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Une fenêtre ouverte sur le monde

nui iraJanvier 1973 (XXVI" année) - France: 1,70 F - Belgique: 25 F - Suisse: 1,60 F

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TRÉSORSDE L'ART

MONDIAL

© IRAN&%mÚ£xW&k

Il y a quatre mille ans, l'abstraction

Chef-d'éuvre d'abstraction géométrique, cette divinité persane du 2e millénaire avant notreère a été découverte à Tépé-Hissar dans le sud-est de la mer Caspienne et mesure près de 20 cmde hauteur. Dépassant les apparences physiques, ramenant les membres à deux triangles, cettesculpture tire sa puissance du seul recours à la représentation symbolique. La beauté émanede ces contours épurés à l'extrême : à la place du visage, un cylindre; pas de traits, seule uneproéminence centrale à la hauteur de la poitrine. Cette déesse de pierre témoigne d'une volontéd'atteindre à la signification pure, se plaçant d'emblée et par-delà les âges, au même plan que lesrecherches les plus modernes de formes dépouillées et évocatrices de l'essentiel.

Photo ç Musée de Téhéran, tirée de « L'Art iranien », Bibliothèque des arts, Paris 1971

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UNESCOLe Courrier

JANVIER 1973

26e ANNÉE

PUBLIÉ MAINTENANT EN 14 LANGUES

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çais; 250 fr. belges; 16 fr. suisses; £ 1.30.POUR 2 ANS : 30 fr. français; 450 fr. belges;27 fr. suisses (en Suisse, seulement pour leséditions en français, en anglais et en espa¬gnol); £ 2.30. Envoyer les souscriptionspar mandat C.C.P. Paris 12598-48, LibrairieUnesco, place de Fontenoy, Paris.

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Illustration : Anne-Marie Maillard

Documentation : Zoé Allix

Maquettes : Robert Jacquemin

Toute la correspondance concernant la Rédaction doit êtreadressée au Rédacteur en Chef.

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POUR UNE POLITIQUE MONDIALE

DE L'ENVIRONNEMENT

par Lynton K. Caldwell

POUR QUE TERRE DEMEURE

par Barbara Ward

HALTE A LA CROISSANCE?

Interview du président du Club de Rome

PAS DE RECETTE PASSE-PARTOUT

par Gunnar Myrdal

ENVIRONNEMENTET ENGAGEMENT POLITIQUE

Table ronde de jeunes scientifiques à l'Unesco

MÉDITERRANÉE : ALERTE AU PÉTROLE

par Carlo Munns

LE GRAND BESTIAIRE DE UGO MOCHI

POLLUTION N° 1 : SOUS-DÉVELOPPEMENT

par Josué de Castro

LE MYTHE DE L'ÉQUILIBRE ÉCOLOGIQUE

par Miguel A. Ozorio de Almeida

DIX GRANDS POLLUANTS

LA BIOSPHÈREDIX FOIS PLUS RICHE QU'ON NE CROIT

par Nicolas Timoféev-Ressovski

LATITUDES ET LONGITUDES

PETITE BIBLIOGRAPHIE

SUR L'ENVIRONNEMENT

NOS LECTEURS NOUS ÉCRIVENT

TRÉSORS DE L'ART MONDIAL

Il y a 4 000 ans, l'abstraction (Iran)

POUR QUE TERRE DEMEURE

Faut-il vraiment, à l'âge technologi¬que, brûler la chandelle par les deuxbouts ? La pollution de l'air, des océans,des sols cultivables, la dégradation dela biosphère elle-même source detoute vie planétaire (humaine, animale,végétale) constituent-elles vraimentle prix à payer du développement engénéral et des sociétés développéesen particulier ? Aujourd'hui, on prenduniversellement conscience des erreurs

et des abus, et l'on met en lumière lescorrectifs qui, en dépit des prévisionspessimistes, peuvent assurer aux Ter¬riens que nous sommes un avenir oùles pays en voie de développementpeuvent trouver la prospérité, et lespays industrialisés l'indispensable équi¬libre entre économie et environnement.

Aucune nation ne peut jusqu'à présent prétendre à une véritablemaîtrise des problèmes de l'environnement. Les nations dites déve¬loppées n'ont, en fait de conscience écologique et d'expérience,que quelques années d'avance sur les pays en voie de développe¬ment. Ici, un fermier argentin à la pointe du progrès, près de laville de Rosario, détourne sa moissonneuse pour éviter un bosquetd'arbres dressés au centre de son champ.

Pour une

politique mondialede l'environnementpar Lynton K. Caldwell

concept fondamentald'une politique mondiale de l'environ¬nement, c'est aujourd'hui la biosphère.Ce terme, comme l'idée qu'il exprime,n'a guère plus d'un siècle d'existence.Mais son extension est vraiment inter¬

nationale. Son origine remonte àLamarck, le naturaliste français ; ilapparaît pour la première fois en 1875dans les travaux scientifiques du géo¬graphe autrichien Suess ; il a fait car¬rière depuis, et il est entré dans lelexique scientifique surtout grâce auminéralogiste russe V.l. Vernadski.

La science a reconnu toute l'impor¬tance de l'unité complexe qu'est la

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LYNTON K. CALDWELL, professeur d'admi¬nistration publique de l'environnement et desciences politiques à l'Université d'Indiana(Etats-Unis), est, en outre, président du Co¬mité pour la politique de l'environnement, laloi et l'administration de l'Union internatio¬nale de la Nature et des Ressources natu¬

relles à Morges (Suisse). Il a publié denombreux ouvrages sur les problèmes del'environnement, dont « Environment: A Chal¬lenge to Modem Society » ('971) et plus decent articles et contributions diverses. Son

livre le plus récent, - In defense of Earth »(Indiana University Press, 1972), décrit l'effortinternational accompli pour la protection dela biosphère.

biosphère, plusieurs décennies avantqu'apparaisse la conscience politiquedu phénomène. Il fallut attendre laConférence sur la biosphère en 1968,sous les auspices de l'Unesco (encoopération avec les Nations Unies,l'Organisation mondiale de la santé,l'Organisation des Nations Unies pourl'alimentation et l'agriculture, l'Unioninternationale pour la conservation dela nature et de ses ressources, le Pro¬gramme biologique international duConseil international des unions scien¬

tifiques) pour que l'environnement denotre planète, c'est-à-dire la biosphère,apparaisse dans le plan de travail desreprésentants officiels des nations etdes organisations internationales (voir« Courrier de l'Unesco », janvier 1969).

En 1949, les conférences des NationsUnies (pour la Conservation et l'Utili¬sation des Ressources naturelles), puisen 1963 (sur l'application de la Scienceet de la Technique dans l'intérêt desrégions peu développées), reconnais¬saient tacitement l'unicité de la pla¬nète Terre. Toutefois, il n'y fut pas faitexamen des implications que signifiecette unité complexe pour les rela¬tions de l'homme à l'environnement.

En fait, on ignorait à peu près tout,jusqu'en 1968, de l'attitude des peu

ples et des gouvernements à l'égardde la biosphère.

Ainsi qu'il en va souvent pour lesaffaires publiques, une action nongouvernementale a précédé l'établis¬sement d'une politique officielle. En1948, à Fontainebleau (France), l'Unioninternationale pour la conservation dela nature (UICN) était créée avecl'appui de l'Unesco. Aujourd'hui,l'Union est devenue une organisationmondiale de conservation et s'est

adjoint, dans son appellation, les res¬sources naturelles ; ses fonctions sesont étendues à une politique de l'en¬vironnement, aux questions juridiqueset administratives.

Alors que les tâches essentielles del'UlCN demeurent écologiques et édu¬catives, les mécanismes conduisant

aux décisions qui vont sauvegarder oucompromettre les ressources natu¬

relles sont de nature politique, juri¬dique et administrative. Et c'est jus¬tement au plan d'une évaluation réa¬liste des mécanismes de décision quel'UlCN a été amenée à se préoccuperdirectement des actions des gouver¬nements et des organisations interna¬tionales qui peuvent affecter sa mis¬sion essentielle de conservation.

Plus récemment, en 1970, le Conseil

international des unions scientifiques(CIUS) a créé son propre comité scien¬tifique des problèmes de l'environ¬nement (SCOPE). Celui-ci, comme leCIUS, a découvert que sa missionscientifique originelle ne pouvait êtreparfaitement menée à bien hors d'unexamen de l'influence humaine sur

l'environnement. Toutefois, cette' influence ne tient pas aux seulesactivités de l'homme en tant qu'indi¬vidu ; elle est largement préparée etorganisée par l'intermédiaire des gou¬vernements, des groupements et desorganisations internationales.

Même au niveau de l'analyse etde la description de l'interventionhumaine, la réflexion sur l'environne¬ment exige l'apport de disciplinessociales et psychologiques qui ne sontpas suffisamment représentées au seindu CIUS. Disons que se retrouve ici,comme au niveau des gouvernementset des organisations internationales, lanécessité d'intégrer toutes les sciencesconcernées et toutes les compétencesprofessionnelles aux fins d'une ana¬lyse des tactiques efficaces, car pourvenir à bout des complexes problèmesde l'environnement, il n'est pas de dis¬cipline particulière qui puisse apporter,seule, de valable solution.

Si la Conférence sur la biosphère,en 1968, a marqué l'apparition d'uneprise de conscience politique interna¬tionale au sujet de l'environnement, laconférence des Nations Unies sur l'en¬

vironnement, qui eut lieu à Stockholm,du 5 au 16 juin 1972, a confirmé le rôlede cette conscience nouvelle.

La Conférence sur la biosphère étaitune réunion d'experts, alors que laconférence de Stockholm a réuni des

représentants politiques des gouver¬nements, des délégués de plus de110 nations. Ceux-ci adoptèrent unplan d'action de 109 recommandationsaux gouvernements nationaux et orga¬nisations internationales. La Confé¬

rence de Stockholm a égalementadopté une Déclaration, et proposé lacréation d'un nouvel appareil desNations Unies, destiné à faciliter letransfert du travail de la Conférence

au plan de l'action scientifique et poli¬tique.

Pour faciliter cette tâche, la confé¬rence a encouragé la création d'unFonds mondial pour l'environnement,alimenté par les contributions volon¬taires des gouvernements. Un certainnombre d'Etats ont déjà marqué leurappui à ce fonds, notamment leCanada, la République Fédérale d'Al

lemagne, l'Iran, le Japon, la Suède, lesPays-Bas et les Etats-Unis.

Il appartient évidemment à l'Assem¬blée générale des Nations Unies, auxgouvernements et aux institutions spé¬cialisées des Nations Unies, de don¬ner suite aux recommandations de

Stockholm. Quant à la mise en tuvredu plan d'action défini à Stockholm,elle ne peut se faire du jour au len¬demain, mais on est fondé à croireque, pour l'essentiel, cela se traduiradans la pratique. Et, à défaut mêmed'une caution officielle, les recom¬mandations pourront, pour la plupart,influer sur les décisions gouvernemen¬tales et internationales, et les orienterutilement.

L'action engagée par certains gou¬vernements en matière d'environne¬

ment incite à l'optimisme. En 1968encore, aucun pays n'était organisépolitiquement et administrativementpour s'occuper de « l'environnement »en tant que tel. Les décisions concer¬nant la relation homme-environnement

étaient prises en vertu d'autres consi-dérants : santé publique, économie hpolitique, tourisme, sécurité nationale, *»ou préservation du patrimoine culturel.

La notion de biosphère en tant que

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POLITIQUE MONDIALE (Suite)

système de survie (concept de laTerre-vaisseau spatial) est devenuefamilière dans l'esprit du public à lasuite des voyages cosmiques desSoviétiques et des Américains. Et lavision de notre solitaire planète bleue,qu'observaient astronautes et cosmo¬nautes a profondément ému les peu¬ples de la terre. Il n'est rien, au coursdes temps modernes, qui ait pluspuissamment dramatisé l'unité et lafragilité de la biosphère. Le symbole« Une seule Terre » transcende et les

langues et les idéologies. Son messageest lisible, même pour les illettrés.

Encore qu'il serait malaisé de prou¬ver que les voyages lunaires ont direc¬tement influé sur des décisions spéci¬fiquement applicables à l'environne¬ment, il est clair qu'ils ont modifiéle climat de pensée et d'opinion danslequel les gouvernements et les orga¬nisations internationales ont passé àl'action après 1968.

Entre 1969 et 1972, chaque paysindustrialisé, ou presque, a agi et surle plan législatif et sur le plan adminis¬tratif pour faire face plus efficacementaux problèmes d'environnement. Lasignature donnée, le 1" janvier 1970,par le Président des Etats-Unis auNational Environmental Policy Act de1969 fait époque en matière de législa¬tion nationale.

Cette loi de vaste portée détermineles critères qui doivent orienter, dansleurs décisions, les organismes dugouvernement des Etats-Unis, qui ontà intervenir de manière significativesur l'environnement. En outre, ellecontient un nouveau protocole de l'ap¬plication législative. Pour toute initia¬tive d'un organisme fédéral quelcon¬que et qui ait une portée significativeau plan de l'environnement, un res¬ponsable officiel doit préparer unexposé en cinq points, pour expliqueret justifier le bien-fondé de l'entrepriseproposée. Ces exposés sont examinésau Council on Environmental Quality,organisme hautement compétent, créépar la même loi, et sont tenus à ladisposition des gouvernements d'Etats,d'organismes fédéraux et du public.

En 1970, le Royaume-Uni assurait,par un « Livre blanc sur la protec¬tion de l'environnement », la based'une réorganisation gouvernementaleconduisant à la création d'un dépar¬tement pour l'environnement. En 1971,le gouvernement français créait leministère de la Protection de la Nature

et de l'Environnement. En Suède, auCanada, au Japon, et dans bien d'au¬tres pays, étaient créés de nouveauxorganismes chargés de l'environne¬ment, ou étaient remaniés, aux mêmesfins, certains départements ou minis¬tères existants.

L'impact mondial du concept d'en¬vironnement se faisait nettement sentir

sur les organisations gouvernemen¬tales, comme le prouvent les rapportssoumis par 80 pays au Comité prépa¬ratoire pour la conférence des NationsUnies, puis aux sessions plénières de

Stockholm, les délégués des gouver¬nements ont exposé les grandes lignesde leur politique en matière d'environ¬nement. Ces exposés révèlent que lesgouvernements s'engagent à peu prèstous à améliorer et à protéger l'envi¬ronnement.

Les politiques nationales en matièred'environnement visent tout d'abord,en s'institutionnalisant, à trouver lesmoyens de réconcilier l'écologie etl'économie. A l'égard des applicationsde la science et de la technologie, lesobjectifs du développement ont étésouvent déterminés sans que leursconséquences écologiques aient étévraiment prises en considération. Dansle passé, les structures politiques etadministratives où s'élaboraient lesdécisions ralentissaient et souvent

annihilaient toute possibilité de mettreen harmonie, politique d'environnementet politique de développement. Biendes pays qui cherchaient à se déve

lopper davantage ont été ainsi conduitsà commettre, au plan de l'environ¬nement, des erreurs souvent préjudi¬ciables au développement recherché,et à gaspiller de précieuses et raresressources naturelles.

On a publié, dernièrement, unvolume de 1 060 pages de cas précis,étudiés et analysés par 70 savants derenommée internationale : The Care¬

less Technology: Ecology and Interna¬tional Development (édité par M. T.Farvar et J.-P. Milton, Natural HistoryPress, 1972). Ces savants y examinentcertains projets de développement,dont le résultat a été nul ou même

nocif, la technologie n'ayant pas étéadaptée aux réalités écologiques etaux objectifs. Dans presque tous lescinquante cas étudiés, l'insuccès enmatière de développement peut s'ex¬pliquer par l'impropriété des méca¬nismes où s'élaborent les décisions.

Ceux qui avaient à définir une politi-

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Les vélosdeStockholm

L'été dernier, Stockholm accueillit une réunion internationale d'une importance capitale pour tousles peuples et tous les gouvernements : la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement.A gauche, le secrétaire général des Nations Unies, Kurt Waldheim, écrasé par le gigantesqueemblème symbolisant l'homme et la biosphère, prononce le discours d'ouverture lors de la pre¬mière réunion. Venant de presque tous les pays, plusieurs milliers de jeunes gens se retrouvèrentà Stockholm à ce moment (photos du haut) ; tant à la conférence des Nations Unies qu'auForum de l'environnement, indépendant, que dans des rassemblements spontanés, ils donnèrent voix(et musique) à leurs conceptions et à leurs sentiments sur la pollution, la guerre, la surpopulationet autres problèmes de l'environnement. Les délégués, délaissant les moyens de transport pol¬luants, préférèrent les vélos. En bas, le secrétaire général de la conférence des Nations Unies,Maurice Strong (le second à partir de la gauche), au milieu d'un groupe de délégués à Stockholm.

POUR

QUE TERREDEMEURE

La science de la biosphère nous apprend à consi¬dérer d'un regard nouveau les rapports de l'hommeet de sa planète. Ici, « Le faux miroir », toile dupeintre surréaliste belge René Magritte (1928).« Nous sommes d'une génération, dit Barbara Ward,qui voit par la prunelle des astronautes le mer¬veilleux lever de notre planète, si belle et si petite,sur l'horizon désolé de la lune. »

par Barbara Ward

NTexte © copyright - Reproduction interdite

'AFFRONTONS nous pasaujourd'hui l'un de ces tournants denotre destin où l'espèce humaine com¬mence à voir sous un angle nouveauet ce qu'elle est elle-même, et ce versquoi elle tend, trouvant en consé¬quence de nouvelles raisons d'agir,de persévérer et d'espérer ?

Les débats actuels à propos de l'en¬vironnement, leur passion, leur éten¬due, leur originalité ne témoignent-ilspas d'une profonde remise en causede l'ordre établi, laquelle, dans l'his¬toire humaine, ne manque pas d'ap¬paraître brusquement aux époques debouleversement radical ? Questionsque nous ne pouvons guère éluder.

On pense à ce levain intellectuelqui, il y a plus de deux millénaires,a travaillé la Chine lors de la fin de

la tutelle féodale et de l'établissement

des Han, la première grande dynastiecentralisatrice.

Plus récemment, au cours de l'his¬

toire, les hommes ont presque dûmarcher sur la tête pour admettre quec'était bien la terre qui tournait autourdu soleil, et pas le contraire, commeils l'avaient cru. Cette « révolution

copernicienne » demeure le modèlemême d'une modification fondamen¬

tale qui amène les hommes à repen¬ser de fond en comble la place qui leurappartient dans l'ordre naturel deschoses.

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BARBARA WARD (Lady Jackson), célèbreécrivain et économiste anglaise, est, avec Re¬né Dubos, l'auteur de « Nous n'avons qu'uneterre », ouvrage spécialement écrit pour laconférence des Nations unies sur l'environ¬

nement (voir détails page 33). Auteur denombreux autres ouvrages, dont « An UrbanPlanet » (1971), Barbara Ward est actuelle¬ment professeur titulaire de la chaire Albert-Schweitzer de développement économiqueinternational à la Columbia University, à NewYork. Le texte complet de l'étude repro¬duite ci-dessus sera bientôt publié à NewYork dans la série des communications faites

à Stockholm (« Distinguished Lecture Series »,1972) sous l'égide de l'International Instituteof Environmental Affairs et de PopulationInstitute.

Notre époque à nous, je le crois,marque, elle aussi, le début d'une autreère. Nous sommes d'une générationqui s'est servie du radiotélescope pourdécouvrir 100 milliards d'autres ga¬laxies que la nôtre, sur lesquelles bril¬lent 100 milliards d'autres soleils. Nous

sommes d'une génération qui a dotéla terre d'énergie nucléaire, grâce autravail de calculateurs qui imitent, ac¬célèrent et multiplient d'infinimentcomplexes opérations humaines ; d'unegénération qui nous a gratifiés de lacommunication instantanée tant visi¬

ble qu'audible, à l'échelle mondiale etinterplanétaire.

Enfin et surtout, nous sommes d'unegénération qui voit, par la prunelle desastronautes, le merveilleux lever de

notre planète, si belle et si petite surl'horizon désolé de la lune. Pour tout

dire, nous, de cette génération, se¬rions quelque peu tarés psychologi¬quement si ne s'ouvrait pas à nousune ère de recherches et de discus¬

sions incessantes, passionnées.

