nous emprunterons à Patrick Charaudeau (1997) le classement des modes discursifs du traitement de l’événement médiatique pour déterminer les buts des « séquences d’actions constitutives d’une transaction » que sont les épisodes et les phases (Filliettaz 2001a: 120). Nous associerons ainsi le but d’un épisode praxéologique à l’une des trois finalités de base qui caractérisent le traitement de l’événement médiatique: rapporter, commenter, provoquer les faits et les dits (Charaudeau 1997: 166), et les buts des phases praxéologiques constitutives d’un épisode aux activités de rang inférieur, telles problématiser, élucider et évaluer les faits et les dits rapportés et/ou commentés (id. 191-194).

(2) Les informations relatives aux buts des unités praxéologiques minimales (actions minimales). En rejoignant Filliettaz (2001a), qui définit l’action minimale comme « la plus petite unité praxéologique guidée cognitivement par un but ou une intention » (2001a: 121), et Bange (1992), qui postule le caractère à la fois séquentiel et hiérarchisé de toute action, nous considérons que le but de l’unité praxéologique intermédiaire (par exemple,

112 Comme les buts des unités praxéologiques de rang supérieur (incursion, transaction) déterminent les buts et les sous-buts des unités praxéologiques intermédiaires et minimales (suivant l’ordre décroissant de l’analyse des phénomènes discursifs), il convient de rappeler les définitions de l’incursion et de la transaction. « L’incursion peut être considérée comme l’unité praxéologique maximale », dont les bornes initiale et terminale « coïncident avec l’émergence d’un espace perceptuel fédérant une pluralité d’agents disposés à engager leur attention dans un enjeu commun », et « qui renvoie à la « rencontre » dans son ensemble » (Filliettaz 2001a: 119-120). En revanche, la transaction « regroupe l’ensemble des conduites finalisées qui portent sur un même foyer conjoint » (id. 120), sur un même « objet transactionnel » (Auchlin & Zenone 1980).

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élucider les faits commentés) peut être analysé en une succession de sous-buts des unités praxéologiques minimales (par exemple, élucider un fait).

(3) Dans le cas du discours monologique écrit, les unités textuelles constituent le principal moyen de réalisation des buts des unités praxéologiques correspondantes. 3.1.4. Les interrelations entre les unités textuelles et praxéologiques

Les interrelations entre les unités textuelles et praxéologiques peuvent être analysées sous différents angles. Des parallélismes peuvent être établis d’abord en matière de découpage des productions discursives en unités textuelles et praxéologiques de rangs différents. La mise en rapport des deux structures soulève ensuite le problème de récursivité de certaines unités textuelles et praxéologiques. Une analyse plus approfondie met en évidence des divergences sur le plan des rapports de dépendance entre leurs constituants respectifs. Finalement, l’analyse des productions discursives effectives permet de dégager des combinaisons d’unités textuelles et praxéologiques spécifiques au discours du journalisme politique.

(1) Des parallélismes au niveau du découpage en unités textuelles et praxéologiques de rangs différents. Par rapport aux conversations ordinaires (cf. Filliettaz 2000, 2001b), dont la structure praxéologiques peut être plus facilement distinguée de la structure textuelle (car elle comporte « des actions sémiotiquement hétérogènes: les actions langagières, les actions communicationnelles non langagières et les actions non communicationnelles » (Filliettaz 2001b: 206), le discours monologique écrit est caractérisé par l’imbrication des structures praxéologiques et textuelles. En effet, la plupart des unités praxéologiques y correspondent aux actions langagières, et seul un petit nombre d’entre elles aux actions communicationnelles non langagières (telles la mise en exergue visuelle, les illustrations etc.). Cependant, dans l’état actuel de nos connaissances en la matière, qui est relativement rudimentaire par rapport à celui de nos connaissances des dimensions linguistiques des productions discursives, nous ne sommes en mesure que d’émettre des hypothèses concernant les interrelations entre les unités praxéologiques et textuelles des discours monologiques écrits. En rejoignant Bronckart (1996) dans l’idée « que c’est l’agir communicationnel qui, en même temps qu’il est constitutif des mondes représentés, est également l’instrument par lequel se délimitent les actions » (1996: 39), nous postulons qu’une action minimale correspond à un acte textuel, une phase à une intervention textuelle de rang intermédiaire, un épisode à une intervention textuelle de rang supérieur. Les unités textuelles et praxéologiques sont indissociables et entretiennent des relations d’interdépendance dialectique: « l’action constitue le résultat de l’appropriation, par l’organisme humain, des propriétés de l’activité sociale médiatisée par le langage » (1996: 42-43). Ces interrelations ont été mises en évidence par Filliettaz: « La valeur discursive d’un acte de communication ne repose pas seulement sur le statut textuel des informations présentées, mais elle se fonde aussi sur des instructions

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linguistiques ainsi que sur des informations référentielles, liées à la situation d’action. Et inversement, c’est parce qu’une unité langagière est énoncée, et que celle-ci est conventionnellement associée à un acte directif, qu’une action peut émerger » (2001b: 219).

(2) La récursivité des structures textuelles et praxéologiques. A l’instar de l’intervention textuelle, « formée minimalement d’une intervention ou d’un acte, qui peut être précédé et/ou suivi d’un acte, d’une intervention ou d’un échange » (Roulet 2001c: 54), nous faisons l’hypothèse qu’une phase, au niveau de la structure praxéologique, peut être constituée d’unités de rangs inférieur (actions minimales), égal (phases) et supérieur (épisode). Les mécanismes récursifs qui caractérisent les structures aussi bien textuelle que praxéologique permettront ainsi de décrire l’organisation opérationnelle des productions discursives complexes.

(3) Les interrelations sur le plan des rapports de dépendance entre les constituants des structures textuelles et praxéologiques. Nous pouvons observer que la subordination textuelle coïncide souvent avec la subordination praxéologique, bien que les relations de dépendance entre les constituants de la structure textuelle soient dictées par des contraintes textuelles et linguistiques (Roulet 2001c), et les relations de dépendance entre les unités praxéologiques par leurs contributions respectives à la réalisation du but de l’unité praxéologique superordonnante (Bange 1992). (4) Les combinaisons des unités textuelles et praxéologiques propres au discours du journalisme politique. Les combinaisons des structures textuelles et praxéologiques des produits discursifs effectifs ne peuvent être analysées indépendamment des activités constitutives de la représentation praxéologique du discours du journalisme politique qui relèvent du niveau opérationnel de l’interaction médiatique, à savoir: rapporter et/ou commenter les faits et les dits sélectionnés, problématiser, élucider et évaluer les faits et les dits rapportés et/ou commentés. Ces activités sont indissociablement liées « aux trois finalités de base dans le traitement de l’événement médiatique » (Charaudeau 1997), qui relèvent du cadre actionnel de l’univers dans lequel s’inscrit le discours journalistique.

Afin d’examiner ces différents aspects des interrelations entre les structures praxéologiques et textuelles, nous avons choisi l’exemple de deux versions de la même information, sélectionnée et transmise par deux quotidiens différents. L’information en question porte sur deux incidents qui se sont produits à Sarajevo le jour de la signature de l’accord de paix. Ce qui a motivé notre choix, ce n’est pas l’intérêt de l’information elle-même, qui se traduirait par une plus grande importance qui lui serait automatiquement attribuée au sein des unités discursives de rang supérieur (les articles choisis occupant respectivement la dernière et l’avant-dernière place en importance visuelle dans la rubrique - Annexe 10), mais c’est la transparence avec laquelle cet exemple témoigne de l’interdépendance entre unités textuelles et praxéologiques impliquées dans la description des structures opérationnelles. En effet, la moindre modification de la structure textuelle se reflète dans la structure praxéologique du texte. Une analyse

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comparative des structures textuelles et praxéologiques des deux articles vise également à rendre évidente la subordination du niveau opérationnel (celui des buts actionnels de l’instance de production, poursuivis successivement et/ou simultanément) au niveau stratégique (celui de la visée communicationnelle globale des productions discursives, issues du processus de négociation réunissant une source d’information, une instance de production et une instance de réception).

Si nous comparons les deux versions du texte, nous pouvons observer qu’à côté de leurs ressemblances (le même titre: L’amertume explose à Sarajevo – à une différence près: dans la version du Courrier, le mot explose est entouré de guillemets – la signature du même journaliste, le contenu presque identique), elles présentent de nombreux points de divergence.

Premièrement, elles font l’objet de mises en page différentes: dans la Tribune de Genève, le corps de l’article est divisé en deux colonnes, qui sont séparées par l’intertitre; dans Le Courrier, en trois colonnes, qui forment un tout ininterrompu:

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Tribune de Genève:

L’amertume explose à Sarajevo

Ce devait être hier un jour ordinaire dans la capitale bosniaque, enfouie sous la neige et privée d’électricité depuis la veille. Mais, à la mi-journée, tandis que le traité de paix était signé à Paris, des explosions ont retenti. Selon l’armée, quatre grenades se sont abattues sans faire de blessés au centre-ville. Elles auraient été tirées par des fusils de Grbavica, quartier tout proche dont les occupants serbes refusent de passer sous le contrôle gouvernemental comme le prévoit l’accord.

La FORPRONU, qui n’était toujours pas en mesure de confirmer l’incident hier en fin de journée, déplore, elle, l’attaque d’un hélicoptère français. Parti à la recherche de soldats bosniaques pris dans la neige au sud de Sarajevo, il a reçu quatre rafales. L’accusée est cette fois leur Armija.

Morts pour rien

A chacun son amertume, au-delà du

souci d’équilibre cher à l’ONU. Dragan,

ancien combattant, a suivi la cérémonie et le discours des leaders de la planète à la télévision. « Une série de platitudes. Ils parlent de souffrance. Mais ils ne savent rien de la nôtre. La Bosnie ne garde que 27% de son territoire, la Croatie en prend 25% et la Serbie 48%. Mes amis sont morts pour rien. J’ai été blessé quatre fois pour rien. »

Beaucoup, faute de courant, n’ont pu regarder la signature transmise en direct. D’autres, comme la serveuse de l’hôtel Bosnia branché sur CNN, n’ont même pas remarqué ce qui se passait à l’écran. L’espoir a peine à se frayer un passage entre la morosité et l’apathie. « J’ai entendu beaucoup de belles paroles. Mais, après quatre ans d’attente, on n’a plus une grande capacité de s’émouvoir, avoue Tanja, une fonctionnaire qui a distraitement écouté la radio au travail. Le traité de Paris est un pas, je veux espérer. Mais nos problèmes ne sont pas finis. Les grenades qui viennent de tomber le prouvent. »

Véronique Pasquier

Le Courrier:

L’amertume « explose » à Sarajevo Ce devait être hier un jour ordinaire dans la capitale bosniaque, enfouie sous la neige et privée d’électricité depuis la veille. Mais, à la mi-journée, tandis que le traité de paix était signé à Paris, des explosions ont retenti. Selon l’armée, quatre grenades se sont abattues sans faire de blessés au centre-ville. La FORPRONU, qui n’était toujours pas en mesure de confirmer l’incident hier en fin de journée, déplore, elle, l’attaque d’un hélicoptère français. A chacun son amertume, au-delà du souci d’équilibre cher à l’ONU. Dragan, ancien

combattant, a suivi la cérémonie et le discours des leaders de la planète à la télévision. « Une série de platitudes. Ils parlent de souffrance. Mais ils ne savent rien de la nôtre. La Bosnie ne garde que 27% de son territoire, la Croatie en prend 25% et la Serbie 48%. Mes amis sont morts pour rien. J’ai été blessé quatre fois pour rien. » Beaucoup, faute de courant, n’ont pu regarder la signature transmise en direct. D’autres, comme la serveuse de l’hôtel Bosnia branché sur CNN, n’ont même pas remarqué ce qui se

passait à l’écran. L’espoir a peine à se frayer un passage entre la morosité et l’apathie. « J’ai entendu beaucoup de belles paroles. Mais, après quatre ans d’attente, on n’a plus une grande capacité de s’émouvoir, avoue Tanja, une fonctionnaire qui a distraitement écouté la radio au travail. Le traité de Paris est un pas, je veux espérer. Mais nos problèmes ne sont pas finis. Les grenades qui viennent de tomber le prouvent. »

Véronique Pasquier

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Deuxièmement, leurs structures hiérarchiques comportent un nombre inégal d’unités textuelles minimales: les vingt actes textuels de la version de la Tribune de Genève (Extrait n° 1) sont réduits aux quatorze actes textuels dans la version du Courrier (Extrait n° 2). Extrait n° 1: Le découpage en actes textuels du début de la version publiée dans la

Tribune de Genève du 15 décembre 1995 [1] L’AMERTUME EXPLOSE A SARAJEVO [2] Ce devait être hier un jour ordinaire dans la capitale bosniaque, [3] enfouie sous la neige [4] et privée d’électricité depuis la veille. [5] Mais, à la mi-journée, [6] tandis que le traité de paix était signé à Paris, [7] des explosions ont retenti. [8] Selon l’armée, [9] quatre grenades se sont abattues sans faire de blessés au centre-ville. [10] Elles auraient été tirées par des fusils de Grbavica, [11] quartier tout proche dont les occupants serbes refusent de passer sous le

contrôle gouvernemental comme le prévoit l’accord. [12] La FORPRONU, [13] qui n’était toujours pas en mesure de confirmer l’incident hier en fin de journée, [14] déplore, elle, l’attaque d’un hélicoptère français. [15] Parti à la recherche de soldats bosniaques pris dans la neige au sud de Sarajevo, [16] il a reçu quatre rafales. [17] L’accusé est cette fois leur Armija. [18] Morts pour rien [19] A chacun son amertume, [20] au-delà du souci d’équilibre cher à l’ONU.

Extrait n° 2: Le découpage en actes textuels du début de l’article publié dans Le Courrier du 15 décembre 1995

[1] L’AMERTUME « EXPLOSE » A SARAJEVO [2] Ce devait être hier un jour ordinaire dans la capitale bosniaque, [3] enfouie sous la neige [4] et privée d’électricité depuis la veille. [5] Mais, à la mi-journée, [6] tandis que le traité de paix était signé à Paris, [7] des explosions ont retenti. [8] Selon l’armée, [9] quatre grenades se sont abattues sans faire de blessés au centre-ville. [10] La FORPRONU, [11] qui n’était toujours pas en mesure de confirmer l’incident hier en fin de journée, [12] déplore, elle, l’attaque d’un hélicoptère français. [13] A chacun son amertume, [14] au-delà du souci d’équilibre cher à l’ONU.

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Troisièmement, les deux versions présentent des divergences aussi bien sur le plan de la structuration hiérarchique interne de leur première grande intervention, incluant respectivement les actes ([2-17]) et ([2-14]), que sur le plan de leurs macro-structures hiérarchiques.

Si nous recourons au critère de suppression pour déterminer d’abord les rapports de subordination entre les principaux constituants des macro-structures hiérarchiques des deux versions, nous pouvons observer que, dans la Tribune de Genève, les actes [10] et [17] résument la première grande intervention, ainsi que l’ensemble du texte, car ils apportent la réponse à la première question (qui ?) à laquelle le discours journalistique est censé répondre. Les actes [9] et [14], qui fournissent la réponse à la deuxième question journalistique (quoi ?), occupent la deuxième place en importance113. [8] Selon l’armée, [9] quatre grenades se sont abattues sans faire de blessés au centre-ville. [10] Elles auraient été tirées par des fusils de Grbavica, [11] quartier tout proche dont les occupants serbes refusent de passer sous le contrôle gouvernemental comme le prévoit l’accord. [12] La FORPRONU, [13] qui n’était toujours pas en mesure de confirmer l’incident hier en fin de journée, [14] déplore, elle, l’attaque d’un hélicoptère français. [15] Parti à la recherche de soldats bosniaques pris dans la neige au sud de Sarajevo, [16] il a reçu quatre rafales. [17] L’accusé est cette fois leur Armija. Dans la version du Courrier, les actes [13] et [14] résument la première grande intervention ([2-14]), sans pour autant résumer l’ensemble du texte: [13] A chacun son amertume, [14] au-delà du souci d’équilibre cher à l’ONU.

En effet, l’intervention dont ils font partie est subordonnée à celle qui suit. C’est la séquence des actes ([26-28]) qui résume la version du Courrier, en apportant la réponse à la question qui ?, absente de la première grande intervention ([2-14]): [26] Beaucoup, faute de courant, n’ont pu regarder la signature transmise en direct. 113 « La nouvelle ou information d’actualité répond à un certain nombre de critères classiques, qui ne seront pas sans importance dès lors qu’il s’agira de définir ce qu’est une « bonne » information. Ces critères tiennent, en premier lieu, au respect de la règle qui s’enseigne dès les premiers cours dans les écoles ou les facultés de journalisme. Celle-ci commande de répondre à la série de questions formulées il y a vingt siècles par Quintilien, qui fut le précepteur des petits-neveux de l’empereur Domitien: quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando ? Questions que la pratique du journalisme moderne exprime de façon un peu plus ramassée et selon un ordre plus logique: qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi ? Ce sont elles qui déterminent le plus souvent la structure d’une nouvelle et qui devraient, en principe, conduire le journaliste à donner une vision succincte et complète à la fois de l’événement qu’il rapporte, dès le premier paragraphe (le lead) de la nouvelle. » (Cornu 1994: 22-23).

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[27] D’autres, comme la serveuse de l’hôtel Bosnia branché sur CNN, n’ont même pas remarqué ce qui se passait à l’écran.

[28] L’espoir a peine à se frayer un passage entre la morosité et l’apathie.

Les deux articles présentent en effet des différences considérables au niveau de leurs macro-structures textuelles, dont nous proposons les représentations schématiques suivantes (pour la numérotation et le découpage en actes textuels des deux articles, voir les Annexes 1 et 2). Nous pouvons observer surtout la différence sur le plan des relations de dépendance qu’entretiennent les principaux constituants du texte: Ip-Is dans la première version, Is-Ip dans la seconde.

Dans la version de la Tribune de Genève (Figure 25), la première grande intervention ([2-17]) se subdivise en deux interventions coordonnées ([2-11] et [12-17]), et la deuxième ([18-43]) en un acte subordonné (l’intertitre) et en une intervention, qui se subdivise elle-même en deux interventions coordonnées de rang inférieur ([19-31] et [32-47]). Dans la version du Courrier (Figure 26), les deux grandes interventions ([2-14]) et ([15-37]) comportent chacune deux interventions de rang inférieur, respectivement ([2-4]), ([5-14]) et ([15-25]), ([26-37]).

L’analyse comparative de ces deux versions du même texte servira de point de départ à l’examen des interrelations entre les structures textuelle et praxéologique du discours de la presse écrite. Nous faisons l’hypothèse que toute modification de la structure textuelle constitue une trace de l’activité de l’instance de production et relève, en tant que telle, de la dimension praxéologique du discours du journalisme politique. Si une telle modification (en l’occurrence la suppression par la rédaction du journal d’un certain nombre d’actes textuels produits par le journaliste) relève du niveau stratégique de

Is Is

Ip

As [1]

I

Ip

Is [2-4]

Is [5-7]

Ip [8-12]

Ip [13-14]

Ip [15-17]

Is [18-25]

Ip [26-28]

Is [29-37]

Is

Ip

As [1]

I

As [18]

Ip

I

Ip

Is

I

Ip

Is [2-4]Is [5-7]Ip [8-11]

Is [12-14]

Ip [15-17]

Ip [19-20]

Ip [21-23]

Is [24-31]

Ip [32-34]

Is [35-43]

Ip

Is

Ip

I

I

Figure 26 : La macro-structure textuelle de la version publiée dans LC

Figure 25: La macro-structure textuelle de la version publiée dans la TG

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l’interaction médiatique, autrement dit du processus de négociation sous-jacent entre une source d’information, une instance de production et une instance de réception, elle peut être considérée comme marqueur de stratégie discursive mise en œuvre par l’instance médiatique (en l’occurrence par le quotidien Le Courrier).

A la grande intervention textuelle ([2-17]) de la version publiée dans la Tribune de Genève correspond une phase praxéologique (rapporter les faits), pouvant être analysée en deux phases de rang inférieur – problématiser les faits et élucider les faits – dont les frontières divergent de celles des unités textuelles de rang inférieur (Figure 27). En effet, l’établissement des rapports de dépendance entre les unités textuelles et praxéologiques repose sur des critères différents.

Le critère de suppression, qui veille à la contribution respective de chaque unité textuelle au procès d’intercompréhension, nous a permis de déterminer les rapports de dépendance entre les constituants de la structure textuelle (Roulet 2001c). Ainsi, les séquences des actes [8] à [11] et [15] à [17] occupent la position la plus importante dans cette intervention textuelle, composée de deux interventions coordonnées ([2-11] et [12-17]).

En revanche, la contribution d’une unité praxéologique de rang inférieur à l’atteinte du(des) but(s) de l’unité praxéologique de rang supérieur constitue le principal critère permettant de déterminer les rapports de dépendance entre les constituants de la structure praxéologique de la phase correspondante. Si nous rejoignons Bange (1992) dans son idée d’une hiérarchie des buts et des moyens, nous pouvons considérer qu’une unité praxéologique (par exemple l’action minimale [3]) est subordonnée à l’unité du même rang qui suit (l’action minimale [4]), qu’elle subordonne l’unité du même rang qui précède (l’action minimale [2]) et que, par conséquent, l’unité praxéologique en position finale (l’action minimale [7]) subordonne toutes les autres unités du même rang (dans notre exemple, les actions minimales [2-6]) (voir aussi §1.2.2.).

Les buts et les sous-buts possibles des unités praxéologiques de rangs différents étant multiples, ce critère général se traduit, dans l’analyse de la situation d’interaction concrète qui nous intéresse, par des critères spécifiques aux activités constitutives du discours du journalisme politique, à savoir la position et la longueur des unités praxéologiques de rangs différents. Dans le présent chapitre ne seront pris en considération que les buts communicationnels des unités praxéologiques minimales et intermédiaires, qui relèvent du niveau opérationnel de l’interaction médiatique: sélectionner et hiérarchiser les informations, rapporter et/ou commenter les faits et les dits sélectionnés. Ces activités sont elles-mêmes plus ou moins complexes, car certaines d’entre elles (rapporter et commenter les faits et les dits) peuvent poursuivre simultanément plusieurs sous-buts: « problématiser les fait et les dits, les élucider et les évaluer » (Charaudeau 1997: 191), et cela de manière plus ou moins distanciée (faire savoir et faire croire)114. 114 Charaudeau (1997) précise qu’il ne faut pas confondre l’« explication » propre au traitement du fait ou du dit rapporté et l’« analyse » propre au traitement de l’événement commenté. « Bien sûr, et conformément aux caractéristiques générales de toute argumentation, dans les

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Afin de pouvoir analyser la structure praxéologique interne de la phase que constitue cet extrait, nous émettrons l’hypothèse, en rejoignant Bange (1992), que les constituants du même niveau se succèdent en suivant la linéarité des productions verbales, et non pas la hiérarchie de la structure textuelle. La réalisation des buts et des sous-buts des activités constitutives de la représentation praxéologique du discours du journalisme politique nous servira de critère de délimitation des constituants de rang différents de la structure praxéologique des productions discursives effectives. Nous proposons la représentation schématique suivante des interrelations entre les structures textuelle et praxéologique de la séquence des actes et actions minimales [2] à [17] de la version publiée dans la Tribune de Genève:

Ap [2] Ce devait être hier un jour ordinaire …

As [5] Mais, à la mi-journée, As [6] tandis que le traité de paix était signé à Paris, Ap [7] des explosions ont retenti. As [8] Selon l’armée, Ap [9] quatre grenades se sont abattues ….

Ap [12] La FORPRONU, As [13] qui n’était toujours pas …

Ap [14] déplore, elle, l’attaque d’un hélicoptère français.

Is

I

IpIs

As [15] Parti à la recherche de soldats bosniaques ...Ap[16] il a reçu quatre rafales.

Ap [17] L’accusé est cette fois leur Armija.

IsIp

Is

Ap [10] Elles auraient été tirées par des fusils de Grbavica,As [11] quartier tout proche dont les occupants serbes ...

Is

Ip

A-I [3] enfouie sous la neigeA-I [4] et privée d’électricité depuis la veille.

IsIs

Ip

Ip

I

Ip

AMs

AMp

AMpAMp

AMpAMp

PHs

PHp

PHs

PHASERAPPORTERLES FAITS

PROBLEMATISERLES FAITS

RAPPORTERLES DITS

ELUCIDER LES FAITS

PHp

Figure 27: La séquence d’actes textuels et d’actions minimales [2-17] de l’article publié dans la Tribune de Genève

RAPPORTERLES DITS

PHsPHs

PHsPHs

AMs

AMp

AMpAMp

PHsPHs

AMpAMp

PHsPHs

AMs

AMp

AMpAMp

PHsPHs

Nous pouvons observer qu’en dépit des divergences dans le regroupement des unités textuelles – interventions ([2-11]) et ([12-17]) - et praxéologiques – phases ([2-7]) et ([8-17]) - les actes textuels qui occupent des positions élevées dans la structure hiérarchique textuelle correspondent aux actions minimales en position finale ([7], [17]) au sein des unités praxéologiques de rang supérieur (phases dont les sous-buts respectifs sont: problématiser les faits et élucider les faits).

Dans la version du Courrier, les structures textuelle et praxéologique de la séquence des actes textuels et actions minimales ([2-14]) divergent aussi bien

deux cas, les médias cherchent à problématiser les faits et les dits, à les élucider et à les évaluer. Cependant, alors que l’explication du fait et du dit est intégrée à ceux-ci, à la manière de les rapporter, essayant de les rendre compréhensibles dans leur immédiateté, l’analyse de l’événement commenté est plus externe aux faits, plus « distanciée » par rapport à ceux-ci. Elle les considère de façon plus globale, parfois aussi plus dégagée de l’actualité. Du coup, le sujet qui commente l’événement peut se permettre d’exprimer son point de vue plus personnel et engagé, alors que le sujet qui explique un événement rapporté doit s’effacer derrière celui-ci, et ne laisser transparaître son évaluation que de façon implicite » (1997: 191).

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du point de vue du regroupement de leurs constituants respectifs que de celui des rapports de dépendance entre ces constituants (Figure 28).

L’intervention textuelle peut être analysée en deux interventions de rang inférieur ([2-4] et [5-14]), qui ne coïncident pas avec les constituants ([2-7] et [8-14]) de l’unité praxéologique correspondante. Les deux structures divergent également du point de vue des rapports de dépendance entre leurs constituants, dans la mesure où les unités praxéologiques s’organisent de manière autonome, en suivant la linéarité des productions discursives, et non pas la hiérarchie des structures textuelles. Nous avons pu observer cependant que les actes textuels les plus importants correspondent aux actions minimales occupant la position finale ([7], [12], [14]) ou initiale ([2]) au sein des unités praxéologiques superordonnantes.

Nous proposons la représentation schématique suivante des interrelations entre les structures textuelle et praxéologique de la séquence des actes textuels et actions minimales [2] à [14] de la version du texte publiée dans Le Courrier:

A-I [3] enfouie sous la neige

As [5] Mais, à la mi-journée, As [6] tandis que le traité de paix était signé à Paris, Ap [7] des explosions ont retenti. As [8] Selon l’armée, Ap [9] quatre grenades …

Ap [10] La FORPRONU, As [11] qui n’était toujours pas …

Ap [12] déplore, elle, l’attaque d’un hélicoptère français. As [13] A chacun son amertume, Ap [14] au-delà du souci d’équilibre cher à l’ONU.

Ip

IsIp

IpIs

A-I [4] et privée d’électricité depuis la veille.

Ap [2] Ce devait être hier un jour ordinaire …

IsIs

Is

Ip

I

I

Is

AMpAMsAMp

PHs

PHp

PHsPHp

RAPPORTERLES FAITS

PROBLEMATISERLES DITS

EVALUER LES DITS

RAPPORTERLES DITS

Figure 28: La séquence d’actes textuels et d’actions minimales [2-14] de l ’article publié dans Le Courrier

PHASERAPPORTERLES FAITSET LES DITS

AMpAMp

PHsPHs

AMs

AMp

AMpAMp

PHsPHs

PHs

AMs

AMp

AMpAMp

PHsPHs

Des modifications effectuées dans la version du Courrier, quelque subtiles qu’elles puissent paraître, ont entraîné des modifications importantes dans les relations de dépendance entre les principaux constituants des macro-structures textuelles et praxéologiques des deux articles. La position des actes textuels correspondant à la phase d’évaluation des dits rapportés – à la fin de la première intervention textuelle dans la version du Courrier ([13-14]) et en début de la deuxième intervention textuelle dans la version de la Tribune de Genève ([19-20]) – constitue le signe le plus visible et le plus superficiel de ce décalage.

Une analyse comparative plus approfondie permet de constater que c’est la suppression de la version du Courrier des actes ([10-11]) et ([15-17]) correspondant à la phase d’élucidation des faits rapportés qui est à l’origine des divergences au niveau des structures textuelle et praxéologique.

L’examen des interrelations entre les unités textuelles et praxéologiques minimales et intermédiaires est loin d’épuiser la problématique de la visée communicationnelle globale d’un texte journalistique, qui relève du niveau stratégique de l’interaction médiatique. Une analyse plus complète devrait en

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effet prendre en considération l’orientation de chaque quotidien et le type de public auquel il s’adresse115, que nous nous contentons d’aborder ici brièvement, afin d’illustrer la subordination des unités opérationnelles aux unités stratégiques.

Les interrelations entre les dimensions praxéologique et textuelle ne peuvent être analysées indépendamment de l’instance de production - locuteur, agent, acteur, journaliste, instance médiatique - et de sa responsabilité: « Les humains singuliers s’approprient donc des capacités d’action, des rôles sociaux et une image de soi, c’est-à-dire des représentations d’eux-mêmes comme agents responsables de leur action » (Bronckart 1996: 45). L’exemple que nous venons d’analyser met en évidence les tensions qui existent entre les structures produites par deux instances distinctes (journaliste et rédaction), tensions qui doivent être prises en considération également dans l’examen des interrelations entre les dimensions textuelle et praxéologique des produits discursifs effectifs. « Chaque journaliste reste maître, dans une mesure appréciable, de la sélection qu’il opère parmi ses informations « brutes » et de la forme qu’il donne à son article. La reconstruction de la réalité du jour appartient à la rédaction dans son ensemble, sous la responsabilité de son rédacteur en chef, fonctionnant comme « gardien de la porte », comme gate keeper » (Cornu 1994: 307). Le journaliste observe, interprète et raconte (ibid.), la rédaction met la dernière touche au discours journalistique à travers la mise en forme et la mise en page de l’ensemble (la dernière sélection des sujets, la disposition des textes, leur longueur et l’importance visuelle des titres qui les introduisent) pour guider l’interprétation du lecteur et pour lui imposer une vision de la réalité, en tenant compte des intérêts du journal.

Nous analyserons de manière plus approfondie la micro-structure textuelle et praxéologique de deux séquences qui sont à l’origine des divergences entre la version de la Tribune de Genève et celle du Courrier. Il s’agit respectivement des séquences d’actes textuels et d’actions minimales [5-17] et [5-12].

Dans la version publiée par la Tribune de Genève, le journaliste informe le lecteur des deux incidents ([5-7], [9], [14], [15-16]), identifie les responsables ([10-11], [17]), en mentionnant la source de chaque information ([8], [12-13]).

115 « Parler d’information commande donc de prendre en compte plusieurs aspects: la recherche d’un renseignement, son élaboration sous la forme de nouvelle, son contenu proprement dit et sa diffusion. Les acteurs principaux en sont les gens qui font métier d’informer et le public. Comment apprécier la vérité d’une information, non seulement quant à l’exactitude des faits qu’elle rapporte, mais aussi quant à la justesse de son interprétation, quant à l’authenticité de sa relation, sans référence au public auquel cette information est destinée ? La déontologie professionnelle et l’éthique de l’information concernent au premier titre les actes qui appartiennent aux journalistes: recueillir des informations, les mettre en forme (in-formatio) comme nouvelles, en vue de leur divulgation. Mais cette destination signifie que le processus journalistique concerne des informations dont la recherche et la mise en forme – écrite, orale ou en image – sont comprises en fonction d’un public. Elle implique d’autre part l’existence de moyens de diffusion, dont l’activité du journaliste dépend techniquement et socialement » (Cornu 1994: 20-21).

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La version publiée dans Le Courrier n’est pas complète, car les informations sur les responsables des deux incidents ont été omises.

Cette différence dans le traitement de la même information est due à la tendance du quotidien et au type du public auquel il s’adresse. La Tribune de Genève, journal visant une cible dite grand nombre et attaché à l’effet de dramatisation, a transmis le texte dans son intégralité. Le Courrier, quotidien d’orientation confessionnelle, s’adresse à un public moins nombreux et moins attaché à l’effet de dramatisation116. Sa volonté de dédramatiser l’événement est visible aussi bien au niveau du titre, où le verbe « exploser » est mis entre parenthèses, qu’au niveau de la structure du texte, réduite aux seules informations sur les incidents eux-mêmes. Comme l’auteur du texte n’a pas lui-même voulu assumer la responsabilité de ces informations contradictoires, qu’il a commentées d’une manière distanciée (l’emploi du conditionnel, marqué en italiques dans l’acte ([10]) de la version de la Tribune de Genève), Le Courrier a décidé de « ménager » son public117.

Les différences entre ces deux versions sont révélatrices non seulement des relations étroites qu’entretiennent les structures textuelle et praxéologique mais également de la complémentarité et de la complexité des deux activités constitutives du discours d’information médiatique – rapporter et commenter les faits et les dits – et de leur insertion dans des activités plus englobantes qui relèvent du niveau stratégique de l’interaction médiatique. « La visée informative de faire savoir a besoin de « crédibilité » pour sa réalisation. On ne peut informer si l’on n’est pas en mesure de donner simultanément des garanties sur la véracité des informations que l’on transmet, et donc faire savoir s’accompagne nécessairement d’un faire croire: le commentaire est une activité étroitement liée à la description de l’événement » (Charaudeau 1997: 190-191). Les deux activités constitutives du texte journalistique – rapporter et commenter les faits et les dits – s’inscrivent, au niveau de l’interaction médiatique, dans des activités plus générales de mise en scène de l’événement brut (par l’instance médiatique) et d’interprétation de l’événement médiatique (par l’instance de réception). Car le rôle des médias ne consiste pas à transmettre simplement les informations disponibles, mais à les sélectionner, à les hiérarchiser, à les interpréter, en créant une mise en scène et une mise en discours particulières. « L’événement médiatique » ne peut être identifié ni avec « l’événement brut »,

116 Voir les résultats d’une analyse comparative du traitement et de la présentation de l’information sur la guerre du Golfe par les quatre quotidiens francophones de Genève : La Tribune de Genève, La Suisse, Le Courrier et Le Journal de Genève à travers trois dimension de la présentation de l’information: l’intelligibilité de l’information, la dramatisation de l’information et la manière dont les quotidiens présentent les acteurs du conflit (Caramani, Mottier & Ossipow 1994). 117 « Pour limiter les conséquences indésirables des informations rapportées, la sélection, l’évaluation et l’interprétation des événements soulignent l’importance relative de ce qui est rapporté. La politique éditoriale, en classant des nouvelles en différentes rubriques – nouvelles internationales, sport, culture, etc. – et en en attribuant la place – à la une – et en accordant un certain nombre de lignes aux informations, essaie de guider le lecteur. On devient plus conscient de ce genre de ménagement des nouvelles quand il n’est pas effectué » (Lazar 1991: 36).

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dont le média concerné ne peut donner qu’une image simplifiée et partielle, ni avec « l’événement interprété », de manière subjective et partiale, par l’instance de réception (Charaudeau 1997: 72).

L’analyse des productions discursives effectives, d’une part, et la prise en considération de leur insertion dans des unités discursives de rang supérieur, de l’autre, permettent de compléter et de nuancer les observations précédentes portant sur les interrelations entre les unités textuelles et praxéologiques minimales et intermédiaires:

Ad (1) La possibilité de combinaisons d’unités textuelles et

praxéologiques de rangs différents ou d’unités praxéologiques et unités autres que textuelles. A part les combinaisons d’unités praxéologiques et textuelles de rang identique (action minimale/acte textuel, phase/intervention de rang intermédiaire, épisode/intervention de rang supérieur), nous avons pu observer d’autres combinaisons, fréquentes dans le discours journalistique:

- la combinaison d’unités praxéologique et textuelle de rangs différents. L’unité textuelle minimale se combine avec une unité praxéologique de rang intermédiaire (par ex. dans le cas des unités péritextuelles composées d’un seul acte textuel), et l’intervention textuelle de rang intermédiaire avec un épisode (dans le cas de l’insertion d’un article de presse dans un autre, plus long);

- la combinaison d’une unité praxéologique et d’une unité autre que textuelle (illustration) dont le statut dans l’organisation opérationnelle du discours journalistique doit également être défini118;

- la combinaison d’une unité praxéologique (correspondant à l’activité de ne pas rapporter ou de ne pas commenter) et de l’absence d’unités textuelles à la surface du texte, comme marqueur de stratégie discursive mise en œuvre par l’instance médiatique.

Ad (2) Certaines de ces combinaisons d’unités textuelles et praxéologiques de rangs différents sont dues à la récursivité des unités textuelles et praxéologiques intermédiaires (par ex. la combinaison d’une unité textuelle minimale et d’une unité praxéologique intermédiaire ou celle d’une intervention textuelle de rang intermédiaire et d’un épisode). Ad (3) A côté des parallélismes entre les subordinations textuelle et praxéologique, on peut observer également de nombreux cas de divergences dans les rapports de dépendance entre unités textuelles et praxéologiques de rangs différents. En effet, des critères permettant d’établir des rapports de dépendance entre les unités textuelles diffèrent de ceux qui président à l’établissement des rapports de dépendance entre les unités praxéologiques correspondantes. Ainsi, par exemple, le titre d’un article de presse n’a pas la même importance aux niveaux praxéologique et textuel. Alors qu’il prépare l’intervention textuelle correspondant au corps de l’article, par rapport à laquelle il occupe une position subordonnée, le titre joue le rôle principal dans la 118 Du fait d’une présence assez conséquente d’éléments non-langagiers, la séparation entre ces deux structures est encore plus accentuée dans le média audio-visuel.

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réalisation de la visée communicationnelle de l’unité discursive à laquelle il est articulé: attirer l’attention et « convaincre quelqu’un d’effectuer un choix » (Bronckart 1996: 99)119. La mise en exergue visuelle du titre est l’un des éléments décisifs qui guident le choix du lecteur au cours du balayage transversal d’une page de journal (3.3.4.). D’ailleurs, certains auteurs considèrent la titraille comme un genre de la presse écrite à part entière (Charaudeau 1997) et non pas comme un simple constituant de la structure d’un article de presse. Nous adoptons une position intermédiaire et postulons que la titraille, quelle que soit son étendue textuelle (qui peut aller d’un simple acte textuel à des interventions complexes) constitue une phase praxéologique au même titre que les illustrations qui accompagnent le texte ou la phase praxéologique constituée par l’ensemble des unités textuelles. La visée communicationnelle de captation de la phase formée par la titraille se superpose ainsi à la visée informative de l’épisode formé par l’ensemble des éléments constitutifs d’un article de presse (titraille, texte, illustration, encadré).

Ad (4) Le discours du journalisme politique comporte une partie invisible

de tout ce que l’instance médiatique n’a pas transmis. La comparaison des deux versions presque identiques du même texte n’en fournit qu’un exemple simple, où de telles omissions sont apparentes et peuvent être repérées à la surface des textes en tant que marqueurs des stratégies discursives que l’instance médiatique met en œuvre afin de ménager sa cible.

Des corpus d’articles de presse comme le nôtre constituent en eux-mêmes une illustration éloquente du caractère partiel et partial du discours médiatique: en mettant en scène le même événement politique, chaque média n’a rendu transparente qu’une de ses facettes, et en a dissimulé les autres. En effet, c’est la multiplication de mises en scène différentes du même événement qui permet de rendre moins opaques ses interprétations particulières et partielles. « La notion de stratégie doit nous permettre de cerner dans un secteur donné du réseau des médias, les variations, dues à la concurrence, entre plusieurs représentants d’un même genre. La presse écrite fournit des exemples éclatants de ce type de situation et est par conséquent un domaine privilégié pour l’étude des variations stratégiques » (Véron 1988: 14-15).

En conclusion, les activités constitutives du discours journalistique et les buts de l’instance de production influent sur la structure textuelle du produit discursif. La moindre modification de la structure textuelle, comme l’a montré l’exemple des deux versions presque identiques de la même information, permet à l’instance de production d’orienter l’interprétation de l’instance de réception dans la direction souhaitée. L’omission de certaines unités textuelles, même si elle ne porte pas atteinte à la compréhension du texte lui-même, modifie la

119 « Pour identifier les buts d’un texte, il faut connaître les buts de l’action langagière à laquelle ce texte est articulé: convaincre quelqu’un d’effectuer un choix, lui faire comprendre un problème, le divertir, etc. Le nombre de ces buts d’action étant théoriquement infini, les buts d’un texte sont donc eux aussi théoriquement infinis, et il semble dès lors illusoire d’en proposer une liste exhaustive » (Bronckart 1996: 99).

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quantité et la qualité des informations que l’instance médiatique met à la disposition du lecteur, ainsi que l’effet produit sur l’instance de réception. 3.1.5. Quelques principes de couplage spécifiques à la forme d’organisation opérationnelle

Les composantes textuelle et praxéologique des unités opérationnelles entretiennent des rapports d’interdépendance plus ou moins étroits, que l’analyse de l’organisation opérationnelle devrait permettre de décrire de manière systématique. « Dès lors que le produit des interactions situées ne se réduit ni à des processus praxéologiques ni à des réalités communicationnelles, tout modèle d’analyse du discours se doit de questionner les liens que les conduites finalisées entretiennent avec les ressources langagières qui les médiatisent » (Filliettaz 2001b: 201)120.

Aux règles propres au fonctionnement des dimensions hiérarchiques et praxéologiques, s’ajoutent les règles suivantes spécifiques à la forme d’organisation opérationnelle:

(1) L’action minimale se combine avec l’acte textuel. La combinaison d’une unité praxéologique minimale et d’une unité textuelle minimale est à l’origine de l’unité minimale de l’organisation opérationnelle, l'acte discursif.

(2) La phase se combine avec l’intervention textuelle. La combinaison d’une phase et d’une intervention donne lieu à l’unité opérationnelle intermédiaire: opération discursive de portée locale. Cette dernière est marquée par des tensions, les structures dont elle est issue obéissant à des critères différents: critère de suppression, pour l’établissement de la structure hiérarchique de l’intervention textuelle, dans laquelle les unités indispensables à la bonne compréhension du texte sont principales par rapport aux unités dont la suppression ne nuit pas à la compréhension de l’ensemble (Roulet 2001c); critère de contribution relative à l’atteinte du but communicationnel de l’unité praxéologique de rang supérieur, pour la structure d’une phase, formée d’une succession d’actions minimales, dans laquelle chaque nouvelle action subordonne celle(s) qui précède(nt), dans la mesure où elle est plus près de l’atteinte du but final, celui de l’unité praxéologique de rang supérieur (Bange 1992).

(2’) La phase peut se combiner avec un acte textuel. Dans le discours du journalisme politique, on rencontre souvent la combinaison d’une unité praxéologique intermédiaire et d’une unité textuelle minimale (tel est le cas des intertitres composés d’un seul acte textuel).

120 « Il s’avère que les opérations que les interactants construisent conjointement ne sont réductibles ni à des unités communicationnelles fondées linguistiquement, ni à une incursion référentielle centrée sur un objet transactionnel particulier, mais que ces deux ordres de faits s’interpénètrent dans ce qu’on peut appeler, à la suite de Lacoste (1995a: 461) une séquence “d’action-communication” » (Filliettaz 2001b: 202).

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(2’’) La phase peut se combiner avec des unités autres que textuelles. L’unité praxéologique intermédiaire peut se combiner avec des unités autres que textuelles (la titraille, les illustrations).

(3) L’épisode se combine avec l’intervention. La combinaison d’un épisode et d’une unité textuelle intermédiaire est à l’origine de l’unité opérationnelle de rang supérieur, opération discursive de portée globale.

(4) Les unités textuelle et praxéologique intermédiaires (interventions et phases) assurent la récursivité des structures opérationnelles. La récursivité des structures opérationnelles repose sur la récursivité des structures textuelles et praxéologique (une intervention textuelle de même qu’une phase praxéologique peuvent être composées de constituants de rangs inférieur, égal et supérieur).

(5) La facette textuelle des unités opérationnelles s’inscrit dans une intertextualité. Les deux aspects, praxéologique et textuel, sont indissolublement liés du fait de la dimension historique de toute production discursive, s’inscrivant dans l’intertexte. « L’homme n’a accès au milieu que dans le cadre d’une activité médiatisée par la langue, mais toute langue se présente comme une accumulation de textes et de signes en lesquels sont déjà cristallisés les produits des rapports au milieu élaborés et négociés par les générations précédentes. Les mondes représentés ont été « dits » bien avant nous, et les textes et signes qui les ont constitués continuent de porter les traces de cette construction historique permanente » (Bronckart 1996: 38).

(6) La facette praxéologique des unités discursives s’inscrit dans les pratiques propres à une formation socio-langagière déterminée, en l’occurrence le journalisme politique. « Les formations socio-langagières sont des mécanismes qui, dans le mouvement même qui génère des modalités particulières d’organisation des signes, débouchant sur des formes variées de « discours » (que nous qualifierons, pour notre part, de genres de textes), façonnent d’une manière particulière les connaissances (objets, concepts, stratégies, etc.) des membres d’une même formation sociale » (Bronckart 1996: 37). Chaque texte appartient à un genre de discours faisant partie d’une formation socio-langagière déterminée (discours médiatico-politique)121.

(7) Finalement, les structures opérationnelles permettent de relier les buts et les sous-buts des activités constitutives du discours du journalisme politique (rapporter et/ou commenter les faits et les dits, problématiser, élucider et évaluer les faits et les dits rapportés et/ou commentés) et les moyens langagiers déployés à travers les structures textuelles en vue de la réalisation de ces buts. En effet, ce qui permet de délimiter les unités praxéologiques de rangs différentes, puis de les relier aux unités textuelles correspondantes, c’est leur but communicationnel (pour les unités de rangs inférieur et intermédiaire, qui relèvent du niveau opérationnel), voire leur visée communicationnelle (pour les unités de rang supérieur, relevant du niveau stratégique). L’intérêt de la mise en 121 « La sémiotisation donne ainsi naissance à une activité proprement langagière qui s’organise en discours ou en textes. Et sous l’effet de la diversification des activités non langagières avec lesquelles ils sont en interaction, ces textes se diversifient eux-mêmes en genres » (Bronckart 1996: 35).

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relation des unités textuelles et praxéologiques est d’essayer de résoudre la question du statut des catégories liées à la représentation praxéologique de l’interaction médiatique et de l’activité journalistique, telles informer et capter le lecteur, rapporter et/ou commenter les faits et les dits, problématiser, élucider et évaluer les faits et les dits rapportés et/ou commentés.

Ces principes de couplage peuvent être représentés à l’aide du schéma suivant (à noter que si les unités praxéologiques intermédiaires comportent minimalement deux constituants, ce nombre peut être largement supérieur à deux, comme nous avons pu l’observer au cours de l’analyse des deux extraits d’articles de presse)122.

122 Le schéma de la facette praxéologique de l’interaction verbale s’inspire du modèle pyramidal de l’action proposé par Volpert (1982) (présenté par Bange 1991: 88-89). « L’unité du sommet apparaît comme orientée vers un but d’ensemble; de chaque niveau, on embrasse la totalité des étapes du niveau inférieur comme un but qui donne un sens à cette succession d’étapes; jusqu’aux unités de base dont les transformations ne peuvent plus, par hypothèse, constituer de nouvelles unités, mais constituent des unités immédiatement transformantes. Chaque unité cyclique est générée à partir d’un but. Elle est contrôlée par la conformité entre la situation résultant de l’étape finale et le but. C’est-à-dire que le succès d’une action est toujours contrôlé au niveau supérieur à celui de son exécution » (Bange 1992: 89).

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EPISODE

ACTION MINIMALE/PHASE

ACTE TEXTUEL/INTERVENTION

ILLUSTRATION

I

OPERATION DISCURSIVEDE PORTEE LOCALE

ACTE DISCURSIF/ OPERATION LOCALE

ARTICLE DE PRESSE

LES PRATIQUESPROPRES A UNEFORMATIONSOCIO-LANGAGIERE

LA DIMENSIONHISTORIQUE

S’INSCRIVANTDANS L’INTERTEXTE

LA FACETTE TEXTUELLE LA FACETTE PRAX.

Ip

ACTES DISCURSIFS

OPERATION DISCURSIVE DE PORTEE LOCALEOPERATION DISCURSIVE DE PORTEE GLOBALE

NIVEAUX INTERMEDIAIRES

Figure 29 : Les principes de couplage propres à la forme d’organisation opérationnelle du discours de la presse écrite

PHp

PHs

PHp

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Ip

Is

OPERATION LOC.

OPERATION LOC.

OPERATION LOC.

Is PHsOPERATION LOC.

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OPERATION DISCURSIVE DE PORTEE GLOBALE

MOYENS BUTS

MISE EN EXERGUE VISUELLE

ACTION MINIMALE/PHASE

ACTE DISCURSIF/ OPERATION LOCALE

ACTE DISCURSIF AMs

AMp

AMp

ACTE DISCURSIF

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OPERATION LOC.

OPERATION LOC.

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Ip

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PHp

I

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I

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Les principes de couplage serviront de point de départ à l'examen des structures opérationnelles, qui devrait « déboucher sur une description non réductionniste et non dualiste des conduites médiatisées » (Filliettaz 2001b: 220)123. Nous nous intéresserons d’abord aux constituants de l’organisation opérationnelle (actes discursifs, opérations discursives de portées locale et globale), pour passer ensuite à l'analyse des relations entre ces constituants. 123 Du fait qu’elle repose sur une distinction des dimensions référentielle et hiérarchique, elle évite d’assimiler les effets praxéologiques et textuels des activités communicationnelles. Et parce qu’elle ne se contente pas de distinguer ces dimensions, mais qu’elle contribue à les réarticuler, elle ne postule pas une dissociation forte de ces plans d’organisation du discours » (Filliettaz 2001b: 220).

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3.2. Analyse des unités opérationnelles

L’analyse des structures opérationnelles vise à saisir la spécificité des unités opérationnelles par rapport aux unités praxéologiques et textuelles dont elles sont issues. « L’étude de l’organisation opérationnelle ne peut se contenter de décrire dans un rapport d’équivalence les processus praxéologiques et les mécanismes communicationnels qui les médiatisent. Au contraire, elle doit impérativement chercher à spécifier comment les ressources communicationnelles liées à l’entente s’imbriquent dans la structure des actions, et ce sans pour autant assimiler ces domaines de faits ni les dissocier radicalement » (Filliettaz 2001b: 209).

Une analyse comparative de deux articles de presse nous a permis d’observer qu’à une même unité textuelle peuvent correspondre des actions langagières et non langagières différentes. A titre d’exemple, l’acte textuel « L’amertume explose à Sarajevo » se combine avec une phase praxéologique qui accumule plusieurs actions, relevant des niveaux stratégique et opérationnel de l’interaction médiatique: sélectionner et hiérarchiser les informations, attirer l’attention du lecteur, rapporter et commenter (résumer) les faits, les problématiser. A ces actions s’ajoute dans la version du Courrier celle de dédramatiser l’information: le verbe « explose » étant mis entre guillemets.

Inversement, une action comme « rapporter les faits » peut être médiatisée par des unités et structures textuelles différentes. Comme l’observe Bronckart (1996), « à une seule et même action langagière peuvent à l’évidence correspondre des textes empiriques très différents. En d’autres termes, à l’unité psychologique que constitue l’action peuvent correspondre des unités communicatives variées, et ceci ne constitue qu’une reformulation de la relation de dépendance non mécanique entre situations d’action et textes empiriques » (Bronckart 1996: 103). Dans l’exemple que nous venons d’analyser, deux interprétations différentes du même événement, rapporté par deux instances médiatiques différentes, ont donné lieu à des structures textuelles différentes.

Le choix des articles de presse à partir desquels nous décrirons les constituants de l’organisation opérationnelle est fondé sur le même critère que celui auquel nous avons eu recours dans la section précédente. Nous nous intéressons de nouveau à la manière dont deux instances médiatiques différentes ont transmis la même information (concernant cette fois-ci les dispositions de l’accord de paix). L’article « Les principaux points de l’accord », publié le 14 décembre 1995 dans le Journal de Genève, est inséré dans le premier article en importance visuelle dans la rubrique International, avec lequel il occupe la moitié de la page 7 (l’autre moitié étant réservée aux deux textes portant sur un autre événement médiatique). Le texte « Un Etat divisé en deux "entités" », publié le 15 décembre 1995 dans la Tribune de Genève, occupe la deuxième place en importance visuelle dans la rubrique Monde (Annexe 10).

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Journal de Genève et Gazette de Lausanne, jeudi 14 décembre 1995, page 7: Les principaux points de l’accord

La Bosnie reste unie dans ses frontières actuelles, mais son territoire est partagé entre la Fédération croato-musulmane (51%) et les Serbes de Bosnie (49%). L’Etat est régi par une Constitution fédérale. Sarajevo en sera la capitale réunifiée. La plupart des quartiers contrôlés par les Serbes doivent passer sous contrôle du Gouvernement bosniaque – leurs habitants s’y refusent et viennent, par « référendum », de rejeter les dispositions de l’accord de paix les concernant, à près de 99%

des voix. La Bosnie aura un gouvernement commun. Sont prévus, avec deux tiers des sièges revenant à la Fédération, un Parlement bicaméral et une présidence collégiale.

Des élections doivent être organisées en 1996. Tout criminel de guerre sera écarté des fonctions publiques. Le droit au retour des réfugiés et personnes déplacées est garanti, de même que leur liberté de mouvement et de résidence. Des corridors seront établis entre Sarajevo et Gorazde, et

entre les territoires serbes dans le nord-est du pays. Par ailleurs, les ministres des Affaires étrangères des anciennes républiques yougoslaves ont discuté mercredi à Paris d’une possible reconnaissance mutuelle entre leurs Etats. Alors qu’à Washington, le Sénat américain a rejeté mercredi par 77 voix contre 22 une résolution faisant obstacle au déploiement de soldats américains dans le cadre de l’IFOR, la force d’application de l’accord de paix de Dayton. (FW/Reuter).

Tribune de Genève, vendredi 15 décembre 1995, page 9: Un Etat divisé en deux “entités”

L’accord de paix comprend un document principal, onze annexes et 102 cartes. Il stipule dans ses principaux points que le territoire de la Bosnie sera partagé entre la fédération croato-musulmane (51%) et les Serbes de Bosnie (49%), réunis au sein de l’Etat de Bosnie-Herzégovine.

La Bosnie est confirmée dans ses frontières et régie par une Constitution fédérale. Sarajevo sera la capitale réunifiée de l’Etat, avec la levée de tous les obstacles mis en place aux portes de la ville. Les quartiers serbes passeront sous le contrôle du gouvernement bosniaque à dominante musulmane – un point que les Serbes ont rejeté à 98% lors d’un référendum qu’ils ont organisé. Nombre d’entre eux ont commencé à déménager de ces quartiers.

Banque centrale

La Bosnie aura, entre autres, une banque centrale et une monnaie uniques, une Cour constitutionnelle et une présidence. Le Parlement comprendra deux Chambres, qui seront élues l’an prochain par les électeurs de Bosnie autorisés à voter sur le lieu de leur résidence d’origine. Aucun criminel de guerre ne sera autorisé à exercer une charge publique, ni

dans une institution civile ni dans l’armée. Les personnes déplacées et les réfugiés auront le droit de retourner chez eux et de se déplacer librement.

Arbitrage

Un corridor terrestre reliera l’enclave musulmane de Gorazde, dans l’est de la Bosnie, avec le reste de la fédération croato-musulmane. Le corridor de Posavina, dans le nord-est, qui relie les territoires sous contrôle serbe dans l’est et l’ouest de la Bosnie, restera large de 5 km. Le statut futur de Brcko, principale ville du corridor, doit faire l’objet d’un arbitrage.

Volet militaire

L’accord de Dayton comprend un volet militaire. Celui-ci précise notamment qu’une force de maintien de la paix (IFOR, Implementation Force, force de mise en application) sous le commandement de l’OTAN et dirigée par un général américain, sera déployée en Bosnie-Herzégovine pour remplacer la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU). Elle

comprendra quelque 60 000 hommes. L’IFOR, est-il précisé, veillera au respect du cessez-le-feu et à la séparation des troupes. Elle sera une force active et solide, capable de se défendre de façon vigoureuse en toutes circonstances. L’IFOR, selon ce volet militaire, disposera d’une liberté de mouvement totale à travers tout le territoire de Bosnie-Herzégovine. – (afp) Une carte géographique représentant la Bosnie-Herzégovine, ses deux entités, ainsi que les zones de responsabilité de l’IFOR

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Les deux textes que nous avons choisis se prêteraient facilement au même

genre d’analyse que celui que nous venons d’effectuer, car ils présentent à peu près les mêmes points de ressemblance et de divergence que les deux textes précédents: le même contenu traité par deux instances différentes (mais provenant cette fois-ci de deux sources d’information différentes – les agences de presse FW/Reuter et A.F.P.), les mises en page, les structures textuelles et praxéologiques différentes. Nous essaierons cependant de pousser l’analyse au-delà de l’observation des interdépendances entre structures praxéologique et textuelle, fondée sur l’identification et la mise en relation de leurs unités respectives. Nous nous concentrerons sur les caractéristiques des unités opérationnelles de rangs différents ainsi que sur leur rôle dans l’organisation des productions discursives effectives.

Le premier texte, qui présente une structure opérationnelle relativement simple, servira de point de départ à la description des unités discursives minimales. Nous adopterons ici la démarche méthodologique ascendante, en partant des plus petites unités pour remonter progressivement aux unités de rang supérieur. 3.2.1. Acte discursif: unité minimale de l’organisation opérationnelle

Issu de la combinaison d’une action minimale et d’un acte textuel, l’acte discursif est une unité complexe, difficile à saisir et à qualifier. Il constitue un tout indissociable, qui ne se réduit ni à son versant praxéologique (sa contribution à la réalisation du but de l’unité superordonnante) ni à son versant textuel (sa contribution à la compréhension de l’ensemble du texte), ni à leur simple addition ou superposition, mais les dépasse en permettant d’atteindre une qualité nouvelle.

Le degré de correspondance entre les éléments constitutifs des unités minimales du discours journalistique varie en fonction du support médiatique utilisé. L’organisation opérationnelle du discours des médias audio-visuels ne résulte pas de la combinaison des unités praxéologiques avec les seules unités textuelles, car elle recourt à des éléments autres que linguistiques et textuels. En revanche, dans le discours de la presse écrite, l’unité minimale de l’organisation opérationnelle est marquée par la profonde imbrication des structures textuelles et praxéologiques, ces dernières étant réduites dans la majorité des cas à « des actions langagières », et ne comportant qu’un nombre restreint d’« actions communicationnelles non langagières » (Filliettaz 2001b: 206). Ceci nous amène à postuler qu’une action minimale correspond dans la plupart des cas à un acte textuel.

L’analyse de l’organisation opérationnelle du premier article devrait nous permettre d’approfondir les observations suivantes:

(1) L’acte discursif est l’unité minimale de l’organisation

opérationnelle. Dans l’état actuel de nos connaissances des dimensions

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praxéologique et textuelle de l’interaction verbale, qui est relativement rudimentaire par rapport à nos connaissances des dimensions linguistiques, nous postulons que l’unité discursive minimale résulte de la combinaison d’unités textuelle et praxéologique minimales.

(2) L’acte discursif est une unité complexe, résultant de la combinaison d’informations modulaires d’ordres différents et de modes de structuration spécifiques, propres aux dimensions modulaires concernées. Ses différents aspects correspondent à ses éléments constitutifs, à savoir: 1) une action minimale tendue vers un but (aspect praxéologique); 2) une unité textuelle (acte ou intervention) qui médiatise cette action (aspect hiérarchique textuel).

(3) L’unité minimale de l’organisation opérationnelle relie deux ordres discursifs distincts. L’acte discursif s’inscrit dans des unités opérationnelles superordonnantes, séquentiellement et hiérarchiquement organisées. Des critères distincts, relevant des dimensions praxéologique et textuelle du discours, participent à l’attribution d’un rôle plus ou moins important à l’unité discursive minimale. L’une des principales tâches de l’analyste soucieux de décrire la complexité de l’unité discursive minimale est de rendre compte du mode d’articulation des unités praxéologique et textuelle qui la constituent.

(4) Chaque acte discursif permet d’atteindre l’un des sous-buts de l’unité discursive intermédiaire. En reliant une action minimale et un acte textuel, l’unité discursive minimale associe l’un des sous-buts de l’unité discursive intermédiaire aux moyens langagiers déployés à travers l'acte textuel correspondant.

Si nous procédons au découpage du texte choisi en unités discursives minimales, nous pouvons observer que sa structure hiérarchique résulte d’une juxtaposition d’interventions et d’actes textuels coordonnés, et sa structure praxéologique d’une succession d’actions minimales. Nous en proposons la représentation schématique suivante (pour la numérotation et le découpage du texte en unités textuelles minimales, voir l’Annexe 3):

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[2] La Bosnie reste unie dans ses frontières actuelles,

[3] mais son territoire est partagé ....

[4] L’Etat est régi par une Constitution…

[5] Sarajevo en sera la capitale réunifiée.

[6] La plupart des quartiers contrôlés par les Serbes ..

[7] leurs habitants s’y refusent ...

[8] La Bosnie aura un gouvernement commun.

[9] Sont prévus, avec deux tiers des sièges ...

[10] Des élections doivent être organisées en 1996.

[11] Tout criminel de guerre sera écarté des fonctions publiques.

[12] Le droit au retour des réfugiés et personnes déplacées ...

[13] Des corridors seront établis entre Sarajevo et Gorazde ...

[14] Par ailleurs, les ministres des Affaires étrangères...

[15] Alors qu’à Washington,

[16] le Sénat américain a rejeté mercredi par 77 voix ...

[1] Les principaux points de l’accord

EPISODE

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PHp

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I A-IA-I

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AMp

AMp

AMp

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PHpPROBLEMATISER LES FAITS

ELUCIDER LES FAITS

EVALUER LES FAITS

RAPPORTER LES FAITS

PHp

PHs

Figure 30 : Les constituants de l’organisation opérationnelle de l’article « Les principaux points de l’accord »

LA MISE EN EXERGUE VISUELLE AMAM

PHsPHs

AMpPHs

PHpPHs

AMp

AMp

PHs

PHs

PHs

AMs

PHp PHs

Ad (1) L’acte discursif est issu de la combinaison d’une action minimale et d’un acte textuel. Exceptionnellement (dans le cas du titre composé d’un seul acte textuel) l’unité textuelle minimale peut se combiner avec la phase praxéologique pour former l’unité discursive de rang supérieur. Le titre constitue un cas à part, car il accumule plusieurs actions, langagières et non langagières, dont certaines relèvent du niveau stratégique de l’interaction médiatique. Ainsi, la mise en exergue visuelle du titre vise à attirer l’attention du lecteur et à guider la lecture et l’interprétation du texte.

Ad (2) Pour saisir le versant praxéologique des actes discursifs, en se

référant à la théorie de l’action développée par Bange (1992), nous postulons que les actions minimales successives se situent au même niveau de la structure praxéologique et visent chacune l’atteinte de son but propre. La réalisation de ce but ne représentant qu’une étape vers l’atteinte du but superordonnant, celui de l’unité praxéologique de rang supérieur, ces actions minimales successives se déroulent simultanément à la phase constitutive de l’unité opérationnelle de rang supérieur. Dans notre exemple, le but de la phase initiale est d’attirer l’attention du lecteur sur un problème. Chacune des actions minimales qui la constituent est chargée de la réalisation d’un sous-but (ce qui permet d’illustrer la succession d’unités praxéologiques du même rang): les actions langagières correspondant aux actes textuels [1], [2], [3] permettent de problématiser un fait sélectionné par le journaliste, tandis que le sous-but de l’action communicationnelle non langagière « de mise en exergue visuelle de la première action minimale » est d’attirer l’attention du lecteur sur une action minimale, sur la phase praxéologique en cours, ainsi que sur l’épisode dans son ensemble (ce qui permet d’illustrer la simultanéité des unités praxéologiques de rangs différents).

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Dans la description du versant textuel des unités opérationnelles minimales, nous nous appuyons entièrement sur le modèle hiérarchique genevois (Roulet 2001c). Ainsi, le corps de l’article peut être décomposé en quinze actes textuels, qui forment, en combinaison avec les actions minimales correspondantes, quinze actes discursifs. (Le titre accumule deux actions minimales, l’une langagière l’autre non langagière, qui forment avec l’acte textuel correspondant une unité opérationnelle de rang supérieur). En revanche, dans la description du versant praxéologique, nous avons combiné les propositions de Bange (1992) et de Filliettaz (2001b), pour rendre compte des relations de subordination entre les actions minimales successives.

Ad (3) En dépit de l’imbrication des unités textuelles et praxéologiques

minimales, les structures dont elles font partie relèvent de deux ordres discursifs distincts et discontinus: l’ordre du texte et l’ordre des actions dans le monde (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001).

Selon l’interprétation de l’organisation opérationnelle que nous avons proposée ci-dessus, les unités discursives minimales résultent de la combinaison des unités textuelles et praxéologiques minimales, qui sont à la base de deux structures différentes, l’une textuelle et l’autre praxéologique. Les unités textuelles minimales de cet article sont regroupées autour de cinq interventions coordonnées ([2-3], [4-5], [6-7] [8-10], [11-13]) formant une intervention de rang supérieur ([2-13]), coordonnée avec l’intervention qui suit ([14-16]). L’intervention de rang supérieur ([2-16]) est principale par rapport à l’acte textuel constitué par le titre de cet article. En revanche, le titre et les deux premiers actes ([2-3]) correspondent à la phase initiale « problématiser les faits », la séquence des actes [4] à [13] à la phase médiane « élucider les faits », et les trois derniers actes textuels à la phase finale « évaluer les faits » de l’épisode que constitue cet article de presse sur le plan praxéologique.

Ad (4) L’unité discursive minimale est à la base des unités discursives

intermédiaires car elle permet d’articuler et de relier leurs constituants praxéologique et textuel.

