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UNE MYSTIQUE DE LA POLITIQUE Note de recherche : Sur l'engagement de prêtres-ouvriers dans la guérilla révolutionnaire en Bolivie Hugo José Suárez Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2004/5 - no 155 pages 90 à 100 ISSN 0335-5322 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2004-5-page-90.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Suárez Hugo José, « Une mystique de la politique » Note de recherche : Sur l'engagement de prêtres-ouvriers dans la guérilla révolutionnaire en Bolivie, Actes de la recherche en sciences sociales, 2004/5 no 155, p. 90-100. DOI : 10.3917/arss.155.0090 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.248.234.104 - 05/04/2013 19h58. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 132.248.234.104 - 05/04/2013 19h58. © Le Seuil

Une mystique de la politique

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Une mystique de la politique por Hugo Suárez

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UNE MYSTIQUE DE LA POLITIQUENote de recherche : Sur l'engagement de prêtres-ouvriers dans la guérilla révolutionnaireen BolivieHugo José Suárez Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2004/5 - no 155pages 90 à 100

ISSN 0335-5322

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2004-5-page-90.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Suárez Hugo José, « Une mystique de la politique » Note de recherche : Sur l'engagement de prêtres-ouvriers dans la

guérilla révolutionnaire en Bolivie,

Actes de la recherche en sciences sociales, 2004/5 no 155, p. 90-100. DOI : 10.3917/arss.155.0090

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Miguel Alandia Pantoja, Éducation et lutte des classes – détail.

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En l’espace de 20 ans, entre 1950 et1970, un groupe de jeunes chrétiensboliviens a vécu une transformationrapide et profonde de ses référentsreligieux. Partis de positions conserva-trices, ils en sont venus à élaborer undiscours progressiste, dans lequel l’actionpolitique apparaît comme une exigencede la vie religieuse. Ainsi, les prêtresétrangers venus prêcher en Bolivie audébut des années 1950 contre le commu-nisme, l’athéisme et le protestantismese sont ensuite alliés aux syndicats demineurs défendant le socialisme. Demême, certains jeunes militants du Partidémocrate-chrétien ont rompu aveccelui-ci et radicalisé leurs positions pourcréer une nouvelle organisation politiqueen lien direct avec la guérilla.

La lutte armée constitue sans douteune réponse à l’épuisement d’un modèlede fonctionnement politique en Bolivie1

et à la pression exercée par de nouveauxgroupes qui revendiquent une partici-pation au pouvoir, et particulièrementles jeunes intellectuels issus des couchesmoyennes urbaines. L’opposition à uneclasse politique vieillissante qui monopo-lise l’accès aux positions dominantes nepeut cependant suffire à expliquer laradicalité de l’engagement de ces jeunesprétendants, et la façon dont leurs idéauxrévolutionnaires les conduisent à entrer

dans la guérilla. Il faut aussi s’attacheraux transformations des structuresmentales produites par les querellesmenées au sein même de l’Église àpropos de la « question sociale »,querelles qui engagent des définitionsconcurrentes de ce que signifie « êtrechrétien ».

Ces prises de position, danslesquelles s’inscrit le christianismerévolutionnaire, peuvent être abordéesen suivant la trajectoire d’un prêtrebolivien, le père Néstor Paz Zamora. Néen 1944 dans une famille de la classemoyenne où il reçoit une solide éduca-tion religieuse, il entre au séminaire àl’âge de 17 ans, puis part à Santiago duChili pour accomplir sa vocation ettravailler dans le monde ouvrier. Il quittela soutane pour revenir en Bolivie aumilieu des années 1960 afin de partici-per aux luttes sociales et, sans renoncerpour autant à sa foi, participe à laguérilla révolutionnaire pour le socia-lisme, au cours de laquelle il trouve lamort, à l’âge de 26 ans. Dans uncontexte historique propice à l’élabora-tion de nouveaux idéaux politiques etreligieux, où le développement de laThéologie de la libération exprimel’engagement politique et culturel dechrétiens s’écartant des positions conser-vatrices de l’Église catholique [voir

encadré « La Théologie de la libération », p. 93], l’entrée dans l’action révolution-naire permet de concilier expériencereligieuse et exigences politiques, endonnant aux prêtres engagés la possibi-lité de réorganiser leurs référentsreligieux avec des éléments provenantaussi bien du marxisme que du chris-tianisme.

À travers l’itinéraire de Néstor Paz,il s’agit de voir en premier lieu les fonde-ments institutionnels de ces transfor-mations, notamment au niveau desluttes internes au champ religieux natio-nal, puis d’en analyser les dimensionssymboliques, grâce aux écrits (poèmes,journal intime) laissés par le jeuneprêtre. La radicalisation progressive deses prises de position, d’un mysticismereligieux à une martyrologie révolu-tionnaire, apparaît ainsi non comme lesimple produit d’une évolution de sescroyances personnelles mais aussicomme l’un des effets des recomposi-tions successives du champ religieux.Et c’est à condition de voir comment latrajectoire de ces prêtres devenusguérilleros contribue en retour à réorga-niser la structure de ce champ, en créantune position auparavant impensabledans l’institution ecclésiastique, quedevient intelligible cet engagement àbien des égards improbable.

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Hugo José Suárez

NOTE DE RECHERCHE :Sur l’engagement de prêtres-ouvriers dans la guérilla révolutionnaire en Bolivie

Une mystique de la politique

1. Jean-Pierre Lavaud, L’Instabilité politique de l’Amérique latine. Le cas de la Bolivie, Paris, IHEAL-L’Harmattan, 1991.

ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 155 p. 91-100

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L’Église catholique face au mouvement ouvrier

À partir des années 1950, l’Église catho-lique connaît un processus d’aggiorna-mento accéléré qui tente d’insuffler undynamisme à une institution paralyséedepuis des décennies et dont la capacitéde réaction aux nouveaux éléments ducontexte international paraît toujoursplus faible. Pour l’Église, il faut « serénover ou mourir ». En 1958, le cardi-nal Angelo Roncalli est élu pape sous lenom de Jean XXIII ; trois mois seule-ment après le début de son mandat, ilconvoque le concile Vatican II ; en 1961,son encyclique Mater et Magistra définitde nouvelles orientations pour l’Église.Ces réformes, impulsées par la plushaute hiérarchie ecclésiastique, prennentplace dans une période d’expériencespastorales innovantes, particulièrementen Europe, avec les « prêtres-ouvriers »et d’autres formes de participationchrétienne à la politique, comme lesChrétiens pour le socialisme ou l’Actioncatholique ouvrière en France2.