Tel est l'ordre de grandeur des mo¬difications qui nous touchent, qu'ilimplique nécessairement un nombretout aussi considérable de causes pri¬mordiales de chambardement. Il me

semble pour ma part que, dans troisdomaines précis, des notions nouvel¬les nous contraignent, bon gré, malgré, à abandonner certaines idées re¬çues, certains adages du passé.

Remarquons en premier lieu quenotre planète pourrait devenir inapteà la vie. Jusqu'ici, on pouvait y fairedes ravages, mais bien localisés. Ona mis les sols en culture à l'aveu¬

glette, sans avoir cure des conséquen¬ces de la deforestation, du surpâtu¬rage, de l'épuisement minéral. On s'estarrangé aussi pour vivre nonobstantles séismes, les ouragans, les froidsglaciaires. Mais nul n'a jamais penséque la planète en tant que telle pou¬vait être en danger.

Aujourd'hui, les spécialistes saventquelque chose de nouveau. Ils savent

que l'air, la terre et les eaux consti¬tuent un système dont tous les élé¬ments sont absolument dépendantsles uns des autres, une biosphèregénératrice de toute forme de vie.C'est celle-ci qui transmet toute éner¬gie, et bien que son pouvoir de survi¬vance soit étonnamment robuste, elleest tout entière composée d'un mé¬canisme extrêmement délicat et vulné¬

rable des feuilles, bactéries, planc¬ton, aux catalyses, niveaux d'absorp¬tion d'oxygène, balance thermiqueet seul ce mécanisme permet unetransmutation de la chaleur solaire, etl'apparition de la vie.

Nos spécialistes nous avertissentaussi de ce que nous ne savons pas.Etant donné notre nombre brusque¬ment et énormément accru, notre for¬midable augmentation d'emploi del'énergie, énergie nucléaire y compris,notre fabuleuse maîtrise de la chimie

moléculaire, nous faussons les équi¬libres et engrenages harmonieux dusystème en son entier, car nous utili¬sons des moyens et provoquons desconséquences dont trop souvent nousne savons pas évaluer la portée.

Prenons un exemple. Depuis destemps immémoriaux nous ne voyonspas de bornes à l'océan. Notre imagi¬nation ne peut concevoir que ces eauxinfinies puissent être altérées quelquejour. Mais nous n'avons aucune idéede leur capacité à absorber pratique¬ment tous les déchets de la planète.

Dans les deux ou trois dernières

décennies, pour nous en tenir là, unhaut pourcentage d'hydrocarbureschlorés dont la durée d'existence est

très longue, D.D.T. compris, sembles'être volatilisée dans les « égouts »naturels de la biosphère. Or, les ré¬cents prélèvements en révèlent dansles océans une dose considérable.

Les réservoirs naturels débordent-ils ? De nouveaux déversements ne

vont-ils pas porter des atteintes irré¬versibles aux espèces marines que

l'on sait sensibles à des substances

comme le D.D.T. ? L'éjection de plusen plus considérable de déchets chi¬miques ne va-t-elle pas aggraver lesrisques? Nous l'ignorons.

Les rivières et les lacs nous prou¬vent qu'il y a des limites aux facultésde régénération des eaux. En fin decompte, les océans ne sont qu'uneimmense citerne sans déversoir.

, L'image est peut-être plus congrue quecelle de « l'infini des flots voués à la

tâche sacrée de tout purifier, baignantautour de la terre les rivages deshommes ».

Et elle met l'accent sur l'urgencede recherches et de directives à

l'échelle mondiale afin d'assurer que,dans les quarante prochaines annéesoù persisteront l'accroissement démo-graphique, l'industrialisation, laconsommation et les transports inter¬continentaux, les océans ne soient pasirréversiblement menacés de dégrada¬tion complète.

Cette notion nouvelle de limites

jusqu'ici insoupçonnée est en rapportavec une totale révision de notions

antérieurement établies, dont pour mapart, les implications me semblentavoir entraîné en notre époque leseffets les plus révolutionnaires.

Depuis plus d'un siècle à présent,

et au cours de ces vingt-cinq dernièresannées en particulier nous avons, avecun grandissant enthousiasme, tenu lacroissance économique (mesurée à lasatisfaction de nos besoins matériels,les uns allant de soi, les autres nésde sollicitations diverses) pour le butmajeur de toute politique nationale,et pour un puissant désamorceur deconflit social.

Au sein de la nation, quand s'élè¬vent revenu et production, la masse derichesses devrait être assez considé¬

rable pour récompenser les efforts etles initiatives, et assurer plus large¬ment les besoins de la population dansson ensemble. Dans l'économie mon¬

diale, le commerce et les investisse¬ments internationaux devraient entraî¬

ner les populations en voie de déve¬loppement dans le sillage des paysdéjà développés. Il y a là une concep¬tion de réussite économique du genre« ralliez-vous à mon panache blanc »,selon laquelle au cours des cinquanteprochaines années le revenu par per¬sonne se sera élevé tout autour du

monde jusqu'à atteindre, dit-on, lamoyenne annuelle de l'Amérique d'au¬jourd'hui, soit 4 000 dollars; ou, pourdonner une estimation concrète, unmillion de calories et l'équivalent éner¬gétique de treize tonnes de charbon.En même temps les standards de dé¬veloppement atteindraient quelque

Photo © The Museum of Modem Art. New York

10 000 ou 15 000 dollars par personne,soit un revenu normalisant pour cha¬cun deux maisons, trois voitures, qua¬tre récepteurs de T.V.

Ce postulat implicite d'expansionindéfinie pêche, et de plus en plusgravement, en deux points. Mêmedans les pays les plus prospères,même avec tous les transferts de res¬

sources des plus riches aux plus pau¬vres des citoyens (fiscalité, bienfai¬sance, sécurité sociale), une « trans¬fusion » économique ne peut garantirla disparition de la pauvreté dans lasociété. Dans l'ensemble du monde où

ne se produit pas un transfert socialsystématique, les pays les plus richesdistancent largement les plus défavo¬risés. Même si 10 000 dollars par per¬sonne et par an semblent perspectivesraisonnables pour les sociétés déve¬loppées d'ici l'an 2000, 400 dollars parpersonne et par an semblent pour lesdeux tiers de l'humanité, le comble del'optimisme. Et pour un tiers peut-êtrela malnutrition, l'analphabétisme, letaudis urbain, le chômage c'est-à-dire le pire de tous les environne¬ments humains apparaîtraient vrai¬semblablement comme le seul destin

imaginable. a

Autre écueil : même si nous dispo- \jsons de ressources illimitées permet¬tant de développer, le développement,comme on l'a vu, est fort inégal. Mais

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POUR QUE TERRE DEMEURE (Suite)

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supposons qu'il y ait des « limites decroissance » au sens physique duterme. Supposons que les délicatsrouages, les délicats équilibres de labiosphère, dont dépend la vie, ne puis¬sent endosser 10 milliards de person¬nes qui toutes auraient pour but deproduire, consommer, souiller et pol¬luer dans la mesure des standards de

développement actuels ?

En ce point, il faut reconnaître quel'ampleur du débat est énorme. Quel¬ques spécialistes pensent pour leurpart que 20 milliards de personnespourraient atteindre aux standardsaméricains actuels, simplement grâceaux fournitures d'énergie nucléaire,d'eau et de minéraux produits encommun. D'autres spécialistes tiennentassurés, quant à eux, d'irréparablesdégâts par épuisement des ressour¬ces, pollution thermique, dégradationtotale de l'environnement si 10 mil¬

liards seulement de personnes dispo¬saient du niveau de vie des riches.

Le débat ne fait que s'ouvrir, maisune chose au moins est claire. Il y ades limites. La biosphère n'est pas uninfini. Les populations doivent se sta¬biliser, et de même, leurs revendica¬tions. Mais dans ce cas, quelles aspi¬rations ascendantes faut-il d'abord

contrôler? Etant donné que les res¬sources ont des bornes, on ne peutéluder cette question sociale fonda¬mentale. Où exiger restriction ? Quediminuer, le luxe des riches ou lesbesoins des pauvres ? Quelles sontles priorités ? Un environnement hu¬main décent pour l'espèce humainetout entière, ou la richesse pour quel¬ques-uns et l'abjection pour la plupartdes hommes ?

On ne peut glisser sur cette ques¬tion essentielle de l'environnement quesi la « transfusion » économique opèredans un contexte de ressources illi¬

mitées. Mais l'hypothèse s'avèrefausse. Aussi, nous sommes obligésd'affronter les problèmes fondamen¬taux de choix et de justice parce quenous appartenons et à des nations, età une seule planète.

Alors, il nous faut relever un autredéfi. Nos méthodes de raisonnement,notre manière de décider et d'agir par¬ticularisent des gouvernements natio¬naux. C'est aux nations que notre pla¬nète doit ses couleurs, sa variété, sestrésors de vie et d'expérience. Pourcelles qui ne sont devenues pleine¬ment elles-mêmes que dans ce der¬nier quart de siècle, ce qui est natio¬nal, signifie essentiellement leur au¬thenticité et leurs espoirs.

Ceci est hors de doute. Mais il est

non moins vrai que les conséquencesadditionnées d'actes distincts de gou¬vernements souverains peuvent, à lalongue, porter préjudice aux intérêtsfondamentaux de chaque nation.

Si l'on ne fait qu'abuser de l'air etdes océans avant qu'ils perdent leurfaculté de régénération, mieux vautn'aider personne à dire que c'est lafaute des autres. Le cas le plus fla¬grant tient évidemment au risque de

conflit nucléaire et de la pollution nu¬cléaire étendue à toute la planète. Ilfaut adhérer aux diverses conventions

intergouvemementales qui tendent àlimiter les essais atomiques à ciel ou¬vert, et à interdire l'utilisation des ar¬mes atomiques dans le lit des mers, lecosmos et l'Antarctique.

Il n'en reste pas moins que nouspouvons collectivement polluer la pla¬nète sans fracas, « à petit bruit », enaccumulant peu à peu d'énormes quan¬tités de poisons à peu près indestruc¬tibles, de pesticides, de détritus, deproduits chimiques, de déchets, desols érodés, et arriver presque parinadvertance à un désastre planétaireau ralenti, auquel nous aurons tousprêté la main.

Il n'est pas de nations qui puissentprévenir le danger alors qu'augmen¬tent la population et les activités. Uncontrôle ne peut être mené à bien quepar toutes les nations agissant deconcert, sinon il échouera. Ce quiamène à soulever par le biais la ques¬tion de justice, qu'aucune nation nepeut davantage résoudre par ses seulsmoyens.

Comment être sûr que le besoin decontrôler la pollution ne pousse pasà écarter les tragiques besoins de dé¬veloppement des deux tiers de l'hu¬manité ? Nous n'en savons pas grand-chose.

A coup sûr, il n'est pas certain queles techniques non polluantes soientplus coûteuses. Il est possible aussiqu'en optant carrément pour uncontrôle de la pollution, les pays envoie de développement puissent tireravantage de leur tardive mise envre, et éviter les erreurs des autres.

Il est également possible que lecontrôle des déchets et effluents aug¬mente considérablement les coûts et

charges au premier stade de la moder¬nisation.

R, les pays les plus pau¬vres peuvent-ils accepter ce surcroîtde charges du développement, oumême envisager leur propre moder¬nisation puisque les pays développésont déjà tant abusé des facultés derégénération spontanée de la bio¬sphère ?

Question à laquelle on ne peut ré¬pondre. Mais ce que l'on sait, c'estque les nations, agissant chacune pourson compte, ne sont pas en mesurede fournir une réponse valable àl'échelle planétaire. L'implacable pour¬suite d'intérêt national séparé, chezles riches comme chez les pauvres,peut, dans une biosphère totalementindissociable déclencher des catastro¬

phes et dégrader irréversiblement l'en¬vironnement, sur toute la surface duglobe.

Il me semble qu'il y a trois perspec¬tives décisives dans lesquelles laréalité que nous commençons à en¬trevoir échappe à nos raisonnementshabituels.

Nous tenons bien la Nature pour untout, et la biosphère entière, à sauve

garder, même si nous pouvons l'écor¬ner par-ci par-là. Nous avons apprisà nous convaincre et de plus en plusfortement au cours de ces dernières

dizaines d'années, que nous pourronsmoderniser toute notre économie et

implanter la plupart des postes de dis¬tribution en manipulant indéfinimenttoujours plus d'énergie, de techniqueset de ressources. Et nous avons apprisde notre millénaire histoire d'attendre

que les décisions finales soient prisespar des Etats souverains distincts.

Ce qui s'impose, c'est de s'arracherdésespérément aux idées reçues, c'estde faire un bond énorme, un bondcopernicien de l'imagination pour com¬mencer à voir qu'au niveau de l'abso¬lue réalité physique et scientifique,aucune de ces présuppositions éta¬blies n'est plus vraie désormais. Carnous pouvons bel et bien ravagertoute la biosphère ; car les ressourcesne sont pas illimitées ; car les Etatsen agissant chacun pour son compte,peuvent déclencher une catastropheplanétaire.

NlOUS connaissons tousassez d'histoire pour comprendre qu'iln'est pas sûr que cette révolution denos modes de pensée ait lieu à temps.Mais voici quelques raisons pour les¬quelles je sens qu'il est fondé degarder quelque espoir.

La première, c'est la signification dela Conférence de Stockholm. De parleur nature même, les problèmes del'environnement sont interdépendants,et reliés les uns aux autres. Pour dis¬

tinctes qu'elles soient, les entreprises,les ambitions et les politiques des unset des autres doivent s'avérer compa¬tibles avec la pérennité de la vie, denotre système planétaire, unique et ce¬pendant partagé. Tel est le messagede Stockholm.

Seconde raison : l'impératif scienti¬fique. On peut tricher avec la morale.On peut tricher avec la politique. Onpeut se leurrer de rêves et de mythes.Mais l'on ne peut jouer avec l'ADN,la photosynthèse, l'eutrophisme ou lafission nucléaire, pas plus qu'avec lesconséquences des radiations qu'ils'agisse du soleil ou de la bombe àhydrogène sur tout ce qui vit.

Et ce que l'incroyable pousséescientifique du dernier siècle nous aappris, c'est que l'énergie élémentairede l'univers entretient et détruit à lafois la vie, et que les mécanismes etles équilibres qui engendrent la viesont plus fragiles et plus précieux quenous ne l'avions pu croire.

Or les grandes doctrines éthiquesde l'humanité en Inde, en Chine,au Moyen-Orient, de la sagesse tem¬pérée de Confucius aux protestationspassionnées des prophètes de l'AncienTestament ont toutes cherché à

exprimer une vérité morale sous-ja-cente, qui veut que nous vivions dans

la modération, la pitié, la justice, etpérissions dans la violence, l'orgueil,l'avidité, la cupidité.

En avril 1968, trente personnalités appartenant à l'in¬dustrie, à la science, à l'économie, à la sociologie, aux sphè¬res gouvernementales, etc., se réunirent à Rome à i'Acca-demia dei Lincei, l'une des plus vieilles académies dessciences du monde, pour une discussion informelle sur lesproblèmes présents et futurs de l'humanité. Cette réunion,suscitée par Aurelio Peccei, économiste et industriel italien,et par Alexander King, Directeur général des affaires scien¬tifiques à l'Organisation de Coopération et de Développe¬ment Economique, donna naissance au « Club de Rome ».

Qualifié par M. Peccei de « collège invisible », le Clubse compose de 70 membres venant des horizons les plusdivers mais qui partagent une conviction commune : il esturgent de redresser la situation mondiale. Le Club veutacquérir et répandre une compréhension objective des pro¬blèmes humains, de l'état critique auquel ils sont parvenuset des perspectives Incertaines que cela implique. Il veut,aussi, proposer de nouveaux critères d'action en vue d'unesolution intelligente de ces problèmes.

Comme première étape, le Club chargea une équipe dechercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT),aux Etats-Unis, placée sous la direction du professeur Den-

HALTE

ALA

CROISSANCE ?

Interview du présidentdu Club de Rome

Aurelio Peccei

nis Meadows, d'étudier l'évolution prévisible de la situa¬tion mondiale et particulièrement les problèmes que soulè¬verait le passage délibéré d'une croissance mondiale auprofit d'un équilibre dynamique et global. Adoptant la tech¬nique des « dynamiques de systèmes », mise au point parle professeur Jay Forrester, Meadows et son équipe réali¬sèrent un modèle mathématique pour ordinateur recensantles forces complexes et entrecroisées qui agissent surl'homme et son environnement ; ils y introduisirent ausside nombreuses variables concernant la croissance. De là,ils firent des projections sur les chances pour l'homme desurvivre dans le futur. La conclusion ultime fut que toutesles projections basées sur la croissance aboutissaient à unecatastrophe.

Cette étude, la première d'une série commandée par leClub de Rome, fut publiée l'an dernier sous la forme d'unlivre, maintenant mondialement connu « Halte à lacroissance ? ». Ce livre a suscité d'innombrables controver¬

ses (voir, par exemple, pages 12 et 14). Dans une interviewrécemment accordée à l'Unesco, et dont nous publions ci-dessous des extraits, Aurelio Peccei, Président du Club deRome, commente quelques-unes des critiques qui ont étéadressées à ce « modèle du monde ».

QUESTION : Quelleestla méthode

que le Club deRome a suivie pours'atteler à une tâche

aussi considérable ?

Aurelio PECCEI : Nous avons choisi

cinq des phénomènes qui paraissentcritiques dans le monde actuel et quipeuvent, comme première approche,représenter la dynamique, la com¬plexité et les dangers Inhérents ausystème mondial. Le premier paramè¬tre c'est la population qui croit ; lesdeux suivants sont des phénomènesparallèles concernant l'économie hu¬maine : la production industrielle et laproduction agricole, c'est-à-dire lapossibilité de ravitailler cette popu

lation croissante. La quatrième varia¬ble, ce sont les pollutions, les conta¬minations que crée cette populationpar ses activités agricoles et Indus¬trielles. Le cinquième phénomène, c'estl'usage que l'on fait des ressourcesnaturelles sans beaucoup de prévisionsur le patrimoine de ce petit mondeoù nous vivons sur le capital, non surle revenu.

Q. : Vous avez inclus cinq va¬riables elles-mêmes très

complexes dans votre mo¬dèle, mais avez-vous prisen considération les va¬riables des variables etcomment?

A. P. : Ces cinq variables sont liées

entre elles et s'influencent réciproque¬ment. Après avoir essayé de voir tou¬tes les données qui peuvent fairecomprendre ces interférences récipro¬ques, on a construit plus de cent équa¬tions dont les différentes courbes re¬

présentent les influences réciproques.On a tout jeté dans un ordinateur avecun modèle préparé pour recevoir autantde variables que notre pensée ou notreconnaissance peut en circonscriredans le monde.

Q. : Que/les sont les conclu¬sions mondiales aux¬

quelles vous arrivez grâceà ce modèle ?

A. P. : Ce modèle a un caractère très

largement indicatif. Nous espérons

SUITE PAGE 12

11

HALTE A LA CROISSANCE 7 (Surte)

12

avoir, dans deux ou cinq ans, desconclusions bien meilleures. Mais les

conclusions qu'on peut actuellementtirer sont assez effrayantes. Si lestendances actuelles se prolongent, lacroissance exponentielle de la produc¬tion, de la consommation, de la pollu¬tion, de l'usage des matières premièresdans le monde, nous portera à unesituation absolument intenable : satu¬

ration humaine de la planète, appau¬vrissement de notre milieu, taux de

toxicité dans l'atmosphère et dans leseaux, etc.