Les positions qu’occupent les éléments constitutifs de l’acte discursif au niveau de leurs structures respectives (la position principale au sein de l’intervention textuelle pour l’acte textuel ou la position finale au sein de la phase correspondante pour l’action minimale) influent sur l’importance de l’unité discursive minimale dans l’organisation opérationnelle et sur sa contribution à la réalisation du but communicationnel de l’unité discursive intermédiaire. L’analyse de ce texte, ainsi que les analyses précédentes, nous amènent à postuler que l’acte discursif subordonnant résulte, en premier lieu, de la combinaison de l’acte textuel occupant le rang le plus élevé dans la hiérarchie textuelle et de l’action minimale se trouvant en position finale au sein de l’unité praxéologique superordonnante. Dans notre exemple, il s’agit des actes discursifs résultant de la combinaison des actes textuels [3] et [16] et des actions minimales correspondantes.

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Dans la hiérarchisation des informations qu’opèrent les unités discursives minimales, l’ordre dans lequel sont présentées les informations sélectionnées est d’une importance cruciale. L’acte discursif en position initiale au sein de l’unité discursive de rang supérieur (correspondant à l’article de presse dans son ensemble) joue également un rôle important dans l’organisation opérationnelle. En l’occurrence, il s’agit de l’unité discursive résultant de la combinaison de l’acte textuel [1] et des actions minimales correspondantes. Nous avons déjà pu observer que le titre constitue un cas à part. Le titre ne représente pas seulement l’unité discursive la plus importante au niveau opérationnel du fait de sa position initiale au sein de l’unité discursive de rang supérieur, mais accède au rang de l’opération discursive principale au niveau stratégique, du fait de sa mise en exergue visuelle et de la fonction qu’il remplit dans le processus d’interprétation du texte par l’instance de réception, en reliant les niveaux opérationnel et stratégique de l’interaction médiatique. C’est pourquoi nous avançons l’hypothèse selon laquelle le titre (et les intertitres) réuniraient au moins deux unités discursives minimales, l’une langagière (issue de la combinaison d’un acte textuel et d’une action minimale), l’autre non langagière (issue de la combinaison d’une unité non textuelle et d’une action minimale). Nous développerons cette hypothèse dans les sections qui suivent (3.2.2., 3.3.4.). 3.2.2. Opération discursive de portée locale: unité opérationnelle intermédiaire

Après avoir observé le fonctionnement des plus petites unités de l’organisation opérationnelle, nous procéderons à l’examen des unités discursives intermédiaires. Les actes discursifs que nous avons pu repérer dans la structure opérationnelle du dernier exemple grâce au couplage d’informations modulaires relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques minimales forment trois unités discursives intermédiaires, correspondant respectivement aux séquences d’actes textuels et d’actions minimales [1-3], [4-13] et [14-16]. Il est à noter que l’acte [1] relève à la fois des niveaux opérationnel et stratégique de l’interaction médiatique, ce qui attribue un statut à part à la première opération discursive. En fait, comme nous venons de l’observer, le titre d’un article de presse échappe au principe de couplage selon lequel un acte textuel correspond à une action minimale: le premier acte textuel et la phase correspondante forment une opération discursive, et non pas un simple acte discursif.

Alors que le critère d’absence vs présence de liens textuels entre interventions textuelles nous permettra de distinguer les opérations discursives de portée locale des opérations discursives de portée globale, le passage d’une unité opérationnelle minimale à une opération discursive de portée locale s’effectue par plusieurs niveaux intermédiaires du fait de la complexité de l’organisation opérationnelle des produits discursifs effectifs. Les notions d’opérations discursives de portée locale et d’opérations intermédiaires sont des notions relatives. Si la structure opérationnelle d’un texte comporte plusieurs niveaux, il s’agira d’un passage graduel entre ces niveaux, une même opération étant

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considérée comme locale par rapport à l’opération (intermédiaire) de rang inférieur et comme intermédiaire par rapport à l’opération (locale) de rang supérieur.

Comme la structure opérationnelle du premier texte (Figure 30) est relativement simple, nous procéderons à l’analyse de l’organisation opérationnelle du deuxième texte (Figure 31), pour approfondir les observations suivantes portant sur les unités opérationnelles intermédiaires:

(1) L’opération discursive de portée locale est l’unité intermédiaire de l’organisation opérationnelle. En reliant une phase praxéologique et la (les) intervention(s) textuelle(s) correspondante(s), l’unité discursive intermédiaire permet d’associer le but des activités constitutives du discours du journalisme politique, telles problématiser, élucider, évaluer les faits et les dits rapportés et/ou commentés, aux moyens langagiers déployés à travers les structures textuelles, en l’occurrence celles de l’intervention (des interventions) textuelle(s) correspondante(s).

(2) Les unités opérationnelles intermédiaires assurent la récursivité des structures opérationnelles. A l’instar des unités textuelles et praxéologiques qu’elles articulent, les unités opérationnelles intermédiaires peuvent être constituées d’unités discursives de rangs inférieur, égal ou supérieur. Grâce à leur récursivité, les opérations discursives de portée locale permettent un « passage graduel » (Bange 1992), par une pluralité de niveaux intermédiaires, des actes discursifs aux opérations discursives de portée globale.

(3) Une succession d’unités discursives minimales ou d’unités opérationnelles de portée locale donne lieu à des structures opérationnelles séquentiellement et hiérarchiquement organisées. Leur versant praxéologique est constitué par l’ensemble des actions minimales ou des phases praxéologiques successives tendues vers la réalisation du but de l’unité praxéologique superordonnante, et leur versant textuel par l’unité hiérarchique correspondante (une intervention textuelle ou une succession d’interventions textuelles).

(4) Les unités discursives intermédiaires peuvent comporter des éléments autres que textuels, dont le statut sur le plan de l’organisation opérationnelle du discours du journalisme politique doit également être défini. La présence de ces éléments influe sur les rapports entre les composantes textuelle et praxéologique de différents types d’unités opérationnelles de rang intermédiaire, langagières et non langagières ou à dominante langagière et non langagière.

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[1] Un Etat divisé en deux « entités »

[2] L’accord de paix comprend un document principal …

[3] Il stipule dans ses principaux points que le territoire …

[4] La Bosnie est confirmée dans ses frontières ...

[10] La Bosnie aura ...

[11] Le Parlement …

[12] qui seront élues l’an prochain ...

[13] Aucun criminel de guerre ne sera autorisé ...

[14] Les personnes déplacées et les réfugiés ...

[16] Un corridor ...

[17] Le corridor …

[18] qui relie les territoires ...

[19] restera large de 5 km.

[20] Le statut futur de Brcko, principale ville ...

[26] sera déployée en Bosnie-Herzégovine ...

[27] Elle comprendra …

[29] Elle sera une force active et solide ...

[5] Sarajevo sera la capitale réunifiée ...

[6] Les quartiers serbes passeront ...

[7] un point que les Serbes ont rejeté à 98% ...

[8] Nombre d’entre eux ont commencé à déménager ...

[9] Banque centrale

[15] Arbitrage

[21] Volet militaire

[22] L’accord de Dayton …

[23] Celui-ci …

[24] (IFOR ...

[25] sous le commandement de l’OTAN ...

[28] L ’IFOR, est-il précisé, veillera ...

[30] L ’IFOR, selon ce volet militaire, disposera ...

PHs

PHp EPISODE

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MISE EN EXERGUE VISUELLE

MISE EN EXERGUE VISUELLE

RAPPORTERLES FAITS

PHp

PROBLEMATISER LES FAITS

EVALUERLES FAITS

ELUCIDERLES FAITS

Figure 31 : Les constituants de l’organisation opérationnelle de l’article « Un Etat divisé en deux entités »

/en fait/

/par conséquent/

AMpAMp

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PHs

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MISE EN EXERGUE VISUELLE

MISE EN EXERGUE VISUELLE

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AUTHENTIFIERLES FAITS

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PHs PHs

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PHs

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Ad (1) L’article de presse étudié comporte plusieurs unités discursives intermédiaires, issues de la combinaison d’une phase praxéologique et d’une intervention textuelle (ou d’un acte textuel, dans le cas des titre et intertitres): ([1]), ([2-4]), ([5-8]), ([9]), ([10-14]), ([15]), ([16-20]), ([21]), ([22-26]), ([27-30]).

Toutefois, une intervention textuelle ne correspond pas toujours à une phase praxéologique, de même qu’une phase praxéologique n’équivaut pas toujours à une (seule) intervention textuelle.

Alors que certaines interventions se combinent avec l’unité praxéologique intermédiaire (phase) pour former une opération discursive de portée locale, d’autres correspondent, sur le plan praxéologique, à un épisode praxéologique (comme c’est le cas de l’intervention regroupant l’ensemble des unités textuelles d’un article de presse qui ne comporte aucune illustration).

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La phase praxéologique n’est pas toujours réduite à une seule intervention textuelle. Ainsi, la phase d’élucidation des faits ([9-30]) de notre texte présente une structure complexe et peut être décomposée en trois phases successives ([9-14]), ([15-20]), ([21-30]), correspondant chacune à plusieurs interventions textuelles.

Ad (2) La récursivité des structures opérationnelles est liée à la récursivité

des unités textuelles et praxéologiques intermédiaires, constitutives des unités discursives intermédiaires. De même qu’une intervention textuelle ou une phase praxéologique peuvent être constituées d’unités textuelles ou praxéologiques de rang inférieur, égal ou supérieur, nous faisons l’hypothèse que l’opération discursive de portée locale, issue de leur combinaison, peut être constituée d’actes discursifs, d’opérations discursives de portée locale et d’opérations discursives de portée globale.

Dans notre exemple (voir la Figure 31), les unités discursives intermédiaires correspondant au titre et aux intertitres peuvent, selon notre hypothèse, être analysées chacune en deux unités discursives. La première est un acte discursif langagier, issu de la combinaison d’un acte textuel ([1], [9], [15], [21]) et d’une action minimale (dont le but est de problématiser un fait). La seconde est une unité discursive non langagière issue de la combinaison de la mise en exergue visuelle de ce même acte textuel et de l’unité praxéologique dont le but est d’attirer l’attention du lecteur sur le texte dans son ensemble ou sur l’une de ses parties. (Le rang de cette unité praxéologique, ainsi que celui de l’unité discursive correspondant à la mise en exergue visuelle du titre ou de l’intertitre, restent toutefois à préciser.)

Le deuxième cas de figure est celui d’une unité opérationnelle de rang intermédiaire constituée des unités opérationnelles du même rang (mais de portées différentes). L’unité discursive intermédiaire correspondant à la séquence des actes textuels et des actions minimales [9-30] en fournit une riche illustration: elle est analysable en trois unités discursives intermédiaires ([9-14], [15-20], [21-30]), dont chacune se subdivise en deux unités discursives intermédiaires.

L’exemple d’un article de presse enchâssé dans un autre peut illustrer le troisième cas de figure (celui d’une opération discursive de portée globale constitutive d’une opération discursive de portée locale). L’article de presse enchâssé, issu de la combinaison d’un épisode praxéologique et d’une intervention textuelle, constitue une opération discursive de portée globale. En revanche, la combinaison de la phase praxéologique et de l’intervention textuelle correspondant au texte de l’article enchâssant donne lieu à une opération discursive de portée locale. L’article précédent, publié dans le Journal de Genève, en fournit une illustration. Insérée dans le texte du premier article en importance visuelle sur la même page, l’opération discursive de portée globale qu’il forme sur le plan de l’organisation opérationnelle est constitutive de l’opération discursive de portée locale correspondant au corps de l’article enchâssant.

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Ad (3) Ces différentes combinaisons témoignent de la complexité des structures opérationnelles, hiérarchiquement et séquentiellement organisées. Si nous prenons l'exemple des unités opérationnelles langagières, nous pouvons constater qu’elles permettent d’articuler des structures textuelles et praxéologiques très élaborées.

Ainsi, l’intervention textuelle [9-30], composée de trois interventions coordonnées ([9-14], [15-20] et [21-30]), se combine avec une phase praxéologique analysable en trois phases successives, pour donner lieu à une opération discursive de portée locale (dont le but est d’élucider les faits rapportés dans cet article de presse), qui comporte trois opérations discursives de portée locale visant chacune à élucider un fait précis annoncé par l’intertitre ([9], [15], [21]).

En fait, l’intérêt de la mise en relation des unités textuelles et praxéologiques consiste à établir la distinction entre les unités discursives langagières (issues de la combinaison d’une unité textuelle et d’une unité praxéologique) et non langagières (issues de la combinaison d’une unité autre que textuelle et d’une unité praxéologique).

Ad (4) Une opération discursive de portée locale résulte de la combinaison d'une phase praxéologique et d'une unité textuelle ou non textuelle – dans un cas il s'agit d'une opération langagière (le texte de l'article) ou à dominante langagière (la titraille), dans l'autre d'une opération non langagière (illustration) ou à dominante non langagière (illustration accompagnée d'unités textuelles). La présence des unités non textuelles est liée aux buts et aux visées communicationnelles spécifiques.

Les opérations langagières résultent de la combinaison d'une intervention textuelle et d'une phase praxéologique dont le but est de problématiser, d'élucider ou d'évaluer les faits et les dits rapportés et/ou commentés. Dans notre exemple, les interventions textuelles [2-8] et [9-30] se combinent avec les phases praxéologiques dont les buts respectifs sont d'évaluer les faits rapportés et de les élucider.

Les opérations à dominante langagière résultent de la combinaison de la mise en exergue visuelle des sur-titre, titre, sous-titre et intertitres et de la phase praxéologique visant à attirer ou à maintenir l'attention du lecteur. Dans notre exemple, la mise en exergue du titre ([1]) se combine avec la phase praxéologique visant à attirer l'attention du lecteur, et celles des intertitres ([9], [15] et [21]) avec les unités praxéologiques correspondantes visant à maintenir l'attention du lecteur et à lui faciliter la lecture du texte.

Les opérations non langagières résultent de la combinaison d'une illustration qui ne comporte pas d'éléments langagiers et de la phase praxéologique dont le but est d'authentifier les faits et les dits rapportés et/ou commentés dans le texte. De telles opérations sont très rares, à part certaines publicités qui n'entretiennent pas de rapports directs avec les unités textuelles, car elles appartiennent à la surface publicitaire, et non pas à la surface rédactionnelle (Kayser).

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En effet, les unités non langagières sont le plus souvent accompagnées d'unités textuelles, pour donner lieu à des opérations à dominante non langagière. Celles-ci résultent de la combinaison d'une illustration (carte, schéma, photographie) accompagnée de commentaire(s) textuel(s) et de la phase praxéologique dont le but est d'authentifier les faits et les dits rapportés et/ou commentés dans le texte, « de montrer au lieu de raconter ». Dans l'exemple de notre article, l'opération à dominante non langagière est constituée par la carte géographique, qui intègre de nombreux éléments textuels.

Des rapports internes aux opérations discursives de portée locale, qui mettent en évidence l'interdépendance de leurs éléments constitutifs, doivent être distingués des rapports de subordination entre plusieurs opérations discursives du même rang qui se succèdent. Dans notre exemple, l'opération à dominante non langagière correspondant à l'illustration est subordonnée à l'opération langagière du même rang correspondant au corps de l'article. Il est à noter cependant que les opérations langagières ou à dominante langagière sont reliées entre elles par des relations à la fois textuelles et praxéologiques, tandis que les opérations non langagières ou à dominante non langagière sont reliées entre elles ou avec les unités textuelles par les seules relations de discours praxéologiques (voir aussi 3.3.1.).

Quant au rang qu’occupent ces différentes unités, nous postulons que les unités opérationnelles non langagières (ou à dominante non langagière), telles les illustrations, occupent le même rang dans l'organisation opérationnelles d'un article de presse que l'unité opérationnelle langagière correspondant au corps de l'article. En revanche, les unités discursives correspondant à la titraille permettent de relier les unités praxéologiques qui relèvent du niveau opérationnel (problématiser, élucider, évaluer les faits et les dits rapportés et/ou commentés) et celles appartenant au niveau stratégique de l’interaction verbale (attirer et maintenir l’attention du lecteur, orienter son interprétation du texte). Ces unités discursives marquent le passage d’un niveau d’analyse à l’autre. Ainsi, les intertitres ([9]), ([15]) et ([21]) délimitent les frontières entre opérations discursives de portée locale ([9-14]), ([15-20]) et ([21-30]), tandis que le titre ([1]) marque celles entre opération discursive de portée globale, issue de la combinaison de l’intervention ([1-30]) avec l’épisode constitué par l’ensemble de l’article, et les autres unités discursives du même rang rassemblées dans la même rubrique. 3.2.3. Opération discursive de portée globale: unité opérationnelle maximale

Il convient de distinguer l’opération discursive de portée locale, issue de la combinaison d’unités praxéologique et textuelle intermédiaires, de l’opération discursive de portée globale, tournée vers la réalisation d’un but communicationnel global et résultant de la combinaison d’un épisode praxéologique et de l’intervention textuelle constituant immédiat de l’échange. Une analyse comparative des macro-structures opérationnelles (Figure 32) des

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deux textes publiés dans la Tribune de Genève (Figures 26, 28 et 31) devrait nous permettre d’approfondir les points suivants:

(1) L’opération discursive de portée globale constitue l’unité

maximale de l’organisation opérationnelle. En reliant un épisode praxéologique et l’intervention textuelle correspondante, l’unité discursive maximale permet d’associer le but global des activités constitutives du discours du journalisme politique, telles rapporter et/ou commenter les faits et les dits, aux moyens langagiers et non langagiers déployés par l’ensemble des unités textuelles et péritextuelles d’un article de presse.

(2) Une opération discursive de portée globale peut être le constituant d’une opération discursive de portée locale. A l’instar de l’échange qui peut être constitutif d’une intervention textuelle, une opération discursive de portée globale peut s’inscrire dans une opération discursive de portée locale (par exemple, un article de presse inséré dans un autre).

(3) Les liens entre deux opérations discursives de portée globale sont de nature praxéologique, et non pas textuelle. L’absence de liens de nature textuelle avec l’unité du même rang est ce qui distingue l’opération discursive de portée globale des unités opérationnelles intermédiaire et minimale.

(4) Selon la nature de leurs constituants, il convient de distinguer les opérations discursives homogènes des opérations discursives hétérogènes. Les premières réunissent des unités opérationnelles intermédiaires de la même nature, les secondes des unités opérationnelles de natures différentes.

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PHs

PHp

EPISODE

PHsPHp

PHs

PHp

PHs

PHp

PHp

As [9]

Ip [10-14]

As [15]

Ip [16-20]

As [21]

Ip [22-30]

Is [5-8]Is

I

Ip

Ip

As [1]

I

PHs

I

I

MISE EN EXERGUE VISUELLE

Mise en exergue visuelle

Mise en exergue visuelle

Mise en exergue visuelle

RAPPORTERLES FAITS

PHpPROBLEMATISER

LES FAITS

EVALUERLES FAITS

ELUCIDERLES FAITS

Ip [2-4]

PHp

PHs

PHp

PHpAUTHENTIFERLES FAITS

PHs

ILLUSTRATION

Is

Ip

As [1]

I

As [18]

Ip

I

Ip

Is

I

Ip

Is [2-4]Ip [5-7]

Is [8-11]

Ip [12-14]

Is [15-17]

Ip [19-20]

Ip [21-23]

Is [24-31]

Ip [32-34]

Is [35-43]

I

I

EPISODE

RAPPORTERLES FAITSET LES DITS

PHsPROBLEMATISER

LES FAITS ET LES DITS

PHp

RAPPORTERLES DITS

(ELUCIDERLES FAITS)

PHpPROBLEMATISER

LES FAITSMISE EN EXERGUE VISUELLE

Mise en exergue visuelle PHp

PHs

PHs

PHp

PHs

PHp

PHs

PHs

PHs

PHp

PHs

PHp

Figure 32 : Macro-structure opérationnelle des articles “Un Etat divisé en deux entités”et “L’amertume explose à Sarajevo”, publiés dans la Tribune de Genève

PHs

PHs

PHs

Ad (1) L’analyse de l’organisation opérationnelle ne peut pas s’arrêter à la description des unités opérationnelles intermédiaires. Elle doit s’intéresser également à la structure opérationnelle des unités de rang supérieur correspondant à l’article de presse dans son ensemble, ainsi qu’au processus de négociation plus large entre une source d’information, une instance médiatique et une instance de réception.

Dans notre exemple, le premier article correspond à une unité opérationnelle maximale issue de la combinaison de l'épisode praxéologique dont

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le but communicationnel global est de rapporter un certain nombre de faits concernant les dispositions de l'accord de paix et de l’intervention textuelle qui est le constituant immédiat de l’échange entre une source d’information (A.F.P.), une instance de production (Tribune de Genève) et une instance de réception (public/lecteur de l’article). Elle est décomposable en quatre opérations intermédiaires, dont la première (le titre) est à dominante langagière, la deuxième et la troisième sont langagières (le corps de l'article) et la quatrième est à dominante non langagière (illustration). L’unité opérationnelle correspondant au deuxième article résulte de la combinaison de l'épisode praxéologique dont le but est de rapporter des faits portant sur des incidents survenus le jour de la signature de l'accord de paix et de l'intervention textuelle qui est le constituant immédiat de l'échange entre une source d'information (l'événement lui-même), une instance de production (Tribune de Genève/journaliste) et une instance de réception (public/lecteur de l'article). Elle est également constituée de trois opérations de rang inférieur, la première à dominante langagière et les deux autres langagières (les deux parties de l'article séparées par l'intertitre).

Ad (2) Du fait de la récursivité des structures opérationnelles, l'unité discursive maximale peut être constituant d'une unité discursive intermédiaire, comme en témoigne l'exemple d'un article de presse enchâssé dans le texte d'un autre article de presse. Dans notre exemple, la mise en page et la titraille créent l'impression que nos deux articles fassent partie intégrante du texte du premier article en importance visuelle dans la même rubrique (Annexe 10) et qu’ils puissent, par conséquent, être considérés comme des opérations discursives de portée globale constitutives de l'opération discursive intermédiaire correspondant au texte de l'article principal. Seule la prise en compte de la dimension conceptuelle et, plus particulièrement, de la structure conceptuelle de l'univers représenté dans le discours, permettra de délimiter les trois articles de presse et de les analyser comme des opérations discursives maximales indépendantes, reposant sur des structures conceptuelles distinctes. Alors que l'article principal porte sur le déroulement même de la cérémonie de signature, les deux autres articles portent respectivement sur les dispositions du document signé et sur des incidents qui ont suivi sa signature.

Ad (3) Les unités discursives maximales successives sont reliées entre elles par les seuls liens de nature praxéologique. Cependant, l'absence de liens de nature textuelle entre les unités discursive du même rang caractérise également certaines opérations discursives intermédiaires, telles les opérations non langagières ou à dominante non langagière (illustrations) visant à « authentifier » (Charaudeau 1997) les faits et les dits rapportés et/ou commentés dans l’intervention textuelle, avec laquelle elles entretiennent des rapports de nature praxéologique et conceptuelle. C’est la prise en compte de la dimension conceptuelle qui permet d’établir la distinction entre les unités intermédiaires en question et les unités discursives maximales. Si elles font partie de la même transaction et du même réseau conceptuel, les premières présentent une plus grande homogénéité conceptuelle que les secondes, issues de concepts différents

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(en l’occurrence ceux de DISPOSITIONS DE L’ACCORD et de RÉACTIONS À SA SIGNATURE). Ad (4) Il nous semble que l’intérêt de la distinction entre opérations discursives de portée locale et de portée globale consiste à délimiter les opérations discursives hétérogènes du point de vue praxéologique (mais homogènes du point de vue conceptuel) des opérations discursives homogènes du point de vue praxéologique (mais hétérogènes du point de vue conceptuel). L’article de presse dans son ensemble fournit l’exemple d’une opération discursive hétérogène, susceptible de réunir des unités intermédiaires de natures différentes: langagière (le corps de l’article), à dominante langagière (la titraille) et à dominante non langagière (illustrations).

Chacune de ces unités intermédiaires entretient des liens privilégiés avec d’autres unités intermédiaires de nature identique constitutives des autres articles de presse réunis sur la même page pour former une unité discursive maximale homogène. La titraille d’une page de journal fournit l’exemple d’une opération discursive homogène. Les deux types d’opérations, homogènes et hétérogènes, s’enchevêtrent et se superposent dans « l’aire scripturale » (Peytard 1975) d’une page de journal.

La distinction entre ces deux types d’opérations de portée globale, qui nécessite la prise en considération des informations d’ordre conceptuel, sera approfondie dans le chapitre suivant. Nous nous contentons ici d’observer qu’une opération discursive hétérogène du point de vue praxéologique est homogène du point de vue conceptuel et vice versa. En effet, l’ensemble des unités intermédiaires constitutives d’un article de presse font partie de la même structure conceptuelle, alors que les unités opérationnelles de même nature (ayant les mêmes buts et visées communicationnelles) appartiennent à des articles de presse différents et, par conséquent, à des structures conceptuelles différentes. 3.3. Analyse des relations entre les constituants de la structure opérationnelle

L’analyse de deux textes de presse, correspondant aux deux opérations successives de portée globale, nous a permis d’établir la distinction entre les unités discursives maximales et intermédiaires. Comme les deux interventions textuelles qui constituent ces deux opérations font partie de deux échanges différents (incluant deux sources d’information différentes), les liens entre ces opérations sont de nature praxéologique, à la différence des liens, à la fois textuels et praxéologiques entre les unités discursives intermédiaires ou des relations sémantiques, textuelles et praxéologiques entre unités discursives minimales (Roulet 2002a). Ainsi, un parallélisme peut être établi entre les « trois degrés dans l’organisation d’une séquence dans une interaction » (2002a: 162)124 124 “En résumé, on peut postuler les trois degrés suivants dans l’organisation d’une séquence dans une interaction: I. Elle est formée de deux actions non langagières, ou d’une action non langagière et d’une action langagière (réalisée par un acte textuel), liées seulement par une

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et les trois types d’unités opérationnelles, opérations discursives de portée globale (premier degré – relation praxéologique), opérations discursives de portée locale (deuxième degré – relation praxéologique doublée d’une relation textuelle) et actes discursifs (troisième degré – relation praxéologique doublée d’une relation textuelle et d’une relation sémantique). C’est pourquoi nous combinerons, dans la section suivante, les informations relatives à la définition des constituants de l’organisation opérationnelle avec celles liées aux relations entre ces constituants. Nous développerons l’hypothèse selon laquelle derrière tout discours, même exclusivement langagier et monologique, il y a, en plus d’une structure textuelle, une structure praxéologique, et donc une structure opérationnelle, combinant les constituants et relations des deux niveaux.

L’analyse de la structure hiérarchique (dans le sens large de ce terme) des productions discursives est une analyse en catégories – praxéologiques, telles incursion, transaction, épisode, phase, action minimale – textuelles, telles échange, intervention, acte - ou syntaxiques, telles proposition, syntagme, mot. En revanche, l’analyse de l’organisation relationnelle est une analyse en fonctions, centrée sur les relations entre ces constituants. Pour analyser les relations qui s’établissent entre les constituants de l’organisation opérationnelle, il est important de distinguer, comme le propose Roulet (2002a), les relations de discours sémantiques, textuelles et praxéologiques, qui concernent des dimensions et des formes d’organisation distinctes. Nous postulons que les relations discursives résultent de la combinaison d’informations issues des formes d’organisation relationnelle et opérationnelle. 3.3.1. Les relations praxéologiques Les relations praxéologiques « relèvent du module référentiel de la composante situationnelle, qui décrit les représentations et structures praxéologiques et conceptuelles de l’univers dans lequel se déroule le discours et de l’univers dont il parle » (Roulet 2002a: 155). En reprenant et en modifiant certaines hypothèses portant sur les constituants de la structure praxéologique et sur les relations entre ces constituants (Filliettaz 2000, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001), Roulet (2002a) postule « une structure praxéologique fondée sur les constituants INCURSION, TRANSACTION, ÉPISODE, PHASE et ACTION, qui peuvent être liés par des relations praxéologiques d’étape, de réorientation et d’interruption » (2002a: 155).

relation praxéologique. II. Elle est formée de deux actions langagières réalisées par des actes textuels, correspondant à des propositions indépendantes; on observe alors une relation praxéologique entre les actions, doublée d’une relation textuelle entre les actes, qui peut être marquée éventuellement par un connecteur qui ne soit pas une conjonction. III. Elle est formée de deux actions langagières réalisées par des actes textuels et une proposition maximale (constituée d’une proposition principale et d’une proposition subordonnée); on observe alors une relation praxéologique entre les actions, doublée d’une relation textuelle entre les actes et d’une relation sémantique entre les propositions” (Roulet 2002: 162-163).

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Dans le chapitre précédent (§ 2.2.4.), nous avons proposé, en nous appuyant sur ces hypothèses, une description des représentations et des structures praxéologiques des deux univers du discours du journalisme politique. L’établissement de la structure praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit (Figure 13), à partir de l’exemple du discours de la presse écrite, repose sur l’hypothèse selon laquelle l’unité praxéologique maximale ou l’incursion est constituée par le produit médiatique (un numéro de journal). Ce dernier peut être analysé en séquences rituelles d’ouverture (la Une) et de clôture (la dernière page) et en plusieurs transactions (différentes rubriques), regroupées en suites (coordonnées) de deux transactions, dont la première (page paire) est subordonnée à la seconde (page impaire). Une transaction peut, à son tour, être décomposée en épisodes, correspondant aux différents articles de presse réunis autour du même « objet transactionnel » (Auchlin & Zenone 1980) (en l’occurrence le même événement médiatico-politique). L’importance relative de chaque épisode varie en fonction de l’importance visuelle accordée à l’article de presse qui le constitue. Un épisode se subdivise ensuite en phases, unités praxéologiques intermédiaires qui assurent la récursivité des structures praxéologiques, car elles peuvent être constituées d’unités praxéologiques de rangs inférieur (actions minimales), égal ou supérieur. Finalement, l’action minimale constitue la plus petite unité praxéologique, qui correspond, sur le plan textuel, à un acte textuel.

(1) Nous postulons que, dans le cas du discours de la presse écrite, caractérisé par une double visée de crédibilité et de captation, le type de relation praxéologique dépend, dans un premier temps, du type d’unités praxéologiques concernées. Ainsi la relation d’ÉTAPE concerne la plupart des actions minimales, des phases, des épisodes et des transactions, qui font respectivement partie intégrante d’une phase, d’un épisode, d’une transaction et d’une incursion. L’établissement de la relation de RÉORIENTATION, plus rare, nécessite la prise en compte de la structure conceptuelle de chacune des unités concernées (il s’agit des opérations discursives hétérogènes du point de vue praxéologique, et homogènes du point de vue conceptuel). Alors que les relations d’étape et de réorientation sont des relations internes à chacune des deux surfaces du journal, rédactionnelle et publicitaire, les relations d’INTERRUPTION s’établissent entre deux éléments appartenant à la même aire scripturale, mais à deux surfaces différentes.

(2) Il convient de distinguer, dans un deuxième temps, les relations praxéologiques internes à l’épisode constitué par un article de presse, des relations praxéologiques externes, qui relient cet épisode à d’autres épisodes faisant partie de la même transaction, et la transaction en question à d’autres transactions inscrites dans la même incursion. Une place à part est réservée aux relations praxéologiques internes à la titraille (3.3.4.).

L’analyse de la macro-structure praxéologique de l’incursion dans laquelle s’inscrivent les deux articles publiés dans la Tribune de Genève nous permettra de développer ces hypothèses. Comme le fera apparaître la représentation schématique (Figure 33), le même événement médiatique (auquel est accordé la première place à la Une) a donné lieu à six épisodes (sans compter la brève en

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marge de la page 9) s’inscrivant dans la même incursion (Annexe 10). Ils sont répartis entre l’ouverture de l’incursion (Episode 1), la première transaction (Episodes 2 et 3) et l’une des transactions intermédiaires, consacrée entièrement à la signature des accords de Dayton (Episodes 4, 5 et 6).

EPp 4«Retenant leursouffle, neuf hommes signentune paix fragileen Bosnie»

EPp 5« Un Etat diviséen deux entités » TRp

RUBRIQUEMONDE

TRDIVERSES RUBRIQUES

INCURSION

OUVERTURELA UNE

CLOTURELA DERNIEREPAGE

PRODUCTION ET INTERPRETATIONDU PRODUITMEDIATIQUE(TRIBUNE DE GENEVE DU 15 DECEMBRE 1995)

Figure 33 : Les relations praxéologiques entre les constituants de rangs différents de la macro-structure praxéologique du discours de la presse écrite

EPs 6« L ’amertume explose à Sarajevo »

TRpPage 3

EPp 1« Bosnie: la paix arrachée par Clinton signée à Paris »

EPp 2« Editorial: l’Europe se rattrapera-t-elle?

EPs 3(CARICATURE)réorientation

étape

EPsPUBLICITE

interruption

EPs

EPp

EPs étape

TRsRUBRIQUE OPINIONPage 2

étape

TR

TR

TRs

étape

EPs

TRpSURFACEREDACTION-NELLE

étape

étape

étape

TRDIVERSESRUBRIQUESétape

étape

étape

PHpRAPPORTER ET COMMENTERLES FAITSET LES DITS

PHs [6-18]COMMENTERLES FAITSET LES DITS

PHsAUTHENTIFIERLES FAITSET LES DITS(PHOTOGRAPHIE)

PHs [6-9]PROBLEMATISER

PHp [10-14]ELUCIDER

PHp [15-18]EVALUER

étape

étape

PHp [56-65]EVALUER

PHp [1-5]ATTIRERL’ATTENTION,RESUMER,DRAMATISER

PHp [19-25]RAPPORTERLES FAITS

PHp [26-65]RAPPORTERLES DITS

PHs [26-55]PROBLEMATISERET ELUCIDER

PHs

PHs

réorientation

étape

PHs

étape

étape

réorientation

Ad (1) Les relations d’étape concernent la plupart des unités praxéologiques de rangs différents constitutives de cette incursion – des transactions et des épisodes aux actions minimales, en passant par une pluralité de niveaux intermédiaires correspondant aux phases praxéologiques. L’incursion dont la structure praxéologique est représentée par le schéma ci-dessus comporte

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plusieurs transactions. La Une qui marque l’ouverture et la dernière page qui marque la clôture de l’incursion sont reliées par une série de (paires coordonnées de) transactions intermédiaires, se subdivisant chacune en plusieurs épisodes. Si nous prenons l’exemple de la transaction consacrée à la signature de l’accord de Dayton, elle peut être analysée en trois épisodes (Episodes 4, 5 et 6). L’épisode correspondant au premier article en importance visuelle, « Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie », se subdivise en deux phases. Les buts communicationnels de la première ([1-5]) sont d’attirer l’attention du lecteur, de dramatiser et de résumer les faits et les dits faisant l’objet du texte. La deuxième phase ([6-65]), qui vise à rapporter et à commenter un certain nombre de faits et de dits concernant la cérémonie de signature, se subdivise en trois phases, dont les buts respectifs sont de commenter les faits et les dits ([6-18]), de rapporter les faits et les dits ([19-65]) et d’authentifier les faits et les dits rapportés et commentés (illustration). Ces unités de rangs différents - à l’exception de la titraille et des illustrations - entretiennent des relations praxéologiques d’étape. Le même type de relation praxéologique s’établit entre les phases de rang inférieur (par exemple, entre les phases de problématisation ([6-9]), d’élucidation ([10-14]) et d’évaluation ([15-18]) des faits et des dits commentés), ainsi qu’entre les plus petites unités praxéologiques auxquelles aboutit l’analyse (Figure 30). Du fait de leur fréquence, les relations praxéologiques d’étape ne seront pas marquées dans les représentations schématiques qui suivent.

Les relations praxéologiques de réorientation sont plus rares, et leur établissement nécessite la prise en considération des dimensions textuelle, praxéologique et conceptuelle de chacune des unités opérationnelles concernées. Ce type de relation s’établit entre constituants des opérations discursives hétérogènes du point de vue praxéologique, en l’occurrence entre le titre ([1-5]) ou l’illustration et le texte de l’article ([6-65]). De même, certaines relations textuelles (telles les relations de contre-argument et de reformulation, voir aussi 3.3.3., ad 4) peuvent se combiner avec la relation praxéologique de réorientation125.

A la différence de ces deux types de relations praxéologiques (étape et réorientation), qui ne dépassent pas les frontières entre les deux surfaces, rédactionnelle et publicitaire, de l’aire scripturale d’une page de journal, la relation d’interruption concerne deux éléments distincts, dont l’un appartient à la surface rédactionnelle et l’autre à la surface publicitaire. Dans notre exemple, la relation praxéologique d’interruption s’établit entre l’ensemble formé par les trois épisodes (Episodes 4, 5 et 6) et la publicité en bas de page.

125 Etant donné que l’établissement de certaines relations praxéologiques repose sur le couplage d’informations modulaires d’ordres textuel, praxéologique et conceptuel, on pourrait, en fait, songer à élargir la forme d’organisation relationnelle (3.3.2.), centrée sur « l’étude des relations concernant les constituants du texte » (Roulet 2002a: 145), aux relations concernant les constituants de la structure praxéologique, ou bien à concevoir une forme d’organisation simple qui traiterait des différents types de relations praxéologiques, internes ou externe à l’épisode, voire doublées ou non de relations textuelles.

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Ad (2) Il convient de distinguer les relations praxéologiques externes à l’épisode des relations praxéologiques internes à l’épisode. Les premières s'établissent entre épisodes (en commençant par celui qui occupe la première place en importance visuelle et qui subordonne les autres) et entre unités praxéologiques de rang supérieur à l'épisode (la transaction principale correspondant à la page impaire de l’aire scripturale de deux pages juxtaposées).

EPp

EPs

EPp

EPs

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étape

étape

étape

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TRétape

CLÔTURE

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IN

Les secondes relient les actions minimales constitutives d’une phase, ainsi que les phases constitutives d’un épisode (l’action minimale ou la phase qui suit subordonnant celle(s) qui précède(nt), à l’exception de la phase correspondant au titre).

Phs

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réorientation

étape

étapeAMp

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étape

Les relations discursives externes et internes à l’épisode obéissent à deux principes distincts: celui de l’espace et celui du temps. Les relations praxéologiques externes correspondent au premier degré de complexité relevé par Roulet (2002a: 162), tandis que les relations praxéologiques internes à l’épisode sont doublées de relations textuelles et relèvent du deuxième degré de

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complexité (ibid.). Les relations praxéologiques entre les actions minimales constitutives du titre occupent une place à part. Doublées à la fois de relations textuelles et sémantiques, elles correspondent au troisième degré de complexité relevé par Roulet (id. 163). C’est grâce à ces relations complexes que le titre remplit non seulement les visée d’information et de captation du lecteur, mais permet « d’attirer l’attention sur la langue elle-même » (Sullet-Nylander 1998)126.

Une analyse comparative des différents types de relations du discours (3.3.3.) devrait permettre d’approfondir ces observations générales concernant les relations praxéologiques internes à l'épisode. Une telle analyse s’impose dans la mesure où la plupart de ces relations résultent de la combinaison des relations de discours praxéologiques et textuelles. 3.3.2. Les relations textuelles

Dans le modèle genevois, « l’étude des relations concernant les constituants du texte » relève de l’organisation relationnelle du discours. « Celle-ci vise d’une part à identifier les relations illocutoires (interrogation, intimation, réponse, etc.) et interactives (argument, reformulation, etc.) génériques entre les constituants de la structure hiérarchique et des informations en mémoire discursive et, d’autre part, à décrire le parcours inférentiel permettant de déterminer la relation spécifique entre un constituant et une information en mémoire discursive dans un discours donné » (Roulet 2002a: 145). L’information en mémoire discursive peut avoir sa source « soit dans un constituant antérieur, soit dans l’environnement cognitif immédiat, soit dans les connaissances encyclopédiques des interactants » (id. 146).

Cette définition insiste, premièrement, sur la nécessité de dépasser l’analyse des relations entre les seuls constituants de la structure hiérarchique (cf. Roulet et al. 1985). Elle met en évidence le fait que l’organisation relationnelle est distincte de la structure hiérarchique, dans la mesure où elle concerne aussi des informations qui ne figurent pas dans le texte, mais qui sont présentes en « mémoire discursive » (Berrendonner 1983). A la différence du module hiérarchique, l’organisation relationnelle est une forme d’organisation simple dont « la description est fondée sur le couplage entre des informations d’ordre hiérarchique, concernant la définition des constituants textuels et leurs rapports de dépendance, des informations d’ordres lexical ou syntaxique, concernant les instructions données par les éventuelles marques de ces relations, et des informations d’ordres référentiel, concernant les connaissances sur l’univers du discours stockées en mémoire discursive » (Roulet 2002a: 145). Deuxièmement, cette définition établit la distinction entre deux types de relations, correspondant à deux niveaux différents de la structure hiérarchique - les relations illocutoires, qui concernent les constituants d’un échange, et les relations interactives, qui concernent les constituants d’une intervention. 126 Sullet-Nylander distingue les fonctions informative, incitative et poétique du titre de presse (1998: 209).

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Roulet (2002a) estime que la reconnaissance d’une forme d’organisation relationnelle et la prise en compte de relations génériques permettent de « décrire ce que l’on pourrait appeler le profil relationnel d’un discours, qui met en évidence les relations dominantes de son organisation » (2002a: 147). Il précise que « la notion de relation générique est liée à l’existence de classes de marqueurs linguistiques, comme les tournures syntaxiques ou les connecteurs qui, au-delà d’instructions spécifiques, partagent un ensemble d’instructions communes (ainsi des connecteurs argumentatifs, contre-argumentatifs et reformulatifs), ou, par défaut, à des positions dans la structure hiérarchique (constituant subordonné qui précède ou suit le constituant principal pour les relations de préalable et de commentaire) » (id. 147-148). Roulet (2003) propose une liste réduite de dix catégories génériques, qui suffisent pour décrire toutes les formes du discours, dialogiques et monologiques.

(1) Les relations illocutoires génériques ne caractérisent pas des actes isolés, mais des interventions constitutives d’échanges. Roulet (2003) distingue deux types de relations illocutoires génériques, initiative et/ou réactive, définies à partir de la notion de fonction illocutoire, élaborée dans le cadre de la théorie des actes de langage. « L’orientation initiative et/ou réactive de la relation illocutoire dépend de la place de l’intervention dans la structure de l’échange. La première intervention d’un échange est liée par une relation illocutoire initiative, par exemple d’interrogation, avec celle qui suit; la ou les interventions suivantes (à l’exception de la dernière) par une double relation illocutoire, réactive par rapport à celle qui précède (par exemple de réponse) et initiative par rapport à celle qui suit (par exemple d’assertion); la dernière intervention d’un échange est liée à celle qui précède par une relation illocutoire réactive (généralement de ratification) » (Roulet 2002a: 148)127.

(2) Les relations interactives génériques concernent les constituants de l’intervention. Roulet (2002, 2003) distingue huit catégories génériques de relations interactives, cinq qui sont caractérisées par la présence (ou la possibilité d’insertion) de marqueurs de relations textuelles128 (relations interactives d’argument, de contre-argument, de reformulation, de topicalisation et de succession), trois qui n’ont pas de marque spécifique (relations interactives de préalable, de commentaire et de clarification). Ces relations peuvent être identifiées par « la présence ou, à défaut, la possibilité d’insertion, d’un connecteur: soit un marqueur dénominatif, comme par exemple ou en conclusion, soit un marqueur conventionnel, comme donc, mais, car ou après tout ou puis, 127 Il est à noter que Roulet (2002) distinguait cinq catégories génériques de relations illocutoires, à savoir trois catégories génériques de relations illocutoires initiatives (interrogation, intimation et assertion), définies par Benveniste (1966a), et deux catégories génériques de relations illocutoires réactives (réponse et ratification). Ces relations peuvent être identifiées dans un premier temps « à l’aide d’une paraphrase, avec une tournure syntaxique (déclarative, interrogative, impérative) ou un verbe potentiellement performatif (dire que, demander si, dire de, répondre, ratifier) » (ibid.). 128 Le terme de « marqueurs de relations textuelles » (Roulet 2003) désigne l’ensemble de marques lexicales (connecteurs, verbes performatifs) et syntaxiques (tournures déclarative, interrogative et impérative, détachements ou dislocations à gauche) des relations textuelles illocutoires et interactives.

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qui donnent des instructions permettant de repérer les informations en mémoire discursive sur lesquelles enchaîne le constituant » (Roulet 2002a: 149). Elles peuvent aussi être marquées par une construction syntaxique (détachement ou dislocation à gauche). A part les relations interactives entre les constituants de la structure hiérarchique de l’intervention, marquées ou non par une forme linguistique, le modèle genevois prend également en considération « les relations, nécessairement marquées par une forme linguistique, qui relient un constituant textuel et une information qui n’a pas été introduite en mémoire discursive par le constituant antérieur » (id. 148).

Nous analyserons les relations textuelles à partir de l’article « Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie », publié dans la Tribune de Genève, qui correspond l’Episode 4 de la Figure 33 (pour le découpage en actes textuels voir l’Annexe 5). Comme la plupart des enchaînements portent sur une information en mémoire discursive ayant sa source dans le constituant antérieur, nous nous contenterons de noter les relations illocutoires et interactives dans la structure hiérarchique (où RE = réactive, IN = initiative, arg = argument, c-a = contre-argument, ref = reformulation, top = topicalisation, succ = succession, pre = préalable, com = commentaire).

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Figure 34 : L’organisation relationnelle de l’article « Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie », publié dans la Tribune de Genève

As [44] S’il a promis qu’il n’y aurait ni revanche …

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A-I [39] et par le Groupe de contact ...

As [26] Rendons à la France …

As [27] Dans un discours de qualité, Ap [28] Chirac a noté que « l’espérance ...

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I [29] Mais il a invité les parties à « tourner ...As [30] soulignant que « ce qui …

A-I [31] c’est …A-I [32] Ce sont …A-I [33] C’est …

As [34] Saluant la « contribution déterminante » …Ap [35] il a néanmoins fait comprendre …As [36] Pour Chirac,

Ap [37] la voie ... As [38] (créée par lui)

Ap [40] John Major a bien été le seul orateur à appuyer ce plaidoyer …As [41] soulignant que les forces françaises et britaniques …

As [42] Le président Izetbegovic a considéré …Ap [43] mais il s’est engagé à le respecter.

Ap [45] il a affirmé que « les coupables …Ap [46] Ce thème a été repris par John Major, As [47] pour qui « il faut tourner la page …Ap [48] et par Bill Clinton, As [49] qui demande de « traduire en justice ...

Ap [50] Le président Milosevic, As [51] se posant en homme de paix,

Ap [52] a averti que la clé de la mission de la force internationale ... Ap [53] Quant au président Tudjman, As [54] remontant l’histoire jusqu’à l’Empire romain (!),

Ap [55] il s’est dit prêt lui aussi à tout faire pour que l’accord soit honoré.

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As [56] Guerre et paix

As [61] qui n’a pas manqué d’énumérer ses propres succès ...

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IpAs [59] l’émissaire des Européens.

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Ap [57] « Rien n’est plus difficile, après la guerre, que la réconciliation », Ap [58] a résumé Carl Bildt,

Ap [60] En conclusion, le président Clinton,

A-I [62] a félicité les trois présidentsAs [63] et lancé un vibrant appel aux peuples des Balkans :

A-I [64] « Vous avez vu ce que la guerre a engendré. A-I [65] Vous savez ce que la paix peut apporter ! »

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Ap [25] Le conseiller fédéral Flavio Cotti y figurait au titre de président du Conseil de l’OSCE.

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As [6] Durant quelques secondes, Ap [7] on a vu Slobodan Milosevic et Franjo Tudjman, assis avec Alija Izetbegovic ... Ap [8] Tudjman a esquissé un sourire. As [9] Ce fut bien le seul de cette cérémonie de signature, hier matin à l’Elysée ...

Ap [10] Le président Jacques Chirac a dit qu’il accueillait ses hôtes « avec émotion et gravité ». As [11] De l’émotion, Ap [12] il y en eut bien peu,

Ap [13] et les présidents de Serbie, Croatie et Bosnie, impassibles ...Ap [14] La gravité, en revanche, était partagée par tous.

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As [15] Trois idées ont dominé toutes les interventions de ce jour décisif :

A-I [16] on retient son souffle devant une paix fragile,A-I [17] on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants, A-I [18] et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe ...

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As [19] ParrainsAp [20] Debout derrière les trois présidents se tenaient les « parrains » ... As [21] qu’ils ont signé à leur tour :

Ap [22] les présidents Bill Clinton et Jacques Chirac, le chancelier Kohl ... As [23] De nombreux autres représentants de gouvernements et d’organisations ...Ap [24] pour donner du poids à cet accord si longtemps désiré.

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As [1] RETENANT LEUR SOUFFLE,

Ap [2] NEUF HOMMES SIGNENT UNE PAIX FRAGILE EN BOSNIEIp

Is Ap [4] l’accord de Dayton entériné dans un climat de gravité et d’expectative

As [5] car chacun sait que l’essentiel dépend de la bonne volonté des ex-belligérants

As [3] Jour historique hier à Paris : Is

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Une approche modulaire des stratégies discursives du journalisme politique

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Ad (1) Si nous essayons d’appliquer la définition des relations illocutoires au texte journalistique, nous pouvons considérer un article de presse comme une intervention intermédiaire, ayant une double relation illocutoire, à la fois réactive et initiative par rapport aux interventions des autres acteurs de la communication politique (hommes politiques, journalistes, lecteurs). Une intervention journalistique représente une réaction à un événement politique composé d’une ou de plusieurs interventions de différents « acteurs de la communication politique » (Wolton 1989, Charron 1995), tout en établissant une relation illocutoire intermédiaire d’information avec la ratification qu’elle appelle.

Ad (2) L’analyse des relations textuelles interactives entre les constituants de rangs différents d’une intervention journalistique fait ressortir les aspects suivants de son organisation relationnelle: les rapports complexes entre les unités péritextuelles et les unités textuelles, une organisation très élaborée de certaines unités péritextuelles et la diversité des relations interactives entre les unités textuelles.

La relation interactive entre les unités péritextuelles et les unités textuelles occupe le rang le plus élevé dans l’organisation relationnelle interne d’un article de presse. Les unités péritextuelles, des plus simples aux plus complexes, servent d’abord à introduire les unités textuelles. Dans le schéma ci-dessus (Figure 34), nous avons identifié les relations entre les unités péritextuelles et les unités textuelles comme des relations interactives de préparation. Ainsi, le titre et le sous-titre préparent l’ensemble du texte de l’article, tandis que les trois intertitres, à savoir les actes [19], [26] et [56], préparent les interventions qui suivent ([20-25], [27-55], [57-65]).

En préparant le texte d'un article de presse, le titre donne également des instructions sur l’interprétation de son organisation hiérarchique et relationnelle. Ainsi, nous avons considéré l’intervention correspondant aux actes [15-18], qui reprend certaines parties du titre et du sous-titre, comme l’intervention la plus importante de l’ensemble du texte, au lieu de l’interpréter comme constituant subordonné de la séquence narrative qui s’étendrait à l’ensemble du texte (l’organisation informationnelle/topicale de cet extrait sera analysée plus loin, 4.1.1.1.). [1] RETENANT LEUR SOUFFLE, [2] NEUF HOMMES SIGNENT UNE PAIX FRAGILE EN BOSNIE [3] Jour historique hier à Paris: [4] l’accord de Dayton entériné dans un climat de gravité et d’expectative [5] car chacun sait que l’essentiel dépend de la bonne volonté des ex-belligérants [15] Trois idées ont dominé toutes les interventions de ce jour décisif: [16] on retient son souffle devant une paix fragile, [17] on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants, [18] et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la

communauté internationale.

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En tant que constituant principal de la structure hiérarchique textuelle, elle subordonne les interventions [6-14] et [19-25], qui entretiennent avec elle une relation interactive d’argument (et non pas de succession, comme ce serait le cas des constituants d’une séquence narrative). De même, nous avons postulé une relation interactive argumentative (et non pas de succession) entre deux grandes interventions ([6-25] et [26-65]). Cette interprétation s’appuie sur la fréquence du discours représenté à fonction d’argument d’autorité dans la deuxième intervention. Dans son article portant sur les différentes valeurs du discours représenté, Laurent Perrin (1995) a mis en évidence l’incompatibilité entre les relations de succession temporelle et d’argumentation129. Dans notre exemple, les déclarations des protagonistes de la cérémonie de signature deviennent des éléments constitutifs du discours permettant au journaliste d’appuyer son argumentation. Ce discours est organisé autour des principales idées annoncées dans le titre: l’accord est fragile, son application dépend de la bonne volonté des ex-belligérants, la cérémonie de sa signature s’est déroulée dans un climat de gravité et d’expectative. Une telle interprétation a déterminé le “profil relationnel” de la deuxième grande intervention [26-65], caractérisé par la fréquence entre ces principaux constituants de relations de simple coordination ([27-41] et [42-55] ou [42-49], [50-52] et [53-55]) correspondant respectivement aux interventions de quatre protagonistes de la cérémonie de signature de l’accord de paix: l’ordre chronologique dans lequel les déclarations sont prononcées n’a pas d’importance (d’ailleurs, le journaliste lui-même ne le respecte pas rigoureusement). Cependant, même si nous considérions la deuxième intervention comme une séquence narrative130, en nous appuyant sur des informations d’ordre référentiel concernant la structure praxéologique de la cérémonie de signature de l’accord de paix (les deux grandes interventions qui composent le texte correspondent respectivement aux deux étapes de la cérémonie solennelle – le moment de signature de l’accord de paix ([6-25]) et les discours politiques ([26-65]) qui l’ont suivi), les deux interventions seraient liées par une relation interactive d’argument, le journaliste pouvant « faire passer la visée polémique et/ou argumentative » de la deuxième séquence « par le biais d’un récit exemplaire » (Revaz 1997: 28). Le même type de relations argumentatives

129 « (…) Je précise … qu’un énoncé rapporté ne peut à la fois être intégré à un récit dans le cadre d’un dialogue rapporté et servir d’argument d’autorité. Etant incompatible avec l’indépendance du contexte propre à l’histoire qu’un récit relate, tout argument d’autorité neutralise ou tout au moins interrompt localement les relations interactives temporelles d’un récit éventuel relatant un dialogue entre des personnages X et Y, au profit d’une relation purement argumentative entre l’énoncé X a dit que P et l’énoncé P » (Perrin 1995: 225-226). 130 Il convient de préciser que le terme de narration est utilisé ici dans son acception large, qui confond la Relation des événements et le Récit. « Dans le premier cas, l’événement est relaté linéairement, dans le second, il donne lieu à une mise en intrigue dont la spécificité compositionnelle tient à la présence, au moins, d’un nœud et d’un dénouement » (Revaz 1997: 21). Dans cette étape de la recherche, nous nous contentons d’identifier les relations entre les constituants de cette séquence comme des relations interactives de succession, sans aborder « les deux modes de composition » que le journaliste a à sa disposition pour « rapporter une information » (ibid.).

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s’établit entre les constituants de la première grande intervention (entre les interventions [6-14] et [15-18] et entre les interventions [6-18] et [19-25]).

Après avoir établi le « profil relationnel » de l’ensemble du texte, qui repose sur une prédominance des relations interactives de nature argumentative entre ses principaux constituants, nous aborderons brièvement la diversité des relations interactives entre ses plus petites unités constitutives.

Le couplage des informations d’ordres hiérarchique et lexical nous permet d’identifier les relations interactives d’argument (a) entre les actes [23] et [24], [44] et [45] et les interventions [57-59] et [60-65], marquées par la présence des connecteurs pour, si, en conclusion, les relations interactives de contre-argument (b) entre les interventions et actes [11-13] et [14], [27-28] et [29-33], [34] et [35], [42] et [43], marquées par la présence des connecteurs en revanche, mais, néanmoins, la relation de topicalisation (c) entre l’intervention [53-54] et l’acte [55], marquée par la présence de quant à, les relations de commentaire (métadiscursif) (d) entre l’acte [57] et l’intervention [58-59], ainsi qu’entre l’acte [63] et [64-65], marquées par la présence du verbe de parole résumer (ce verbe est à la fois le marqueur dénominatif de la relation interactive de reformulation entre les interventions [26-55] et [56-65]) et par la locution verbale lancer un appel. (a) [23] De nombreux autres représentants de gouvernements et d’organisations

internationales étaient présents, [24] pour donner du poids à cet accord si longtemps désiré.

(b) [34] Saluant la « contribution déterminante » des Américains,

[35] il a néanmoins fait comprendre avec une pointe d’humour que la France n’entendait pas qu’on sous-estimât son rôle. [42] Le président Izetbegovic a considéré que l’accord était « un médicament utile et amer », [43] mais il s’est engagé à le respecter.

(c) [53] Quant au président Tudjman,

[54] remontant l’histoire jusqu’à l’Empire romain (!), [55] il s’est dit prêt lui aussi à tout faire pour que l’accord soit honoré.

(d) [57] « Rien n’est plus difficile, après la guerre, que la réconciliation »,

[58] a résumé Carl Bildt, [59] l’émissaire des Européens.

Le couplage des informations d’ordres hiérarchique et syntaxique nous

permet d’identifier les relations interactives de topicalisation (e) entre les actes [6] et [7], [11] et [12], [27] et [28], [30] et [31-33], [36] et [37-39], [50-51] et [52], [53-54] et [55], [60-61] et [62-65], marquées soit par un détachement ou dislocation à gauche, soit par l’insertion d’une relative appositive ou d’une participiale, qui opère rétroactivement une topicalisation; les relations interactives de commentaire (f) entre les actes [20] et [21], [46] et [47], [48] et [49], [50] et [51], [53] et [54], [60] et [61], marquées par une relative appositive

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ou une participiale; les relations de préalable (g), marquées par la présence de deux points, entre les actes et interventions [15] et [16-18], [20-21] et [22], [63] et [64-65]; enfin, la relation interactive d’argument (h) entre les actes [40] et [41], marquée par une participiale. (e) [6] Durant quelques secondes,

[7] on a vu Slobodan Milosevic et Franjo Tudjman, assis avec Alija Izetbegovic, chercher dans le lourd document la page qui attendait leur stylo.

[50] Le président Milosevic, [51] se posant en homme de paix, [52] a averti que la clé de la mission de la force internationale envoyée en Bosnie résidera dans « son doigté » et sa « nécessaire neutralité ».

(f), (g) [20] Debout derrière les trois présidents se tenaient les « parrains » de l’accord

de paix, [21] qu’ils ont signé à leur tour: [22] les présidents Bill Clinton et Jacques Chirac, le chancelier Kohl, les premiers ministres Major et Tchernomyrdine pour les pays du Groupe de contact, ainsi que le président du Gouvernement espagnol Felipe Gonzalez pour l’Union européenne.

(g) [15] Trois idées ont dominé toutes les interventions de ce jour décisif:

[16] on retient son souffle devant une paix fragile, [17] on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants, [18] et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la communauté internationale.

(h) [40] John Major a bien été le seul orateur à appuyer ce plaidoyer pro domo, [41] soulignant que (car il a souligné que) les forces françaises et britanniques avaient été « l’épine dorsale » des troupes de l’ONU en Bosnie.

Finalement, le couplage des informations d’ordres hiérarchique et

référentiel nous permet d’identifier les relations interactives d’argument entre les interventions [34-35] et [36-39], ce que confirme la possibilité de l’insertion d’un connecteur argumentatif, comme, par exemple, car, (ainsi qu’entre les interventions [6-14] et [15-18], grâce à la présence du récit exemplaire à fonction d’argument, ou entre les interventions [6-25] et [26-65], grâce à la présence du discours représenté à fonction d’argument d’autorité); les relations interactives contre-argumentatives (i) entre l’acte [10] et l’intervention [11-13], ce que confirme la possibilité de l’insertion d’un connecteur contre-argumentatif; les relations interactives de commentaire (j) entre les actes [8] et [9], ainsi qu’entre les actes [37] et [38] et les actes [58] et [59], ce que confirme la possibilité de l’insertion d’un pronom relatif.

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(i) [10] Le président Jacques Chirac a dit qu’il accueillait ses hôtes « avec émotion et gravité ». [11] (Cependant) De l’émotion, [12] il y en eut bien peu, [13] et les présidents de Serbie, Croatie et Bosnie, impassibles comme des bonzes, se sont serré la main avec un minimum de cordialité.

(j) [8] Tudjman a esquissé un sourire.

[9] (qui) Ce fut bien le seul de cette cérémonie de signature, hier matin à l’Elysée, de l’accord de paix en Bosnie-Herzégovine conclu à Dayton le 21 novembre. [36] Pour Chirac, [37] la voie de l’accord de Dayton a été ouverte par la Force de réaction rapide [38] (créée par lui) (qui a été créée par lui) [39] et par le Groupe de contact « mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ».

La même diversité caractérise les relations entre les constituants des unités

péritextuelles complexes. Les unités péritextuelles qui forment une intervention – de même que les unités textuelles – peuvent être reliées par différents types de relations. Dans notre exemple, nous pouvons considérer la relation entre le sous-titre et le titre comme une relation interactive argumentative. La relation entre les actes [1] et [2] est une relation interactive de topicalisation, et celle entre les actes [4] et [5] une relation interactive argumentative, marquée par le connecteur car. Face à une relative homogénéité des relations praxéologiques internes à un texte de presse, une grande diversité caractérise les relations entre constituants textuels de rangs différents. Nous tenterons cependant de dégager un certain nombre de régularités dans la manière dont se combinent les relations praxéologiques et textuelles. 3.3.3. Les combinaisons des relations du discours praxéologiques et textuelles: vers une analyse dynamique des processus opérationnels

Le couplage des informations concernant les unités et les relations discursives – à partir des trois textes publiés dans la Tribune de Genève (correspondant respectivement aux Episodes 4, 5 et 6 de la Figure 33) – devrait nous permettre d’approfondir les points suivants:

(1) La représentation schématique de l’organisation opérationnelle du discours de la presse écrite permet d’établir des parallélismes entre ses versants textuel et praxéologique, mais ne reproduit que partiellement la complexité des structures opérationnelles des productions discursives effectives, verbales ou non verbales, textuelles ou péritextuelles.

(2) La hiérarchisation des unités discursives dépend du type de lecture d’un journal. La prise en considération des trois temps de lecture nous permet de

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passer d’une analyse statique des constituants de l’organisation opérationnelle vers une analyse dynamique des processus opérationnels.

(3) L’établissement des relations discursives dépend également du type de lecture d’un journal. Le titre fournit la plus riche illustration de la manière dont les combinaisons d’informations liées aux formes d’organisation opérationnelle et relationnelle varient en fonction de la lecture, intégrale ou partielle, d’une page de journal.

(4) Si nous analysons la structure opérationnelle qui relève de la lecture intégrale, nous pouvons observer qu’à la récurrence des relations praxéologiques (d’étape, par exemple) correspond une variété de relations textuelles interactives (argument, contre-argument, reformulation etc.) et qu’une même relation textuelle interactive, par exemple celle de reformulation, peut se combiner avec des relations praxéologiques différentes (étape ou réorientation). L’établissement de ces distinctions nécessite également la prise en compte d’informations de nature conceptuelle.

(5) La mise en rapport des opérations discursives issues de différents temps de lecture, permet d’établir la hiérarchie des unités discursives de rangs différents et de rendre compte du caractère dynamique des processus opérationnels.

Ad (1) Si nous comparons le document original (Annexe 10) avec les

représentations schématiques des trois articles qui le composent (Figures 31, 32, 33 et 34), nous pouvons observer un écart considérable du fait qu’un aspect important de la structure opérationnelle du discours de la presse écrite échappe à sa représentation schématique, quelque détaillée qu’elle soit.

Celle-ci ne permet pas en effet de saisir les relations discursives qui, au-delà des frontières entre différents articles de presse, s’établissent entre les constituants de « l’aire scripturale de la page » (Peytard 1975: 58-59). Si l’on admet, à la suite de Kayser (1963) et de Peytard (1975), que c’est la page et non pas l’article de presse qui est l’unité de base du discours de la presse écrite (voir aussi Favez, Richard & Windisch 1987, Mouillaud 1993), on peut constater qu’une même opération discursive s’inscrit dans deux types de relations discursives, qui se superposent et s’interpénètrent. Les premières s’établissent entre opérations discursives hétérogènes, en reliant des éléments visuels langagiers (tels les unités textuelles et la composante textuelle des unités péritextuelles) et non langagiers (la mise en exergue visuelle des unités péritextuelles, l’emplacement visuel du texte, la typographie, la mise en page, les illustrations) au sein d’un même article de presse. Les secondes regroupent les opérations discursives homogènes du point de vue praxéologique (par exemple, la titraille considérée indépendamment du texte) qui traversent plusieurs articles de presse appartenant à la même aire scripturale131.

131 Comme l’observe Kayser (1963): « Le journal constitue un ensemble. Nous avons pour l’analyse, isolé les textes, les titres, les illustrations. Un regroupement s’impose qui, seul, permettra de mesurer l’effort d’information (au sens le plus large du terme) du quotidien » (1963: 108). Et un peu plus loin : « La dissection du quotidien qui isole ses éléments de structure présente un caractère arbitraire et formaliste : il est rare en effet de les rencontrer à

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L’analyse du document original permet également de saisir des interférences entre les surfaces rédactionnelle et publicitaire. Le titre principal, en tête de page, « Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie », contraste avec la publicité en bas de page « Pour les décideurs qui aiment à prendre leurs aises: Club Europe ». La publicité tire son efficacité de sa place par rapport aux éléments contigus de la surface rédactionnelle132.

En fait, les représentations schématiques n’ont pas mis en évidence le caractère dynamique des structures opérationnelles, résultant de l’enchevêtrement et de la superposition de différentes activités, langagières et non langagières, communicationnelles et non communicationnelles, tendues vers la réalisation de buts multiples qui se situent à des niveaux différents de l’organisation opérationnelle.

Ad (2) L’analyse du même exemple permet d’observer que toutes les

unités discursives n’ont pas le même traitement. Certaines d’entre elles occupent, grâce à leur saillance visuelle, une place privilégiée dans l’organisation du discours par rapport à d’autres. C’est notamment le cas des informations activées dans le titre, le sous-titre et les intertitres, unités discursives dites péritextuelles.