Dans ce contexte, la référence àl’Amérique latine joue un rôle impor-tant3. La polarisation géopolitique liée àla guerre froide se traduit en effet parune influence croissante des États-Unissur le continent latino-américain, maisaussi par une recomposition politiquedes mouvements sociaux autour de lacontestation, menée notamment par lesétudiants, de la colonisation et du modede vie consumériste. L’apparition demouvements guérilleros et en particu-lier la révolution cubaine (1959)semblent ouvrir un horizon socialiste àl’action des mouvements politiques etétudiants de tous pays, dont le symboleest la figure de Che Guevara, arrivé enBolivie en 1966 pour y former un foco4,avant d’être tué l’année suivante àNancahuazu.

À partir des années 1950, l’Égliselatino-américaine se trouve en outre

confrontée à de profondes transforma-tions sociales, avec une croissancedémographique forte et surtout uneurbanisation peu contrôlée, qui touche45 % de la population du continent,contre 33% en 1925. Le décalage struc-turel et culturel entre l’Église et lasociété5 permet l’émergence d’unenouvelle préoccupation pastorale centréesur les ouvriers. Dans le cas bolivien,marqué par la révolution nationale de1952 qui a porté au pouvoir leMouvement nationaliste révolutionnaire(MNR), le clergé a pris conscience del’émergence du rôle politique des milieuxpopulaires dont il faut satisfaire lesbesoins spirituels et éviter qu’ils ne sedétournent vers d’autres voies : « la routede l’alcool » et le communisme athée,dont l’influence est croissante chez lestravailleurs des mines, qui incarnent laclasse ouvrière du pays. Alors quel’Église était traditionnellement associéeaux champs nationaux du pouvoir, elleparticipe aux réformes sociales, parexemple au Chili avec le cardinal SilvaHenriquez ou au Brésil avec le cardinalEvaristo Arns.

Au niveau du continent latino-améri-cain, l’institution ecclésiastique connaîtun processus d’unification. En 1955 setient au Brésil la première Conférencegénérale de l’Épiscopat latino-améri-cain (CELAM) ; la seconde a lieu àMedellín en 1968, où le messageprogressiste et le « parti pris despauvres » sont explicitement affirmés6.De leur côté, à partir de 1957, lesÉglises chrétiennes non catholiques,réunies dans le Conseil mondial desÉglises, commencent une série deconsultations en Amérique latine sur laresponsabilité des chrétiens dans leschangements sociaux. En 1962, avecl’adhésion de divers autres groupesœcuméniques, se forme à Huampi auPérou la junte latino-américaine Égliseet société, rebaptisée ensuite Église etsociété en Amérique latine (Iglesia y

Sociedad en América Latina, ISAL),avec une série d’antennes à travers lecontinent. En Bolivie, le rôle politiquede l’ISAL devient rapidement impor-tant7 [voir encadré « Le mouvement Égliseet société en Amérique latine (ISAL) », p. 94].

L’intérêt du Vatican pour les causessociales se matérialise par la « GrandeMission», c’est-à-dire l’envoi à partir de1957 de missionnaires européens sur lecontinent latino-américain. Cettenouvelle façon de vivre la foi s’exprimeplus particulièrement dans la Théologiede la libération, qui annonce la naissanced’une nouvelle église : « l’Église despauvres ». Dans un contexte de radica-lisation politique au niveau du conti-nent, sous l’influence du marxisme etdes mouvements de guérilla, commen-cent à apparaître des martyrs chrétiensrévolutionnaires, comme en Colombiele père Camillo Torres qui, après avoirfait des études en Europe, revient s’enga-ger dans la guérilla de son pays pourdéfendre les intérêts du peuple. La parti-cularité de cet appel à une violencearmée au service de la construction dusocialisme est d’être justifiée par desvaleurs chrétiennes. En février 1966,Camillo Torres est assassiné par l’armée8.En Amérique latine, d’autres expériencesrejoignent la sienne et marquent lanaissance d’une forme d’héroïsmechrétien révolutionnaire, lié à une marty-rologie qui ouvre de nouvelles perspec-tives politiques et religieuses9. Cetteexpérience du martyr constitue dès lorsune pierre angulaire de la Théologie dela libération.

Les hésitations de l’Église bolivienne

Depuis la conquête espagnole, l’Églisecatholique a joué un rôle majeur dans lesprocessus politiques et sociaux de laBolivie, au point que l’article 3 de laConstitution politique de l’État reconnaît

2. Charles Suaud et Nathalie Viet-Depaule,Prêtres et ouvriers. Une double fidélité miseà l’épreuve, 1944-1969, Paris, Karthala,2004 ; André Rousseau, «Chrétiens pourle socialisme et Action catholique ouvrière.Deux stratégies socio-religieuses enFrance», Social Compass, XXV, 1, 1978.3. Lors de l’inauguration du concileVatican II en 1962, 670 prêtres parmiles 2 500 présents viennent d’Amérique

latine, et parmi eux 22 sont boliviens.4. Selon Che Guevara, il s’agit de provo-quer des mouvements insurrectionnelsen créant des foyers (focos) de guérillabasés dans les campagnes et en mettanten place une «propagande armée» desti-née à gagner le soutien des populationsrurales, puis urbaines.5. François Houtard, « Les effets duchangement social sur la religion catho-

lique en Amérique latine », Archives desciences sociales des religions, 12,juillet-décembre 1961.6. François Houtard, « L’histoire duCELAM ou l’oubli des origines», Archivesde sciences sociales des religions, 62,juillet-septembre 1986.7. Julio de Santa Ana, « Du libéralismeà la praxis de la libération. Genèse de lacontribution protestante à la théologie

latino-américaine de la libération »,Archives de sciences sociales desreligions, 71, juillet-septembre 1990.8. François Houtart et André Rousseau,L’Église et les Mouvements révolution-naires, Bruxelles, Éd. Vie Ouvrière, 1972.9. José Marins, Teolide Trevisan etCarolee Chanona, Memoria peligrosa.Héroes y Mártires en la Iglesia latino-americana, Mexico, Éd. CRT, 1989.