Q. : Un courant optimiste sou¬tient que cette attitudealarmante est exagérée.

A. P. : Ce modèle est purement des¬

criptif d'une situation telle qu'elle estaujourd'hui et telle qu'elle peut se pro¬longer d'après les tendances actuel¬les. Ce n'est pas un modèle prescrip¬ts qui veut deviner l'avenir. Les opti¬

mistes disent que le chemin peut paraî¬tre dangereux, mais que l'ingéniositéhumaine, la science et la technique

donneront des possibilités pour résou¬dre maints des problèmes qui nouspréoccupent ; ceux-là, d'après moi, netiennent pas compte de deux faits defond. Le premier, c'est l'accélérationdes événements de l'histoire : nos Ins¬

titutions, notre mode de réaction ne

nous permettent pas d'arriver à temps.Les événements sont plus rapidesque nous-mêmes. Mais le second fait

est une observation bien plus fonda¬mentale ; des problèmes critiquesexistent dans le monde qui n'ont pasde solutions techniques : ce sont desproblèmes de réaction, d'adaptation,de valeurs. On doit en chercher les

solutions dans le tissu social, dans la

préparation culturelle. Aussi ne

devons-nous pas augmenter la techno¬logie du monde, mais peut-être cher¬cher son humanisation. Cela veut dire

que les solutions vont dans un toutautre sens.

Q. : On prétend que ce modèleest typiquement occiden¬talet n'estpas convenablepour le tiers monde, au¬cun paramètre sociolo¬gique et politique n'ayantété pris en considération.

A. P. : Ces critiques sont plus près dela vérité. En fait, ce sont les bases

politiques et sociales qu'il faudrait pou¬voir changer. Si on ne change pas lestendances actuelles, on va vers le

désastre. Or, nous ne possédons pasde modèles nouveaux du monde. Nous

voulons qu'on constate que, mainte¬nant, il y a quelque chose qu'il fautchanger dans le monde. Il faut direà nouveau que le modèle se borne à

décrire le monde tel qu'il est mainte¬nant avec toutes ses capacités et tous

ses problèmes. Par notre modèle nous

voulions voir ce que notre pauvrebonne terre pouvait donner dans sonensemble et réfléchir après, pourl'utiliser mieux et donc en éliminer les

différences et les tensions. Je ne pensepas que l'on puisse, aujourd'hui, voirle monde dans sa totalité et le voir,

aussi, dans ses particularités. Il n'y apas de techniques pour le faire. Lemodèle doit être amélioré dans le

cours des années à venir : pas seu¬lement cinq paramètres, mais dix de¬main, mais aussi d'autres instrumentscomme une révision des institutions,

etc., représentant les nécessités d'unesociété qui va en se mondialisant.

Dans une société qui sera assez

fragile et très compliquée, quand nousserons le double de ce que nous som¬

mes aujourd'hui, je pense que malheu¬reusement cette extension de nos

pouvoirs que sont les ordinateurs etles machines sera nécessaire si nous

voulons vivre. Mais si l'homme re¬

trouve une certaine humanité, si l'in¬

justice est réduite, si nous avons deshommes meilleurs que ce que nous

sommes, alors peut-être aurons-nousmoins besoin d'ordinateurs pour nous

conduire. En somme, une très grandeélévation éthique ou la termitière.Mais notre qualité d'homme, j'espère,

n'est pas d'être termite et de mangerou regarder le bien-être matérielcomme notre aspiration suprême.

©

L'auteur de ce dessin, le jeune artisteturc Ferruh Dogan (voir aussi p. 15),est lauréat de nombreux prix inter¬nationaux, notamment premier prixdu Festival mondial de l'humour, en

1972, à Knokke-Heist (Belgique).

I

PARTOUT

par

Gunnar Myrdal

Texte © copyright - Reproduction Interdite.

Rapport du Club de Ro¬me, publié sous le titre « Halte à laCroissance ? », aura sans doute un

effet bénéfique. En effet, grâce à cetteétude, le grand public entendra le crid'alarme des écologistes : il fautrenoncer à suivre la voie d'une crois¬

sance illimitée.

Le Rapport, toutefois, ne résisteguère à un examen sérieux et présentede graves lacunes au niveau mêmedes problèmes posés par les tendan¬ces actuelles et par les possibilitéset les moyens qui permettraient deles infléchir.

Tout d'abord, le Rapport adopte

telle quelle et sans autre forme deprocès la notion de Produit NationalBrut (PNB). De même, pour le reste,il entasse et échafaude pêle-mêle desdonnées de toute sorte, lesquelles

s'avèrent des plus imprécises, tant sur

le plan de la croissance économiqueque sur celui des divers facteurs quiy interviennent.

Les données relatives à la menace

de la pollution et de l'épuisement desressources ne sont pas moins douteu¬ses. Un exposé de cette teneur, mêmesous les espèces de la vulgarisation,se devrait de rappeler ces incerti¬tudes, compte tenu surtout de l'impor-

Photo © tirée deCuadernos del

Consejo nacional dela Universidad

peruana, dec. 1971,Lima, Pérou.

GUNNAR MYRDAL. l'un des noms Íesplus prestigieux de l'économie politiqueet de la sociologie, membre de l'Acadé¬mie Royale des Sciences de Suède,ancien Secrétaire exécutif de la Com¬

mission économique des Nations Uniespour l'Europe, est professeur à l'uni¬versité de Stockholm. Ses ouvragessur les problèmes du développementfont autorité dans le monde ( voir labibliographie page 33). Le texte ci-des-

à Stockholm et qui paraîtra dansla collection u Distinguished LectureSeries », sous l'égide de l'InternationalInstitute for Environmental Affairs et

de Population Institute.

A

tance que revêtent ces données dans

une « analyse de systèmes ». En d'au¬tres termes, les auteurs de l'ouvragesurestiment la valeur de leurs conclu¬

sions par rapport à la qualité desdonnées de départ.

Autre question, plus décisive en¬core concernant le Rapport du Club deRome : son « analyse mondiale dessystèmes » est-elle réaliste ? D'abord,

cette analyse ne prend pas en compteles Inégalités croissantes et les formi¬dables disparités qui existent au seind'un même pays et, plus encore, entredes pays différents. Là-dessus, le

Rapport déclare que « les inégalitésde distribution sont définies comme

des problèmes sociaux » et donc pla¬cées hors du cadre modèle mondial de

simulation. Ce modèle se borne à cal¬

culer les possibilités extrêmes de

notre planète, étant entendu qu'il y ait« action réfléchie sur les problèmesmondiaux ».

Un économiste qui s'attellerait à cesproblèmes précis aurait bien du mal

à trouver une signification intelligibleà ce principe d'absolue harmoniedans le monde. Il serait encore moins

capable de préconiser les moyens d'yatteindre. Dans une prétendue « ana¬lyse de systèmes », il n'est tout bon¬nement pas possible de se débarras

ser des « problèmes sociaux » endécidant qu'ils ne seront pas pris encompte. Car l'écosystème doit êtreétudié comme partie inhérente du sys¬tème social.

Plus précisément encore, le Rapportécarte des « interactions » du « mo¬

dèle mondial », attitudes, institutions,voire même processus de formationdes prix; dans le même temps, lefacteur politique n'est représenté quesous l'énoncé de résultats d'un cer¬

tain nombre d'alternatives politiques

abstraites. Ce système est donc loind'inclure suffisamment de données

pour avoir un sens.

BhE taux de natalité, parexemple, intervient à juste titre, dansce modèle, comme un facteur très im¬

portant. Or, il n'est à coup sûr pas seu¬lement fonction des autres facteurs

donnés dans le modèle, pas plus qu'iln'est fonction des seules relations ré¬

ciproques de ces facteurs. Nous sa¬

vons bien, pour avoir étudié le déve¬

loppement démographique dans plu¬sieurs régions du monde, que les va¬riations de ces divers autres facteurs

n'Interviennent même pas parmi les

éléments les plus déterminants du tauxde natalité. L'importance de ces varia¬tions n'apparaît pas dans les « interre¬lations » élémentaires établies par lemodèle, et pour cause : ces interrela¬tions sont imaginaires.

Cela étant dit, l'emploi d'équationsmathématiques et d'une énorme cal¬culatrice (qui enregistre les alternati¬ves possibles de politiques de pureabstraction, « simulées » par un « mo¬dèle mondial ») a de quoi en imposerau grand public mais n'a guère devaleur scientifique. Dire que « cettesorte de modèle est réellement un

nouvel outil pour l'homme » n'est mal¬heureusement pas vrai. Il ne s'agit làque d'un faux-semblant de connais¬

sance, auquel on n'a eu que tropaffaire, et pas seulement en matièred'économie, quand on a essayé detraiter les problèmes en seuls « ter¬mes d'économie ».

Pour en finir, disons que les conclu¬sions de l'analyse données par leRapport ne sont pas différentes etelles ne sont exactement pas plusconvaincantes de celles qui eussentété établies sans le secours de ce

merveilleux dispositif dans lequelAlfred Marshall voyait « «la conscienceprofondément candide et réfléchie deslimites de notre savoir ».

13

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Table ronde de jeunes scientifiques à l'Unesco

ENVIRONNEMENT

ET ENGAGEMENT

POLITIQUE

ANS le débat en cours

sur la crise de l'environnement, de

leunes scientifiques ont été, à maintesreprises, appelés à donner leur avis.Ces dernières années, l'Unesco a pris

part à plusieurs réunions internationa¬les groupant de jeunes spécialistesdes sciences exactes et naturelles et

des sciences sociales : à Enschede

(Pays-Bas), en juillet 1971, la réunionsur le thème : jeunes scientifiques et

société contemporaine, organisée parla Fédération mondiale des travailleurs

scientifiques ; à Hamilton (Canada), enaoût 1971, la Conférence internatio¬

nale de jeunes sur l'environnementhumain.

Plus récemment, à la veille de la

Conférence des Nations Unies sur

l'environnement qui s'est tenue àStockholm, en 1972, l'Unesco avait

demandé à un petit groupe de cesjeunes scientifiques venus de paysdéveloppés et du Tiers Monde d'étu

dier deux modèles récents de l'avenir

de la planète et d'examiner les solu¬tions qu'ils comportent. Ces deux mo¬dèles sont contenus, l'un dans l'étude

« Halte à la croissance ? » (voir

page 11) réalisée par le MassachusettsInstitute of Technology et le Club deRome, et l'autre dans le plan d'action

mondial des Nations Unies pour l'ap¬plication de la science et de la techni¬que au développement. En fait, lesjeunes scientifiques participant à cetteréunion organisée par l'Unesco ontporté presque toute leur attention surla première de ces études.

L'initiative prise par le Club de Romede faire cette étude a reçu un accueil

favorable. Toutefois, des doutes se

sont exprimés sur deux points tout à

fait différents : en premier lieu la mé¬thodologie employée ; ensuite, les as¬pects politiques du modèle, compte

tenu en particulier de I'« apolitisme »invoqué par ses auteurs.

Mais ce sont ces aspects politiquesqui ont, de loin, suscité le plus

de critiques de la part des jeunesscientifiques réunis à l'Unesco. Ils ont

été généralement d'avis qu'en raisondu choix de cinq paramètres de basepurement techniques, le modèle n'estpas conforme à la réalité.

Pourquoi a-t-on refusé de considé¬

rer la guerre, le commerce des armes,le colonialisme et l'impérialisme comme

des facteurs spécifiques qui peuventêtre et sont déjà à l'origine decrises? Pourquoi l'analyse ne tient-ellepas compte de l'inégalité de la répar¬tition des ressources aussi bien entre

les nations qu'à l'intérieur des frontiè¬res ? Les participants se sont très lar¬

gement accordés à penser que toutesles hypothèses reposent sur le main¬tien du statu quo dans le monde : c'est

un modèle qui ne fait aucune place auconflit, dans un monde déchiré.

De plus, le modèle a été considéré

Ce commentaire satirique sur lapollution, produit de notre société deconsommation, a été dessiné spécia¬lement pour le « Courrier de l'Unesco »par le jeune caricaturiste français Mau¬rice Mas (voir aussi pages 16 et 23).

Dessins © Mas, Paris

- Maxh

comme ayant des effets dangereux.C'est, affirma quelqu'un au cours dudébat, une « recette pour la stagna¬

tion » qui aura, et qui a déjà eu, pourconséquence d'obscurcir beaucoupplus les idées que cette approche par¬cellaire des politiciens que le Club deRome avait cherché à éviter.

L'une des hypothèses fondamentalessur lesquelles repose le modèle duClub de Rome est que l'explosion dé¬mographique mondiale est la causepremière des crises sociales futuresprévues par le modèle. Les jeunesscientifiques en revanche sont tombés

d'accord que la croissance de la popu¬lation n'est ni la seule ni même la prin¬cipale cause de la crise de l'environ¬

nement, qui est attribuable à d'autresfacteurs : croissance économique ;

type de technologie mise en auvre,notamment dans les pays développés ;nature des systèmes politiques et éco¬nomiques en vigueur: importance dela consommation dans le monde déve¬

loppé, etc. Un taux élevé de croissancedémographique serait le symptôme, etnon la cause, du sous-développementqui est dû en fait à l'exploitation poli¬tique des pays en voie de développe¬ment par les pays développés.

Presque tous ont reconnu que lesproblèmes du développement, de laplanification familiale, des rapports en¬tre les pays riches et les pays pau¬vres et les problèmes de l'environne¬

ment ne peuvent être considérés sépa¬rément. Il existe une interdépendancede ces phénomènes qui signifie que la« crise de l'environnement » comme

l'appellent les pays industrialisés, esten réalité une crise multiple ou unesérie de crises convergentes. Les jeu¬nes scientifiques des pays du TiersMonde, en particulier, ont fait obser¬ver qu'on a toujours constaté l'exis¬tence d'un déséquilibre planétaire audétriment des pays pauvres engros, ceux de l'hémisphère sud.

Les problèmes de l'environnementet du développement ont été abordés

principalement du point de vue politi

que et accessoirement, ou pas dutout, du point de vue scientifique. Cesjeunes scientifiques manifestaientainsi leur conviction que la valeur dela science ne devrait se mesurer qu'à

son engagement éthique et que sonrôle, à leur avis, ne peut être discutéque dans un contexte politique.

Il est important, à leurs yeux, que lepublic reprenne confiance en la scien¬ce, et qu'il lui soit possible de parta¬ger étroitement les idées scientifiques.

La suprématie de la technologie atoutefois été dénoncée comme dange¬reuse. Dans beaucoup de cas, a-t-onestimé, il vaut mieux perfectionner desprocédés traditionnels que d'importerdes innovations technologiques. Il fautse garder à la fois d'adorer sans dis¬crimination le progrès technologique etde professer un attachement aveugleà la tradition.

Les jeunes scientifiques ont esquisséles grandes lignes d'un important pro¬gramme de recherches qui, pour la pre¬mière fois, étudierait l'application dé¬centralisée des technologies de main-d'Buvre traditionnelles. Ce programmeutiliserait au maximum les ressources

et la main-d'Buvre locales et viserait

à transformer l'individu moyen enscientifique plutôt qu'à faire du scienti¬fique un humanitariste.

Il existe un grand besoin de techno¬logies nouvelles qui ne soient pas nui¬sibles à l'environnement, tant dans les

pays en voie de développement quedans les pays développés.

En dernière analyse l'accord s'estfait sur un certain nombre de pointsfondamentaux : la science ne saurait

en aucune façon remplacer le débatpolitique ; l'homme ne doit pas êtreconsidéré comme un simple objet destatistiques ; l'obsession de la quan¬tité doit faire place au souci de laqualité ; les analyses à l'échelon mon¬dial doivent faire place à des solutionsrégionales et locales où l'homme re¬

trouverait sa vraie place au sein de

la nature et du monde technologiquequ'il s'est lui-même créé.

©

Dessin dû au caricaturiste

turc Ferruh Dogan.

parCarlo Munns

Méditerranée

ALERTE

AU PÉTROLELU contact des champs

pétrolifères qui comptent parmi lesplus riches du monde, la Méditerranéeest devenue le lieu d'un intense trafic

pétrolier. Les prévisions statistiquesaccordent à ce flux pétrolier un déve¬loppement vertigineux dans les annéesà venir. En 1975, sur un trafic total de1 650 millions de tonnes de pétrolebrut transportées par mer dans lemonde, plus d'un tiers sera débarquéou transitera dans des ports de laMéditerranée.

La réouverture du canal de Suez ou

les oléoducs de la région, transbor¬dant le brut de la mer Rouge en Médi¬terranée, permettront à une partie dutrafic actuellement dévié par le capde Bonne-Espérance de se faire ànouveau par la Méditerranée.

Quand on parle de pollution de lamer par les hydrocarbures, on pensed'abord aux accidents. Ceux-ci pré¬sentent évidemment ' des aspectspréoccupants, mais ¡I faut soulignerqu'ils n'entrent que pour une partseulement dans la pollution de la mer,une importance bien plus grande reve¬nant au trafic pétrolier lui-même, ainsiqu'aux opérations de chargement etde déchargement du pétrole. Il s'agitlà d'un type de pollution diffus, bienmoins apparent que les accidents, maisbien plus insidieux.

D'autre part, les pétroliers déchar¬gent aux ports d'arrivée moins de99 pour cent, en poids, du brut embar¬qué. Le reste, soit un pour cent, est,ou bien perdu par evaporation, ou biense sedimente et se dépose sur lesparois et au fond des citernes. Cessubstances dégagent des gaz qui,mêlés à l'air des citernes, pourraientformer un mélange explosif. Ainsis'explique la nécessité de laver lesciternes avec de l'eau de mer.

Si, après avoir déchargé le pétrole,le navire repart immédiatement pourun nouveau chargement, le lavage desciternes coïncide avec la nécessité de

16

CARLO MUNNS,spéc;a//ste Italien des pro¬blèmes juridiques et techniques touchant àla protection de l'environnement, collaboreau Comité parlementaire pour l'étude duproblème des eaux en Italie. Il participe àla rédaction du premier « Rapport annuelsur l'état de l'environnement en Italie »,sous les auspices du ministère de la Recher¬che scientifique et technologique. Il a éga¬lement collaboré à des recherches pour laFAO et l'ONU à Rome.

les remplir d'une quantité d'eau de lestqui varie de 40 à 60 pour cent de lacontenance totale. Cette eau forme

une emulsion avec les résidus du

pétrole et doit être évacuée pour faireplace à une nouvelle cargaison depétrole. C'est ainsi que de grandesquantités de résidus pétroliers abou¬tissent à la mer.

Selon les compagnies pétrolières, ils'agirait de 0,4 à 0,5 pour cent dutotal de la cargaison transportée. C'estlà une des principales causes de pol¬lution.

Les pays exportateurs de pétrolen'autorisent pas les vidanges d'eauxde lavage et de lest devant leurs côtesou dans leurs ports et, de plus, ilsexercent un contrôle sur la qualité del'eau vidangée. Aussi, les pétrolierseffectuent-ils leurs vidanges pendantle trajet, rejetant l'eau polluée en hautemer.

Moins nocif pour l'environnementque les substances radio-actives, plas¬tiques, etc., le pétrole pose pourtantun problème alarmant par l'énormequantité transportée et par la concen¬tration de ce trafic en Méditerranée.

Il est évident que l'environnementnaturel de cette région est menacé pard'autres facteurs : augmentation crois¬sante des populations et des activitésindustrielles le long de ces côtes,développement du tourisme, de laconsommation et des déchets qui,d'une manière ou d'une autre, finissenttous à la mer, etc. Mais le problèmede la pollution par le pétrole revêt uneurgence telle qu'il l'emporte en prioritésur tous les autres problèmes.

On évalue à 300 000 tonnes en 1970

la quantité des résidus déversés enMéditerranée. En 1975, les résiduspourraient facilement atteindre 500 000tonnes et 650 000 en 1980.

Mais la Méditerranée est une mer

peu profonde (3 500 m dans sa partiecentrale) où les courants n'existentpas d'une manière suffisante pourfavoriser le brassage et donc l'oxygé¬nation de l'eau. De plus, la tempéra¬ture des eaux profondes y est presqueconstante par suite de l'action protec¬trice du détroit de Gibraltar où les

courants ne dépassent pas la vitessede 2 à 3 n

Le temps de régénération des mas-

Dessin © Mas, Paris

ses d'eau dans les 150 premiers mè¬tres en Méditerranée est donc extrê¬

mement long : près de quatre-vingtsans. Cela entraine de graves domma¬ges qui affectent l'environnementmaritime :

le pétrole rejeté dans la merempêche l'oxygénation des eaux etconsomme à son tour de l'oxygène,l'utilisant pour sa propre dégradation ;

la pollution entrave la photosyn¬thèse, processus qui est à la base dudéveloppement du phytoplancton ;

par le poisson qu'il consomme,l'homme est directement menacé parcette pollution.