La distinction entre deux types de lecture d’une page de journal établie par Peytard (1975) servira de point de départ à la hiérarchisation des unités et des relations discursives. Selon cet auteur, « l’aire scripturale » de la page, qui est l’unité de base du journal, s’ordonne sur les deux dimensions des titres et des colonnes et est soumise à une tension entre un « balayage » transversal par le regard (« lecture des intitulés ») et une lecture suivant la continuité du discours (« lecture du corps de l’article »). « La page de journal est une unité, sur laquelle deux types de lectures (au moins) sont possibles. Lecture des intitulés; lecture des articles. La lecture des intitulés s’organise par « pistes »: de titre à titre et/ou à sous-titres (et vice versa), non seulement sur l’espace d’un article, mais de la page dans sa totalité. Cette lecture s’oppose par sa procédure de « balayage » à la lecture du corps de l’article: ce décodage de type spatial est marqué par une certaine rapidité (on parcourt la page, le journal) et un apparent non-ordre: de bas en haut, de droite à gauche, en oblique […] Le décodage linéaire du corps de l’article est nécessairement ralenti et ordonné (de gauche à droite avec retour et décrochage descendant) » (Peytard 1975: 58-59).

Il est à noter que certains auteurs introduisent un niveau d’analyse supplémentaire correspondant à la « lecture des intertitres, des chapeaux, de l’attaque et de la chute de l’article » et qu’ils distinguent, par conséquent, trois niveaux d’analyse correspondant aux trois temps de lecture (Kayser 1963, l’état pur. La réalité les associe. Le “texte”, en dehors des “brèves” et de certains communiqués, est précédé d’un titre qui lui est propre ou qui se rapporte à un ensemble dont il fait partie. Le titre est toujours accompagné d’un texte ou d’une illustration. Enfin, l’illustration est, en général, éclairée par un titre ou se réfère à un texte » (Kayser 1963: 109). 132 En suivant Kayser (1963), nous avons exclu la surface publicitaire de l’analyse des processus opérationnels qui caractérisent le discours du journalisme politique. Nous admettons qu’il existe entre les deux des interférences, dont nous avons fait abstraction, parce qu’elles n’entrent pas dans le cadre de notre recherche, centrée sur les stratégies discursives du journalisme politique et non pas sur leurs interférences avec les stratégies publicitaires.

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Croissandeau 1979, Favez, Richard & Windisch 1987). « La lecture du journal se fait en trois temps par le lecteur et, à chaque fois, une sélection s’effectue. Le lecteur ne va pas parcourir trois fois le journal, mais fera son choix mentalement en passant par trois phases pratiquement simultanées » (1987: 90)133. Pour produire l’effet visé quel que soit le type de lecture choisi par le lecteur, le journaliste doit tenir compte de ces trois temps de lecture.

En combinant ces deux approches, il est possible d’établir une hiérarchisation des opérations discursives constitutives de l’aire scripturale d’une page de journal. Ce sont les relations de subordination entre constituants de certaines opérations discursives homogènes (telle la titraille) qui servent de point de départ à l’établissement des relations de subordination entre plusieurs opérations discursives hétérogènes. Ainsi, l’importance relative d’un article de presse est proportionnelle à l’importance visuelle accordée à son titre et à l’illustration qui l’accompagne: le premier article en importance visuelle subordonne le deuxième article en importance visuelle, celui-ci subordonne le troisième article en importance visuelle, et ainsi de suite (pour la représentation schématique des relations du discours praxéologiques entre les trois articles de presse qui composent la surface rédactionnelle de la même page de journal, voir la Figure 33).

Les relations discursives entre les constituants d’un article de presse varient en fonction des différents temps de lecture dont il fait l’objet.

TITRAGE (Opération initiale - finale) 1

CORPS DE L’ARTICLE (Opération centrale)

Chapeau, Attaque (Opération initiale) 2

Texte (Opération centrale) 3

Chute (Opération finale) 2

ARTICLE DE PRESSE

ILLUSTRATION (Opération centrale – facultative) 1

Figure 35 : La représentation schématique des trois temps de lecture d’un article de presse

133 « Le premier temps est celui de l’élimination, donc le premier choix (l’élimination touche environ 90% de la matière offerte). Lors de ce premier temps, le lecteur effectuera un premier choix en fonction de: la rubrique, le titre, l’illustration, la mise en page et la signature. Le deuxième temps est celui de la confirmation des choix. L’attention du lecteur se porte alors sur les chapeaux, les intertitres, l’attaque et la chute de l’article. Le troisième temps porte sur le texte lui-même: les paragraphes, les éventuelles coupures, les relances, le style, le rythme » (Favez, Richard & Windisch 1987: 90).

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Le premier temps de lecture porte sur le titre, l’illustration et la signature. Dans le cas du processus opérationnel correspondant à la lecture partielle d’un article de presse, le titre représente à la fois l’opération initiale et l’opération finale, car la lecture des intitulés « tend à se boucler sur elle-même » (Peytard 1975: 59). L’opération initiale/finale est constituée par le titre, tandis que l’opération centrale (facultative) est réduite à l’illustration qui, éventuellement, accompagne le texte. Ce processus présente une structure opérationnelle et relationnelle extrêmement dense, conçue de manière à satisfaire entièrement aux exigences d’une lecture rapide, qui cherche à parvenir à l’essentiel avec un minimum d’efforts. En répondant au goût du public pour des « raccourcis fonctionnels » (Demers 1995), le discours d’information médiatique se rapproche du discours publicitaire: « Aujourd’hui, le discours publicitaire domine l’ensemble de la communication publique. Ce qui veut dire que les formes générales d’organisation de l’information sont structurellement les mêmes dans la partie annonces/pubs que dans la partie nouvelles/éditoriaux des médias. Dans ces deux espaces/temps, ce sont les flashes, les manchettes, les gros titres, les intertitres, les exergues, les clips, etc., qui servent d’unités de base de la mosaïque » (Demers 1995: 225). Le premier temps de lecture traverse un espace visuel considérable. Dans notre exemple, la titraille et l’illustration occupent la moitié de la surface rédactionnelle accordée au premier article en importance visuelle, l’autre moitié étant répartie entre le deuxième et le troisième temps de lecture.

Le deuxième temps de lecture, emboîté dans le premier, porte sur les sous-titres, intertitres, attaque et chute de l’article. Ces éléments font partie de l’opération centrale, qui se subdivise elle-même en trois opérations. Le deuxième temps de lecture correspond, plus spécifiquement, aux première et troisième de ces opérations de rang inférieur. Le deuxième temps de lecture constitue l’étape intermédiaire entre le balayage vertical des intitulés et la lecture intégrale du corps de l’article. Les opérations constitutives du deuxième temps de lecture (sous-titres, intertitres, attaque et chute de l’article) font partie de l’opération centrale, comme le montre la représentation schématique ci-dessus (Figure 35). Dans notre exemple, le passage du premier au deuxième temps de lecture est imperceptible, le titre et le sous-titre formant une seule unité opérationnelle.

Le troisième temps de lecture, emboîté dans le deuxième, porte sur le texte lui-même et correspond à l’opération qui occupe la position centrale dans le schéma ci-dessus. Cette opération joue le rôle principal dans la lecture intégrale d’un article de presse.

Nous avons tenté de fonder la hiérarchie des opérations discursives sur la distinction entre deux types de lecture d’un article de presse, qui s’organisent, en effet, autour de deux axes: celui du temps et celui de l’espace. Nous avons pu observer que les unités discursives sur lesquelles portent les premier et deuxième temps de lecture occupent les positions initiale et finale au sein de l’unité discursive superordonnante. Par le terme de processus opérationnel nous entendons la construction progressive des unités discursives complexes et des relations discursives dynamiques, susceptibles de plusieurs interprétations en fonction du type de lecture choisi. Dans le cas de la lecture partielle de l’article

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de presse, l’unité opérationnelle qui correspond au premier temps de lecture (composée des titres et des illustrations) subordonne les autres unités opérationnelles. En revanche, dans le cas de la lecture intégrale de l’article de presse, l’unité opérationnelle correspondant au troisième temps de lecture subordonne les opérations discursives du même rang.

Ad (3) Le titrage134 fournit une riche illustration de la manière dont le type

de relation textuelle - et discursive - varie en fonction du type de lecture choisi. Nous pouvons constater d'abord qu’indépendamment du type de lecture, le

titrage entretient d’étroites interrelations avec le texte de l'article. « Le titrage est devenu difficile à délimiter, en raison des sous-titres qu’on a tendance à multiplier et qui parfois servent d’introduction au texte, tant et si bien qu’on ne sait pas très bien où placer la ligne de démarcation. Ces sous-titres ne présentent plus le texte, ils en donnent un sommaire plus ou moins détaillé, ils offrent même parfois une ouverture vers les considérations que le texte n’aborde pas » (Kayser 1963: 91). La mise en exergue visuelle du titrage lui attribue une place à part dans la surface rédactionnelle du journal et constitue l’élément décisif dans la mise en valeur de chaque article de presse. Dans l’analyse de l’organisation relationnelle de l’article qui occupe la première place en importance visuelle sur la page, nous avons pu constater que le titre joue un rôle important dans l’établissement des rapports de subordination entre les unités textuelles.

Les unités péritextuelles font l’objet d’une attention particulière de l’instance médiatique, car les informations qui y sont activées auront un impact décisif au cours du balayage vertical, qui s’appuie sur des « raccourcis fonctionnels »: « le graphique, le dessin, la photographie, la formule choc dans les titres, le jeu de mots qui se raffine en slogan. Ils reposent sur un même procédé, celui de l’association mentale, selon l’axe de la connaissance et selon celui des sentiments » (Demers: 1995). En même temps, les informations véhiculées par les unités péritextuelles dirigeront la lecture intégrale de l’article, le titrage permettant d’appuyer les arguments avancés dans le texte. Des « raccourcis fonctionnels » constitués par les jeux de mots et les formules chocs dans les titres servent, dans le contexte mass-médiatique, d’« arguments d’un méta-discours politique » (Demers 1995).

Comme l’opération discursive correspondant au titrage permet à l’instance médiatique de réaliser plusieurs buts communicationnels à la fois, son statut dans la structure opérationnelle n’est pas facile à déterminer. Comme l’observe Roulet (2002b), le rapport hiérarchique et la relation interactive entre le titre et le texte « peuvent être envisagés de deux manières différentes, selon l’interprétation que l’on privilégie: soit le titre, qui résume le texte, est un acte principal et le texte une intervention subordonnée de commentaire, soit [...] le titre est subordonné au texte et lié à celui-ci par une relation interactive de préalable » (Roulet 2002b:

134 Selon la définition proposée par Kayser (1963), le titre constitue « un ensemble complexe, disparate, qui se subdivise en surtitre, titre proprement dit et sous-titre, sans compter les intertitres qui créent d’opportunes séparations dans une copie compacte. L’ensemble reçoit le nom de titrage ou, parfois, de « titraille » (1963: 91).

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309). Si l’on admet l’idée que la structure opérationnelle du discours de la presse écrite est une structure dynamique, qui change au fil de différents temps de lecture, on peut associer la première interprétation à la lecture partielle, et la deuxième interprétation à la lecture intégrale d’une page de journal. La possibilité de deux interprétations contradictoires ne fait ainsi que confirmer le caractère dynamique des unités et des relations discursives.

A titre d’exemple, la relation discursive entre opérations correspondant au titre et au texte du premier article en importance visuelle variera en fonction du type de lecture de cette page de journal.

PHsCOMMENTERLES FAITSET LES DITS

PHsPROBLE-MATISER

PHpELUCIDER

PHpEVALUER

étape

étape

PHpATTIRERL’ATTENTION,RESUMER,DRAMATISER

PHs

réorientation

Is

IpIs

IsIsIs

Ip

Is

IpIp

top

topc-asucc

arg

pré

As [6] Durant quelques secondes, Ap [7] on a vu Slobodan Milosevic et Franjo Tudjman …Ap [8] Tudjman a esquissé un sourire. As [9] Ce fut bien le seul de cette cérémonie de signature …

Ap [10] Le président Jacques Chirac a dit qu’il accueillait ses hôtes …As [11] De l’émotion, Ap [12] il y en eut bien peu,

Ap [13] et les présidents de Serbie, Croatie et Bosnie ...Ap [14] La gravité, en revanche, était partagée par tous.

com

As [15] Trois idées ont dominé toutes les interventions de ce jour décisif : A-I [16] on retient son souffle devant une paix fragile,A-I [17] on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants, A-I [18] et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe ...

arg

As [1] RETENANT LEUR SOUFFLE,

Ap [2] NEUF HOMMES SIGNENT UNE PAIX FRAGILE EN BOSNIEIp

Is Ap [4] l’accord de Dayton entériné dans un climat de gravité et d’expectative

As [5] car chacun sait que l’essentiel dépend de la bonne volonté des ex-belligérants

As [3] Jour historique hier à Paris : Is

Iparg

arg

top

prépré

IRE/IN

Is

Ip

Ip

arg

succ

PHs

AMsAMp PHp

AMsAMp PHs

PHs AMp

AMsAMp

PHs

AMpPHs

AMpAMsAMp

PHs

AMpPHs

AMpPHs

AMp

AMsAMp

PHs

AMpPHs

AMp

PHp [19-25]RAPPORTER LES FAITS

PHs

PHp [26-65]RAPPORTER LES DITS

préIs [19-25]

Ip [26-65]

étapeétape

étape

étapeétape

étapeétape

étapeétape

étape

étapeétape

étape réorientation

étape

étape

PHp

PHsILLUSTRATION

réorien-tation

EP

Figure 36 : Les combinaisons des relations du discours textuelles et praxéologiques

com

En cas d’une lecture partielle de cet article, centrée sur le titre, le sous-titre et l’attaque de l’article, cette relation résultera de la combinaison d’une relation praxéologique de réorientation (PHp-PHs) et d’une relation textuelle de préalable (Is-Ip), comme le montre la représentation schématique ci-dessus, de même que l’illustration subordonnera le texte de l’article, avec lequel elle entretiendra une relation d’étape (PHs-PHp). En revanche, au cours de la lecture intégrale du texte, les unités praxéologiques faisant l’objet du premier temps de lecture seront relayées au second plan par rapport à la phase suivante, avec laquelle elles entretiendront une relation praxéologique d’étape (PHs-PHp), tandis que la relation initiale entre le titre et le texte de l’article sera complétée par une relation textuelle de reformulation (Ip-Is) (et le texte de l’article subordonnera l’illustration qui l’accompagne, avec laquelle il entretiendra une relation

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praxéologique de reformulation, représentée sur le schéma). Ainsi, le titre (et l’illustration) rempli(ssen)t le double rôle confié aux productions discursives à « la périphérie du texte »: « précéder, présenter le texte pour le rendre déjà visible avant qu’il ne soit lisible » et « le protéger, le défendre, l’empêcher de déborder et de se répandre » (Lane 1992: 13-14).

Ad (4) Si nous nous arrêtons à la structure opérationnelle issue du troisième temps de lecture de l’article principal (voir les Figures 34 et 35), nous pouvons constater qu’aux relations praxéologiques d’étape qui relient les principaux constituants de cet épisode correspondent des relations textuelles interactives diverses: les relations de préalable, d’argument, de reformulation. La récurrence des relations praxéologiques permet également de rassembler autour du même épisode praxéologique les éléments disparates qui font partie de la « surface rédactionnelle » du quotidien: le titrage, les illustrations, les textes (Kayser 1963: 85)135 et de proposer un traitement unifié des unités textuelles et péritextuelles qui composent un article de presse.

La structure opérationnelle de cet article est caractérisée par un certain nombre de combinaisons de relations praxéologiques et textuelles, qui se reproduisent dans d’autres articles. Il en est ainsi, par exemple, des relations praxéologiques d’étape qui marquent le passage de la phase de problématisation (titre) à la phase d’évaluation et le passage de la phase d’évaluation aux phases d’élucidation et d'authentification (illustration) qui se combinent respectivement avec les relations textuelles de préalable et d’argument.

A part ces combinaisons relativement stables de relations qui caractérisent les unités discursives maximales du discours de la presse écrite, nous pouvons observer une plus grande variété de relations discursives entre les unités opérationnelles de rangs inférieurs. L'un des aspects de cette variété consiste dans la possibilité de combiner une relation praxéologique avec deux types de relations textuelles, ou une unité textuelle avec deux types de relations praxéologiques.

Le premier cas de figure peut être illustré par la combinaison du même type de relation praxéologique (étape) avec différents types de relations textuelles (argument, contre-argument, commentaire etc.) ou par la combinaison des mêmes types de relations praxéologique et textuelle (étape-argument) et des rapports de subordination différents entre les unités praxéologiques et textuelles concernées par ces relations. Ainsi, par exemple, à la relation praxéologique d’étape entre deux unités dont la première est subordonnée à la seconde peuvent correspondre deux types de relations textuelles d’argument: l’un caractérisé par les rapports de subordination Ip(Ap) – Is(As) entre les unités textuelles concernées (a), l’autre par les rapports de subordination inversés Is(As) – Ip(Ap) (b).

135 « La surface du quotidien est inégalement répartie entre les surfaces achetées par la publicité et celles qui, à titres divers, sont réservées à la rédaction. D’où une première distinction entre la publicité d’une part et d’autre part la surface non publicitaire que nous appelons la surface rédactionnelle », puis la distinction entre « les trois éléments constitutifs de la surface rédactionnelle: le titrage, les illustrations, les textes » (Kayser 1963: 85).

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(a) (b)

La différence entre ces deux combinaisons de relation discursive étape-argument (Is-Ip/Ip-Is) est liée à la place des unités concernées dans la structure praxéologique. L'intervention textuelle subordonnée à fonction d'argument correspond à l'une des étapes de la phase d'élucidation, et l'intervention textuelle principale à fonction d'argument à l'une des étapes de la phase d'évaluation des faits et des dits rapportés.

Le deuxième cas de figure est illustré par la combinaison de la relation textuelle de reformulation avec deux types de relations praxéologiques, d'étape et de réorientation. Nous avons établi la relation textuelle de reformulation et la relation praxéologique d’étape entre l’unité discursive correspondant à la séquence d’actes textuels et d’actions minimales [56-65] et l’unité discursive du même rang qui précède ([26-55]) en nous appuyant sur une information de nature lexicale: la présence du verbe résumer, qui fonctionne comme marqueur dénominatif de relation interactive (Figures 33 et 34). En revanche, la combinaison de la relation textuelle de reformulation et de la relation praxéologique de réorientation caractérise les rapports entre les unités discursives correspondant aux deux paragraphes suivants extraits d’un autre article publié dans la Tribune de Genève:

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(…) L'un des problèmes récurrents de l'OTAN, c'est la mainmise américaine, induite par une puissance militaire impressionnante. Le général de Gaulle avait d'ailleurs marqué sa distance en retirant, en 1966, la France du commandement intégré. Récemment encore, les Américains ont fait capoter la candidature de Ruud Lubbers au poste de secrétaire général. La France, et avec elle d'autres pays européens, espérait, en fait, au début des années nonante, la création d'une véritable force européenne de défense sous l'égide de l'Union européenne. Or, pour l'instant, même si le Traité de Maastricht prévoit que l'UE doit réfléchir à une défense commune, celle-ci est loin d'avoir vu le jour. La France plaide donc pour une alternative à la puissance américaine au sein même de l'OTAN : elle souhaite une OTAN à «deux piliers», un pilier atlantique proche des Etats-Unis et du Canada et un pilier européen, sous commandement européen.

Tribune de Genève, les 16-17 décembre 1995, page 8

L’identification de la relation textuelle de reformulation entre ces deux interventions repose également, comme dans l’exemple précédent, sur une information de nature lexicale: la présence du connecteur reformulatif en fait. L’établissement de la relation praxéologique de réorientation entre deux phases praxéologiques correspondantes s’appuie principalement sur le contraste entre leurs structures conceptuelles respectives, organisées autour des concepts opposés de « puissance américaine » et d’ « alternative à cette puissance ».

La différence entre ces deux combinaisons de relations textuelle et praxéologique (reformulation-étape/réorientation) est liée à la structure conceptuelle des unités concernées. L’intervention textuelle dont les constituants sont liés par la relation interactive de reformulation se combine avec la phase praxéologique dont les constituants entretiennent la relation d’étape pour former l’unité discursive qui repose sur les propriétés conceptuelles issues du même concept. En revanche, l’intervention textuelle dont les constituants sont liés par la relation interactive de reformulation se combine avec la phase praxéologique dont les constituants entretiennent la relation de réorientation pour former l’unité discursive qui repose sur les propriétés conceptuelles issues de concepts différents.

Ad (5) Les buts communicationnels des opérations discursives qui relèvent du troisième temps de lecture se superposent à ceux des opérations discursives issues des premier et deuxième temps de lecture.

La prise en considération des relations discursives issues de la lecture partielle d’une page de journal permet, d’une part, d’établir la hiérarchie des unités discursives et, d’autre part, de mettre en évidence la non-linéarité des relations discursives: entre l’unité textuelle correspondant à la titraille et sa mise en exergue visuelle, entre les différentes composantes d’un article de presse (titraille, texte, illustrations), entre articles de presse figurant sur la même page.

Nous pouvons suivre la construction progressive de la hiérarchie des structures opérationnelles du discours de la presse écrite, en comparant les relations discursives issues des différents temps de lecture d’une page de journal. Si nous analysons le même document, nous pouvons constater que les unités

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discursives qui se trouvent en position initiale (titraille) et finale (illustrations) occupent la position la plus élevée dans la hiérarchie des structures opérationnelles issues du balayage vertical de cette page (Annexe 10): le titre du premier article en importance visuelle, la photographie qui accompagne le texte du premier article, le titre du deuxième article en importance visuelle, la carte géographique qui accompagne le texte du deuxième article, le titre du troisième article en importance visuelle, les intertitres. Visant à la fois à attirer l’attention du lecteur et à résumer/illustrer le texte qu’elles encadrent, ces unités jouent le rôle décisif aussi bien dans la sélection des textes opérée par le lecteur que dans le processus de re-hiérarchisation des unités discursives au cours de la lecture intégrale des textes sélectionnés.

La comparaison des structures opérationnelles issues des lectures partielle et intégrale d’une page de journal ou d’un article de presse, qui permet de saisir le caractère dynamique des relations discursives, soulève le problème de la non-linéarité dans les relations entre certaines unités discursives. Ainsi, la superposition des buts communicationnels de l’unité discursive correspondant au titre (résumer le texte de l’article) et de l’unité discursive correspondant à sa mise en exergue visuelle (attirer l’attention du lecteur) nous a amenée à postuler une relation praxéologique d’étape entre ces deux unités, qui forment une unité opérationnelle intermédiaire quelle que soit l’étendue textuelle du titre (celui-ci peut être constitué d’un seul acte textuel, comme c’est le cas du deuxième ou du troisième article de notre exemple). Il s’agit ensuite de la non-linéarité dans la relation entre les différents constituants d’un article de presse (titraille, texte, illustration). En effet, les liens praxéologiques que chaque constituant entretient avec les constituants du même type faisant partie de la même aire scripturale, au-delà des frontières entre les articles de presse réunis sur la même page, interrompent la linéarité des relations discursives internes à chaque article. Finalement, il s’agit de la non-linéarité entre articles de presse figurant sur la même page, dont l’importance dépend de leur emplacement sur la page, de leur longueur, du titre qui les introduit (dans notre exemple, l’importance visuelle accordée aux deuxième et troisième articles ne suit pas la linéarité des unités textuelles correspondantes). Cette analyse des relations discursives issues des différents temps de lecture d’une page de journal, qui nous a permis de rendre compte du caractère dynamique des structures opérationnelles du discours de la presse écrite, sera complétée par un bilan provisoire, à l’issue de cette étape de recherche.

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3.4. L’apport de l’analyse des structures opérationnelles à la description de l’organisation d’un texte

Après avoir intégré dans le modèle genevois certaines propositions de Habermas (1987), de Bange (1992) et de Charaudeau (1995, 1997), afin d’établir la distinction entre niveaux opérationnel et stratégique de l’interaction médiatique, nous avons développé l’hypothèse selon laquelle derrière tout discours, même exclusivement langagier et monologique (tel le discours de la presse écrite), il y a, en plus de la structure textuelle, une structure praxéologique, et donc une structure opérationnelle, combinant les constituants et relations des deux niveaux.

Pour résumer ce chapitre consacré à la description des unités discursives minimales et intermédiaires et des relations entre ces unités, rappelons que le couplage des informations modulaires d’ordres textuel et praxéologique nous a permis de décrire, dans un premier temps, les constituants de l’organisation opérationnelle du discours du journalisme politique, à partir de l’exemple de la presse écrite. Pour rendre compte de l’aspect dynamique des structures opérationnelles, nous avons combiné, dans un deuxième temps, les informations issues des formes d’organisation opérationnelle et relationnelle. Finalement, nous avons essayé de relever un certain nombre de régularités dans l’organisation opérationnelle, en nous interrogeant sur la possibilité d’établir un parallèle entre le but de l’opération discursive de portée globale (rapporter et/ou commenter les faits et les dits sélectionnés) et les relations de discours praxéologiques et textuelles entre les opérations discursives de portée locale qui la constituent. Cependant, nous avons pu observer que les relations entre les unités opérationnelles intermédiaires dépendent de leurs buts propres, dont la hiérarchisation s’établit en fonction des différents temps de lecture d’une page de journal. En guise de conclusion de ce chapitre, il convient de nous interroger sur l’apport de cette approche à la description de l’organisation d’un texte, ainsi que sur ses limites. Premièrement, elle met en évidence un aspect important des interrelations entre les dimensions textuelle et praxéologique de l’organisation du discours, qui relève de la forme d’organisation opérationnelle, à savoir les interrelations entre la structure textuelle du discours et la structure praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit. En effet, la définition des règles de couplage spécifiques à la forme d’organisation opérationnelle permet de séparer les structures praxéologiques de l’univers dans lequel le discours s’inscrit des structures praxéologiques de l’univers représenté dans le discours. Les informations relatives à la structure praxéologique de l’univers dans lequel le discours s’inscrit relèvent de la forme d’organisation opérationnelle; ainsi les catégories de transaction d’ACHAT/COMMANDE D’UN LIVRE, d’épisodes de DÉTERMINATION DE LA COMMANDE, de PROCÉDURE DE RÉALISATION DE LA COMMANDE, de phases de DÉTERMINATION DES RÉFÉRENCES, DÉTERMINATION DE L’IDENTITÉ DU CLIENT, DÉTERMINATION DU MODE DE RÉSOLUTION font partie du cadre actionnel et de la dimension praxéologique de l’incursion dans

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une librairie (Filliettaz 2001a: 120), tandis que les catégorie comme RAPPORTER/COMMENTER LES FAITS ET LES DITS, PROBLÉMATISER/ÉLUCIDER/ÉVALUER LES FAITS ET LES DITS RAPPORTÉS ET COMMENTÉS, empruntées à Charaudeau (1997), relèvent du cadre actionnel et de la dimension praxéologique de l’interaction médiatique. Les catégories qui appartiennent à l’univers dans lequel le discours s’inscrit sont étroitement liées à celles qui relèvent de l’univers représenté dans le discours (ainsi les propriétés conceptuelles de l’objet transactionnel interviennent dans la délimitation des unités discursives et dans l’établissement des relations discursives). Cependant, l’approche modulaire permet de traiter des interrelations entre la structure textuelle du discours et les structures praxéologique et conceptuelle de l’univers représenté dans le discours dans le cadre d’une autre forme d’organisation du discours - la forme d’organisation séquentielle136. Celle-ci traite des types discursifs narratif, argumentatif et délibératif, voire des séquences discursives, « unités empiriques correspondant aux segments par lesquels les types de discours se manifestent textuellement » (Filliettaz 2001c: 311).

Deuxièmement, cette approche fait ressortir le caractère dynamique des structures opérationnelles du discours de la presse écrite, résultant des rapports d’interdépendance dialectique entre les structures praxéologique et textuelle. Ainsi, nous avons pu observer que les structures praxéologiques modifient les structures textuelles lors de la lecture partielle d’une page de journal, en relativisant l’importance de certaines unités textuelles par rapport à celles mises en exergue. Nous avons également analysé la manière dont certaines unités praxéologiques (par exemple, la mise en exergue visuelle des unités péritextuelles) influent sur les rapports de subordination entre les unités textuelles lors de la lecture intégrale d’un texte journalistique. De leur côté, les structures textuelles résultant de la lecture intégrale modifient rétroactivement les relations discursives issues du premier temps de lecture: les relations d’étape/reformulation entre le titre et les unités textuelles se transforment en relations d’étape/préalable.

Troisièmement, le caractère progressif de l’approche modulaire des unités et des relations discursives permet d’envisager une analyse du niveau stratégique de l’interaction médiatique fondée sur le couplage d’informations issues des formes d’organisation opérationnelle et relationnelle avec des informations relevant d’autres formes d’organisation.

Les limites de l’analyse des structures opérationnelles du discours de la presse écrite sont liées à ses principaux apports. En ce qui concerne la séparation des deux univers du discours qu’opèrent les unités discursives, elle n’est ni absolue ni définitive, car ces deux univers se rencontrent dans l’instance de production/l’auteur du texte. Le caractère dynamique des structures opérationnelles, qui évoluent au fil des différents temps de lecture, est une propriété du discours de la presse écrite, et non pas de l’ensemble des productions discursives. Finalement, l’analyse des structures opérationnelles ne 136 Le cadre théorique d’une typologie séquentielle et une approche unifiée des structures séquentielles des textes ont été élaborés par Adam (1997: 19-44).

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permet pas de rendre compte des processus discursifs complexes, qui relèvent du niveau stratégique de l’interaction médiatique.

En fait, les relations discursives dynamiques constituent le cadre, propre à la presse écrite, dans lequel seront déployées les stratégies discursives du journalisme politique. La distinction entre les niveaux opérationnel et stratégique du discours du journalisme politique rejoint ainsi celle opérée par Charaudeau (1995, 1997) entre le champ de contraintes (situationnelles et discursives) du contrat de communication médiatique et le champ de liberté ou d’individuation de l’instance de production.

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Chapitre 4

« Dans notre critique de leurs priorités ou de leurs préjugés, nous avons souvent recours aux médias eux-mêmes pour certains faits. Cela offre l’occasion d’un non sequitur classique: si une critique des journaux se met à citer les faits rapportés par eux, elle offre à la presse la « preuve » triomphante qu’elle s’auto-détruit et que les reportages pris pour cibles étaient en fait inattaquables. Mais si les médias fournissent des éléments sur un sujet quelconque, cela ne prouve absolument rien quant à la véracité ou la justesse de leur travail ... en réalité, les mass media suppriment énormément de choses. Ce qui est essentiel dans ce contexte, c’est l’attention donnée aux faits: leur place dans le journal, le ton de l’article, le cadre d’analyse, les répétitions, les autres éléments annexes qui les éclairent (ou les obscurcissent). Que l’œil sceptique d’un lecteur attentif à la recherche d’un fait puisse parfois le trouver rapidement ne nous apprend rien sur le degré d’attention qui lui a été accordé ni dans quel contexte, ni sur son intelligibilité ou sa déformation. On peut débattre du degré d’attention à lui accorder, mais il ne sert à rien de prétendre que la simple présence de certains faits dans les médias supprime de facto leur distorsion radicale ou toute censure. »

Herman E. S. & N. Chomsky (2003): La Fabrique de l’opinion publique, Introduction, LIV.

4. Des opérations discursives aux stratégies discursives Dans le chapitre précédent, nous avons proposé une description des unités et des relations discursives, dans le cadre des formes d’organisation opérationnelle et relationnelle. Même si elle contribue à mieux cerner le niveau opérationnel de l’interaction médiatique, celui des buts de l’instance de production, et à rendre compte des processus opérationnels déployés dans le discours de la presse écrite, dont le sens se construit progressivement au fil des différents temps de lecture d'une page de journal, cette description reste partielle et statique.

D'une part, elle est centrée sur les interrelations entre les dimensions textuelle et référentielle (ou plus précisément sur un aspect de ces interrelations) et, par conséquent, ne prend pas en considération de manière systématique les dimensions interactionnelle, lexicale et syntaxique du discours de la presse écrite. Comme ces dimensions participent à l'analyse d'autres formes d'organisation, étroitement liées aux formes d'organisation opérationnelle et relationnelle, nous nous proposons d'enrichir la description des unités et des relations discursives par l'étude de leurs interrelations avec des formes d’organisation impliquées dans la réalisation des buts et des visées communicationnelles du discours journalistique.

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D'autre part, elle ne tient pas compte du caractère dialogique – dans le sens bakhtinien du terme – de toute interaction. En effet, l'analyse des opérations discursives n'a pas la même portée que celle des stratégies discursives. Plus locale, elle s'arrête aux unités textuelles et praxéologiques intermédiaires. Une analyse dynamique et globale nécessite en revanche la prise en considération des unités textuelles et praxéologiques maximales: échanges, transactions et incursions. Une telle analyse, qui vise la description des stratégies discursives et du niveau stratégique de l'interaction médiatique, fait intervenir des informations issues de plusieurs formes d'organisation du discours, simples et complexes, permettant ainsi d'exploiter pleinement le caractère intégrateur de l'approche modulaire de la complexité du discours.

Il convient toutefois de préciser que ce parcours analytique, allant des opérations discursives aux stratégies discursives, constitue une nécessité méthodologique et non pas le parcours (descendant) effectivement accompli, car les stratégies discursives précèdent la mise en discours des produits discursifs effectifs qui servent de point de départ à l’analyste du discours.

Le dispositif modulaire peut être exploité, d'une part, dans une analyse descriptive des stratégies discursives propres à un type discursif – le journalisme politique (4.1.) et, de l'autre, dans une étude comparative des «variations stratégiques» propres à la presse écrite quotidienne (4.2.).

Nous empruntons le concept de « variation stratégique » à Eliséo Véron (1988: 12-15), qui analyse les relations entre types, genres et stratégies discursives. Cet auteur associe la notion de « type » de discours (tels le discours politique, le discours de l'information ou le discours publicitaire), d'une part, « à des structures institutionnelles complexes qui en sont les "supports organisationnels" » et, de l'autre, « à des rapports sociaux cristallisés d'offres/attentes qui sont les corrélats de ces structures institutionnelles » (ibid.)137. Il établit ensuite la distinction entre « genres-L », hérités de l'analyse littéraire, caractérisés « par un certain agencement de la matière langagière (pour ne pas dire de l'écriture, car un même genre peut apparaître dans l'écrit de la presse et dans l'oral de la radio) » - tels ‘interview’, ‘reportage’, ‘enquête’, ‘allocution’, ‘table ronde’, ‘débat’ etc. – et « genres-P », « nous permettant de désigner et de classer ce qu'il faut bien appeler des produits (par exemple, des expressions telles que ‘quotidien d'information’, ‘mensuel féminin généraliste’, ‘news’ désignent des genres de la presse écrite grand public, de même que le ‘magazine de vulgarisation scientifique’, ‘émission de jeux’, ‘émission de variétés’, ‘feuilleton’ désignent des genres de la télévision grand public » (ibid.)138. L'auteur définit ensuite les stratégies discursives « comme des 137 « On voit mal que l'on puisse définir le discours de l'information (ce discours ayant pour l'objet « l'actualité ») comme type, sans conceptualiser, d'une part, son articulation au réseau technologique des médias et au système de normes qui régissent la profession de journaliste, et d'autre part ses modalités de construction d'un seul destinataire générique citoyen-habitant (associé au collectif ‘Pays’, mais motivé par le collectif ‘Monde’) et engagé dans des routines diverses d'appropriation de l'espace-temps du quotidien » (1988: 12-13). 138 L'auteur ajoute que « les genres-P ont une relation beaucoup plus étroite aux types de discours que les genres-L. En vérité, il est probable que cette notion de genre-P ne soit au fond qu'une manière (probablement maladroite et provisoire) de conceptualiser des sous-espèces à

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variations attestées à l'intérieur d'un même type de discours ou d'un même genre-P » et ajoute que ces variations stratégiques « renvoient très directement aux phénomènes de concurrence inter-discursive propres au champ de la discursivité en tant que marché de production du discours. La notion de ‘stratégie’ doit nous permettre de cerner dans un secteur donné du réseau des médias, les variations, dues à la concurrence, entre plusieurs représentants d'un même genre-P » (ibid.). Il conclut que « la presse écrite fournit des exemples éclatants de ce type de situation et est par conséquent un domaine privilégié pour l'étude des variations stratégiques » (ibid.).

Nous faisons l'hypothèse que, dans une approche modulaire de la complexité de l'organisation du discours, ces variations concernent plus spécifiquement certains aspects bien précis des formes d'organisation qui interviennent dans l'analyse des stratégies discursives. L'étude des variations stratégiques dans la sélection, la hiérarchisation et le traitement de l'information devrait nous permettre d'extraire de ces processus discursifs complexes ce que nous nommerons les marqueurs de stratégies discursives, à savoir les éléments linguistiques, issus de formes d'organisation diverses, auxquels est attachée une visée communicationnelle précise. 4.1. Une analyse descriptive des stratégies discursives propres à un type discursif (le discours du journalisme politique)

Pour pallier le caractère partiel de la description du niveau opérationnel de l'interaction médiatique, nous nous proposons d'enrichir, dans un premier temps, la description des unités et des relations discursives par l'étude des interrelations entre les deux formes d'organisation étudiées dans le chapitre précédent (opérationnelle et relationnelle) et les formes d'organisation informationnelle/topicale, énonciative/polyphonique et séquentielle/ compositionnelle (4.1.1.). Nous combinerons dans un deuxième temps les informations issues de cette description enrichie des unités et des relations discursives avec les informations modulaires d'ordres textuel et praxéologique relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques maximales (4.1.2.), afin d'entreprendre l'analyse du niveau stratégique de l'interaction médiatique et de nous intéresser à la hiérarchisation des unités discursives de rangs différents et à l’attention qui leur est accordée par l’instance médiatique, comme le suggèrent Herman & Chomsky (2003) dans l’extrait cité ci-dessus. Cette analyse fait intervenir des informations issues de plusieurs formes d'organisation du discours, simples et complexes (4.1.3.).

l'intérieur d'un type, entités discursives qui ne peuvent pas, par conséquent (à la différence des genres-L) apparaître dans plusieurs types en même temps. […] Un représentant d'un genre-P déterminé (par exemple, un titre de presse appartenant au genre-P ‘mensuel féminin généraliste’) est composé d'une pluralité d'unités discursives représentant le plus souvent plusieurs genres-L. Les genres-L «traversent» à la fois les types de discours et les genres-P » (1988: 14).

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Il convient cependant de préciser que ces différentes formes d’organisation ne seront abordées que du point de vue de leurs interrelations avec les buts et les visées communicationnelles du discours du journalisme politique. Elles ne feront pas en elles-mêmes l’objet d’études plus approfondies, et seront exploitées uniquement comme instruments d’analyse susceptibles d’approfondir l’étude des opérations et des stratégies discursives. Nous nous appuyons entièrement, dans leur utilisation, sur les descriptions qui en sont proposées dans Roulet 1999, Roulet 2000, Roulet 2001, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001. 4.1.1. Les formes d’organisation impliquées dans une description enrichie des processus opérationnels La description des formes d’organisation opérationnelle et relationnelle nous a permis d’analyser les unités et les relations discursives qui relèvent du niveau opérationnel de l’interaction médiatique. L’analyse des structures opérationnelles peut être complétée par l’examen de leurs interrelations avec les formes d’organisation informationnelle/topicale (4.1.1.1.), énonciative/ polyphonique (4.1.1.2.) et séquentielle/compositionnelle (4.1.1.3.). Cet élargissement est justifié dans la mesure où les buts communicationnels influent sur ces différents aspects de l’organisation du discours. La mise en rapport des structures opérationnelles avec d’autres formes d’organisation du discours permet de repérer les traces lexicales et syntaxiques des opérations discursives dans l’organisation topicale, polyphonique et compositionnelle tout en éclairant les différentes formes d’organisation du discours du point de vue des buts communicationnels poursuivis par l’instance de production. Il s'agit là d'un élargissement conséquent de l'analyse à un grand nombre d'informations, qui devrait nous conduire à établir des parallélismes entre, d’une part, les buts des opérations discursives (rapporter et/ou commenter les faits et les dits, dramatiser et authentifier l’information) et, de l’autre, les types d'enchaînements des informations concernées, les différentes combinaisons des discours produit et représenté et les types de séquences (narrative, descriptive et délibérative) au sein de l'article de presse conçu comme l'unité opérationnelle maximale. 4.1.1.1. Les interrelations entre les buts communicationnels des unités discursives et les structures informationnelle et topicale

Nous nous intéresserons d’abord aux interrelations entre l’organisation opérationnelle et les types d’enchaînements des informations dans le discours. Comme cet aspect important de l’organisation du discours a fait l’objet d’approches divergentes, avant d’examiner son apport à l’étude des opérations discursives, nous rappellerons très brièvement les fondements théoriques de sa description dans une perspective modulariste.

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Roulet (1999) admet d’abord avec Berrendonner (1983) « qu’il est nécessaire de dépasser l’observation des enchaînements entre les seuls constituants du texte pour décrire les enchaînements entre ces constituants et des informations stockées en mémoire discursive ». Ensuite, il postule – en s’appuyant sur la distinction établie par Chafe (1994) entre informations inactive, semi-active et activée et l’hypothèse selon laquelle une seule idée peut être activée à la fois – que « chaque acte active une information », qu’il appelle « objet de discours » et que « l’activation de cette information implique au moins un point d’ancrage en mémoire discursive, appelé topique139, sous la forme d’une information semi-active, qui peut être verbalisée ou non » (Roulet 1999: 57). Leur identification s’effectue dans le cadre de la forme d’organisation informationnelle.

Roulet précise qu'un topique « peut être indiqué ou non par une trace (anaphore, expression définie, etc.) dans l’acte qui introduit l’objet de discours; il peut avoir sa source soit dans l’environnement cognitif immédiat, comme le topique du premier acte, soit dans l’objet de discours de l’acte antérieur, comme le topique du second acte, soit dans le topique du constituant précédent » (id. 58). Si l’acte comporte la trace d’un topique, la description de l'organisation informationnelle résultera du couplage entre des informations hiérarchiques et des informations lexicales ou syntaxiques (pour les marqueurs lexicaux de l’organisation informationnelle – les anaphoriques - tels les pronoms, les SN définis, les SN démonstratifs etc. ou les marqueurs syntaxiques, tels les détachements ou les dislocations à gauche, voir respectivement § 2.5.1 et § 2.4.3.2.). Sinon, en l’absence d’une telle trace, la description de cette forme d’organisation résultera du couplage entre des informations hiérarchiques et des informations référentielles.

Pour décrire la structure informationnelle d’un extrait de notre corpus, nous utiliserons la grille d’analyse proposée par Grobet (2001). Le description de l’organisation informationnelle permet d'abord d'établir la structure informationnelle de chaque acte: son point d'ancrage ou topique140 et son objet de discours ou «propos»141 (2001: 255-256), qui figurent dans la colonne de gauche du tableau représentant la structure informationnelle du discours étudié. A partir du critère de l’origine du topique, il est possible ensuite de déterminer les

139 « Le topique se définit comme une information située en mémoire discursive, que l’on distingue clairement, à la suite d’Auchlin (1986) et de Lambrecht (1994), de sa verbalisation linguistique – la trace topicale » (Grobet 2001: 254). 140 Précisons que pour Grobet (2001) « le topique se définit comme une information identifiable et présente à la conscience des interlocuteurs, qui constitue, pour chaque acte, le point d’ancrage le plus immédiatement pertinent entretenant un lien d’à propos (« aboutness ») avec l’information activée par cet acte » (2001: 255). 141 Au terme d'objet de discours « qui désigne dans son acception la plus répandue des entités sémantico-discursives indépendantes de l'unité de l'acte», Grobet (2001) préfère celui de « propos » (Bally 1944), qui « même s'il n'est guère assorti avec le terme de topique », « présente l'avantage de ne pas risquer d'induire une telle confusion » (2001: 255). Elle définit le propos comme « la proposition activée par un acte et dont la connaissance peut être considérée comme étant le résultat de la compréhension de l’acte. La nouveauté de cette proposition résulte de sa relation avec les informations données par le contexte » (id. 256).

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principaux types de progression informationnelle (id. 258): la progression linéaire (si le topique, marqué ou non par une trace anaphorique, est issu du propos qui précède), la progression à topique constant (si le topique est issu du topique de l’acte précédent) (ibid.) et l’enchaînement à distance, qui est une variante de la progression linéaire (id. 259). Les types de progression informationnelle figurent dans la colonne de droite du même tableau.

Pour cette analyse des interrelations entre les formes d’organisation informationnelle/topicale et opérationnelle, nous avons choisi un extrait de l’article « Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie », publié dans la TG. Cet extrait correspond, sur le plan opérationnel, à deux unités discursives, la titraille ([1-5]) et le commentaire qui ouvre le texte ([6-18]). (Pour le découpage de l’article en unités textuelles minimales, voir l’Annexe 5, pour les relations praxéologiques et textuelles entre les constituants de cette unité discursive, voir les Figures 33 et 34).

La structure informationnelle de l’extrait choisi peut être représentée à l’aide du tableau suivant (Figure 37). La trace de point d’ancrage d’un topique y est marquée en gras, et celui-ci explicité, si nécessaire, entre crochets droits après la trace. Les points d’ancrage en mémoire discursive qui ne sont pas marqués par une trace sont indiqués entre parenthèses au début de l’acte.

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Figure 37: Analyse de l’organisation informationnelle

L’organisation informationnelle

Progression informationnelle

[1] (LA SIGNATURE DE L'ACCORD DE PAIX) Retenant

leur souffle, [2] (RETENANT LEUR SOUFFLE) neuf hommes signent

une paix fragile en Bosnie [3] Jour historique hier à Paris [LA SIGNATURE DE

L’ACCORD DE PAIX] : [4] l’accord de Dayton entériné [LA SIGNATURE DE

L’ACCORD DE PAIX] dans un climat de gravité et d’expectative

[5] (UN CLIMAT DE GRAVITE ET D’EXPECTATIVE) car chacun sait que l’essentiel dépend de la bonne volonté des ex-belligérants

[6] (LA SIGNATURE DE L'ACCORD DE PAIX) Durant

quelques secondes, [7] (DURANT QUELQUES SECONDES) on a vu Slobodan

Milosevic et Franjo Tudjman, assis avec Alija Izetbegovic, chercher dans le lourd document la page qui attendait leur stylo.

[8] Tudjman a esquissé un sourire. [9] Ce [SOURIRE] fut bien le seul de cette cérémonie de

signature, hier matin à l’Elysée, de l’accord de paix en Bosnie-Herzégovine conclu à Dayton le 21 novembre.

[10] Le président Jacques Chirac [ELYSEE] a dit qu’il accueillait ses hôtes « avec émotion et gravité ».

[11] (AVEC EMOTION ET GRAVITE) De l’émotion, [12] il y en [DE L'EMOTION] eut bien peu, [13] (PEU D’EMOTION) et les présidents de Serbie,

Croatie et Bosnie, impassibles comme des bonzes, se sont serré la main avec un minimum de cordialité.

[14] La gravité [EMOTION ET GRAVITE], en revanche, était partagée par tous.

[15] Trois idées ont dominé toutes les interventions de ce jour décisif [JOUR HISTORIQUE]:

[16] (TROIS IDEES) on retient son souffle devant une paix fragile,

[17] (TROIS IDEES) on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants,

[18] (TROIS IDEES) et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la communauté internationale.

enchaînement à distance progression linéaire progression linéaire progression à topique constant progression linéaire enchaînement à distance progression linéaire progression linéaire progression linéaire progression linéaire progression linéaire topique constant: EMOTION ET GRAVITE topique constant: EMOTION ET GRAVITE topique constant: EMOTION ET GRAVITE enchaînement à distance progression linéaire topique constant: TROIS IDEES topique constant: TROIS IDEES

L’établissement de la structure informationnelle des actes [3], [4], [8], [9], [10], [12], [14] et [15] résulte du couplage entre des informations hiérarchiques et lexicales. Dans les actes [9] et [12], c'est un pronom anaphorique qui constitue la trace de point d’ancrage du topique (respectivement ce et en), dans les autres

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cas, c'est une expression définie (l'accord de Dayton, Tudjman, le président Jacques Chirac, l'émotion, la gravité et ce jour décisif). En cas de constructions disloquées à gauche (actes [1], [6] et [12]), l'établissement de l'organisation informationnelle de l'acte qui suit résulte du couplage entre des informations hiérarchiques-relationnelles et syntaxiques. Finalement, si le point d'ancrage d'un acte textuel n'est pas marqué par une trace topicale, l'établissement de sa structure informationnelle résulte du couplage d'informations d'ordres hiérarchique et référentiel (comme c'est le cas des actes [1], [5], [6], [13], [16], [17], [18]).

Si nous pouvons constater l’absence de correspondance entre le type de progression informationnelle et les buts communicationnels des unités opérationnelles, les trois types de progression informationnelle figurant aussi bien dans la titraille que dans le commentaire qui ouvre le texte de l’article, nous observons, en revanche, des parallélismes entre le type de progression informationnelle et la position (initiale, centrale ou finale) des unités opérationnelles analysées. Ainsi, l’enchaînement à distance semble lié aux unités opérationnelles en position initiale ([1], [6], [14]), la progression linéaire aux unités opérationnelles en position centrale ([2-3], [7-11], [15-16]), et la progression à topique constant aux unités opérationnelles en position finale ([12-14], [17-18]). Le dernier type d'enchaînement se combine avec l'absence de relations textuelles entre les actes successifs correspondant sur le plan syntaxique à une succession de propositions juxtaposées ([16-18]).

L’organisation informationnelle est une forme d'organisation simple, dont l’étude vise à rendre compte de la continuité et de la progression des informations activées par le discours (Roulet 1999: 56, Roulet 2001a: 48, Grobet 2001: 253). En revanche, l’organisation topicale traite de l’enchaînement des informations dans le discours. C’est une forme d’organisation complexe qui repose sur « la combinaison d’informations issues des modules hiérarchique, référentiel et linguistique, ainsi que de l’organisation informationnelle et de l’organisation inférentielle » (Roulet 2001b: 49). « Dans un premier temps, d’un point de vue statique, elle décrit les relations hiérarchiques ainsi que les relations de dérivation entre les propos décrits dans l’organisation informationnelle; dans un second temps, elle vise à rendre compte de la gestion dynamique des propos dans le développement de l’interaction » (ibid.). Nous nous intéresserons ici au premier aspect de l’organisation topicale, tandis que le second sera abordé plus loin (4.1.3.1.).

Le couplage des informations issues de l’organisation informationnelle avec celles relatives à la structure conceptuelle permet de décrire les relations de dérivation entre les concepts activés par le discours, d’étudier « les fonctions de la structure informationnelle et de ses marques dans la réalisation des enchaînements conceptuels » et de « préciser l’analyse des progressions impliquant des enchaînements à distance et des topiques dérivés » (Grobet 2001: 264-265).

La structure conceptuelle est d’abord décrite indépendamment de l’organisation informationnelle (§ 2.2.3.3.). Le titre et le sous-titre de l’article activent le concept de CÉRÉMONIE DE SIGNATURE, puis les propriétés

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conceptuelles suivantes: PROTAGONISTES, OBJET, LIEU, TEMPS et DÉROULEMENT. Dans le commentaire qui ouvre le texte de l’article, le journaliste développe, d’une part, le concept de PROTAGONISTES, en décrivant leur IDENTITÉ, FONCTION, IDÉES et COMPORTEMENTS, et, d’autre part, le concept de DÉROULEMENT, voire de CLIMAT, en introduisant les propriétés conceptuelles d’ÉMOTION, d’EXPECTATIVE et de GRAVITÉ. Les concepts, activés de manière directe ou inférés, peuvent être mis en relation avec la structure informationnelle. La représentation schématique (Figure 38) de cette mise en relation des structures conceptuelle et informationnelle retrace un « parcours, dont les étapes sont formées par les actes successifs » (Grobet 2001: 265). Les concepts y sont notés en petites majuscules, et les éléments linguistiques correspondants, précédés du numéro de l’acte textuel, sont en italiques:

DECLARATIONS

COMPORTEMENTS

CEREMONIE DE SIGNATURE

IDEES CLIMAT

GRAVITEEMOTION

Figure 38 : Mise en relation de l’organisation informationnelle et de la structure conceptuelle

PROTAGONISTES

FONCTION

DEROULEMENTOBJET TEMPSLIEU

IDENTITE

1. retenant leur souffle2. neuf hommes 2. signent une paix fragile en Bosnie

3. à Paris 3. hier

3. jour historique

4. l’accord de Dayton entérinédans un climat de gravité et d’expectative

5. 17. ex-belligérants

6. durant quelques secondes

5. chacun

7. Slobodan MilosevicFranjo TudjmanAlija Izetbegovic

8. a esquissé un sourire

9. cette cérémonie de signature

9. l’accord de paix en Bosnie-Herzégovineconclu 9. à Dayton 9. le 21 novembre

9. à l’Elysée

9. hier matin

10. Jacques Chirac 10. a dit qu’il accueillait

10. avec émotion 10. ses hôtes

11. de l’émotion 12. il y en eut bien peu

10. et gravité

8. Tudjman

7. chercher la page qui attendait leur stylo

13. la gravitéétait partagée par tous

14. tous

15. trois idéesont dominé

15. toutes les interventions

16. une paix fragile

16. retient son souffle

15. ce jour décisif

7. 16. 17. 18. on

18. espère de tout coeur

13. les présidents de Serbie, de Croatieet de Bosnie

10. président

18. réintégrer des peuplesmeurtris dans l’Europeet la communauté internationale

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Si nous analysons les interrelations entre l’organisation topicale et les buts communicationnels des unités opérationnelles correspondantes (Figure 36), nous pouvons observer des parallélismes au niveau des relations de dérivation de concepts.

Les buts communicationnels des unités discursives correspondant au titre et au commentaire qui ouvre le texte de l’article influent sur la progression informationnelle. Ainsi, le titre de cet article, dont le but est d’annoncer et de résumer la nouvelle qui fera l’objet du texte, est caractérisé par l’activation quasi simultanée d’une suite de concepts dérivés PROTAGONISTES-OBJET-LIEU-TEMPS-DÉROULEMENT par rapport au concept premier de CÉRÉMONIE DE SIGNATURE. En revanche, l’organisation topicale du commentaire qui ouvre le texte de l’article combine l’introduction de nouveaux concepts, dérivés par rapport aux concepts premiers de PROTAGONISTES et de DÉROULEMENT – respectivement IDENTITÉ-FONCTION-IDÉES-COMPORTEMENTS et CLIMAT – avec la réactivation des concepts premiers, introduits dans le titre. La plus riche illustration de ce deuxième cas de figure est fournie par l’acte [9]:

[9] Ce [SOURIRE] fut bien le seul de cette cérémonie de signature, hier matin à l’Elysée, de l’accord de paix en Bosnie-Herzégovine conclu à Dayton le 21 novembre.

dont les éléments informationnels sont répartis entre les concepts de COMPORTEMENTS (sourire), de CLIMAT (ce fut bien le seul), dérivés des concepts de PROTAGONISTES et de DÉROULEMENT, le concept premier de CÉRÉMONIE DE SIGNATURE (cette cérémonie de signature) et les concepts qui en sont dérivés, ceux d’OBJET (accord de paix en Bosnie-Herzégovine), de LIEU (à l’Elysée, conclu à Dayton) et de TEMPS (hier matin, conclu le 21 novembre).

L’analyse des relations de dérivation entre les concepts permet ainsi d’approfondir la description des structures opérationnelles, limitée jusqu’à présent à l’aspect praxéologique des unités discursives de rangs différents à partir du classement des modes discursifs du traitement de l’événement médiatique, emprunté à Charaudeau (1997). S’il présente l’avantage de reposer sur le critère de finalité actionnelle du discours journalistique, ce classement, qui distingue trois modes discursifs du traitement de l’événement médiatique – rapporter, commenter, provoquer les faits et les dits – s’appuie sur la représentation conceptuelle de l’événement médiatique (§ 2.2.3.3, Figure 9) réduite à des propriétés conceptuelles abstraites (« les faits » et « les dits ») de l’univers représenté dans le discours. La prise en considération des structures conceptuelles des deux univers du discours, dans le cadre de la forme d’organisation topicale, a permis de spécifier les buts communicationnels des unités discursives de rangs différents.

Le couplage des informations issues des formes d’organisation informationnelle et hiérarchique-relationnelle permet de décrire l’autre aspect de l’organisation topicale, à savoir les relations de subordination entre les informations introduites par le discours. Si nous mettons en relations les Figures 37 et 38, nous pouvons constater que les informations activées dans les actes [15-

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18], qui occupent la position la plus importante dans la structure hiérarchique textuelle, correspondent aux concepts d’IDÉES, d’OBJET et de DÉROULEMENT, qui peuvent être considérés comme principaux par rapport aux autres concepts, qui y sont subordonnés. Nous observons également l’absence de correspondance entre les rapports de subordination et les rapports de dérivation entre les concepts activés par le discours, les concepts principaux étant dérivés et vice versa.

L’étude des rapports entre le titre et le texte de l’article, à partir du même extrait, nous permettra d’illustrer les interrelations entre les buts communicationnels et les différents aspects de l’organisation topicale (concepts premiers vs concepts dérivés ou concepts principaux vs concepts subordonnés).

La titraille constitue, sur les plans aussi bien opérationnel qu'informationnel, une unité discursive à part entière, ayant une organisation informationnelle différente de celle du texte qu'elle prépare, résume et/ou complète. Son fonctionnement fournit une riche illustration des interrelations entre l'organisation informationnelle et les buts des opérations discursives, en l'occurrence (a) dramatiser l'information, (b) préparer le texte, (c) le résumer et/ou (d) le compléter:

(a) Dans la mise en scène médiatique, la titraille constitue un lieu de prédilection pour la dramatisation de la nouvelle, notamment grâce à l’emploi du vocabulaire axiologique marqué (voir aussi § 2.5.4.): retenant leur souffle ([1]), paix fragile ([2]), jour historique ([3]), climat de gravité et d'expectative ([4]). Dans le premier acte, l'effet de dramatisation est renforcé par l'emploi cataphorique de leur, dont le référent reste vague dans l'acte qui suit (neuf hommes).

(b) Le titre permet également d’anticiper les « points forts » de la structure hiérarchique de l’article, en l’occurrence ceux qui figurent dans l’intervention principale ([15-18]): jour décisif ([15]), on retient son souffle devant une paix fragile ([16]), on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants ([17]), et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la communauté internationale ([18]). Ces points d’ancrage d’arrière-plan qui ont leur source dans la titraille sont présents dans d’autres actes textuels de cet extrait, et non pas seulement dans ceux qui occupent la position la plus élevée dans sa structure hiérarchique. Ainsi les points d’ancrage d’arrière-plan suivants: ex-belligérants ([5]), Slobodan Milosevic, Franjo Tudjman, Alija Izetbegovic ([7]), chercher dans le lourd document la page qui attendait leur stylo ([7]), Tudjman ([8]), cette cérémonie de signature de l’accord de paix en Bosnie-Herzégovine ([9]), les hôtes du président Jacques Chirac ([10]), les présidents de Serbie, Croatie et Bosnie ([13]), ont leur source dans le propos de l’acte ([2]) neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie. (c) Les cinq actes textuels qui composent le titre et le sous-titre de cet article répondent, de manière concise, à l'ensemble des questions auxquelles est censé répondre le discours journalistique: qui ? neuf hommes ([2]), quoi ? signent une paix fragile ([2]), où ? à Paris ([3]), quand ? hier ([3]), comment ? retenant leur souffle ([1]), dans un climat de gravité et d’expectative ([4]), pourquoi ? car chacun sait que l’essentiel dépend de la bonne volonté des ex-belligérants ([5]).

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Dans notre exemple, certaines réponses restent moins précises que d’autres, notamment celle concernant l’identité des protagonistes de l’événement.

(d) Finalement les titres ou les sous-titres qui ne sont pas directement liés au texte de l’article permettent de compléter son contenu informationnel et de le présenter sous un éclairage différent. Tel est le cas du sous-titre (actes [3-4]) de l’article publié dans le JG analysé dans le deuxième chapitre (§ 2.5.4.): [2] Alors que les présidents Milosevic, Tudjman et Izetbegovic signaient l’accord de paix au Palais de l’Elysée, [3] un hélicoptère français a été mitraillé par des éléments de l’armée bosniaque [4] et quatre grenades ont explosé dans le centre de Sarajevo.

Le texte de l’article constitue, par conséquent, une unité discursive distincte de la titraille. Même si la structure informationnelle du texte de l’article puise certains éléments de la titraille, ces éléments y sont agencés de manière indépendante et traités en fonction des buts communicationnels de l’opération dans laquelle ils prennent place. Des informations introduites dans le titre y sont (a) reprises, (b) reformulées, (c) développées, approfondies, (d) mises en relation l’une avec l’autre, ou bien (e) servent de points d’ancrage à de nouvelles informations.

Nous analyserons de plus près les interrelations fines et complexes entre les structures informationnelle et opérationnelle du texte de l’article, à partir de la représentation schématique suivante de l’unité discursive initiale ([6-18]), dont le but est de commenter les faits et les dits relatifs à la signature de l’accord de paix.

PHsCOMMENTERLES FAITSET LES DITS

PHsPROBLE-MATISER

PHpELUCIDER

PHpEVALUER

étape

étape

PHs

Is

Ip

Is

IsIs

Is

Ip

Is

IpIp

top

topc-a

succ

arg

pré

As [6] (LA SIGNATURE DE L'ACCORD DE PAIX) Durant quelques secondes,

Ap [7] (DURANT QUELQUES SECONDES) on a vu Slobodan Milosevic …

Ap [8] Tudjman a esquissé un sourire.

As [9] Ce [SOURIRE] fut bien le seul de cette cérémonie de signature …

Ap [10] Le président Jacques Chirac [ELYSEE] a dit qu’il accueillait ses hôtes …

As [11] (EMOTION) De l’émotion,

Ap [12] il y en [DE L'EMOTION] eut bien peu,

Ap [13] (PEU D’EMOTION) et les présidents de Serbie, Croatie et Bosnie …

Ap [14] La gravité [EMOTION ET GRAVITE], en revanche, était partagée par tous.

com

As [15] Trois idées ont dominé toutes les interventions de ce jour décisif [JOUR HISTORIQUE]:

A-I [16] (TROIS IDEES) on retient son souffle devant une paix fragile,

A-I [17] (TROIS IDEES) on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants,

A-I [18] (TROIS IDEES) et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la communauté internationale.

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Figure 39 : La mise en relation des formes d’organisation opérationnelle et topicale

com

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(a) Les actes [16] on retient son souffle devant une paix fragile et [17] on sait qu’elle dépend d’abord de la bonne volonté des ex-belligérants reprennent des informations introduites dans les actes [1-2] et [5], pour servir de points d’ancrage d’arrière-plan à de nouvelles informations.

(b) Certaines informations activées dans le sous-titre - jour historique [3], un climat d’expectative [4] - sont reformulées dans le texte: jour décisif [15], on espère de tout cœur [18].

(c) D’autres – hier [3], à Paris [3], l’accord de Dayton [4] – sont développées, approfondies: hier matin [9], à l’Elysée [9], l’accord de paix en Bosnie-Herzégovine conclu à Dayton le 21 novembre [9].

(d) Des informations introduites par le titre sont mises en relation l’une avec l’autre: ainsi les trois actes successifs ([16-18]) dont les points d’ancrage d’arrière-plan ont leur source dans la titraille, enchaînent sur le même topique (TROIS IDÉES) qui à sa source dans l’acte qui les précède immédiatement [15].

(e) Les informations introduites dans le titre puis réintroduites dans le texte servent de points d’ancrage immédiats ou d’arrière-plan à de nouvelles informations: [8] Tudjman a esquissé un sourire, [10] le président Jacques Chirac a dit qu’il accueillait ses hôtes avec émotion et gravité, [15] Trois idées ont dominé toutes les interventions de ce jour décisif, [18] on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la communauté internationale – dont certaines seront reprises et développées par la suite.

L’organisation topicale représente un aspect incontournable dans l’étude des stratégies discursives du journalisme politique, car l'information constitue le principal enjeu de l'interaction médiatique. Grâce à l’analyse de l’organisation topicale, nous pouvons observer de près la manière dont le journaliste opère la sélection et la hiérarchisation des informations qu’il proposera au lecteur, puis les différences dans le traitement des informations sélectionnées en fonction des buts spécifiques de chacune des unités discursives étudiées. La problématique de la qualité et de la quantité des informations fournies aux lecteurs est au centre de l'intérêt de l'étude des stratégies discursives déployées par le journaliste, à condition de dépasser la description de ses interrelations avec les buts communicationnels du discours étudié et d’étendre la description à sa visée communicationnelle (4.1.3.1.). 4.1.1.2. Les interrelations entre les buts communicationnels des unités discursives et les structures énonciative et polyphonique

L'analyse des interrelations qu'entretient la forme d'organisation opérationnelle avec d'autres formes d’organisation nous permet d’intégrer de manière progressive l’ensemble des dimensions modulaires à la description des unités discursives de rangs différents. Comme la description de l’organisation opérationnelle proposée dans le chapitre précédent a été centrée sur les dimensions textuelle et référentielle, l’étude de ses interrelations avec l’organisation topicale a donné lieu à un élargissement de l’analyse aux

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dimensions lexicale et syntaxique. De même, l’étude de ses interrelations avec les formes d’organisation énonciative et polyphonique permettra de prendre en considération de manière systématique la dimension interactionnelle du discours. Celle-ci intervient à deux niveaux. Au niveau opérationnel, elle permet de dissocier l'interaction entre le scripteur et le lecteur de celle qui est représentée dans le discours et de mettre en évidence des parallélismes dans la manière dont s'articulent les discours produit et représenté et les buts communicationnels poursuivis par le journaliste. Au niveau stratégique, la dimension interactionnelle permet de dissocier l'interaction entre le quotidien et son public de l'interaction entre le journaliste et son lecteur et d'examiner l'organisation polyphonique du discours produit à la lumière de visées communicationnelles poursuivies par ces deux instances de production, qui occupent des positions d'interaction distinctes et appartiennent à des niveaux d'interaction différents (4.1.3.2.).

Nous nous concentrerons ici sur les régularités qui apparaissent au niveau opérationnel, en mettant en relation les formes d’organisation énonciative et polyphonique avec les buts communicationnels des unités discursives décrites dans le chapitre précédent.

L’organisation énonciative est une forme d’organisation simple « qui repose principalement sur le couplage d'informations d'ordres linguistique, interactionnel et référentiel ». (Roulet 2001d: 281). Son analyse « permet de distinguer les discours produits des discours représentés, de définir différents types de discours représentés, autophoniques, diaphoniques et polyphoniques et de distinguer différentes formes de discours représentés: désignés, formulés et implicités. Elle permet de repérer les discours produits et représentés à différents niveaux qui constituent une intervention » (ibid.)