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Dans le climat révolutionnaire que connaît l’Amérique lati-ne à partir des années 1950, émerge un mouvement reli-gieux qui questionne le christianisme traditionnel à partirdes valeurs chrétiennes mêmes, grâce à une relecture destextes religieux et de Marx. De l’intérieur même de l’Églisechrétienne est ainsi proclamé que l’on peut « être révolu-tionnaire et chrétien à la fois ». Des «communautés ecclé-siastiques de base» réunissent laïcs et croyants autour deréflexions sur la réalité sociale à la lumière de la Bible, tan-dis que dans la méthode « voir-juger-agir » se précise l’idéed’un «parti pris des pauvres»1.À la suite de l’expérience politico-religieuse d’importantssecteurs de l’Église latino-américaine, un processus deréflexion théologique entame l’analyse des acquis desannées antérieures. Un large éventail d’auteurs émerge surtout le continent : Gustavo Gutiérrez (Pérou), Rubem Alves,Hugo Assman, Clodovis Boff (Brésil), Ignacio Ellacuría, JonSobrino (Salvador), Segundo Galilea, Rolando Muñoz (Chili),Rubén Dri (Argentine), Enrique Dussel, Carlos Bravo(Mexique), Juan Luis Segundo (Uruguay), Samuel SilvaGotay (Porto Rico), etc. Dans ce vaste courant théolo-gique, l’ouvrage de Gustavo Gutiérrez, Théologie de lalibération : perpectives2, peut être considéré comme unde ses textes fondateurs.

Parmi les différentes perspectives de la Théologie de lalibération, on peut distinguer, avec Michael Löwy3, quelquesprincipes essentiels : la lutte contre l’idolâtrie (et non contrel’athéisme) considérée comme le principal ennemi de lareligion; la libération historique comme anticipation du Salutfinal dans le Christ et le règne de Dieu ; la critique du dua-lisme de la théologie traditionnelle, considérée comme leproduit non de la Bible mais de la philosophie grecqueantique ; une nouvelle lecture de la Bible, avec une atten-tion particulière accordée à l’Exode, paradigme de la luttepour la libération d’un peuple asservi ; une stricte dénon-ciation morale et sociale du capitalisme comme péchéstructurel ; le recours au marxisme comme instrumentd’analyse sociologique ; et enfin le développement des« communautés chrétiennes de base » entre les pauvrescomme une nouvelle forme d’Église et une alternative à lavie individualiste du capitalisme.

1. Samuel Silva Gotay, El Pensamiento cristiano revolucionario en AméricaLatina y el Caribe. Implicaciones de la Teología de la Liberación para lasociologia de la religion, Puerto Rico, Éd. Huracàn, 1989.2. Gustavo Gutiérrez, Théologie de la libération : perspectives, Bruxelles,Éd. Lumen Vitae, 1974 ; Enrique Dussel, Historia de la Iglesia en AméricaLatina, Bogotá, Éd. USTA, 1984.3. Michael Löwy, La Guerre des Dieux. Révolution et politique en Amériquelatine, Paris, Éd. du Félin, 1998.

La Théologie de la libération

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Au milieu des années 1960, dans le climat révolutionnairede la Bolivie, certains secteurs des Églises catholique etméthodiste fondent Iglesia y Sociedad en América Latina(ISAL). Le Conseil mondial des Églises avait effectué en1957 une série de consultations en Amérique latine sur laresponsabilité des chrétiens dans les changements sociaux,afin de «chercher dans l’Évangile une voie vers la libérationet le changement rapide des structures d’oppression ducontinent ». La première consultation eut lieu au Pérou en1961 et, en février 1962, l’ISAL est créée avec l’accordde plusieurs autres groupes1. Dans un esprit œcuméniqueprogressiste, plusieurs secteurs de la gauche catholiquerejoignent le mouvement, qui se solidarise avec les luttesde libération socialistes des peuples latino-américains.Dans le cas bolivien, l’ISAL organise (en août 1968) un pre-mier congrès au cours duquel les bases de l’engagementsont définies et les injustices du régime de Barrientosdénoncées. En 1969 a lieu un deuxième congrès consa-cré à l’analyse du changement de gouvernement et à laproposition d’établir le socialisme en Bolivie2. Des débatspublics sont menés dans la presse sur des thèmes polé-miques comme le christianisme et le socialisme, la violen-ce, les prêtres et la politique, les chrétiens et la politique,etc. Cette dynamique provoque la réaction du gouverne-ment qui, par la voix de son ministre des Affaires étran-gères, lance «un avertissement bienveillant mais ferme»pour signifier que «si les étrangers en général ne peuventpas intervenir dans les affaires internes de la Bolivie, lesprêtres étrangers ne peuvent pas le faire non plus3 », allu-sion à la nationalité des ecclésiastiques membres de l’ISAL.Les groupes chrétiens conservateurs du pays réagissentde la même façon. La troisième et dernière rencontre,durant laquelle est ratifié le choix du socialisme, a lieu àCochabamba en février 19714.

Au fil des mois, l’ISAL s’affirme comme un espace où s’éla-bore le profil idéologique de la gauche chrétienne du pays,grâce à ses contacts avec les mouvements syndicaux etuniversitaires, avec les leaders politiques et sociaux degauche ; un débat entre marxistes et chrétiens est lancé.Le père Maurice Lefebvre fonde le département de socio-logie à l’Universidad Mayor de San Andrés et les leadersde la Confédération universitaire bolivienne soutiennentl’action de l’ISAL. Les prêtres de l’ISAL jouent le rôle demédiateurs lorsque les travailleurs des mines présententleurs revendications auprès du gouvernement, ils inter-viennent dans les rassemblements en hommage à CheGuevara, participent aux manifestations de protestationcontre la visite en Bolivie de l’un des membres de la puis-sante famille états-unienne Rockefeller, ou encore expri-ment régulièrement leur opinion sur les processus poli-tiques du pays dans des communiqués de presse. Audébut du soulèvement de Teoponte en juillet 1970, ilssont de nouveau sollicités pour être médiateurs dans leconflit et participent à la grève de la faim pour la restitu-tion des cadavres des guérilleros tués. Tout cela conduità l’expulsion violente, en septembre 1970, de quatreprêtres catholiques et d’un pasteur protestant, tousmembres de l’ISAL. Le point culminant de ce processusest l’assassinat planifié de Maurice Lefebvre pendant lecoup d’État du général Bánzer.

1. Pedro Negre, « ISAL : un mouvement chrétien de libération », in La Bolivieaujourd’hui. Études et documents, Paris, 1972, p. 22.2. Ibid., p. 23.3. Presencia, 3 juillet 1969.4. La Voz de los sin voz. Órgano oficial de ISAL-Bolivia, mars-avril 1971,p. 8-9. Pour une présentation rapide de l’ISAL, voir Federico Aguiló, « Iglesiay Sociedad en América Latina (ISAL) », Anuario de la Academia Boliviana deHistoria Eclesiástica (Sucre), 4, 1998, p. 117-145.