Selon les statistiques du Conseilgénéral des pêches pour la Méditerra¬née, de l'Organisation des NationsUnies pour l'Alimentation et l'Agricul¬ture (FAO), on y pêche chaque annéeprès d'un million de tonnes métriquesde poissons. La demande en protéinesde la population augmentant rapide¬ment, on enregistre, toujours selon laFAO, la diminution d'espèces déter¬minées.

Préoccupées par l'aggravation de lapollution, les autorités nationales sontintervenues par des mesures tendantà interdire la vidange d'eaux de lavageet de lest dans leurs limites territoria¬

les : ces mesures ont automatiquementpollué la haute mer, ce qui, dans unbassin clos comme la Méditerranée,a produit la pollution des eaux côtiè¬res. La solution du problème passedonc obligatoirement par une concer¬tation internationale.

U'NE convention internatio¬

nale pour la prévention de la pollutiondes eaux de la mer par les hydrocar¬bures a été signée à Londres (1954).Elle établit pour tous les pétroliersl'interdiction de vidanger à moins de50 milles des côtes des mélangescontenant plus de 100 milligrammesd'huile par litre. Amendée en 1962, dansle cadre de l'IMCO (Organisation in¬tergouvernementale consultative de lanavigation maritime), la convention por¬tait interdiction absolue de décharge¬ment pour les navires d'un tonnagesupérieur à 20 000 tonnes; en outre,les zones de protection furent portéesde 50 à 100 milles des côtes.

Il restait ainsi, en Méditerranée,deux zones, l'une entre la Sicile et la

Libye, l'autre au sud de l'île de Rho¬des, où les décharges ne sont sou¬mises à aucune limitation. En fait,l'absence de toute surveillance équi¬vaut à une extension incontrôlée des

zones de décharge.

Une alternative aux normes établies

par la Convention de l'IMCO en 1962fut proposée par les armateurs et lescompagnies pétrolières. Elle consistaiten un nouveau système de lavage desciternes, connu sous le nom de

« Load on Top » : processus de sépa¬ration entre l'eau de mer et les résidus

pétroliers. Pour que cette séparation,par l'effet de la seule gravité, puisses'accomplir, un temps minimum de40 heures est nécessaire, et à condi

tion que la mer soit calme. Malheureu¬sement, la brièveté des voyages entreles ports d'expédition et les pays uti¬lisateurs d'Europe méridionale est telleque les pétroliers qui empruntent cesvoies ne peuvent utiliser ce systèmeet sont les plus grands responsablesde la pollution des eaux et des côtes.

D'autres techniques ont été propo¬sées, mais dans les conditions actuel¬les, elles s'avèrent inapplicables à laflotte existante.

Dès 1954, l'IMCO avait préconisé,notamment en Méditerranée, de cons¬

truire dans tous les ports de charge¬ment du pétrole, des installations spé¬cialisées dans le traitement des eaux

de lest et de lavage. Mais devantl'ampleur des investissements néces¬saires, les gouvernements des paysproducteurs et les compagnies pétro¬lières ont, à de rares exceptions près,

« Pacem in Maribus », organisationnon gouvernementale, groupant scien¬tifiques, juristes et hommes politiquesdu monde entier, tous intéressés auxproblèmes de la mer.

Les contacts bilatéraux et multilaté¬

raux ne manquent donc pas. Desdélégations de parlementaires despays du bassin septentrional, dontl'Italie, la France, la Yougoslavie et laprincipauté de Monaco, ont discuté àplusieurs reprises de la situation enAdriatique et en mer Tyrrhénienne,zones où la pollution est particulière¬ment grave.

Ces contacts directs correspondentaux recommandations de la Confé¬rence des Nations Unies sur l'envi¬

ronnement humain. Pour éliminer toute

source volontaire de pollution de lamer en 1975, cette conférence a, en

Hé I La civilisation

est plus prochequ'on ne croyait.Voici du pétrole !

Dessin de Carl Rose © The New Yorker Magazine Inc.. New York

négligé cette recommandation. Uneétude récente évalue à plus de 80 mil¬lions de dollars le coût de telles ins¬

tallations, le coût d'utilisation étant de

l'ordre de 0,7 dollar par tonne depétrole transporté.

Les effets de ces installations se

feraient sentir dans un délai de trois

à quatre ans. Une solution s'imposed'urgence ; aussi, nombre d'organis¬mes internationaux de recherche se

sont penchés sur le problème propre¬ment méditerranéen de la pollution.

Le Conseil général des pêches pourla Méditerranée (FAO) a créé un« Groupe de travail sur la pollutionmarine en relation avec la protectiondes ressources vivantes ». Travaillant

en étroite collaboration avec la Com¬

mission Océanographique Intergouver¬nementale de l'Unesco et avec la

Commission Internationale pour l'Ex¬ploration Scientifique de la mer Médi¬terranée, ce groupe a dressé le bilanactuel de la pollution en Méditerranée.

Une proposition de convention entretous les pays riverains de cette mera été élaborée au cours d'une série de

rencontres, à Malte, sous l'égide de

effet, préconisé l'établissement d'ac¬cords régionaux. Mais un accord entretous les pays riverains n'aura qu'unevaleur toute relative tant que n'yauront pas également adhéré lesautres pays dont les navires sillonnentla Méditerranée. Il importe donc quele problème soit, en outre, résolu pardes modifications à la Convention de

Londres (1969), modifications dont lestextes seront vraisemblablement signéscette année.

L'Italie et la France ont donc pro¬posé d'insérer dans la convention de1973, un chapitre relatif à la Médi¬terranée et à d'autres régions auxcaractéristiques spéciales ; ces clau¬ses définissent les mesures de pré¬vention et rendent obligatoire lerecours à des installations spécialespour épurer les eaux de vidange despétroliers.

La construction de telles installa¬

tions dans tous les ports de charge¬ment constitue donc la solution prati- .i »yque immédiate, car la Méditerranée ne 1 /peut attendre plus longtemps d'hypo¬thétiques innovations technologiques.

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Ugo Mochi au travail. Sur son chevalet de verre, il pose unefeuille de papier noir, puis sur une fine feuille de papier blanc,il dessine les contours de son modèle. Ensuite, il les découpeau cutter (fin couteau coupant comme un rasoir).

*\Le rhinocéros blanc à deux cornes. Autrefois commune dans le

sud de l'Afrique, l'espèce ne compte plus que 200 représentantsdans deux réserves du Natal.

Merveilles sous-marines : poissons, coquil¬lages et coraux.

LE GRAND

BESTIAIRE

DE UGO MOCHI

Né à Florence (Italie), vivant aux États-Unis depuis 1928, Ugo Mochi a consacrésa vie à exprimer son amour de la nature,sa conception plastique de l'animal quivit librement dans son milieu d'origineoù il importe de le maintenir. Ugo Mochirestitue les formes anima/es en papierdécoupé, combinant la sensibilité artis¬tique et la précision zoologique. Dèsl'âge de six ans ef // en a aujourd'huiquatre-vingt-trois il a commencé sonbestiaire subtilement détouré dans une

matière fragile et d'un seul tenant. Toutela faune sauvage y défile. Certaines des

les plus remarquables de UgoMochi (qui incluent la représentationd'espèces en voie de disparition) ont parudans un ouvrage auquel a collaboré T.D.Carter, de ¡'American Museum of Natural

History (« Hoofed Mammals of theWorld », Scribners éditeur. New York,1953). Diverses collections publiques etprivées, dans nombre de pays, possèdentses uuvres. Citons, entre autres, The

Royal collection, Windsor Castle, Angle¬terre, le Museum d'Histoire naturelle

de Berlin. The Metropolitan Museum ofArt et The American Museum of Natu¬

ral History, à New York. Certainestuvres d'Ugo Mochi évoquent aussil'histoire des transports et des por¬traits de musiciens.

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Un oiseau-lyre d'Australie, à la magnifique queue en éventail,et sa compagne.

'« Il me semble tout à fait absurde, dit Josué de Castro,de préconiser l'arrêt du développement économique dansles pays du Tiers Monde alors que les peuples de cesrégions considèrent le développement économique commeleur dernier espoir de sortir de l'état de misère qui lesécrase I »

POLLUTION N 1

SOUS-DÉVELOPPEMENTpar Josué de Castro

OUROUOI les pays dits« sous-développés » doivent-ils êtreintéressés par les problèmes de l'envi¬ronnement ? Au premier abord, cesproblèmes sont beaucoup plus graveset complexes dans les pays bien déve¬loppés dans lesquels l'industrialisa¬tion et l'urbanisation gigantesque pro¬voquent directement un inévitable dé¬séquilibre et une dégradation accen¬tuée du milieu naturel, c'est-à-dire del'environnement. Les problèmes de lapopulation semblent ainsi intéresserpresque exclusivement les pays hau¬tement industrialisés et très peu lespays pauvres, fournisseurs de matiè¬res premières.

C'est là une fausse analyse due àl'imprécision de certains concepts debase, surtout des concepts courantsd'environnement et de développement.

L'environnement n'est pas seule¬ment l'ensemble des éléments maté¬

riels qui composent les mosaïquesdes paysages géographiques, agissantde manière continuelle les uns sur les

autres. L'environnement est bien plusque cela. Il englobe les formes destructures économiques et de structu¬res de pensée des groupes humains

20

JOSUE DE CASTRO, ancien ambassadeur duBrésil à l'O.N.U. (Genève) et ancien prési¬dent du Conseil de la F.A.O., a écrit de nom¬breux ouvrages dont « Géopolitique de lafaim », Pans, J95Î, traduit en vingt-quatrelangues (voir aussi bibliographie, page 33).Président de l'Association mondiale de lutte

contre la faim et professeur associé de géo¬graphie à l'université de Paris VIII, il estaussi président du Centre international pourle Développement. Il a participé au forum surl'envirornement, à Stockholm, parallèlementà la conférence de l'O.N.U. sur l'environne¬

ment, où il a fait un exposé sur « La pro¬blématique du développement et de l'envi¬ronnement du Tiers Monde ».

qui habitent les différents espaces géo¬graphiques.

L'environnement intégral comprenddonc des facteurs d'ordre physiqueou matériel, et des facteurs d'ordreéconomique et culturel.

Dans une analyse correcte de l'envi¬ronnement, on doit toujours considé¬rer l'impact total de l'homme et de saculture sur tous les autres éléments

environnants et l'impact des facteursmésologiques sur la vie intégrale dugroupe humain. Dans cette optique,l'environnement englobe des aspectsbiologiques, physiologiques, économi¬ques et culturels, tous liés dans lamême trame de la dynamique écolo¬gique en permanente transformation.

Ce concept est bien plus vaste etplus objectif que celui de l'environne¬ment considéré comme un simplesystème de relations mutuelles entreêtres vivants et milieu naturel.

Aussi faux est le concept de déve¬loppement uniquement chiffré parla croissance économique. Le dévelop¬pement implique aussi des change¬ments sociaux, successifs et profondsque doivent accompagner les trans¬formations technologiques du milieunaturel.

Le concept du développement n'estpas seulement un concept quantitatifmesurable en dollars, c'est aussi unconcept qui comprend les aspects qua¬litatifs des groupes humains concer¬nés, leur qualité de vie. Croître est unechose, se développer en est une autre.Croître est, de façon générale, unechose facile. Développer de manièreéquilibrée est une chose difficile, sidifficile qu'aucun pays du monde n'yest encore parvenu. Dans cette opti¬que, le monde reste dans sa totalitéplus ou moins sous-développé.

Pourtant, il est de mode aujourd'huide parler des effets nuisibles de lacroissance économique sur les com¬posants du milieu naturel. Mais on

parle des effets qui ne sont pas lesplus menaçants pour l'avenir de l'hu¬manité. Les cris d'alarme se font

entendre surtout pour condamnerla croissance de la population, la pol¬lution de l'air, des eaux, et la dégrada¬tion du patrimoine animal et végétaldes régions les plus développées dumonde. Cette prise de position révèleune vision limitative d'un p/oblème quine concerne que les effets directs del'expansion économique, laissant dansl'ombre l'insidieuse action du dévelop¬pement sur tous les groupes humains :action Indirecte qui est plus détermi¬nante que l'action directe.

La première erreur grave et la pre¬mière conclusion fausse qui se déga¬gent de cette vision partielle du pro¬blème est l'affirmation très répandueque c'est dans les régions les plusriches qu'ont surgi les premiers effetsde la pollution et de la dégradation dumilieu naturel, provoquées par la crois¬sance économique. La réalité estautre : les premiers et les plus graveseffets du développement se sont mani¬festés précisément dans les régionsaujourd'hui économiquement sous-dé-veloppées et qui politiquement étaientjusqu'à hier des colonies. Le sous-dé¬veloppement de ces régions a été lepremier produit du développement dé¬séquilibré du monde. Le sous-dévelop¬pement représente un type de pollutionet de dégradation humaine, localiséesdans certaines régions abusivementexploitées par les grandes puissancesindustrielles du monde.

Le sous-développement n'est pascomme beaucoup de gens le pensentde manière erronée, l'insuffisance ou

SUITE PAGE 22

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POLLUTION N" 1 (Suite)

Seuils de nuisance à ne pas franchir

22

l'absence de développement. Le sous-développement est un produit ou unsous-produit du développement. Pro¬duit inévitable de l'exploitation écono¬mique coloniale, encore en vigueurdans plusieurs régions du monde.

Il y a bien des gens pour affirmeravec conviction que la problématiquede l'environnement qui intéresse lespays sous-développés doit être totale¬ment différente de celle des paysriches et industrialisés. Dans les ré¬

gions sous-développées, disent-ils,on ne se préoccupe pas de la qualitéde la vie mais simplement de la pos¬sibilité de survivre : la lutte contre la

faim, contre les maladies de masse etcontre l'ignorance généralisée.

Or, ce ne sont là que les symptômesd'une grave maladie sociale : le sous-développement, produit direct du dé¬veloppement. Les pays sous-dévelop¬pés qui luttent pour survivre doivents'intéresser aux problèmes du déve¬loppement et de l'environnement àl'échelle mondiale, pour se défendredes agressions que leur environne¬ment subit depuis des siècles de lapart des métropoles colonialistes,destructrices de leur condition hu¬

maine.

'l c'est seulement depuisces dernières années que l'on parleavec insistance de pollution et de dé¬gradation provoquées par la crois¬sance économique, c'est parce que lacivilisation occidentale, avec son ré¬pertoire scientifique et ethnocentrique,a toujours refusé de voir une évi¬dence : la faim et la misère de cer¬

taines régions éloignées font partiedu coût social du progrès. C'est ceque l'humanité paie pour que le déve¬loppement économique progresse dansle petit nombre des régions de domi¬nation économique et politique dumonde.

Le fait d'avoir escamoté cette véri¬

té a provoqué l'implantation à uneéchelle planétaire d'une stratégie delutte contre le sous-développementirrémédiablement vouée à l'échec :

l'échec de la décennie de développe¬ment de 1960 à 1970. Echec qui serépétera toujours tant que durerontles structures économiques du monde,appuyées sur les faux soutiens de sonédifice social : l'économie de guerre,l'économie du profit maximum et dela politique d'écrasement économiquedu Tiers Monde.

Dans leur lutte pour l'émancipationet la survie, les pays sous-développésdevront à tout prix obtenir une dimi¬nution sensible de l'impact économiquenégatif que l'économie de marché aprovoqué sur leurs systèmes d'écono¬mie de dépendance. Ces pays aurontà lutter contre l'action indirecte des

grands pôles de concentration du ca¬pital qui maintiennent le sous-dévelop¬pement de la périphérie économiquedu monde par tous les moyens y com¬pris par le refus de stabiliser le coûtdes matières premières.

Pour qu'il soit bien clair que le sous-développement est un produit du déve¬loppement dans la civilisation de con¬sommation, il suffit de vérifier qu'avantl'explosion capitaliste et industrielle dede notre siècle, ¡I n'existait pas despays développés et des pays sous-développés, séparés les uns des au¬tres par un large fossé économique.C'est seulement après la 2" révolu¬tion industrielle que sont apparues cesdisparités extrêmes des rythmes decroissance et des niveaux économi¬

ques de deux groupes de pays.

Prenons un exemple concret : celuidu revenu moyen par tête d'habitantde deux pays bien représentatifs dechacun des deux groupes les Etats-Unis et l'Inde. Avant la première Guer¬re mondiale, le revenu moyen partête d'habitant en Inde était 8 fois

inférieur à celui des Etats-Unis et avant

la seconde Guerre mondiale, il était

15 fois inférieur. Aujourd'hui le revenude l'Indien est 50 fois inférieur à celui

d'un habitant des Etats-Unis.

La dégradation de l'économie despays sous-développés doit être con¬sidérée comme une pollution de l'envi¬ronnement humain provoquée par lesabus des zones de domination dans

l'économie mondiale. La faim, la mi¬sère, la fréquence des maladies evita¬bles avec un minimum d'hygiène, lacourte durée moyenne de la vie : toutcela est un produit de l'action des¬tructrice de l'exploitation du mondedans le modèle de l'économie de domi¬

nation. La faim en Inde, au Pérou,à Saint-Domingue, au nord-est du Bré¬sil, si elle apparaît comme manifesta¬tion locale des zones sous-dévelop¬pées, n'en exprime pas moins desformes paradoxales de maladies decivilisation. La faim est un produitindirect de la croissance économiquedéséquilibrée, comme, ailleurs, lesmaladies cardio-vasculaires et de

dégénérescence.

Au fond, ces deux groupes de mala¬dies, de civilisation et de carence,

sont produites par le même despo¬tisme de la frénétique civilisation duprofit. Les unes produites directementsur place, les autres produites indirec¬tement à distance.

Une stratégie qui visualisait la réa¬lité sociale du Tiers Monde en la sépa¬rant du monde dans sa totalité a été

fatale à l'amélioration des conditions

de l'environnement. En vérité, toute

la biosphère représente un seul éco¬système composé de multiples sous-systèmes.

Cet écosystème possède une

énorme plasticité structurelle par lejeu des mécanismes de compensationutilisés pour équilibrer les impactsnégatifs de l'action humaine.

Cette plasticité constitue un impor¬tant atout pour l'homme lui permettantde transformer la biosphère et d'enutiliser les éléments ; mais on ne peutpas outrepasser certaines limitesfixées par les lois des équilibres natu¬rels seuils de nuisance sous

peine de provoquer de graves rup¬tures, quelquefois fatales pour lesécosystèmes. Les déséquilibres extrê¬mes auxquels a été conduit le TiersMonde menacent, par le jeu des inter¬relations écologiques, toute la bio¬sphère et donc toute l'espèce humaine.

La faim du Tiers Monde pourra, unjour, provoquer la peste dans le mondetout entier, et la révolte des affaméspeut le conduire à une guerre mon¬diale, si on considère ces deux pro¬blèmes comme les formes d'un désé¬

quilibre dynamique de l'environnementsocio-économique du monde.

Mais il ne suffit pas de considérerl'action indirecte du développementsur l'environnement des pays du TiersMonde action plus économique etculturelle que purement physique ounaturelle.

Il y a lieu également de nous Inquié¬ter de la menace de l'action directe :

gaspillage inconsidéré des ressourcesnaturelles non renouvelables et rup¬tures biologiques des sous-systèmesécologiques.

» Tiers Monde se trouve

devant la menace permanente de voirs'installer sur place des types de dé¬veloppement technologique qui, neprenant pas en considération la dimen¬sion écologique, peuvent provoquerune désagrégation totale de la struc¬ture écologique. Si nous considéronsla fragilité relative de certains éco¬systèmes équatoriaux et tropicaux, oùse trouve groupée la plus grande par¬tie du Tiers Monde, ce danger se pré¬sente de manière encore plus grave.