La définition de la forme d’organisation énonciative donne lieu à une première distinction, entre le « discours produit » et le « discours représenté ». Le discours produit est « le discours énoncé par le locuteur/scripteur occupant le rang le plus élevé dans le cadre interactionnel, alors que les discours de locuteurs/scripteurs de rangs inférieurs sont des discours représentés » (Roulet 2001d: 282). Le terme de discours représenté désigne « la manière dont le locuteur/scripteur, dans l’interaction verbale, sélectionne, retraite et subordonne à son propre discours le discours d’autrui, ainsi que la manière dont il anticipe dans son propre discours les réactions de l’autre » (Roulet 2001d: 277). Le discours représenté est une catégorie discursive complexe qui fait intervenir l’ensemble des informations modulaires (pour les marques linguistiques du discours représenté et les interrelations entre ses dimensions syntaxique et textuelle, voir § 2.4.3.3.).

Les notions de discours produit et de discours représenté sont des notions relatives, dont la définition dépend du niveau du cadre interactionnel dans lequel l'analyste choisit de se situer et du rang qu’occupent les unités praxéologiques et textuelles auxquelles il se réfère. Dans l’analyse d’un article de presse, la notion de discours produit relève du cadre interactionnel réunissant le journaliste/scripteur et son lecteur, celle de discours représenté au(x) cadre(s) interactionnel(s) emboîté(s). Cependant, si l’on analyse deux ou plusieurs articles de presse afin de comparer, du point de vue de la source d’énonciation, leurs

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titres et les textes que ces titres annoncent, on peut (souvent) observer l’alternance des discours produits respectivement par la rédaction du journal et par le journaliste lui-même. On peut constater que le discours du journaliste, qui se situe à un niveau d’interaction inférieur, devient le discours représenté par rapport au discours produit par la rédaction du journal.

Suivant la distinction entre deux finalités communicationnelles du discours d’information médiatique, rapporter et commenter (Charaudeau 1997: 167), le discours produit par le journaliste peut donner lieu, en fonction des buts communicationnels poursuivis, à deux principaux types d’événements médiatiques – événements rapportés et événements commentés, lesquels sont composés des faits et/ou des dits. Le terme de discours représenté désigne aussi bien le dit rapporté que les dits faisant l’objet d’un commentaire journalistique.

Nous examinerons ici les interrelations entre les différentes formes de discours représentés (formulé, désigné, implicité) et les buts communicationnels des unités discursives concernées (rapporter et commenter les dits). Nous procéderons d'abord au repérage des discours représentés emboîtés dans le discours produit étudié (à partir du même extrait). Les discours produits et représentés à différents niveaux sont indiqués entre crochets droits, la source de la voix est précisée avant les crochets. Les marques linguistiques du discours représenté sont en italiques. Le discours représenté désigné est indiqué, après l'expression qui le désigne, entre crochets droits vides, précédés de l'indication de la source de la voix142 (pour le découpage en actes textuels et leur numérotation, voir l’Annexe 5) :

R [ J [ Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie

Jour historique hier à Paris: l’accord de Dayton entériné dans un climat de gravité

et d’expectative car chacun sait que l’essentiel dépend de la bonne volonté des ex-belligérants ] ]

J [Durant quelques secondes, on a vu Slobodan Milosevic et Franjo Tudjman, assis avec Alija Izetbegovic, chercher dans le lourd document la page qui attendait leur stylo. Tudjman a esquissé un sourire. Ce fut bien le seul de cette cérémonie de signature, hier matin à l’Elysée, de l’accord de paix en Bosnie-Herzégovine conclu à Dayton le 21 novembre. Le président Jacques Chirac a dit qu’ JC [il accueillait ses hôtes « avec émotion et gravité »]. De l’émotion, il y en eut bien peu, et les présidents de Serbie, Croatie et Bosnie, impassibles comme des bonzes, se sont serré la main avec un minimum de cordialité. La gravité, en revanche, était partagée par tous. Trois idées ont dominé toutes les interventions X [ ] de ce jour décisif: on retient son souffle devant une paix fragile, on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants, et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la communauté internationale.

142 R (rédaction), J (journaliste), X (tous, chacun, on), JC (Jacques Chirac), JM (John Major), AI (Alija Izetbegovic), BC (Bill Clinton), SM (Slobodan Milosevic), FT (Franjo Tudjman), CB (Carl Bildt).

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Parrains Debout derrière les trois présidents se tenaient les « parrains » de l’accord de paix, qu’ils ont signé à leur tour: les présidents Bill Clinton et Jacques Chirac, le chancelier Kohl, les premiers ministres Major et Tchernomyrdine pour les pays du Groupe de contact, ainsi que le président du Gouvernement espagnol Felipe Gonzalez pour l’Union européenne. De nombreux autres représentants de gouvernements et d’organisations internationales étaient présents, pour donner du poids à cet accord si longtemps désiré. Le conseiller fédéral Flavio Cotti y figurait au titre de président du Conseil de l’OSCE.

Rendons à la France …

Dans un discours JC [ ] de qualité, Chirac a noté que JC [« l’espérance qui se lève (…) n’effacera pas les 200 000 morts du conflit ».] Mais il a invité les parties à JC [« tourner définitivement la page de la guerre et de la haine »], soulignant que JC [« ce qui est en jeu, c’est notre sécurité. Ce sont nos valeurs. C’est aussi une certaine idée de l’Europe. »] Saluant JC [la « contribution déterminante » des Américains], il a néanmoins fait comprendre avec une pointe d’humour que JC [la France n’entendait pas qu’on sous-estimât son rôle.] Pour Chirac, JC [la voie de l’accord de Dayton a été ouverte par la Force de réaction rapide] (créée par lui) JC [et par le Groupe de contact « mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ».] John Major a bien été le seul orateur à appuyer JM [ ] ce plaidoyer pro domo JC [ ], soulignant que JM [les forces françaises et britanniques avaient été « l’épine dorsale » des troupes de l’ONU en Bosnie.]

Le président Izetbegovic a considéré que AI [l’accord était « un médicament utile et amer »], mais il s’est engagé à AI [le respecter]. S’il a promis qu’ AI [il n’y aurait ni revanche ni vengeance], il a affirmé que AI [« les coupables doivent être punis ».] Ce thème AI [ ] a été repris JM [ ] par John Major, pour qui M [« il faut tourner la page des abominations de l’épuration ethnique »], et par Bill Clinton BC [ ], qui demande de BC [« traduire en justice ceux qui se sont rendus coupables de crimes de guerre ».] Le président Milosevic, se posant en homme de paix, a averti que SM [la clé de la mission de la force internationale envoyée en Bosnie résidera dans « son doigté » et sa « nécessaire neutralité ».] Quant au président Tudjman, remontant l’histoire jusqu’à l’Empire romain (!), il s’est dit FT [prêt lui aussi à tout faire pour que l’accord soit honoré.]

Guerre et paix

CB [« Rien n’est plus difficile, après la guerre, que la réconciliation »,] a résumé Carl Bildt, l’émissaire des Européens. En conclusion, le président Clinton, qui n’a pas manqué d’énumérer BC [ses propres succès diplomatiques au Moyen-Orient, en Irlande du Nord et en Bosnie], a félicité BC [ ] les trois présidents et lancé un vibrant appel aux peuples des Balkans: BC [« Vous avez vu ce que la guerre a engendré. Vous savez ce que la paix peut apporter ! »] ]

La mise en relation des structures énonciative et opérationnelle (Figure 36) de cet article montre une corrélation entre les buts communicationnels des unités discursives et les formes de discours représenté. Nous pouvons observer une prédominance relative du discours représenté formulé (de manière directe ou

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indirecte) dans l’unité dont le but est de rapporter les dits ([19-65]), et celle du discours représenté désigné dans l’unité dont le but est de commenter les dits ([6-18]).

La titraille présente une organisation énonciative à part, dans la mesure où le discours produit relève de l'interaction entre le journal et le public, et le discours représenté de celle entre le journaliste et son lecteur. La titraille, qui est le lieu de réalisation d’une pluralité de buts communicationnels (dramatiser l’information, l’annoncer, la résumer et/ou la commenter), rassemble les différentes formes de discours représentés et leurs combinaisons. Comme le montre Sullet-Nylander (1998) à propos de l’emploi du discours représenté dans le titre de presse, entre « le discours d’origine » et « le discours citant » il existe tout un éventail de formes différentes de discours représentés, dont les unes visent à faire part de la forme, les autres du sens du discours d’origine143, et ceci en fonction de plusieurs facteurs. « Il nous semble pertinent de postuler que c’est le type de nouvelle traitée et la position du journal vis-à-vis de celle-ci qui déterminent la façon de rapporter dans le titre. Les fonctions communicatives attribuées au titre par chaque quotidien sont aussi déterminantes quant aux formes de représentation des discours d’autrui » (1998: 132). Dans notre exemple, le rajout d’un niveau d’interaction supplémentaire sur le plan de l’organisation énonciative est marqué dans la titraille par la sélection de segments de discours produits par le journaliste ([14-18]): [14] La gravité, en revanche, était partagée par tous. [15] Trois idées ont dominé toutes les interventions X [ ] de ce jour décisif: [16] on retient son souffle devant une paix fragile, [17] on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants, [18] et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la

communauté internationale. et leur intégration dans le discours produit par la rédaction du journal : [1] R [ J [ Retenant leur souffle, [2] neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie [3] Jour historique hier à Paris: [4] l’accord de Dayton entériné dans un climat de gravité et d’expectative [5] car chacun sait que l’essentiel dépend de la bonne volonté des ex-belligérants ] ]

Comme le titre permet de résumer le commentaire du journaliste, il ne comporte pas de segments de discours représenté appartenant à des niveaux d’interaction emboîtés.

Le travail de repérage des segments de discours représentés à différents niveaux d’emboîtement constitue un préalable à l’analyse du rôle des discours représentés dans le discours produit, dans le cadre de la forme d’organisation polyphonique. « L’organisation polyphonique traite des formes et des fonctions, 143 Elle en énumère sept, dont quatre formes du DR relevées par Charaudeau (1992: 624): discours cité (DC), discours intégré (DI), discours narrativisé (DN), discours évoqué (DÉ), et trois cas périphériques (CP): réplique signalé (RS), interprétation polyphonique (IP) et mention de prise de parole (Mdp).

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dans le discours analysé, des discours représentés décrits dans l’organisation énonciative. Elle fait intervenir le couplage d’informations issues des modules hiérarchique, linguistique, interactionnel et référentiel, ainsi que des formes d’organisation relationnelle, topicale et inférentielle » (Roulet 2001a: 49).

Pour établir les liens entre les buts communicationnels des unités discursives et leur organisation polyphonique, il convient de se concentrer sur un aspect bien précis de cette organisation, résultant du couplage d’informations issues des formes d’organisation énonciative et topicale.

L’analyse de l’organisation topicale de la première partie ([1-18]) sera étendue à l’article dans son intégralité, et plus spécifiquement à l’opération discursive dont le but est de rapporter les dits ([26-65]). Les nouveaux éléments informationnels (Figure 40) sont associés soit à des concepts activés dans la première partie, liés à la source du discours représenté (IDENTITÉ, FONCTION, DÉCLARATION), soit à l’activation de nouveaux concepts, liés au contenu du discours représenté (PROCESSUS DE PAIX, LES NÉGOCIATIONS DE PAIX, L’APPLICATION DE L’ACCORD).

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DECLARATIONS

COMPORTEMENTS

CEREMONIE DE SIGNATURE

IDEES CLIMAT

GRAVITEEMOTION

Figure 40 : Mise en relation des formes d’organisation topicale et polyphonique

PROTAGONISTES

FONCTION

DEROULEMENTOBJET TEMPSLIEU

IDENTITE

1. retenant leur souffle2. neuf hommes 2. signent une paix fragile en Bosnie

3. à Paris 3. hier

3. jour historique

4. l’accord de Dayton entérinédans un climat de gravité et d’expectative

5. 17. ex-belligérants

6. durant quelques secondes

5. chacun

7. Slobodan MilosevicFranjo TudjmanAlija Izetbegovic

8. a esquissé un sourire

9. cette cérémonie de signature

9. l’accord de paix en Bosnie-Herzégovineconclu 9. à Dayton 9. le 21 novembre

9. à l’Elysée

9. hier matin

10. Jacques Chirac 10. 10. avec émotion 11. de l’émotion 12. il y en eut bien peu

10. et gravité

8. Tudjman

7. chercher la page qui attendait leur stylo

13. la gravitéétait partagée par tous

14. tous

15. trois idéesont dominé toutesles interventions

16. une paix fragile

16. retient son souffle

15. ce jour décisif

7. 16. 17. 18. on

18. espère de tout coeur 13. les présidents de Serbie, de Croatieet de Bosnie

10. président

18. réintégrer des peuplesmeurtris dans l’Europeet la communauté internationale

LES NEGOCIATIONS DE PAIX L’APPLICATION DE L’ACCORD

PROCESSUS DE PAIX

27. - 39. Chirac

28. « l’espérance ».29. « tourner la page de la guerre »

30. – 33. « notre sécurite », « nos valeurs », « Europe »34. contribution des Américains,35.-39. rôle de la France

27. - 39.

40. 46. John Major43. s’est engagéà respecter l’accord

41. les forces britanniques et Françaises, « l’épine dorsale »des troupes de l’ONU en Bosnie

42.-45. Izetbegovic 42. président

42. « un médicament utile et amer ».44. ni revanche ni vengeance 45. « les coupables doivent être punis ».

46. John Major

47. « tourner la page de l’épuration ethnique »

48. Bill Clinton

49. « traduire en justice les coupables de crimes de guerre ».

50. Milosevic

52. la mission de la force internationale

53. Tudjman

55. tout faire pour que l’accord soit honoré.

59. l’émissaire des Européens

57. «la réconciliation ».

58. Carl Bildt

64. « ce que la guerre a engendré »

65. « ce que la paix peut apporter »

40. orateur

47.

42.-45.

49. 63.-65.

50. président 52.

53. président 55.

58. a résumé

60. président

20. 21. se tenait debout,signaient à leur tour

20. « parrains »

22. Clinton, Chirac, Kohl, Major, TchernomyrdineGonzales, Cotti

22. présidentspremiers ministresUE, OSCE

40. 41. 47.

60. pour conclure

46. a repris le thème

54. remontant l’histoire

51. se posant en homme de paix

57.

40. a appuyéce plaidoyer pro domo

61. a énuméré ses propres succès60. Bill Clinton

La mise en relation des structures énonciative et opérationnelle de l’article étudié nous a permis d’observer que la fréquence, l’étendue et la forme de discours représenté sont liées aux buts communicationnels des unités discursives

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concernées. L’analyse de son organisation polyphonique nous amène à associer aux segments de discours représentés une fonction précise. Dans la première partie ([1-18]), le journaliste choisit un segment de discours représenté (« avec émotion et gravité ») comme point de départ de sa propre réflexion, une sorte de prétexte à son propre commentaire et, par conséquent, un élément important dans l’élaboration de la structure conceptuelle et la progression informationnelle.

Dans la deuxième partie, le discours représenté joue deux rôles, celui d’argument à l’appui des affirmations avancées par le journaliste, qui ne fait que compléter la liste des éléments informationnels associés aux concepts activés dans la première partie, et plus spécifiquement au concept de PROTAGONISTES et aux propriétés conceptuelles qui en sont dérivées (IDENTITÉ, FONCTION, IDÉES, COMPORTEMENTS), et celui d’arrière-plan et de cadre à l’ensemble des concepts activés dans la première partie et approfondis dans la deuxième. Ce cadre, constitué par les concepts de PROCESSUS DE PAIX et ses propriétés conceptuelles (LES NÉGOCIATIONS DE PAIX, L’APPLICATION DE L’ACCORD), assure une sorte de mise en perspective de l’information portant sur la signature de l’accord de paix.

L’introduction des éléments informationnels liés à la source et au contenu du discours représenté modifie les rapports de dérivation conceptuelle: le concept de PROCESSUS DE PAIX, introduit dans la deuxième partie du texte, est premier par rapport au concept de CÉRÉMONIE DE SIGNATURE, introduit dans la première partie. La dérivation conceptuelle n’équivaut pas à la subordination conceptuelle: les concepts premiers sont subordonnés sur le plan de la structure hiérarchique et vice versa (Figure 36).

La mise en relation de la forme d’organisation polyphonique avec d’autres formes d’organisation du discours permet de saisir les différents aspects de ce phénomène complexe que constitue le discours représenté. Dans son « modèle descriptif et explicatif des formes de discours rapporté », Rosier (1999) envisage la possibilité d’une organisation générale des discours rapportés sous la forme d’un continuum, à partir des différents axes de recherche qu’impose la complexité de la problématique144, à savoir « mise en rapport de discours, création d’un espace énonciatif particulier, attribution du dit et mise à distance du dit » (1999: 125). Dans la perspective modulariste, la mise en relation des structures opérationnelle et polyphonique des discours effectifs permet d’associer les fonctions et les multiples effets des différentes formes de discours représentés à la réalisation des buts communicationnels précis.

A titre d’exemple, le choix de la forme du discours représenté n’est révélateur du degré de distanciation du journaliste qu’à condition d’être mis en relation avec le but communicationnel de l’unité discursive concerné et avec l’organisation polyphonique du discours étudié dans son ensemble. L’extrait suivant comporte des segments de discours représenté de longueur variable, allant d’un mot pour le discours représenté désigné ([27]) à une succession d’actes textuels, pour le discours représenté formulé ([30-33]). (Pour l'analyse 144 Selon Rosier (1999), «le discours rapporté est la mise en rapport de discours dont l'un crée un espace énonciatif particulier tandis que l'autre est mis à distance et attribué à une autre source, de manière univoque ou non» (1999: 125).

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des interrelations entre les dimensions syntaxique et textuelle du discours représenté voir §2.5.3.3.). [27] Dans un discours JC [ ] de qualité, [28] Chirac a noté que JC [« l’espérance qui se lève (…) n’effacera pas les 200 000

morts du conflit ».] [29] Mais il a invité les parties à JC [« tourner définitivement la page de la guerre et de

la haine »], [30] soulignant que JC [« ce qui est en jeu, [31] c’est notre sécurité. [32] Ce sont nos valeurs. [33] C’est aussi une certaine idée de l’Europe. »]

Le repérage des segments de discours représenté dans le discours produit par le journaliste ne suffit pas pour rendre compte de « ce jeu de marquage-démarquage d’une part, non-marquage-intégration, d’autre part » (Charaudeau 1997: 179), qui caractérise le discours des médias d’information en général, et le discours du journalisme politique en particulier145. Seule la mise en relation des structures polyphonique et opérationnelle de cet article, permet d’avancer l’hypothèse selon laquelle, dans cet extrait, les discours représentés désigné et formulé, auxquels le journaliste adhère entièrement, sont intégrés au discours produit par le journaliste (jusque dans l’emploi de la première personne du pluriel et le maintien du rythme ternaire du discours d’origine).

Par contre, les mêmes formes de discours représenté (formulé et désigné), dans la suite du texte, permettent au journaliste de se démarquer du discours d’autrui: [36] Pour Chirac, [37] JC [la voie de l’accord de Dayton a été ouverte par la Force de réaction rapide] [38] (créée par lui) [39] JC [et par le Groupe de contact « mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ».] [40] John Major a bien été le seul orateur à appuyer JM [ ] ce plaidoyer pro domo

JC[ ], [41] soulignant que JM [les forces françaises et britanniques avaient été « l’épine

dorsale » des troupes de l’ONU en Bosnie.]

L’intérêt de la mise en relation des formes d’organisation opérationnelle et polyphonique consiste donc à préciser le rôle du discours représenté dans la réalisation des buts communicationnels des unités discursives concernées. Les exemples analysés illustrent également l’importance de l’organisation

145 Selon Sullet-Nylander (1998), qui compare la fréquence du discours représenté dans le titre de presse des rubriques Société, Politique et Culture, « les chiffres les plus élevés se trouvent dans la rubrique Politique qui rassemble, tous titres confondus, la majorité des titres en discours rapporté » (1998: 127). L’auteur estime avec Lindquist (1990: 28) que, s’agissant de politique, la forme de représentation privilégiée est celle qui « consiste à représenter les événements en rapportant les paroles de quelqu’un » et précise qu’ « il s’agit la plupart du temps d’un homme politique dont le métier est de faire des discours, tandis que celui des journalistes consiste à les rapporter, soit en les citant, soit en les narrativisant dans leur propre énoncé, soit en en évoquant certaines paroles choisies » (1998: 127).

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polyphonique dans l’étude des stratégies discursives du journalisme politique (4.1.3.2.), les déclarations des acteurs des événements médiatico-politiques faisant l’objet d’un nombre considérable d’activités discursives, qui relèvent des cadres interactionnels différents et ont des visées communicationnelles distinctes. 4.1.1.3. Les interrelations entre les buts communicationnels des unités discursives et les structures séquentielle et compositionnelle

Alors que l’étude des interrelations entre la forme d’organisation opérationnelle et les formes d’organisation topicale et polyphonique a donné lieu à un élargissement de l’analyse des unités discursives aux dimensions lexicale, syntaxique et interactionnelle, l’étude de ses interrelations avec les formes d’organisation séquentielle et compositionnelle permettra de comparer deux analyses différentes du produit discursif à partir du même type d’informations modulaires.

Rappelons que l’organisation séquentielle « vise à définir et à repérer dans le discours des séquences typiques: narrative, descriptive et délibérative, en se fondant sur des informations d’origines hiérarchique et référentielle » (Roulet 2001b: 48). Les mêmes informations modulaires étant impliquées dans la description de l’organisation opérationnelle, ces deux formes d’organisation entretiennent des interrelations très fines. Plus spécifiquement, leurs constituants respectifs sont caractérisés par une certaine cohésion référentielle qui se manifeste à travers des unités textuelles hiérarchiques plus ou moins complexes. Il s’agit toutefois de deux formes d’organisation distinctes, qui présentent plusieurs points de divergence. La cohésion référentielle des opérations discursives s’appuie sur la poursuite du même but communicationnel et relève de l’univers dans lequel le discours s’inscrit, et celle des séquences typiques sur les propriétés conceptuelles et praxéologiques de l’univers dont le discours parle (Adam 1992, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001). En outre, le versant textuel de ces constituants n’a pas le même rôle dans l’organisation opérationnelle que dans l’organisation séquentielle: dans un cas, il fournit des moyens textuels à la réalisation des buts communicationnels des unités praxéologiques correspondantes, dans l’autre, il assure la prise en charge textuelle des unités référentielles saillantes. Finalement, dans le cadre de l’analyse de l’organisation séquentielle nous devons recourir systématiquement à la dimension conceptuelle de l’univers représenté dans le discours pour étudier des opérations spécifiques à certains types d’activités langagières146.

En effet, rendre compte des modalités de la combinaison d’informations modulaires d’ordres textuel et référentiel dans le cadre de la forme d’organisation séquentielle « revient à étudier la complexité de l’organisation du discours sous un point de vue particulier, celui de son hétérogénéité compositionnelle » 146 A propos des différences entre les formes d’organisation opérationnelle et séquentielle, il convient de rappeler la distinction proposée par Gumperz (1982) entre les activités qui s’inscrivent dans un contexte socio-culturel déterminé et les activités discursives universelles et indépendantes de la situation d’interaction (§ 1.2.1.).

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(Filliettaz 2001c: 307)147. L’analyse de l’organisation séquentielle dans une perspective modulariste comporte plusieurs étapes: de la définition des types de discours à l’analyse séquentielle proprement dite, en passant par l’identification de séquences typiques dans des productions discursives effectives.

La typologie élaborée dans la version récente du modèle genevois (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001) part des propositions de Fayol (1985), Adam (1992) et Bronckart (1996), qui visent à définir les types de discours à partir des entités prélangagières. Selon Filliettaz (2001c), ces tentatives typologiques, « sensiblement différentes, et à certains égards incompatibles, partagent néanmoins un certain nombre de propriétés communes »: elles reposent sur des catégories prélangagières, d’ordre référentiel, et sur « des ressources psychologiques spécifiques à partir desquelles les locuteurs interprètent et produisent des séquences discursives particulières » (2001c: 314).

Filliettaz adapte au dispositif modulaire élaboré dans le cadre du modèle genevois ces approches prélangagières, qui, selon lui, « ne saisissent que partiellement les spécificités des types discursifs » (id. 315). Car, précise-t-il « définir des types de discours consiste non seulement à expliciter des opérations psychologiques générales sur lesquelles se fondent des catégories prélangagières, mais encore à mettre en évidence les principes qui ancrent celles-ci dans des processus textuels » (ibid.), un point important dont les approches radicalement référentielles omettent de tenir compte. Filliettaz insiste sur le fait que « les séquences discursives sont généralement liées à des unités textuelles de nature monologique et que, par conséquent, elles se manifestent sous la forme d’interventions » (ibid.). Il conclut que les principes constitutifs d’une typologie discursive ne se ramènent pas à un système d’informations élémentaires, mais « résultent d’une mise en relation d’informations distinctes, telles qu’elles relèvent des modules référentiel et hiérarchique » (ibid.).

Sa description de la dimension référentielle des types de discours narratif et descriptif s’inspire largement de celle élaborée par Adam (1992: 54, 84)148.

147 La question de l’hétérogénéité compositionnelle, précise Filliettaz (2001c), « doit être clairement distinguée de celle des genres de discours ». Dans le modèle genevois, « l’analyse des types de discours relève pleinement de la problématique compositionnelle », tandis que celle des genres, « qui renvoie aux attentes typifiantes qui caractérisent un ensemble potentiellement illimité d’activités langagières attestées dans une collectivité, « doit être abordée au niveau de la dimension référentielle du discours » (2001c: 309). « Contrairement aux genres, dont le classement obéit à une multitude de critères hétérogènes et débouche sur une infinité de catégories en perpétuelle évolution, les types de discours se distribuent dans un nombre restreint de catégories, qui rendent pleinement légitime, et même nécessaire, une démarche typologique » (id. 312). 148 Jean-Michel Adam (1992) fait l’hypothèse sur « la structure séquentielle des textes et sur les prototypes de schémas séquentiels de base » (1992: 14). Rappelons sa définition de la notion de séquence textuelle : « L'unité textuelle que je désigne par la notion de SÉQUENCE peut être définie comme une STRUCTURE, c'est-à-dire comme : - un réseau relationnel hiérarchique : grandeur décomposable en parties reliées entre elles et reliées au tout qu'elles constituent; - une entité relativement autonome, dotée d'une organisation interne qui lui est propre et donc en relation de dépendance/indépendance avec l'ensemble plus vaste dont elle fait partie » (1992 : 28).

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Filliettaz définit le discours narratif comme la combinaison d’« un principe hiérarchique schématique, tel qu’il ressort de la représentation d’une phase de la négociation » et de « deux principes référentiels : celui de la disjonction des mondes, relevé par Bronckart 1996, et celui de « chaîne événementielle culminative » ou d’ « histoire », relevé par Adam 1992 » (Filliettaz 2001c: 316). Le discours descriptif repose sur une procédure de hiérarchisation très stricte, régie par un nombre restreint d’opérations descriptives. Ce type de discours est défini comme « la représentation schématique d’une intervention textuelle ayant pour propriété référentielle de désigner, à travers les opérations spécifiques que sont l’ancrage, l’aspectualisation, la mise en relation et la thématisation, les diverses caractéristiques d’une entité conceptuelle » (id. 321).

En revanche, pour pallier le problème de la définition et du classement des autres types de séquences répertoriées par Adam (1992: 118, 132) – séquences argumentative et explicative – Filliettaz propose une définition par défaut de ce qu’il nomme le discours délibératif, qui, contrairement aux autres types de discours, « ne semble pas générer d’attentes particulières relatives à des contenus référentiels » et n’a pas de propriétés linguistiques spécifiques (2001c: 322). La grande neutralité du discours délibératif permet, selon Filliettaz, de définir ce type « comme une sorte de « degré zéro » d’un modèle typologique, correspondant à l’ensemble des productions discursives qui échappent à la fois aux propriétés de la narration et à celles de la description » (ibid.). Quant à la séquence dialogale (Adam 1992: 159), elle relève dans le modèle genevois d’un système d’informations de base (la dimension hiérarchique/textuelle) et non pas d’une forme d’organisation, telle l’organisation séquentielle. Pour Filliettaz, la réflexion typologique « constitue une étape nécessaire à l’analyse de l’hétérogénéité compositionnelle du discours », dans la mesure où elle met en évidence « les critères définitoires qui sont à l’origine de l’émergence de séquences discursives » (2001c: 324). A la différence des types de discours qui constituent « des entités schématiques abstraites », « les séquences discursives renvoient à des segments textuels effectivement énoncés, qui rendent empiriquement perceptibles certaines propriétés compositionnelles » (id. 325). Les séquences discursives « résultent de la mise en relation de structures d’intervention et de configurations référentielles spécifiques » (ibid.). L’identification des séquences textuelles consiste à isoler des segments textuels sur la base des propriétés référentielles que ceux-ci présentent. Elle permet de procéder à l’analyse séquentielle proprement dite, qui vise à « proposer une segmentation textuelle de toute production langagière attestée, et à repérer de manière systématique l’ensemble des types de discours qui s’y manifestent » (id. 334).

Afin d’examiner les interrelations entre les buts communicationnels des unités discursives et leur organisation séquentielle, nous procéderons à l’analyse de deux extraits de notre corpus, en y identifiant d’abord des séquences textuelles typiques. La structure conceptuelle de l’article « Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie », publié dans la TG (Figure 40), correspond à la représentation schématique du discours descriptif (Adam 1997: 84, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 320). Si nous appliquons à cet exemple la

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définition de la séquence discursive, nous pouvons qualifier de descriptive la séquence qui recoupe l’ensemble de l’article (Sdescr1) et qui est issue de la combinaison de l’intervention textuelle [1-65] (Figure 34) et de la structure conceptuelle des opérations discursives correspondantes (Figure 41).

déclarations

comportements

cérémonie de signature

idées

gravitéémotion

Figure 41 : Structure conceptuelle des opérations descriptives de S descr 1

protagonistes

fonction

déroulementobjet tempslieu

identité

1. 16.2. 5. 7. 14. 16.-18. 2. 9. 16. 18. 3. 9. 3. 6. 9.

3. 9. 15.

7.

10. 11. 12. 10. 13.

15.

THEME - TITRE

Pr PrPr PrPr

Pa Pa

climat 4. 18.

parrainsex-belligérants

Pa Pa

2. 17. 20.

13.

55.

7.

déclarations

comportementsidéesfonctionidentité22. 15. 22.

49. 63.-65.

20. 21.

Pr Pr Pr Pr Pr Pr Pr Pr

Pa Pa

8. 53. 42.-45. 50.

Tudjman Izetbegovic Milosevic

Pa

42. 50. 53.

Izetbegovic Milosevic Tudjman

Pa Pa

42.-45. 52.

TudjmanIzetbegovic Milosevic

Pa

8. 54. 43. 51.Tudjman Izetbegovic Milosevic

10. 27.-39.

MajorChirac Clinton Bildt

40. 46.

48. 60.

58. 10.MajorChirac Clinton Bildt

40. 60. 59. 35.MajorChirac Clinton Bildt

40. 46. 61. 58.

MajorChirac Clinton Bildt57.10.

27.-39.40. 41. 47.

PaPa Pa

PaPaPa Pa

PaPaPa Pa

Pa

PaPa Pa

Pa

Pa

M

Pa PaPa PaM

Pa : Aspectualisation par partie

Pr : Aspectualisation par propriété

M : Mise en relation

Nous pouvons également identifier dans le même extrait une séquence narrative (Snarr1), résultant de la combinaison d’une intervention textuelle de rang inférieur ([6-14]) et de la structure praxéologique d’histoire.

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HISTOIRE S narr 1

ETAT INITIAL COMPLICATION REACTION RESOLUTION ETAT FINAL

chercher la page6-7

se sont serréla main avecun minimumde cordialité (13)

le seul sourire (9)peu d’émotion (11-12)

esquisser un sourire (8)« émotionet gravité » (10)

la gravité était partagée par tous (14)

Figure 42 : Structure praxéologique effective de la S narr 1

Finalement, nous avons identifié une séquence délibérative, n’ayant ni les propriétés référentielles d’une séquence descriptive ni celles d’une séquence narrative (Sdélib1), et correspondant à une intervention textuelle ([15-18]). Il est à noter que les séquences textuelles identifiées peuvent faire l’objet de plusieurs types de combinaisons et d’enchaînements (suite linéaire et enchâssement)149. L’article étudié fournit l’exemple d’une suite linéaire de deux types de séquences textuelles, narrative et délibérative, enchâssées dans la séquence descriptive qui recoupe l’ensemble de l’article (pour la numérotation et le découpage en unités textuelles minimales, voir l’Annexe 5). Nous en proposons la segmentation séquentielle suivante:

< Sdescr1 [1-5] < Snarr1 [6-14] > < Sdélib1 [15-18] > Sdescr1 [19-65] > Il convient de préciser que le seul inconvénient de ce type d’analyse séquentielle, à l’aide des crochets ouvrants et fermants, consiste à ne pas rendre compte de la perméabilité de séquences textuelles, que la superposition de leurs structures référentielles permet de mieux illustrer: la séquence des actes [6] à 149 Selon Jean-Michel Adam (1999), « la structuration séquentielle doit être pensée en tenant compte de deux formes combinables : L'hétérogénéité compositionnelle: A1. Suites linéaires de séquences: Séquences coordonnées (successives) Séquences alternées (développées en parallèle) A2. Insertion de séquences (enchâssement) La dominante: B1. Séquence enchâssante B2. Séquence résumant l'ensemble d'un texte » (1999: 71).

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[14] relève de la structure praxéologique d’histoire, mais participe également de la structure conceptuelle des opérations descriptives qui recoupent l’ensemble de l’article.

En revanche, elle présente l’avantage de mettre en évidence à la fois l’hétérogénéité des structures séquentielles et les types d’enchaînements entre les séquences textuelles identifiées dans des produits discursifs effectifs à partir des informations d’ordres hiérarchique et référentiel. En outre, elle permet, d’une part, de comparer les structures séquentielles et les types d’enchaînements séquentiels dans différents produits discursifs et, d’autre part, d’établir des parallélismes entre la structure séquentielle et les autres formes d’organisation au sein du même produit discursif.

Nous pouvons constater qu’à la différence de la structure séquentielle de l’article que nous venons d’étudier, une double mise en abyme (ou enchâssement) de séquences textuelles caractérise la structure séquentielle de l’article « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation » publié dans le JG, analysé dans le deuxième chapitre (pour la numérotation et le découpage en unités textuelles minimales, voir l’Annexe 6)150, dont nous proposons ici la segmentation suivante: < Sdélib1 [1-23] < Sdescr1 [24-35] < Sdescr2 [36-39] > Sdescr1 [40-61] > Sdélib1 [61] > La séquence descriptive < Sdescr2 [36-39] > y est enchâssée dans une autre séquence descriptive < Sdescr1 [24-61] >, qui est elle-même enchâssée dans la séquence délibérative < Sdélib1 [1-61] >. Précisons que la Sdescr1 relève de la « description d’actions » (Adam 1992), dans la mesure où sa structure conceptuelle s’apparente à des opérations d’aspectualisation d’un thème-titre (l’organisation protocolaire d’une réunion diplomatique) par parties temporellement ordonnées (entrer, prononcer son discours, etc.). A part le type d’enchaînement séquentiel, c’est la détermination de la séquence dominante qui différencie les deux structures séquentielles: la séquence résumant l’ensemble du texte < Sdélib1 [15-18] > dans le premier exemple, la séquence enchâssante < Sdélib1 [1-23] > dans le second.

La mise en relation des structures séquentielle et opérationnelle des deux articles permet d’observer des parallélismes entre les buts communicationnels des unités opérationnelles et les séquences textuelles correspondantes (pour les versants praxéologique et textuel des opérations discursives concernées, voir respectivement les Figures 33-34 et les Figures 13 et 19-22). Ainsi, dans les deux exemples, les séquences textuelles à dominante descriptive correspondent à

150 L’article publié dans la TG, très illustratif sur le plan de l’organisation énonciative, l’est moins sur le plan de l’organisation séquentielle, la présence du discours représenté excluant celle de la séquence narrative.

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l’activité de rapporter, et les séquences textuelles à dominante délibérative à l’activité de commenter.

Les deux formes d’organisation du discours ne doivent pas pour autant être confondues. Les dangers de la confusion entre une position énonciative (à laquelle on peut associer un but communicationnel) et un mode de textualisation ont été relevés par Adam, Lugrin & Revaz (1998), dans un article visant à nuancer et à dépasser la dichotomie « récit/discours ». « La confusion de l’énonciation historique avec le récit écrase le principe de deux positions énonciatives de base: l’une tendant vers une position qui se présente comme objective et l’autre vers une position de subjectivité déclarée.» A la dichotomie réductrice « récit-discours », ces auteurs substituent « quatre sous-systèmes constitués par des regroupements préférentiels plus fins de temps verbaux, de pronoms personnels sujet et d’adverbes », dont ils proposent la répartition suivante : Représentation discursive (Rd)

Prise en charge des énoncés

Enonciation impliquée

Non-prise en charge des énoncés

Enonciation distanciée Rd conjointe aux paramètres de la situation d’énonciation Monde actualisé ou actualisable

PRESENT énonciatif IMPERATIF et PERFORMATIFS

PASSE COMPOSE 1 FUTUR

<1>

PR. de DEFINITION et PR. gnomique

<3>

Rd disjointe de la situation d’énonciation Diégétisation

PR. et FUTUR

PASSE COMPOSE 2 IMPARFAIT

NARRATIFS <4>

PASSE SIMPLE IMPARFAIT

La complémentarité des informations relevant des formes d’organisation différentes (dans le modèle genevois, il s’agit des formes d’organisation séquentielle, opérationnelle et énonciative) est « responsable du fait que l’on ne puisse assigner à chaque type de séquence une distribution très stricte de marques morphosyntaxiques » (Adam 1992: 16).

Les liens d’étroite interdépendance entre les buts communicationnels et les types de séquences textuelles ont été mis en évidence par Charaudeau (1997) et par Filliettaz (2001c). Dans son analyse des contraintes discursives de la machine médiatique, Charaudeau explique comment « les modes d’organisation du discours (descriptif, narratif, argumentatif et énonciatif) » s’articulent autour des « finalités de base qui caractérisent le traitement de l’information : rapporter ce qui se passe ou s’est passé dans l’espace public, construisant ainsi un espace de médiatisation que nous appelons « événement rapporté », (…) commenter le pourquoi et le comment de l’événement rapporté par des analyses et points de vue divers plus ou moins spécialisés et, éventuellement justifier ses propres engagements ou prises de positions » (1997: 167).

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Filliettaz estime, pour sa part, que l’identification de séquences textuelles dans le cadre de la forme d’organisation séquentielle ne constitue qu’un préalable à l’analyse des propriétés émergentes des séquences effectives qui échappent à une logique de segmentation. « Leurs spécificités linguistiques, leur articulation hiérarchique et leur fonction co- et contextuelles sont autant d’éléments qui demeurent non traités au niveau de l’organisation séquentielle » (2001c: 339). Dans le modèle genevois, cette problématique relève de la forme d'organisation compositionnelle. Il s’agit d’une forme d’organisation complexe qui « repose sur la combinaison d'informations issues des modules hiérarchique, référentiel et linguistique, ainsi que de l'organisation séquentielle et de l'organisation relationnelle » (Roulet 2001b: 49).

La forme d’organisation compositionnelle traite dans un premier temps de la question du marquage formel des séquences textuelles, qui est indépendant de la catégorie typologique dont elles relèvent. Alors que l’identification de séquences repose sur le couplage d’informations d’ordres référentiel et textuel, l’étude des « effets compositionnels » qui spécifient les propriétés émergentes de ces séquences repose sur « les instructions lexicales et sur l’identification de relations de discours spécifiques qui permettent de caractériser le marquage formel des segments discursifs » (Filliettaz 2001c: 340). Les effets compositionnels feront l’objet de plus amples développements dans la partie consacrée aux interrelations entre la visée communicationnelle et l’organisation compositionnelle du discours journalistique (4.1.3.).

La forme d’organisation compositionnelle traite dans un deuxième temps des fonctions co- et contextuelles des séquences discursives, dans le cadre d’une analyse macro-textuelle des productions discursives151. L’étude des fonctions co-textuelles des séquences discursives consiste à « expliciter les rapports de dépendance, d’interdépendance et d’indépendance qui se tissent entre les segments compositionnels du discours » et « à déterminer la nature des relations discursives que ceux-ci entretiennent » (Filliettaz 2001c: 343). Elle repose sur des informations à la fois hiérarchiques et relationnelles. Dans le premier exemple étudié, l’intervention textuelle qui forme la < Snarr1 [6-14] > est subordonnée à l’intervention textuelle correspondant à la < Sdélib1 [15-18] >, avec laquelle elle entretient une relation interactive d’argument. La même relation interactive d’argument s’établit entre deux interventions textuelles de rang supérieur, qui correspondent respectivement à la suite formée par ces deux 151 Jean-Michel Adam (1999) distingue « deux types d’opérations compositionnelles combinables » qui « mènent à la construction et à la reconnaissance d’une unité comme tout textuel: la planification et la structuration »: « La planification d’un texte est généralement fixée par l’état historique d’un genre ou d’un sous-genre de discours : en d’autres termes, des plans de textes sont disponibles dans l’interdiscours. Ils permettent de construire (à la production) et de reconstruire (à la lecture comme à l’écoute) l’organisation globale d’un texte. [...] Tout texte est l’objet d’une (re)construction globale qui, pas à pas, peut aboutir à l’élaboration – tant à la production qu’à l’interprétation – d’une structure globale occasionnelle (un plan de texte unique). Cette opération de structuration, qui débouche sur l’élaboration d’un plan de texte occasionnel, s’appuie, d’une part, sur la macrosegmentation (alinéas et écarts plus marqués) et sur les données péritextuelles (interitres, changements de parties ou de chapitres) et, d’autre part, sur les principes de structuration séquentielle » (1999: 69-70).

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séquences et à la < Sdescr1 [19-65] >, mais les rapports de subordination sont inversés, car la première intervention régit la seconde. L’unité textuelle correspondant à la < Sdescr1 [1-5] > est subordonnée à l’ensemble constitué par ces trois séquences textuelles, auquel elle est liée par une relation interactive de préalable. Quant à l’étude des fonctions contextuelles des séquences discursives, qui permet de « réarticuler l’analyse séquentielle avec les genres d’activités qui s’y trouvent impliqués » (id. 347), elle fait intervenir des informations d’ordre référentiel. Comme les enjeux praxéologiques dans l’étude de l’hétérogénéité compositionnelle relèvent du niveau stratégique de l’interaction médiatique, cet aspect de l’organisation compositionnelle sera abordé plus loin, dans le cadre de l’analyse des interrelations entre la visée communicationnelle et les différentes formes d’organisation du discours journalistique (4.1.3.3.).

L’analyse séquentielle et l’étude des fonctions cotextuelles des séquences discursives donnent lieu à un enrichissement considérable de la description du niveau opérationnel de l’interaction médiatique, en mettant en évidence la séparation et la complémentarité des formes d’organisation opérationnelle et compositionnelle.

D’une part, l’étude de leurs points de divergence permet de spécifier le domaine de l’organisation opérationnelle. Ainsi la distinction entre les opérations discursives – qui reflètent les buts du locuteur/scripteur (rapporter et commenter) ainsi que son attitude, plus ou moins distanciée, qu’implique la réalisation de ces buts – et les séquences discursives typiques (narrative, descriptive et délibérative) fait ressortir des liens entre les buts communicationnels et le degré de prise en charge énonciative du discours, l’activité de commenter étant associé à un discours plus marqué du point de vue de l’expression de la subjectivité que celle de rapporter152.

D’autre part, l’analyse de leurs points de ressemblance met en évidence la complémentarité des formes d'organisation opérationnelle et séquentielle. Seules les opérations langagières sont susceptibles de prendre la forme d’une séquence textuelle typique et « c’est seulement lorsque les contenus référentiels s’organisent de façon spécifique que des entités textuelles prennent localement la forme d’un discours marqué comme la narration ou la description » (Filliettaz 2001c: 323). En effet, un parallélisme peut être établi entre la séparation et la complémentarité des informations relevant des formes d’organisation opérationnelle et compositionnelle et « une séparation et une complémentarité des tâches et des objets de la linguistique textuelle et de l’analyse des discours » (Adam 1999: 35). « La linguistique textuelle a pour tâche de décrire les principes ascendants qui régissent les agencements complexes mais non anarchiques de propositions au sein du système d’une unité TEXTE aux réalisations toujours singulières. L’analyse du discours – pour moi analyse des pratiques discursives qui renonce à traiter comme identiques les discours judiciaire, religieux,

152 Dans la mesure où le choix de la forme du discours représenté peut être révélateur d’un plus ou moins grand degré de distanciation du journaliste, à condition d’être mis en relation avec ses buts communicationnels, une partie de cette problématique complexe est traitée dans le cadre de la forme d’organisation énonciative.

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politique, publicitaire, journalistique, universitaire, etc. – s’attarde quant à elle prioritairement sur la description des régulations descendantes que les situations d’interaction, les langues et les genres imposent aux composantes de la textualité » (ibid.). La différence dans la prise en charge des segments de discours représenté par les formes d'organisation opérationnelle et séquentielle en fournit une illustration. Les séquences « bi-polaires » du point de vue séquentiel (Filliettaz 2001c: 346) sont homogènes du point de vue opérationnel (par exemple l’opération dont le but est de « rapporter les dits »)153.

L’analyse des interrelations entre les formes d’organisation opérationnelle, topicale, polyphonique et compositionnelle nous a permis d’enrichir la description du niveau opérationnel du discours journalistique. L’analyse du niveau stratégique de l’interaction médiatique nécessite la prise en considération d’autres combinaisons d’informations, à commencer par les combinaisons d’informations modulaires relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques maximales.

4.1.2. Les informations modulaires relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques maximales

La prise en considération du caractère dialogique de toute interaction et de la complexité du cadre interactionnel dans lequel s'inscrit le discours médiatique constitue le premier pas à franchir vers une analyse dynamique des stratégies discursives du journalisme politique. L'analyse du niveau stratégique est centrée sur le rapport qui s'établit entre l'instance de production et l'instance de réception par le biais du produit médiatique. Par conséquent, tout ce qui a été relevé dans le cadre de l’analyse du niveau opérationnel doit être revu dans une perspective interactionniste et mis en relation avec la dimension interactionnelle et, plus particulièrement, avec la complexité du cadre interactionnel reliant l’instance médiatique et l’instance de réception.

L’information journalistique doit, quant à elle, être reconsidérée dans un cadre plus englobant de la communication médiatico-politique. Nous adhérons à l’interprétation dialectique ou interactionniste des rapports entre ses principaux protagonistes, proposée par Francis Balle (1993): « interprétation selon laquelle les « usagers » des médias, qu’ils soient émetteurs ou récepteurs, agissent en fonction non seulement des objectifs qu’ils se donnent, mais également de l’idée qu’ils ont à la fois des moyens dont ils disposent et des contraintes qu’ils subissent » (in Sfez L. et al. 1993: 928). En abordant le discours médiatique en termes de stratégies discursives, nous ne limitons pas l’analyse au seul discours produit (comme dans la description des unités discursives) mais souhaitons y inclure ses protagonistes - l’instance de production et l’instance de réception,

153 A propos de cette bi-polarité, il importe de noter que les séquences textuelles relèvent du niveau d’interaction représenté, et les opérations discursives de celui de l’interaction entre le journaliste et son lecteur. En effet, le versant textuel des opérations discursives est constitué des interventions textuelles en tant que composantes de l’échange entre l’instance médiatique et l’instance de réception.

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ainsi que le contexte dans lequel ceux-ci interagissent et les visées communicationnelles qui les unissent: « Ce que suggère ce paradigme, en d’autres termes, c’est de penser ensemble les sujets de toute communication et l’objet de celle-ci, faisant par conséquent des messages l’enjeu des tractations et des ajustements réciproques des émetteurs et des récepteurs, de leur prétendu « dialogue » ou de leur prétendue « communication », considérée tout à la fois comme activité – communicatio: échange; communicare: être en relation avec -, et comme résultat possible de cette activité - communitas » (ibid.).

En élargissant l’analyse aux rapports spécifiques qui unissent l’instance de production et l’instance de réception du discours médiatique, l’approche interactionniste dépasse l’analyse de certaines des dimensions de celui-ci pour mettre en relation la complexité de son organisation avec son interactivité constitutive. Il s’agit en fait d’une réaffirmation du principe bakhtinien de l’interactivité de toute production discursive et de son application aux « textes de communication » (Maingueneau 2000: 40)154. Cet élargissement est nécessaire à l’attribution d’un sens à une unité discursive « prise en charge dans un lieu et un moment singuliers par un sujet qui s’adresse avec une certaine visée à un ou d’autres sujets » (id. 6). Il convient de préciser que l’attribution de sens et de visée communicationnelle ne se fait pas de manière automatique et de manière symétrique par l’instance de production et par l’instance de réception. Cette dernière reconstruit le sens à partir d’indications données dans le produit discursif, mais rien ne garantit que ce qu’elle reconstruit coïncide avec les représentations de l’instance de production (ibid.). La prise en considération du contexte dans lequel les usagers des médias interagissent et des conditions de production du discours d’information médiatique fait ainsi ressortir l’aspect dynamique du discours, source inépuisable de diverses interprétations possibles de la part de ses usagers.

Grâce à son caractère intégrateur et à sa méthode d'analyse progressive, l’approche modulaire est à même de pallier l’étendue et la complexité de la problématique qu’implique un tel élargissement de perspective. La description du niveau opérationnel a permis de saisir les différentes composantes (linguistique, textuelle et situationnelle) du produit discursif, ainsi que leurs combinaisons dans le cadre des formes d’organisation simples et complexes impliquées dans l’analyse des buts communicationnels des unités discursives de rangs différents. Alors que la description du niveau opérationnel du discours journalistique est centrée sur les combinaisons d’informations d’origines textuelle et praxéologique relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques minimales et intermédiaires, celle du niveau stratégique repose sur les combinaisons d’informations modulaires relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques maximales, en se référant à deux niveaux d’interaction distincts.

154 « Toute énonciation, même produite sans la présence d’un destinataire, est en fait prise dans une interactivité constitutive (on parle aussi de dialogisme), elle est un échange, explicite ou implicite, avec d’autres énonciateurs, virtuels ou réels, elle suppose toujours la présence d’une autre instance d’énonciation à laquelle s’adresse l’énonciateur et par rapport à laquelle il construit son propre discours » (Maingueneau 2000: 40).

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A un premier niveau, la transaction formée d’un ou de plusieurs épisodes réunis autour du même objet transactionnel (« la signature de l’accord de paix ») se combine avec l’échange potentiel entre l’auteur de l’article (journaliste, agence de presse) et le lecteur. La cohérence référentielle de l’ensemble formé par les unités discursives issues de cette combinaison repose sur l’homogénéité conceptuelle de celles-ci, sur des liens d’ordre praxéologique et sur leur appartenance à la même « scène générique » (Maingueneau 2000: 70), celle du discours de la presse écrite.

A un deuxième niveau, l’incursion entre l’instance médiatique et l’instance de réception se combine avec l’échange potentiel entre différents acteurs de la communication médiatico-politique en tant que fournisseurs et demandeurs d’informations concernant la vie politique. La cohérence référentielle de l’ensemble complexe auquel donne lieu cette combinaison repose principalement sur des liens d’ordre praxéologique entre les transactions qui le composent, sur des visées communicationnelles globales qui traversent et réunissent ces transactions et sur leur appartenance à la même « scène englobante » (la communication médiatico-politique) (ibid.).

L'analyse du niveau stratégique part des combinaisons d'informations d'ordres textuel et praxéologique relatives à la définition des unités textuelles et praxéologiques maximales pour approfondir la notion de visée communicationnelle issue de ces combinaisons. Les buts communicationnels des opérations discursives issues des combinaisons d’unités textuelles et praxéologiques intermédiaires s’inscrivent dans la visée communicationnelle globale des ensembles formés par les unités textuelles et praxéologiques maximales: « La visée illocutoire globale définit tout texte comme ayant un but (explicite ou non): agir sur les représentations, les croyances et/ou les comportements d'un destinataire (individuel ou collectif). […] A cette conduite dialogiquement orientée vers autrui à la production répond, symétriquement, le fait que comprendre un texte consiste toujours à saisir l'intention qui s'y exprime sous la forme d'un macro-acte de langage explicite ou à dériver de l'ensemble du texte. C'est ce mouvement interprétatif qui permet de déclarer «cohérent» un texte lu. La cohérence n'est pas une propriété linguistique des énoncés, mais le produit d'une activité interprétative. […] Le jugement de cohérence est rendu possible par la découverte d'(au moins) une visée illocutoire du texte ou de la séquence, visée qui permet d'établir des liens entre des énoncés manquant éventuellement de connexité et/ou de cohésion et/ou de progression » (Adam 1992: 22).

L’atteinte des buts communicationnels qui relèvent du niveau opérationnel ne représente en fait qu'une étape vers la réalisation des visées communicationnelles plus globales de l’instance médiatique et vers sa légitimation en tant qu’acteur de « la lutte pour la définition de la situation » (Windisch 1999) que constitue la communication politique. L'analyse du niveau stratégique de l'interaction médiatique vise à accorder un sens global et « une intentionnalité d'ensemble » (Adam 1999) aux unités discursives et aux buts communicationnels qui relèvent de son niveau opérationnel. « Le jugement de textualité et de cohérence globale est, en grande partie, fondé sur l’établissement,

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par l’interprétant, d’une signification d’ensemble. A condition toutefois de mettre cette intentionnalité globale en rapport avec la dimension sociodiscursive de toute action langagière. L’interaction verbale est d’abord conscience du sens d’une activité langagière donnée, dans une situation donnée, c’est-à-dire sentiment – plus ou moins clair certes – de faire quelque chose avec la langue, non seulement de dire, mais de modifier une situation (relations à autrui, images de soi, de l’autre et de l’objet du discours, connaissance d’autrui) » (Adam 1999: 31). Une telle analyse nécessite le recours à un grand nombre d’informations d’origines diverses et mobilise l’ensemble du dispositif modulaire. Nous faisons l’hypothèse que la problématique des stratégies discursives relève principalement des interrelations entre la visée communicationnelle globale des entités issues de la combinaison des unités praxéologiques et textuelles maximales (incursion, transaction – échange) et les formes d’organisation complexes du discours (topicale, polyphonique, compositionnelle et stratégique)155.

Il convient de préciser que l’attribution de la visée globale à une production discursive s’appuie à la fois:

(1) sur des principes généraux qui régissent l’interaction et la

communication verbales et (2) sur des règles spécifiques à chaque « mise en scène »

particulière. Ad (1) L’efficacité des stratégies discursives déployées par une instance

de production dépend, dans un premier temps, de l’application ou d’une éventuelle transgression des principes sur lesquels repose la communication verbale, tel le principe de coopération défini par Grice ou les principales lois du discours: lois de pertinence, de sincérité, d’informativité, d’exhaustivité, de modalité et de politesse. Ces lois sont constituées des règles qui jouent un rôle crucial dans le processus de compréhension des interventions textuelles. « Du seul fait qu’elles sont censées mutuellement connues des interlocuteurs, elles permettent en particulier de faire passer des contenus implicites » (Maingueneau 2000: 18).

Toute intervention implique en premier lieu qu’elle est pertinente, c’est-à-dire appropriée au contexte et au cotexte dans lesquels elle apparaît, ce qui amène le destinataire à chercher à confirmer cette pertinence. Si, par exemple, un quotidien place une information à la Une, pour faire part d’un événement, il implique que cette information est pertinente « là où elle est, comme elle est et pour le public à qui elle est destinée » (ibid.). En même temps il « légitime un

155 Il est à noter que nous adoptons ici une approche synchronique des stratégies discursives, centrée sur l’attention accordée aux unités discursives au sein des ensembles plus vastes en fonction du niveau d’interaction auquel elles se situent et sur l’impact de cette hiérarchisation sur les représentations discursives du lecteur, comme le suggèrent Herman & Chomsky (2003) dans l’extrait cité ci-dessus, et non pas une approche diachronique, qui consisterait en revanche à comparer des incursions successives afin de suivre la modification progressive des représentations discursives.

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type de communication journalistique », visant principalement à « modifier le stock d’informations du lecteur ».

Accord de paix en Bosnie: toujours le suspense

(Tribune de Genève, mardi 21 novembre 1995)

De même, si un autre quotidien fait la Une avec la phrase:

Les Etats-Unis tentent d’arracher la paix aux Bosniaques

(Journal de Genève et Gazette de Lausanne, mardi 21 novembre 1995)

il pose comme pertinent un titre qui ne prétend pas faire part du même

événement, mais qui constitue le commentaire de cet événement. En posant comme pertinent un tel commentaire à la Une, il conforte sa propre image de journal qui sait prendre de la hauteur par rapport aux événements et « légitime un type de communication journalistique dans laquelle le lecteur est censé attendre moins une modification de son stock d’informations qu’un enrichissement de sa compréhension du monde » (Maingueneau 2000: 20-21).

La loi de sincérité stipule que pour affirmer quelque chose on est censé pouvoir garantir la vérité de ce que l’on avance. Dans le cas du journalisme politique, l’application de cette loi relève du respect de la déontologie journalistique. Cependant, le dispositif dans lequel s’inscrit le discours journalistique ne manque pas de moyens pour transgresser cette loi, car, comme l’ont remarqué Herman & Chomsky (2003), la simple présence d’une information n’exclut pas la possibilité de sa distorsion.

Les autres lois du discours doivent être strictement respectées par le journaliste, au point même d’être explicitées dans les manuels du journalisme: les questions auxquelles est censé répondre le discours journalistique (qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? pourquoi ?) relèvent à la fois des lois d’informativité et d’exhaustivité (on ne doit pas parler pour ne rien dire et on doit donner l’information maximale eu égard à la situation). La transgression de cette loi dans les titres de presse constitue un moyen d’amener le lecteur à poursuivre sa lecture, en éveillant sa curiosité, comme c’est le cas de ce titre à la Une, extrait de notre corpus:

Ils ont fait la paix

(Le Nouveau Quotidien, mercredi 22 novembre 1995)

Cet exemple permet d’illustrer l’importance des principes de clarté, de

brièveté et concision, qui relèvent des lois de modalité (être clair dans le choix de ses mots et la construction de ses phrases et être économe, c’est-à-dire chercher la formulation la plus directe) dans le discours d’information médiatique.

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En tant qu’une relation sociale, la communication verbale est soumise finalement aux règles de politesse. Le seul fait d’adresser sa parole à quelqu’un, d’accaparer son attention est déjà une intrusion dans son espace, un acte potentiellement agressif. Transgresser une loi du discours (parler à côté du sujet, être obscur, ne pas donner les informations requises, etc.), c’est s’exposer d’être taxé d’ « impoli ». « Le discours journalistique est en quelque sorte légitimé par avance puisque c’est le lecteur lui-même qui l’a acheté. Le journal cherche à se présenter comme répondant à des demandes, explicites ou non, faites par ses lecteurs. Quand il propose une rubrique, il valorise la face positive du lecteur en s’intéressant à ses goûts ou ses besoins, en montrant qu’ils sont légitimes puisqu’il y répond; il valorise aussi sa propre face positive de locuteur en se présentant comme soucieux du bien-être de ses acheteurs » (id. 26).

La liste des lois de discours qui ont une portée générale peut être complétée par deux principes fondamentaux qui permettent d’expliquer plus particulièrement le fonctionnement du versant textuel des unités discursives (§ 2.3.1.), qui constitue la structure émergente d’un processus de négociation sous-jacent à toute interaction (Roulet 1985, Roulet et al. 1985). Il convient de rappeler que le modèle genevois part de l’hypothèse selon laquelle toute intervention langagière constitue une PROPOSITION, qui déclenche un processus de négociation entre les interactants (comportant minimalement trois phases: PROPOSITION, RÉACTION et RATIFICATION). Le développement et la clôture de ce processus sont liés à deux contraintes de complétude. La contrainte de complétude monologique est à la base de la définition de l’unité textuelle intermédiaire. « Par complétude monologique, nous entendons la nécessité, pour chaque phase de négociation (PROPOSITION, RÉACTION ou RATIFICATION), d’être formulée de manière suffisamment claire pour être évaluée par l’interlocuteur; sinon, celui-ci est obligé d’ouvrir une négociation secondaire pour clarifier l’intervention de l’autre. Cette visée de complétude monologique oblige les interactants à préparer et à motiver, éventuellement en introduisant celle-ci par une négociation secondaire, leur intervention, voire à reformuler celle-ci. Mais c’est l’interlocuteur qui évalue en dernier ressort la complétude monologique d’une intervention; par conséquent, l’intervention la plus complète, du point de vue du locuteur, peut donner lieu à l’ouverture d’une négociation secondaire par l’interlocuteur, s’il la juge incomplète » (Roulet 2001c: 57). Le principe de complétude dialogique est à la base de l’unité textuelle maximale. « Par complétude dialogique, nous entendons la contrainte du double accord, formulée dans Roulet et al. (1985), qui conditionne la clôture de toute négociation; elle implique qu’une RÉACTION ou une RATIFICATION négative entraîne une relance de l’intervention antérieure et donc une prolongation de la négociation, qui comportera non plus trois, mais cinq, sept, éventuellement davantage, interventions » (id. 58). Dans le cas du discours médiatique et de l’interaction entre l’instance de production/le journaliste et l’instance de réception/le lecteur, la complétude dialogique est réduite, le plus souvent, à la complétude monologique. L’absence de réponse de la part du lecteur et la contrainte de complétude dialogique qui garantit en quelque sorte la réussite de

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l’échange sont compensées par la redondance informationnelle du discours journalistique.

Ad (2) Les stratégies discursives du journalisme politique obéissent, dans

un deuxième temps, à des règles spécifiques, inscrites, d’une part, dans le contrat de communication médiatique (Charaudeau 1997) entre une instance de production et une instance de réception et, d’autre part, dans le contrat de communication politique entre différents acteurs de la vie politique dont chacun vise à imposer aux autres sa définition de la situation (Windisch 1999).

Pour ce qui concerne le contrat de communication médiatique, sa finalité est marquée par une tension entre deux visées contraires, une visée d’information et une visée de captation. Dans leur visée d’information, les médias sont confrontés en permanence à un problème de crédibilité, parce qu’ils tirent leur légitimité du « faire croire que ce qui est dit est vrai ». Pour se montrer crédible auprès de son destinataire, l’instance médiatique met en œuvre deux types d’activités langagières, lui permettant de rapporter les faits du monde et d’éclairer le destinataire de l’information sur les causes et les conséquences de l’apparition de ces faits. Par conséquent, la visée d’information se subdivise en une visée purement informative et en une visée explicative. Cette distinction est à la base du classement des genres de la presse écrite (genres à visée informative vs genres à visée explicative). A la différence de la visée d’information, qui tend à produire un objet de savoir, selon une logique civique: informer le citoyen; la visée de captation tend à produire un objet de consommation marchande selon une logique commerciale: capter le plus grand nombre pour survivre à la concurrence, mais aussi éthique: séduire pour éduquer (Charaudeau 1997: 73-77). « Le principe de plaisir sur lequel se fonde la visée de captation ne peut être dominant, ni se faire au détriment de la visée d’information sous peine de faire perdre au média sa légitimité. L’instance médiatique doit donc procéder à une mise en spectacle subtile du discours de l’information, qui doit s’appuyer à la fois sur les ressorts émotionnels prévalant dans chaque communauté socioculturelle et sur la connaissance des univers de croyance qui circulent dans ladite communauté » (id. 79). Le contrat de communication médiatique est marqué par une tension entre la finalité de faire savoir qui devrait tendre vers un degré zéro de mise en spectacle de l’information et satisfaire au principe de sérieux en produisant des effets de vérité et la finalité de faire ressentir qui devrait tendre vers des choix stratégiques appropriés de mise en spectacle de l’information et satisfaire au principe de plaisir en produisant des effets de séduction. « Plus ils tendent vers la première, dont les exigences sont d’austérité rationalisante, et moins ils satisfont à la visée de captation, perdant la possibilité de remplir leur rôle civique; plus ils tendent vers la seconde, dont les exigences sont d’imagination dramatisante, et moins ils satisfont à la visée de crédibilité. Les médias savent cela, et leur jeu consiste à naviguer entre ces deux pôles au gré de leur idéologie et de la nature des événements » (id. 80). Comme ces visées communicationnelles concernent le destinataire de l’information médiatique, elles relèvent du niveau stratégique de l’interaction, et plus particulièrement des cadres interactionnels réunissant le journaliste et son lecteur (pour les visées

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informative et explicative) et le quotidien et son lectorat (pour la visée de captation).

Dans l’étude des stratégies discursives du journalisme politique interviennent également d’autres règles, car « les médias se trouvent dans un champ de pouvoir complexe qui inclut plusieurs autres champs dont le point commun est que leur cible est le plus grand nombre: le champ des rapports socio-politiques dans lequel les médias se légitiment par une double action, de contrepouvoir vis-à-vis du monde politique en tant que tel, d’interface vis-à-vis de la société civile, au nom de la recherche d’une vérité; le champ des rapports économiques dans lequel les médias se légitiment par leur aptitude à engranger le plus possible de consommateurs d’information, ce qui les entraîne à séduire cette cible; le champ des rapports citoyens dans lequel les médias se légitiment par une aptitude à réaliser un projet éducatif de formation de l’opinion publique, ce qui les entraîne à séduire pour éduquer « (id. 79-80).

Quant aux règles spécifiques au contrat de communication politique, elles font partie d’une mise en scène particulière, celle de la « communication conflictuelle » et de la « lutte pour la définition de la situation » (Windisch 1999) engagée par les principaux acteurs de la vie politique (hommes politiques, journalistes, citoyens). Les visées communicationnelles globales du contrat de communication médiatique sont, du moins dans le cas du discours du journalisme politique, en partie déterminées par la visée globale de la communication et de l’argumentation politiques, qui consiste à tenter d’imposer aux autres son interprétation de la situation. A ce niveau d’analyse, les stratégies discursives sont déterminées par des règles de la déontologie journalistique, qui permettent de fixer le champ de liberté du journaliste par rapport à la loi156. 4.1.3. Les formes d’organisation impliquées dans l’analyse de la visée communicationnelle globale du discours médiatico-politique

L’approche modulaire des stratégies discursives du journalisme politique consiste à étudier les interrelations entre les visées globales de la communication médiatico-politique et les différents aspects de la complexité de l’organisation du discours: la hiérarchisation des informations sélectionnées en vue d'une définition de la situation (4.1.3.1.), deux temps de lecture d'un journal et les tensions entre la voix de la rédaction du journal et celle du journaliste (4.1.3.2.), les fonctions contextuelles et cotextuelles de différents types de séquences textuelles (et non-textuelles) et leurs effets compositionnels (4.1.3.3.), ainsi que les relations de faces et de places qui s'établissent entre l'instance de production et l'instance de réception par le biais du produit médiatique (4.1.3.4.).