Le mouvement Église et société en Amérique latine (ISAL)

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et soutient la religion catholique, touten respectant la liberté de culte. À partirdes années 1950, l’Église traditionnellecentre son action sur sa mission de guidespirituel et pointe comme principalesdifficultés le communisme athée, l’indif-férence à la religion, le protestantisme,les superstitions et les pratiquespaïennes10. Sous l’impulsion du concileVatican II s’instaure un processus detransformation accélérée. Jusqu’alors,l’Église bolivienne n’avait pas prisposition sur les événements politiquesdu pays, y compris lors de la révolutionde 1952. Cette immobilité était due,notamment, à la vigueur du système duPatronato Nacional (Patronage natio-nal), héritage du Real Patronato(Patronage royal), qui voulait que l’Étatprésente trois candidats dans les nomina-tions épiscopales, la décision finale étantensuite prise par Rome, technique quiconstitue une réelle ingérence de l’Étatdans l’Église. Sa suppression en 1961donne une plus grande marge demanœuvre à l’Église dans ses rapportsavec l’administration d’État11.

Mais le concile Vatican II entraînesurtout une véritable crise d’identitédans l’Église bolivienne : « Un bonnombre de prêtres se laïcisent, tandisque d’autres religieux quittent les ordres.Les vocations sacerdotales diminuentde manière spectaculaire ; des noviciatset des séminaires sont fermés12. » Ladiminution progressive du nombre deprêtres est liée à une crise des vocations :en 1888, il y a 138 prêtres séculiersboliviens dans le diocèse de La Paz,contre 29 seulement en 196813. Lamême année, au niveau national, 78 %des 913 prêtres officiant encore enBolivie sont étrangers14. La majoritéd’entre eux (716) appartiennent auclergé régulier15.

Au début des années 1960, l’Églisebolivienne dispose d’un important réseaud’institutions catholiques issues de

mouvements de jeunesse (Jeunesseouvrière catholique, Jeunesse universi-taire catholique, Action catholique, etc.),de centres d’éducation (lycées privés,universités et séminaires), d’organisationsde bienfaisance (hôpitaux, orphelinats)ou encore d’organismes de développe-ment (coopératives), mais les événementsinternationaux, associés à la spécificitébolivienne, favorisent l’éclosion de groupesprogressistes à l’intérieur même de l’Église,comme les « prêtres des mines » oul’implantation du groupe Église et sociétéen Amérique latine (ISAL).

En 1952, plusieurs missionnairesoblats s’étaient implantés dans lesparoisses des centres miniers deLlallagua, Siglo XX et Catavi. Au début,la lutte contre l’alcool et l’athéismecommuniste constitue leur principalepréoccupation, mais en quelquesannées, face aux difficultés de la viequotidienne des mineurs, en butte auxagressions du gouvernement16, seconstitue un groupe de « prêtres-mineurs », qui participe activement à ladéfense des droits des travailleurs,soutient leurs leaders et leurs revendi-cations, et essaie même d’entamer desnégociations avec le gouvernement afind’améliorer les conditions de vie destravailleurs. « Les résultats sontmanifestes : si auparavant l’Église jouaitle rôle du “maintien de l’ordre” face ausyndicat, elle se veut à présent au servicedes pauvres. D’une opposition illégi-time, elle est passée à la solidaritéévangélique. Si auparavant l’appareilecclésiastique servait de courroie detransmission de l’État, il prend mainte-nant ses distances d’avec le pouvoir etdevient la tribune du peuple17. »

En 1965, les « prêtres-mineurs » sefont les porte-parole des mineurs etenvoient une lettre aux vice-présidentsOvando et Barrientos afin de dénon-cer « les mesures injustes prises contreles pauvres ». À partir de 1966,

prêtres, religieux et laïcs travaillantavec les mineurs mettent en place desactions communes qui en déclenchentd’autres sur le territoire national. Laréaction de l’État ne se fait pasattendre. Plusieurs radios catholiquesdes centres miniers sont envahies etfermées. L’accusation d’ingérence dansdes affaires qui ne relèvent pas dudomaine religieux entraîne l’expulsionde plusieurs prêtres. L’une des consé-quences de cette expérience est lafondation de l’ISAL [voir encadré infraci-contre].

Des changements importants seproduisent aussi dans le cadre institu-tionnel de l’Église bolivienne. Se mettenten place des « cours d’instruction pasto-rale », où sont débattus les problèmesinternes à l’Église. Le NouveauTestament est traduit en langue aymaraet l’on fait participer les paysans auxactivités du diaconat. Des rencontressont organisées entre les lycées catho-liques. Des centres d’éducation et derecherche sont créés18.

Une partie de la hiérarchie del’Église joue un rôle important dans cestransformations. En 1967 – périodecritique en raison de la présence de CheGuevara en Bolivie –, alors qu’uneimportante partie de l’Église condamnetout type de violence armée, MgrGutiérrez soutient que la paix ne seraobtenue que par le rétablissement de lajustice et admet avec la plus grandeprudence la possibilité d’une compati-bilité entre certains aspects du socia-lisme et le christianisme. L’annéesuivante, le cardinal Maurer entreprendune campagne pour céder les biens del’Église aux pauvres19.

Cependant, l’Église n’est pasexempte de conflits internes et detendances contradictoires. L’un despoints les plus discutés est de savoir siun chrétien peut utiliser ou non laviolence pour combattre l’injustice.

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10. «Bolivien», Pro Mundi Vita, 8, 1965,p. 37.11. Teresa Rosazza, La Iglesia bolivianadurante los regímenes militares (1964-1982), La Paz, photocopies, 1996, p. 5.12. Ibid., p. 6. Le terme de « laïcisation»désigne ici en fait des «dérogations» accor-dées par le Vatican à certains prêtres pourparticiper davantage à la vie séculière.13. Jaime Ponce et Oscar Uzín, El Clero

en Bolivia, La Paz, Éd. IBEAS, 1973. 14. « Estudio sobre el clero en Bolivia.Nota Especial », Pro Mundi Vita, 1969,p. 2. Plus de la moitié des prêtresarrivent des États-Unis et d’Espagne ;voir Isidoro Alonso (éd.), La Iglesia enPerú y Bolivia, Madrid, Éd. Frères-Ocsha, 1961, p. 197.15. Les ordres les plus nombreux àcette époque sont les franciscains, les

jésuites, les rédemptoristes, lessalésiens et les oblats ; voir J. Ponce etO. Uzín, op. cit., p. 6.16. Voir Jean-Pierre Lavaud, LaDictature empêchée. La grève de lafaim des femmes de mineurs. Bolivie1977-1978, Paris, Éd. du CNRS, 1999. 17. T. Rosazza, op. cit., p. 42-43.18. Escuelas Radiofónicas de Bolivia(ERBOL, Écoles radiophoniques de Bolivie),

Centro de Investigación y Promoción delCampesinado (CIPCA, Centre de rechercheet de promotion du secteur paysan),Desarrollo Social y Económico (DESEC,Centre pour le développement social etéconomique), etc.19. Collectif, La Iglesia en Bolivia.¿Compromiso o traición? De Medellín aPuebla, ensayo de análisis histórico,La Paz, polycopié, 1978, p. 56.