Personne ne peut ignorer la grandefragilité des sols de ces régions faceà l'érosion provoquée par l'exploita¬tion abusive de leur couverture végé¬tale. Personne ne peut ignorer que lesfleuves tropicaux sont modérés dansleurs excès par certains types dedigues végétales qui orientent jusqu'àun certain point leur cours. La destruc¬tion de cette végétation provoque inon¬dations et stagnations des eaux sui¬vies de graves conséquences : depuisla perte des cultures jusqu'à la dissé¬mination endémique de certaines mala¬dies transmises par l'intermédiaire desinsectes qui prolifèrent dans les eauxstagnantes.

Dessins © Mas, Paris

La constatation que le progrès tech¬nologique et la croissance économiquedétruisent actuellement l'environne¬

ment du Tiers Monde suffit-elle à jus¬tifier ce que préconisent certains : unarrêt de croissance dans ces régions ?Je ne le crois pas. Il me semble tout àfait absurde de préconiser l'arrêt dudéveloppement économique dans lespays du Tiers Monde alors que lespeuples de ces régions considèrent ledéveloppement économique commeleur dernier -espoir de sortir de l'étatde misère qui les écrase I Je ne croispas que ceux qu'on appelle « lesobjecteurs du développement » aientraison de préconiser un arrêt quandce qui s'impose est en fait un chan¬gement, ou plutôt une reconversion dutype de développement.

La technologie n'est ni bonne nimauvaise. C'est son utilisation qui luidonne un sens éthique. Si, dans lespays du Tiers Monde, la technologie atravaillé contre les peuples sous-déve¬loppés, c'est qu'elle a été utilisée avecun seul souci : celui de la maximali¬

sation des avantages et du profit.C'est donc l'exploitation néo-colonia¬liste qui a conduit ces pays à l'état dedésespoir dans lequel ils se trouventaujourd'hui, aggravés encore par lanouvelle menace que représente cetteconsigne d'arrêter le peu de progrèsqu'ils ont obtenu au cours de cesdernières décennies.

On parle beaucoup du rapport réa¬lisé, sous l'inspiration du Club deRome par l'Institut de Technologie duMassachusetts, le M.I.T., sur la basede travaux d'ordinateurs. Ce rapportétablit les limites de croissance préco¬nisées face aux méfaits de la civilisa¬

tion technologique et industrielle,soit un arrêt de croissance de la popu¬lation et de l'économie du monde. Or,

si en apparence ce rapport a raison

car nous sommes tous inquiets de lapollution et de la dégradation de l'en¬vironnement il ne peut être acceptéd'emblée car ses conclusions ont été

faussées par une méthodologie peuscientifique.

Ce rapport considère que le modèlede développement qu'il présente, avecle portrait du monde dans un siècle,est l'unique valable qui puisse êtrebâti à partir des données actuelles dela réalité mondiale. Cet exclusivisme,

très caractéristique de la culture eth-nocentriste des pays bien développés,démontre bien le caractère peu scien¬tifique du rapport.

Nous savons tous qu'on ne, peutprévoir un seul type de modèle dufutur. Tous ceux qui étudient lascience du futur, la prospective, saventbien qu'on ne peut envisager un futurunique, déterminé par les différentesconditions qui régnent au moment del'étude. Tout ce qu'on peut faire, c'estimaginer une série de futurs probablesen fonction du principe de la probabi¬lité qui a substitué, il y a déjà un cer¬tain temps, l'ancien principe du déter¬minisme régnant avant la théorie dela relativité. Donc, on peut très bienconcevoir plusieurs modèles du mondede demain.

On peut prévoir, avec un grand ris¬que d'erreurs, quelles seront les pro¬babilités pour ces différents modèlesd'aboutir dans le futur à une réalité.

On ne peut absolument pas limiter nosprévisions scientifiques à un seulmodèle. 0uar»d on fait des projectionslinéaires, comme cela a été fait pourle rapport sur les limites de crois¬sance, on réalise seulement des

démarches naïves qui ne prennent pasen considération les ruptures de struc¬tures, une des règles du processushistorique de notre temps. Nous vivonsune époque de discontinuité et non decontinuité. L'erreur la plus grave durapport du M.I.T. est d'omettre, parmiles facteurs qui déterminent la crois¬sance, le problème des structures éco¬nomiques, sociales et politiques.

Dans l'introduction du rapport, lesauteurs considèrent uniquement cinqfacteurs de développement : popula

tion, production agricole, ressourcesnaturelles, production Industrielle etpollution. Pas un mot sur le problèmedes structures socio-économiques. Etpourtant tout le monde sait que leniveau de production et le niveau depollution, c'est-à-dire le développe¬ment et l'environnement, dépendentessentiellement des types de struc¬tures en jeu.

En omettant l'homme et sa culture,

le projet se trouve aliéné car il netient pas compte des réalités du mondeactuel et, par conséquent, du modèledu monde de demain.

Si le Tiers Monde, dans sa majorité,rejette les conclusions de ce rapport,c'est que le Tiers Monde se méfie decette prescription de l'arrêt de crois¬sance qui risque de toucher unique¬ment les régions pauvres du monde ;car on sait bien que les grands paysriches n'obéiront pas à cette consigne.Et le fossé entre les deux mondes ne

fera que s'agrandir.

Si cela est vrai, tout le paternalismecharitable du Club de Rome envers leTiers Monde se transformera en un

piège. On ne va pas aider les pays duTiers Monde avec ce type de prescrip¬tion, on va au contraire les enchaînerdéfinitivement dans le sous-dévelop¬pement et la misère.

Ces pays doivent donc réagir etchercher à trouver un type de déve¬loppement indépendant du développe¬ment néo-colonial, obtenu par l'appli¬cation de techniques créées sur place,seules techniques valables pour lesdévelopper de manière rationnelle. Anotre avis, il est indiscutable que letype de développement actuel est unéchec mais on peut arriver à déve¬lopper le monde avec des structuressocio-économiques et des instrumentsde production différents de ceux quisont utilisés à l'heure atuelle.

Il faut tout d'abord reconvertir l'éco¬

nomie de guerre dans laquelle nousvivons en une économie de paix et uti¬liser l'énorme épargne résultant dudésarmement partiel pour obtenir untype de développement pacifique pluségalitaire et non polluant. '

23

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Entagé, protégé, traité, voici l'un des arbres que l'on s'efforce defaire pousser à Chuquicamata (Chili), ville industrielle née de l'exploi¬tation de l'une des plus riches mines de cuivre du monde. Faire pousserdes arbres dans une région industrielle et dans des sols naturellementarides est une entreprise particulièrement délicate.

par Miguel A.Ozorio de Almeida

LE MYTHE

DE L'ÉQUILIBREÉCOLOGIQUE

Q

EUT - ETRE la meilleure

manière d'examiner la question del'environnement, et sous l'angle leplus correct, suppose-t-elle une inter¬rogation préalable : selon quel critèrepeut-on tenir l'environnement pourhygiénique, convenable, agréable, voiremême désirable ?

Si la réponse était donnée par unanaconda (à supposer que l'anacondasoit susceptible de jugements devaleur), le meilleur des mondes possi¬bles serait sans conteste en forme de

vaste sylve marécageuse ; un droma¬daire, pour sa part, y verrait uneimmensité désertique. Et l'homme,donc ? On peut parier qu'il n'y vou¬drait ni tout désert, ni tout marécage.

Un certain malentendu se glissesournoisement dans toute discussion

touchant à la protection et restaura¬tion de l'environnement, et jusque dansdes cercles relativement à la page,lorsqu'on nous dit, précisément, qu'ilfaut respecter ou protéger « l'équili¬bre » de l'environnement ou * l'équi¬libre » écologique.

En fait, le problème à résoudre n'estpas de réaliser un « équilibre écologi¬que », mais, tout à l'inverse, de trou¬ver les modes les plus efficaces d'un« déséquilibre écologique durable ».Le problème n'est pas d'exterminerillico l'espèce humaine, au nom del'équilibre écologique, mais bien decontinuer à exercer notre art d'ex¬

ploiter les ressources naturelles, et leplus longemps possible.

A cet égard, le malentendu fonda¬mental et la bagarre qui s'ensuit

MIGUEL A. OZORIO DE ALMEIDA, ambassa¬deur du Brésil, a dirigé la délégation brési¬lienne à la Conférence des Nations Uniessur l'Environnement à Stockholm en 1972.

Depuis 1948, il participe à de nombreux tra¬vaux des Nations Unies, notamment à diver¬ses sessions du Conseil économique et social.Il a été également délégué du Brésil à laConférence générale de l'Unesco (1952).

peur l'équilibre écologique aentraîné une foule de conclusions

aberrantes, tacites ou avouées. Onprône ¡ci la réduction de l'espècehumaine, là, on préconise la diminu¬tion de la consommation quand cen'est pas les deux à la fois. Ce qu'ily a de plus curieux dans ces conclu¬sions, c'est que ceux qui concluenttendent généralement à administrerleurs remèdes (« ne vous multipliezpas et consommez moins ») à unecommunauté qui n'est pas la leur.

Or, à quelques broutilles près, lesgrands pollueurs sont les pays hau¬tement industrialisés. Des déchets

nucléaires radioactifs (produits etrépandus à presque cent pour centpar quelques pays hautement dévelop¬pés), jusqu'au dernier des autresgraves polluants répertoriés, l'im¬monde évacuation découle de la

moderne technologie des pays déve¬loppés, de leur haut niveau industriel,tout comme de leur production pri¬maire, notamment de leur agriculturemenée à coups d'hyper-fertilisants, desuper-herbicides et autres produitschimiques. Dans cette sorte de pollu¬tion, la part des pays sous-dévelop¬pés est, en termes absolus, fortminime, et, en termes relatifs, pourainsi dire nulle.

On peut même avancer que si toutepollution engendrée par les paysdéveloppés disparaissait de la pla¬nète, il n'y aurait plus du tout de pol¬lution de portée mondiale ; réciproque¬ment, si toute pollution directementimputable à la sphère d'action despays sous-développés disparaissait dumonde aujourd'hui même, les périlsliés à la pollution demeureraient à peuprès tout aussi nombreux.

Seule exception donc à envisager :la pollution due à l'existence des per¬sonnes à très faibles revenus ; êtrenombreux et être misérables, voilà quiblesse la vue et la sensibilité de cer¬

tains. Si bien qu'à cet égard on pré

conise le plus souvent, non de coo¬pérer pour élever le revenu, mais decoopérer pour diminuer la population.On va même jusqu'à assurer catégori¬quement que moins il y aura de gens,plus s'élèvera le revenu par tête ».C'est oublier qu'il y a une relationfonctionnelle entre population etcapacité d'accroissement économique,et que si dans certaines régions dumonde, notamment en Asie, le nombred'être humains est devenu pléthorique(probablement à cause de la politiquecolonialiste du siècle dernier), ladensité de peuplement dans l'ensemblede l'Afrique et de l'Amérique latinedemeure très inférieure au niveau

qu'exige un développement écono¬mique efficace.

La menace de pollution offre unsujet où l'extrapolation pseudo-scien¬tifique fait florès.

Car nous sommes menacés du

dégel des calottes glaciaires, etconséquemment de l'élévation duniveau de la mer, donc de submer¬sion radicale dans certaines métro¬

poles et capitales du monde entier.

Nous sommes menacés d'épuise¬ment des réserves d'oxygène, à causede la consommation abusive, tant

nord-américaine qu'européenne, dece précieux gaz, et juste alors queles égouts qui vont à la mer sont entrain de nécroser les algues douéesde la faculté d'oxygéner les eaux ; etle bruit court que l'occupation et l'ex¬ploitation brésiliennes des forêts del'Amazonie anéantiraient l'aptitude syl¬vestre à régénérer cet oxygène vic¬time de la boulimie américaine.

Nous sommes menacés de cancer :

tout ce qui risque d'irriter les tissushumains depuis les activités amou¬reuses jusqu'à l'intrusion de composésorganiques et inorganiques de tous nppoils, tout peut donner le cancer. /¡I

Nous sommes menacés de famine.

Nous sommes menacés d'emphysème.Nous sommes menacés d'empoison-

L'ÉQUILIBRE ÉCOLOGIQUE (Suite)

26

nement. Nous sommes menacés de

surpopulation tant et si bien que nousne saurons plus où nous caser surcette pauvre planète, ce « vaisseauspatial » déjà sabordé.

Ces prédictions apocalyptiquesappellent une question pertinente :ces menaces sont-elles tout à fait

certaines et dans combien de tempsseront-elles bien réelles ? Une réponsea été fournie en 1972 par le secréta¬riat de la Conférence de Stockholm.

Sur un inventaire récapitulatif de ceque l'on tient pour les vingt et un pol¬luants les plus graves, l'état actuel denos connaissances (relatives à deseffets autres quà la toxicité constatéeexpérimentalement sur des mammi¬fères de laboratoire) a été noté commevague, pour tous ces polluants, àl'exception d'un seul.

Le propos même de la plupart deces tragiques prédictions permet deriposter. Prenons, par exemple, leseffets de l'accumulation de gaz car¬bonique et du dégel des calottes gla¬ciaires.

Première observation : aucun Indice

de probabilité n'est attaché à cetteassertion, ce qui en diminue la valeurscientifique. Notre planète a déjàsubi de grandes variations thermiques,bien longtemps avant que l'industrieet la technologie viennent en altérerl'écologie. Chaque période de « ré¬chauffement » a engendré une ten¬dance Inverse au « refroidissement ».

De plus, il importe de noter que l'ac¬cumulation du gaz carbonique conju¬guée à d'autres émanations, notam¬ment atomiques, tend à diminuer lesradiations solaires atteignant la terreet, par conséquent, à refroidir la sur¬face terrestre.

Voyons maintenant les délais. Sices prophéties doivent se réaliserdans les dix prochaines années, ilfaut agir tout de suite. Dans cent ans ?Alors nous avons le temps d'élargirnos connaissances, quitte à faire quel¬ques gaffes. Dans mille ans ? Alors lamenace devrait être écartée puisquenous savons déjà qu'il est vain d'es¬pérer brûler des combustibles fossilessi longtemps encore. Dans cent milleans ? Dans un million d'années ?

Alors n'en parlons plus.

La vérité, c'est que nous n'ensavons pas encore assez pour décideret agir. Ainsi l'écologie qui s'en tientnécessairement à un vaste équilibred'ensemble dans la recherche de l'éco¬

système n'est pas une science ache¬vée, il s'en faut, tant du plan de laméthodologie que du classement sys¬tématique. Les vieilles approximationsscientifiques ne collent pas, et lesnouvelles approximations écologiquesn'offrent pas toutes les garanties.

On en est donc réduit au probabi-lisme ; pour ce qui est des menacesaujourd'hui brandies, quelques-unessont sans fondement, et quelquesautres probablement véritables, maisil est bien difficile de départager lesunes et les autres. Les choses étant

ce qu'elles sont, que faire ?

Bataille du DDT

(Suite)

Un groupe international de

spécialistes en pesticides réunis

à Rome, fin novembre 1972, re¬

commande de poursuivre l'utili¬

sation du DDT dans l'agriculture.

« Les avantages positifs que

l'on retire de l'usage correct du

DDT sont parfois plus importants

que les risques encourus », ont

déclaré ces spécialistes, experts

de l'Organisation des Nations

Unies pour l'alimentation et

l'agriculture (FAO) et de l'Orga¬nisation mondiale de la santé

(OMS). A défaut de ce pesticide,

ont-ils souligné, les ravages

exercés par les parasites sur

nos ressources alimentaires

prendraient des proportions dé¬

sastreuses dans les pays en

voie de développement. (Voiraussi « Courrier de l'Unesco »

juin 1971, juillet 1971, février

1972, mai 1972). Ces experts ont

en outre présenté des argumentsen faveur de l'utilisation des fon¬

gicides à base de mercure, leurs

risques étant mineurs ; ils re¬

commandent néanmoins de pour¬

suivre les recherches pour met¬

tre au point des fongicides de

remplacement, aussi efficaces

mais tout à fait inoffensifs.

D'abord reconnaître les cas de pol¬lution d'ampleur mondiale ; ensuite,évaluer le degré d'urgence d'une Indis¬pensable Intervention. Il est parfaite¬ment évident que dans l'état de nosconnaissances, pour l'heure insuffi¬santes, nous sommes empêchés d'agirénergiquement dans nombre dedomaines. Une Intervention pourraitmême aggraver une situation au lieude l'améliorer ce qui s'avéra àLos Angeles dont on voulut épurer leciel obscurci de polluants. En s'effor-çant de diminuer la quantité d'oxydede carbone expulsée par les moteursde voiture, on provoqua l'apparitiond'émanations tout aussi nuisibles,telles que des oxydes d'azote haute¬ment toxiques.

De même, l'interdiction du DDT etautres insecticides à base de chlore

pourrait provoquer une recrudescencede la malaria et une réduction sen¬

sible des récoltes dans les réglonstropicales.

En second lieu, il faut chercher àaméliorer vraiment la situation, autantque possible en s'attaquant aux plus

graves postes de pollution, et celadans les régions où l'environnement aété le plus sévèrement malmené. Parune heureuse coïncidence, pour ainsidire, on va découvrir les plus sérieusessources de pollution dans les régionshautement développées, où de trèsvastes ressources économiques ettechnologiques permettent une actionorganisée face aux problèmes de l'en¬vironnement.

Troisièmement, il importe d'instaurerun type de recherche précis danstoutes les régions où l'on soupçonneque le danger guette, recherche quiassurera à l'avenir un tremplin pourintervenir efficacement.

Il faut examiner avec le plus grandsoin le bien-fondé d'une toute autre

catégorie de problèmes liés à la pollu¬tion qu'entraîne la misère et le sous-développement.

Dans les campagnes, la pollutiontient surtout au manque d'installationssanitaires et à la contamination de

l'eau et des denrées alimentaires. Là,les polluants les plus redoutables sontdes micro-organismes qui vont se dis¬séminant, faute d'égouts convenables.

Dans les villes, les mêmes problè¬mes existent, et, additionnellement,quelques autres, eux-mêmes indisso¬ciables de la densité beaucoup tropforte d'un peuplement urbain à reve¬nus beaucoup trop bas. L'ordure de lamisère, tel est l'un des plus hideuxaspects dont se puisse doter l'environ¬nement.

Autre caractéristique à noter : aucontraire de ce qui se passe généra¬lement dans les pays développés, cettepollution particulière a tendance àdiminuer avec le développement éco¬nomique. En fait, il est impossible derectifier le processus de cette pollu-tlon-là, faute de fonds nécessairespour en venir à bout, étant donné lefaible niveau des revenus individuels.

Aussi bien est-il parfaitement vain dedébattre ces problèmes, tant rurauxqu'urbains, hors du cadre de dévelop¬pement économique.

La pollution n'est certes pas, d'ail¬leurs, la seule cause de détériorationde l'environnement qui soit liée à lapauvreté. Les problèmes de conserva¬tion des sols cultivables, comme de

diverses variétés de dégradationurbaine, procèdent essentiellement,eux aussi, d'une incapacité économi¬que qui interdit toute correction.

Dans les régions rurales des paysen vole de développement, le tableaud'ensemble est déterminé par lemanque de capitaux qu'on les tra¬duise en termes d'équipement ou entermes d'investissements visant à

améliorer (ou tout simplement main¬tenir) l'état des sols cultivables.

En milieu urbain, la dégradation del'environnement est en généralconnexe à l'insuffisance d'emploi ren¬table dans l'industrie. C'est là une

conséquence de l'importation de tech¬niques mal adaptées, qui ne corres¬pondent pas aux aptitudes profession-

SUITE PAGE 28

Dix grands polluants

GAZ

CARBONIQUE

Resuite de combustions de produits carbones divers (énergie, industrie et chauffage).

L'accumulation de ce gaz pourrait élever dangereusement la température de la

surface terrestre, et entraîner des catastrophes écologiques et géochimiques.

2 OXYDE

DE CARBONE

Combustion incomplète de matériaux fossiles comme pétrole et charbon (métallurgie,raffineries de pétrole, moteurs à combustion). Ce gaz très nocif affecterait l'équilibrethermique de la stratosphère.

GAZ

SULFUREUX

Émanations de centrales d'énergie, d'usines, de voitures et du fuel domestique quisont souvent chargées d'acide sulfurique. L'air pollué aggrave les affections respira¬

toires, attaque les arbres et autres végétaux, les pierres calcaires de construction, et

certains textiles synthétiques.