156 « La liberté de presse doit être respectée tant que le journal accomplit sa mission (critique, contrôle, information, échange d’opinion), mais non plus lorsqu’il blesse inutilement autrui » (Béguin 1988: 67). « S’agissant du droit pénal et des délits contre l’honneur, on peut dire que la presse suisse est consciente de ses responsabilités, mais qu’elle n’échappe pas à la pression de la curiosité publique » (id. 53).

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4.1.3.1. Les interrelations entre les visées communicationnelles du discours du journalisme politique et sa structure topicale

Après avoir observé ses interrelations avec les buts communicationnels des unités opérationnelles, nous nous intéresserons à la manière dont l’organisation topicale intervient dans l’analyse des stratégies discursives, en étudiant ses interrelations avec les visées communicationnelles du discours journalistique. Nous partons des observations suivantes:

(1) Les différentes visées communicationnelles (informative, explicative etc.) de l’instance de production influent sur l’organisation topicale des unités discursives qui composent le produit discursif.

(2) L’organisation topicale influe, pour sa part, sur l’interprétation de cette visée communicationnelle par l’instance de réception. Une analyse comparative de la manière dont deux quotidiens (TG et JG) ont effectué la sélection, la hiérarchisation et le traitement des informations relatives au même événement politique nous permettra d’approfondir ces observations (Annexe 10).

Ad (1) La visée communicationnelle de l’instance de production influe tout d’abord sur la sélection des informations censées intéresser l’instance de réception. Le nombre et le type d’informations sélectionnées différencient les transactions analysées: celles-ci portent sur le même objet transactionnel (la signature des accords de Dayton) mais s’inscrivent dans deux incursions distinctes. Ainsi, la TG a réservé à la signature des accords de Dayton une surface rédactionnelle et un nombre d’interventions deux fois plus important que le JG. Les informations sélectionnées par ces deux quotidiens donnent lieu à deux macro-structures conceptuelles, organisées autour des concepts premiers différents, respectivement ceux de SIGNATURE DE L’ACCORD DE PAIX, de SIGNATAIRES, de RÔLE DE L’EUROPE DANS L’APPLICATION DE L’ACCORD, de DÉROULEMENT DE LA CÉRÉMONIE SOLENNELLE, de DISPOSITIONS DE L’ACCORD DE PAIX et de RÉACTIONS À LA SIGNATURE DE L’ACCORD DE PAIX (pour la TG), voire de DÉROULEMENT DE LA CÉRÉMONIE SOLENNELLE et de RÔLE DES ÉTATS-UNIS DANS L’APPLICATION DE L’ACCORD (pour le JG).

Les macro-structures conceptuelles élaborées par ces deux quotidiens diffèrent non seulement du point de vue du nombre et de la diversité des concepts premiers (dont sont dérivées les structures conceptuelles des articles de presse qui composent ces transactions) mais également du point de vue des rapports de subordination entre ces concepts. Alors que les rapports de dérivation conceptuelle relèvent de la sélection des informations, les rapports de subordination conceptuelle sont liés à la hiérarchisation des informations sélectionnées, dans le cadre de leur mise en page et « mise en scène » par l’instance de production. « Cette mise en scène est le moyen par lequel un journal attire, détourne, accroît, diminue ou rentabilise l’attention du lecteur » (Kayser 1967). La mise en page est une tentative de guider le lecteur. « La mise en page ordonne et hiérarchise les informations, les éléments visuels d’un journal,

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détermine le choix du lecteur » (Favez, Richard & Windisch 1987: 91)157. La sélection et la hiérarchisation des informations, dans le cadre de la mise en scène choisie par l’instance de production en fonction du public visé, concernent aussi bien l’incursion que les transactions qui la composent. L’emplacement (gauche/droite et haut/bas) et la tache visuelle (surface, couleur, titre/surtitre, mots chocs, caractères typographiques, illustration) à l’intérieur d’une page nous permettent de déterminer les concepts principaux développés dans la TG et le JG dans le cadre de la même transaction, respectivement ceux de SIGNATURE DE L’ACCORD DE PAIX et de DÉROULEMENT DE LA CÉRÉMONIE SOLENNELLE. L’emplacement et la tache visuelle au sein de l’incursion (à la Une, sur une page de gauche ou de droite) permettent de déterminer l’importance relative accordée à cet événement médiatique par l’instance de production. La signature des accords de Dayton représente l’événement du jour dans la TG: y sont consacrés le gros titre à la Une accompagné d’une photographie en couleur, l’éditorial accompagné d’un dessin humoristique à la page 2, et une page (de droite) entière. Le même événement occupe une place secondaire dans le JG: il est simplement annoncé à la Une (dont la surface est réservée à deux autres événements) et fait l’objet de trois articles figurant sur une seule page (de gauche).

Finalement, la visée communicationnelle attribuée par l’instance de production à une unité discursive influe sur le traitement de l’information. La même information n’est pas traitée de la même manière dans le titre et dans le texte de l’article, dans les articles de fond et dans les articles d’information courante. Si nous prenons l’exemple de la redondance informationnelle, qui constitue l’une des principales caractéristiques de l’organisation topicale du discours journalistique, nous pouvons constater que le taux de redondance varie en fonction de la visée communicationnelle des unités discursives concernées. Ainsi le texte de l’article (à visée informative ou explicative) est plus marqué par la redondance informationnelle que le titre (marqué par la visée de captation). « Le lecteur du journal saute environ 50% des mots. Il supprime ce que l’on nomme les redondances. Mais ces redondances ne sont pas inutiles, elles forment ce que les journalistes appellent « le ciment de la phrase ». Si leur taux est trop faible (30% environ), la lecture devient malaisée, le lecteur abandonne ; de même, si le taux est trop élevé, le texte, lui, paraîtra creux, donc en ce qui concerne le texte lui-même, la proportion de 50% d’information et de 50% de ciment est bonne. Dans le titre, on peut aller au moins jusqu’à 80% de mots chargés d’information. D’où l’importance pour le rédacteur de trouver un titre accrocheur et, pour nous, l’importance de comprendre la fonction de ce titre (argumentation de vente, relance du débat polémique …) » (id. 92). L’analyse de

157 « A l’intérieur d’une page, certains emplacements retiennent davantage l’attention. On sait que les articles du bord de page sont beaucoup plus « accrocheurs » (ils ne sont pas entourés de tous côtés par d’autres textes) et ceci d’autant plus qu’ils figurent sur une page de droite en haut. Ces quelques constatations sont pourtant insuffisantes pour justifier de l’importance donnée à une information. Il faut également tenir compte de la « tache » visuelle que l’article laisse au lecteur par ces caractères typographiques, par d’éventuelles couleurs utilisées, par sa longueur (il existe un seuil au-delà duquel les lecteurs ont plus de peine à « entamer » une lecture), par ses illustrations, par sa justification (colonnes) » (ibid.).

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l’organisation topicale d’un extrait de notre corpus (Figures 38) en fournit une illustration : les concepts premiers qui seront développés dans le texte sont introduits dans le titre et le sous-titre. Le même exemple permet d’illustrer des parallélismes entre l’organisation topicale des articles à visée informative et les principales questions auxquelles est censé répondre le discours journalistiques (qui ? quoi ? où ? quand ? comment ?). Les articles à visée explicative essaient en revanche d’aller plus loin dans la présentation de l’événement, dont ils dévoilent les causes et les conséquences ou approfondissent l’un des aspects. Ainsi, le commentaire extrait du JG vise à dénoncer la mise en scène de la cérémonie de signature, en insistant sur l’écart entre le comportement de ses protagonistes dans la vie réelle et celui issu de leur rôle dans ce que le commentateur qualifie de « spectacle parisien ». La structure topicale de ce texte repose sur l’opposition entre deux concepts: celui d’ÊTRE et celui de PARAÎTRE. La juxtaposition des propriétés conceptuelles appartenant à deux registres distincts issus de ces concepts permet au commentateur d’exprimer une attitude à la fois critique et distanciée envers certaines personnalités politiques, en laissant au lecteur la possibilité d’interpréter comme ironiques certains procédés, susceptibles d’être associés aux deux registres. Tel est le cas de l’intervention correspondant aux actes [18] à [24], qui prendrait un autre sens en dehors de la mise en scène – qui relève du concept de PARAÎTRE – dénoncée par le commentateur (pour la prise en charge énonciative de la même intervention, voir plus loin 4.1.3.2.):

[18] Bill Clinton parle aujourd’hui en termes de realpolitik. [19] Le plan de paix entérine de fait la division du pays ? [20] Que diable, [21] répondent les Américains, [22] on ne peut pas tout préserver à la fois ! [23] La « grâce de Dieu » et les Etats-Unis ont sauvé à la fois l’ « intégrité » de la

Bosnie et l’honneur de la communauté internationale, [24] n’en demandez pas plus …

Nous proposons la représentation schématique suivante de l’organisation topicale de cet article à visée explicative (le découpage et la numérotation des actes textuels figurent dans l’Annexe 7):

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CEREMONIE DE SIGNATURE

Figure 43 : L’organisation topicale d’un article à visée explicative

ÊTRE PARAÎTRE

PROTAGONISTESDEROULEMENT PROTAGONISTESDEROULEMENT

1. 12. jeu de rôles 2. tout paraissait si lisse, hier à l’Elysée

4-5. on s’efforce de figer l’histoire

5. un beau cadre doré

6. les gestes rituels 6. un souci purement télégénique7. belles promesses

8-9. Pour un peu, on y croirait.

10. de profonds ressentiments 10. une poignée de main

3. cérémonie de signature

11. un trait de plume11. arrière-pensée

13. un hôte euphorique

14. une vedette américaine

CHIRAC IZETBEGOVIC CLINTON MILOSEVIC14. exercice

15. le grand manitou de la paix18-24. parle en termes de realpolitik

25. le spectacle parisien

25. autre personnage remarqué27. sa prestation futmagistrale

MILOSEVIC

28. responsable de laguerre d’agression etfervent promoteur de la « purification ethnique »

29. businessman de la paix

30. sans remords

31. l’allure d’un agneau

35-36. crimes de guerre

32-34. il a prononcéson discours en anglais, comme pour marquer son appartenance au cénacle des dirigeants internationaux

40-42. une « potion amère »43-51. ses mots ont sonné le plus juste,en défendant encorel’idéal d’une sociétéouverte et multiethnique

7. les discours

8-9. pour un peu, on y croirait

CLINTON

14. une vedette américaine16. la morale internationale17. torpillant les initiatives de paix européennes

31. le loup

37-39. se sort bien de cette sale guerre

La structure conceptuelle sur laquelle repose l’organisation topicale de ce commentaire constitue le cadre permettant au commentateur de faire des digressions, d’exprimer son point de vue sur d’autres questions, de prendre position et proposer sa définition de la situation, comme dans l’intervention correspondant aux actes [35] à [39], dans laquelle le journaliste explique les conséquences de la signature de l’accord de paix: [35] Il [SLOBODAN MILOSEVIC] sait qu’il ne sera jamais jugé pour les crimes de

guerre, commis par les autres [36] (CRIMES DE GUERRE) mais incités par sa politique nationaliste. [37] Somme toute, Slobodan Milosevic se sort bien de cette sale guerre; [38] la « pax americana » a partiellement consacré son rêve de « Grande Serbie », [39] et elle [LA PAX AMERICANA] lui donne toute latitude pour consolider son pouvoir.

Une analyse comparative des rapports de dérivation entre concepts dans deux textes journalistiques, l’un à visée informative l’autre à visée explicative

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(Figures 38 et 43), fournit ainsi une riche illustration de l’influence de la visée communicationnelle sur l’organisation topicale du discours.

Ad (2) La compréhension de la visée communicationnelle de l’instance de production demande un certain effort interprétatif de la part de l’instance de réception. L’interprétation des visées communicationnelles d’un texte à partir de son organisation topicale met en évidence l’autre aspect de leurs interrelations. Dans cette interprétation accèdent au premier plan les interrelations entre la visée de captation et la hiérarchisation des informations, qui relèvent du premier niveau de lecture.

Si nous analysons, du point de vue de l’organisation topicale, des ensembles issus de la combinaison d’unités praxéologiques et textuelles maximales, nous pouvons observer que la mise en exergue visuelle des unités péritextuelles, ainsi que la disposition des unités discursives dans la même transaction et l’ordre des transactions au sein de la même incursion opèrent une hiérarchisation d’informations aussi bien au niveau d’un article de presse qu’à celui d’une page de journal ou du journal entier. Le traitement d'informations et, plus spécifiquement, la bonne ou la mauvaise présentation d'une information dépendent de l'emplacement visuel des unités discursives au sein d'une incursion ou d'une transaction et de la visée communicationnelle globale des ensembles d'unités discursives observées. Les unités discursives qui relèvent du premier temps de lecture, qui appartiennent au niveau d'interaction le plus élevé (réunissant l'instance de production et l'instance de réception) et qui ont une double visée communicationnelle de captation et/ou d'information (titres incitatif et/ou informatifs) sont caractérisées par une manière de résumer le texte suffisamment claire pour une lecture partielle et superficielle, mais aussi suffisamment vague pour ne pas détourner le lecteur de la lecture intégrale du texte, censée lui apporter une information plus complète.

En revanche, les unités discursives qui relèvent du deuxième temps de lecture, qui appartiennent au niveau d'interaction emboîté dans le premier (réunissant le journaliste et son lecteur), à visée communicationnelle informative et/ou explicative (articles d'information courante et articles de fond) sont caractérisées par un degré plus ou moins élevé de redondances informationnelles, qui assurent une meilleure réception de l'information. Les deux modes de traitement d'informations sont complémentaires. Ainsi, dans l’article à visée informative extrait de la TG, le journaliste, après avoir exigé de la part du lecteur un niveau de connaissances préalables et un certain effort interprétatif : «neuf hommes signent une paix fragile», introduit d'éventuelles informations qui manquent : «on a vu Slobodan Milosevic, Franjo Tudjman, Alija Izetbegovic», «cette cérémonie de signature de l’accord de paix en Bosnie-Herzégovine», «les présidents de Serbie, Croatie et Bosnie».

Alors que la compréhension des articles à visée informative est assurée par un taux élevé de redondances informationnelles, la compréhension des articles à visée explicative demande un niveau de connaissances préalables plus élevé et un effort interprétatif plus important. Les principaux concepts des articles à visée informative deviennent secondaires – ou sous-entendus – dans les articles à visée

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explicative, tels les concepts de CÉRÉMONIE DE SIGNATURE, de PROTAGONISTES, d’OBJET, de LIEU, de TEMPS, de DÉROULEMENT, dans les actes [1], [2], [6] et [7] du commentaire du JG: [1] (LA CEREMONIE DE SIGNATURE) Jeu de rôles à l’Elysée [2] Tout paraissait si lisse, hier à l’Elysée. [6] Les gestes rituels sont accomplis avec un souci purement télégénique, [7] les discours sont emplis de belles promesses et de bonnes intentions. En fait, la compréhension des articles à visée explicative présuppose celle des articles à visée informative: les informations introduites dans les premiers deviennent des points d’ancrage à de nouvelles informations développées dans les seconds. 4.1.3.2. Les interrelations entre les visées communicationnelles du discours du journalisme politique et sa structure polyphonique

La mise en relation de la structure textuelle et de la dimension interactionnelle du discours journalistique permet de rendre compte de la complexité de son organisation polyphonique, marquée par la présence d’une pluralité de voix, celles des protagonistes de l’événement qui fait l’objet du texte, emboîtées dans celle du journaliste, à laquelle se superpose la voix de la rédaction du journal. L’analyse du niveau opérationnel de l’interaction médiatique, du point de vue de son organisation polyphonique, nous a permis de dissocier l'interaction entre le scripteur et le lecteur de celle représentée dans le discours. Nous nous concentrerons ici sur la manière dont la dimension interactionnelle intervient au niveau stratégique, où elle permet de dissocier l'interaction entre le quotidien et son public de l'interaction entre le journaliste et son lecteur. Nous examinerons plus particulièrement l'organisation polyphonique du produit discursif à la lumière de visées communicationnelles poursuivies par deux instances qui occupent des positions d'interaction distinctes et appartiennent à des niveaux d'interaction différents: le journaliste et la rédaction du journal.

L'analyse du niveau stratégique de l’interaction médiatique, du point de vue de son organisation polyphonique, consiste à extraire de la pluralité des voix caractéristique du discours médiatique celle qui reflète la ligne rédactionnelle du journal étudié et qui relève du niveau d’interaction le plus élevé. Nous faisons deux hypothèses, que nous vérifierons à partir de l’exemple précédent de deux transactions portant sur le même objet transactionnel et s’inscrivant dans deux incursions différentes, qui réunissent deux quotidiens TG/JG et leurs lectorats respectifs:

(1) Dans la mesure où elle est déterminée par le niveau d’interaction dont relèvent les unités discursives concernées, la visée communicationnelle du discours du journalisme politique est directement liée à son organisation polyphonique.

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(2) Le discours journalistique est marqué par des tensions entre plusieurs visées communicationnelles, associées à une diversité des voix, dont certaines relèvent des cadres interactionnels distincts.

Ad (1) Si nous comparons les deux transactions du point de vue de la prise en charge énonciative de leurs titres et des textes que ces titres annoncent, nous pouvons observer la juxtaposition des discours produits par différents journalistes (auteurs de textes différents), auxquels se superpose le discours produit par la rédaction du journal.

Un parallélisme peut ainsi être établi entre la visée communicationnelle et le cadre interactionnel dont relève le discours étudié. La visée de captation relève plus spécifiquement du cadre interactionnel réunissant le quotidien et son lectorat. Elle est présente dans le traitement des informations dans la titraille, ainsi que dans la sélection et la hiérarchisation des informations à travers la mise en page de textes journalistiques. Susceptible de renforcer ou de diminuer l’efficacité des stratégies discursives déployées par le journaliste, plus ou moins mises en valeur, la visée de captation influe sur les visées d’informations et d’explication, qui relèvent du cadre interactionnel réunissant le journaliste et son lecteur. Les voix de la rédaction du journal et des journalistes s’entremêlent ainsi tout au long de l’incursion.

Ad (2) L'organisation polyphonique est impliquée dans l'étude des

tensions entre la voix de la rédaction du journal et celle du journaliste, dont la première se fait entendre au cours du balayage vertical d'une page de journal et du journal dans son ensemble, et la deuxième dans la lecture intégrale du texte d'un article de presse. C'est la première qui donne le ton à l'ensemble des textes réunis sur la même page et/ou dans le même journal.

La présence de ces tensions, sous une forme spécifique au discours du journalisme politique, est évoquée dans le modèle de propagande élaboré par Herman & Chomsky (2003). Selon ces auteurs, plusieurs « filtres » participent à la création du discours journalistique, de manière à ce que les voix des journalistes se mettent à l’unisson, que ces journalistes parlent d’une seule voix ou sans créer de dissonance par rapport à la ligne officielle. La stratégie discursive du journaliste consisterait à adhérer plus ou moins ou à s’éloigner plus ou moins de la voix dominante (par ex. les éditoriaux de presse reflètent la voix dominante), tandis que la stratégie discursive de la rédaction du journal viserait à articuler ces différentes voix en une seule. Le consensus serait, d’après ces auteurs, le résultat du filtrage des informations, voire de l’omission d’un certain nombre d’informations qui ne conviennent pas aux intérêts économiques et politiques des milieux influents, auxquels l’instance de production serait entièrement soumise. Sans adhérer au « modèle de propagande » de Herman & Chomsky, visant à expliquer le fonctionnement de certains médias américains, sans même nous permettre aucune réflexion sur la dimension idéologique du discours du journalisme politique – car une telle réflexion nous mènerait inévitablement, en tant que linguiste, vers la production d’un autre discours idéologique – nous ne pouvons pas faire abstraction de ces tensions, plus ou

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moins marquées, entre les visées communicationnelles diverses, inhérentes aux productions discursives qui font l’objet de notre analyse, et qui sont au cœur de la problématique des stratégies discursives du journalisme politique et, plus particulièrement, de sa dimension polyphonique.

C'est en termes de tensions entre deux voix différentes que nous expliquons la différence entre deux articles à visée explicative, dont le premier reflète l'opinion du commentateur (le commentaire du JG, dont la structure topicale a été analysée dans la section précédente) et le second la voix de la rédaction du journal (l'éditorial de la TG). Alors que le commentaire du JG permet d'illustrer les tensions entre les voix du commentateur et de la rédaction du journal, l'éditorial de la TG fournit l'exemple d’un texte journalistique caractérisé par l'absence de tensions entre deux voix relevant des cadres interactionnels distincts. L'analyse comparative de ces deux textes journalistiques à visée explicative peut servir d'illustration des interrelations entre les formes d'organisation polyphonique et topicale dans l'étude des stratégies discursives du journalisme politique (4.1.3.4.). 4.1.3.3. Les interrelations entre les visées communicationnelles du discours du journalisme politique et son organisation compositionnelle

La mise en relation des structures opérationnelle et compositionnelle du discours journalistique a fait ressortir des parallélismes entre les buts communicationnels des unités opérationnelles et les fonctions des séquences textuelles correspondantes. Dans l’analyse comparative de deux articles de presse, nous n’avons abordé que les aspects de l’organisation compositionnelle qui relèvent du niveau opérationnel (§ 4.1.1.3.), et plus particulièrement les fonctions co-textuelles de séquences discursives identifiées dans le cadre de l’analyse séquentielle. Si nous étendons l’analyse aux ensembles plus vastes (issus de la combinaison d’unités textuelles et praxéologiques maximales) dans lesquels prennent place les deux articles étudiés, ainsi qu’à d’autres aspects de l’organisation compositionnelle, nous pouvons observer qu’à la pluralité des voix et des visées communicationnelles du discours journalistique correspond la diversité compositionnelle de la surface rédactionnelle. Cette diversité est liée aussi bien à l’hétérogénéité séquentielle des unités textuelles elles-mêmes qu’à l’hétérogénéité des moyens, langagiers et non langagiers, mis en œuvre en vue de la réalisation de visées communicationnelles différentes.

Nous reprendrons l’exemple de deux transactions portant sur le même objet transactionnel, qui s’inscrivent dans deux incursions différentes (TG/JG et leurs lectorats respectifs) afin d’approfondir les observations suivantes:

(1) Au niveau de l'échange entre le journaliste et le lecteur, des parallélismes peuvent être observés entre les propriétés formelles des séquences textuelles et leur visée communicationnelle.

(2) Au niveau de l’échange entre le quotidien et son lectorat, des interrelations peuvent être établies entre les fonctions contextuelles des

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séquences discursives et la visée communicationnelle des unités dans lesquelles ces séquences prennent place.

Ad (1) Dans le modèle genevois, la question de la catégorie typologique de segments textuels n’est pas confondue avec celle de leur marquage formel. « Si le statut typologique d’une séquence renvoie à la nature des infrastructures textuelles sur lesquelles elle se fonde, le marquage formel relève d’un « effet compositionnel » de surface qui en constitue une modulation » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 340). Alors que l’identification de séquences textuelles repose sur la combinaison d’informations modulaires d’ordres hiérarchique et référentiel, l’étude des effets compositionnels s’appuie principalement sur « des instructions lexicales et l’identification de relations de discours spécifiques qui permettent de caractériser le marquage formel de segments discursifs » (ibid.). Le modèle genevois distingue trois types d’effets compositionnels susceptibles d’affecter une séquence discursive, indépendamment de la catégorie typologique dont celle-ci relève. Les effets narratifs sont liés à « la présence d’organisateurs temporels, la mise en place d’une configuration temporelle articulée autour d’un premier plan (passé simple) et d’un arrière-plan (imparfait, plus-que-parfait), ainsi que la manifestation de relations interactives de préalable et de succession » (id. 341). « Les effets argumentatifs se manifestent par la fréquence des connecteurs, des expressions modales, du lexique axiologique méliorant ou péjorant, ainsi que par la mise en place d’une configuration verbo-temporelle basée sur la récurrence du présent de l’indicatif, du futur et du passé composé. De plus, au plan relationnel, ces effets argumentatifs se trouvent renforcés par l’émergence de relations interactives génériques telles que celles d’argument, de contre-argument, de reformulation et de clarification » (ibid.). Quant aux effets autotéliques, ils « renvoient à la dimension auto-référentielle du discours, et résultent notamment des parallélismes phoniques, lexicaux, sémantiques, syntaxiques et textuels que peuvent présenter, globalement ou localement, les productions verbales » (ibid.).

Si le marquage formel des séquences textuelles est indépendant de la catégorie typologique dont elles relèvent, il peut être associé à la visée communicationnelle des unités concernées. Si nous reprenons l’exemple de l’article à visée informative publié dans la TG (Annexe 5), qui fait partie de la première transaction, nous pouvons y observer, à côté d’une structure praxéologique d’histoire, la présence des effets narratifs dans l’intervention qui ouvre le texte de l’article < Snarr1 [6-14] > : la fréquence des relations interactives de préalable et de succession, ainsi que l'alternance passé simple/imparfait, dans les actes [9], [12] et [14], qui produit un effet de contraste, souligné par le connecteur en revanche dans l'acte [14]. < Sdescr1 [1-5] < Snarr1 [6-14] > < Sdélib1 [15-18] > Sdescr1 [19-65] >

Dans cet exemple, les effets narratifs ne font que confirmer la visée informative de cet article dont le but communicationnel est de rapporter et de commenter un certain nombre de faits et de dits relatifs au déroulement de la

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cérémonie de signature des accords de Dayton. Le segment textuel correspondant à l’unité discursive en position initiale donne le ton à l’ensemble du texte.

Dans le cas de l’article publié dans le JG (Annexe 6), qui fait partie de la deuxième transaction, la séquence descriptive < Sdescr1 [24-35] < Sdescr2 [36-39] > Sdescr1 [40-61] > est marquée par la présence de nombreux effets narratifs: la fréquence des relations interactives de préalable et de succession (pour sa structure hiérarchique/textuelle voir les Figures 21 et 22), l’alternance du premier plan et de l’arrière-plan (< Sdescr2 [36-39] >) et la présence d’organisateurs temporels (puis, ensuite, à 13 h. 30, etc.). < Sdélib1 [1-23] < Sdescr1 [24-35] < Sdescr2 [36-39] > Sdescr1 [40-61] > Sdélib1 [61] >

Cependant, comme cette séquence a, sur le plan de l'organisation relationnelle, la fonction d'argument par rapport à la séquence délibérative subordonnante, marquée, quant à elle, par de nombreux effets argumentatifs, nous postulons que ces deux séquences forment une unité discursive à visée à la fois informative et explicative. L'analyse de son organisation topicale permet de le confirmer, car sa structure conceptuelle (Figure 10) dépasse de loin le cadre du déroulement de la cérémonie solennelle, en situant l'événement en question dans une problématique plus générale du fonctionnement du média télévisuel.

La titraille est marquée par de nombreux effets autotéliques (Sullet-Nylander 1998) de même que les segments textuels correspondant aux unités discursives en position finale, comme c'est le cas des segments textuels qui se trouvent à la fin des interventions [6-18] et [19-65] de l'article publié dans la TG: [15] Trois idées ont dominé toutes les interventions de ce jour décisif: [16] on retient son souffle devant une paix fragile, [17] on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants, [18] et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la

communauté internationale. [64] « Vous avez vu ce que la guerre a engendré. [65] Vous savez ce que la paix peut apporter ! »

Ainsi, des parallélismes peuvent être établis entre les effets compositionnels narratif, argumentatif et autotélique et les visées communicationnelles correspondantes, respectivement les visées informative, explicative et de captation.

Ad (2) Aux effets argumentatifs qui marquent des segments textuels, on peut ajouter les effets argumentatifs produits par la titraille et les illustrations qui introduisent et accompagnent les séquences textuelles. Alors que les premiers sont liés aux fonctions co-textuelles des séquences discursives, les seconds concernent plus spécifiquement les fonctions contextuelles des unités,

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langagières et non-langagières, constitutives du discours de la presse écrite et de l’argumentation journalistique (Demers 1995).

L’étude des fonctions contextuelles des séquences discursives, qui permet de « réarticuler l’analyse séquentielle avec les genres d’activités qui s’y trouvent impliqués » (id. 347), fait intervenir des informations d’ordre référentiel. L’importance de la dimension référentielle dans l’analyse de l’organisation compositionnelle a été relevée par Jean-Michel Adam (1992: 14). « D’un point de vue cognitif, il est aujourd’hui admis que les schémas prototypiques ne rendent, bien sûr, pas compte à eux seuls de tous les aspects de la compréhension et de la production des textes. Toutes sortes de connaissances entrent en jeu dans ces deux opérations (connaissances pragmatiques, connaissance des mondes représentés, etc.). La diversité des savoirs impliqués ne doit pas décourager la recherche, mais encore stimuler une conception systémique des processus et, dès lors, un travail sur les différents systèmes ou modules à considérer. Dans les tâches que représentent aussi bien la compréhension que la production, la connaissance de schémas prototypiques dote interprétants et producteurs d’un ensemble de stratégies de résolution de problèmes spécifiques » (1992: 14).

L’établissement des fonctions contextuelles consiste à spécifier les interrelations entre les visées communicationnelles et les séquences textuelles ou éléments non langagiers qui composent le discours journalistique.

Si nous analysons le discours de la presse écrite quotidienne, nous pouvons constater, dans un premier temps, que les différents constituants de son organisation compositionnelle participent de la visée de captation qui prédomine au premier niveau de lecture. La titraille, l’emplacement visuel de l’article et la présence d’illustrations jouent un rôle crucial au cours du balayage vertical d’une page de journal (Peytard 1975), en guidant le lecteur vers le choix des principaux thèmes sélectionnés par l’instance de production. A ce premier niveau de lecture, la visée de captation se combine avec deux autres visées communicationnelles de manière à transformer les unités péritextuelles concernées en lieux de véritables stratégies de captation. Des titres chocs, des images fortes, des illustrations sophistiquées, qui se substituent au texte de l’article ou qui vont au-delà des thèmes qui y sont abordés fournissent autant d’exemples de ces combinaisons très efficaces des visées informative et/ou explicative avec la visée de captation. Si nous réexaminons les deux transactions portant sur la signature des accords de Dayton (TG, JG), nous y retrouvons quelques illustrations de ces stratégies de captation: le gros titre et la photographie à la Une, la caricature à la page 2 de la TG, la photographie à la page 4 du JG. Nous retrouvons aussi d’autres exemples de stratégies de captation très efficaces dans LC et le NQ (Annexe 10).

Après avoir imposé au lecteur une première définition de la situation, à travers la hiérarchisation des informations sélectionnées, il ne reste plus à l’instance de production qu’à approfondir cette définition à travers les procédés qui relèvent du deuxième niveau de lecture, marqué par la prédominance des visées informative et explicative. A ce niveau, qui est celui de l’échange entre le journaliste et son lecteur, la visée de captation reste cependant importante, car le journaliste ne doit pas non plus lasser son lecteur et l’amener à abandonner la lecture. L’hétérogénéité compositionnelle des articles de presse réunis dans une

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page de journal résulte ainsi des combinaisons diverses entre la visée de captation et les visées informative et explicative, qui interviennent à des proportions différentes au premier et au deuxième niveaux de lecture.

L’établissement des fonctions contextuelles des séquences discursives met en évidence la nécessité de la prise en considération, dans le cadre d’une analyse dynamique des stratégies discursives, de l’ensemble des formes d’organisation impliquées dans l’analyse des visées communicationnelles du discours journalistique. 4.1.3.4. Les interrelations entre la visée communicationnelle du discours du journalisme politique et son organisation stratégique

L’analyse de l’organisation stratégique permet de relier l’ensemble des formes d’organisation qui interviennent dans l’étude des visées communicationnelles dans une approche unifiée et dynamique des stratégies discursives. L’étude de l’organisation stratégique vise à décrire « les relations de faces et de places entre les interactants » (Roulet, Filliettaz & Grobet 2001: 50). « Il s’agit d’une forme d’organisation complexe, qui relève manifestement d’un traitement modulaire, tant elle fait intervenir de dimensions (lexicale, syntaxique, interactionnelle, référentielle, hiérarchique) et de formes d’organisation (en particulier relationnelle, topicale, polyphonique) différentes » et qui « du fait même de ce nombre et de cette diversité résiste le plus à une description systématique » (id. 351).

L’étude de l’organisation stratégique du discours journalistique est centrée sur les rapports complexes qui s'établissent entre l'instance de production et l'instance de réception par le biais du produit médiatique, mais en tenant compte des relations qui unissent l’ensemble des acteurs de la communication politique. Car le journaliste est tiraillé entre, d’une part, son souhait de mettre au courant le lecteur d’un certain nombre de faits et de dits, de lui expliquer et dévoiler leurs causes et leurs conséquences, de dénoncer et de critiquer certains comportements et, d’autre part, son devoir de respecter l’éthique journalistique (Béguin 1987).

En fonction de la manière dont on conçoit les rapports entre les différentes instances de la communication médiatique, il est deux approches diamétralement opposées de la problématique des stratégies discursives du journalisme politique, tout aussi conformes l’une que l’autre à la définition des stratégies discursives proposées dans le premier chapitre.

La première, proche du modèle de propagande élaboré par Herman & Chomsky (2003), consiste à situer les stratégies discursives dans le champ de manipulation de l’instance de réception par l’instance médiatique. A une telle définition correspondrait le schéma du discours du journalisme politique conçu comme instrument de propagande, dans lequel l’instance de production serait entièrement dépendante de la source d’information, tandis que l’instance de réception serait réduite à la cible d’un discours de propagande. Les unités discursives relevant du premier temps de lecture, lieu de prédilection des stratégies discursives, s’y transformeraient en un espace de manipulation,

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facilitant à l’instance de production d’orienter la lecture, de bien ou mal présenter une (dés)information.

La deuxième, à laquelle nous adhérons, consiste à situer les stratégies discursives dans le champ de liberté du journaliste158, dans son espace d’individuation par rapport aux contraintes situationnelles. Ces contraintes sont de natures diverses, externes (la ligne rédactionnelle du journal, les « filtres » évoqués par Herman & Chomsky, le droit du citoyen à être informé) et internes (les processus opérationnel issus des différents temps de lecture du journal). Les stratégies discursives ne sont pas manipulatrices en elles-mêmes, dans la mesure où elles visent à assurer une meilleure réception de l'information. Dans la mesure où elles contribuent à imposer une définition de la situation, qui est nécessairement partielle et partiale, elles sont, certes, susceptibles d’être utilisées à des fins manipulatrices, mais le lecteur a, pour sa part, la possibilité de ne pas se laisser manipuler. « Une société démocratique admet, encourage et assure l’existence d’un pluralisme permettant au public – supposé adulte, « majeur et vacciné » - de former lui-même sa propre opinion à travers la diversité des avis exprimés » (Béguin 1988: 189). A cette approche correspond le schéma tripartite de l’échange médiatique (incluant une source d’information, une instance de production et une instance de réception).

Pour qualifier les relations de faces et de places propres au discours du journalisme politique, nous procéderons à la combinaison d’informations d’origine interactionnelle, relatives à l’une des propriétés matérielles du cadre interactionnel – le lien unidirectionnel entre l’instance de production et l’instance de réception et le lien unidirectionnel (exceptionnellement le lien de réciprocité partielle) entre le journaliste et son lecteur – avec les informations issues de la forme d’organisation topicale, relatives à la visée communicationnelle globale du discours journalistique – proposer au lecteur une définition de la situation. Du fait de l'absence d'un véritable dialogue entre les participants à l'interaction médiatique (le lecteur n’ayant pas la possibilité de réponse immédiate au journaliste) – la visée communicationnelle globale du discours du journalisme politique consiste, du point de vue de l'organisation stratégique, non pas à proposer mais à imposer une définition de la situation à l'instance de réception, tout en ménageant la face de celle-ci. Pour ménager la face de l’instance de réception, l’instance de production recourt aux différentes stratégies discursives et «interactives » qui visent à neutraliser le caractère unilatéral et unidirectionnel

158 La première approche met au premier plan, elle aussi, la liberté du journaliste, qui peut aller dans le sens de la manipulation du lecteur par l’instance médiatique ou s’opposer à cette manipulation et former une sorte de dissidence, quelque symbolique qu’elle soit. « Il est bien connu ... que les différents domaines médiatiques gardent une autonomie limitée, que certaines valeurs professionnelles et individuelles influent sur le travail médiatique, que la ligne politique générale n’est pas toujours parfaitement suivie et que les médias peuvent même s’autoriser quelques écarts – quelques reportages mettant en cause le point de vue dominant. Il en découle qu’une certaine dissidence permet de couvrir certains événements gênants ou inopportuns. Le fin du fin du système, c’est de démontrer qu’il n’est pas monolithique tout en veillant à ce que ces discordances marginales n’interfèrent en rien avec le consensus officiel » (Herman & Chomsky 2003: XI-XII).

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« de leur prétendu «dialogue» ou de leur prétendue «communication» » (Balle 1993). Ces stratégies sont plus ou moins efficaces en fonction de l'ensemble des propriétés matérielles de chaque type interaction. A la différence des presses télévisuelle et radiophonique, qui compensent le caractère unilatéral de leurs liens envers l'instance de réception en créant une sorte de co-présence communicationnelle – la presse écrite n'est pas en mesure de supprimer la distance spatiale et temporelle, qui la sépare de l'instance de réception et qui accentue le lien de non-réciprocité entre les interactants. C'est pourquoi elle recourt simultanément à des stratégies discursives et persuasives à visées communicationnelles diverses. En outre, l’instance de production doit mettre en valeur sa propre image en tant qu’acteur de la vie politique. C’est pourquoi les stratégies discursives de l'instance de production/journaliste doivent être soucieuses autant au droit des citoyens à une information de qualité qu’au respect des règles déontologiques qui régissent les relations de face et de place entre les journalistes et les autres acteurs de la vie politique et publique ou à la présence d’autres instances de production, dont les définitions de la même situation concurrencent la sienne et auxquelles elle doit s'imposer afin de garder ses lecteurs et en attirer d'autres.

Les stratégies discursives du journalisme politique sont marquées par des tensions entre des visées communicationnelles diverses, appartenant à des niveaux d’interaction différents. Nous faisons l'hypothèse que leur description relève du couplage d'informations d'origine interactionnelle (relatives aux propriétés matérielles du cadre interactionnel, voir § 2.1.1.) avec les informations issues des formes d'organisation opérationnelle (relatives aux processus opérationnels résultant des deux temps de lecture du journal), topicale (relatives à la bonne ou mauvaise présentation de l'information et à la définition de la situation proposée par l'instance de production), polyphonique (relatives à l'effet d'objectivation et de neutralité que produit la présence d'une pluralité de voix dans le discours du journalisme politique) et compositionnelle (relatives aux effets argumentatifs des séquences textuelles et des unités opérationnelles non langagières, telles la titraille et les illustrations).

Dans une perspective modulariste, l’organisation stratégique est le lieu d’une étude unifiée de l’ensemble des formes d’organisation qui interviennent dans l’analyse des stratégies discursives. Cette étude devrait permettre, d’une part, de décrire les combinaisons des dimensions et des formes d’organisation impliquées dans l’analyse des stratégies discursives propres à un type discursif (discours du journalisme politique) et, d’autre part, de centrer l’analyse sur des variations stratégiques propres à un genre de la presse écrite (le quotidien d’information), qui concernent certains aspects bien précis de ces formes d’organisation. Afin de rendre compte de ces variations stratégiques par rapport à « certains types de moment discursif, au sens où il s’agit de faits qui deviennent soit des instants soit des thèmes récurrents privilégiés de production discursive » (Moirand 1999: 148), nous procéderons à une analyse comparative des stratégies discursives déployées par chacun des quatre quotidiens dans le traitement du même événement.

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4.2. Une analyse comparative des stratégies discursives propres à un genre discursif (le quotidien d’information)

Pour rendre compte des stratégies discursives qui contribuent à la construction, à l’explication et à la présentation d’un événement dans la presse ordinaire, il s’avère nécessaire de dépasser l’étude des unités discursives isolées et de s’intéresser aux liens qui s’établissent progressivement, au fil des incursions successives, entre plusieurs productions discursives qui relèvent du même moment discursif. L’étude des stratégies discursives du journalisme politique, qui mobilise simultanément une multitude d’informations d’origines diverses, se complexifie encore davantage si l’on s’intéresse à un moment discursif dont l’étendue dépasse celle d’épisodes ou de transactions isolés, pour embrasser une succession de productions textuelles reliées grâce à la « mémoire interdiscursive » (Moirand 1999), caractéristique du discours de la presse ordinaire.

Nous postulons que l’étude des stratégies discursives propre à un genre discursif, à partir de l’observation des productions discursives successives, repose sur les mêmes informations que l’étude des stratégies discursives mises en œuvre dans des productions discursives isolées. Cependant, les deux types d’analyse n’ont ni les mêmes objectifs ni la même portée. L’analyse de quelques extraits de notre corpus nous a permis de formuler des hypothèses concernant la complexité des stratégies discursives, les principales visées du discours du journalisme politique et des types d’informations qui interviennent dans leur analyse. L’étude des processus complexes qui visent la construction, l’explication et la présentation du même événement par des instances de production différentes consistera en revanche à décomposer ces stratégies discursives en plusieurs sous-ensembles, correspondant chacun à une visée communicationnelle précise. Une telle démarche nous permettra de compléter l’analyse des stratégies discursives propres à un type discursif (le discours du journalisme politique) par l’étude des variations stratégiques au sein du même genre discursif relatives à des visées communicationnelles précises et à des stratégies discursives spécifiques. Aux visées informative, explicative et de captation qui relèvent de l’interaction entre l’instance de production/journaliste et l’instance de réception/lecteur, nous pouvons associer les stratégies d’information, d’explication et de captation. A la visée argumentative/persuasive plus englobante, qui relève de l’interaction entre différents acteurs de la vie politique, correspondraient diverses stratégies argumentatives du journalisme politique.

Nous procéderons à l’analyse de ces quatre sous-ensembles à partir de l’exemple de notre corpus d’articles de presse. Nous postulons que la spécificité de l’événement politique choisi – à savoir le décalage à la fois spatial et temporel entre la conclusion de l’accord de paix (le 21 novembre à Dayton) et la cérémonie de sa signature (le 14 décembre à Paris), qui a prolongé le sommet informatif du moment discursif correspondant aux négociations de paix, permet d’étudier l’ensemble des stratégies discursives du journalisme politique: des stratégies d’information (4.2.1.) propres à la presse quotidienne, reposant sur une

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distanciation de l’instance de production par rapport à l’événement rapporté, aux stratégies explicatives (4.2.2.) visant une mise en perspective de cet événement, en passant par des stratégies de captation diverses (4.2.3.) et par des stratégies argumentatives (4.2.4.) qui s’appuient, quant à elles, sur une prise de position par rapport aux principales questions politiques soulevées par l’événement rapporté et commenté et sur une distanciation de l’instance de production par rapport aux autres acteurs de la vie politique à travers une définition de la situation qui lui est propre. 4.2.1. Les stratégies d’information

Pour répondre à la demande d’informations de la part du citoyen, issue de son droit à être informé de l’actualité politique, culturelle, sportive et autre, nationale ou internationale, l’instance médiatique déploie un certain nombre de stratégies discursives spécifiques – que nous nommerons stratégies d’information – correspondant plus précisément à la visée informative du discours journalistique. Les stratégies d’information visent la construction progressive de l’événement médiatique : sa mise en place, l’atteinte du sommet informatif et sa clôture (Véron 1981). Elles permettent à l’instance de production de sélectionner, de hiérarchiser et de développer les concepts qui sont à la base de la définition de la situation qu’elle souhaite imposer à l’instance de réception. L’étude des stratégies d’information mobilise l’ensemble des formes d’organisation impliquées dans l’étude des visées communicationnelles du discours journalistique, à commencer par la forme d’organisation topicale. En effet, la construction de l’événement dépend dans une grande mesure de la prise en charge linguistique et textuelle de la structure conceptuelle de l’univers représenté dans le discours. 4.2.1.1. Le nombre et la diversité des informations sélectionnées

Les stratégies d’information s’adaptent aux spécificités du cadre interactionnel ainsi qu’aux propriétés référentielles des deux univers du discours de manière à donner lieu à des définitions de situation qui varient sensiblement d’une instance de production à l’autre. Ces variations concernent tout d’abord le nombre et la diversité des informations sélectionnées. Si nous comparons la surface rédactionnelle réservée aux négociations de paix pour la Bosnie-Herzégovine dans les quatre quotidiens, nous pouvons observer des écarts considérables aussi bien entre les incursions successives initiées par la même instance de production qu’entre les incursions simultanées initiées par des instances de production différentes. A titre d’exemple, dans la période entre le 1er novembre 1995 et le 1er janvier 1996, la surface rédactionnelle maximale accordée à l’événement en question est de 3 pages pour le NQ, de 2,5 pages pour la TG et de 2 pages pour le JG et LC. Ces points culminants ne correspondent pas

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à la même date, le 23 novembre pour le NQ et le JG, le 5 décembre pour LC et le 14 décembre pour la TG.

Les oscillations du nombre d’informations sélectionnées par chaque quotidien peuvent être représentées par les graphiques suivants (où le nombre de page (0-3) figure sur l’axe vertical et les repères temporels sur l’axe horizontal):

0

1

2

3

01/11/1995 01/12/1995 01/01/1996

JG

0

1

2

3

01/11/1995 01/12/1995 01/01/1996

LC

0

1

2

3

01/11/1995 01/12/1995 01/01/1996

NQ

0

1

2

3

01/11/1995 01/12/1995 01/01/1996

TG

Figure 44 : La surface rédactionnelle réservée aux négociations de paix par les quatre quotidiens (la période du 1er novembre 1995 au 1er janvier 1996)

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La surface rédactionnelle totale (32 pages pour le NQ, 23 pages pour la TG, 20 pages pour le JG et 18 pages pour LC) peut être mise en relation avec le nombre d’articles publiés par chaque quotidien (89 articles/30 incursions pour le NQ, 80 articles/40 incursions pour la TG, 90 articles/44 incursions pour le JG, et 72 articles/38 incursions pour LC) de manière à nous renseigner sur la diversité des informations publiées (3 articles par numéro pour le NQ, voire 2 articles par numéro pour les trois autres quotidiens) et sur la longueur moyenne des articles (1/3 de page pour le NQ, ¼ de page pour les trois autres quotidiens).

Si nous survolons les titres introduisant les textes concernés, nous pouvons formuler des observations suivantes sur le contenu des informations sélectionnées par les quatre quotidiens (pour la présentation du corpus étudié, voir l’Annexe 9):

(1) Le Nouveau Quotidien: Les informations concernant le début des négociations à Dayton (NQ [1b], [2], [4], [5b], [8]) sont complétées par des informations relatives aux massacres perpétrés à Srebrenica (NQ [1], [3b], [3d]) et aux activités du TPI (NQ [3], [3c], [6], [7]). L’aboutissement des négociations de paix (NQ [9]) donne lieu à un grand nombre de textes, dont certains sont consacrés au contenu de l’accord (NQ [10e]), d’autres à une mise en perspective du processus de paix (NQ [9b], [9c], [9d], [9f], [10b], [11b], [13], [13b], [17c], [18], [21], [23c]), à une réflexion sur d’éventuelles difficultés dans son application (NQ [11], [14], [15b], [15d], [16b], [20c]), ainsi qu’au rôle des Etats-Unis (NQ [5], [9e], [12], [13c], [14c], [15], [17e], [18b], [19], [29b], [30b]), des pays européens (NQ [10], [10c], [10d], [15c], [15e]) et d’organismes internationaux (NQ [17], [19c]) dans le processus de paix. Les préparatifs de la cérémonie de signature à Paris se déroulent simultanément aux préparatifs de l’intervention militaire de l’OTAN (NQ [10h], [12c], [17b], [17d], [24], [25], [25b], [27d], [29c]). Après la signature de l’accord (NQ [22], [23], [23b], [23d]), l’attention du quotidien se tourne vers le problème de retour des réfugiés (NQ [4c], [12b], [21b], [21c], [21d], [25c], [27], [30]) et la participation suisse au processus de paix (NQ [4b], [10f], [10g], [14b], [16], [18c], [19b], [20], [20b], [20d], [26], [27b], [27c], [28]).

(2) Tribune de Genève: Les principales informations sélectionnées portent sur les tensions qui ont marqué les négociations à Dayton: les principaux points de litige (TG [2b], [3], [4b], [5], [6], [11], [13]c), les désaccords (TG [15], [15b], [15c], [16d], [17], [18], [19], [22], [26], [31b]), les incidents (TG [8], [21b], [25c], [29], [30], [31], [38]), l’incertitude (TG [1], [12b]), le suspense (TG [13], [13b]), les pressions qui ont été nécessaires (TG [2], [14]) à la conclusion de l’accord et ses enjeux (TG [16c]). Après la signature de l’accord de Dayton (TG [32b], [33], [33c]), l’intérêt se déplace progressivement vers les dispositions du document signé (TG [33d], [39]), les réactions sur place (TG [33e]) et sa mise œuvre (TG [14c], [15d], [16], [19b], [20], [20b], [21c], [23], [28], [28b], [32], [34], [35b], [36], [37]). Au cours des trois étapes du processus de paix (négociations, signature de l’accord, son application) une attention particulière est accordée aux rôles joués par ses principaux protagonistes (TG [3b], [4], [7],

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[9], [9b], [10], [12], [14b], [14d], [21], [24], [25], [25b], [27], [33b], [34c], [35], [37b], [40]).

(3) Journal de Genève et Gazette de Lausanne: Ce quotidien a suivi étape par étape le déroulement des négociations (JG [1], [1b], [2], [3], [4], [8], [10], [14]), en dévoilant leurs enjeux (JG [15], [18c], [19b], [33b], [34], [34b], [35], [41d]) et en dénonçant les méthodes (JG [1e], [16], [17c]) qui ont assuré le succès du processus de paix (JG [16b], [17], [17b], [19], [43b]) en dépit de nombreux obstacles (JG [1c], [1d], [5], [9], [13], [16d], [18d], [21], [22], [24c], [33], [38], [40], [44b]). Après s’être concentrée sur la signature de l’accord de paix (JG [36], [37], [37b], [37c]) et ses principales dispositions (JG [36b]) l’attention du quotidien se tourne (à nouveau) vers le rôle que les protagonistes du processus de paix, les Etats-Unis (JG [18], [23], [24], [25], [26b], [27], [30b], [37d], [39b]) et les pays européens (JG [7], [19c], [23b], [29], [29d], [30], [30c], [31], [40b], [40c]) auront à jouer dans l’application des volets civil (JG [6], [11b], [16c], [18b], [18e], [19d], [26], [29c], [32b]) et militaire (JG [24b], [28], [28b], [30c], [41], [41c], [44]) du document signé. Le quotidien s’intéresse également aux activités des organismes internationaux engagés dans le processus de paix, tels le TPI (JG [11]), le HCR (JG [12]), l’OSCE (JG [18e], [32], [32c]), l’OTAN (JG [17d], [20], [26c], [29b], [39], [41b], [42], [43]) et l’ONU (JG [31b]).

(4) Le Courrier: Bien que la surface rédactionnelle totale réservée au processus de paix pour la Bosnie soit moins importante que celle des trois autres quotidiens, les informations y sont également très diversifiées. Le plus grand nombre de textes portent sur le déroulement du processus de négociation (LC [6], [11], [11b]), ses priorités (LC [2], [3]), ses enjeux (LC [13], [13b], [25]), ainsi que sur les difficultés (LC [1], [8], [10], [27]) et les obstacles (LC [5], [18b]) qui l’ont accompagné. Ce quotidien s’intéresse à la signature de l’accord de paix (LC [28], [28b], [29]) et aux réactions de contestation (LC [14], [15], [22c]) et de mécontentement (LC [6b], [12], [16], [29d]) qui l’ont suivie, ainsi qu’aux rôles des différents pays (LC [4], [17], [18], [21b], [22], [22b], [23], [24b], [27b], [28e], [35b]) et organismes internationaux (LC [9], [12b], [20], [24], [32c], [34b], [35c]) dans la mise en œuvre des volets civil (LC [7], [17c], [21], [26], [28c], [28d], [29c], [36]) et militaire (LC [12c], [17b], [17d], [19], [20b], [31], [32b], [33], [34], [36b], [37]) de l’accord, tout en insistant sur les aspects économique (LC [29b]), humanitaire (LC [29e], [32]), culturel (LC [32d], [35]) et spirituel (LC [38]) du processus de paix.

Nous pouvons observer également que le point culminant sur l’axe

vertical de chacun de ces quatre quotidiens ne correspond ni au même moment sur l’axe horizontal ni au même contenu informationnel : la fin des négociations à Dayton pour le NQ et le JG, la cérémonie de signature à Paris pour la TG et LC. La prise en considération du nombre et du type d’informations sélectionnées nous permettent de situer le sommet informatif dans la construction de cet événement par les quatre quotidiens entre le 21 novembre et le 15 décembre, les

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informations rapportées avant le 21 novembre et après le 15 décembre relevant respectivement de la mise en place de l’événement et de sa clôture. Cependant, le nombre des informations sélectionnées et leur contenu ne permettent pas à eux seuls une description complète des stratégies d’information. Celles-ci reposent en grande partie sur la hiérarchisation des informations sélectionnées, à travers leur mise en page et leur mise en exergue visuelle. 4.2.1.2. La hiérarchisation des informations sélectionnées

Comme l’observe Véron (1981), les quotidiens se différencient « par la manière dont ils structurent l’espace discursif qui leur est propre, et cela sur deux plans: à l’intérieur de chaque page, et dans l’organisation de l’ensemble, le tout formant la mise en page » (1981: 83)159. Si nous nous concentrons sur la hiérarchisation des informations relatives à la signature de l’accord de Dayton, nous pouvons observer que nos quatre quotidiens varient selon qu’ils ont mis l’accent sur la conclusion de l’accord de paix à Dayton (NQ, JG) ou sur la cérémonie de signature à Paris (TG, LC), selon qu’il ont mis (NQ, TG, JG) ou non (LC) l’événement sélectionné en première page; qu’ils ont construit (NQ, TG) ou non (JG) toute la une avec l’événement; qu’ils ont créé (NQ) ou non (TG, JG, LC) une rubrique groupant plusieurs articles sur l’événement.

Nous nous concentrerons sur la hiérarchisation des informations sélectionnées entre le 21 novembre et le 15 décembre 1995, période qui correspond au sommet informatif dans la construction de l’événement par les quatre quotidiens (voir aussi l’Annexe 10).

(1) Le Nouveau Quotidien: Le NQ du 21 novembre a fait sa une des

négociations de paix, avec le grand article intitulé: La pax americana pour la Bosnie en péril, sans reprendre l’information plus loin.

Dans le NQ du 22 novembre, l’information portant sur cet événement figure aussi en première page, titrée: Ils ont fait la paix et complétée par trois photographies. Elle est accompagnée de deux autres informations de moindre importance. A partir de cette prise de position, le quotidien renvoie à l’intérieur du journal, où l’on trouve, à côté de l’Editorial intitulé: Le retour de l’armée américaine en Europe ?, en haut de la page 2, dans la rubrique Opinions, deux pages entières, pages 3 et 4, consacrées à la conclusion de l’accord de paix. Cadré par une rubrique spéciale Paix, le matériel se déploie en plusieurs articles. Parmi eux, on distingue, à la page 3, l’article principal (ou article de fond) sur cinq colonnes, intitulé: L’accord de Dayton entérine la division de la Bosnie,

159 La mise en page résulte, toujours d’après Véron (1981), « de la combinaison de deux modes d’organisation: l’un topographique, concerne l’étalement, la fragmentation et la mise en relation des espaces; l’autre, taxinomique, comprend les systèmes de classification utilisés par chaque quotidien comme une grille sémantique dont les cases seront remplies par les événements du jour. L’articulation de ces deux modes permet de hiérarchiser l’événement à l’intérieur de l’ensemble de l’actualité en lui donnant une importance relative, puis de le classer dans un certain type » (1981: 83).

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précédé du surtitre: Les présidents de la Serbie, de la Croatie et de la Bosnie ont conclu hier un accord de paix, au terme de trois semaines de négociations conduites par les Etats-Unis. Mais les Serbes de Bosnie ont aussitôt fait part de leur désaccord. Le texte est complété par une grande photographie et plusieurs cartes géographiques précisant les principaux points de l’accord et suivi du début de l’article en encadré 1991-1995: Une guerre de quatre ans. A la page 4, l’article principal, sur quatre colonnes, est intitulé: Des G.I. en Bosnie ? Clinton doit convaincre l’Amérique. Le texte de l’article est accompagné d’une grande photo et encadré par la suite de l’article amorcé à la page précédente et par un autre article, portant le titre: « Une paix injuste, qu’il fallait signer ».

Dans le NQ du 23 novembre, l’information sur cet événement ne figure plus à la une, mais y sont consacrés l’Editorial à la page 2, dans la rubrique Opinions, intitulé: Reconstruire la Bosnie ? Reconstruire l’Europe ! et deux pages entières, pages 3 et 4, composant, comme dans le numéro précédent, la rubrique spéciale Paix. Le matériel sélectionné est à nouveau réparti entre plusieurs articles, parmi lesquels l’article principal de la page 3, intitulé: L’espoir renaît. Mais la Bosnie reste un champ de mines, précédé du surtitre: L’accord de Dayton n’a pas tout résolu. Les ambitions politiques, les milliers de réfugiés facilement manipulables et les disputes territoriales sont autant d’obstacles à la paix. L’accord lui-même peut être source de tensions, voire de nouveaux conflits. Le texte est complété par une grande photographie et suivi de trois réactions à la conclusion de l’accord de paix. L’article principal de la page 4 est l’interview, intitulée: Le Conseil fédéral souhaite envoyer des bérets bleus en Bosnie, complétée par une photographie, un encadré et suivie de l’article en bas de page, portant le titre: Soixante mille soldats prêts à débarquer, lui-même complété par deux cartes géographiques.

Après ce sommet informatif des 21, 22 et 23 novembre, on peut observer une remontée informative de moindre intensité les 14 et 15 décembre. Dans le NQ du 14 décembre, l’information portant sur la cérémonie de signature à Paris ne figure pas à la une, mais fait l’objet de l’article en haut de la page 5 (dans la rubrique Politique), intitulé: La paix en Bosnie se signe aujourd’hui. Milosevic a gagné sa réhabilitation, complété par une carte géographique.

Dans le NQ du 15 décembre, l’information occupe la deuxième place à la une, où elle fait l’objet d’une grande photographie intitulé: La paix est signé, mais pas faite et d’un commentaire humoristique coiffé par la rubrique Accent aigu, avec renvoi à l’intérieur du journal, à l’Editorial de la page 2, dans la rubrique Opinions, intitulé: Un an, en Bosnie, c’est trop court et à l’article en haut de la page 5, dans la rubrique Politique, intitulé: A Paris, la Bosnie a signé la paix sur le papier. Sur le terrain, tout reste à faire. (2) Tribune de Genève: Dans la TG du 21 novembre, l’événement, à la une, domine l’ensemble de l’actualité. A partir de cette prise de position on renvoie à l’intérieur du journal, où l’on trouve, dans la rubrique Monde, deux articles relatifs au processus de paix, occupant deux tiers de la page 3. L’article principal est une dépêche d’agence de presse intitulée: Accord ou échec ? Hier soir à Dayton, la paix était encore en suspens, accompagnée d’une photographie

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et d’une carte géographique, et suivi d’une autre dépêche d’agence de presse, intitulée: L’épine dorsale des Serbes. Dans la TG du 22 novembre, l’information portant sur la conclusion de l’accord de paix ne figure plus à la une, mais fait l’objet de l’Editorial intitulé: Pax americana en Bosnie, en haut de la page 2, dans la rubrique Opinions, et des trois articles qui partagent la page 7, dans la rubrique Monde – l’article principal en haut de la page, intitulé: L’Amérique force le destin et impose sa paix en Bosnie, suivi de deux autres textes, intitulés: Un négociateur de choc et Le pari de la paix américaine. Chacun des trois articles est complété par une illustration. Dans la TG du 23 novembre, l’événement est amorcé à la une: Accord de paix: Les Serbes divisés, puis repris à la page 7, où il fait l’objet de trois articles – l’article principal, intitulé: Les Serbes de Bosnie se déchirent sur l’accord signé aux Etats-Unis, complété par une photographie et encadré par deux autres textes, un article intitulé: De Dayton à la paix, une route truffée de pièges et d’une dépêche d’agence de presse titrée: Une bruyante amertume. Le sommet informatif de la TG se situe au moment de la cérémonie de signature de l’accord de paix à Paris. La TG du 14 décembre y consacre deux articles occupant deux tiers de la page 7, dans la rubrique Monde – l’article principal, intitulé: Les Américains s’aventurent la gorge serrée sur le terrain miné de la Bosnie, accompagné d’une photographie, et de la dépêche d’agence de presse, intitulée: Rendez-vous à l’Elysée. La TG du 15 décembre (l’incursion qui a été analysée au chapitre précédent) fait sa une de l’information portant sur la cérémonie de signature, avec une grande photographie en couleur portant le titre: Bosnie: la paix arrachée par Clinton signée à Paris et le renvoi aux pages 2 et 9. L’Editorial intitulé: Bosnie: L’Europe se rattrapera-t-elle ? est situé en haut de la page 2, dans la rubrique Opinions. La page 9 de la rubrique Monde y est entièrement consacrée. Le matériel sélectionné se déploie en trois articles – l’article de fond intitulé: Retenant leur souffle, neuf homme signent une paix fragile en Bosnie, complété par une photographie et suivi de deux autres textes, l’article intitulé: L’amertume explose à Sarajevo et la dépêche d’agence de presse intitulée: Un Etat divisé en deux « entités », complétée par une carte géographique. (A ces trois textes s’ajoute la brève Reconnaissance croisée en marge de la page). (3) Journal de Genève et Gazette de Lausanne: Le JG du 21 novembre fait sa une de l’information portant sur la conclusion de l’accord de paix: y sont consacré l’article principal portant le titre: Les Etats-Unis tentent d’arracher la paix aux Bosniaques, complété par une carte géographique, et l’éditorial: Dayton: La lumière viendra de l’Ouest. D’autres informations relatives à la situation en ex-Yougoslavie font l’objet de deux articles qui occupent la moitié de la page 5 de la rubrique International.

Dans le JG du 22 novembre, l’événement figure aussi en première page, où il fait l’objet de l’article central, intitulé: Serbes, Croates et Musulmans se mettent d’accord. La Bosnie sera en paix à Noël, complété par une photographie, avec renvoi à la page 3, entièrement consacrée à cet événement. Cadré par la rubrique L’actualité, l’information se déploie en plusieurs textes, parmi lesquels

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l’article principal intitulé: La « pax americana » est conclue en Bosnie, qui occupe, avec la carte géographique et une dépêche d’agence de presse, deux tiers de la page, le reste étant réservé au commentaire: Le coup de poker américain et au texte intitulé: L’OTAN est prête pour sa première opération militaire terrestre.

Sans en faire la une, le JG du 23 novembre consacre à cet événement plusieurs textes, qui occupent toute la page 4 de la rubrique International. Parmi eux, on distingue l’article principal intitulé: Après Dayton, Bill Clinton triomphe face à un Congrès républicain déjà en repli, complété par une photographie et encadré par quatre dépêches d’agences de presse portant sur les réactions des organisations internationales suite à la conclusion de l’accord de paix.

Après le sommet informatif des 21, 22 et 23 novembre, une remontée informative est associée à la cérémonie de signature de l’accord à Paris. Ainsi, dans le JG du 14 décembre, l’événement fait l’objet de deux articles qui occupent une moitié de la page 7 dans la rubrique International – un article de fond, intitulé: Après Paris, la paix reste à faire en Bosnie, complété par une carte géographique, et une dépêche d’agence de presse, portant le titre: Les principaux points de l’accord.

Dans le JG du 15 décembre, l’information est amorcée à la une, après deux autres nouvelles, sous le titre: Bosnie: Accord de paix signé à Paris, puis reprise à l’intérieur du journal, où toute la page 4 de la rubrique International lui est consacrée, et plus précisément trois articles – l’article principal (qui a été analysé au deuxième chapitre), intitulé: La Bosnie meurtrie attend la réconciliation et complété par une photographie, le commentaire: Jeu de rôle à l’Elysée (analysé dans le présent chapitre) et l’article: Double message du Congrès américain.

(4) Le Courrier: Dans ce quotidien, le sommet informatif n’est atteint

qu’au moment de la cérémonie de signature de l’accord à Paris, ce qui le rapproche de la TG. Néanmoins, dans LC du 22 novembre, l’information portant sur la conclusion de l’accord à Dayton fait l’objet de deux articles, réunis à la page 9, sous la rubrique International – une dépêche d’agence de presse coiffée par la sous-rubrique Bosnie et intitulée: Les négociateurs parviennent enfin à un accord global de paix à Dayton. Elle est complétée par une grande carte géographique et le commentaire intitulé: Comment y croire ?.

Dans LC du 23 novembre, deux articles, figurant également à la page 9 dans la rubrique International, sont consacrés à l’événement – le texte intitulé: Les Serbes de Pale s’entre-déchirent sur l’accord signé aux Etats-Unis, complété par une grande photographie, et la dépêche d’agence de presse en bas de page, titrée: La force multinationale de l’OTAN sera à l’œuvre en Bosnie dans quelques semaines.

Le Courrier du 14 décembre a consacré à la cérémonie de signature de l’accord une page entière (toujours la page 9 et la rubrique International), répartie en quatre articles. L’article principal est une dépêche d’agence de presse, intitulée: Bosnie: La signature de l’accord à Paris marquera le premier jour de

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paix et complétée par une grande photographie. Elle est encadrée par deux reportages et le commentaire intitulé: Le dilemme américain.