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Hugo José Suarez

Hommage de Marcelo Quiroga à Maurice LefebvreMarcelo Quiroga Santa Cruz, leader du Parti socialiste en Bolivie,

animait régulièrement le programme de radio «Pido la palabra» [Je

demande la parole], interrompu après le coup d’État du général

René Barrientos en 1964. Après le coup d’État d’Hugo Bánzer, en

1971, il entre dans la clandestinité et reprend son émission. Ce

texte est la transcription de la première d’entre elles, au cours de

laquelle il rend hommage à Maurice Lefebvre.

Il y a deux ans, j’ai dû interrompre ce même programmesous le gouvernement de Barrientos pour cause d’incar-cération. Aujourd’hui, je le reprends, dans la clandestinitéà laquelle me contraignent les persécutions politiques d’unrégime qui dit s’inspirer de la mémoire de l’ancien prési-dent, parce que le peuple tout entier a été privé de sa liber-té. Mais avant de parler des affaires nationales résultantdu sanglant coup d’État militaire qui a instauré un nouveaugouvernement à vocation ouvertement réactionnaire et pro-impérialiste, je dois un mot à Maurice. Maurice Lefebvre,prêtre, Bolivien et camarade, je m’adresse à toi qui es mortet je parle pour toi et pour les 150 camarades, ceux de LaPaz, d’Oruro et de Santa Cruz. Ils étaient armés d’un vieuxfusil rouillé et de trois ou quatre balles dans la poche, d’unbruyant mais inoffensif bâton de dynamite, de briques cruessur l’épaule pour une barricade devenue inutile, ou de leurregard, simplement de leur regard calmement fixé danscelui du commandant du peloton d’exécution. Je parle pourl’ouvrier d’usine, pour le mineur, pour l’employé, pour lesuniversitaires, pour tous ceux et toutes celles qui, commetoi et pour notre cause, sont morts.Je m’adresse à toi comme si je m’adressais aux 150 mortssans nom, à Pedro, à Juan, à Manuel, je parle au sang dupeuple qui n’a pas de nom. Mais tu sais, Maurice : ce quin’est qu’un chiffre dans les colonnes des journaux, ce quine figure pas sous la rubrique nécrologique, parce quemême la mort classe les hommes selon leur appartenan-ce sociale, a été jusqu’à la veille du massacre une poitrinevirile d’ouvrier révolutionnaire, le ventre généreux d’unemère prolétarienne, le haut front d’un universitaire, le sou-rire confiant d’un enfant. Tu sais, Maurice, prêtre et cama-rade, pourquoi sont morts ceux qui sont morts à tes côtés,et tu sais aussi pourquoi les 600 blessés et estropiés souf-frent aujourd’hui –autant de leurs blessures ou de la perted’un membre que de celle de la liberté. Peut-être as-tu atteintpar ta foi chrétienne le bonheur éternel qu’au prix de tapropre vie tu as tenté de conquérir comme bonheur humain,ici et maintenant.Tu as quitté le Canada où tu es né, Maurice, pour te mêlerau cœur même de notre peuple, parce que tu savais quecelui qui lutte et souffre pour la dignité de l’homme sur uncoin de terre souffre et lutte sur toute la terre. Tu aurais pu

être un curé conventionnel et ainsi n’être personne. Tu auraispu militer dans les rangs ecclésiastiques traditionnels, êtreun prêtre conservateur et ainsi ne pas être un prêtre. Tuaurais pu ne pas être un curé du tiers-monde et ainsi nepas te trouver en ce monde. Mais tu savais pourquoi tuétais venu, camarade, et au lieu de végéter comme ceuxqui sont nourris par les sacristies, tu gagnais ton pain quo-tidien ; au lieu d’être le conseiller spirituel et le faux confes-seur transigeant avec la conscience corrompue de la bour-geoisie, tu as été le conseiller intellectuel de la jeunesserévolutionnaire ; au lieu de rechercher l’amitié de l’oligar-chie avec laquelle les curés qui trahissent leur ministèreéchangent indulgences et honoraires de messes, tu asvécu avec le mineur et partagé avec lui son pain dur et talumineuse parole.Je ne t’ai pas vu mourir, Maurice. Je n’étais pas près de toiquand les balles ont traversé tes mains, comme deux clous,ni quand un dernier tir a percé ton flanc, mais je suis sûrque pendant ton agonie, quand tu perdais tout ton sangsur cette terre qui t’a choisi pour être ta patrie, tu as enten-du s’élever, mêlé au crépitement des mitraillettes, un chœurinfâme d’imprécations contre le curé étranger et commu-niste. Je suis sûr que tu as entendu un misérable soupir desoulagement parce que tu mourais, que tu as imaginé aussiles paroles hypocrites de ceux qui ont fait semblant de pleu-rer ta mort parce qu’il est plus facile de feindre la pitiéenvers l’ennemi mort que de respecter l’adversaire vivant.Mais rien de tout cela n’a dû te tourmenter, Maurice, parceque, par-dessus ces voix, surmontant la sourde rumeur desmarchands, tu as dû entendre la voix de ton peuple, le tien,oui, le tien parce que si tu n’en étais pas par la naissancedans ce lieu géographique où il est exploité, tu l’as conquispar ton dévouement passionné envers lui. Tu as dû entendrela voix de ton peuple te rendant un hommage de gratitudeet de camaraderie révolutionnaire, non pas un hommageconventionnel et bourgeois, fait d’oraisons funèbres lar-moyantes, non, mais l’hommage que tu aurais préféré etque tu méritais.J’imagine, Maurice, Bolivien, prêtre et camarade, qu’au der-nier instant –quand tu gisais sur notre terre qui, au lieu dete voir naître et jouir de privilèges, t’a donné mitraille etcaveau pour le sacrifice révolutionnaire, pour ton amourdes spoliés – l’hommage de ton peuple est arrivé à tesoreilles et s’est reflété dans tes yeux immobiles, ouvertssur la nuit sanglante. C’était le grondement de la résistan-ce héroïque et c’était l’ombre de Laicacota, la forteressedu génocide conquise par les premiers combattants dupeuple. Ceci est notre hommage, Maurice, camarade, ceciest l’hommage de ton peuple, un écho de sa volonté decontinuer la lutte jusqu’à la victoire finale.