4 OXYDESD'AZOTE

Proviennent des moteurs à combustion (aviation, fours incinérateurs), de l'usageexcessif de certains fertilisants, des incendies de forêts, et de procédés industriels.Cause de brouillards, ils peuvent être responsables des affections respiratoires etdes bronchites du nouveau-né.

PHOSPHATESSe trouvent dans les eaux usées et proviennent surtout des détergents, écoulements

agricoles (champs surfertilisés) et déchets de l'élevage intensif. Facteur principal

de la dégradation des eaux de lacs et de rivières.

6 MERCURE

Résulte de l'utilisation de combustibles fossiles, de l'industrie du chlore-alcali, del'appareillage électrique, de l'industrie des colorants, des mines et raffineries et de

l'industrie de la pâte -à papier. Le mercure est un poison alimentaire qui contaminenotamment poissons et crustacés; son accumulation affecte le système nerveux.

PLOMB

Principale source : additifs antidétonnants de l'essence, industrie de la fonte, industrie

chimique et pesticides. Poison s'accumulant dans l'organisme, il affecte les enzymes

et détériore le métabolisme cellulaire; s'emmagasine dans les sédiments marins etles eaux douces.

8 PÉTROLE

Relève de l'évacuation de déchets par les pétroliers, des accidents de la navigation,des raffineries et de l'extraction pétrolière en mer. Effets écologiques désastreux :

pollution des plages, comme empoisonnement du plancton, des poissons, mammifèreset oiseaux marins.

DDT

ET AUTRES

PESTICIDES

Très toxiques pour les crustacés à très faible concentration. Utilisés surtout enagriculture. Déversés dans les eaux ces produits tuent les poissons, empoisonnentleur nourriture et contaminent les aliments absorbés par l'homme. Plusieurs sontcancérigènes; ils risquent de réduire le nombre des insectes utiles, suscitant ainsil'apparition de nouvelles maladies végétales et de dégénérescences.

0 RADIATIONS

Essentiellement dues à l'utilisation de l'énergie nucléaire, à la production et aux essaisd'armes, à la propulsion nucléaire nautique. Importantes utilisations dans la recherche

et les applications médicales, mais au-dessus d'une certaine dose, peuvent pro¬voquer des modifications pernicieuses et mutations génétiques.

¿es symboles reproduits ci-dessus sont extraits de " Symbol Sourcebook; an Authoritative Guide to International Graphie Symbols "par Henry Dreyiuss. New York 1972 (McGraw-Hill Book Company). La table des matières est publiée en 18 langues et l'ouvrageest divisé en sections : symboles de base, disciplines, couleurs, formes graphiques. Un index analytique en rend la consultation aisée.

L'ÉQUILIBRE ÉCOLOGIQUE (Suite)

Il ne faut pas tricher avec nos chances

28

nelles dans les pays sous-dévelop¬pés : la main-d'vuvre, abondante etbon marché, ne peut être pleinementmise en valeur dans le cadre des

techniques internationales.

Tant et si bien que tout ce qu'on apu proposer pour pallier la dégra¬dation urbaine dans les pays sous-développés esquive toujours le fonddu problème, lequel est technique etéconomique. On se braque sur leseffets en ignorant les causes et l'onne parvient qu'à gaspiller des res¬sources précieuses pour le dévelop¬pement. L'attaque du problème resteainsi inefficace.

On en est venu à supposer implici¬tement que, étant donné l'actuelleampleur de l'explosion démographique,étant donné aussi les schémas actuels

d'épuisement des ressources natu¬relles et la pollution dont sont respon¬sables les pays développés, le mondene peut offrir aux pays pauvres undéveloppement économique calqué surcelui des pays riches.

Si les trois quarts de l'humanité (ceque représentent les pays pauvres) semettaient à dilapider les ressourcesnaturelles dans les mêmes proportionsque, par exemple, les Etats-Unis oules pays d'Europe occidentale, il n'yaurait plus assez d'oxygène ni assezde métaux pour l'industrie, mais il yaurait en revanche tant de gaz carbo¬nique, de gaz sulfureux et de bioxyded'azote que l'espèce humaine s'ache¬minerait vers l'extinction.

En vertu de ce type de raisonne¬ment, on a proposé trois mesures debase. Premièrement, et ceci en clair :un contrôle de l'accroissement démo¬

graphique dans les pays sous-déve¬loppés ; deuxièmement, ceci sous-entendu : un plafond de développe¬ment pour les pays pauvres ; troisiè¬mement : la réduction des pollutionsmajeures dans les pays développés.De toute évidence, il manque à celapour faire bon poids une quatrièmemesure : les pays surpeuplés devraientréduire leur propre effectif démogra¬phique et, s'il le faut, leur capacitéindustrielle, si bien qu'ils auraientmoins recours aux ressources natu¬

relles des pays sous-développés.Il va sans dire que les pays en voie

de développement ne peuvent admettredes niveaux limites établis par déci¬sion internationale, pas plus en ce quiconcerne la population qu'en matièrede progression économique. De telleslimitations sont d'autant plus inaccep¬tables lorsqu'elles impliquent que lesniveaux de population et de dévelop¬pement des pays développés sonttenus pour normaux, donc hors dediscussion, et ne sauraient être modi¬fiés ni aménagés. On peut tenir cettenotion de plafond pour ce qu'on veut,mais certes pas pour un impératifscientifique, puisque l'on manque dedonnées réelles sur la capacité ter¬restre d'entretien de la vie humaine.

A la Conférence de Stockholm, cer¬

tains projets soumis témoignaient decette tournure d'esprit bien particu¬lière, selon laquelle les pays dévelop¬pés auraient acquis, du fait même deleur développement, un droit exclusifau salut et à la pérennité, quitte à sedécharger sur les pays sous-dévelop¬pés, plus nombreux qu'eux, de la res¬ponsabilité de ménager l'espace librenécessaire sur notre planète. Attituded'autant plus pernicieuse qu'elle estdéguisée et qu'on ne peut lui faireouvertement procès.

Il est aussi erroné qu'inadmissible des'en prendre à l'expansion démogra¬phique en tant que telle sans faire étatdu rapport qui existe entre populationet ressources nationales, espace géo¬graphique y compris. Des pays où ladensité de population dépasse 100,200, voire 300 personnes au kilomètrecarré sont exclus du propos, alors qued'autres pays où la densité de popu¬lation n'atteint pas 20 habitants aukilomètre carré se voient reprocher unepolitique démographique susceptibled'améliorer chez eux l'efficacité éco¬

nomique, et de créer les conditionsnécessaires à l'accomplissement deleur unité nationale en tant que com¬munauté humaine.

»MaA réflexion sur l'environ¬

nement, dans la perspective de laConférence de Stockholm, relèveessentiellement de la certitude d'un

droit des peuples, de tous les peuples,au partage des ressources naturelles.Et il ne s'agit pas ¡ci de ces patri¬moines communs que sont, par exem¬ple, les eaux de haute mer ou lesgrands fonds océaniques, mais biende minéraux, d'animaux, de sols etautres richesses incluses dans des

frontières nationales. Mirifique certi¬tude, mais qui serait mieux venuedans le cadre institutionnel d'un gou¬vernement mondial dont on ne sau¬

rait dissumuler que nous sommesencore fort loin.

L'action des Nations Unies se situe

dans le cadre d'un monde cloisonné,où les Etats nationaux disposent, entoute souveraineté, des richesses exis¬tant à l'intérieur de leurs ' frontières.

C'est un fait, et jusqu'à nouvel ordre,à ne pas perdre de vue quand on traitede la question des ressources natu¬relles ou autres.

S'il en allait autrement, les res¬sources encore inexploitées dans lespays sous-développés lesquellesconstituent très souvent pour ceux-cile seul tremplin du développementpourrralent bien être confiées à uneadministration mondiale et mises à la

disposition des gloutonnes industrieet consommation des pays hautementdéveloppés. Du même coup, le monderiche, bien à l'abri dans ses frontières

nationales, eût été en mesure de gar¬der la même puissance économique,

sa même productivité industrielle, sonmême contrôle financier sur la com¬munauté internationale.

On devrait comprendre qu'il fautsoit un cadre universel pour tous sec¬teurs, soit un cadre national pour toussecteurs. Car si les ressources natu¬

relles sont conjointement partagéespar tous les peuples, il faut que soitaussi partagés la puissance économi¬que, la productivité industrielle et lecontrôle financier. Mais comme les

pays développés tiennent ce dernierpartage pour inconcevable, les paysen voie de développement devraientêtre fondés à se montrer égalementréfractaires au partage des ressources.

Au point où nous sommes, il seraitjudicieux de :

prévoir une recherche approfondiedes zones alarmantes de l'environne¬

ment proprement dit ;

mobiliser tous les pays pour qu'ilss'opposent, par un effort national etinternational, au gaspillage fâcheux derichesses irrécupérables ;

propager mieux, et à grandeéchelle, la connaissance de l'environ¬nement.

A un niveau plus particulier, ¡I fau¬drait que les grands pollueurs de cemonde s'engagent à s'attaquer auxsources mêmes de la pollution ou deneutraliser partout ses effets. Il fau¬drait qu'ils s'engagent à prendre toutesmesures nécessaires à l'accélération

du développement des pays sous-développés, pour réduire la dégrada¬tion de l'environnement qu'entraîne lamisère. Ils devraient encore aider à

créer des richesses supplémentairesafin de restaurer l'environnement au

cours du processus de développement.

Par ailleurs, il faudrait s'efforcerd'empêcher qu'une partie des chargesd'aménagement de l'environnementdans les pays développés soit impo¬sée aux populations sous-développéespar le biais d'astuces commerciales,financières ou technologiques.

Voici l'heure historique où la scienceet la technologie modernes peuventdonner pleine mesure à la fois de leursavoir et de leur virtuel pouvoir. Pourla première fois, peut-être, notreépoque est sur le point de tenir sespromesses et d'assurer à l'humanitétout entière une vie riche et pleine.

Et ce que je tiens surtout à ajouter,c'est que maintenant plus que jamais,nous ne pouvons nous permettre detricher avec nos chances, et de nouslaisser aller à une panique injustifiée,provoquée par de misérables consi¬dérations à courte vue. Gardons-nous

de trouver à des craintes sans fonde¬

ment des apaisements lugubresdisette générale, réduction du peuple¬ment, torture masochiste des généra¬tions présentes et futures sous pré¬texte d'économiser des richesses dont

nous ne sommes pas près de voirla fin. M

Photo Georg Gerster© Rapho, Paris

ÉNERGIE SOLAIRE. Le laboratoire de Mont-Louis (Pyrénées françaises) est depuis près de 20 ansl'un des centres de recherche les plus considérables pour les applications industrielles de l'énergiesolaire. Il possède, entre autres, un four solaire utilisé pour étudier la résistance thermique des maté¬riaux et des métaux (voir le « Courrier de l'Unesco », sept. 1958). Aujourd'hui, la première « usine »solaire fonctionne à quelque 10 kilomètres de là, à Odeillo-Font-Romeu. Ici, quelques-uns des 63 miroirsmobiles du four; ils réfléchissent les rayons du soleil sur un miroir concave (non représenté) aussihaut qu'un immeuble de 9 étages ; ce miroir concentre alors les rayons dans le foyer lui-même. « En augLmentant l'enveloppe verte de la Terre, écrit Timoféev-Ressovski, on pourrait accroître de 2 à 3 foisla productivité biologique de la Terre. »

LA BIOSPHÈREdix fois plus riche qu'on ne croit

par NikolaiTimoféev-Ressovski

NIKOLAI TIMOFEEV-RESSOVSKI, grand bio¬logiste et généticien soviétique, a publié diximportants ouvrages et plus de trois centsarticles sur la zoologie, la biophysique, laradioblologie, la génétique et l'ornithologie.Lauréat de nombreuses distinctions scienti¬

fiques, sa renommée est internationale commemembre de plusieurs associations scientifi¬ques, tant à l'étranger qu'en U.R.S.S.

'EPUIS une vingtaine d'an¬nées, le problème de la croissancedémographique revient en force aucentre de l'actualité. Certains écono¬

mistes estiment que même avec unebonne organisation des infrastructures,notre planète n'est en mesure de nour¬rir (en fonction des possibilités of¬fertes par les sciences et les techni¬ques contemporaines) qu'un maximumde 8 à 12 milliards de personnes.

Il s'ensuivrait donc que d'ici à unecentaine d'années, près de la moitiéde la population de la terre manqueranon seulement de produits alimentai¬res, mais aussi des matières biologi¬ques qui sont à la base de fabrications

chimiques dont le rôle est capital dansla vie moderne.

Voici plus d'un demi-siècle, le grandnaturaliste russe V. I. Vernadski dé¬

clarait que les activités industrielleset techniques de l'homme modernemarquent si puissamment la face dela Terre, qu'on peut parler de « nou¬veau facteur géologique ». De fait, larapide croissance de la populations'accompagne désormais d'un essornon moins accéléré en volume et en

puissance des activités techniques etindustrielles de l'humanité.

A ce train, il n'est pas exclu quela vie sur la planète et l'équilibre dela biosphère finissent par se dérégler,

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LA BIOSPHÈRE (Suite)

Un chemin à trois branches

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cela entraînerait inévitablement des

conséquences catastrophiques, allantjusqu'à compromettre l'existence mêmede l'homme.

En première approximation, le pro¬blème de l'équilibre entre une huma¬nité prolifique et des forces producti¬ves naturelles, limitées se pose doncen des termes peu encourageants. Etl'on en vient à penser qu'en effet, dansune centaine d'années, une bonnemoitié de la population terrestresera « excédentaire » : elle n'aura pasde quoi se nourrir, ni peut-être de quoirespirer, l'eau manquera aussi bienpour les besoins domestiques que pourceux de l'industrie.

La conclusion s'impose : au nombredes grands problèmes scientifiques ettechniques que notre époque ne cessed'accumuler, celui de l'équilibre entrela biosphère et l'homme peut êtreconsidéré comme le problème numéroun, celui dont la solution généralerequiert la mobilisation de toutes lesdisciplines scientifiques y compris lesmathématiques.

OYONS maintenant la

même question sous un angle diffé¬rent, c'est-à-dire dans une optiqueoptimiste. Les raisonnements qui vontsuivre ne relèvent en aucun cas de

l'utopie. Notre Terre est une planètesur laquelle s'est développée une vieaussi prolifique que diverse. Toutes lesthéories cosmogoniques actuelless'accordent à reconnaître l'existence

dans l'Univers de nombreuses planètesmortes, c'est-à-dire privées de vie.

La grande particularité à laquellenotre Terre doit d'être une planète« vivante » lui vient de son enveloppecaractéristique, à laquelle les savantsont donné le nom de biosphère.

On peut dresser le schéma suivantde la biosphère terrestre : à l'entrée,une source énergétique, représentéepar l'énergie du soleil. Au sein de labiomasse se déroulent de gigantes¬ques phénomènes de métabolisme, àl'issue desquels certains organismesnaissent, d'autres meurent, certains senourrissent de certains autres, utilisentleurs produits, et ainsi de suite. C'estun immense cycle biologique, éternel,permanent à l'issue duquel d'innom¬brables matières, de multiples formesd'énergie passent d'un état biologiqueà un autre. Le cycle a aussi une sortie :elle s'opère, pour une partie de lamatière vivante et de l'énergie, par for¬mation des roches sédimentaires.

Ce vaste cycle biologique, que peut-il apporter de nouveau aux hommes ?Cette question peut être examinéeaux trois plans suivants : au niveaude l'arrivée de l'énergie, au niveaudu cycle biologique, au niveau dela sortie biologique et à l'entrée ducycle géologique.

La Terre reçoit une certaine propor¬tion d'énergie solaire. Ne présente unintérêt biologique que la partie de cetteénergie qui est absorbée par les plan¬tes capables de photosynthèse. Detoute l'énergie reçue, un certain pour¬centage seulement (de 1 à 10 %selon les régions géographiques) estabsorbé par la flore. Là encore, toutecette énergie n'est pas utilisée pourles besoins de la photosynthèse.

Exactement comme pour la techni¬que, on peut parler de l'existence dansla nature vivante d'un « coefficient de

rendement ». Ce pourcentage oscileentre 2 et 8 %.

On constate donc que dès I' « en¬trée » du schéma, l'homme est en me¬

sure de faire quelque chose pour quela flore absorbe une quantité d'énergieplus grande, simplement en augmen¬tant la densité de l'enveloppe vertede la Terre.

En attendant, il faut bien le recon¬naître, c'est le processus inverse quiest observé : dans son activité écono¬

mique et industrielle, l'homme réduitcette densité et fait un usage inconsi¬déré des forêts, des pâturages, deschamps. La densité de l'enveloppeverte baisse aussi du fait que nouspratiquons très peu l'aménagement enverdure des terres arides.

Or, il est certain que les techniqueset les industries contemporaines auto¬risent parfaitement, en théorie, à ren¬verser la marche du processus, c'est-à-dire à élever la densité de l'enveloppeverte sur les terres ainsi que sur tousles plans d'eau qui s'y prêtent.

Avec l'accroissement de la densité

s'élèvera le taux d'absorption del'énergie solaire et les calculs sont làpour démontrer qu'il peut s'agir d'ungain minimum allant de 1,5 à 2 fois.La productivité biologique de la Terreaura fait un progrès considérable, aug¬mentant de 2 à 3 fois. Or c'est exac¬

tement la production demandée par lesprévisions établies pour les cent pro¬chaines années.

Passons maintenant au cycle biolo¬gique proprement dit. Là encore, on nepeut se féliciter de la façon dontl'homme gère ses richesses, anéantis¬sant ou compromettant sérieusementl'équilibre de la faune et de la flore dela planète.

L'étude de la reproduction de laflore et de la faune terrestre et aqua¬tique devrait permettre d'accroître dansune mesure considérable la producti¬vité utile du gigantesque cycle biolo¬gique qu'elle représente.

Au cours des dix dernières années,en effet, la génétique, science desphénomènes héréditaires, s'est fait uneidée de plus en plus claire de la struc¬ture et du fonctionnement du génotype,du code de l'information héréditaire

retransmis de génération en généra¬tion par la nature vivante. Tout porte

à croire que viendra le moment oùl'homme sera en mesure d'influer sur

ces divers phénomènes en vue d'aug¬menter les rendements et d'accélérer

la sélection des espèces agricoles etanimales.

On peut donc dire qu'au niveau ducycle biologique principal, l'hommepeut obtenir dès à présent de deux àtrois fois, et peut-être plus, de pro¬duits utiles qu'il ne le fait aujourd'hui.Au Japon, par exemple, plus de vingtespèces d'algues trouvent déjà desapplications dans l'alimentation hu¬maine et l'industrie des fourrages.

Et maintenant récapitulons : si àl'entrée du schéma énergétique l'ac¬croissement du taux d'absorbtion de

l'énergie solaire et l'augmentation ducoefficient de rendement des plantesnous donnaient un gain de productivitéallant du simple au double, au niveaudu grand cycle biologique, nous aug¬mentons encore de 3 à 4 fois, ce quinous donne un total de 6 à 8 fois. Et

tout ceci est possible dans le cadredes seules connaissances et techni¬

ques acquises et vérifiées.

ASSONS maintenant à un

autre problème biologique en sus¬pens, dont l'importance n'est pasmoindre. On sait que dans toutes sesparties, la Terre est peuplée par desensembles biologiques plus ou moinscomplexes, constitués par de nom¬breuses espèces d'organismes vivanten communauté.

Jusqu'à présent nous ne savons paspar quel mécanisme de telles commu¬nautés persistent dans le temps àcondition, bien entendu, que l'hommen'intervienne pas en compromettantleur équilibre ou en modifiant les espè¬ces qui les forment.