Dans LC du 15 décembre, une page entière (toujours la page 9), comportant cinq articles, est consacrée à cet événement. La partie centrale de la page est occupée par deux dépêches d’agences de presse, intitulées: Le pari sur la réconciliation entre Bosniaques tient encore de l’utopie et Gorazde veut « la paix, la paix et la paix », complétées chacune par une illustration. La colonne de gauche est réservée au commentaire intitulé: Prémices de paix, tandis que l’article L’amertume « explose » à Sarajevo (analysé au troisième chapitre) et la dépêche d’agence de presse, Suisse: Tolérance pour les réfugiés, figurent en bas de la page. L’analyse comparative de la manière dont ces quatre quotidiens ont hiérarchisé les informations relatives à l’aboutissement des négociations de paix met en évidence l’importance de la mise en page dans la construction de l’événement: à partir du même contenu informationnel, les quatre quotidiens aboutissent à des hiérarchisations différentes, révélatrices de leurs préoccupations et de leurs prises de position. A partir de la hiérarchisation des informations qui lui est propre, chaque instance de production construit une macro-structure conceptuelle globale de l’événement, au-delà de la dimension praxéologique de l’interaction, marquée par la juxtaposition de plusieurs incursions successives. Cette macro-structure conceptuelle sert de cadre au traitement de l’information à travers des mises en discours particulières de journalistes/auteurs de textes. 4.2.1.3. Le traitement de l’information

Le traitement de l’information relève principalement des formes d’organisation informationnelle et topicale, dans la mesure où il concerne la mise en relation des structures textuelle et conceptuelle du discours journalistique. L’étude des structures informationnelle et topicale des ensembles formés par plusieurs textes réunis autour de la même macro-structure conceptuelle pose cependant quelques difficultés. La macro-structure conceptuelle de l’événement que l’instance de production est en train de construire ne résulte pas de la simple addition ou juxtaposition des structures conceptuelles de textes isolés. Du fait de la redondance informationnelle du discours journalistique, de nombreux concepts sont repris plusieurs fois dans la même incursion ainsi que dans des incursions successives, si bien que leur prise en considération systématique encombrerait inutilement la représentation schématique. C’est pourquoi, nous proposons une représentation schématique simplifiée de la structure conceptuelle globale de l’événement construit par les quatre quotidiens:

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ACCORD DE PAIX

Figure 45 : La macro-structure conceptuelle des textes correspondant au sommet informatif

DIFFICULTES

LE DEROULEMENT PROTAGONISTES

LES NEGOCIATIONS DE PAIX

DUREE CEREMONIE DISPOSITIONS APPLICATION SIGNATAIRES CO-SIGNATAIRES Cette macro-structure conceptuelle ne recouvre qu’une partie du réseau conceptuel plus vaste (§ 2.2), et sera, en fonction de la visée communicationnelle dominante de chaque quotidien, élargie vers le haut pour inclure des concepts plus généraux relatifs au passé de guerre ou à la poursuite du processus de paix, ou vers le bas pour inclure des concepts plus spécifiques, relatif à l’identité des protagonistes, leur rôle, leur comportement etc. Réunissant ce que les structures conceptuelles spécifiques à chaque quotidien ont en commun, cette représentation schématique de la structure conceptuelle globale servira de point de départ à l’analyse de la prise en charge textuelle des structures conceptuelles spécifiques à chaque instance de production, ainsi qu’à l’analyse des variations stratégiques dans la prise en charge textuelle du même concept par des instances de productions distinctes.

La combinaison des informations relatives à la visée informative du discours du journalisme politique, aux processus opérationnels caractéristiques du discours de la presse écrite et à l’organisation topicale, compositionnelle, polyphonique et stratégique des productions discursives relatives au même événement politique permet de rendre compte du traitement de l’information spécifique à chaque instance de production.

Au premier niveau de lecture, cette spécificité concerne le nombre de concepts activés, leur prise en charge textuelle et le degré de correspondance entre la quantité (Figure 44) et la diversité des informations sélectionnées.

Les stratégies d’information visant non seulement à faire savoir, mais également à démontrer les faits et les dits relatés, d’autres formes d’organisation interviennent dans leur analyse. Les informations liées à l’organisation compositionnelle de la surface rédactionnelle, qui interviennent à ce premier niveau de lecture, concernent plus particulièrement la présence des illustrations, la manière dont celles-ci se combinent avec la titraille et leur contribution à la construction de l’événement par chaque quotidien.

La diversité informationnelle et compositionnelle des informations sélectionnées est liée également à l’organisation polyphonique du discours de la presse écrite, chaque élément de la surface rédactionnelle correspondant à une voix différente. « Lorsque le discours de l’information articule plusieurs voix, il faut qu’elles soient différentes: la légitimité de chaque énonciateur dépend du fait

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qu’il apporte quelque chose de spécifique » (Véron 1981: 68). Nous pensons que cette observation est valable aussi bien pour le premier que pour le deuxième niveau de lecture, où elle se rapporte à l’univers représenté dans le discours.

Les stratégies d’information visent à donner au lecteur l’impression d’assister à l’événement en renforçant les liens de réciprocité partielle entre l’instance de production et l’instance de réception. Le choix de certains genres de la presse écrite, tels l’interview, peut y contribuer. « Le dispositif dialogique […] donne l’impression que l’auditeur assiste au discours de l’information au moment même où il est en train de se faire » (Véron 1981: 29). Le même effet est produit par certains dessins humoristiques comportant des « ballons » - « énoncés iconiques d’énoncés linguistiques oraux », qui « mettent en scène des dialogues entre les personnages représentés » et dans lesquels « tout se passe au présent » (Tardy 1992: 80-81). Le choix de la tournure syntaxique (interrogative ou impérative) dans la titraille et la présence du vocabulaire axiologique susceptible de toucher le côté affectif du lecteur renforcent eux aussi les liens de réciprocité partielle qui caractérisent le discours de la presse écrite (cf. Figure 37). L’exemple le plus typique en est fourni par le courrier de lecteurs.

Au deuxième niveau de lecture, la représentation schématique de la structure conceptuelle devient très complexe, comme l’ont montré les analyses précédentes (Figures 38 et 40). C’est pourquoi nous serons obligée de procéder à des simplifications afin de ne pas trop encombrer nos schémas. Ceux-ci ne comporteront que les concepts principaux et leur prise en charge textuelle spécifique à chaque quotidien (celle des concepts relevant du premier temps de lecture sera marquée en gras).

Nous nous sommes concentrée sur le sommet informatif dans la construction de l’événement par les quatre quotidiens, en nous en tenant aux informations transmises les 21, 22 et 23 novembre et les 14 et 15 décembre 1995. (1) Le Nouveau Quotidien Au niveau du premier temps de lecture, le NQ insiste sur les concepts de DÉROULEMENT, de DIFFICULTÉS, de CÉRÉMONIE, de DISPOSITIONS, de RÉACTIONS et de SIGNATAIRES. A ces concepts, qui appartiennent à la structure conceptuelle commune aux quatre quotidiens, s’ajoutent les concepts de MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD DE PAIX, d’OBSTACLES À LA PAIX, de PASSÉ DE GUERRE et de PARTICIPATION SUISSE dans l’application du volet militaire de l’accord de paix. Le traitement de l’information est caractérisé également par une disproportion entre le nombre et la diversité des informations sélectionnées. La plupart des illustrations (6 sur 8) ne font que compléter la structure conceptuelle mise en place par la titraille. Dans la période analysée, nous n’avons pu repérer que deux cas d’illustrations qui visent à enrichir cette structure conceptuelle initiale (dans les représentations schématiques qui suivent, les illustrations sont marquées par une flèche ILL. → suivie de leur contenu informationnel) en y rajoutant les concepts d’IDENTITÉ et d’ÉTATS-UNIS. Sur six illustrations qui s’inscrivent dans la structure conceptuelle initiale, quatre

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correspondent, du point de vue de leur contenu informationnel, aux titres qu’elles accompagnent.

ACCORD DE PAIX

Figure 46 : La structure conceptuelle de l’événement construit par le Nouveau Quotidien et la prise en charge textuelle du sommet informatif

DIFFICULTES

DEROULEMENT PROTAGONISTES

NEGOCIATIONS DE PAIX

DUREE CEREMONIE DISPOSITIONS REACTIONS SIGNATAIRES CO-SIGNATAIRES

[9a] Ils ont fait la paix

[10a] Reconstruire la Bosnie?Reconstruire l’Europe!

[9c] L’accord de Daytonentérine la divisionde la Bosnie

GUERRE

[9d] Une guerre de quatre ans

MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD DE PAIX

[9f] « Une paix injuste, qu’il fallait signer »

[9e] Des G.I. en Bosnie ?Clinton doit convaincrel’Amérique

[9b] Le retour de l’arméeaméricaine en Europe

[10b] L’espoir renaît, mais la Bosnie reste un champ de mines

[10c] « Un cessez-le-feuplutôt qu’une paix »[10d] « Tout dépendra des pressions »[10e] « La Bosnie a été trahie »

OBJECTIFS SITUATION REELLE

[10f] Le Conseil fédéral souhaite envoyer des bérets bleus en Bosnie

PARTICIPATION SUISSE

[10h] Soixante mille soldatsprêts à débarquer

[8a] La « pax americana »pour la Bosnie en péril

ILL. → [8a] cartes du partage

ILL. → [10a] photographiesdes trois présidents

ILL. → [9c] cartes du partageETATS-UNIS EUROPE

ILL. → [9e] une photodu président Clinton

ILL. → [9d] photographies de quelquesresponsables politiques

ILL. → [10b] photographie

ILL. → [10f] une photographiede M. Flavio Cotti

[8a] la questionterritoriale

[8a] vitale pourla mise en applicationd’un accord de paix

POINTS D’ACCROCHAGE

PARTICIPATION AMERICAINE

[8a] corridorsde Brcko et de Gorazde

IDENTITE COMPORTEMENT

[8a] Alija IzetbegovicFranjo TudjmanSlobodan Milosevic

[9a] à Sarajevo, la populationdénonce un accord injuste.Mais le désir de paix l’emporte sur la colère.

[10b] cette longue ligne de front sur laquelle doitse déployer l’OTAN

[9c] le marathondiplomatique

[9a] Le principalobstacle écartépar une pirouette: la dispute de Brckorenvoyée à un arbitrage international

[9e] 73% des Américainsrépondent par la négative

[9e] Partie difficilepour la Maison-Blancheà un an de l’élection présidentielle

[10b] l’accord gèle l’affrontement en Bosniesans le résoudre, avec le risque que les buts de guerredes uns et des autres soient simplement remis à plus tard.

OBSTACLES A LA PAIX

[10b] Les ambitions politiques,les milliers de réfugiés facilement manipulables et les disputes territoriales

[10b] on nage en pleine schizophrénie

ILL. → [10h] cartes des secteursd’intervention de l’OTAN

[9c] un Etat uniquecomposé de deuxparties

[9c] un vigoureux forcing américain

[10b] dispositionsconstitutionnelles cache-misère

[10b] la majorité desresponsables de la guerre,des atrocités et de l’«épuration»restent en place [10b] divisions internesdans les trois camps[10b] des légions de misérablessi faciles à manipuler par lesva-t-en-guerre

[22a] La paix en Bosnie se signeaujourd’hui.Milosevic a gagné sa réhabilitation.[23d] A Paris,la Bosnie a signéla paix sur le papier.sur le terraintout reste à faire.

[23c] Un an en Bosnie,c’est trop court

[9a] Bill Clinton triomphe

[10b] un système« très sérieux »de contrôledes armements

[23b] Les écouteurs sont devenus signes diplomatiques

ILL. → [23a] photographiedes signataires de l’accord de paix

Au deuxième niveau de lecture, la prise en charge textuelle s’étend à d’autres concepts, afin de compléter et d’approfondir la structure conceptuelle initiale. Les concepts qui y figurent sont liés aux principales difficultés au cours des négociations (DURÉE, POINTS D’ACCROCHAGE, PARTICIPATION AMÉRICAINE), au caractère contradictoire de certaines dispositions de l’ACCORD DE PAIX, à l’écart entre les OBJECTIFS projetés et la SITUATION RÉELLE sur le terrain, aux OBSTACLES À LA PAIX, au COMPORTEMENT des signataires et aux motifs des ÉTATS-UNIS en tant que CO-SIGNATAIRE. C’est sur une approche critique du comportement des protagonistes des négociations de paix, des dispositions contradictoires de l’accord signé et des obstacles à son application

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que s’appuieront les stratégies explicative et argumentative déployées par le NQ. La forme d’organisation polyphonique dépend également de l’approche de l’événement adoptée par le journal. Dans une telle approche critique des protagonistes de l’événement, l’effet produit par le discours représenté formulé dépend de sa source: s’il s’agit des protagonistes eux-mêmes, le discours représenté formulé produit un effet de distanciation, s’il est formulé par des personnes extérieures au processus de négociations (journalistes, experts, citoyens), il sert d’appui aux affirmations et aux critiques avancées par le journaliste.

Si nous comparons la structure conceptuelle issue du premier temps de lecture (dont la prise en charge textuelle est marquée en gras et la prise en charge non textuelle par une flèche) avec celle issue du deuxième temps de lecture, nous pouvons constater un haut degré de complémentarité entre la titraille, les illustrations et les textes des articles de presse publiés par ce quotidien: la titraille résume le texte, les illustrations complètent la titraille, les textes permettent de développer, d’approfondir et de diversifier les concepts activés par la titraille. (2) Tribune de Genève Dans la TG, les informations sélectionnées sont dès le premier niveau de lecture très diversifiées. La structure conceptuelle inclut, à part les concepts contenus dans la structure conceptuelle globale (Figure 45), les concepts d’APPLICATION, et les propriétés conceptuelles spécifiques d’ÉTATS-UNIS et d’EUROPE issues du concept de CO-SIGNATAIRES. La plupart des illustrations (10 sur 12) complètent la structure conceptuelle mise en place par la titraille. Huit illustrations sur dix qui s’inscrivent dans cette structure conceptuelle initiale correspondent, sur le plan informationnel, aux titres qu’elles accompagnent, tandis que deux illustrations ont un contenu informationnel différent de celui du titre.

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Figure 47 : La structure conceptuelle de l’événement construit par la Tribune de Genève

et la prise en charge textuelle du sommet informatif

ACCORD DE PAIX

DIFFICULTES

DEROULEMENT PROTAGONISTES

NEGOCIATIONS DE PAIX

DUREE CEREMONIE DISPOSITIONS REACTIONS

SIGNATAIRES CO-SIGNATAIRES

[13b] Accord ou échec ? La paix encore en suspens

[13c] L’épine dorsale des Serbes

[14b] Pax americana en Bosnie

[14a] L’Amérique force le destin et impose sa paix en Bosnie

ETAT-UNIS EUROPE

[14d] Un négociateur de choc

APPLICATION

[14c] Le pari de la paix américaine

[15a] Les Serbes divisés

[15b] Les Serbes de Bosniese déchirent sur l’accordsigné aux Etats-Unis

[15c] Une bruyante amertume

[15d] De Dayton à la paix, une route truffée de pièges

[16a] Efficace dans la guerre, l’armeéconomique doit servir la paix

[32a] Les Américains s’aventurent la gorge serrée sur le terrain minéde la Bosnie

[32b] Rendez-vous à l’Elysée

[33a] La paix arrachée par Clintonsignée à Paris

[33b] L’Europese rattrapera-t-elle?

[33c] Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie

[33e] L’amertume explose à Sarajevo

[33d] Un Etat diviséen deux entités

ILL. → [13b] photographiede la réunion

ILL. → [13c] carte des territoires contrôlés

ILL. → [14d] photographiede M. Holbrooke

ILL. → [14c] carte des territoires contrôlés

ILL. → [15b] photographie del’accueil du présidentIzetbegovic

ILL. → [16a] caricature

ILL. → [13b] photographiedu président Tudjman

ILL. → [32b] photographiedu président Milosevic

ILL. → [33a] photographiede la cérémoniede signature

ILL. → [33b] caricature ILL. → [33c] photographiede la cérémonie de signature

ILL. → [33d] carte du partage

BUTS

[13b] mettre fin au conflitle plus long et le plus meurtrierqu’ait connu l’Europe depuisla Seconde Guerre mondiale

[13b] sujets déliats:le statut de Sarajevoet d’autres questionsterritoriales

[14b] troissemainesd’intensesmarchandagesbalkaniques [14a] Un Etat unitaire

et deux entités,un gouvernementcentral, des élections libres, le retour desréfugiés et le déploiementrapide d’une force de l’OTAN

[14d] Le succès retentissant des efforts d’un diplomate à la forte personnalité, habile, persévérant, roué, peu modesteet ambitieux : Richard Holbrooke.

[14d] les méthodes diplomatiquesmusclées, dans un « environnementpréssurisé »

[14c] les Etats-Unis sont parvenus à édicter à l’ensemble des belligérants les grandsprincipes d’un règlementde paix

[14c] les arrière-pensées électorales

[15d] soulagementet scepticisme des habitantsde l’ex-Yougoslavie

[15d] les frustrations engendréespar les divisions territoriales pourraient amener de nouvellesconfrontations

[32a] le président Clinton a retrouvé, grâce à ses succèsde politique étrangère habilementexploités, toute la crédibilitéd’un chef d’Etat

Au deuxième niveau de lecture, de nouveaux concepts sont introduits (DURÉE, BUTS), tandis que les concepts déjà activés sont approfondis (tels les concepts de DIFFICULTÉS, de DISPOSITIONS et de RÉACTIONS) ou reconsidérés du point de vue du rôle des Etats-Unis dans le processus de paix (tels les concepts de NÉGOCIATIONS, de DÉROULEMENT, d’ACCORD DE PAIX et de PROTAGONISTES). Nous ne sommes plus dans une approche critique qui n’épargne aucun protagoniste du processus de paix, mais dans une présentation des faits sous un angle particulier: l’aboutissement des négociations de paix est le résultat des pressions diplomatiques et des « méthodes musclées » de la diplomatie américaine, qui n’est pas exempte des « arrière-pensées électorales ». Dans l’approche de l’événement adoptée par la TG, l’emploi du discours représenté formulé ne vise qu’un effet d’authentification des dits des protagonistes des négociations de paix.

La comparaison des structures conceptuelles issues du premier et du deuxième temps de lecture met en évidence leur complémentarité: le texte développe et approfondit les concepts activés par la titraille et les illustrations. En

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revanche, des différences considérables apparaissent au niveau de leurs prises en charge textuelles respectives: celle de la structure textuelle issue du premier temps de lecture est caractérisée par la fréquence du vocabulaire axiologique marqué (par exemple: forcer, arracher, se déchirer, s’aventurer, exploser, l’amertume, le suspense, en suspens, de choc, en retenant leur souffle, la gorge serrée etc.) produisant un effet de dramatisation de l’information portant sur les négociations de paix. (3) Journal de Genève et Gazette de Lausanne

Ce quotidien fournit l’information à la fois la plus complète et la plus concise. La structure conceptuelle issue du premier temps de lecture inclut presque l’ensemble des concepts appartenant à la structure conceptuelle globale de l’événement, auxquels s’ajoute le concept d’APPLICATION DE L’ACCORD DE PAIX et de VOLET MILITAIRE. Si les six illustrations qu’a choisies le JG s’inscrivent dans cette structure conceptuelle initiale, une seule d’entre elles correspond, du point de vue de son contenu informationnel, au titre qu’elle accompagne.

Figure 48 : La structure conceptuelle de l’événement construit par le Journal de Genève et la prise en charge textuelle du sommet informatif

ACCORD DE PAIX

DIFFICULTES

DEROULEMENT PROTAGONISTES

NEGOCIATIONS DE PAIX

DUREE CEREMONIE DISPOSITIONS REACTIONS

SIGNATAIRES CO-SIGNATAIRES

[16a] Les Etats-Unis tentent d’arracher la paix aux Bosniaques

[16b] Dayton: la lumière viendra de l’Ouest

[17a] Serbes, Croates et Musulmansse mettent d’accord

[17a] La Bosnie sera en paix à Noël

[17b] La « pax americana »est conclue en Bosnie

[17c] Le coup de poker américain

VOLET CIVIL VOLET MILITAIRE

[17d] L’OTAN est prête pour sa première opération militaire terrestre

[18a] Après Dayton,Bill Clinton triomphe face à un Congrèsrépublicain déjà en repli

[18c] Nations Unies :La levée des sanctions [18d] Les ultranationalistes de Pale ne sont pas soutenus par les responsables de Banja Luka

[18e] OSCE : La Suisse aura un rôle important à jouer dans l’organisation des élections en Bosnie

[18b] Le calendrier de l’accord

APPLICATION

[36a] Après Paris, la paix reste à faire en Bosnie

[36b] Les principaux points de l’accord

[37a] L’accord de paixsigné à Paris

[37b] La Bosnie meurtrie attend la réconciliation

[37c] Jeu de rôles à l’Elysée

[37d] Double messagedu Congrès américain[18f] CICR : Réaction prudente

ILL. → [17a] photographiedu président Clinton

ILL. → [17b] carte représentantles principaux points de l’accord de Dayton

ILL. → [18a] photographied’un petit Sarajévien

ILL. → [36a] carte représentantle calendrier d’applicationde l’accord de paix

ILL. → [37b] photographiedes protagonistes de lacérémonie de signature

ILL. → [16a] carte représentantl’état des lieux

[16a] Les trois présidents ont étémis au pied du mur par les Etats-Unis

[16a] deux questionssont particulièrementdisputées

CORRIDORS CAPITALE

[16a] un élargissementdu corridor permettant de relierles différentes zonesde l’entité serbe

[16a] La « Jérusalemdes Balkans »

[16a] les pressions exercées par les Etats-Unis visent en priorité les Musulmans,grands perdants de cemarchandage

[17a] vingt et un jours de négociationsacharnées

BUTS

[17a] mettre fin à quarante-trois mois d’une guerre atroce qui a fait 250 000 victimes et deux millions et demi de réfugiés

[17a] quarante-huitheures d’un infernalmarathon final[17a] la paix toute

entière contenuedans quelques dizaines de kilomètres carrés

[17b] La Bosnie est reconnue comme un Etat unique àl’intérieur de ses frontières actuelles. Elle sera composée de deux entités et aura un gouvernement central,une présidence tournante, un parlement national et une Cour constitutionnelle.Sarajevo demeure la capitaleunifiée de la Bosnie

[17a] victoire américaine

ETATS-UNIS EUROPE

[17a] pour les Etats-Unisl’accord de Daytonreprésente uneprodigieuse victoire :il couronne de longs moisd’efforts diplomatiques, il démontre que le durcissementmilitaire de Washington était la bonne solution, il fait oubliertrois années d’hésitations américaines

[17d] L’IFOR sera déployée pour assurer le respect du plande paix. Elle sera déployée en trois divisions de 15 000 hommes environ. Chacune d’entre elles supervisera une zone de quelque 10 000 km°.

[36a] L’étape est importante, maisle succès du processusest loin d’êtreassuré

OBSTACLES

[36a] Les obstacles à une paix durablesont dus à la naturemême de l’accord.Celui-ci entérine de faitla séparation de la Bosnieen deux entités, et ceci malgré l’habillage constitutionnel donnéà l’Etat bosniaque

SOUTIENINDISPENSABLE

[37b] une accessoireséance de signature

[17a] la victoireaméricaine a arraché touteinitiative auxEuropéens

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La structure conceptuelle issue du deuxième niveau de lecture permet d’élargir la structure conceptuelle globale de l’événement aux concepts de BUTS, d’OBSTACLES et de SOUTIEN ainsi qu’aux propriétés conceptuelles spécifiques issues des concepts de DIFFICULTÉS et de CO-SIGNATAIRES (CORRIDORS, CAPITALE, ÉTATS-UNIS, EUROPE). Le JG vise moins à imposer au lecteur une définition de la situation qu’à le conduire à se faire lui-même une opinion à partir d’une analyse nuancée des faits et d’une critique implicite du comportement de certains protagonistes. Dans l’approche de l’événement adoptée par le JG, les segments de discours représenté formulé produisent souvent un double effet de distanciation par rapport aux déclarations des protagonistes des négociations et d’authentification du discours produit par le journaliste, en fonction de l’interprétation choisie par le lecteur.

Si nous comparons les structures conceptuelles issues du premier et du deuxième temps de lecture, nous pouvons observer que dans la plupart des cas ([16a], [17a], [17b], [18a], [36a], [37b]), les concepts activés par la titraille ne correspondent pas à ceux activés par les illustrations et/ou par le texte. (4) Le Courrier Au niveau de la titraille, la structure conceptuelle de l’événement construit par le LC inclut l’ensemble des concepts relevant de la structure conceptuelle globale (Figure 45), auxquels s’ajoutent les concepts de MISE EN OUVRE DE L’ACCORD et d’OBSTACLES À LA PAIX. LC est le seul quotidien à avoir évoqué la PARTICIPATION SUISSE au processus de paix en matière d’aide aux réfugiés. Une illustration sur cinq s’inscrit dans cette structure conceptuelle initiale, tandis que les quatre autres permettent de l’enrichir, en activant les concepts de DISPOSITIONS, de SIGNATAIRES, de CO-SIGNATAIRES et de PASSÉ DE GUERRE.

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Figure 49 : La structure conceptuelle de l’événement construit par Le Courrier et la prise en charge textuelle du sommet informatif

ACCORD DE PAIX

DIFFICULTES

DEROULEMENT PROTAGONISTES

NEGOCIATIONS DE PAIX

DUREE CEREMONIE DISPOSITIONS REACTIONS SIGNATAIRES CO-SIGNATAIRES

[11b] Comment y croire ?

[11a] Les négociateurs parviennent enfin à un accord global de paix à Dayton

[12a] Les Serbes de Pales’entre-déchirentsur l’accord signéaux Etats-Unis

MISE EN ŒUVREDE L’ACCORD DE PAIX[12b] La force multinationale de l’OTAN sera à l’œuvre en Bosnie dans quelques semaines

[28e] Le dilemme américain

[28b] La signaturede l’accord à Paris marquera le premier jour de paix

[28c] Comment faire revivre une capitale qui a déjàperdu la moitié de ses cadres

[29b] Prémices de paix

[29c] Gorazde veut « la paix, la paix et la paix »

PARTICIPATIONSUISSE

[29e] Tolérance pourles réfugiés

[10a] Le suspense de Dayton

[28d] « Les Serbes partirontvers l’inconnu »

[12c] L’OTAN prépare son intervention

[28a] La paix sera officielle

[29a] Paix signée à Paris

[29d] L’amertume « explose » à Sarajevo

ILL. → [11a] carte de la répartition du territoire

ILL. → [12a] photographied’un vendeur de journaux

ILL. → [28b] photographiedu ministre bosniaquedes Affaires étrangères

PASSE DE GUERRE

ILL. → [29a] cartes représentantl’évolution de la situationdepuis le début de la guerre

[29a] Le pari sur la réconciliation tient encore de l’utopie

ILL. → [29c] photographiedes trois parrains majeursdes accords MM. Clinton,Chirac et Kohl

OBSTACLES

[11a] La nouvelle a été accueillie avec circonspection à Sarajevo

[11a] L’accord préserve la Bosnie en tant qu’Etatunique, dans ses frontièresactuelles. Sarajevo en restera la capitale unifiée(Bill Clinton)

[11a] Les « individusaccusés de crimes de guerre seront exclusde la vie politique » dunouvel Etat (Bill Clinton):[11a] Les troupes de l’OTANseront « chargées de fairerespecter l’accord ». Seulel’OTAN peut faire ce travailet les Etats-Unis en tant que leader de l’OTAN doivent jouer un rôle essentiel danscette mission. (Bill Clinton).

[12a] La « paix » de Dayton sèmela discorde au sein du camp serbe

[12b] « La Suisse est prête à assumerla tâche de paix qu’il faudra mener En Bosnie dans le cadre de l’OSCE »(Flavio Cotti)[12b] « La Suisse est prête à assumerla tâche de paix qu’il faudra mener En Bosnie dans le cadre de l’OSCE »(Flavio Cotti)

[12b] La Serbie et le Monténégroobtiendront unelevée des sanctionséconomiques imposées depuis 1992. Dans le même temps, Belgrade aurapour mission de garantir l’obéissancedes Serbes de Bosnie

[12b] Pour aider les belligérantsà oublier la guerre, la communautéinternationale a promis des milliards de dollars pour la Bosnie,la Croatie et la Serbie.

[12b] Le vrai test demeure « l’application civile » de l’accord:reconstruire les infrastructures, réorganiser les services publicset redonner confiance aux réfugiés et personnes déplacées traumatiséespar 43 mois de guerre, pour qu’ils rentrent chez eux

[28b] Les principaux belligérantsex-yougoslaves et les médiateursinternationaux

[28b] L’accord de Dayton rebaptisé« accord de paix sur La Bosnie-Herzégovine »

[29a] L’accord de paix ouvre la voie à une réconciliation difficile entre les anciens ennemis

[10a] A titre de compensation pour leurs concessions territoriales, les Bosniaques insistent sur une importante aide militaire américaine(fourniture d’armes, entraînement et soutienlogistique). Selon un diplomate américain, les Etats-Unis préfèrent tenter d’abord de convaincre les Serbes de réduire leur arsenal

Au deuxième niveau de lecture, cette structure conceptuelle initiale est approfondie (notamment les concepts de DIFFICULTÉS, de DISPOSITIONS, de PROTAGONISTES et de MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD DE PAIX). Les stratégies d’information déployées par LC sont limitées à la sélection des sources d’informations, la plupart des articles à visée informative étant des dépêches d’agences de presse. De même, l’explication de l’événement fournie par LC repose dans une grande mesure sur celle des agences de presse choisies. Quant aux segments de discours représenté formulé, leur simple juxtaposition dans une même dépêche d’agence de presse produit un effet d’authentification des faits et des dits rapportés, tandis que l’absence d’intervention du quotidien dans la construction de l’événement crée un effet d’objectivation, du fait de la distance qui s’établit entre le journal et l’événement construit.

La comparaison des structures conceptuelles issues du premier et du deuxième temps de lecture fait ressortir une complémentarité sur le plan du contenu informationnel entre titres et textes, mais aussi des différences au niveau des prises en charge textuelle et non textuelle de ces structures conceptuelles, la

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plupart des illustrations ([11a], [12a], [28b], [29a], [29c]), se référant à un contenu informationnel différent de celui des unités textuelles correspondantes.

Une analyse comparative du traitement de la même information par quatre quotidiens différents soulève le problème de l’objectivité du discours de l’information, qui ne se pose pas de la même manière pour ces différentes instances de production. En effet, le degré d’objectivité peut être mesuré soit en termes de distanciation de l’instance de production par rapport à l’événement qu’elle est en train de construire (LC) soit en termes de sa capacité à rapprocher au lecteur cet événement, « de lui faire vivre l’événement comme s’il y était » (JG, NQ), soit en termes de combinaison de ces deux approches (TG)160. Si nous comparons les représentations schématiques de l’organisation topicale de l’événement construit par nos quatre quotidiens, nous pouvons constater que, quelle que soit l’approche adoptée, elle n’aboutit finalement qu’à une représentation partielle de l’événement. La structure conceptuelle développée par un quotidien repose sur une prise en charge textuelle qui lui est propre et qui met en exergue l’un ou l’autre aspect de « l’événement brut » (Charaudeau 1997), sans jamais parvenir à le rendre transparent et le saisir dans son intégralité (Figures 46, 47, 48, 49). Le caractère partiel de l’information fournie par une instance de production est dû, d’une part, à la complexité de l’univers dont le discours parle (l’univers politique) et, de l’autre, aux contraintes spécifiques à l’univers dans lequel le discours s’inscrit (l’univers des pratiques journalistique), à savoir les contraintes de rapidité, de clarté et de concision. Face à la complexité des événements réels, l’instance de production est obligée de procéder à des simplifications, afin de rendre les événements sélectionnés accessibles au plus grand nombre possible de lecteurs. En outre, elle est obligée de le faire vite et d’opérer des choix, tout en veillant à préserver sa crédibilité. Faute de temps nécessaire à la vérification des informations disponibles, la nouvelle transmise par les différentes instances de production repose dans une grande partie sur une représentation conceptuelle générale commune (Figure 45).

La volonté de l’instance de production de compenser le caractère trop partiel ou trop général de l’information transmise se manifeste dans l’organisation compositionnelle du discours de la presse écrite. Comme l’a montré Kayser (1967), la surface rédactionnelle comporte plusieurs éléments: la titraille, les textes et les illustrations. L’analyse comparative de nos quatre quotidiens nous permet d’observer que plus l’information fournie par le texte est pauvre du point de vue conceptuel, plus les illustrations interviennent dans la construction de l’événement de manière à se substituer aux informations qui ne sont pas prises en charge textuellement (LC). Et inversement: plus l’information

160 « L’énonciateur moderne modifie le rapport au réel qui caractérisait le discours traditionnel de l’information, où il s’agissait de faire comme si le médiateur était capable d’amener le réel « chez nous », de nous faire vivre l’événement « comme si on y était ». Le méta-énonciateur moderne vise l’effet opposé: il crée une distance, non pas entre nous et lui, mais entre lui et réel. Chez lui, l’objectivité se mesure, non pas au poids du témoignage, mais à sa capacité de créer l’espace nécessaire à l’évaluation, l’interrogation, la prudence, devant des nouvelles qui arrivent et qu’il est souvent difficile de trier » (Véron 1981: 77).

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est riche du point de vue conceptuel, plus les illustrations interviennent dans la construction de l’événement de manière à compléter l’information prise en charge textuellement (TG). Si nous nous plaçons au niveau opérationnel, nous pouvons constater que le but de l’unité opérationnelle constituée par une illustration est, dans le premier cas, de faire montrer ce que les unités textuelles n’ont pas fait savoir et, dans le deuxième cas, d’authentifier l’information prise en charge textuellement. Le caractère partiel de l’information peut également être compensé par une titraille plus diversifiée (titre, surtitre, sous-titre, intertitres) et par une présentation plus soignée (NQ [9a], [9c], [10b], JG, LC [11a]). De la même manière, une plus grande diversité de genres journalistiques permet d’enrichir l’information (NQ [10f], [10g], [10h]), chaque genre permettant d’apporter au lecteur un éclairage différent de l’événement en fonction de son but communicationnel spécifique161.

Le caractère partiel de l’information peut être compensé par une organisation polyphonique plus diversifiée, aussi bien au niveau de la transaction, à travers une pluralité de voix journalistiques qui participent à la construction de l’événement par le même quotidien (LC [29a], [29b], [29c], [29d], [29e]) qu’au niveau de chaque épisode, à travers la fréquence de segments du discours représenté dans le discours produit par l’auteur d’un article de presse (TG [33c]).

Finalement, au niveau des relations de face et de place qui relèvent de la forme d’organisation stratégique, le caractère trop partiel ou trop général de l’information, qui met en danger les faces positive et négative de l’instance de production, peut être compensé par une mise en valeur des faces positive et négative du lecteur. Une présentation plus soignée témoigne de l’intérêt de l’instance de production à rendre plus agréable la lecture du texte et à assurer une meilleure réception de l’information. De la même manière, l’emploi du vocabulaire axiologique marquée, la dramatisation de l’information dans le titre et le recours aux images (au sens propre et figuré) susceptibles de provoquer une réaction émotionnelle du lecteur permettent au journaliste de s’introduire imperceptiblement sur le territoire du lecteur. L’emploi de certains temps verbaux (le présent) et de déictiques désignant à la fois l’instance de production et l’instance de réception (nous, on, tout le monde, chacun) efface les frontières entre leurs territoires respectifs (JG). Un effet semblable résulte d’une approche critique du journaliste qui vise à dévoiler certains faits (NQ, JG): la connivence créée avec le lecteur grâce à la révélation de faits cachés peut même se substituer à l’explication de l’événement, « le mystère étant toujours une parole qui a statut de vérité ultime quant à l’explication du monde et de la destinée des êtres humains » (Charaudeau 1992: 23).

161 Dans son texte consacré à la place de l'interview et de l'entretien dans la panoplie des genres informatifs, Charaudeau (1992) envisage la possibilité de distinguer ces deux genres en prenant comme critère l'objectif que se donne l'interviewer, l'interview étant centrée sur l'information qu'il faut obtenir de l'autre, alors que l'entretien cherche plutôt à atteindre l'intimité de l'autre (1992: 26).

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Ces derniers exemples, qui relèvent autant de la visée d’information que des visées explicative et de captation, permettent d’illustrer la complémentarité des différentes composantes des stratégies discursives. 4.2.2. Les stratégies explicatives L’instance de production doit non seulement transmettre l’information à l’instance de réception, mais également lui fournir une explication, un commentaire, voire une critique (Béguin 1987). Les stratégies explicatives qu’elle déploie à cette fin reposent sur une réflexion et sur une prise de position au sujet de l’événement construit.

Elles sont, par conséquent, inséparables des stratégies d’information, car il ne peut pas y avoir de stratégies explicatives sans la construction préalable de l’événement sur lequel portera l’explication. L’information constitue le point de départ de l’explication: l’événement construit par les stratégies d’information fait l’objet des stratégies explicatives.

Puisque l’explication constitue la suite de l’information, nos quatre quotidiens fournissent des explications tout aussi différentes l’une de l’autre que l’étaient les événements qu’ils ont construits. Pour rendre compte des stratégies explicatives mises en œuvre par nos quatre quotidiens, nous nous appuyons principalement sur les articles à visée explicative (éditoriaux, commentaires) publiés les 21, 22 et 23 novembre et les 14 et 15 décembre 1995. Comme ces stratégies reposent sur l’organisation topicale mise en place dans l’étape précédente (§ 4.2.1.), nous insisterons ici sur leurs structures lexicale et syntaxique, ainsi que sur certains aspects de leur organisation relationnelle162.

(1) Le Nouveau Quotidien a publié dans la période analysée trois

éditoriaux. Dans le premier (NQ [9b]), l’éditorialiste exprime, dans un premier temps, sa désapprobation des dispositions de l’accord signé, car « c’est la Bosnie multi-ethnique qui fait frais du règlement entériné à Dayton ». Cette attitude implique une prise de position par rapport à l’événement « une idée que nous partagions avec les Bosniaques », sur laquelle repose la définition de la situation proposée par le quotidien: « Il y a quelque chose d’étrange dans l’accord de Dayton arrangé par Richard Holbrooke: il ne résout pas les plus importants problèmes de la région, la cohabitation de peuples devenus hostiles, l’identité de la Bosnie, son territoire et ses frontières. Mais il instaure une nouvelle règle du jeu. Tout se passe comme si les Etats-Unis, parfaitement conscients de l’inexistence de solutions à la crise actuelle des Balkans, avaient décidé d’en inventer de fictives, qui ne trompent personne mais que personne cependant n’ose contrarier ». L’éditorialiste vise à expliquer, dans un deuxième temps, les enjeux de l’accord de paix, en mettant en évidence les bénéfices que sa signature apportera à ces instigateurs: « La suite dépend de la détermination de la classe politique américaine. Ce que leur demande Bill Clinton, sous couvert d’une 162 Telles les relations interactives argumentatives qui caractérisent la séquence explicative prototypique décrite par Adam (1992: 132).

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opération temporaire, c’est encore une fois d’autoriser l’armée américaine à venir se déployer en Europe, pour l’Europe. Et à la place de l’Europe ».

Dans le deuxième texte (NQ [10a]), l’éditorialiste dénonce le comportement de l’Europe, qualifiée d’être « un géant économique, mais aussi un nain politique et un ver de terre militaire ». Face à la détermination des Américains, « qui exerceront un contrôle politique et militaire total sur l’application du plan qu’ils ont imposé », les Etats européens sont frustrés car « réduits à se disputer les miettes diplomatiques que leur laissent les parrains de Dayton, et la reconstruction de la Bosnie ». L’éditorialiste explique le bien fondé de ces frustrations des Européens: « l’idée d’un partage de la Bosnie-Herzégovine dans les limites d’une république largement fictive était contenue dans le plan qu’ils avaient avancé et que les Américains avaient jugé alors « immoral », parce qu’il « récompensait l’agression » ». L’éditorialiste justifie « le retournement passablement cynique des Etats-Unis » par des motifs « intérieurs » de leur intervention, « auxquels les diplomates de Washington ont ajouté une habileté : la réduction du nombre des belligérants bosniaques de trois à deux, grâce à la création de l’artificielle fédération croato-musulmane; ajoutée à l’usage de la puissance aérienne américaine, elle a sans doute permis d’aboutir à Dayton ». L’éditorialiste insiste sur le rôle que l’Europe aura à jouer dans l’avenir, parce que « les troupes américaines ne resteront pas toujours, ni même longtemps en Bosnie » et que « viendra le moment où les Européens, qu’ils le veuillent ou non, devront gérer eux-mêmes les conséquences du confit yougoslave, et d’autres crises, sans assistance américaine ». Pour y parvenir et « y mettre suffisamment de cohérence et de puissance », les Européens doivent résoudre « le vrai problème qui les angoisse », celui d’« un vide de pouvoir », conclut l’éditorialiste. Dans le troisième (NQ [23c]), l’éditorialiste estime que la durée prévue pour la mise en œuvre du volet militaire de l’accord de paix est insuffisante: « c’est la grande faiblesse de l’accord signé sur l’ex-Yougoslavie: il prétend ramener sur la voie de la coexistence trois peuples qui se sont déchirés avec une violence inconnue depuis cinquante ans en Europe mais il n’accorde à ce processus extraordinairement difficile qu’une toute petite durée d’un an ». Selon lui, les principaux obstacles à la paix « la haine et l’esprit de vengeance » ne peuvent pas disparaître en si peu de temps. « Par quel miracle, les mêmes hommes qui ont déclenché le bain de sang le plus épouvantable pourront-ils soudainement acquérir la dose de sagesse indispensable à l’organisation d’élections libres, au retour des réfugiés, à la reconstruction et surtout à la vie en commun ? », s’interroge-t-il. L’éditorialiste dénonce l’attitude des Etats-Unis qui sont trop « pressés » pour consacrer le temps nécessaire à la démocratisation de la région et permettre aux forces de l’opposition qui luttent pour le maintien de « la diversité ethnique » et pour « l’ouverture économique » de construire « une vraie paix ». Il désapprouve le genre de relations que les Etats-Unis entretiennent avec l’Europe, « humanitaire plus que politique », « secourable plus que coopératif », et estime que « la compassion à court terme » n’est pas suffisante.

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(2) La Tribune de Genève a également publié deux éditoriaux dans la période analysé. Dans le premier (TG [14b]), l’éditorialiste s’interroge sur la viabilité d’un accord de paix qui « n’a été rendu possible que parce qu’il consacrait un équilibre des forces sur le terrain que les belligérants, épuisés, n’étaient plus en mesure de modifier militairement ». Après avoir énuméré les dispositions dont la réalisation lui semble la plus improbable, l’éditorialiste reste sceptique face à cet accord « trop beau pour être vrai », car, explique-t-il, « il ne faut pas se leurrer: entre la lettre de l’accord de Dayton et l’esprit des ennemis jurés qui l’ont négocié de mauvaise grâce à l’ombre des avions et des missiles américains, le gouffre reste béant ». Par conséquent, il estime que le déploiement des troupes de l’Otan est indispensable à la mise en œuvre de cet accord: « la présence d’une force d’interposition musclée, à tête et colonne vertébrale américaines, constitue une nécessité impérieuse pour éviter que cette pax americana ne soit qu’un simple armistice entre deux guerres balkaniques ». Cependant, il précise que le déploiement de cette force, aussi imposante soit-elle, n’est qu’une « mesure conservatoire », et en tire la conclusion que « seule une action résolue de la communauté internationale pour la reconstruction de la Bosnie a des chances de garantir une paix durable ». L’éditorialiste exprime sa conviction que l’Europe pourrait s’en charger: « si elle en prenait l’initiative, l’Union européenne, réduite au rôle de figurant dans cette négociation de l’Ohio, aurait ici une carte essentielle à jouer. Le deuxième texte (TG [33b]) est consacré au rôle de l’Europe dans le processus de paix. Aux critiques virulentes de certains commentateurs qui « n’ont pas de mots assez durs pour stigmatiser l’attitude des Européens face au conflit le plus meurtrier dans leur région depuis la Seconde Guerre mondiale », l’éditorialiste oppose une réflexion plus nuancée. Il avance d’abord trois arguments pour défendre la position européenne. Il insiste, premièrement, sur sa participation à la force de protection de l’ONU: « affirmer que l’Europe est restée les bras ballants face à la crise bosniaque, c’est insulter la mémoire de ceux de ses casques bleus qui ont payé leur engagement de leur vie ». Il rappelle, deuxièmement, les efforts de l’Europe dans l’élaboration de plans de paix précédents, car le règlement de paix négocié à Dayton « s’inspire essentiellement de conceptions européennes ». Il met en évidence, troisièmement, l’importance du consensus de l’ensemble des pays européens: « par le seul fait de sa présence au moment de la crise yougoslave », l’UE a réuni ses membres « sur le plus petit commun dénominateur: éviter que le conflit n’embrase le reste des Balkans ». Ce que l’éditorialiste reproche à l’Europe c’est d’avoir « failli – gravement – sur le plan des principes, en s’accommodant de l’acquisition de territoires par la force », mais il ajoute que « c’est une responsabilité qu’elle partage avec l’ensemble de l’Occident. L’éditorialiste affirme que « l’accord de Dayton-Paris ne fait que ratifier quatre années de « purification ethnique » et instaure une paix qui n’a pas grand-chose à voir avec la justice ». Il pense qu’il ne s’agit que d’« un armistice, jusqu’au retrait annoncé des troupes de l’Otan », mais qui offre toutefois une seconde chance à l’Europe: « utiliser ce répit pour prendre résolument à leur compte l’œuvre de reconstruction de l’ex-Yougoslavie et de

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réconciliation de ses peuples antagonistes », perspective qui laisse l’éditorialiste perplexe. (3) Le Journal de Genève a publié un éditorial et deux commentaires consacrés au déroulement des négociations de paix. L’éditorial (JG [16b]) dénonce les pressions psychologiques qu’ont subies les signataires du traité de paix « sur la base militaire, sinon carcérale » à Dayton: « l’idée était de couper les négociateurs des réalités envahissantes et cruelles du terrain et de leurs entourages, de les faire entrer en une dynamique de groupe dans la meilleure tradition californo-systémique, en un mot de les « chambrer » assez longtemps pour que chacun d’entre eux développe du fond de ce casernement légèrement névrosant un solide désir d’en sortir ». Dans de telles conditions, la durée des négociations constitue pour l’éditorialiste la preuve de la « coriacité » des belligérants ex-yougoslaves: « malgré les pressions subtilement accrues administrées par le négociateur puis par le secrétaire d’Etat, le dispositif américain n’a pas réussi à les subjuguer ». L’éditorialiste met en évidence la fragilité de la diplomatie américaine face à « l’inéquité de l’accord attendu »: « la diplomatie réaliste de Holbrooke, qui se fonde essentiellement sur les rapports de force inscrits sur le champ de bataille et sur la puissance militaire américaine pour en fixer les résultats, se montre tout d’un coup fragile et plus européenne dans ses ambitions ».

Le premier commentaire (JG [17c]) analyse les conséquences de la signature de l’accord de Dayton. Selon le commentateur, la première leçon à tirer est « sévère pour les Européens et pour le pataugeage depuis quatre ans de la politique communautaire dans les Balkans », car le succès du processus de paix est assuré par les Etats-Unis: « les Etats-Unis, que nous voyons si souvent pragmatiques et opportunistes à la limite du cynisme, ont fait démonstration là, tout simplement, d’une politique ». Le commentateur est étonné par l’ambition de l’accord « armé de pied en cap »: « frontières redessinées et corridors de communication ménagés, Etat bosniaque et Sarajevo sauvés de la division, réfugiés appelés à rentrer et tout un programme de reconstruction sous la surveillance des fées tutélaires qui ont noms OTAN, FMI et Banque Mondiale ». Il révèle au lecteur les risques pris par le président Clinton face au Congrès américain: « dans la mesure où son Congrès ne le suit pas, il est en train d’émettre des chèques sans provision ». En résumé, le commentateur estime que « trois conséquences de profonde envergure sont néanmoins visibles ». Premièrement, la guerre ne reprendra plus car « il existe désormais non plus seulement un texte mais une volonté commune des belligérants de mettre fin au conflit ». Deuxièmement, le dispositif territorial et constitutionnel prévu par l’accord de paix constitue « la première pierre d’un nouvel ensemble qui, un jour ou l’autre, la paix aidant, sortira par rationalité économique et humaine de cette région ». Troisièmement, les Etats-Unis sont décidés à tirer pour eux le bénéfice « de cet extraordinaire investissement en Europe »: « pour la réélection de M. Clinton bien sûr, mais aussi pour la réaffirmation d’un leadership en Europe ». Le deuxième texte (JG [37c]) dénonce le côté mise en scène de la cérémonie de signature: « Les gestes rituels sont accomplis avec un souci

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purement télégénique, les discours sont emplis de belles promesses et de bonnes intentions ». Le commentateur met en garde le lecteur contre l’effet trompeur produit par cette mise en scène: « Pour un peu, on y croirait. Comme si une poignée de main pouvait effacer de profonds ressentiments, comme si un trait de plume pouvait faire disparaître toute arrière-pensée ». Il analyse ensuite le comportement des vedettes du « spectacle parisien » (pour une analyse détaillée de l’organisation topicale de ce commentaire, voir la Figure 43). (4) Le Courrier a publié deux commentaires dans la période analysée. Dans le premier (LC [11b]), le commentateur exprime d’abord sa satisfaction suite à la conclusion de l’accord de paix: « On ne peut que se réjouir que les négociateurs de Dayton aient finalement choisi la paix ». Il pense cependant que la mise en œuvre de l’accord sera difficile: « Pax americana s’il en est, ces signatures extorquées sous la pression de l’administration de Washington seront particulièrement difficiles à honorer ». Il explique ensuite quels sont les principaux obstacles à une paix durable: le fonctionnement des institutions communes « qui donnent l’impression d’un retour à la case départ » et l’existence de frontières ethniques « plus nettes que par le passé »; le retour des réfugiés « comme une bombe désamorcée toujours prête à exploser »; « la mise à l’écart de personnalités considérées comme des criminels de guerre »; la crise dans l’Organisation atlantique. Quant au dernier point, le commentateur estime que cette situation « n’augure pas de manière très favorable de la cohésion internationale plus nécessaire que jamais ». Dans le deuxième texte (LC [29b]), le commentateur explique d’abord pourquoi les accords de Dayton, qui sont « loin d’être parfaits », marquent « un progrès gigantesque »: « ils interdisent la reprise des combats, ils donnent aux Etats garants les moyens d’intervenir au lieu de se laisser humilier, ils exigent la libération de tous les prisonniers de guerre, ils écartent du pouvoir politique les criminels de guerre ». Il ajoute cependant qu’un travail gigantesque devra être accompli « pour que ce document ouvre la voie à la réconciliation et à une paix durable », un travail qui « exige l’assistance matérielle, stratégique, financière, fraternelle et psychologique de la communauté internationale ». Le commentateur met au premier plan la contribution des Etats-Unis à la conclusion de l’accord de paix: « la « pax americana » confirme le leadership des USA et l’incapacité de l’Europe libérale et démocratique d’imposer l’ordre international sur son propre continent ». Il explique ensuite que la présence de la force militaire ne suffira pas et que l’Europe devra faire preuve « d’habileté diplomatique et de générosité » pour faire participer les peuples de l’ex-Yougoslavie au destin européen. Une analyse comparative des articles à visée explicative publiés dans la même période par nos quatre quotidiens fait ressortir la récurrence des mêmes explications de l’événement construit. Ils sont unanimes quant aux CAUSES de la signature des accords de Dayton: la DÉTERMINATION DES ÉTATS-UNIS, l’INDÉCISION DE L’EUROPE et la FATIGUE DES EX-BELLIGÉRANTS – et quant à ses CONSÉQUENCES: une APPLICATION DIFFICILE DE L’ACCORD, la PRÉSENCE

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MILITAIRE AMÉRICAINE étant indispensable à la mise en œuvre de son volet civil et la PARTICIPATION EUROPÉENNE à la mise en œuvre de son volet civil. Ils divergent sensiblement quant à l’importance relative attribuée à l’un ou à l’autre de ces éléments. Ces divergences concernent la prise en charge textuelle des propriétés conceptuelles énumérées, comme nous venons de le voir, ainsi que les dimensions lexicale et syntaxique et l’organisation relationnelle des discours analysés.

La dimension lexicale des stratégies explicatives est caractérisée, de manière générale, par la présence d’un vocabulaire marqué du point de vue de l’expression de la subjectivité (connecteurs, modalisateurs, vocabulaire axiologique péjorant ou méliorant), qui permet de distinguer les textes à visée explicative des textes à visée purement informative. Alors que ces derniers restent confinés au réseau conceptuel des négociations de paix, les textes à visée explicative recourent simultanément à d’autres réseaux conceptuels – ceux des jeux de cartes, des contes, du spectacle, du théâtre, du sport, de l’argent etc. – liés à la vie de tous les jours et, par conséquent, plus proches du lecteur et plus accessibles au plus grand nombre. Pour expliquer l’événement politique, le journaliste essaie de le simplifier en le comparant aux événements caractéristiques d’autres sphères de la vie humaine: il essaie d’abord de s’insinuer sur le territoire du lecteur, pour l’amener ensuite sur son propre territoire et lui faire adopter sa définition de la situation. Le commentateur du JG compare l’initiative du président Clinton à « un coup de poker » et à « un chèque sans provision » pour rendre compte des risques qu’elle comporte; le déroulement des négociations de paix à un « marathon infernal » pour insister sur leur durée et sur des difficultés rencontrées, la cérémonie de signature à un « jeu de rôle » et à un « spectacle » pour mettre en relief le manque de sincérité de certains de ses protagonistes; les organismes internationaux aux « fées tutélaires » pour insister sur la responsabilité de la communauté internationale dans l’application de l’accord. Dans LC, le commentateur compare les dispositions de l’accord de paix à « un retour à la case départ » pour marquer leur caractère problématique. L’éditorialiste de la TG compare la contribution de l’Europe à « un rôle de figurant », pour expliquer pourquoi elle doit s’engager davantage dans l’application de l’accord signé où elle aura « une carte essentielle à jouer ». Les expressions figées relatives aux parties du corps humain font partie des mêmes procédés de simplification et de rapprochement de l’événement du lecteur utilisés par ce quotidien: « rester les bras ballants » pour l’attitude de l’Europe, « une force d’interposition musclée, à tête et colonne vertébrale américaines » pour l’Otan (TG).

Quand ils s’en tiennent au réseau conceptuel des négociations de paix, les quatre quotidiens divergent dans l’expression linguistique des degrés de leur approbation ou désapprobation par rapport aux entités conceptuelles évoquées. La manière dont les quatre quotidiens expriment leur attitude par rapport à l’accord de paix permet de l’illustrer: - « le succès des Etats-Unis », « un immense soulagement pour les peuples de la région », « la défaite de la Bosnie multi-ethnique » (NQ [9b]), « le caractère

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aléatoire de l’accord et le volontarisme qui sera nécessaire à son application » (NQ [23c]); - « un simple armistice » (TG [14b]), « la ratification de quatre années de « purification ethnique » », « une paix qui n’a pas grand-chose à voir avec la justice » (TG [33b]); - « l’accord étonne par son ambition », « la leçon est sévère pour les Européens », « la deuxième mort de la Yougoslavie », « la première pierre d’un nouvel ensemble qui sortira par rationalité économique et humaine de cette région », « la réaffirmation du leadership des Etats-Unis » (JG [17c]). - « une pacification aussi floue que périlleuse » (LC [28e]), « prémices de paix », « les accords de Dayton sont loin d’être parfaits », « ils sont néanmoins un progrès gigantesque », « ce traité ne signifie pas encore un retour à la coexistence pacifique, la reconstruction de la société civile et le rétablissement de la démocratie en ex-Yougoslavie », « il fige seulement une situation de non-guerre », « la pax americana confirme le leadership des Etats-Unis et l’incapacité de l’Europe libérale et démocratique d’imposer l’ordre international sur son propre continent » (LC [29b]).

Les deux types de procédés peuvent se combiner, le recours à d’autres

réseaux conceptuels permettant au journaliste d’exprimer son attitude avec plus de force: « les loups d’ex-Yougoslavie se sont inclinés devant l’agneau américain: un agneau résolu, bardé de valeurs chrétiennes et d’un savoir-faire diplomatique à la limite de la coercition » (JG [17c]), « L’Europe qui cherche à s’unir est ramenée à ce qu’elle est: un géant économique sans doute, mais aussi, « un nain politique et un ver de terre militaire » » (NQ [10a]). L’étude de ces variations stratégiques dans la prise en charge textuelle et linguistique d’une même propriété conceptuelle est révélatrice de l’importance des mots clés dans la mise en œuvre des stratégies discursives.

Certaines tournures syntaxiques contribuent à l’effet visé par les stratégies explicatives: amener le lecteur sur le territoire de l’instance de production, pour lui faire adopter la définition de la situation proposée. L’analyse des titres de textes à visée explicative permet de le confirmer: la forme interrogative du premier titre: « Le retour de l’armée américaine en Europe ? » et la forme question-réponse du deuxième titre du NQ: « Reconstruire la Bosnie ? Reconstruire l’Europe ! ». Les dimensions lexicale et syntaxique des stratégies explicatives sont liées à l’organisation stratégique du discours du journalisme politique, en influant sur les relations de face et de place entre l’instance de production et l’instance de réception. L’organisation relationnelle du discours est doublement impliquée dans l’analyse des stratégies explicatives déployées. Elle intervient dans un premier temps dans l’étude des relations interactives que l’intervention textuelle correspondant à une séquence explicative entretient avec l’intervention qui

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précède. Il s’agit de relations d’argument et de reformulation, ce que permet d’illustrer l’exemple étudié d’un article à visée explicative (voir § 4.1.3.1.).

Elle intervient dans un deuxième temps dans la mise en rapport de l’approche sur laquelle reposent les stratégies d’information et de la définition proposée sur laquelle reposent les stratégies explicatives, en faisant ressortir la complémentarité des différentes composantes des stratégies discursives. Elle permet d’établir une relation praxéologique d’étape entre deux articles portant sur le même sujet, dont l’un est à visée informative et l’autre à visée explicative (cf. les articles étudiés dans § 2.1.4. et § 4.1.3.1.) et d’observer les liens de dérivation conceptuelle au niveau intertextuel (à partir du concept de CÉRÉMONIE DE SIGNATURE: « une accessoire séance de signature » → « un hôte euphorique » → « une vedette américaine » → « spectacle parisien » → « jeu de rôle à l’Elysée »).

Cette mise en rapport des stratégies informative et explicative de la même instance de production permet en dernier lieux d’observer qu’une information partielle donne lieu à une explication partiale et que, comme l’observe Windisch (1999), seule la confrontation de plusieurs définitions de la situation, proposées par des instances de production différentes, permet de rendre transparents les événements médiatico-politiques. 4.2.3. Les stratégies de captation

Alors que les stratégies informative et explicative s’inscrivent dans le « contrat de sérieux » en assurant la crédibilité de l’information; les stratégies de captation relèvent quant à elles du « contrat de plaisir » en essayant d’attirer le plus grand nombre de lecteurs (Charaudeau 1992: 25).

Avant de procéder à l’analyse des interrelations complexes entre les différentes visées du discours d’information médiatique, nous nous proposons de définir les stratégies de captation comme une mise en œuvre de moyens langagiers (vocabulaire, syntaxe) et non langagiers (illustrations, mise en page, typographie) susceptibles d’attirer l’attention du lecteur lors du premier temps de lecture et de maintenir son attention lors du deuxième temps de lecture.

Dans la mesure où le discours journalistique constitue un tout indissociable, on peut parler d’une certaine complémentarité des stratégies discursives qui participent à la construction progressive de son organisation complexe. Nous avons déjà pu illustrer la complémentarité des stratégies d’informations et des stratégies explicatives: l’explication des causes et des conséquences de l’événement construit proposée par une instance de production justifie en même temps la sélection et la hiérarchisation des informations et la construction de l’événement qu’elle a opérées. Les stratégies de captation contribuent, pour leur part, à l’effet visé par les stratégies d’information et les stratégies explicatives, ainsi qu’à leur articulation.

Au premier niveau de lecture, les stratégies de captation s’appuient sur une combinaison de moyens langagiers et non langagiers, marquée par la prédominance d’éléments non langagiers. La mise en exergue visuelle de la

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titraille permet d’attirer l’attention sur certains éléments de l’événement construit. En cas de lecture partielle d’une page de journal, elle devient déterminante dans l’interprétation de l’événement par l’instance de réception. La dramatisation de l’information dans la titraille à travers le choix d’un vocabulaire axiologique marquée et de formules chocs incite le lecteur à poursuivre la lecture du texte. Le même effet est produit par le choix dans la titraille de tournures syntaxiques interrogative et impérative. Il en est de même en ce qui concerne la présence des illustrations, car « un réseau indéfini de relations » se tisse entre la surface iconographique et la surface linguistique d’un article de presse: « à trois reprises au moins: le système de relations potentielles, d’une part, et, d’autre part, les deux systèmes qui régissent les deux sous-ensembles actualisés respectivement par l’émetteur et le récepteur » (Tardy 1992: 82).

Au deuxième niveau de lecture, les stratégies de captation sont complémentaires avec les stratégies d’information et d’explication si la combinaison d’éléments langagiers et non langagiers permet d’aller au-delà de la visée informative de faire savoir (en montrant et en authentifiant l’événement construit) ou d’explication (la visée ludique de dessins humoristiques). Cependant, les moyens déployés dans une visée de captation sont, à ce deuxième niveau de lecture, principalement des moyens langagiers: en font partie certains procédés décrits dans le cadre de l’analyse des stratégies explicatives qui relèvent de l’expression de la subjectivité du journaliste et de son style individuel.

(1) Le Nouveau Quotidien met l’accent, dans la titraille, sur le caractère

problématique de l’accord, en recourant à un vocabulaire axiologique marqué péjorant: « La pax americana pour la Bosnie est en péril », « L’accord entérine la division de la Bosnie », « La Bosnie reste un champ de mines », « La paix est signée mais pas faite », « La Bosnie a signé la paix sur le papier. Sur le terrain, tout reste à faire ». Les illustrations complètent les informations et les explications fournies dans les textes correspondants, soit en élargissant la structure conceptuelle de l’événement construit dans les articles à visée informative (photographies), soit en servant d’appuis aux explications qui seront développées dans les articles à visée explicative (cartes). Les stratégies de captation qui relèvent du premier temps de lecture sont ainsi complémentaires avec l’approche critique qui sera développée par ce quotidien dans la construction et l’explication de l’événement. Au deuxième niveau de lecture, les stratégies de captation sont marquées par l’utilisation du vocabulaire axiologique péjorant ou méliorant, formant des syntagmes stéréotypés: « bras de fer acharné », « marathon diplomatique », mais aussi des expressions nouvelles sur lesquelles repose la définition de la situation propre à ce quotidien: « aventuriers politiques », « se laisser holbrooker », « dispositions constitutionnelles cache-misère », « légions de misérables si faciles à manipuler par les va-t-en-guerre » etc., qui permettent d’enrichir la structure conceptuelle des articles à visée informative et explicative. Le même effet d’élargissement de la structure conceptuelle aux propriétés conceptuelles issues du même réseau conceptuel ou d’autres réseaux conceptuels est produit par des segments de discours représenté formulé de manière directe, auquel s’ajoute l’effet d’authentification du discours

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produit par le journaliste ou l’effet de distanciation du journaliste par rapport au discours représenté.

(2) La Tribune de Genève procède à une dramatisation de l’information en

utilisant les formules chocs dans la titraille: « Toujours le suspense », « La paix en suspens », « Les Serbes de Bosnie se déchirent sur l’accord signé », « Les Américains s’aventurent la gorge serrée sur le terrain miné de la Bosnie », « La paix arrachée par Clinton », « L’amertume explose à Sarajevo ». Des tensions entre les stratégies de captation et les stratégies utilisées dans la construction et l’explication de l’événement existent non seulement au niveau de la titraille, mais également à celui des dessins humoristiques, qui constituent dans ce sens une catégorie d’illustrations à part, à visée ludique. Ces tensions sont atténuées par les autres illustrations (photographies, cartes, schémas) qui, quant à elles, complètent la structure conceptuelle des articles à visée informative ou servent d’appui aux textes à visée explicative. Au deuxième niveau de lecture, les moyens langagiers qui relèvent des stratégies de captation permettent de souligner le contraste entre propriétés conceptuelles opposées ou contradictoires issues du même concept, dans les articles à visées informative et explicative: « Pale condamne, Banja Luka approuve », « les habitants de l’ex-Yougoslavie ont accueilli la nouvelle avec soulagement, mais nombreux sont qui avouent leur scepticisme » (le concept de RÉACTION), « bien que composée de deux entités autonomes, la Bosnie ne sera pas dépecée », « violés sans vergogne depuis quatre ans, au prix de 200 000 vies humaines, les droits de l’homme seront garantis » (le concept de DISPOSITION DE L’ACCORD DE PAIX) etc. La définition de la situation propre à ce quotidien repose en grande partie sur des expressions stéréotypées, mais aussi sur la création d’expressions originales: « cette paix mitonnée à la sauce américaine », « dans un environnement pressurisé », « une tentative dérisoire d’européaniser, ou plutôt de « tricoloriser » la pax americana » etc. Certaines de ces expressions, empruntées à une autre source, font partie de segments de discours représenté formulé. Le nombre et la diversité de moyens utilisés par ce quotidien dans une visée de captation témoignent une fois de plus de son attachement à la spectacularisation et la dramatisation de l’information.

(3) Le Journal de Genève se contente dans la titraille d’attirer l’attention du lecteur sur les principaux éléments de la structure conceptuelle de l’événement construit: la contribution des Etats-Unis au processus de paix, la signature de l’accord de paix et ses conséquences : « La lumière viendra de l’Ouest », « Les Américains tentent d’arracher la paix aux Bosniaques », « La pax americana est conclue en Bosnie », « Bill Clinton triomphe », « La Bosnie sera en paix à Noël », « La paix reste à faire », « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation ». Le titre ne constitue qu’un cadre très général, plus ou moins assorti, pour le contenu informationnel qui fera l’objet du texte. Les illustrations, en revanche, complètent les informations et les explications fournies, soit en élargissant la structure conceptuelle de l’événement construit soit en servant d’appui aux textes à visée explicative. Au deuxième niveau de lecture, le recours à des expressions originales, produites par le journal ou empruntées à une autre

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source (le discours représenté formulé) permettent d’attirer l’attention du lecteur sur la définition de la situation propre à ce quotidien: « coup de poker américain », « jeu de rôles à l’Elysée ».