« Je demande la parole – Maurice, prêtre et camarade »

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Certains condamnent absolument lerecours à la force : c’est le cas desgroupes les plus conservateurs del’Église, comme la Ligue anticommu-niste ou l’Association des professeursde religion ; des groupes aux préoccu-pations sociales, comme les prêtres del’ISAL, la condamnent mais condam-nent aussi l’injustice ; enfin, les plusradicaux rapprochent violence et chris-tianisme – Néstor Paz Zamora est lemeilleur représentant de ce discours :Dieu lui-même utilise la violence, elleest donc légitime.

Le clergé n’adopte donc pas en blocune position progressiste. Au contraire,les évêques retirent tout soutien àl’ISAL dans les années 1970 et fermentle Secrétariat national d’études etd’action sociale. Devant les protesta-tions de l’ISAL contre le nonce aposto-lique pour ingérence dans les affaires del’Église bolivienne, les prélats soutien-nent la nonciature et condamnentl’ISAL. Cette vision n’est cependantpas unanimement partagée au sein dela hiérarchie : tandis que certainsévêques condamnent l’ISAL et luttentcontre tout mouvement progressiste àl’intérieur de l’Église – en commençantpar souhaiter le démantèlement del’ISAL –, d’autres soutiennent avecferveur ce type de mouvements, commeMgr López de Lama, qui présente sadémission lorsque la Conférence épisco-pale bolivienne ne lui renouvelle passa confiance.

Ce processus de repositionnementde l’Église bolivienne comme son insta-bilité sont inséparables de celle du pays.Ainsi, le jour même du coup d’État dugénéral Bánzer en août 1971, MauriceLefebvre, l’un des leaders de l’ISAL,est assassiné [« Je demande la parole –Maurice, prêtre et camarade », ci-contre].Plusieurs prêtres doivent s’exiler etd’autres sont emprisonnés, alors queles locaux de l’Église sont perquisi-tionnés par les forces de sécurité duprésident Bánzer, qui appelle pourtantson gouvernement « Gouvernementcatholique ».

Engagement total et don de soi

Si l’engagement de jeunes prêtrescomme Néstor Paz dans la guérilla nepeut être dissocié des transformationsde la position de l’Église vis-à-vis desquestions sociales, tous les prêtres-ouvriers ne font cependant pas le choixde la lutte armée. La rencontre entrele religieux et le politique chez de jeunesprêtres comme Néstor Paz implique eneffet une transformation de leurs struc-tures mentales associées au passaged’un catholicisme conservateur etmystique à un christianisme révolu-tionnaire et martyrologique. Troismoments de la vie de Néstor Pazpermettent d’éclairer ce processus : lapériode où, jeune chrétien, il entre auséminaire en Bolivie (1963), sonexpérience spirituelle à Santiago (Chili,1964-1965) et, enfin, ses écrits pendantsa participation à la guérilla deTeoponte (Bolivie, 1970).Lorsque Néstor Paz décide d’embrasserla carrière sacerdotale, c’est avec l’exi-gence de « n’être personne pour finale-ment être tout » (196320). Issu d’unefamille catholique traditionnelle (sonpère est militaire) et très marqué parson éducation religieuse, il fréquente lelycée jésuite du Sagrados Corazones deSucre, avant d’entrer au petit séminaireen 1959, puis au noviciat desRédemptoristes à Córdoba, enArgentine. Dans son exigence du « toutou rien » où il se voit le disciple de Jésus–Néstor Paz est convaincu d’être appelépar Dieu –, il veut « apporter la lumièreau monde » et « l’ardente espérance duciel ». Il doit être celui qui, en contactavec le sacré, parvient à révéler laprésence de Dieu sur la terre en donnantà celle-ci « le goût des cieux ». Sespoèmes de jeunesse sont imprégnés dela figure du Christ.

« Ouvre-moi la porteet laisse-moi entrer,Je veux me jeter dans Tes bras […]Je veux Te donner ce qui m’appartient […]Je suis un brasier d’étoiles !Je dépose sur l’autel de Tes mains

le poids ininterrompu de mon existenceJe sais que je suis nuit.Petite étoilequi pleure sa lumière » (IX-63).

Néstor Paz vit son engagement religieuxà la fois comme un don total et une quêteexaltée, son abnégation étant encorefortement empreinte de mysticisme :« Mourir, mourir, mourir, se donner sanssuaire. » À 19 ans, il rejoint le Séminairepontifical de Santiago du Chili, établis-sement d’études théologiques chargé deformer les clergés séculier et régulier.Dans le prolongement de Vatican II et enrelation avec des professeurs du mondeentier, la réflexion théologique tournelà autour de la problématique sociale :aller à la rencontre de la société, « nepas s’isoler du monde », ne pas vivre del’Église mais de son propre travail, sesalir les mains en exerçant un métiersont alors autant d’exigences et de sujetsde débat religieux de l’époque. Danscette communauté qui vit sa spiritualitéà travers l’engagement social, où l’onparle de dépense physique, de travailmanuel, de prière, de dévouement enversles pauvres et les travailleurs, de fidélitéà Dieu dans l’action concrète, NéstorPaz va très vite ressentir le besoin des’immerger dans le monde ouvrier, carpour lui travailler aux côtés des humblesc’est aussi se donner à Dieu. Mais,comme il l’écrit dans son cahier deprière, il s’agit alors moins de « changerla société » que de simplement être unexemple.

« Je travaille. Qu’en dis-Tu ? Merci, Domine.Je n’en espérais pas tant : le travail marchebien et je n’ai pas à me plaindre. Je ne faisrien, Tu fais tout. On apprend beaucoup, onprend conscience de beaucoup de choses.Ce n’est pas parce que l’un d’entre nous va travailler qu’il va convertir tous les autres,non, sûrement pas. Là, il ne s’agit pas defaire de l’apostolat mais de témoigner […].Je me crois un héros parce que je travaillealors que c’est ce que j’aurais dû faire toutema vie… Travailler parmi les humbles exigede moi un dévouement total au Seigneur etsurtout en pauvreté » (22-VI-64)21.

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20. Toutes les citations sont extraitesde : Néstor Paz Zamora, Poemario,photocopies. Texte inédit recueilli parJorge Cortés Rodríguez, La Paz, 1992.