Lorsque l'homme aura trouvé la clefdu problème de l'équilibre de la naturevivante, il sera en mesure de tirer du

cycle biologique dont la biosphère estle théâtre, infiniment plus qu'il ne lefait actuellement. Ce jour-là, il sera enmesure de modifier et d'améliorer à sa

guise, scientifiquement et à son avan¬tage, les communautés biologiquesdont la Terre est peuplée. Et si celalui permet d'augmenter d'encore unefois et demie la productivité de labiosphère, cela fera déjà un total plusque décuplé I

Voyons maintenant le dernier pointde notre schéma, la « sortie » de labiosphère. Nous savons qu'en certainsendroits de la Terre, au fond de cer¬tains lacs, la vase qui subit du fait desorganismes vivants un phénomène deminéralisation aboutissant à la forma¬

tion de sels solubles non organiques,se transforme peu à peu en « sapro-pel », une substance organique extrê¬mement intéressante, composée es¬sentiellement d'hydrates de carbone,

de protéines et de matières grasses.Dès maintenant cette substance trouve

un certain usage.

Les Japonais, quant à eux, le trans¬forment en produits alimentaires pourles qualités supérieures et en alimentsfourragers pour les qualités moyennes;les sapropels de qualité inférieureservent d'engrais organiques. Dansd'autres pays cette substance est uti¬lisée par l'industrie des confiseries,comme produit de remplacement de lagélatine et de l'agar. Néanmoins ellen'est encore utilisée que dans desproportions tout à fait modestes.

'R nous touchons là à un

problème infiniment plus étendu. Il estcertain que dans le futur, en effet,des ingénieurs biotechniciens aurontspécialement pour tâche d'étudier lesproduits du grand cycle biologiqueafin de prévenir la dégradation desubstances de grande valeur, d'empê¬cher qu'elles ne s'appauvrissent aupoint de devenir un conglomérat demolécules peu évoluées, sans grandeutilité, de sels non organiques etfinalement de calcaires.

Ces spécialistes s'attacheront à cap¬ter les produits de la biosphère à desstades où ils se présentent sous lesformes les plus précieuses macro¬molécules organiques, hydrates de car¬bone, protéines et lipides dont l'hu¬manité a tant besoin. Ceci pour letroisième et dernier point au niveauduquel l'homme peut accroître la pro¬ductivité naturelle de sa planète.

A première vue, semble s'imposerla constatation assez pessimiste dudéséquilibre qui s'aggrave rapidemententre la croissance de la populationterrestre et les réserves biologiquesnaturelles dont elle dispose.

Mais à l'issue de ce court examen

de ce qui se passe dans la biosphèreet de ce que nous savons aujourd'huigrâce aux recherches effectuées pard'éminents savants, nous arrivons àune prévision beaucoup plus opti¬miste :

Ce n'est pas de deux fois, mais dedix fois et davantage que l'hommepeut accroître la productivité de laTerre sans dommages pour les capa¬cités potentielles de sa biosphère.

La conclusion tombe sous le sens :

le problème numéro un, par ordred'importance et d'urgence, est là ; leshommes doivent apprendre à se servirrationnellement et modérément des

produits de la biosphère. Dès à pré¬sent le corps scientifique doit se pen¬cher d'urgence sur sa solution.

Pour commencer, il faut procéder àl'inventaire exhaustif de l'environne¬

ment vivant, en quoi le retard estégalement considérable. Il faut entre¬prendre sans retard les démarchessérieuses qui vont permettre de sau¬vegarder la nature et de mettre aupoint la nouvelle technologie qui doitsupprimer dans tous les secteurs in

dustriels les sources de pollution etd'empoisonnement de la biosphère ;pour cela il faut rationaliser d'urgenceles techniques employées en sylvicul¬ture, dans l'industrie de la pêche, dela chasse, etc. ; intensifier l'utilisation

des nouvelles espèces d'organismesvivants ; entreprendre sans délai d'éle¬ver la densité de l'enveloppe végétale,d'augmenter la productivité biologiquedes divers secteurs de la biosphère.

Toutes ces tâches interconnectées

ne peuvent recevoir de solution qu'enréunissant les efforts d'un grand nom¬bre de disciplines scientifiques, enfaisant intervenir les matériels les plusmodernes et les industries les plusdiverses. Et puis, on aura soin de nejamais oublier que le problème quise pose aujourd'hui à l'humanité devra,qu'elle le veuille ou non, recevoir unesolution. C'est pour elle une questionde vie ou de mort.

En ce qui concerne l'Union soviéti¬que, des mesures législatives et prati¬ques ont été adoptées par le gouver¬nement durant les vingt dernièresannées, témoignant ainsi que la protec¬tion de la nature est au centre de ses

préoccupations (reboisement de vas¬tes territoires, études de la balance

hydrique de cours d'eaux nordiques,de la mer Caspienne et de la merd'Aral, législation stricte sur l'utilisa¬tion des sols et la pollution des airset de l'eau, pour ne mentionner quequelques exemples). Un travail vérita¬blement actif a commencé dès l'adop¬tion par le Parlement soviétique enseptembre 1972, d'une nouvelle sériede mesures adéquates concernant laprotection de l'environnement et l'uti¬lisation rationnelle des ressources na¬

turelles.

Quoi qu'il en soit, leur efficacité demême que celle des mesures adoptéesdans d'autres pays, ne peut suffirepour résoudre un grand nombre deproblèmes relatifs à la pollution del'atmosphère, des mers et des océans.

C'est pourquoi, la coopération interna¬tionale s'avère être d'une nécessité

vitale depuis que la pollution entraînedes conséquences mondiales dont onne peut venir à bout que globalementet grâce aux efforts concertés de tousles pays.

S.O.S. PLANÈTE EN PÉRILLes problèmes écologiques entrent à l'école et dans le mondedes livres pour enfants. Par exemple, le Centre Internationaldu Livre et la maison d'édition Giunti-Bemporad Mar¬zocco à Florence (Italie) ont-ils récemment publié un livreoriginal, intitulé « S.O.S. pour la planète Terre » par A. Pa¬cini et G. Masini. Ce « message écologique aux enfantsdu monde entier » est abondamment illustré de dessins et

de pliages. Sous l'étiquette « Poison », le flacon (à gauche)contient notre planète Terre. Ci-dessus un pliage montrant(de bas en haut) une section de la chaîne alimentaire dela Nature que les excès et l'insouciance de l'homme ris¬

quent de détruire.

Photos lû Centre international du Livreet éd Gtunti-Bemporad Marzocco, Florence. 1971

31

UNE POLITIQUE MONDIALE DE L'ENVIRONNEMENT (suite de la page 6)

32

que disposaient rarement des moyensappropriés pour rassembler des don¬nées scientifiques indispensables, soitpour discerner l'une ou l'autre manièred'atteindre au développement, soitpour mettre à l'épreuve les consé¬quences de telle ou telle option.

De plus, l'appareil institutionnel demise en nuvre des projets était géné¬ralement laissé sans directives, sanscontrôles et sans ces réévaluations

périodiques qui auraient permis deréorienter les projets en mauvaisevoie.

Il n'est pas toujours facile de situerexactement, dans les structures où sepréparent les décisions, les failles res¬ponsables des échecs. Il est bien rareque les rouages déterminants, au seindes appareils gouvernementaux etinternationaux, soient exposés à lacuriosité du public ou se prêtent àdes analyses de fonctionnement.

Dans le secteur privé, les organesde décision se prêtent encore moinsvolontiers à l'investigation. Néanmoins,la tendance générale des gouverne¬ments à réorganiser leurs services parrapport à l'environnement témoigne dubesoin d'une amélioration des struc¬

tures. Bon nombre d'institutions spé¬cialisées des Nations Unies ont créé

des bureaux ou des dispositifs decoordination en matière d'environne¬

ment ; et la conférence de Stockholma recommandé, pour sa part, la créa¬tion d'un bureau de l'environnementau sein même du Secrétariat des

Nations Unies. Il a été prévu d'ins¬taller le siège de ce bureau à Nairobi,Kenya.

Dans quelques années, ces innova¬tions, tant au niveau national qu'inter¬national, devraient nous donner desindications très concrètes sur la meil¬

leure manière d'institutionnaliser et

d'intégrer au niveau structurel, lesobjectifs et les programmes en matièrede développement et d'environnement.Il faut donc obtenir des renseigne¬ments fondamentaux à propos desimpératifs des programmes et ce n'estpas facile. A cet égard, on a cepen¬dant quelque peu avancé.

On peut beaucoup attendre, parexemple, de la publication de manuelssur les critères de toute décision à

prendre en matière d'environnementque se propose l'Union pour la conser¬vation de la nature et de ses res¬

sources. Il s'agit là d'un projet à réa¬liser par l'UlCN avec la collaborationd'autres organisations internationales.On prévoit, en outre, la publicationprochaine d'un, voire de plusieursouvrages consacrés aux principesécologiques et destinés aux responsa¬bles du développement. Il s'agit là d'uninstrument dont on n'a jamais pu dis¬poser pour prendre des décisions ra¬tionnelles en matière d'environnement.

Disposer d'informations utilisablesest nécessaire mais pas suffisant. Ilfaut aussi qu'à tous les échelons oùse définissent ces politiques, on sache

que ces informations sont disponibleset qu'on sache en discerner l'utilité.

La Conférence de l'Unesco sur la

biosphère et la conférence des NationsUnies, à Stockholm ont l'une et l'autrerecommandé à ce propos des pro¬grammes d'éducation et de formationdu personnel technique, professionnelet administratif, afin qu'il soit enmesure d'intégrer efficacement lesconcepts écologiques à ses travaux.Et parce que bon nombre de décisionsintéressant l'environnement exigent uncontrôle scientifique, il importe ques'étende la compétence des hommesde science qui conseillent et assistentles responsables officiels.

Avant la conférence de Stockholm,le comité scientifique des problèmesde l'environnement auprès du Conseilinternational des Unions scientifiquesa réuni à Canberra un groupe d'hom¬mes de science des pays en voie dedéveloppement aux fins d'un examendes problèmes de l'environnement,notamment dans les perspectives dudéveloppement. Des séminaires régio¬naux, surtout dans les pays en voie dedéveloppement, ont été patronnés parles Commissions économiques desNations Unies et le bureau régionalde Beyrouth ; et le secrétaire généralde la conférence des Nations Unies

sur l'environnement a réuni, en juin1971, à Founex (Suisse), un contingentd'experts pour étudier les interactionsdu développement et de l'environne¬ment, et plus particulièrement en cequi concerne la définition des politi¬ques et des programmes d'action.

rE ne sont là que quelquesexemples parmi les plus significatifsdes tres nombreux colloques, séminai¬res, réunions officielles ou non, visantà mieux intégrer les questions de l'en¬vironnement dans la formulation des

politiques. Avant Stockholm, les effortsdans ce sens n'avaient qu'un carac¬tère expérimental. Après Stockholm,ils constitueront probablement unetâche permanente de nombreuses ins¬titutions et organisations scientifiqueset commerciales.

Décider, c'est, en fin de compte,parvenir à estimer à son exacte valeurl'action envisagée : pourquoi, quandet comment agir ? Etre contre peutêtre non moins significatif qu'être pour,et la méthode peut être aussi impor¬tante que la nature de la décision.

Au niveau international, la variétédes problèmes nationaux exige unlarge débat, les décisions à prendreaffectant tout un ensemble d'Etats.

Aussi, le Conseil d'administration desprogrammes relatifs à l'environnement,aux Nations Unies, ne compte-t-il pasmoins de 54 membres.

Au niveau national (mais aussi tou¬jours davantage au niveau internatio¬nal), il est nécessaire de bénéficier dela collaboration des organisations nongouvernementales dans l'établissement

des décisions. Les organisations nongouvernementales étaient largementreprésentées à la conférence deStockholm, et leur participation, directeou indirecte, aux travaux officiels y aété considérable.

Ainsi se dégagent, lentement certes,en regard de l'urgence, mais rapide¬ment au niveau de l'Histoire, les ins¬truments rationnels de la décision en

matière d'environnement. Cette démar¬

che peut, avec le temps, assurer lacohésion systématique des décisions,au plan politique, à tous les niveauxlocaux, nationaux, régionaux et inter¬nationaux. Du même coup, seraientassurées des voies propices auxéchanges continus entre hommes descience, planificateurs et législateurs,de même qu'entre institutions offi¬cielles et non gouvernementales.

Mais d'ici là, à qui appartient-il dedécider? On pourrait répondre : àpresque tout le monde, ou parfois àpersonne. Le gâchis actuel en matièred'environnement traduit l'insuffisancede nos méthodes de décision à tous

les niveaux de responsabilité. Il n'estpas de pays qui, à cet égard, échappeà tout reproche. Les nations ditesdéveloppées n'ont que quelquesannées d'avance, qu'il s'agisse deprise de conscience ou d'expérience,sur les pays en voie de développe¬ment.

Les techniques de protection del'environnement peuvent être rapide¬ment transférées d'une partie dumonde à l'autre, là où la nécessités'en fait sentir. La conscience d'une

sage gestion de l'environnement s'estrapidement fait jour chez les dirigeantsdes pays en voie de développement.De plus en plus, on comprend qu'unepolitique écologique est indissociabledu développement véritable. Il y a làraison d'optimisme : certains pays envoie de développement pourraientmaîtriser leurs problèmes de l'environ¬nement avant même que des paysdepuis longtemps industrialisés ne lefassent.

En bref, toute décision où se conju¬guent des considérations de dévelop¬pement, d'environnement et de tech¬

nologie résulte davantage d'un travailcomplexe des institutions que de l'in¬tervention particulière de telle ou telleadministration. Confondre la procla¬mation d'une décision et le processusqui la justifie est une erreur fort répan¬due. Le public et la presse se mépren¬nent, confondant les personnalités quiproclament une décision avec le pro¬cessus dont elle est issue.

Aujourd'hui, l'instauration d'une poli¬tique internationale de l'environne¬ment et du développement implique ledéveloppement des concepts, critèreset aménagements institutionnels quidonneraient toutes ses chances à cette

immense aventure humaine : satisfaire

dans toute leur diversité les besoins

ressentis par tous. '

Lynton K. Caldwell

Conférence généralede l'Unesco

Réunie à Paris, la Conférence généralede l'Unesco a adopté, le 21 novembre 1972,le programme mondial pour la science,l'éducation et la culture de l'Organisation,portant sur 1973-1974. Cette Conférence,à laquelle la République populaire de Chineétait représentée pour la première fois, aapprouvé le budget de 119 954 000 dollarsdu programme de l'Unesco. L'admission duBangladesh et de la République démocra¬tique allemande, pendant la Conférence,porte à 131 le nombre des Etats membres.

Deux Prix scientifiquesUnesco

Le prix Kalinga 1971 de vulgarisationscientifique, décerné chaque année àl'Unesco par un jury international, a étéattribué au professeur Pierre Auger. Physi¬cien français de renommée internationale,le professeur Auger dirigea le départementdes Sciences de l'Unesco de 1948 à 1959,puis l'Organisation européenne de recherchespatiale de 1962 à 1967. Auteur de nom¬breux ouvrages sur la science, le profes¬seur Auger a dirigé plusieurs séries d'émis¬sions scientifiques, diffusées par l'O.R.T.F.,où il occupe actuellement les fonctions device-président du Comité des programmesde radiodiffusion ; il dirige, en outre, lapréparation d'une encyclopédie en 10 vo¬lumes sur la science et la technologie.

HPar ailleurs, le Prix scientifique de l'Unesco,destiné à récompenser des travaux contri¬buant au progrès des pays en voie dedéveloppement, a été attribué cette année,d'une part, au plus grand spécialiste sovié¬tique de la protection des sols, le profes¬seur Victor A. Kovda, et, d'autre part, àneuf chercheurs autrichiens qui ont inventéun nouveau procédé de fabrication del'acier.

Un projet de l'Unesco

pour la conservation

de la nature

Lancé par l'Union internationale pour laconservation de la nature et des ressources

naturelles en collaboration avec l'Unesco,un projet organise la distribution, dans lesécoles, de brochures sur la conservation

de la nature, écrites et illustrées par desartistes du Kenya, de l'Inde et du Vene¬zuela. Un programme des Bons d'Entraidede l'Unesco couvrira les frais de conceptionet d'impression de ces brochures. Il s'agitdu programme n° 528. Pour de plus amplesinformations sur les Bons d'Entraide de

l'Unesco genre d'ordre de paiementinternational que les bénéficiaires, dans lespays en voie de développement, peuventutiliser pour acheter des fournitures sco¬laires et autres matériels éducatifsécrire au Programme des Bons d'Entraidede l'Unesco, place de Fontenoy, Paris-7e.

Pour sauver Venise

La Fondation « Venezia Nostra » (Italie) aémis une série de quatre médailles d'or etd'argent dont la souscription a été closele 31 décembre 1972. Les fonds recueillis

par cette émission numismatique, effectuéedans le cadre de la campagne internatio¬nale Unesco pour sauver Venise, serontaffectés à la restauration du célèbre pontdu Rialto. C'est le décalque exact d'unsequin vénitien du 16e siècle qui figure auverso de ces monnaies.

Dr Hans Rieben

La rédaction du « Courrier de

l'Unesco » a le regret d'annoncerle décès, survenu à Berne le 23 no¬

vembre 1972, du Dr Hans Rieben,

responsable de l'édition en langueallemande du « Courrier de l'Unes¬

co » depuis sa création en 1960.

PETITE BIBLIOGRAPHIE SUR L'ENVIRONNEMENT

Utilisation et conservation de la biosphèreUnesco, Paris 1970. 305 p.. 24 F

Les Problèmes de la zone aride

Actes du colloque de Paris. Unesco, Paris 1962. 519 p., 47,25 FEcologie des régions subarctiquesActes du colloque d'Helsinki en 1966. Unesco, Paris 1970.364 p., 64 F

Halte à la croissance ?

Le Club de Rome, présenté par J. Delaunay. Coll. « Ecologie ».' Ed. Fayard, Paris 1972. Prix : 26 F

L'Environnement sans frontières

par J.-Ph. Barde et Ch. Garnier. Ed. Seghers, Paris 1971. Prix :15 F

Géographie de la faimpar Josué de Castro. Coll. « Politique ». Ed. Le Seuil, Paris 1972.Prix : 9 F

Géopolitique de la faimpar Josué de Castro. Ed. Economie et humanisme. Paris 1971.Prix : 45 F

Qu'est-ce que l'écologie ?par M. Cérésin. Ed. Bordas, Paris 1972. Prix : 8 F

L'Encerclement. Problèmes de survie en milieu terrestre

par Barry Commoner. Ed. Le Seuil, Paris 1970. Prix : 19 F

Précis d'écologiepar R. Dajoz. Ed. Dunod, Paris 1972. Prix : 58 F

L'abondance dévastatrice

par Sir Frank Frazer Darling. Ed. Fayard, Paris 1971. Prix : 18 F

La Nature dénaturée

par J. Dorst. Ed. Le Seuil. Paris 1970. Prix : 6 F

Population, ressources, environnementpar P. et A. Ehrlich. Coll. « Ecologie ». Ed. Fayard, Paris 1972.Prix :,80 F

Changer ou disparaîtrepar E. Goldsmith et autres. Coll. - Ecologie ». Ed. Fayard, Paris1972. Prix : 20 F

L'Homme et la ville. Une bio-logique de l'urbainpar H. Laborit. Coll. « Nouvelle bibliothèque scientifique ».Ed. Flammarion, Paris 1972. Prix : 26 F

L'Environnement végétal ; flore, végétation et civilisationpar P. Lieutaghi. Ed. Delachaux et Niestlé, Paris 1972. Prix : 64 F

Des Hommes et des villes

par Ch. de Lauwe. Ed. Payot, Paris 1970. Prix : 7,60 F

Problèmes de productivité biologiquepar M. Lamotte et F. Bourlière. Ed. Masson, Paris 1967. Prix : 80 F

Défi du monde pauvrepar Gunnar Myrdal. Coll. « Bibliothèque des sciences humaines ».Ed. Gallimard, Paris 1972. Prix : 48 F

Plaidoyer pour la villepar Bernard Oudin. Ed. Robert Laffont, Paris 1972. Prix : 26 F

Nature, attention : poissons !par P. Pellerin. Ed. Stock, Paris 1972. Prix : 17 F

Le Choc du futur

par Alvin Toffler. Ed. Denoël, Paris 1971. Prix : 25 F

Nous n'avons qu'une terrepar B. Ward et R. Dubos. Coll. - Regards sur le mondeEd. Denoël, Paris 1972. Prix : 35 F

33

Nos lecteurs nous écrivent

HOMO SAPIENS :

312 PROTESTATAIRES

Cette lettre vous parvient d'ungroupe de mères dont les enfantsfréquentent une école privée à Berneen Suisse. Nous nous retrouvons

tous les lundis pour un travail cultu¬rel. Plusieurs de nous sont abonnées

à votre journal et nous avons maintesfois pu utiliser vos publications trèsintéressantes et bien présentées pournotre travail.