(4) Le Courrier accueille la nouvelle avec incrédulité et l’annonce avec

prudence et soulagement: « Comment y croire ? », « Les négociateurs parviennent enfin à un accord global », « Le dilemme américain », « Comment faire revivre une capitale qui a déjà perdu la moitié de ses cadres ? », « Prémices de paix », « Le pari sur la réconciliation tient encore de l’utopie ». De même que l’attitude exprimée dans la titraille va au-delà de l’information transmise, les illustrations enrichissent la structure conceptuelle des textes qu’elles accompagnent. Les stratégies de captation qui relèvent du deuxième niveau de lecture sont davantage liées à la fréquence et à la diversité de segments de discours représenté et aux relations interactives qu’elles entretiennent avec les séquences englobantes, qu’au recours à un langage figuré ou imagé ou aux formules chocs. La mise au premier plan d’un vocabulaire axiologique méliorant (dont les mots clés sont: « la paix », « la réconciliation », « l’espoir » etc.) témoigne de la volonté de dédramatisation de l’information par ce quotidien.

Les différentes composantes des stratégies discursives ne sont pas toujours complémentaires, dans la mesure où les stratégies de captation sont susceptibles d’influer sur l’interprétation effectuée par l’instance de réception de deux manières différentes: en attirant l’attention du lecteur sur certaines informations et en la détournant des autres. Si l’importance attribuée à un élément dans l’événement construit est disproportionnée à son importance réelle dans « l’événement brut », on peut parler de l’utilisation des stratégies de captation à des fins manipulatrices et, par conséquent, de leur opposition aux stratégies d’information et d’explication. Les illustrations qui font partie de la surface rédactionnelle et qui permettent d’accentuer certaines propriétés conceptuelles développées par le quotidien doivent être distinguées des illustrations qui font partie de la surface publicitaire. Ces dernières « volent de l’espace et du contenu à l’environnement rédactionnel » (Tardy 1992: 82) et menacent de le submerger. Ce n'est pas le cas du dessin de presse qui fait partie de la surface rédactionnelle: « La matière d'accueil cède la place et la regagne dans les périphéries, comme dans la mécanique des fluides lorsqu'un corps étranger impose sa présence. Il y a un déplacement : une surface iconographique est montée dans l'étendue d'une surface linguistique » (ibid.). Quel que soit l’impact des stratégies de captation sur l’information journalistique, il ne s’agit pas d’un simple rajout de la visée de captation aux visées informative et explicative, mais d’une modification profonde du discours journalistique qui affecte l’ensemble des dimensions et des formes d’organisation impliquées dans l’analyse des stratégies discursives163. 163 « Il ne suffit pas d’opposer simplement la communication à l’information comme deux entités extérieures, il faut saisir leurs relations antagonistes-complémentaires et comprendre que la seconde émerge de la première, ou peut y demeurer captive » (Bougnoux 1995: 93).

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La prise en considération du caractère dialogique de toute interaction et la réaffirmation des principes de complétudes dialogique et monologique, qui sont à la base de la dimension textuelle/hiérarchique de toute production discursive, deviennent déterminantes dans la description des unités discursives de rangs inférieurs qui composent le produit médiatique. « La distinction entre relation et contenu met en évidence que l’acte de communication n’est pas au seul service du deuxième terme, qui ne constitue qu’une partie tardive, émergente et dispensable de nos échanges en général » (Bougnoux 1995: 38).

Au niveau de l’organisation topicale, l’attention du lecteur se déplace de la structure conceptuelle de l’univers représenté dans le discours et de la prise en charge textuelle de cet univers vers l’établissement et le maintien de la communication entre l’instance de production et l’instance de réception. « La parole médiatique est tissée de relations et doit donc ménager celles-ci si elle veut toucher les gens, ou simplement se propager » (id. 98).

Au niveau de l’organisation compositionnelle, la surface rédactionnelle se confond avec la surface publicitaire. « Le modèle publicitaire ou de marketing n’infiltre pas seulement la réalité économique du journalisme, mais également ses formes esthétiques » (id. 80). Ceci est visible dans la recherche des expressions originales sur lesquelles s’appuie l’explication de l’événement proposée par le journal, dans les formules chocs des titres qui annoncent l’information ou dans la mise en page des unes qui rappelle celle de la surface publicitaire164.

L’organisation polyphonique devient extrêmement complexe. A la pluralité des voix qui caractérisent l’univers représenté dans le discours journalistique s’ajoute la pluralité et la diversité des voix journalistiques: « Qui parle dans les pages d’information d’un grand quotidien ? Est-ce la dépêche d’agence, le journaliste qui la développe et qui signe éventuellement l’article, celui qui lui met un chapeau ou un titre, le rédacteur en chef qui relit ou supervise l’ensemble et donne au papier sa place donc sa force (un même article ne dit pas la même chose selon qu’il figure à la Une du journal ou au bas d’une page intérieure), est-ce la « ligne » du journal qui inspire chaque article, et cette ligne monte-t-elle des lecteurs ou descend-elle des propriétaires du journal ou de ses plus grands annonceurs ? Cette simple énumération nous rappelle combien l’énonciation journalistique est collective, polyphonique ou complexe; pour extraire, traiter, présenter ou acheminer une information, la négociation est permanente » (id. 97-98).

L’organisation stratégique devient prépondérante, dans la mesure où le discours journalistique se tourne entièrement vers les relations de face et de place entre les interactants. Plus le nombre de lecteurs visé par l’instance de production

164 « L’information s’oppose à la communication comme la description à la prescription, ou comme la fonction référentielle aux fonctions expressive, conative et phatique de Jakobson. A la lumière de ce simple rappel, chacun pourra mesurer les dérapages de la presse d’information, manifestement happée par la vision utilitaire et expressive du marketing publicitaire, comme l’atteste la focalisation prescriptive des titres, autant dans la mise en page des unes et des couvertures, qui rivalisent parfois avec les spots de la télévision » (id. 81-82).

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est grand, plus celle-ci tend vers une vérité affective, s’éloignant du principe de réalité qui fonde le jugement critique165. 4.2.4. Les stratégies argumentatives

La spécificité des stratégies argumentatives par rapport aux stratégies discursives qui viennent d’être décrites tient tout d’abord à leur dimension interactionnelle: les stratégies argumentatives dépassent le cadre interactionnel réunissant l’instance de production et l’instance de réception pour s’inscrire dans le cadre interactionnel plus élevé, celui de l’échange d’opinions entre les différents acteurs de la communication et de l’argumentation politiques (hommes politiques, journalistes, citoyens).

Ce passage au niveau d’interaction plus élevé entraîne une modification du statut de l’instance de production, qui désormais n’exerce plus le rôle de simple informateur ou médiateur, mais accède au rang d’acteur de la communication et de l’argumentation politiques. Dans son ouvrage consacré à l’argumentation dans la communication, Breton (1996) définit cette activité discursive en mettant en avant sa visée communicationnelle: « L’argumentation appartient à la famille des actions humaines qui ont pour objectif de convaincre. De nombreuses situations de communication ont en effet pour but d’obtenir d’une personne, d’un auditoire, d’un public, qu’ils adoptent tel comportement ou qu’ils partagent telle opinion. On rencontre fréquemment ces situations dans la vie quotidienne, sur un plan aussi bien privé que professionnel, comme par exemple dans le cadre plus général de la négociation » (1996: 3). Les moyens utilisés pour convaincre sont extrêmement variés et mettent en jeu des procédures complexes, qui empruntent à toute la richesse des comportements humains. Parmi les différentes manières de convaincre, l’auteur distingue: la manipulation, la propagande, la séduction, l’argumentation et la démonstration. L’argumentation ne constitue donc que l’un des moyens de persuasion, dont la spécificité est de « mettre en œuvre un raisonnement dans une situation de communication » (ibid.).

Appliquée au discours journalistique, qui se situe également dans le cadre plus général de la négociation et de l’échange d’opinions entre différents acteurs de la vie publique et politique (§ 2.3.), la définition proposée permet de séparer la visée argumentative du discours journalistique de sa visée persuasive. La première est à la base d’un sous-ensemble des stratégies discursives que nous nommons stratégies argumentatives, tandis que la seconde caractérise les stratégies discursives dans leur ensemble.

L’analyse des stratégies discursives déployées par chacune des quatre instances de production a fait ressortir des constantes et des variations dans le traitement, l’explication et la présentation du même événement médiatique, qui 165 « En stimulant et en multipliant l’expression de chacun, l’appareil médiatique encourage une vérité affective et quasi automatique (le témoignage substitué à la vérification, la bonne relation et la connivence noyant tout débat…) au détriment du jugement critique fondé sur le principe de réalité » (id. 67).

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touchent aux différents aspects de l’organisation du discours et participent, dans une plus ou moins grande mesure et de manière plus ou moins directe, de la visée de persuasion du discours journalistique. Une analyse plus précise, centrée sur un moment discursif précis de cet événement, nous a permis de relever les variations stratégiques suivantes au sein d’un genre discursif, qui peuvent être mises en relation avec la visée de persuasion globale du discours journalistique:

- la surface rédactionnelle totale accordée à l’événement (entre 18 pages pour LC et 32 pages pour le NQ),

- le nombre moyen d’articles de presse par numéro (3 articles par numéro pour le NQ et 2 articles par numéro pour les trois autres quotidiens),

- les multiples relations entre différentes composantes de la surface rédactionnelle (titraille, textes, illustrations),

- le surface rédactionnelle maximale accordée à l’événement dans un numéro (1,5 page dans LC du 20 décembre, 2 pages pour le JG du 22 novembre, 2,5 pages pour la TG du 15 décembre et 3 pages pour le NQ du 22 novembre 1995),

- la structure de la surface rédactionnelle réservée à l’événement pendant les cinq jours correspondant aux deux points culminants, les 21, 22 et 23 novembre et les 14 et 15 décembre, à savoir le rapport entre les surfaces linguistique et iconographique: 21 illustrations ont été publiées, dans le NQ, 12 illustrations dans la TG, 8 illustrations dans le JG et 5 illustrations dans LC.

- la structure de la surface iconographique dans la même période, à savoir le rapport entre le nombre de photographies et de dessins est de 1 à 1 pour le NQ, le JG et LC, et de 2 à 1 pour la TG. Le dernier quotidien est caractérisé également par une plus grande variété de dessins de presse (cartes géographiques et dessins humoristiques) que les trois autres quotidiens (cartes géographiques),

- la structure de la surface linguistique, à savoir le rapport entre la titraille et le texte de l’article: dans les quatre quotidiens, environ un tiers de la surface linguistique du premier article en importance visuelle est réservé à la titraille,

- la hiérarchisation des informations sélectionnées, grâce à la mise en exergue visuelle des composantes de la surface rédactionnelles et à l’organisation hiérarchique-relationnelle des unités textuelles,

- le point culminant dans la construction de la structure conceptuelle de l’événement: l’aboutissement des négociations à Dayton (NQ, JG) ou la cérémonie de signature à Paris (TG, LC),

- l’importance relative accordée à l’événement par chaque quotidien lors du sommet informatif: à la une pour le NQ, la TG et le JG (toute la une pour le NQ et la TG et l’annonce à la Une avec renvoi à l’intérieur du journal pour le JG), une rubrique spéciale (la rubrique Paix) consacrée à l’événement pour le NQ ou son insertion dans une rubrique permanente (la rubrique International pour le JG et LC, la rubrique Monde pour la TG),

- l’écart des structures conceptuelles spécifiques à chaque quotidien par rapport à la représentation conceptuelle globale de l’événement,

- l’écart entre structures conceptuelles issues du premier et du deuxième temps de lecture,

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- l’écart entre prises en charge textuelle et non textuelle des structures conceptuelles spécifiques,

- une analyse explicative des causes et des conséquences de l’événement construit dans le cadre d’une définition de la situation spécifique à chaque quotidien ;

- les moyens utilisés pour attirer l’attention du lecteur sur une information au cours du balayage vertical du journal

- les moyens utilisés pour maintenir son attention pendant la lecture intégrale du texte de l’article sélectionné par le lecteur.

Réexaminées du point de vue du niveau d’interaction plus élevé et de l’échange entre différents acteurs politiques, ces variations stratégiques participent non seulement des visées d’information, d’explication et de captation, mais également de la visée de persuasion plus englobante du discours journalistique. Cependant elles doivent être distinguées des variations stratégiques qui relèvent d’un sous-ensemble spécifique des stratégies de persuasion, constitué par les stratégies argumentatives, tendues, elles, vers la réalisation de la visée argumentative du discours journalistique.

L’analyse des stratégies argumentatives nécessite la prise en considération de la complexité du cadre interactionnel et des contraintes spécifiques au niveau d’interaction qui réunit les différents acteurs de la vie politique et sociale. Dans l’espace élargi de la communication et de l’argumentation politique, la question de l’éthique professionnelle des journalistes devient primordiale. Comme l’observe Bougnoux (1995), les journalistes doivent maîtriser et concilier l’ensemble des contraintes auxquelles est soumise l’exercice de leur métier166. Ils sont censés simultanément « satisfaire aux exigences du marché, maintenir une bonne relation avec leurs employeurs, leurs annonceurs et leurs lecteurs ou auditeurs, relever le défi de la concurrence entretenue par les nouvelles technologies et, surtout, dire et écrire la vérité » (1995: 97).

Analysé dans le contexte élargi de la communication et de l’argumentation politique, le « contrat de communication » évoqué par Charaudeau inclut une série de droits et obligations des journalistes envers les autres acteurs167. Dans ce sens le journaliste et l’instance médiatique ont le droit et l’obligation de suivre les événements de la vie publique, politique, économique et culturelle, de les analyser et de les interpréter. Selon Béguin (1988), le but est non seulement de permettre au citoyen, pris isolément, de former sa propre opinion, mais également de « stimuler la réflexion » et de « susciter le dialogue » par « des 166 « L’argent, l’urgent, les gens: ces trois facteurs intimement imbriqués résument l’élément, constitutivement impur, avec lequel le journaliste doit quotidiennement composer, les conditions de possibilité de la désinformation comme de l’information véritable » (id. 109). 167 Dans le Préambule de la Déclaration des devoirs et des droits du journaliste adoptée en 1972 par la Fédération suisse des journalistes, il est souligné que: « le droit à l’information, de même qu’à la libre expression et à la critique, est une des libertés fondamentales de tout être humain. Du droit du public à connaître les faits et les opinions découle l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. Aussi la responsabilité de ces derniers envers le public doit-elle primer celles qu’ils assument à l’égard de tiers, pouvoirs publics et employeurs notamment » (cité par Béguin 1988: 113).

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prises de positions engagées » (1988: 157). Les privilèges attachés au métier de journaliste ne se justifient que dans la perspective d’une fonction sociale et d’une fonction civique. Selon le même auteur, la liberté du journaliste et son éthique professionnelle se mesurent en termes de sa responsabilité sociale et de son honnêteté intellectuelle. Pour expliquer la notion de responsabilité sociale du journaliste, Béguin distingue la liberté du journaliste de celle de l’écrivain: « L’écrivain affronte seul le jugement de ses lecteurs. Le journaliste, lui, s’insère dans une communication institutionnelle avec le public. Vu l’importance des moyens mis à sa disposition par les médias, il ne peut se dérober à sa responsabilité sociale. […] Sa liberté n’est donc pas un privilège personnel, c’est une chose due à son public. Le lecteur doit savoir que celui qui l’informe, ou qui commente pour lui les événements, a librement choisi les faits et les arguments qu’il expose. Librement, c’est-à-dire sans asservissement à des pouvoirs publics ou privés. Mais non pas sans responsabilité, ni sans référence aux règles communes de l’éthique professionnelle. Cela s’applique d’abord au journalisme d’information. Mais cela n’exclut pas le journalisme engagé; engagé, mais professionnellement honnête, acceptant donc, s’agissant de l’éthique, « le jugement de ses pairs » et, s’agissant du droit, le jugement des tribunaux » (id. 188-189).

La prise en considération de l’ensemble des facteurs qui interviennent dans le contexte élargi de la communication et de l’argumentation politiques, et notamment de la question de la liberté du journaliste, de sa responsabilité sociale et de son éthique professionnelle, permet, dans un premier temps, de compléter l’étude des stratégies discursives par l’analyse de mécanismes argumentatifs utilisés par le journaliste pour obtenir l’adhésion de l’opinion publique ou plutôt, des opinions publiques, car « il n’y a pas une opinion, mais un éparpillement de convictions disparates et contradictoires » (id. 133). Cette analyse permet, dans un deuxième temps, de comparer les visées d’information, d’explication et de séduction avec la visée argumentative du discours journalistique en fonction de leurs contributions respectives à la réalisation de la visée de persuasion plus englobante.

Du point de vue de la rhétorique aristotélicienne, l’argumentation est un processus complexe, tendu vers trois pôles, celui de logos, celui de pathos et celui d’ethos, constituant trois preuves engendrées par le discours. Dans son analyse de ces trois catégories, Eggs (1999) souligne que les arguments (logos) constituent le vrai corps de la persuasion, tandis que les deux autres preuves n’appartiennent à l’art rhétorique que si elles sont produites dans et par le discours lui-même (1999: 34). Eggs souligne cependant l’importance attribuée au rôle persuasif de l’ethos dans la rhétorique aristotélicienne: « les orateurs inspirent la confiance si leurs arguments sont compétents et raisonnables (logos), s’ils argumentent honnêtement et sincèrement (ethos) et s’ils sont solidaires et aimables envers leurs auditeurs (pathos) » (id. 35-36). Eggs utilise le terme d’« intégrité discursives et rhétorique » pour qualifier la prestation de l’orateur qui réussit à la fois « à se montrer, à apparaître et à être perçu comme compétent, raisonnable, équitable, sincère et solidaire » (id. 43). « On ne peut pas réaliser l’ethos moral, sans réaliser en même temps l’ethos neutre, objectif ou

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stratégique. Il faut agir et argumenter stratégiquement, pour pouvoir réaliser la sobriété morale du débat. Ces deux faces de l’ethos constituent donc deux éléments essentiels de la même procédure: convaincre par le discours » (ibid.). Pour aborder la problématique de l’argumentation du point de vue de l’analyse du discours, Adam (1999a, 1999b) part du schéma tripartite de l’argumentation hérité de la rhétorique aristotélicienne, et plus particulièrement de la définition de l’ethos proposée par Pelerman (1977), qui « met l’accent, d’une part, sur la personne, la fonction et le rôle de l’orateur et, d’autre part, sur l’image que son discours donne de lui ». Adam recourt ensuite au concept de schématisation discursive élaboré par Grize (1990, 1996), concept qu’il trouve, pour plusieurs raisons, « particulièrement bien adapté pour articuler le champ linguistique de l’analyse des discours avec celui de la rhétorique et de la théorie de l’argumentation » (1999b: 103). Le concept de schématisation discursive « réunit, en un même terme, l’énonciation comme processus et l’énoncé comme résultat » (id. 104). En outre, tout discours construit une sorte de micro-univers, car « schématiser, c’est construire un schéma, c’est-à-dire une représentation discursive par définition partielle et sélective d’une réalité » (id. 110), et la cohérence de ce micro-univers repose à la fois sur « la finalité du schématiseur » et « sur les attentes que le schématiseur prête à son auditoire »: « la schématisation est une co-construction » (id. 113). S’intéressant plus spécifiquement à la problématique des « images de soi » dans le discours, Adam tient à préciser que cette co-construction porte entre autre sur les images des différentes composantes de la personne de l’orateur (rôle, fonction, finalités, représentations) que propose la schématisation et que reconstruit l’interprétant (id. 117). L’analyse des schématisations proposées par deux orateurs (le Maréchal Pétain et le Général De Gaulle) permet à Adam d’attribuer les divergences de l’ethos aux dominantes de l’argumentation dans leurs discours respectifs, c'est-à-dire au poids qui y prennent les deux autres pôles du triangle (logos et pathos), et d’observer que « le discours de Pétain est plus un discours de manipulation, par un affaiblissement du logos, sur lequel par contre s’appuie largement le discours de De Gaulle » (id. 126).

Breton (1996) propose une approche communicationnelle de ces mécanismes argumentatifs, analysés dans leur relation avec la situation de communication qu’implique le partage d’opinions. Il définit l’argumentation comme un acte complexe: argumenter est plus que simplement concevoir un argument, c’est aussi, plus globalement, « communiquer, s’adresser à l’autre, lui proposer de bonnes raisons d’être convaincu à son tour de partager une opinion ». En rejoignant Windisch, il accorde une attention particulière à l’argumentation quotidienne168. Il estime que la maîtrise des mécanismes argumentatifs est indispensable à l’exercice d’une argumentation citoyenne et

168 « L’argumentation, comme l’a bien vu Uli Windisch, c’est d’abord et principalement l’argumentation quotidienne. Elle est faite des mondes de représentations que nous partageons avec tous les autres humains, des métaphores dans lesquelles nous habitons et qui structurent notre vision des choses et des êtres. Ces mondes sont au fond créés par l’argumentation et c’est l’argumentation qui les change. Elle en constitue la dynamique essentielle, la machine qui donne la forme à la matière première des croyances, des opinions, des valeurs » (id. 27-28).

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qu’une société qui se veut démocratique doit proposer à tous ses membres les moyens d’être citoyens et d’avoir une véritable compétence à prendre la parole. « Le pouvoir des médias, les subtiles techniques de désinformation, le recours massif à la publicité rendent chaque jour plus nécessaire une réflexion sur les conditions d’une parole argumentative à l’opposé de la rhétorique et de la manipulation » (1996: 12). Ceci est d’autant plus difficile que de nombreuses situations de communication mobilisent simultanément « plusieurs registres du convaincre » inextricablement liés: « dans nos sociétés d’aujourd’hui, une part importante des entreprises visant à convaincre mises en œuvre par nos contemporains a bien d’autres dominantes que l’argumentation. La publicité, mais aussi la communication politique en sont de bons exemples » (id. 35). Breton insiste sur la spécificité de l’argumentation par rapport aux autres registres du convaincre: « argumenter, c’est aussi contribuer à construire, à sa manière, un monde dans lequel, dès qu’il s’agit de défendre une opinion, la raison l’emporte, lorsque cela est nécessaire, sur les passions ou l’esthétique, sans pour autant les nier » (id. 36). L’auteur distingue deux grandes étapes dans la dynamique argumentative. La première étape est celle de cadrage du réel. Elle correspond au « premier objectif d’un argument qui est de modifier le contexte de réception de l’auditoire pour y introduire une opinion » et pour « construire un réel commun à l’orateur et à l’auditoire » (id. 43). C’est sur cette communauté que le second temps de l’argumentation s’appuiera « pour construire un lien entre cet accord et l’opinion proposée ». L’expression de « double détente argumentative » désigne ce que l’auteur considère comme essentiel dans la dynamique de communication: « on s’adresse à l’autre d’abord pour qu’il change sa vision des choses, ensuite pour lui montrer que la nouvelle opinion proposée s’accorde avec cette vision des choses »169. Breton souligne, lui aussi, la dimension éthique de l’argumentation: celle-ci « fait appel aux piliers de l’éthique: la liberté d’adhérer à l’opinion proposée, l’authenticité des arguments utilisés et la relativité des idées que l’on défend, qui ne sont, au bout du compte, que des opinions » (id. 111-112).

Le nombre d’informations d’origines diverses mobilisées simultanément dans une approche modulaire des stratégies argumentatives, témoigne de la complexité de celles-ci: des informations modulaires liées à la complexité du cadre interactionnel (§ 2.1.), à la spécificité du cadre actionnel (§ 2.2.1), à la structure conceptuelle de l’univers dont le discours parle (§ 2.2.3) et à l’échange initié par l’instance médiatique (§ 2.3.) – aux informations concernant des formes d’organisation complexes du discours (§ 4.1.3), en passant par les informations issues des formes d’organisation simples, telles l’organisation relationnelle (§ 3.3.2.) et surtout, l’organisation opérationnelle. A propos de l’organisation

169 A ces deux grandes étapes correspondent deux catégories d’arguments: les « arguments de cadrage » et les « arguments de liens ». Les arguments de cadrage se subdivisent en arguments d'autorité (qui reposent sur la compétence, l'expérience et le témoigage), arguments éthiques (terme emprunté à Windisch) (qui reposent sur les valeurs et croyances communes) et arguments de recadrage (définition, présentation, association, dissociation). Les arguments de lien sont de deux ordres, les arguments déductifs (quasi logique, réciprocité et causal) et les arguments analogiques (comparaison, exemple et métaphore) (Breton 1996: 90).

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opérationnelle, à laquelle nous avons consacré un chapitre entier, il suffit de rappeler la dynamique des processus opérationnels caractéristique du discours de la presse écrite pour nous rendre compte de sa ressemblance avec la dynamique argumentative décrite par Breton. Les deux temps de lecture coïncident en effet avec ce que cet auteur appelle la « double détente argumentative ». L’enchevêtrement des processus argumentatif et opérationnels du discours de la presse écrite remet en question l’existence même de l’argumentation, dans une situation de communication où tout peut tenir lieu d’argument avant même que l’on se soit interrogé sur le contenu ou la forme des opinions susceptibles d’être « argumentables ».

Seule une analyse détaillée des relations entre les unités discursives de rangs différents permet d’identifier des textes ou segments de textes à dominante argumentative à partir de la fréquence des marqueurs de relations argumentatives, contre-argumentatives et de reformulation et des autres effets argumentatifs et de définir, ensuite, la place des stratégies argumentatives dans l’ensemble des activités discursives ainsi que leurs interrelations. « Tout en impliquant la palette entière des réactions humaines, l’acte d’argumentation suppose une dominante de raisonnement et, parallèlement, une minoration de l’appel aux sentiments, au pouvoir et même à la démonstration. Ces derniers éléments ne sont donc pas absents de l’acte argumentatif. On pourra même être tenté de réfléchir à la façon dont ces éléments mineurs peuvent être mis au service, sans pour autant le paralyser, du message de la dominante: convaincre par un raisonnement » (Breton 1996: 35). L’avantage de l’approche modulaire est une analyse progressive et, si nécessaire, sélective de ces processus complexes, dans le cadre des formes d’organisation relationnelle (pour l’établissement des relations interactives) et compositionnelle (pour l’analyse des effets compositionnels des textes étudiés).

L’approche modulaire permet non seulement d’« extraire » de l’ensemble des productions discursives consacrées au même événement des textes et des segments de textes à dominante argumentative, mais également de séparer deux niveaux de définition de l’argument habituellement confondus: « celui du contenu de l’argument, les opinions elles-mêmes et celui du contenant, le « moule argumentatif » qui va donner sa forme à la thèse proposée » (Breton 1996: 39). Le premier niveau relève de l’organisation topicale, le second de la forme d’organisation relationnelle. La combinaison de ces deux formes d’organisation fait ressortir la diversité des mécanismes argumentatifs qui servent à appuyer l’opinion du journaliste, ainsi que les relations entre les concepts activés dans son discours.

Les stratégies argumentatives inscrivent un texte de presse dans l’échange potentiel entre différents acteurs de la vie politique et publique (journalistes, hommes politiques, citoyens). Tel est le cas de l’éditorial « Bosnie: L’Europe se rattrapera-t-elle ? » publié dans la Tribune de Genève du 15 décembre 1995, dont le titre même, par sa tournure interrogative, évoque la structure de l’intervention initiative d’un échange potentiel. La structure relationnelle du texte de l’article, à dominante argumentative, réunit dans un même mouvement argumentatif les stratégies de légitimation et de crédibilisation de l’opinion du journaliste et de

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réfutation des opinions adverses. Ces deux types de stratégies argumentatives, visant respectivement à « faire accepter par le public un discours en même temps qu’une place et à rejeter tout autre discours et place » (Windisch 1987: 68)170, sont reliés par la stratégie de concession, qui consiste à admettre certains éléments de l’argumentation adverse pour mieux les rejeter ensuite171. Dans sa forme canonique, cette structure est articulée autour des connecteurs: certes (introduisant la première intervention de l’échange), mais (introduisant la réponse à la première intervention) et car (étayant les arguments à l’appui de cette réponse); dans des textes authentiques, elle est entremêlée à d’autres mécanismes argumentatifs et à d’autres registres du convaincre que mobilise simultanément le discours journalistique, comme c’est le cas de la structure argumentative du texte analysé (pour le découpage et la numérotation des unités textuelles, voir l’Annexe 8):

170 Rappelons que Windisch définit la communication et l'argumentation politiques comme une lutte pour la définition de la situation, voire pour une place et pour un discours, dans un contexte conflictuel, car « toute lutte pour une place ou un discours oscille entre l’autodéfense et l’attaque de l’autre » (id. 32). 171 Cf. la schématisation du discours du Général de Gaulle proposée par Adam (1999a: 147).

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As [1] BOSNIE :

Ap [2] L’EUROPE SE RATTRAPERA-T-ELLE ?

Ap [3] Signé dans un Paris paralysé par les grèves, As [4] l’Accord de Dayton sur la paix en Bosnie ne s’appellera pas le “ Traité de l’Elysée ” :Ap [5] pour redorer son blason sérieusement terni par la crise yougoslave,

As [6] le Vieux Continent devra trouver autre chose que cette tentative dérisoire d’européaniserAp [7] - ou plutôt de “ tricoloriser ” -

As [9] “ Démission … capitulation … impuissance ” : As [10] certains commentateurs n’ont pas de mots assez durs

Ap [12] leur déception est à la mesure des ambitions des dirigeants de l’Union Européenne (UE) …As [13] lorsque le Luxembourgeois Jacques Poos proclamait que « l’heure de l’Europe a sonné »..

Ap [14] Mais les condamnations des uns sont aussi excessives que les rodomontades des autres.

As [15] Affirmer que l’Europe est restée les bras ballants face à la crise bosniaque,Ap [16] c’est insulter la mémoire de ceux de ses casques bleus …:

Ap [17] cinquante-six rien que pour la FranceAs [18] qui, avec la Grande Bretagne, a fournit le gros des troupes de l’ONU.

Ap [19] Il n’est aussi pas inutile de rappeler que le règlement de paix négocié à Dayton,As [20] et signé hier à l’Elysée, Ap [21] s’inspirait essentiellement de conceptions européennes,

As [25] Par le seul fait de sa présence au moment de la crise yougoslave,Ap [26] l’UE,

As [29] éviter que le conflit n’embrase le reste des Balkans.

As [30] Si elle n’avait pas existé, Ap [31] on se serait retrouvé dans une situation de type 1914,As [32] les sympathies pro-croates de l’Allemagne et pro-serbes de la France …

Ap [33] Certes, cette crise est survenue au plus mauvais moment pour l’UEAs [34] alors qu’elle avait à peine ébauché une politique étrangère et de sécurité commune.As [35] La comparaison à cet égard avec les Etats-Unis est spécieuse :

Ap [36] un “ Holbrooke européen ” est actuellement inconcevable,A- I [37] car il dépendrait de plusieurs maîtres au lieu d’un seulA- I [38] et n’aurait pas à disposition … toute la puissance de feu du Pentagone.

As [39] Si l’Europe a failli –Ap [40] gravement –

Ap [41] c’est sur le plan des principes, As [42] en s’accommodant de l’acquisition de territoires par la force.Ap [43] Mais c’est là une responsabilité qu’elle partage avec l’ensemble de l’Occident,

A- I [44] l’accord de Dayton-Paris ne faisant à cet égard que ratifier quatre années de « purification ethnique »A- I [45] et instaurant une paix qui n’a pas grand chose à voir avec la justice.

As [46] Laissée en l’état, Ap [47] celle-ci ne constituera donc qu’un armistice,

As [49] A moins que les Européens sachent utiliser ce répit

Ap [51] Sauront-ils saisir cette seconde chance ?

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Ap [8] la pax americana arrachée par le président Clinton et Richard Holbrooke, son habile et tenace émissaire.

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Ap [11] pour stigmatiser l’attitude des Européens, confrontés au conflit le plus meurtrier …Is

A-I [22] notamment le plan Juppé-Kinkel,Ap [23] sans oublier le fameux plan Vance-Owen As [24] qui fut torpillé … par l’administration Clinton.

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As [27] cimentée par l’historique réconciliation franco-allemande,Is

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As [48] jusqu’au retrait annoncé des troupes de l’Otan, d’ici un an.com

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Figure 50 : La structure hiérarchique-relationnelle d’un texte de presse à dominante argumentative

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La représentation schématique ci-dessus fait ressortir la forte prédominance des relations interactives d’argument, de contre-argument et de reformulation entre les constituants de sa structure textuelle/hiérarchique. Dans un grand nombre de cas, l’établissement de ces relations repose sur la combinaison d’informations d’ordre textuel, liées aux constituants de rangs différents de sa structure textuelle, avec des informations d’ordre lexical ou syntaxique, relatives à la présence des connecteurs ou à la présence des constructions participiales à valeurs causale et concessive. Faute de ces

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« marqueurs de relations textuelles » (Roulet 2003), l’établissement des autres relations interactives nécessite le recours aux informations d’ordre référentiel, liées à la possibilité d’insertion de connecteurs, ainsi qu’à la structure conceptuelle de l’univers représenté dans le discours. Le premier cas de figure prévaut dans les interventions initiale ([3-8]) et finale ([39-51]), le deuxième dans l’intervention centrale ([9-38]).

Nous examinerons ici les interrelations entre l’organisation relationnelle de cet éditorial et sa structure conceptuelle, compte tenu de l’importance de celle-ci dans l’interprétation des stratégies argumentatives déployées par l’éditorialiste. Nous proposons la représentation schématique suivante de la structure conceptuelle de l’univers représenté dans le discours:

REACTIONS DE DESAPPROBATION

OPINION DU JOURNALISTEREACTIONS DE DESAPPROBATION REACTIONS D’APPROBATION

RÔLE DE L’EUROPE

LA SIGNATURE DE L’ACCORD DE PAIX

REACTIONS D’APPROBATION L’ATTITUDE DE L’EUROPEDANS LE PROCESSUS DE PAIX

LA MISE EN ŒUVREDE L’ACCORD DE PAIX

VOLET MILITAIRE VOLET CIVIL

[2] L’Europe se rattrapera-t-elle ?

[9] « Démission …capitulation …impuissance »

[13] « l’heure de l’Europe a sonné ». [14] Mais les condamnations des uns sont aussi excessives que les rodomontades des autres.

[16] insulter la mémoire de ceux de ses casques bleus qui ont payéleur engagement de leur vie[19-23] le règlement de paix s’inspirait essentiellement de conceptions européennes [25-32] l’UE a empêché que le conflit n’embrase le reste des Balkans.

si[39] Si l’Europe a failli –[40] gravement –[41] c’est sur le plan des principes, [42] en s’accommodant de l’acquisition de territoires par la force.

[33] Certes, cette crise est survenue au plus mauvais moment pour l’UE [34] alors qu’elle avait à peine ébauché une politique étrangère et de sécurité commune.

[5-8] cette tentative dérisoire d’européaniser - ou plutôt de « tricoloriser » -la pax americana arrachée par le président Clinton et Richard Hoolbrooke, son habile et tenace émissaire.

[43] Mais c’est là une responsabilitéqu’elle partage avec l’ensemble de l’Occident,

/car/[44] l’accord de Dayton-Paris ne faisant à cet égard que ratifier quatre années de « purification ethnique »[45] et instaurant une paix qui n’a pas grand chose à voir avec la justice.

[46] Laissée en l’état, [47] celle-ci ne constituera donc qu’un armistice, [48] jusqu’au retrait annoncédes troupes de l’Otan, d’ici un an.

[49] A moins que les Européens sachent utiliser ce répit [51] pour prendre résolument à leur compte l’œuvre de reconstruction de l’ex-Yougoslavie et de réconciliation de ses peuples antagonistes.[51] Sauront-ils saisir cette seconde chance ?

RESPONSABILITEPARTAGEE

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Figure 51: La structure conceptuelle d’un texte de presse à visée argumentative

certes

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La structure argumentative très complexe de cet éditorial vise à faire adhérer le lecteur à l’opinion de l’éditorialiste concernant le RÔLE DE L’EUROPE dans le processus de paix, sujet ayant suscité une vive polémique dans l’opinion publique. La structure syntaxique et lexicale du titre est significative à plusieurs égards: la tournure interrogative témoigne du souci de l’éditorialiste d’inciter le lecteur à la réflexion ou de le laisser libre d’adhérer à l’opinion qu’on lui propose plutôt que de la lui imposer. Il n’en s’agit pas moins d’une stratégie argumentative « de cadrage » très efficace: si le lecteur a la liberté de se faire soi-même une opinion, il n’échappe pas au cadre posé par l’éditorialiste, ni à la définition de la situation sur laquelle s’appuie sa question. Tout en admettant une certaine responsabilité européenne (qu’implique le sens du verbe « se rattraper »), l’éditorialiste réoriente le débat sur L’ATTITUDE DE L’EUROPE face à la guerre, vers le thème de responsabilité européenne dans le PROCESSUS DE NÉGOCIATION et dans la MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD DE PAIX. L’acte [2] « L’Europe se rattrapera-t-elle ? » résume ainsi le mouvement argumentatif de l’ensemble du texte, que l’acte final [51] ramène à une reformulation de la question initiale: « Sauront-ils saisir cette seconde chance ? ».

Ce long mouvement argumentatif divise le texte de l’article en trois grandes interventions. Dans la première ([3-38]), l’éditorialiste exprime son opinion concernant les rôles respectifs de l’Europe et des Etats-Unis dans le PROCESSUS DE NÉGOCIATION ([3-8]), en qualifiant la cérémonie de signature à Paris comme « une tentative dérisoire d’européaniser – ou plutôt de « tricoloriser » – la pax americana arrachée par le président Clinton et Richard Holbrooke, son habile et tenace émissaire ». Dans la deuxième grande intervention ([9-38]), l’éditorialiste rejette aussi bien les condamnations que les rodomontades « excessives » de l’attitude de l’Europe face à la guerre. Son argumentation se présente sous forme d’un échange subordonné, dans lequel deux questions, formulées respectivement par les adversaires ([9-11]) et les partisans ([12-13]) de la politique européenne, sont suivies de deux réponses de l’éditorialiste, la première ([15-32]), beaucoup plus élaborée, visant à rejeter, la deuxième ([33-38]) à admettre un certain nombre de critiques adressées à l’Europe.

Après avoir examiné les deux types d’arguments et proposé au lecteur une image de soi neutre et objective, l’éditorialiste reformule sa thèse de départ ([39-51]): « si l’Europe a failli – gravement – c’est sur le plan des principes, en s’accommodant de l’acquisition de territoires par la force », introduisant le concept de RESPONSABILITÉ PARTAGÉE ([39-45]): « mais c’est une responsabilité qu’elle partage avec l’ensemble de l’Occident ». Il lie ce concept aux propriétés conceptuelles de l’ACCORD DE PAIX: « l’accord de Dayton-Paris ne faisant à cet égard que ratifier quatre années de « purification ethnique » et instaurant une paix qui n’a pas grand-chose à voir avec la justice ». Ce parcours conceptuel amène l’éditorialiste à une première conclusion sur le caractère insatisfaisant de l’ACCORD DE PAIX: « laissée en l’état, celle-ci /la paix/ ne constituera donc qu’un armistice, jusqu’au retrait annoncé des troupes de l’Otan ». Dans l’acte suivant ([49]), l’éditorialiste substitue à la propriété conceptuelle d’ARMISTICE, issue du concept de VOLET MILITAIRE de l’accord de

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paix, celle de RÉPIT liée au RÔLE DE L’EUROPE dans la MISE EN ŒUVRE du VOLET CIVIL de l’accord de paix. L’éditorialiste finit par relativiser la portée de la conclusion précédente, en s’interrogeant sur la capacité de l’Europe à « saisir cette seconde chance » ([50-51]): « prendre résolument à son compte l’œuvre de reconstruction de l’ex-Yougoslavie et de réconciliation de ses peuples antagonistes ». La mise en relation des structures relationnelle et topicale démontre que le mécanisme argumentatif déployé dans l’intervention principale ([39-51]) est destiné à introduire le concept de RESPONSABILITÉ PARTAGÉE des Etats-Unis et de l’Europe dans le PROCESSUS DE NÉGOCIATION, puis à l’étendre au processus de MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD DE PAIX, qui représentera pour l’Europe l’occasion de se rattraper. Le fait que le concept principal, celui de RESPONSABILITÉ, annoncé par le titre, ne soit introduit que dans l’intervention finale, témoigne de la prudence avec laquelle l’éditorialiste aborde le débat lancé par l’opinion publique, mais également de son souci principal: proposer au lecteur une image de soi neutre et objective, pour le faire adhérer à sa définition de la situation.

La combinaison des informations issues des formes d’organisation relationnelle (l’établissement des relations interactives argumentatives) et topicale (l’établissement des rapports de subordination et de dérivation conceptuelles) fait ressortir les spécificités des stratégies argumentatives par rapport aux stratégies de captation, d’une part, et aux stratégies d’information et d’explication, de l’autre.

Les stratégies argumentatives se distinguent des autres stratégies de persuasion auxquelles fait appel le discours du journalisme politique: les stratégies de captation qui relèvent du premier et du deuxième niveau de lecture. La force persuasive des stratégies argumentatives résulte de l’effort argumentatif de l’auteur du texte: l’intervention textuelle principale introduit le concept principal, tandis que les interventions subordonnées visent la légitimation et la crédibilisation du journaliste auprès du lecteur. En revanche, la force persuasive des stratégies de captation résulte du court-circuitage de la relation journaliste-lecteur172. Qu’il s’agisse de la mise en page, de l’importance visuelle attribuée à un texte, de la mise en exergue du titre, des jeux de mots, des formules chocs ou de différents procédés rhétoriques visant à attirer l’attention du lecteur sur des éléments secondaires, les différentes stratégies de captation visent à faire adhérer le lecteur à une définition de la situation en agissant principalement sur ses émotions et sa dimension affective. Les stratégies argumentatives relèvent du 172 « La rhétorique est souvent plus efficace que l’argumentation. Du moins à court terme. Il est plus efficace en effet d’intervenir sur la relation orateur/auditoire pour faire « passer » l’argument que de laisser se dérouler le chemin plus long et plus difficile opinion/orateur/argument/auditoire. Les possibilités d’intervention directe sur le lien orateur/auditoire sont nombreuses, bien connues, d’usage répandu et pas toutes parées des noirs atours de la manipulation des consciences. Les stratégies de séduction par exemple, si fréquentes en communication politique, sont argumentation si elles restent périphériques, en appui illustratif d’un argument, mais sortiront du cadre argumentatif si l’appel aux sentiments tient lieu d’argument et constitue le seul moyen de transport de l’opinion » (Breton 1996: 31).

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LOGOS et visent à persuader par les arguments et par la justesse du raisonnement sur lequel est fondée une opinion. Les stratégies de captation, elles, relèvent du PATHOS, et visent à agir sur les sentiments du lecteur pour lui imposer une définition de la situation.

Les stratégies argumentatives, qui concernent l’opinion du journaliste, doivent être distinguées des stratégies informatives et explicatives, qui concernent les faits: l’un des principes de la déontologie journalistique consiste à séparer l’information et l’analyse explicative des événements de l’expression d’opinions et de points de vue subjectifs. « La différence entre l’opinion et l’information tient au contrat de communication qui, dans le cas de l’information, suppose que l’on tendra le plus possible vers un regard objectif, même si on n’y parvient pas tout à fait » (Breton 1996: 27). « Dans le champ journalistique, la distinction information-opinion est tout aussi essentielle et fixe les impératifs déontologiques du journaliste, qui ne fait pas le même travail lorsqu’il informe le public que quand il lui donne, comme commentateur ou comme chroniqueur, son « opinion » sur les faits » (ibid.). La mise en relation des structures relationnelle et topicale ne suffit pas pour rendre compte de la contribution des stratégies argumentatives à la réalisation de la visée communicationnelle globale des stratégies discursives du journalisme politique. Sur le plan de la structure praxéologique, l’éditorial analysé ne représente qu’un des six épisodes constitutifs de la transaction portant sur le même événement : « la signature des accords de Dayton ». Les stratégies argumentatives ne peuvent pas être interprétées en dehors de l’ensemble des stratégies discursives qui contribuent à la construction, l’explication, la présentation d’un événement et à la prise de position du journal aussi bien par rapport à l’événement construit, analysé et proposé au lecteur, que par rapport aux positions prises par d’autres acteurs de la vie publique et politique. Dans ce sens, les stratégies argumentatives ont en quelque sorte « le dernier mot » dans la définition de la situation proposée par un quotidien. Elles constituent également le lieu dans lequel s’exerce la liberté du lecteur d’adhérer ou non à l’opinion qu’on lui propose.

Dans le contexte de la communication et de l’argumentation politiques, les stratégies argumentatives participent, dans une plus ou moins grande mesure, de la visée de persuasion globale que partage l’ensemble des stratégies discursives du journalisme politique: faire adhérer le lecteur à une définition de la situation en recourant à tous les moyens discursifs disponibles et, par conséquent, non seulement lui proposer une définition de la situation, mais la lui imposer. Selon Breton (1996) les stratégies de séduction ne constituent que l’un des moyens visant à faire perdre au lecteur la liberté d’adhérer à l’opinion proposée. L’autre moyen « consiste à intervenir sur le rapport entre l’argument et l’auditoire, en somme à tourner celui-là de telle façon que celui-ci en soit prisonnier. Le recours fréquent en rhétorique aux figures de style relève de cette démarche. Une opinion, pour être joliment présentée, en devient-elle pour autant un argument ? Là aussi, la tradition rhétorique est remplie de cette interrogation, à laquelle elle a très souvent répondu par l’affirmative. Une variante de l’usage du style aujourd’hui est la « clarté » dans l’énoncé d’une opinion. Claire, l’opinion serait

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d’emblée convaincante. Ce poncif médiatique est si répandu aujourd’hui qu’il n’est plus guère visible que la clarté, la transparence ne sont qu’un artifice de présentation qui nous emprisonne dans le message » (Breton 1996: 33).

Finalement, c’est peut-être justement la notion de « visibilité » qui saisit le mieux le fonctionnement des stratégies discursives et la dynamique des processus discursifs de production et d’interprétation: les stratégies discursives les plus efficaces sont celles qui sont les moins visibles. Les stratégies les plus visibles ne sont efficaces que si elles sont invisibles pour l’instance qui les interprète.

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Conclusion

L’approche modulaire de la problématique des stratégies discursives a mobilisé un nombre élevé d’informations d’origines diverses, issues de l’ensemble des modules et de plusieurs formes d’organisation du discours simples et complexes. Au terme de cette recherche, qui a tenté de concilier la précision de l’analyse des différents aspects des productions discursives avec l’observation de leurs interrelations et des principes généraux sur lesquels s’appuient les stratégies discursives propres à un type de discours (le journalisme politique) et à un genre de discours (la presse ordinaire), il convient de résumer ses résultats, de réunir ses principales conclusions et d’établir le bilan de (ce qui nous semble constituer) ses principaux apports, de (ce dont nous sommes consciente être) ses points faibles (ou problèmes majeurs rencontrés au cours de la recherche) et des observations (que nous regrettons de ne pas pouvoir approfondir davantage) susceptibles de constituer des pistes pour des recherches ultérieures. Les résultats d’une recherche ne peuvent être appréciés qu’à l’aune de son objet, de sa méthodologie et de ses buts. Par le choix de son objet de recherche, ce travail s’inscrit dans la lignée de pensée qui met en valeur la primauté de la fonction communicative du langage par rapport à sa fonction de représentation. Les visées communicationnelles, qui relèvent de l’échange entre l’instance de production et l’instance de réception (visées informative, explicative et de captation) et, de manière plus générale, de la communication et de l’argumentation politiques (visée argumentative), déterminent la manière dont le journaliste construit un événement (en rapportant, en commentant les faits et les dits qui le composent, et en problématisant, en élucidant ou en évaluant les faits et les dits rapportés et/ou commentés).

Nous estimons que l’objet de recherche choisi (stratégies discursives), qui permet de penser ensemble le produit discursif, l’instance de production et l’instance de réception, est à la mesure du cadre théorique adopté, fondé sur une approche cognitive interactionniste de phénomènes discursifs. Grâce à son caractère intégrateur et au degré d’élaboration du dispositif modulaire, le modèle genevois d’analyse du discours de type modulaire a pu saisir cette catégorie discursive complexe dans sa globalité, tout en rendant compte du fonctionnement de ses différents aspects et de leurs interrelations fines. Le bref survol des définitions de la notion de stratégie discursive proposées par d’autres modèles d’analyse a mis en évidence, par ailleurs, une corrélation entre l’étendue de la notion de discours et celle de la notion de stratégie discursive. Une approche unifiée des dimensions linguistique, textuelle et situationnelle de l’organisation du discours présente l’avantage d’appréhender les deux notions, celles de discours et de stratégie discursive, dans leur complexité.

Ce travail de recherche a poursuivi deux objectifs complémentaires: rentabiliser le caractère intégrateur du modèle genevois en le mettant à l’épreuve

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d’une catégorie discursive complexe et proposer une description des stratégies discursives du journalisme politique dans une perspective modulariste, en étudiant de manière systématique l’ensemble des informations qui participent à leur élaboration.

Si nous essayons de résumer ses résultats, nous pouvons dire qu’il a donné

lieu à une définition des stratégies discursives qui rend compte de leur complexité, à une caractérisation des stratégies discursives du journalisme politique qui met en valeur leurs aspects finalisé, volontaire et difficile et à une description approfondie de l’ensemble des dimensions et des formes d’organisation mobilisées dans la mise en œuvre des stratégies discursives propres à un type et à un genre de discours spécifiques.

Dans la définition des stratégies discursives que nous avons proposée, nous avons voulu mettre en avant la complexité de cette catégorie discursive. Aussi avons-nous défini une stratégie discursive comme un processus discursif complexe, hiérarchiquement et séquentiellement organisé, issu de la combinaison d’informations modulaires d’origines praxéologique et textuelle (relatives à la définition des unités praxéologiques et textuelles de rangs différents) avec les informations liées aux formes d’organisation simples et complexes qui interviennent dans l’analyse des buts et des visées communicationnelles des productions discursives réalisées dans une situation d’interaction spécifique.

Dans la caractérisation des stratégies discursives du journalisme politique, nous avons insisté sur l’importance des dimensions et des formes d’organisation qui mettent en valeur les aspects finalisé, volontaire et difficile constitutifs de toute stratégie et justifiant le recours à la notion de stratégie discursive dans le contexte de la communication et de l’argumentation politiques. Il s’agit principalement des informations modulaires d’origines référentielle (aspect finalisé), textuelle (aspect volontaire) et interactionnelle (aspect difficile). Comme leurs combinaisons mobilisent l'ensemble des dimensions modulaires dans le cadre d'un grand nombre de formes d'organisation du discours, simples et complexes, nous avons postulé que leur étude relève de la forme d’organisation stratégique. Cette forme d’organisation complexe résulte en effet du couplage d’informations d’origine modulaire (interactionnelles, référentielles, textuelles, syntaxiques, lexicales) et de celles issues des formes d’organisation élémentaires (opérationnelle, relationnelle, informationnelle, énonciative, séquentielle) et complexes (topicale, polyphonique, compositionnelle). En situant la problématique des stratégies discursives dans le cadre de la forme d’organisation stratégique, qui traite des relations de faces et de places entre les interactants, nous avons voulu insister sur l’importance de l’aspect relationnel dans l’élaboration des stratégies discursives du journalisme politique.

Dans la description des stratégies discursives propres à un type et à un genre de discours spécifiques, nous avons mis à profit la démarche descendante bakhtinienne de l’étude de phénomènes linguistiques et discursifs. Nous l’avons appliquée (1) à l’analyse des dimensions modulaires, en commençant par la description des dimensions situationnelles (interactionnelle et référentielle), pour nous intéresser ensuite aux dimensions textuelle et linguistiques (syntaxique et

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lexicale); (2) à l’analyse des structures opérationnelles et de leurs interrelations avec les formes d’organisation simples et complexes, en postulant que les unités discursives superordonnantes déterminent le sens des unités discursives de rangs inférieurs, (3) ainsi qu’à l’analyse des niveaux opérationnel et stratégique de l’interaction médiatique, en postulant que les unités discursives qui relèvent du niveau stratégique déterminent le sens des unités discursives qui relèvent du niveau opérationnel.

Si nous reprenons les principales conclusions à l’issue des différentes

étapes de la recherche, nous pouvons observer qu’elles concernent la sélection des informations modulaires pertinentes pour une analyse approfondie des stratégies discursives du journalisme politique, l’articulation des versants textuel et praxéologique des unités et des relations discursives et la prise en considération progressive de l’ensemble des dimensions et des formes d’organisation qui contribuent à une analyse systématique des stratégies discursives.

Dans la première étape de la recherche, la sélection des informations modulaires a été effectuée avec le plus grand soin, car un nombre trop élevé d’informations à traiter, ainsi que leur diversité, constitueraient le principal obstacle à une analyse plus approfondie de phénomènes discursifs. Nous avons réduit le nombre potentiellement illimité d’informations d’origine modulaire à celles qui sont mobilisées dans l’élaboration des stratégies discursives et, plus spécifiquement, à celles qui émergent dans la situation d’interaction reliant une source d’informations, une instance médiatique et une instance de réception. La description de la dimension interactionnelle a été centrée aussi bien sur le rôle des propriétés du cadre interactionnel dans l’étude des stratégies discursives que sur la notion même de journalisme politique dans une perspective modulariste. De même, la description de la dimension référentielle a permis non seulement de rendre compte des représentations et des structures praxéologiques et conceptuelles qui interviennent dans l’élaboration des stratégies discursives en général, mais également de mettre en évidence la spécificité des informations de nature référentielle que l’instance médiatique mobilise dans le cadre de l’élaboration de stratégies discursives qui lui sont propres. Dans la description de la dimension hiérarchique, une attention particulière a été accordée à la manière dont se combinent les unités textuelles de rangs différents dans un texte de presse et à la spécificité des structures textuelles par rapport aux structures praxéologiques et conceptuelles. Finalement, la description des dimensions syntaxique et lexicale a permis de rendre compte des ressources langagières mobilisées dans l’élaboration des stratégies discursives et, plus spécifiquement, de celles qui émergent dans la situation d’interaction spécifique qui nous intéresse.

Dans la deuxième étape de la recherche, l’analyse de textes de presse relativement courts nous a conduite à formuler quelques principes de couplage d’informations modulaires d’ordres textuel et praxéologique relevant du niveau opérationnel. Ces principes de couplage spécifiques à la forme d’organisation opérationnelle relient les buts et les sous-buts des activités constitutives du

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discours du journalisme politique (rapporter et/ou commenter les faits et les dits, problématiser, élucider et évaluer les faits et les dits rapportés et/ou commentés) et les moyens langagiers déployés à travers les structures textuelles en vue de la réalisation de ces buts. Leur formulation nous a permis de procéder à l’analyse des unités et des relations discursives dans un texte de presse plus complexe et d’envisager l’analyse des processus discursifs plus englobants, qui se déroulent dans le cadre de l’aire scripturale d’une page de journal. Celle-ci fait l’objet de deux niveaux de lecture. Le premier niveau porte sur les opérations discursives homogènes du point de vue praxéologique et hétérogènes du point de vue conceptuel. Le deuxième niveau concerne la lecture intégrale d’un article de presse, constituant sur le plan opérationnel une opération discursive hétérogène du point de vue praxéologique et homogène du point de vue conceptuel. Le texte de presse, situé à l’intersection des deux niveaux de lecture distincts, constitue une unité discursive dynamique, les relations entre ses constituants n’étant pas définies une fois pour toutes, mais évoluant au fil des différents temps de lecture.

Dans la troisième étape de la recherche, nous avons proposé une analyse descriptive des stratégies discursives propres à un type discursif (journalisme politique), afin de réunir progressivement l’ensemble des informations qui participent à l’élaboration des stratégies discursives. Nous avons complété la description des processus opérationnels par l’analyse des interrelations entre les buts communicationnels des unités opérationnelles et les structures informationnelle/topicale, énonciative/polyphonique, séquentielle/compositionnelle et stratégique. Après avoir procédé au couplage d’informations modulaires d’ordres praxéologique et textuel relevant du niveau stratégique (concernant la définition des unités textuelle et praxéologiques maximales), nous avons étendu la description de ces formes d’organisation simples et complexes à la problématique de leurs interrelations avec les visées communicationnelles des stratégies discursives. L’analyse descriptive des stratégies discursives du journalisme politique a été suivie d’une analyse comparative des stratégies discursives propres à un genre de la presse écrite (quotidien d’information) à partir de l’observation des variations stratégiques dans la construction, l’explication et la présentation du même événement par différentes instances médiatiques. Cette analyse nous a permis de distinguer quatre types de stratégies discursives. Caractérisées par leurs visées communicationnelles respectives: informative, explicative, de captation et argumentative, ces stratégies discursives restent complémentaires, tendues vers la réalisation de la même visée communicationnelle globale de persuasion.

Nous pensons que la démarche analytique progressive, allant des

informations simples aux combinaisons d’informations complexes constitue le principal apport de ce travail de recherche aussi bien à une description détaillée et systématique des stratégies discursives et qu’à la mise en valeur du caractère intégrateur du modèle genevois.

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Cependant, cette démarche présente également des points faibles qui risquent de susciter un certain nombre de critiques, concernant principalement une diversité déconcertante des informations prises en compte et des emprunts fréquents à d’autres modèles d’analyse. Nous pensons que ses points faibles sont liés à l’étendue de l’objet de recherche et son caractère interdisciplinaire. En effet, les stratégies discursives font partie des notions carrefours, dont l’analyse demande, nécessite même la prise en considération d’un grand nombre d’informations issues d’horizons différents. En outre, l’analyse du discours du journalisme politique et du discours de la presse écrite est inconcevable sans la prise en compte d’un minimum d’informations relatives aux spécificités du cadre interactionnel reliant une source d’information, une instance médiatique et une instance de réception, ainsi qu’aux caractéristiques de la communication et de l’argumentation politiques. Si nous avons souvent eu recours à des propositions issues d’autres modèles d’analyse, c’est pour établir la description la plus complète possible des informations qui participent à l’élaboration des stratégies discursives. Dans ce sens, nous pensons que la transportabilité des acquis d’autres modèles constitue un atout important de l’approche modulaire. Le recours à des notions issues d’autres modèles d’analyse et leur adaptation au système notationnel du modèle genevois sont justifiés dans la mesure où ils contribuent à éclairer les interrelations fines entre différentes formes d’organisation du discours (en l’occurrence, sous l’angle des buts et des visées communicationnelles du discours du journalisme politique). Dans une approche modulaire de la complexité de l’organisation du discours, le nombre et la diversité des informations auxquelles nous faisons appel pour approfondir certains aspects importants de l’objet de notre recherche ne saurait constituer un défaut que si les informations « importées » du(des) modèle(s) de départ n’étaient pas compatibles avec le modèle d’arrivée, ou bien si elles n’y étaient pas intégrées de manière adéquate.

Outre ces problèmes d’ordre méthodologique, le déséquilibre entre la place accordée aux stratégies de production et celle, beaucoup plus modeste, laissée aux stratégies d’interprétation, reste considérable. Nous avons fait l’hypothèse selon laquelle les structures opérationnelles des productions discursives effectives constituent le résultat des stratégies de production et l’objet sur lequel portent les stratégies d’interprétation. La notion de stratégie étant étroitement liée aux rapports entre les interactants, dans la mesure où elle concerne le caractère finalisé, volontaire et difficile des activités discursives, le processus d’attribution du sens n’est pas l’affaire de la seule instance de production. Nous avons postulé que les stratégies de production et d’interprétation constituent deux facettes conceptuelles du même processus stratégique d’attribution du sens aux unités opérationnelles. Les stratégies de production consistent, pour l’instance de production, à attribuer le sens aux opérations discursives, tandis que les stratégies d’interprétation consistent, pour l’instance de réception, à reconstituer le sens attribué aux opérations discursives par l’instance de production. Nous avons également observé que l’analyse de l’interaction médiatique pose un certain nombre de problèmes spécifiques, concernant la complexité de son cadre interactionnel et le caractère pluriel des

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interactants, aussi bien de l’instance de production (quotidien, journalistes) que de l’instance de réception (public, lecteurs) et qu’en effet, plusieurs stratégies discursives de production et d’interprétation s’y trouvent superposées, emboîtées l’une dans l’autre. Cependant, l’étude des stratégies d’interprétation n’a pas été approfondie dans la même mesure que celle des stratégies de production.

Si elle permet de rendre compte de la complexité des stratégies discursives et du nombre et de la diversité des informations qui contribuent à leur élaboration, la démarche adoptée ne permet pas de travailler de manière approfondie et avec la même précision sur un échantillon plus important et plus représentatif (pour rendre compte de l’ensemble des dimensions et des formes d’organisation, ainsi que de leurs interrelations, nous avons travaillé sur quelques extraits de notre corpus qui coïncident avec le sommet informatif dans la construction de l’événement politique choisi). Par conséquent, dans l’analyse comparative des stratégies discursives déployées par quatre instances médiatiques, nous avons dû suivre la construction progressive de l’événement par chacune d’entre elles, en travaillant principalement sur des unités discursives maximales et sur des macro-structures discursives. Nous avons essayé d’unifier les deux démarches en recourant, dans la mesure du possible, à des méthodes d’analyse identiques.

Finalement, la portée de la recherche reste réduite à un type de discours et à un genre de discours et, à l’intérieur de ceux-ci, à l’exemple d’une situation de communication précise qui porte sur la construction d’un événement politique précis. Certains des problèmes soulevés peuvent toutefois constituer des points susceptibles d’être approfondis dans des recherches ultérieures. La problématique des stratégies discursives est tellement complexe que plusieurs pistes de recherche sont envisageables, dont nous ne mentionnerons ici que quelques-unes, s’inscrivant dans la démarche adoptée. Il serait, par exemple, intéressant d’entreprendre une analyse comparative des stratégies discursives (ou de l’une ou l’autre de ses composantes, telle les stratégies argumentatives) propres à des genres de discours journalistique différents (presses écrite, radiophonique et télévisuelle). Une analyse plus approfondie des stratégies argumentatives et explicatives du discours du journalisme politique fondée sur le critère interactionnel (les niveaux interactionnels respectifs dont elles relèvent) est également envisageable, de même qu’une analyse des variations stratégiques centrée sur les types de marqueurs de stratégies discursives.

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Annexes

Annexes 1-8

Découpage de textes analysés en unités textuelles minimales

Annexe 9

Corpus étudié

Annexe 10

Illustrations (documents originaux

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ANNEXE № 1

Le découpage en unités textuelles minimales de l’article « L’amertume explose à Sarajevo »

publié le 15 décembre 1995 dans Le Courrier (p. 9) [1] L’AMERTUME « EXPLOSE » A SARAJEVO [2] Ce devait être hier un jour ordinaire dans la capitale bosniaque, [3] enfouie sous la neige [4] et privée d’électricité depuis la veille. [5] Mais, à la mi-journée, [6] tandis que le traité de paix était signé à Paris, [7] des explosions ont retenti. [8] Selon l’armée, [9] quatre grenades se sont abattues sans faire de blessés au centre-ville. [10] La FORPRONU, [11] qui n’était toujours pas en mesure de confirmer l’incident hier en fin de journée, [12] déplore, elle, l’attaque d’un hélicoptère français. [13] A chacun son amertume, [14] au-delà du souci d’équilibre cher à l’ONU. [15] Dragan, [16] ancien combattant, [17] a suivi la cérémonie et le discours des leaders de la planète à la télévision. [18] « Une série de platitudes. [19] Ils parlent de souffrance. [20] Mais ils ne savent rien de la nôtre. [21] La Bosnie ne garde que 27% de son territoire, [22] la Croatie en prend 25% [23] et la Serbie 48%. [24] Mes amis sont morts pour rien. [25] J’ai été blessé quatre fois pour rien. » [26] Beaucoup, faute de courant, n’ont pu regarder la signature transmise en direct. [27] D’autres, comme la serveuse de l’hôtel Bosnia branché sur CNN, n’ont même pas

remarqué ce qui se passait à l’écran. [28] L’espoir a peine à se frayer un passage entre la morosité et l’apathie. [29] « J’ai entendu beaucoup de belles paroles. [30] Mais, après quatre ans d’attente, [31] on n’a plus une grande capacité de s’émouvoir, [32] avoue Tanja, [33] une fonctionnaire qui a distraitement écouté la radio au travail. [34] Le traité de Paris est un pas, [35] je veux espérer. [36] Mais nos problèmes ne sont pas finis. [37] Les grenades qui viennent de tomber le prouvent.

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ANNEXE № 2

Le découpage en unités textuelles minimales

de l’article « L’amertume « explose » à Sarajevo » publié le 15 décembre 1995 dans la Tribune de Genève (p. 4)

[1] L’AMERTUME « EXPLOSE » A SARAJEVO [2] Ce devait être hier un jour ordinaire dans la capitale bosniaque, [3] enfouie sous la neige [4] et privée d’électricité depuis la veille. [5] Mais, à la mi-journée, [6] tandis que le traité de paix était signé à Paris, [7] des explosions ont retenti. [8] Selon l’armée, [9] quatre grenades se sont abattues sans faire de blessés au centre-ville. [10] Elles auraient été tirées par des fusils de Grbavica, [11] quartier tout proche dont les occupants serbes refusent de passer sous le contrôle

gouvernemental comme le prévoit l’accord. [12] La FORPRONU, [13] qui n’était toujours pas en mesure de confirmer l’incident hier en fin de journée, [14] déplore, elle, l’attaque d’un hélicoptère français. [15] Parti à la recherche de soldats bosniaques pris dans la neige au sud de Sarajevo, [16] il a reçu quatre rafales. [17] L’accusé est cette fois leur Armija. [18] Morts pour rien [19] A chacun son amertume, [20] au-delà du souci d’équilibre cher à l’ONU. [21] Dragan, [22] ancien combattant, [23] a suivi la cérémonie et le discours des leaders de la planète à la télévision. [24] « Une série de platitudes. [25] Ils parlent de souffrance. [26] Mais ils ne savent rien de la nôtre. [27] La Bosnie ne garde que 27% de son territoire, [28] la Croatie en prend 25% [29] et la Serbie 48%. [30] Mes amis sont morts pour rien. [31] J’ai été blessé quatre fois pour rien. » [32] Beaucoup, faute de courant, n’ont pu regarder la signature transmise en direct. [33] D’autres, comme la serveuse de l’hôtel Bosnia branché sur CNN, n’ont même pas

remarqué ce qui se passait à l’écran. [34] L’espoir a peine à se frayer un passage entre la morosité et l’apathie. [35] « J’ai entendu beaucoup de belles paroles. [36] Mais, après quatre ans d’attente, [37] on n’a plus une grande capacité de s’émouvoir, [38] avoue Tanja, [39] une fonctionnaire qui a distraitement écouté la radio au travail. [40] Le traité de Paris est un pas, [41] je veux espérer. [42] Mais nos problèmes ne sont pas finis. [43] Les grenades qui viennent de tomber le prouvent.