La date apparaît après chaque poème.21. Toutes les notes de Néstor Paz àSantiago sont extraites de : Néstor PazZamora, Diario personal, de 22 de junio

de 1964 a 8 de marzo de 1965,Santiago du Chili, photocopies. Texteinédit recueill i par Jorge CortésRodríguez à La Paz, 1991. Chaque

texte est suivi d’une date, comme dansl’original. L’ordre n’est pas chronolo-gique mais obéit aux besoins de l’argu-mentation.

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Hugo José Suarez

Recueil de textes et documents consacré, en 1971, à la guérilla de Teoponte.

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Page 11: Une mystique de la politique

Peu à peu, les pauvres occupent uneplace centrale dans son discours, jusqu’àconstituer une source du divin :« Donne-moi une âme de pauvre, sinonma vie n’aurait pas de sens » (14-VIII-64), même si, pour Néstor Paz, le travailne représente rien sans la prière : « S’iln’y a pas la prière derrière tout ça, jene suis qu’un mécanicien de plus » (22-VI-64). Dans son engagement sacerdo-tal, il veut continuer à articuler lematériel et le spirituel : «Peut-être aurai-je à révéler Ta présence dans uneparoisse avec la parole, la confessionou la prière, mais peut-être aussi par ladépense physique, avec le travail de mesmains, comme Toi » (22-IX-64). Ilsoutient d’un côté que la prière doit sefaire seul et en silence, de l’autre qu’ildoit être en contact direct avec lespauvres, et parvient à résoudre cettetension en s’inventant deux formes deprière, celle de sa vie de labeur et cellede la retraite.

« Je prendrai deux chemins de prière dansma vie de travail : celui des jours de fatigue,c’est-à-dire ceux du travail. Ce sera uneprière douloureuse, coûteuse, sur la croixdu Seigneur, née de la volonté d’aimer […],de la foi. L’autre chemin sera celui de laprière des dimanches, des jours de repos,des retraites, etc., prière silencieuse,silence extérieur, prière du cœur. Nousavons besoin de ces deux prières toutcomme le corps a besoin de mouvement et aussi de repos » (29-VI-64).

En se donnant la possibilité de prati-quer la prière en dehors des moments etdes lieux de culte habituels, Néstor Pazpeut dépasser l’opposition entre viereligieuse et vie mondaine, entre sacréet profane, et parvenir à considérer un espace totalement séculier – lapolitique – comme une sphère sacrée etun lieu où l’on peut et doit vivre sa foi,et ce jusqu’à affirmer ensuite qu’« êtrechrétien c’est faire la révolution ». Ilpart du principe que « le ciel est en nous-mêmes, ce qui signifie être avec Dieu »(I-65), et que la prière et le travail impli-quent un « dévouement total de soi auSeigneur ». La même exigence de « toutou rien » qui a nourri sa vocation,

exacerbée par la forte déception vis-à-vis d’une hiérarchie qui semble sedétourner de l’ouverture amorcée parVatican II, se retrouve maintenant dansdes prises de position de plus en plusradicales pour justifier son engagementdans la guérilla : il qualifie l’Église de« tiède » et lui demande de « choisir soncamp », celui des exploités ou celui desexploiteurs. Ce n’est qu’en s’engageanttotalement dans une nouvelle formed’action (le « don de soi » dans la luttearmée) qu’il peut concilier la tensionentre un langage mystique et un discoursà tonalité sociale : « La charité enversnos frères les hommes devra être menéejusqu’à l’héroïsme mais en conservantles conditions essentielles à “une viereligieuse” » (29-VI-64).

Mi-juillet 1970 : la guérilla com-mence et le jeune séminariste décide quele chemin qui mène au christianisme estcelui de la révolution socialiste. Il déclaredans sa lettre d’adieu à sa famille que« peu importent nos vies si nous parve-nons à faire de l’Amérique latine […]un territoire libéré » ; « [nous voulons]rendre sa dignité à l’homme privéd’humanité » ; « défendre le plus grandnombre… » ; « [nous connaissons] laviolence du désordre établi mais noussommes déterminés à libérer l’hom-me…»; « la victoire ou la mort»22. Pourqu’advienne le socialisme, Néstor Pazprône le recours à la violence commel’unique choix restant, contre les voiesprônées par la hiérarchie religieuse :

« [ils lisent] longuement l’Évangile […]pendant que le troupeau se débat dans la solitude et la faim. Ils appellent cela “non-violence”, paix, Évangile.Malheureusement, ce sont les pharisiens de service […]. C’est pour cela que nous prenons les armes. Pour défendre unemajorité analphabète, affamée et exploitéepar une minorité, pour rendre sa dignité à l’homme privé d’humanité […]. Noussavons que la violence est douloureuse carnous éprouvons dans notre chair même la répression violente du désordre établi,mais nous sommes déterminés à libérerl’homme qui est notre frère. Nous sommesle peuple en armes, c’est la seule issue qui nous reste […]. Ils disent que la violence

n’est pas évangélique mais qu’ils se rappellent Yahvé tuant les premiers-néségyptiens pour libérer son peuple de la servitude […]. Ils disent qu’ils sontpour la “non-violence”, alors qu’ils prennentclairement position et qu’ils se mettent du côté du peuple. Alors le riche, le réactionnaire exigeront d’eux, comme du Christ, qu’ils payent de leur vie […]. Je crois que prendre les armes est la seulefaçon efficace de protéger le pauvre de l’exploitation actuelle et d’engendrer un homme libre23. »

La « non-violence » apparaît ainsi liéeau haut clergé (cardinaux, évêques, etc.)et plus généralement aux faux chrétiens.À ses yeux, les « non-violents » sont ducôté des riches et soutiennent l’exploi-tation exercée par une minorité. Ladistinction capitale se trouve en réalité,selon lui, entre les « faux chrétiens » etles « vrais chrétiens » :

« Assez de ces airs languides de béatitude ;le fouet de la justice, maintes fois trahie par tous ces messieurs au-dessus de toutsoupçon, s’abattra sur l’exploiteur, ce faux chrétien qui a oublié que la force de son amour devait le conduire à libérerson prochain du péché, c’est-à-dire de toutmanque d’amour […]. Le devoir de toutchrétien est d’être révolutionnaire. Le devoirde tout révolutionnaire est de faire la révolution24. »

Pour justifier la violence révolutionnaire,Néstor Paz s’appuie sur les épisodes lesplus violents des écrits bibliques. Seulela force est efficace pour rendre justiceau pauvre : prendre les armes, c’est doncsuivre le chemin de Jésus. La justificationde la violence dans son discours apparaîtainsi beaucoup plus religieuse quepolitique – le tenant principal de la «non-violence » étant la hiérarchie de l’Église.