Nous nous intéressons, dans notretravail, à de nombreux domaines comme

la pédagogie, la religion, la philosophie,etc. Le thème central est à peu prèsceci : Connaissance de l'homme comme

être doté d'un corps, d'une âme etd'un esprit. Quelle est son origine,comment s'est-il développé et quel estson avenir dans un monde matérialiste

et technique 7

Notre lettre se rapporte à votre nu¬méro d'août-septembre 1972. Vous yposez la question de l'origine del'homme. Cette question nous intéressevivement et il nous semble très impor¬tant d'y trouver une réponse. Dansnotre travail nous nous sommes pen¬chées sur plusieurs théories d'évolu¬tion. En lisant votre numéro nous avons

été déçues par la manière unilatéraledont la question a été traitée.

La question de l'origine de l'hommeconcerne chacun de nous. De la répon¬se que nous lui donnerons dépendentles rapports que nous aurons avec lavie et avec notre prochain. C'est pourcela qu'il n'est certainement pas permisde ne considérer qu'une seule hypo¬thèse scientifique pour élaborer cetteréponse. Depuis que l'homme vit surla terre cette question est posée, etles hommes y ont répondu de plusieursmanières différentes. Mais vous ne don¬

nez qu'une seule réponse, basée surune seule théorie.

L'idée de l'évolution ne doit certai¬

nement pas être négligée quand onse pose la question de l'origine del'homme. Pour présenter au moinscomplètement les théories scientifiquesmodernes vous auriez dû présenter àcôté de la théorie de Darwin-Haeckel,

qui franchit allègrement le pas entreles primates et l'homme, égalementcette autre branche de la théorie de

l'évolution qui essaye de tout expliquer :vie, sentiment et même le travail spiri¬tuel ou intellectuel, par des seuls pro¬cessus chimiques.

Le fait que l'homme s'est posé cettequestion depuis qu'il existe et qu'il y atrouvé des explications très différentesde celles que la science actuelle pro¬pose comme unique vérité, est claire¬ment prouvé par le travail artistiquedont témoignent outils, bijoux, peintureset gravures rupestres. Il nous paraitétonnant que vous n'ayez pas tenucompte de cette expérience humaine.

Depuis tous les temps, l'homme s'estconsidéré comme étant une création,

voire même une partie des forces divi¬nes. Il lui importait de connaître lesforces qui faisaient de lui un être sen¬sible responsable et agissant. Long¬temps il ne considéra que cet aspectde son être. Il était donc certainement

nécessaire qu'il prenne conscience

également de l'origine de son existencephysique dans l'évolution.

Votre Journal est traduit en beaucoupde langues, il est lu dans presque tousles pays. Dans la main de l'enseignantil devient un moyen d'éducation desgénérations naissantes. Dans les paysen voie de développement qui souffrentd'un manque presque total de matérielet de livres scolaires on risque d'accep¬ter ¡mages et textes sans critiques.C'est justement aux gens qui cherchentune nouvelle représentation du mondequ'on essaie d'imposer la théorie dela « concurrence vitale » et de la

« sélection naturelle » de Darwin dans

une interprétation doctrinaire et unilaté¬rale comme preuve de leur descendancedu singe.

Nous sommes persuadées que vousêtes conscients de l'immense respon¬sabilité que votre travail vous imposeen général. Pourtant, une conséquencenéfaste semble vous avoir échappé,celle que doit avoir une réponse unila¬térale comme la vôtre à la questionde l'origine de l'homme, en particulierlà où depuis des générations l'hommes'est senti uni aux réalités spirituellesou s'est efforcé de s'y rattacher.

Une réponse telle qu'elle figuredans votre numéro l'arrache à cette

union et le réduit exclusivement à

son existence physique qui, elle, nedépendrait que de mutations fortuites.L'idée d'une création, combinée avecl'évolution et dirigée par une forcespirituelle supérieure, est acceptablepour l'homme pensant. Par contre,l'homme qui serait le résultat fortuitde mutations biologiques ou chimiquesne pourrait être tenu responsable derien, même lorsqu'il s'anéantirait lui-même et ses semblables par l'excèsde la violence ou de la drogue. Il neserait pas non plus capable d'apporterune solution aux problèmes sociauxet humanitaires. L'Unesco qui se donnepour but de défendre le droit et ladignité de l'homme ne devrait passe permettre de ne considérer quele côté physique de cet homme.

Une conception matérialiste commecelle de Kautsky ne peut plus êtretenue pour représentative de la pen¬sée actuelle. La victoire sur le maté¬rialisme devrait s'être imposée encoredavantage que ne le demandaientDriesch et d'autres. On doit aux lec¬

teurs du « Courrier de l'Unesco »

de les informer des dernières décou¬

vertes de la science. Pour traiter une

question aussi importante que cellede l'origine de l'homme, on ne peutignorer les points de vue de savantstels qu'Einstein, Oppenheimer ou Hei¬senberg, pour ne citer que ceux-ci, surun humanisme renouvelé. Une science

sans éthique et une interprétation del'homme sans caractère spirituel ne sontplus tolerables.

Maintes de vos publications nousont fait comprendre que c'est juste¬ment votre organisation qui tientl'homme pour libre et moralement res¬ponsable. Si c'est bien le cas, alorsune théorie sur l'origine de l'hommequi ne considère que son corps nedevrait pas vous suffire. Vous trouvezdans les traditions et les religions detous les peuples mais aussi dans lesphilosophies modernes de différentestendances, de multiples indications se

rapportant à une origine tant spirituelleque physique de l'homme.

Dr J. Hildesheimer

au nom d'un groupe de mèresd'élèves à Berne, Suisse

N.D.L.R. Cette lettre nous est par¬venue accompagnée de la signaturede trente et une mères d'élèves d'une

école privée de Berne et de celle dedeux cent quatre-vingts personnes quis'associent aux mêmes opinions.

LE GRAND HÉRITAGE DE L'IRAN

J'ai lu avec grand intérêt « Renais¬sance de la pensée et du livre arabes »(numéro de juillet 1972). Il est certespassionnant de remarquer l'influenceprofonde, tant scientifique que cultu¬relle, exercée par la civilisation isla¬mique sur le devenir de l'humanité.Un détail historique, toutefois, bienconnu des experts et des spécialistes,risque de n'être pas évident pour laplupart de vos lecteurs. A l'apogée desa gloire, le vaste empire islamiquefut un creuset où nombreuses furent

les ethnies, les langues et les culturesqui vinrent y fusionner. Pendant cetâge d'or, la langue arabe, riche etpleine de vitalité, devint le véhiculeprincipal de la communication scienti¬fique et littéraire. Les trésors de cethéritage intellectuel et philosophiqueprovenaient de différentes nations etethnies qui, parfois, se fondirent à lagrande famille de l'Islam. Aussi faut-ilrendre hommage à ces grands savants,philosophes et écrivains de l'Islam, nonseulement comme les flambeaux de

l'Islam mais encore comme héritiers

de ces nations qui composèrent l'em¬pire islamique. Plusieurs des grandsécrivains mentionnés dans cet article,

Ibn al Muqaffa, Ibn-Sina (Avicenne), Al-Khwarazml, Al-Biruni, Ar-Razi et Al-Farabi, étaient d'origine iranienne. Ilsécrivirent dans leur langue maternelle(le persan) et firent de nombreusescontributions scientifiques d'importancedurable en arabe, langue véhiculaire del'Islam.

De nos jours, de nombreux savantsde toutes nations choisissent, par exem¬ple, d'écrire en anglais. Naturellement,ce choix d'une langue de communica¬tion commune ne reflète en rien les

origines nationales de celui qui l'utilise.Ces propos n'ont d'autre but que laprécision historique. Si l'on tente d'éle¬ver le débat à un niveau plus général,il faut convenir que tous les grandshommes appartiennent à l'humanité toutentière.

Professeur F. REZA

Ambassadeur,

délégué permanent de l'Iranauprès de l'Unesco

N.D.L.R. L'article paru dans lenuméro de juillet 1972 avait trait à lapensée arabo-islamique en tant quephénomène global, indépendamment desorigines nationales des différents hom¬mes de science et érudits qui y étaientmentionnés. En outre, quelques moisauparavant, un numéro spécial avait étéconsacré à « l'Iran, carrefour de cultu¬res millénaires » (octobre 1971) : lescontributions de tous les penseursmentionnés par l'Ambassadeur Reza yétaient décrites en détail.

Vient de paraîtreunesco

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statistique

La nouvelle édition de YAnnuaire statistique de l'Unesco-1971contient d'innombrables renseignements recueillis dans lemonde entier (plus de 200 pays et territoires) concernantnotamment :

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EduulKM

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La population

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Camoinauiion de mrucrLa science et la technologie

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Les journaux et autres périodiques

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L'éducation

Un volume bilingue (français-anglais) de 890 pages préparéavec la coopération des Commissions nationales pour¡'Unesco et des services nationaux de statistique, et avecle concours du Bureau de statistique et de la Division de lapopulation des Nations Unies.

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ALBANIE. N. Sh. Botimeve Nairn Frasheri, Tirana.ALGERIE. Institut pédagogique national, 11, rue

Ali-Haddad, Alger. Société nationale d'édition et dediffusion (SNED), 3, bd Zirout Youcef, Alger. ALLE¬MAGNE. Toutes les publications : Verlag Dokumen¬tation, Postfach 148, Jai serscrasse 13, 8023 Múnchen-Pullach. Unesco Kurier (Édition allemande seulement) :Bahrenfetder Chaussee 160, Hamburg-Bahrenfeld, CCP276650 (DM 1 6). AUTRICHE. Verlag Georg Frommeet C*. Arbeitergasse 1-7, 1051 Vienne. BELGIQUE.Agent pour les publications de l'Unesco et pour l'édi¬tion française du Courrier » : Jean De Lannoy,112, rue du Trône, Bruxelles 5. CCP 3 380.00.Edition néerlandaise seulement : N.V. Handelmaats-

chappij Keesing, Keesinglaan 2-1 8, 2 1 00 Deurne-Antwerpen. (250 F belges). BRÉSIL. Fundaçîo GetúlioVargas, Serviço de Publicaçoes, Caixa postal 21120,Praia de Botafogo, 188, Rio de Janeiro, GB (Crs. 25).BULGARIE. Hemus, Kantora Literatura, Bd. Rousky6, Sofia. CAMEROUN. Le Secrétaire général de laCommission nationale de la République fédérale duCameroun pour l'Unesco B.P. No. 1 061, Yaounde.CANADA. Information Canada, Ottawa (Ont.) (S 5.00).

CHILI. Editorial Universitaria S.A., casilla 10220,Santiago. RÉP. POP. DU CONGO. Librairie popu¬laire, B.P. 577, Brazzaville. COTE-D'IVOIRE.Centre d'édition et de Diffusion africaines. Boite

Postale 45-41. Abidjan-Plateau. DAHOMEY. Librairienationale. B.P. 294, Porto Novo. DANEMARK.Ejnar Munksgaard Ltd, 6, Norregade, 1165 Copen¬hague K (D. Kr. 27 00). - EGYPTE (RÉP. ARABE D').National Centre for Unesco Publications, N* 1Talaat Harb Street, Tahrir Square, Le Caire; LibrairieKasr El Nil, 3, rue Kasr El Nil, Le Caire. 1,350 LE.

ESPAGNE. Toutes les publications y compris leCourrier : Ediciones Iberoamericanas, S.A., calle deOñate, 15, Madrid 20; Distribución de Publicaciones delConsejo Superior de Investigaciones Científicas, Vicrubio1 6, Madrid 6 ; Librería del Consejo Superior de Investiga¬ciones Científicas, Egipciacas. 15, Barcelona. Pour « leCourrier » seulement (2 60 pts) : Ediciones Liber, Apartado1 7. Ondárroa (Vizcaya). ETATS-UNIS. Unesco Publica¬tions Center, P.O. Box 433, New York N.Y.1 0016(S 5).

FINLANDE. Akateeminen Kirjakauppa, 2, KeskuskatuHelsinki. (Fmk 13,90). FRANCE. Librairie Unesco,7-9, place de Fontenoy, 75-Paris. C.C.P. 12.598-48.(F. 17). GRÈCE. Librairie H. Kauffmann, 28, rue duStade, Athènes. Librairie Eleftheroudakis, Nikis, 4.Athènes. HAITI. Librairie « A la Caravelle », 36, rueRoux, B.P. 111, Port-au-Prince. HAUTE-VOLTA.Librairie Attie, B.P. 64, Ouagadougou. Librairie Catho¬lique «Jeunesse d'Afrique », Ouagadougou. HONGRIEAkadémiai Könyvesbolt, Vaci U. 22, Budapest, V.A.K.V. Könyvtirosok Bolj'ta, Nepkoztársagág 16.Budapest VI. INDE. Orient Longman Ltd. : NicolRoad, Ballard Estate. Bombay 1 ; 1 7 ChittaranjanAvenue, Calcutta 13. 36a Mount Road, Madras 2.Kanson House, B-3/7 Asaf Ali Road, P.O. Box 386, Nouvel¬le Delhi. Publications Section, Ministry of Education andYouth Services, 72 Theatre Communication Building,Connaught Place, Nouvelle-Delhi 1. Oxford Book andStationery Co., 17 Park Street. Calcutta 16. ScindiaHouse, Nouvelle-Delhi. IRAN. Commission nationaleiranienne pour l'Unesco, av. Iranchahr Chômait N* 300,B.P. 1533, Téhéran. IRLANDE. The National Press,2 Wellington Road, Ballsbridge, Dublin 4. ISRAEL.Emanuel Brown, formerly Blumstein's Bookstore : 35,Allenby Road and 48, Nachlat Benjamin Street, Tel-Aviv.Emanuel Brown 9 Shlomzion Hamalka Street, Jérusalem.24 I.L. ITALIE. Licosa, (Librería CommissionariaSansoni, S.p.A.) via Lamarmora, 45, Casella Postale 552,50121 Florence. Maruzen Co Ltd., P.O. Box5050, Tokyo International, 100.31 (Y1.440).RÉPUBLIQUE KHMÈRE. Librairie Albert Portail,14, avenue Boulloche, Phnom-Penh. LibrairieAntoine, A. Naufal et Frères, B.P. 656, Beyrouth.

LUXEMBOURG. Librairie Paul Brück, 22. Grand-Rue, Luxembourg. MADAGASCAR. Toutes lespublications : Commission nationale de la Républiquemalgache. Ministère de l'éducation nationale, Tananarive.« Le Courrier » seulement : Service des oeuvres post etpériscolaires. Ministère de l'éducation nationale, Tana¬narive. MALI. Librairie populaire du Mali, B.P. 28,Bamako. MAROC. Librairie « Aux belles images »,281, avenue Mohammed V, Rabat. CCP 68-74. « Cour¬rier de l'Unesco » : pour les membres du corps ensei¬gnant : Commission nationale marocaine pour l'Unesco20, Zenkat Mourabitine. Rabat (C.C.P. 324-45). -

MARTINIQUE. Librairie «Au Boul Mich», 1, ruePerrinon, 66, av. du Parquet, 972 - Fort-de-France.

MAURICE. Nalanda Co. Ltd., 30, BourbonStreet Port-Louis MEXIQUE. CILA) CentroÍnter-americano de Libros Académicos), Sullivan 31 -Bis,Mexico 4 D. F., Mexique. MONACO BritishLibrary, 30, boulevard des Moulins, Monte-Carlo,

MOZAMBIQUE. Salema & Carvalho Ltda.,

caixa Postal, 192, Beira. NIGER« Librairie Mauclert.B.P. 868, Niamey. NORVÈGE. Toutes les publi¬cations : Joseph Grundt Tanum (Booksellers), KarlJohans gate 41/43, Oslo 1. Pour « le Courrier » seule¬ment : A.S. Narvesens, Litteraturtjeneste Box 6125Oslo 6. (Kr 23,00). - NOUVELLE-CALÉDONIE*Reprex S.A.R.L., B.P. 1572, Nouméa. PAYS-BAS. Edition néerlandaise du « Courrier » : N.V. Inter¬

nationale Uitgevers-en Handelmaatschappif Systemen Kee¬sing, Ruysdaelstraat 71-75, Amsterdam Zuid (fl. 17,5).Agent pour les autres éditions et toutes les publicationsde l'Unesco : N.V. Martinus NiJhoff Lange Voorhout9. La Haye. POLOGNE. Toutes les publications :ORWN PAN. Palac Kultury i Nauki, Varsovie. Pour lespériodiques seulement : « RUCH » ul. Wronia 23,Varsovie 10. PORTUGAL. Dias & Andrade Ltda,LivrariaPortugal.rua doCarmo, 70, Lisbonne (Esd 05).ROUMANIE. I.C.E. Libri P.O.B. 134-135, 126 caleaVictoriei, Bucarest. Abonnements aux périodiquesRompresfilatelia. calea Victoriei nr. 29, Bucarest.- ROYAUME-UNI. H.M. Stationery Office, P.O.Box 569. Londres S.E.I. (£1,30). - SÉNÉGAL.La Maison du livre, 13, av. Roume, B.P. 20-60, Dakar.Librairie Clairafrique, B.P. 2005, Dakar; Librairie « LeSénégal », B.P. 1 594, Dakar. SUÈDE. Toutes les publi¬cations : A/B CE. Fritzes Kungl. HovbkhandeL Freds-gatan, 2, Box 16356. 103 27 Stockholm, 16. Pour « leCourrier » seulement : Svenska FN-Fôrbundet, Vasa-gatan 15, IV, 10123 Stockholm 1 Postgiro 184692(Kr. 18). SUISSE. Toutes les publications : EuropaVerlag, 5, Ramistrasse, Zurich. CCP. Zürich VIII 2383.Payot, 6, rue Grenus 1211, Genève 11, CCP.-12.236(FS. 16). SYRIE. Librairie Sayegh Immeuble Diab, ruedu Parlement. B.P. 704. Damas. TCHÉCOSLOVA¬QUIE. S.N.T.L., Spalena SI, Prague 1 -(Exposition perma¬nente); Zahranicni Literatura, 11 Soukenicka 4, Prague 1.Pour la Slovaquie seulemenc : Nakladatelstvo Alfa,Hurbanovo nam. 6, Bratislava. TOGO. Librairie -

Evangélique, BP 378, Lomé; Librairie du Bon Pasteur,BP 1164, Lomé; Librairie Moderne. BP 777, Lomé.TUNISIE. Société tunisienne de diffusion, 5, avenue deCarthage, Tunis. Librairie Hachette, 469Istiklal Caddesit; Beyoglu, Istanbul. U.R.S.S. Mezhdu-narodnaja Kniga, Moscou. G-200. URUGUAY.Editorial Losada Uruguaya, S.A. Librería Losada, Maldo-nado, 1092, Colonia 1 340, Montevideo.Librairie Papeterie Xuîn-Thu, 185. 193, rue Tu-Do,B.P. 283. Saigon. YOUGOSLAVIE. JugoslovenskaKnjiga, Terazije 27, Belgrade. Drzavna Zaluzba SlovenijeMestni Trg. 26, Ljubljana.-- REP. DU ZAIRE. La LibrairieInstitut national d'études politiques B.P. 2307, KinshasaCommission nationale de la République du Zaïre pourl'Unesco, Ministère de l'éducation nationale, Kjnshasa.

Nature : formes et mouvement

L'ombre (dite «chinoise»), représentation noir sur blanc descontours d'un objet,, d'un animal ou d'un personnage, estune très ancienne expression graphique dont les ressourcesesthétiques sont aujourd'hui rarement exploitées. Un artisteaméricain, Ugo Mochi, évoque, avec un rare talent, certainesformes animales, destropiques aux zones glaciaires. Ici, girafeset manchots (voir aussi pages centrales).