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ANNEXE № 3

Le découpage en unités textuelles minimales

de la dépêche d’agence de presse « Les principaux points de l’accord » publiée le 14 décembre 1995 dans le Journal de Genève (p. 7)

[1] LES PRINCIPAUX POINTS DE L’ACCORD [2] La Bosnie reste unie dans ses frontières actuelles, [3] mais son territoire est partagé entre la Fédération croato-musulmane (51%) et les Serbes de

Bosnie (49%). [4] L’Etat est régi par une Constitution fédérale. [5] Sarajevo en sera la capitale réunifiée. [6] La plupart des quartiers contrôlés par les Serbes doivent passer sous contrôle du

Gouvernement bosniaque – [7] leurs habitants s’y refusent et viennent, par « référendum », de rejeter les dispositions de

l’accord de paix les concernant, à près de 99% des voix. [8] La Bosnie aura un gouvernement commun. [9] Sont prévus, avec deux tiers des sièges revenant à la Fédération, un Parlement bicaméral et

une présidence collégiale. [10] Des élections doivent être organisées en 1996. [11] Tout criminel de guerre sera écarté des fonctions publiques. [12] Le droit au retour des réfugiés et personnes déplacées est garanti, de même que leur

liberté de mouvement et de résidence. [13] Des corridors seront établis entre Sarajevo et Gorazde, et entre les territoires serbes dans

le nord-est du pays. [14] Par ailleurs, les ministres des Affaires étrangères des anciennes républiques yougoslaves

ont discuté mercredi à Paris d’une possible reconnaissance mutuelle entre leurs Etats. [15] Alors qu’à Washington, [16] le Sénat américain a rejeté mercredi par 77 voix contre 22 une résolution faisant obstacle

au déploiement de soldats américains dans le cadre de l’IFOR, la force d’application de l’accord de paix de Dayton.

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ANNEXE № 4

Le découpage en unités textuelles minimales de la dépêche d’agence de presse « Un état divisé en deux entités »

publiée le 15 décembre 1995 dans la Tribune de Genève (p. 9) [1] UN ETAT DIVISE EN DEUX ENTITES [2] L’accord de paix comprend un document principal, onze annexes et 102 cartes. [3] Il stipule dans ses principaux points que le territoire de la Bosnie sera partagé entre la

fédération croato-musulmane (51%) et les Serbes de Bosnie (49%), réunis au sein de l’Etat de Bosnie-Herzégovine.

[4] La Bosnie est confirmée dans ses frontières et régie par une Constitution fédérale. [5] Sarajevo sera la capitale réunifiée de l’Etat, avec la levée de tous les obstacles mis en place

aux portes de la ville. [6] Les quartiers serbes passeront sous le contrôle du gouvernement bosniaque à dominante

musulmane – [7] un point que les Serbes ont rejeté à 98% lors d’un référendum qu’ils ont organisé. [8] Nombre d’entre eux ont commencé à déménager de ces quartiers. [9] Banque centrale [10] La Bosnie aura, entre autres, une banque centrale et une monnaie uniques, une Cour

constitutionnelle et une présidence. [11] Le Parlement comprendra deux Chambres, [12] qui seront élues l’an prochain par les électeurs de Bosnie autorisés à voter sur le lieu de

leur résidence d’origine. [13] Aucun criminel de guerre ne sera autorisé à exercer une charge publique, ni dans une

institution civile ni dans l’armée. [14] Les personnes déplacées et les réfugiés auront le droit de retourner chez eux et de se

déplacer librement. [15] Arbitrage [16] Un corridor terrestre reliera l’enclave musulmane de Gorazde, dans l’est de la Bosnie, avec

le reste de la fédération croato-musulmane. [17] Le corridor de Posavina, dans le nord-est, [18] qui relie les territoires sous contrôle serbe dans l’est et l’ouest de la Bosnie, [19] restera large de 5 km. [20] Le statut futur de Brcko, principale ville du corridor, doit faire l’objet d’un arbitrage. [21] Volet militaire [22] L’accord de Dayton comprend un volet militaire. [23] Celui-ci précise notamment qu’une force de maintien de la paix [24] (IFOR, Implementation Force, force de mise en application) [25] sous le commandement de l’OTAN et dirigée par un général américain, [26] sera déployée en Bosnie-Herzégovine pour remplacer la Force de protection des Nations

Unies (FORPRONU). [27] Elle comprendra quelque 60 000 hommes. [28] L’IFOR, est-il précisé, veillera au respect du cessez-le-feu et à la séparation des troupes. [29] Elle sera une force active et solide, capable de se défendre de façon vigoureuse en toutes

circonstances. [30] L’IFOR, selon ce volet militaire, disposera d’une liberté de mouvement totale à travers tout

le territoire de Bosnie-Herzégovine. – (afp)

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ANNEXE № 5

Le découpage en unités textuelles minimales de l’article de fond « Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie »

publié le 15 décembre 1995 dans la Tribune de Genève (p. 9)

[1] RETENANT LEUR SOUFFLE, [2] NEUF HOMMES SIGNENT UNE PAIX FRAGILE EN BOSNIE [3] Jour historique hier à Paris : [4] l’accord de Dayton entériné dans un climat de gravité et d’expectative [5] car chacun sait que l’essentiel dépend de la bonne volonté des ex-belligérants [6] Durant quelques secondes, [7] on a vu Slobodan Milosevic et Franjo Tudjman, assis avec Alija Izetbegovic, chercher dans

le lourd document la page qui attendait leur stylo. [8] Tudjman a esquissé un sourire. [9] Ce fut bien le seul de cette cérémonie de signature, hier matin à l’Elysée, de l’accord de paix

en Bosnie-Herzégovine conclu à Dayton le 21 novembre. [10] Le président Jacques Chirac a dit qu’il accueillait ses hôtes « avec émotion et gravité ». [11] De l’émotion, [12] il y en eut bien peu, [13] et les présidents de Serbie, Croatie et Bosnie, impassibles comme des bonzes, se sont

serré la main avec un minimum de cordialité. [14] La gravité, en revanche, était partagée par tous. [15] Trois idées ont dominé toutes les interventions de ce jour décisif : [16] on retient son souffle devant une paix fragile, [17] on sait qu’elle dépend d’abord de la volonté des ex-belligérants, [18] et on espère de tout cœur réintégrer des peuples meurtris dans l’Europe et la communauté

internationale. [19] Parrains [20] Debout derrière les trois présidents se tenaient les « parrains » de l’accord de paix, [21] qu’ils ont signé à leur tour : [22] les présidents Bill Clinton et Jacques Chirac, le chancelier Kohl, les premiers ministres

Major et Tchernomyrdine pour les pays du Groupe de contact, ainsi que le président du Gouvernement espagnol Felipe Gonzalez pour l’Union européenne.

[23] De nombreux autres représentants de gouvernements et d’organisations internationales étaient présents,

[24] pour donner du poids à cet accord si longtemps désiré. [25] Le conseiller fédéral Flavio Cotti y figurait au titre de président du Conseil de l’OSCE. [26] Rendons à la France … [27] Dans un discours de qualité, [28] Chirac a noté que « l’espérance qui se lève (…) n’effacera pas les 200 000 morts du

conflit ». [29] Mais il a invité les parties à « tourner définitivement la page de la guerre et de la haine », [30] soulignant que « ce qui est en jeu, [31] c’est notre sécurité. [32] Ce sont nos valeurs. [33] C’est aussi une certaine idée de l’Europe. » [34] Saluant la « contribution déterminante » des Américains, [35] il a néanmoins fait comprendre avec une pointe d’humour que la France n’entendait pas

qu’on sous-estimât son rôle. [36] Pour Chirac,

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[37] la voie de l’accord de Dayton a été ouverte par la Force de réaction rapide [38] (créée par lui) [39] et par le Groupe de contact « mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ». [40] John Major a bien été le seul orateur à appuyer ce plaidoyer pro domo, [41] soulignant que les forces françaises et britanniques avaient été « l’épine dorsale » des

troupes de l’ONU en Bosnie. [42] Le président Izetbegovic a considéré que l’accord était « un médicament utile et amer », [43] mais il s’est engagé à le respecter. [44] S’il a promis qu’il n’y aurait ni revanche ni vengeance, [45] il a affirmé que « les coupables doivent être punis ». [46] Ce thème a été repris par John Major, [47] pour qui « il faut tourner la page des abominations de l’épuration ethnique », [48] et par Bill Clinton, [49] qui demande de « traduire en justice ceux qui se sont rendus coupables de crimes de

guerre ». [50] Le président Milosevic, [51] se posant en homme de paix, [52] a averti que la clé de la mission de la force internationale envoyée en Bosnie résidera dans

« son doigté » et sa « nécessaire neutralité ». [53] Quant au président Tudjman, [54] remontant l’histoire jusqu’à l’Empire romain (!), [55] il s’est dit prêt lui aussi à tout faire pour que l’accord soit honoré. [56] Guerre et paix [57] « Rien n’est plus difficile, après la guerre, que la réconciliation », [58] a résumé Carl Bildt, [59] l’émissaire des Européens. [60] En conclusion, le président Clinton, [61] qui n’a pas manqué d’énumérer ses propres succès diplomatiques au Moyen-Orient, en

Irlande du Nord et en Bosnie, [62] a félicité les trois présidents [63] et lancé un vibrant appel aux peuples des Balkans :

[64] « Vous avez vu ce que la guerre a engendré. [65] Vous savez ce que la paix peut apporter ! »

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ANNEXE № 6

Le découpage en unités textuelles minimales de l’article de fond « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation »

publié le 15 décembre 1995 dans le Journal de Genève (p. 4)

[1] LA BOSNIE MEURTRIE ATTEND LA RECONCILIATION [2] Alors que les présidents Milosevic, Tudjman et Izetbegovic signaient l’accord de paix au

Palais de l’Elysée, [3] un hélicoptère français a été mitraillé par des éléments de l’armée bosniaque [4] et quatre grenades ont explosé dans le centre de Sarajevo [5] Il est peu probable que les Parisiens gardent un grand souvenir de la signature de l’accord

de paix sur la Bosnie. [6] Dans leur mémoire collective [7] ce jeudi 14 décembre 1995 restera plus sûrement associé au souvenir d’une nouvelle

journée d’embouteillages monstres pour cause de 21e jour de grève dans les transports publics,

[8] surtout dans les parages de l’Elysée et des Invalides [9] où l’interdiction de la circulation n’a fait qu’exaspérer davantage les automobilistes. [10] La télévision, en revanche, a bien fait les choses, [11] notamment la télévision publique. [12] Les téléspectateurs auront tous compris qu’il était important de bien mesurer le rôle

historique joué en cette circonstance par la France en général et son président en particulier.

[13] A défaut d’avoir pris une part déterminante à l’essentiel lors des négociations de Dayton, [14] maîtrisées par Bill Clinton, [15] Jacques Chirac tenait à partager l’événement avec le président des Etats-Unis [16] au moment où la signature de ce traité par les ennemis d’hier conférait une lourde

symbolique à une accessoire séance de signatures. [17] « Contribution déterminante » [18] Nul n’étant jamais mieux servi que par soi-même, [19] le chef de l’Etat a d’ailleurs tenu à rappeler que « la contribution déterminante de la

diplomatie américaine » dans « le succès de Dayton » avait été précédée par « la mise en place de la Force de réaction rapide » en Bosnie et par « l’harmonisation progressive des positions des pays européens, des Etats-Unis et de la Russie, dans le cadre du Groupe de contact mis en place à l’initiative de M. Alain Juppé ».

[20] Autant d’étapes – [21] a fait observer M. Chirac – [22] dans lesquelles la part de la France a été importante [23] et qui ont « créé les conditions du succès des négociations de Dayton ». [24] Les images télévisée ont scrupuleusement raconté ce moment solennel gravement mis en

scène. [25] La cérémonie a eu lieu dans la salle des fêtes du Palais de l’Elysée. [26] Elle s’est déroulée en présence d’un parterre de ministres, ambassadeurs, hauts

fonctionnaires et hauts militaires, [27] réunis sous un plafond peint présentant la République en « sauvegarde de la paix ». [28] A 11 h. 35, [29] Jacques Chirac est entré le premier, [30] encadré par Bill Clinton et par le Premier ministre russe, Viktor Tchernomyrdine, [31] et suivi par les signataires du traité de paix, au nombre de 9. [32] Tous ont pris place sur une estrade drapée de vieux rose. [33] Chacun s’est posté devant son drapeau.

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[34] Dans l’ordre alphabétique : [35] l’Allemagne, la Bosnie, la Croatie, les Etats-Unis, l’Union européenne, la France, la

Grande-Bretagne, la Russie, la Serbie. [36] Sur le rebord de la table en bois blanc, [37] où attendaient trois maroquins rouges, [38] une inscription avait été gravée : [39] « Conférence de la Paix sur l’ex-Yougoslavie. Paris. » [40] Jacques Chirac a parlé pendant une dizaine de minutes. [41] Puis le Bosniaque Alija Izetbegovic, le Croate Franjo Tudjman et le Serbe Slobodan

Milosevic ont tour à tour accompli le geste attendu. [42] Après un instant d’hésitation, [43] ils se sont serré la main [44] (c’est le Croate qui a tendu la main au Serbe, [45] qui l’a acceptée [46] puis l’a tendue au Bosniaque) [47] sous les applaudissements de l’éminente assistance. [48] Ensuite, leurs trois paraphes ont été « parrainés » par les cosignatures des trois illustres

« témoins » : [49] le chancelier allemand Helmut Kohl, le Premier ministre britannique, John Major, le Premier

ministre espagnol, Felipe Gonzales, présent en tant que président en exercice de l’Union européenne, et le Premier ministre russe.

[50] A partir de 12 h. 30, [51] 12 discours ont suivi, de six à sept minutes chacun, [52] parmi lesquels ceux des principaux intéressés, [53] mais aussi ceux du secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali et du nouveau

secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana. [54] A 13 h. 30, [55] les apéritifs étant consommés, [56] les quelque 50 invités du président de la République ont pris place à bord d’un bus spécial [57] pour éviter les embouteillages [58] (à l’exception de Bill Clinton [59] qui a fait le trajet dans sa limousine blindée). [60] Un banquet les attendait de l’autre côté de la Seine, au Quai d’Orsay, dans les salons du

Ministère des affaires étrangères [61] où les deux pièces maîtresses du menu choisi, le homard de Bretagne et le chapon de

Bresse, ont fait, paraît-il, l’unanimité.

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ANNEXE № 7

Le découpage en unités textuelles minimales du commentaire « Jeu de rôles à l’Elysée »

publié le 15 décembre 1995 dans le Journal de Genève (p. 4) [1] JEU DE ROLES A L'ELYSEE [2] Tout paraissait si lisse, hier à l’Elysée. [3] C’est sans doute la règle d’or des cérémonies de signature : [4] pendant quelques heures, [5] on s’efforce de figer l’Histoire, le temps de la couler dans un beau cadre doré. [6] Les gestes rituels sont accomplis avec un souci purement télégénique, [7] les discours sont emplis de belles promesses et de bonnes intentions. [8] Pour un peu, [9] on y croirait. [10] Comme si une poigné de main pouvait effacer de profonds ressentiments, [11] comme si un trait de plume pouvait faire disparaître toute arrière-pensée. [12] Chacun, à Paris, a interprété avec une conviction empressée ce jeu de rôles, [13] ordonné par un hôte euphorique – Jacques Chirac – et une vedette américaine – Bill

Clinton. [14] Parfaitement rodé à ce genre d’exercice, [15] le grand manitou de la paix a appelé à la réconciliation entre Bosniaques, Serbes et

Croates. [16] Plus la moindre trace, dans ses propos, de cette morale internationale dont il se prévalait

pendant les trois premières années du conflit, [17] torpillant du même coup les nombreuses initiatives de paix européennes. [18] Bill Clinton parle aujourd’hui en termes de realpolitik. [19] Le plan de paix entérine de fait la division du pays ? [20] Que diable, [21] répondent les Américains, [22] on ne peut pas tout préserver à la fois ! [23] La « grâce de Dieu » et les Etats-Unis ont sauvé à la fois l’ « intégrité » de la Bosnie et

l’honneur de la communauté internationale, [24] n’en demandez pas plus … [25] Autre personnage remarqué du spectacle parisien, [26] Slobodan Milosevic. [27] Sa prestation fut magistrale. [28] Responsable de la guerre d’agression contre la Bosnie et fervent promoteur de la

« purification ethnique », [29] il s’est recyclé en businessman de la paix. [30] Sans même l’ombre d’un remords, [31] le loup a pris l’allure d’un agneau. [32] Trop content de rejoindre ses « pairs », [33] il a prononcé son discours en anglais, [34] comme pour marquer son appartenance au cénacle des dirigeants internationaux. [35] Il sait qu’il ne sera jamais jugé pour les crimes de guerre, commis par les autres [36] mais incités par sa politique nationaliste. [37] Somme toute, Slobodan Milosevic se sort bien de cette sale guerre ; [38] la « pax americana » a partiellement consacré son rêve de « Grande Serbie », [39] et elle lui donne toute latitude pour consolider son pouvoir. [40] Un homme n’a pas applaudi les déclarations du dirigeant serbe. [41] Alija Izetbegovic, le président bosniaque, a bu une « potion amère ».

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[42] Une potion qui rappelle ces médicaments dont on ne sait si ils guérissent ou aggravent le mal.

[43] Dans les salons de l’Elysée, [44] ce sont ses mots qui ont sonné le plus juste, [45] en défendant encore l’idéal d’une société ouverte et multiethnique. [46] « Il n’y aura pas de revanche, [47] il n’y aura pas de vengeance, [48] a promis M. Izetbegovic. [49] Mais il faudra que la justice prévale, [50] que les réfugiés puissent rentrer chez eux, [51] et que les crimes de guerre soient punis. »

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ANNEXE № 8

Le découpage en unités textuelles minimales de l’éditorial « Bosnie: l’Europe se rattrapera-t-elle? »

publié le 15 décembre 1995 dans la Tribune de Genève (p. 2) [1] BOSNIE : [2] L’EUROPE SE RATTRAPERA-T-ELLE ? [3] Signé dans un Paris paralysé par les grèves, [4] l’Accord de Dayton sur la paix en Bosnie ne s’appellera pas le « Traité de l’Elysée » : [5] pour redorer son blason sérieusement terni par la crise yougoslave, [6] le Vieux-Continent devra trouver autre chose que cette tentative dérisoire d’européaniser [7] - ou plutôt de « tricoloriser » - [8] la pax americana arrachée par le président Clinton et Richard Holbrooke, son habile et

tenace émissaire. [9] « Démission … capitulation … impuissance » : [10] certains commentateurs n’ont pas de mots assez durs [11] pour stigmatiser l’attitude des Européens, confrontés au conflit le plus meurtrier dans leur

région depuis la Seconde Guerre mondiale ; [12] leur déception est à la mesure des ambitions des dirigeants de l’Union Européenne (UE) au

début de la crise, en 1991, [13] lorsque le Luxembourgeois Jacques Poos proclamait que « l’heure de l’Europe a sonné ». [14] Mais les condamnations des uns sont aussi excessives que les rodomontades des autres. [15] Affirmer que l’Europe est restée les bras ballants face à la crise bosniaque, [16] c’est insulter la mémoire de ceux de ses casques bleus qui ont payé leur engagement de

leur vie : [17] cinquante-six rien que pour la France [18] qui, avec la Grande Bretagne, a fourni le gros des troupes de l’ONU. [19] Il n’est aussi pas inutile de rappeler que le règlement de paix négocié dans l’Ohio, [20] et signé hier à l’Elysée, [21] s’inspirait essentiellement de conceptions européennes, [22] notamment le plan Juppé-Kinkel, [23] sans oublier le fameux plan Vance-Owen [24] qui fut torpillé, début 1993, par la toute jeune et inexpérimentée administration Clinton. [25] Par le seul fait de sa présence au moment de la crise yougoslave, [26] l’UE, [27] cimentée par l’historique réconciliation franco-allemande, [28] a au moins permis de circonscrire les divergences d’approche souvent considérables de

ses membres et de les unir sur le plus petit commun dénominateur : [29] éviter que le conflit n’embrase le reste des Balkans. [30] Si elle n’avait pas existé, [31] on se serait retrouvé dans une situation de type 1914, [32] les sympathies pro-croates de l’Allemagne et pro-serbes de la France les entraînant dans

une configuration majeure. [33] Certes, cette crise est survenue au plus mauvais moment pour l’UE [34] alors qu’elle avait à peine ébauché une politique étrangère et de sécurité commune. [35] La comparaison à cet égard avec les Etats-Unis est spécieuse : [36] un « Holbrooke européen » est actuellement inconcevable, [37] car il dépendrait de plusieurs maîtres au lieu d’un seul [38] et n’aurait pas à disposition, pour soutenir sa diplomatie, toute la puissance de feu du

Pentagone.

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[39] Si l’Europe a failli – [40] gravement – [41] c’est sur le plan des principes, [42] en s’accommodant de l’acquisition de territoires par la force. [43] Mais c’est là une responsabilité qu’elle partage avec l’ensemble de l’Occident, [44] l’accord de Dayton-Paris ne faisant à cet égard que ratifier quatre années de « purification

ethnique » [45] et instaurant une paix qui n’a pas grand chose à voir avec la justice. [46] Laissée en l’état, [47] celle-ci ne constituera donc qu’un armistice, [48] jusqu’au retrait annoncé des troupes de l’Otan, d’ici un an. [49] A moins que les Européens sachent utiliser ce répit [51] pour prendre résolument à leur compte l’œuvre de reconstruction de l’ex-Yougoslavie et de

réconciliation de ses peuples antagonistes. [51] Sauront-ils saisir cette seconde chance ?

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ANNEXE № 9

Corpus étudié

LE NOUVEAU QUOTIDIEN [1] « Les massacres de Srebrenica sont la pire honte de l’ONU », Le Nouveau Quotidien,

mercredi 1er novembre 1995 [1a] article, p. 9 [1b] « Espoir de paix pour la Bosnie », article, p. 9 [2] « Les Américains somment les belligérants de Bosnie de faire la paix », Le Nouveau

Quotidien, vendredi 3 novembre 1995 [2a] article + 6 photos, p. 5 [3] « Juger Mladic et Karadzic », Le Nouveau Quotidien, mercredi 8 novembre 1995 [3a] éditorial, p. 2 [3b] « Le texte dit toute l’horreur du massacre de Srebrenica », article +photo, p. 3 [3c] « Les responsables doivent être jugés et punis », article, p. 3 [3d] « Ils les alignaient devant les trous et tiraient », article + photo, p. 4 [4] « Progrès réalisés sur l’ex-Yougoslavie », Le Nouveau Quotidien, vendredi 10 novembre

1995 [4a] article, p. 8 [4b] « A Washington, Flavio Cotti plaide pour l’Europe », article, p. 8 [4c] « Les autorités serbes veulent monnayer le retour des réfugiés domiciliés en

Suisse », article + photo, p. 13 [5] « Sous la pression américaine, Serbes et Croates signent deux accords de poids », Le

Nouveau Quotidien, lundi 13 novembre 1995 [5a] article + photo + carte, p. 5 [5b] « L’accord sur la Slavonie orientale », brève, p. 5 [6] « Le Tribunal de La Haye inculpe six dirigeants croates », Le Nouveau Quotidien, mardi 14

novembre 1995 [6a] dépêche (Reuter), p. 6 [7] « Le président croate défie La Haye », Le Nouveau Quotidien, jeudi 16 novembre 1995 [7a] article, p. 6 [8] « La « pax americana » pour la Bosnie est en péril », Le Nouveau Quotidien, mardi 21

novembre 1995 [8a] couverture: titre principal + 3 cartes [9] « Ils ont fait la paix », Le Nouveau Quotidien, mercredi 22 novembre 1995 [9a] couverture : titre principal + photos [9b] « Le retour de l’armée américaine en Europe », éditorial, p. 2 [9c] « L’accord de Dayton entérine la division de la Bosnie », article + photo + cartes, p. 3 [9d] « 1991-1995 : Une guerre de quatre ans », article + 3 photos, pp. 3-4 [9e] « Des G.I. en Bosnie? Clinton doit convaincre l’Amérique », article + photo, p. 4 [9f] « Une paix injuste, qu’il fallait signer », article, p. 4 [10] « Reconstruire la Bosnie? Reconstruire l’Europe ! », Le Nouveau Quotidien, jeudi 23

novembre 1995 [10a] éditorial, p. 2 [10b] « L’espoir renaît. Mais la Bosnie reste un champ de mines », article + photo, p. 3 [10c] « Un cessez-le-feu plutôt qu’une paix », article, p. 3 [10d] « Tout dépendra des pressions », article, p. 3 [10e] « La Bosnie a été trahie », article, p. 3 [10f] « Le Conseil fédéral souhaite envoyer de bérets bleus en Bosnie », article + photo,

p. 4

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[10g] « Enthousiasme chez Adolf Ogi », encadré, page 4 [10h] « Soixante mille soldats prêts à débarquer », article + cartes, p. 4 [11] « Forcés, les Serbes de Bosnie se sont ralliés à leur tour au processus de paix », Le

Nouveau Quotidien, vendredi 24 novembre 1995 [11a] article + photo (AP), p. 6 [11b] « La fin de l’embargo », dépêche (AP/AFP), p. 6 [12] « « Seule l’Amérique peut et doit faire la différence au nom de la paix » », Le Nouveau

Quotidien, mercredi 29 novembre 1995 [12a] article, p. 5 [12b] « Des réfugiés croates de Bosnie chutent Franjo Tudjman à Zagreb », dépêche

(AFP) + photo, p.5 [12c] « L’OTAN prépare son intervention », dépêche (AFP/LNQ), p. 5 [13] « Milosevic se sépare de ses anciens amis », Le Nouveau Quotidien, jeudi 30 novembre

1995 [13a] dépêche (AFP), p. 7 [13b] « L’Argentine aurait armé la Croatie », dépêche (AFP), p. 7 [13c] « Soldats américains en Bosnie », dépêche (AP), p. 7 [14] « Dans un climat de haine tenace, les Serbes de Sarajevo font leurs malles », Le Nouveau

Quotidien, vendredi 1er décembre 1995 [14a] article, p. 5 [14b] « Peter Arbenz prévoit des élections en Bosnie dans moins de neuf mois », article,

p. 5 [14c] « Toujours plus de G.I. », dépêche (AFP), p. 5 [15] « L’armée américaine craint que la Bosnie ne fasse fuir les recrues », Le Nouveau

Quotidien, lundi 4 décembre 1995 [15a] article, p. 5 [15b] « Les Serbes sont empêchés de quitter Sarajevo », dépêche (AFP), p. 5 [15c] « Dissonances françaises », dépêche (AFP), p. 5 [15d] « Pillages croates », dépêche (AFP), p. 5 [15e] « Pacifisme allemand », dépêche (AFP), p. 5 [16] « Les troupes de l’OTAN traverseront la Suisse », Le Nouveau Quotidien, mardi 5

décembre 1995 [16a] article à la Une [16b] « Partir ou se battre : les bourreaux de Sarajevo n’ont guère d’autre choix », article

+ photo, p. 6 [17] « La Bosnie accuse la CICR d’avoir collaboré à l’épuration ethnique », Le Nouveau

Quotidien, mercredi 6 décembre 1995 [17a] article à la Une [17b] « Les G.I. débarquent à Tuzla », titre + photo, p. 1 [17c] « Le XXIe siècle sera humanitaire », éditorial, p. 2 [17d] « Les Américains débarquent à Tuzla », dépêche (AP/AFP), p. 6 [17e] « La France resserre ses liens avec l’OTAN », dépêche (Reuter), p. 6 [18] « Politique de la terre brûlée pratiquée en Bosnie », Le Nouveau Quotidien, jeudi 7

décembre 1995 [18a] dépêche (AFP), p. 5 [18b] « Bush et Ford soutiennent Clinton », dépêche (Reuter), p. 5 [18c] « Propulsée à la tête de l’OSCE, la Suisse devra cogérer la paix en Bosnie », article

+ photo, p. 7 [19] « Verrouillage américain en Bosnie », Le Nouveau Quotidien, vendredi 8 décembre 1995 [19a] article d’opinion, p. 2 [19b] « A Budapest, Flavio Cotti est au cœur de toutes les attentions », article + 2 photos

+ 2 encadrés, p. 5 [19c] « Les Croix-Rouge nationales doivent rester hors des zones de guerre », interview,

p. 5 [20] « L’OSCE : pour la Suisse, l’occasion rêvée d’exister », Le Nouveau Quotidien, lundi 11

décembre 1995 [20a] éditorial, p. 2

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[20b] « A Londres, Flavio Cotti donne plus de poids à l’OSCE », article, p. 7 [20c] « Où sont les pilotes ? », dépêche (AFP), p. 7 [20d] « Les élèves et les enseignants de la Riviera s’engagent pour une école de

Sarajevo », article + encadré, p. 22 [21] « Tristesse bosniaque », Le Nouveau Quotidien, mardi 12 décembre 1995 [21a] article d’opinion, p. 2 [21b] « Les réfugiés bosniaques en Suisse ont peur d’être forcés de rentrer », article + 2

photos + carte, p. 3 [21c] « Les capitales européennes sont pressées de se débarrasser des réfugiés »,

article, p. 3 [21d] « Les accords proclament le droit au retour de tous les réfugiés », article, p. 4 [22] « La paix en Bosnie se signe aujourd’hui. Milosevic a gagné sa réhabilitation », Le

Nouveau Quotidien, jeudi 14 décembre 1995 [22a] article + carte, p. 4 [23] « La paix est signée, mais pas faite », Le Nouveau Quotidien, vendredi 15 décembre 1995 [23a] couverture : gros titre + photo [23b] « Accent aigu : Paix, mir, peace », commentaire humoristique, p. 1 [23c] « Un an en Bosnie, c’est trop court », éditorial, p. 2 [23d] « A Paris, la Bosnie a signé la paix sur le papier. Sur le terrain, tout reste à faire »,

article, p. 5 [24] « Les Serbes de Pale capitulent devant l’OTAN », Le Nouveau Quotidien, lundi 18

décembre 1995 [24a] dépêche (AFP), p. 5 [25] « Ce matin, les GI’s prennent le contrôle de la Bosnie », Le Nouveau Quotidien, mercredi

20 décembre 1995 [25a] couverture : gros titre + photographie [25b] « En Bosnie, l’ONU passe aujourd’hui le relais à l’OTAN. État des lieux », carte +

commentaires, p. 7 [25c] « Ex-Yougoslavie : priorité à l’aide humanitaire », article en encadré, p. [26] « Cotti, une grande année bosniaque », Le Nouveau Quotidien, jeudi 21 décembre 1995 [26a] article, p. 8 [27] « La tragédie bosniaque », Le Nouveau Quotidien, vendredi 22 décembre 1995 [27a] article d’opinion, p. 2 [27b] « Gret Haller pour les droits des Bosniaques », article, p. 7 [27c] « La Suisse devra livrer les criminels de guerre à l’ONU », article, p. 13 [27d] « IFOR : un calendrier chargé », dépêche (AFP), p. 13 [28] « Les avions de l’OTAN ont survolé trente et une fois la Suisse », Le Nouveau Quotidien,

mercredi 27 décembre 1995 [28a] dépêche (ATS), p. 7 [28b] « Le vœu exaucé des Serbes », dépêche (AFP), p. 9 [29] « Drôle de paix à Sarajevo », Le Nouveau Quotidien, jeudi 28 décembre 1995 [29a] photo à la Une [29b] « Les triomphes ambigus de la puissance américaine », article + carte +

commentaires, p. 3 [29c] « Sarajevo se démilitarise alors que les troupes de l’OTAN prennent pied, article +

photo, p. 5 [30] « 1995, larmes et espoir », Le Nouveau Quotidien, vendredi/samedi/dimanche/lundi

29/30/31 décembre 1995, 1er janvier 1996 [30a] couverture : gros titre + photo [30b] « 1995, l’année américaine », éditorial, pp. 1-2 [30c] « Les habitants de Sarajevo ne sont plus en prison. Mais leur liberté est

surveillée », article + photo, p. 5 [30d] « Les bons vœux du général Ratko Mladic », dépêche (AFP), p. 5

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TRIBUNE DE GENEVE [1] « Cessez-le-feu en Bosnie … et après ? », Tribune de Genève, mercredi 1er novembre 1995 [1a] article d’opinion + photo, p. 2 [2] « Un optimisme forcé marque le début des négociations sur la Bosnie », Tribune de

Genève, jeudi 2 novembre 1995 [2a] article + carte, p. 3 [2b] « Srebrenica : L’Occident en accusation », article, p. 3 [3] « Deux « criminels de guerre » au cœur des négociations sur la Bosnie », Tribune de

Genève, vendredi 3 novembre 1995 [3a] article, p. 7 [3b] « Participation italienne », dépêche (AFP), p. 7 [4] « Conférence sur la Bosnie : Le Congrès traîne les pieds », Tribune de Genève,

samedi/dimanche 4/5 novembre 1995 [4a] dépêche (AFP), p. 8 [4b] « Attaque sur Srebrenica : Washington savait », dépêche (AP), p. 8 [5] « Les négociateurs de Dayton planchent sur l’éviction de Radovan Karadzic », Tribune de

Genève, mardi 7 novembre 1995 [5a] dépêche (AFP), p. 4 [5b] « Français attaqués en Bosnie », dépêche (AFP), p. 4 [6] « Le sort de Karadzic et de Mladic bloque la conférence sur la Bosnie », Tribune de Genève,

mercredi 8 novembre 1995 [6a] dépêche (AFP), p. 7 [7] « Des Russes en Bosnie », Tribune de Genève, jeudi 9 novembre 1995 [7a] dépêche (AFP), p. 7 [8] « La Croatie négocie à Dayton et envoie des troupes en Slavonie », Tribune de Genève,

samedi/dimanche 11/12 novembre 1995 [8a] article, p. 5 [9] « Serbes et Croates optent pour la paix en Slavonie orientale », Tribune de Genève, lundi

13 novembre 1995 [9a] dépêche (AFP), p. 7 [9b] « La fin du rêve de Milosevic », article + photo, p. 7 [10] « En mission à Sarajevo : L’ambassade de prépare », Tribune de Genève, mardi 14

novembre 1995 [10a] dépêche (ATS), p. 11 [10b] deux brèves, p. 5 [11] « Srebrenica : Karadzic et Mladic inculpés », Tribune de Genève, vendredi 17 novembre

1995 [11a] dépêche (AFP), p. 7 [12] « En Bosnie, la crédibilité de l’Occident est en jeu », Tribune de Genève, samedi/dimanche

18/19 novembre 1995 [12a] article, p. 8 [12b] « Accord en vue », dépêche (AFP), p. 8 [13] « Accord de paix en Bosnie : toujours le suspense », Tribune de Genève, mardi 21

novembre 1995 [13a] couverture : titre principal + photo [13b] « Accord ou échec? Hier soir à Dayton, la paix était encore en suspens », article +

photo, p. 3 [13c] « L’épine dorsale des Serbes », dépêche (AFP) + carte, p. 3 [13d] brèves, p. 3 [14] « L’Amérique force le destin et impose sa paix en Bosnie », Tribune de Genève, mercredi

22 novembre 1995 [14a] article + photo, p. 7 [14b] « Pax americana en Bosnie », éditorial, p. 2 [14c] « Le pari de la paix américaine », article + carte, p. 7 [14d] « Un négociateur de choc », article + photo, p. 7

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[14e] brèves, p. 7 [15] « Accord de paix : Les Serbes divisés », Tribune de Genève, jeudi 23 novembre 1995 [15a] annonce à la Une [15b] « Les Serbes de Bosnie se déchirent sur l’accord signé aux Etats-Unis », article +

photo, p. 7 [15c] « Une bruyante amertume », dépêche (AFP), p. 7 [15d] « De Dayton à la paix, une route truffée de pièges », article, p. 7 [15e] brèves, p. 7 [16] « Bosnie : Efficace dans la guerre, l’arme économique doit servir la paix », Tribune de

Genève, vendredi 24 novembre 1995 [16a] l’éditorial, p. 2 [16b] dessin humoristique, p. 2 [16c] « La Serbie sortira lentement de son purgatoire économique », article + photo, p. 9 [16d] « Les Bosno-Serbes cèdent », dépêche (AFP), p. 9 [17] « Les Serbes de Sarajevo protestent contre le désenclavement de la ville », Tribune de

Genève, samedi/dimanche 25/26 novembre 1995 [17a] dépêche (AFP/ATS), p. 7 [18] « Karadzic belliqueux », Tribune de Genève, lundi 27 novembre 1995 [18a] dépêche (AFP), p. 6 [19] « Le Dr Radovan Karadzic joue perdant : le chantage ne paie plus », Tribune de Genève,

mardi 28 novembre 1995 [19a] article + photo, p. 5 [19b] « Bill Clinton doit convaincre », dépêche (AFP/ATS), p. 5 [20] « Dernières hypothèques levées, le plan militaire de l’OTAN est sous toit », Tribune de

Genève, mercredi 29 novembre 1995 [20a] article + photo + carte, p. 7 [20b] « Lord David Owen croit aux chances de la paix », article, p. 7 [21] « En Bosnie, Américains et Européens avancent en ordre dispersé », Tribune de Genève,

vendredi 1er décembre 1995 [21a] article + photo + carte, p. 7 [21b] « Pilotes français : Plainte déposée », dépêche (AFP), p. 7 [21c] « Peter Arbenz rentre d’ex-Yougoslavie et annonce des élections libres », article +

photo, p. 13 [22] « Serbes de Sarajevo : Radovan Karadzic menace », Tribune de Genève,

samedi/dimanche 2/3 décembre 1995 [22a] dépêche (AP), p. 7 [23] « Ex-Yougoslavie : L’urgence du dialogue », Tribune de Genève, lundi 4 décembre 1995 [23a] article d’opinion, p. 2 [24] « Paris et Washington croisent le fer sur le statut explosif de Sarajevo », Tribune de

Genève, mardi 5 décembre 1995 [24a] article + photo, p. 9 [25] « Paris se rapproche de l’OTAN et délivre surtout un signal fort », Tribune de Genève,

mercredi 6 décembre 1995 [25a] article + photo, p. 9 [25b] « Washington calme le jeu », dépêche (AFP), p. 9 [25c] « Incident bosniaque à la Croix-Rouge », dépêche (AFP), p. 11 [26] « Querelle de chevaux sur un pont des Balkans », Tribune de Genève, jeudi 7 décembre

1995 [26a] article d’opinion + photo, p. 2 [27] « Ecartés à Dayton, les Européens en séance de rattrapage à Londres », Tribune de

Genève, vendredi 8 décembre 1995 [27a] article + photo, p. 5 [28] « Le Suédois Carl Bildt va devoir reconstruire la Bosnie », Tribune de Genève,

samedi/dimanche 9/10 décembre 1995 [28a] dépêche (AFP), p. 5 [28b] « Bosnie : Flavio Cotti doit relever « un défi sans précédent » à l’OSCE », article, p.

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[29] « L’affaire des pilotes disparus pèse sur la conférence de Londres », Tribune de Genève, lundi 11 décembre 1995

[29a] dépêche (AFP/ATS), p. 5 [30] « Pilotes français disparus en Bosnie : l’espoir vient de Washington », Tribune de Genève,

mardi 12 décembre 1995 [30a] dépêche (AFP), p. 5 [30b] « Les complots de Milosevic », dépêche (AP), p. 5 [31] « La libération des pilotes français dissipe un obstacle à la paix en Bosnie », Tribune de

Genève, mercredi 13 décembre 1995 [31a] dépêche (AFP), p. 10 [31b] « Les Serbes de Sarajevo rejettent le statut de la ville prévu à Dayton », dépêche

(AFP), p. 10 [32] « Les Américains s’aventurent la gorge serrée sur le terrain miné de la Bosnie », Tribune

de Genève, jeudi 14 décembre 1995 [32a] article + photo, p. 7 [32b] « Rendez-vous à l’Elysée », dépêche (AFP), p. 17 [33] « Bosnie : La paix arrachée par Clinton signée à Paris », Tribune de Genève, vendredi 15

décembre 1995 [33a] couverture : titre principal + photo [33b] « Bosnie : L’Europe se rattrapera-t-elle?, éditorial + dessin humoristique, p. 2 [33c] « Retenant leur souffle, neuf hommes signent une paix fragile en Bosnie », article +

photo, p. 9 [33d] « Un Etat divisé en deux entités », dépêche (AFP) + carte, p. 9 [33e] « L’amertume explose à Sarajevo », article, p. 9 [33f] brève, p. 9 [34] « La force multinationale est prête à assurer sa mission de paix en Bosnie », Tribune de

Genève, samedi/dimanche 16/17 décembre 1995 [34a] dépêche (AFP) + photo, p. 8 [34b] « Zagreb dénonce les prétentions serbes », dépêche (AFP), p. 8 [34c] « L’OTAN : de la dissuasion à l’action », article + carte, p. 8 [35] « La FORPRONU vit ses dernières heures et l’OTAN prépare la relève », Tribune de

Genève, mercredi 20 décembre 1995 [35a] article + photo, p. 6 [35b] « Frigorifiés, les GI patrouillent à Tuzla », dépêche (AFP), p. 6 [36] « Flamme éternelle à Sarajevo : enfin un Noël sans obus », Tribune de Genève, jeudi 21

décembre 1995 [36a] article d’opinion + caricature + photo, p. 2 [37] « Pour le juge Goldstone, les leaders serbes pourraient être poursuivis », Tribune de

Genève, vendredi 22 décembre 1995 [37a] interview + photo, p. 7 [37b] « Collaboration suisse », dépêche (AFP), p. 7 [38] « Les deux pilotes auraient été maltraités en Bosnie », Tribune de Genève, mercredi 27

décembre 1995 [38a] dépêche (AP), p. 4 [39] « Paix injuste en Bosnie, fragile au Proche Orient », Tribune de Genève, jeudi 28

décembre 1995 [39a] article, p. 2 [40] « Les GI sortent les grands moyens pour gagner la Bosnie », Tribune de Genève,

samedi/dimanche/lundi/mardi 30/31 décembre 1995-1er/2 janvier 1996 [40a] dépêche (AFP) + photo, p. 7

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JOURNAL DE GENEVE ET GAZETTE DE LAUSANNE [1] « Ex-Yougoslavie : L’Ohio, étape de la paix en Bosnie », Journal de Genève et Gazette de

Lausanne, mercredi 1er novembre 1995 [1a] annonce à la Une [1b] « Ex-Yougoslavie : Début des négociations de paix aux Etats-Unis - La paix en

Bosnie passe par l’Ohio », article + 4 photos, p. 2 [1c] « Trois ans et demi de guerre », article (Réd/AFP), p. 2 [1d] « Srebrenica : Les Pays-Bas défendent l’honneur perdu de leurs Casques bleus »,

article, p. 2 [1e] « A Dayton, la « séquestration » devient technique de négociation », article + carte,

p. 2 [2] « Ex-Yougoslavie : Négociation à Dayton - La dernière « meilleure chance de paix » en

Bosnie », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, jeudi 2 novembre 1995 [2a] dépêche (Agences), p. 4 [3] « Ex-Yougoslavie : Les pourparlers de paix dans la ville américaine de Dayton -

Engagement de MM. Tudjman et Milosevic sur la Slavonie », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, vendredi 3 novembre 1995

[3a] dépêche (Agences), p. 3 [4] « Bosnie : Les négociateurs ex-yougoslaves s’attaquent aux documents de travail », Journal

de Genève et Gazette de Lausanne, samedi/dimanche 4/5 novembre 1995 [4a] dépêche (Agences), p. 3 [5] « Les Serbes rejettent un projet d’accord sur la Slavonie orientale », Journal de Genève et

Gazette de Lausanne, mardi 7 novembre 1995 [5a] dépêche (Reuter), p. 5 [6] « La Bosnie a besoin d’un milliard de dollars pour ses hôpitaux », Journal de Genève et

Gazette de Lausanne, mercredi 8 novembre 1995 [6a] article, p. 7 [7] « Participation des troupes russes en Bosnie : accord », Journal de Genève et Gazette de

Lausanne, jeudi 9 novembre 1995 [7a] dépêche (Agences), p. 4 [8] « Accord à Dayton sur la Fédération croato-bosniaque », Journal de Genève et Gazette de

Lausanne, vendredi 10 novembre 1995 [8a] dépêche (Agences), p. 6 [9] « Mouvements de troupes croates vers la Slavonie », Journal de Genève et Gazette de

Lausanne, samedi/dimanche 11/12 novembre 1995 [9a] dépêche (Reuter), p. 7 [10] « Les Serbes de Slavonie orientale acceptent de réintégrer la Croatie », Journal de

Genève et Gazette de Lausanne, lundi 13 novembre 1995 [10a] dépêche (Agences) + carte, p. 6 [11] « Six Croates de Bosnie accusés de crimes de guerre », Journal de Genève et Gazette de

Lausanne, mardi 14 novembre 1995 [11a] dépêche (Agences), p. 7 [11b] « Préparation de l’après-guerre », encadré, p. 7 [12] « Le HCR dénonce la « repopulation ethnique » en Bosnie et en Croatie », Journal de

Genève et Gazette de Lausanne, mercredi 15 novembre 1995 [12a] dépêche (Agences), p. 5 [13] « Les Serbes Mladic et Karadzic sont inculpés de génocide pour le massacre de

Srebrenica », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, vendredi 17 novembre 1995 [13a] dépêche (FrW avec Reuter et AFP) + photo, p. 7 [14] « Zagreb et Belgrade seraient prêts à normaliser leurs relations », Journal de Genève et

Gazette de Lausanne, samedi/dimanche 18/19 novembre 1995 [14a] dépêche (Agences), p. 5 [15] « Négociations sur la Bosnie : « Il faut choisir entre guerre et paix » », Journal de Genève

et Gazette de Lausanne, lundi 20 novembre 1995 [10a] dépêche (Agences), p. 4

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[16] « Les Etats-Unis tentent d’arracher la paix aux Bosniaques », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, mardi 21 novembre 1995

[16a] couverture : titre principal + article + cartes [16b] couverture : « Dayton : la lumière viendra de l’Ouest », éditorial [16c] « Les Nations Unies lancent un appel à l’aide pour les millions de réfugiés d’ex-

Yougoslavie », p. 5 [16d] « Le tribunal international annonce l’arrestation d’un Musulman », dépêche (AFP) [17] « Serbes, Croates et Musulmans se mettent d’accord. La Bosnie sera en paix à Noël »,

Journal de Genève et Gazette de Lausanne, mercredi 22 novembre 1995 [17a] couverture : titre principal + article + photo [17b] « La « pax americana » est conclue en Bosnie », article + carte, p. 3 [17c] « Le coup de poker américain », commentaire, p. 3 [17d] « L’OTAN est prête pour sa première opération militaire terrestre », article, p. 3 [18] « Après Dayton, Bill Clinton triomphe face à un Congrès républicain déjà en repli », Journal

de Genève et Gazette de Lausanne, jeudi 23 novembre 1995 [18a] article + photo, p. 4 [18b] « Le calendrier de l’accord », article, p. 4 [18c] « Nations Unies : Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté mercredi soir

deux résolutions visant à lever les sanctions », dépêche (Reuter), p. 4 [18d] « Serbes de Bosnie : Les ultra nationalistes de Pale ne sont pas soutenus par les

responsables de Banja Luka », dépêche (FW/AFP), p. 4 [18e] « OSCE : La Suisse aura un rôle important à jouer dans l’organisation des élections

en Bosnie », dépêche (ATS), p. 4 [18f] « CICR : Réaction prudente », dépêche (ATS)

[19] « Les Serbes de Bosnie acceptent l’accord de paix », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, vendredi 24 novembre 1995

[19a] dépêche (Agences), p. 4 [19b] « Sarajevo : Espoir d’un hiver moins froid », titre + photo, p. 2 [19c] « L’accord de Dayton : La Russie ressasse son amertume », article, p. 6 [19d] « Aide au retour : La Bosnie a besoin des forces vives de ses exilés », article, p. 6 [20] « L’OTAN enverra prochainement 3000 hommes en Bosnie et en Croatie », Journal de

Genève et Gazette de Lausanne, samedi/dimanche 25/26 novembre 1995 [20a] dépêche (Agences), p. 5 [21] « Karadzic renâcle sur Sarajevo », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, lundi 27

novembre 1995 [21a] dépêche (Agences), p. 4 [22] « En tentant de retarder l’application de l’accord de Dayton, Radovan Karadzic cherche à

sauver sa tête », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, mardi 28 novembre 1995 [22a] article + encadré, p. 7 [23] « Bill Clinton demande au Congrès « de faire le choix de la paix » », Journal de Genève et

Gazette de Lausanne, mercredi 29 novembre 1995 [23a] dépêche (Agences), p. 9 [23b] « Pour lord Owen, « la paix de Dayton est fragile », article, p. 4 [24] « A Londres, Bill Cinton réaffirme l’engagement européen des Etats-Unis », Journal de

Genève et Gazette de Lausanne, jeudi 30 novembre 1995 [24a] dépêche (Agences) + photo, p. 6 [24b] « Mission compliquée pour les GI’s en Bosnie », article, p. 6 [24c] « Preuves d’atrocités à Srebrenica », dépêche (Agences), p. 6 [25] « L’armée américaine prépare son arrivée en Bosnie », Journal de Genève et Gazette de

Lausanne, vendredi 1er décembre 1995 [25a] dépêche (Agences), p. 5 [26] « Moi, rentrer en Bosnie? Jamais ! », Journal de Genève et Gazette de Lausanne,

samedi/dimanche 2/3 décembre 1995 [26a] article + photo, p. 7 [26b] « Bob Dole soutient Bill Clinton pour l’envoi de 20 000 GI’s », article, p. 7 [26c] « L’OTAN donne son feu vert », dépêche (Agences), p. 7

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[27] « M. Clinton sonne le départ des premiers boys en Bosnie », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, lundi 4 décembre 1995

[27a] dépêche (Agences), p. 7 [28] « Sarajevo : capitale ou fortin », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, mardi 5

décembre 1995 [28a] couverture : éditorial [28b] « L’avant-garde d’ « Effort concentré » débarque à Sarajevo », article, p. 4 [29] « Paris resserre ses liens avec l’OTAN », Journal de Genève et Gazette de Lausanne,

mercredi 6 décembre 1995 [29a] dépêche (Agences), p. 7 [29b] « L’OTAN célèbre son unité retrouvée sur la Bosnie », dépêche (Reuter), p. 7 [29c] « Eviter un nouvel exode serbe », article, p. 7 [29d] « Moscou mise sur les gains économiques de la paix », article, p. 7 [30] « La Bosnie a aussi laissé des cicatrices », Journal de Genève et Gazette de Lausanne,

jeudi 7 décembre 1995 [30a] article, p. 3 [30b] « L’Amérique bricole son rôle de superpuissance », article + photo, p. 5 [30c] « L’Allemagne enverra 4000 soldats en Bosnie », dépêche (Agences), p. 5 [31] « Le dossier sur la sécurité en Europe occulté par la Bosnie », Journal de Genève et

Gazette de Lausanne, vendredi 8 décembre 1995 [31a] dépêche (ATS), p. 4 [31b] « L’ONU satisfaite de passer le relais en Bosnie », dépêche (Agences), p. 5 [32] « L’OSCE joue gros en Bosnie », Journal de Genève et Gazette de Lausanne,

samedi/dimanche 9/10 décembre 1995 [32a] annonce à la Une [32b] « Sarajevo se veut rassurant vis-à-vis des civils serbes », dépêche (Agences), p. 5 [32c] « Sous présidence suisse, l’OSCE va assurer une mission ambitieuse en Bosnie »,

article (avec ATS et Reuter), p. 7 [33] « Bosnie : L’affaire des pilotes assombrit la réunion de Londres », Journal de Genève et

Gazette de Lausanne, lundi 11 décembre 1995 [33a] dépêche (Agences), p. 6 [33b] « Un plan de 4,9 milliards de dollars pour reconstruire la Bosnie », dépêche (AFP),

p. 15 [34] « Bosnie : le prix d’un pilote », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, mardi 12

décembre 1995 [34a] couverture : éditorial [34b] « Les pilotes français retenus en Bosnie : une monnaie d’échange? », dépêche

(Reuter), p. 7 [35] « Les Serbes libèrent les deux pilotes français », Journal de Genève et Gazette de

Lausanne, mercredi 13 décembre 1995 [35a] dépêche (Agences), p. 5 [36] « Après Paris, la paix reste à faire en Bosnie », Journal de Genève et Gazette de

Lausanne, jeudi 14 décembre 1995 [36a] article + carte, p. 7 [36b] « Les principaux points de l’accord », dépêche, (FW/Reuter), p. 7 [37] « Bosnie : Accord de paix signé Bosnie », Journal de Genève et Gazette de Lausanne,

vendredi 15 décembre 1995 [37a] couverture : titre secondaire + début d’article [37b] « La Bosnie meurtrie attend la réconciliation », article + photo, p. 4 [37c] « Jeu de rôles à l’Elysée » commentaire, p. 4 [37d] « Double message du Congrès américain », article, p. 4 [38] « Normalisation : Zagreb refuse les conditions de Belgrade », Journal de Genève et

Gazette de Lausanne, samedi/dimanche 16/17 décembre 1995 [38a] dépêche (Agences), p. 8

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[39] « La météo et la bureaucratie retardent l’opération de l’OTAN en Bosnie », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, lundi 18 décembre 1995

[39a] dépêche (Agences), p. 7 [39b] « Les Américains arrivent en ex-Yougoslavie », photo, p. 2 [40] « Nouvelles menaces de la Croatie », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, mardi

19 décembre 1995 [40a] dépêche (Agences), p. 7 [40b] « La Suisse va débloquer 25 millions pour la Bosnie », dépêche (ATS/E.Mi), p. 9 [40c] « La Suisse contre les crimes de guerre », dépêche (ATS), p. 9 [41] « Bosnie : la valse des bérets », Journal de Genève et Gazette de Lausanne, jeudi 21

décembre 1995 [41a] couverture: titre secondaire + éditorial [41b] « En Bosnie, l’OTAN reprend le flambeau », annonce à la Une [41c] « « Peace in Bosnia » : le compte à rebours commence », article + carte, p. 5 [41d] « Une presqu’île retarde la normalisation entre Belgrade et Zagreb », article, p. 5 [42] « Un tiers des effectifs de l’IFOR déployé en Bosnie », Journal de Genève et Gazette de

Lausanne, samedi/dimanche/lundi/mardi 23/24/25/26 décembre 1995 [42a] dépêche (Agences), p. 4 [43] « L’IFOR refuse d’accorder un délai aux Serbes de Bosnie », Journal de Genève et

Gazette de Lausanne, mercredi 27 décembre 1995 [43a] dépêche (Agences), p. 4 [43b] « Sarajevo et Bethléem fêtent Noël en paix », dépêche (Agences), p. 4 [44] « L’évacuation des combattants connaît un premier retard à Sarajevo », Journal de

Genève et Gazette de Lausanne, jeudi 28 décembre 1995 [44a] article + photo, p. 5 [44b] « Pilotes français : « Pressions psychologiques » », dépêche (Agences), p. 5

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LE COURRIER [1] « Pourparlers sur la Bosnie : Le sacrifice de Srebrenica va peser lourd sur les négociations

de paix », Le Courrier, jeudi 2 novembre 1995 [1a] article, p. 9 [2] « Négociations à Dayton : La normalisation des relations Croatie-Serbie est une priorité »,

Le Courrier, vendredi 3 novembre 1995 [2a] dépêche (ATS/AFP), p. 9 [3] « Bosnie : Les négociations se penchent sur quatre documents de travail », Le Courrier,

samedi-dimanche 4-5 novembre 1995 [3a] dépêche (ATS) + photo, p. 19 [4] « Bosnie : Les Russes participeront à la force de paix avec l’OTAN », Le Courrier, jeudi 9

novembre 1995 [4a] dépêche (ATS), p. 9 [5] « Slavonie : Une menace croate pèse lourdement sur le territoire occupé par les Serbes »,

Le Courrier, samedi-dimanche 11-12 novembre 1995 [5a] article, p. 19 [6] « Slavonie orientale : Les Serbes acceptent de réintégrer l’enclave multiethnique de

Croatie », Le Courrier, lundi 13 novembre 1995 [6a] article + photo, p. 9 [6b] « La fin de la Grande Serbie », commentaire, p. 9 [7] « Bosnie : La repopulation ethnique est aussi un danger », Le Courrier, mercredi 15

novembre 1995 [7a] dépêche (ATS/AP), p. 9 [8] « Bosnie : Négociations dans l’impasse », Le Courrier, jeudi 16 novembre 1995 [8a] dépêche (ATS/AFP), p. 9 [9] « La Haye: R. Karadzic et Mladic sont mis en accusation », Le Courrier, vendredi 17

novembre 1995 [9a] dépêche (ATS/AFP), p. 11 [10] « Bosnie : Le suspense de Dayton prendra fin cet après-midi au plus tard », Le Courrier,

lundi 20 novembre 1995 [10a] dépêche (ATS), p. 9 [11] « Bosnie : Les négociateurs parviennent enfin à un accord global de paix à Dayton », Le

Courrier, mercredi 22 novembre 1995 [11a] dépêche (ATS), p. 9 [11b] « Comment y croire », commentaire, p. 9 [12] « Bosnie : Les Serbes de Pale s’entre-déchirent sur l’accord signé aux Etats-Unis », Le

Courrier, jeudi 23 novembre 1995 [12a] article + photo, p. 9 [12b] « La force multinationale de l’OTAN sera à l’œuvre en Bosnie dans quelques

semaines », dépêche (ATS), p.9 [12c] « L’OTAN prépare son intervention », article, p. 5 [13] « Ex-Yougoslavie : L’ONU suspend ses sanctions et les Serbes bosniaques acceptent la

paix », Le Courrier, vendredi 24 novembre 1995 [13a] dépêche (ATS) + photo, p. 9 [13b] « La Serbie quittera lentement le purgatoire », article, p. 9 [14] « Bosnie : Les chefs bosno-serbes tentent de convaincre leurs troupes », Le Courrier,

samedi-dimanche 25-26 novembre 1995 [14a] dépêche (ATS), p. 19 [15] « Bosnie : Des responsables contestent certains aspects territoriaux de l’accord de paix »,

Le Courrier, lundi 27 novembre 1995 [15a] dépêche (ATS/AFP) + photo, p. 9 [16] « Bosnie : Le mécontentement des Serbes de Sarajevo inquiète l’ONU », Le Courrier,

mardi 28 novembre 1995 [16a] dépêche (AP), p. 9

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[17] « Intervention en Bosnie : La « pax americana » est pour bientôt grâce aux 20000 soldats de Clinton », Le Courrier, mercredi 29 novembre 1995

[17a] article + photo, p. 9 [17b] « Des centaines de G.I. attendus », dépêche (AP), p. 9 [17c] « Le sort des Serbes, une inconnue de taille », dépêche (ATS/AFP), p. 9 [17d] « Les principaux contingents de la paix », dépêche (Reuter), p. 9 [18] « Bosnie : Clinton va parcourir l’Europe alors que ses premiers « boys » sont à Tuzla », Le

Courrier, jeudi 30 novembre 1995 [18a] dépêche (AP/AFP) + carte, p. 9 [18b] « Srebrenica : atrocités confirmées », dépêche (ATS/AFP), p. 9 [19] « Bosnie : La force de paix multinationale a entamé sa mission au nord », Le Courrier,

vendredi 1er décembre 1995 [19a] dépêche (ATS/AFP) + photo, p. 9 [20] « Nouveau secrétaire : L’OTAN a trouvé la perle rare en la personne de l’Espagnol Javier

Solana », Le Courrier, samedi/dimanche 2/3 décembre 1995 [20a] dépêche (AFP/Reuter) + photo, p. 19 [20b] « Feu vert pour un contingent », dépêche (AP), p. 19 [21] « Bosnie : Pour Sarajevo, ville libre et unie », Le Courrier, lundi 4 décembre 1995 [21a] courrier de lecteurs, p. 4 [21b] « Bosnie : Clinton annonce l’envoi de 700 G.I. e dépit de Mladic », dépêche

(ATS/AFP) + photo, p. 11 [22] « L’envoi de troupes allemandes en Bosnie divise les « Grünen » », Le Courrier, mardi 5

décembre 1995 [22a] couverture : titre + photo + commentaire [22b] « Allemagne : La question bosniaque provoque un clivage chez les écologistes »,

article + photo, p. 8 [22c] « Ex-Yougoslavie : Les Serbes de Sarajevo annoncent un référendum sur l’accord

de Dayton », dépêche + photo, p. 11 [23] « Serbie : Chirac met en garde Milosevic », Le Courrier, jeudi/vendredi 7/8 décembre 1995 [23a] dépêche (ATS), p. 11 [24] « OSCE : Mission en Bosnie-Herzégovine », Le Courrier, samedi/dimanche 9/10 décembre

1995 [24a] annonce à la Une [24b] « OSCE : Flavio Cotti devra relever un défi sans précédent en Bosnie », article, p.

19 [25] « Bosnie : La conférence de Londres amorce la reconstruction », Le Courrier, lundi 11

décembre 1995 [25a] dépêche, p. 9 [26] « Bosnie : La paix n’est pas encore signée, mais les Serbes de Sarajevo fuient déjà », Le

Courrier, mardi 12 décembre 1995 [26a] dépêche (ATS/AFP) + photo, p. 10 [26b] « Révélations sur les plans de Milosevic », dépêche (AP), p. 10 [26c] « Fermeté sans moyens », commentaire, p. 10 [27] « Bosnie-France: Les Serbes ont libéré les pilotes juste avant la signature de Paris », Le

Courrier, mercredi 13 décembre 1995 [27a] dépêche (ATS) + photo, p. 9 [27b] « Jacques Chirac remercie Boris Eltsine et Slobodan Milosevic », dépêche (AP) +

photo, p. 9 [28] « Bosnie : La paix sera officielle », Le Courrier, jeudi 14 décembre 1995 [28a] annonce à la Une [28b] « Bosnie : La signature de l’accord à Paris marquera le premier jour de paix »,

dépêche (ATS) + photo, p. 9 [28c] « Comment faire revivre une capitale qui a déjà perdu la moitié de ses cadres »,

reportage, p. 9 [28d] « Les Serbes partiront vers l’inconnu », encadré, p. 9 [28e] « Le dilemme américain », éclairage, p. 9

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[29] « Paix signé à Paris : Le pari sur la réconciliation entre Bosniaques tient encore de

l’utopie», Le Courrier, vendredi 15 décembre 1995 [29a] dépêche (ATS/AFP) + cartes, p. 9 [29b] « Prémices de paix », commentaire, p. 9 [29c] « Gorazde veut « la paix, la paix et la paix » », reportage (ATS/AFP), p. 9 [29d] « L’amertume « explose » à Sarajevo », encadré, p. 9 [29e] « Suisse : Tolérance pour les réfugiés », dépêche (ATS), p. 9 [30] « Ex-Yougoslavie : La Kosove s’apprête à accueillir sa première organisation pacifiste »,

Le Courrier, samedi/dimanche 16/17 décembre 1995 [30a] article, p. 12 [30b] « L’histoire de Kosove en dates », encadré, p. 12 [30c] « Yougoslavie : La Croatie refuse un échange territorial avec la Serbie », dépêche

(ATS/AFP), p. 19 [31] « Bosnie : La météo et la bureaucratie gênent l’IFOR », Le Courrier, lundi 18 décembre

1995 [31a] dépêche (ATS/AFP), p. 9 [32] « Si les conflits se préparent, on doit pouvoir les prévenir », Le Courrier, mercredi 20

décembre 1995 [32a] couverture : le gros titre + photographie + commentaire [32b] « Bosnie : Le chef des troupes est arrivé », annonce à la Une [32c] « Bosnie : Le commandant des troupes de terre de l’OTAN devra concrétiser la

paix », dépêche (ATS/AFP) + photo, p. 9 [32d] « Exposition : Le cinquième hiver des gosses en Bosnie … », p. 3 [33] « Bosnie : La Force internationale de maintien de la paix a pris la relève de la

FORPRONU », Le Courrier, jeudi 21 décembre 1995 [33a] dépêche (ATS), p. 9 [34] « Bosnie : Des combattants islamiques ne veulent pas quitter la Bosnie », Le Courrier,

vendredi 22 décembre 1995 [34a] dépêche (AP), p. 7 [34b] « Médiatrice de l’OSCE », dépêche (ATS), p. 7 [35] « Bosnie : La rage musicale des Sarajéviens trouve un vibrant écho à Genève », Le

Courrier, samedi/dimanche/lundi/mardi 23/24/25/26 décembre 1995 [35a] article + photo, p. 11 [35b] « Bosnie : Les Russes qui rejoignent l’OTAN sont payés en dollars », dépêche

(AP), p. 17 [35c] « L’OTAN peut survoler le territoire suisse, dépêche (ATS), p. 17 [36] « Bosnie : Sarajevo vit dans l’expectative les premières mesures de paix », Le Courrier,

jeudi 28 décembre 1995 [36a] article, p. 3 [36b] « Bosnie : Les belligérants se retirent progressivement de Sarajevo », dépêche

(ATS) + photo, p. 11 [37] « Bosnie : Le retrait des forces serbes et musulmanes est fait à Sarajevo », Le Courrier,

vendredi 29 décembre 1995 [37a] dépêche (ATS), p. 7 [38] « Ex-Yougoslavie : La conférence épiscopale serbe désavoue le patriarche Pavle », Le

Courrier, samedi/dimanche/lundi/mardi 30/31 décembre 1995-1er/2 janvier 1996 [38a] dépêche (APIC/IDt), p. 7

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ANNEXE № 10

Illustrations

Le Nouveau Quotidien

NQ 21/11/95 p. 1, NQ 22/11/95 pp. 1-4, NQ 15/12/95 pp. 1, 2, 5, NQ 20/12/95 p. 7

Tribune de Genève

TG 15/12/95 pp. 1, 2, 9 TG 16/12/95 p. 8

Journal de Genève et Gazette de Lausanne

JG 21/11/95 p. 1 JG 22/11/95 p. 1 JG 14/12/95 p. 7 JG 15/12/95 pp. 1, 4

Le Courrier

LC 20/12/95 p. 1 LC 14/12/95 p. 9 LC 15/12/95 p. 9