Néstor Paz est convaincu que sa lutterévolutionnaire est liée à l’histoire sacréede la libération : « la lutte de libérations’enracine dans la ligne prophétique del’histoire du Salut25 ». Il faut donc inter-venir dans la sphère politique pour luttercontre ce qui bride la liberté de l’hommeet du peuple, et rechercher une sociétéoù régnera la loi de Dieu. En ce sens,

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22. Néstor Paz Zamora, « Cartas de despedida », in Hugo Assman (éd.), Teoponte, una experiencia guerrillera, Oruro, Éd. Cedi, 1971, p. 164-170. 23. Ibid.,p. 164-165. 24. Ibid., p. 166-167. 25. Ibid., p. 165.

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lutter pour la révolution revient à lutter,en même temps, pour le règne de Dieu,dans un « dévouement total » au Christ.La réappropriation du slogan «la victoireou la mort » résume bien ce discours, etdans son « Journal de campagne » àTeoponte, la mort semble chaque jourplus proche.

« Je suis en train de passer de façon “vitale” de l’idée de “mort” comme perte à la réalité “mort” comme plénitude et passage à une nouvelle dimension. Je ne la cherche pas, loin de là, mais si elle vient je l’attendrai avec la sérénité et la tranquillité qu’un tel moment mérite et je lui demanderai même de vous annoncer que je suis allé au Père, que le “Viens, Seigneur Jésus” s’est accompli en moi26 » (12 août, p. 59).

Celui qui concrétise ce projet social etindividuel est « l’Homme nouveau ». Sicette idée provient manifestement desécrits de Che Guevara, il s’agit aussid’une nouvelle version de la vieillenotion biblique qui voit « l’Hommenouveau » chez le nouveau chrétien.

« Nous croyons en un “Homme nouveau”,libéré par le sang et la résurrection deJésus. Nous croyons en une Terre nouvelleoù l’amour sera la loi fondamentale et celane peut être atteint qu’en se débarrassantdes vieux modèles basés sur l’égoïsme.Nous ne voulons pas de raccommodages.On ne peut pas faire une reprise sur un tissuabîmé, ni faire du vin nouveau dans devieilles jarres. La conversion implique toutd’abord la violence intérieure, puis celleexercée sur l’exploiteur […]27. »

Il se sent appelé à devenir un « Hommenouveau », incarnant la vocation de savie, et veut se débarrasser de « l’Hommeancien» qui est en lui en se maîtrisant et

se mettant au service d’autrui. Dans lesderniers écrits de son « Journal decampagne », il parle de la consciencequ’il a de suivre son chemin vers le ciel.Il meurt lors du massacre de Teopontele 8 octobre 1970.

Si la trajectoire de Néstor PazZamora peut être exemplaire des recon-versions politiques et religieuses de jeunescatholiques de la classe moyennebolivienne dans le courant des années1960, c’est sans doute parce que lacréation mythique d’un héros chrétienrévolutionnaire, sacrifiant sa vie parconviction politique et religieuse, renvoieà l’intériorisation de dispositions socialesqui incitent à vivre sous l’angle d’unemystique individuelle le produit d’unapprentissage collectif28. Mais, surtout,la reconversion du mysticisme religieuxen martyrologie révolutionnaire est une« transition symbolique29 » qui, au-delàdes évolutions et des ruptures vécues surle plan individuel, permet d’assurer unecontinuité à la fois cognitive et morale :les éléments qui proviennent de sespremiers écrits ne changent pas surl’essentiel mais s’expriment sous d’autresformes. Cette recomposition individuellede l’ordre symbolique n’est pas séparabledes contextes auxquels Néstor Paz setrouve confronté, depuis l’affirmationinitiale de sa vocation jusqu’à l’entréedans la guérilla à Teoponte, qui consti-tue finalement une façon de concilier lescontradictions entre mission spirituelle etmission temporelle, par l’élaboration dereprésentations beaucoup plus systéma-tiques destinées à gérer autrement latension de ses engagements. L’entréedans la lutte armée constitue ainsi lemoment où Néstor Paz parvient à« dépasser » les contradictions entrevocation religieuse et engagementpolitique, et à trouver un équilibre en

adaptant ses modèles précédents aucontexte nouveau. La dimension marty-rologique s’intègre à travers le don desoi et le dévouement à autrui dansl’ascèse, qui concilie la tension entre leslogiques religieuse et sociale, entre la foiet la société.

On peut certes se demander ce quidans la trajectoire du jeune séminaristel’a incité à s’engager sur cette voie, à nepas s’en tenir à l’engagement ascétiquedu prêtre traditionnel au sein de saparoisse, ou encore à ne pas rester àSantiago, comme bon nombre deséminaristes de cette époque, qui ontgéré sans problème le fait d’être prêtreset de s’adonner au travail manuel ou àl’engagement syndical (prêtres-ouvriers,Théologie de la libération, Chrétienspour le socialisme, ISAL, etc.). Le cas deNéstor Paz est différent. Son exigenced’engagement total l’a conduit à incar-ner un nouveau modèle de chrétien : lehéros révolutionnaire, celui qui se radica-lise jusqu’au bout pour « l’amour deDieu », jusqu’à se sacrifier pour larévolution. Endosser le rôle du martyr luipermet de maintenir les premières dispo-sitions religieuses en les ajustant audiscours social ambiant. Mais cettereconversion d’un catholicisme conser-vateur à un christianisme révolution-naire suppose, on l’a vu, des conditionshistoriques et sociales spécifiques, quirenvoient notamment aux transforma-tions du champ religieux en Bolivie : àpartir de la décennie suivante, aucontraire, une bonne partie de ces jeuneschrétiens révolutionnaires des années1970 retrouvera ses dispositions initiales,en participant au pouvoir aux côtés desresponsables de la dictature et de larépression.

Traduit de l’espagnol par Séverine Rosset et Beatriz Geller

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26. Pour faciliter la lecture, la date et le numéro de page sont indiqués après chaque citation du « Journal de campagne ». Les citations sont extraites de :Néstor Paz Zamora, Cartas a Cecilia, Diario de campaña, Santa Cruz, Éd. El País, 1995. 27. Ibid., p. 166. 28. Voir Hugo José Suárez, La Transformación delsentido. Sociología de las estructuras simbólicas, La Paz, Éd. Muela del Diablo, 2003. 29. Jean Remy, Liliane Voye et Émile Servais, Produire ou reproduire. Unesociologie de la vie quotidienne, t. 2, Bruxelles, Éd. De Boeck, 1991, p. 19.

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