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© Fotolia.com/Irina Khomenko 10 actualités Actualités pharmaceutiques n° 492 Janvier 2010 Des chercheurs français ont développé une nouvelle molécule capable de bloquer l’entrée du VIH dans les cellules. Cette alliance originale entre un sucre et un peptide représente une nouvelle stratégie visant à agir bien avant l’entrée du virus dans la cellule. Une voie prometteuse pour améliorer la prise en charge des patients sidéens. D epuis le début de l’épi- démie de sida, 60 mil- lions de personnes ont été infectées par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et plus de la moitié en sont décédées. La mise sur le marché de quelque 25 molé- cules thérapeutiques a consi- dérablement augmenté l’es- pérance de vie des patients sidéens. Néanmoins, la plupart d’entre elles cible simplement la réplication du virus dans la cellule ; aucune ne permet son éradication qui pourrait permettre une véritable gué- rison de la maladie. En outre, l’utilisation de ces molécules s’accompagne d’effets secon- daires importants souvent dif- ficiles à tolérer, et l’on observe l’apparition de résistances à ces traitements. De nouvel- les stratégies thérapeutiques restent donc indispensables pour mieux contrôler la mala- die. Parmi ces stratégies, cer- taines visent à bloquer l’entrée du virus dans la cellule. Changement de stratégie La glycoprotéine gp120 située sur la membrane du virus pour- rait être une cible pharmaco- logique de choix puisqu’elle permet la reconnaissance par le virus d’un récepteur sur la cellule, la molécule CD4 (figure 1). La fixation du gp120 viral sur le récepteur cellulaire CD4 induit un remaniement conformationnel aboutissant à l’exposition d’un nouveau récepteur qui est impliqué dans la reconnaissance d’une deuxième molécule cellulaire (CCR5 ou CXCR4) agissant comme corécepteur. C’est cette reconnaissance qui va permettre la pénétration du virus dans la cellule, et qui est donc responsable de l’infection virale. La difficulté à utiliser le blocage de gp120 comme cible réside donc dans le fait que ce site n’est accessible que lors- que le virus est déjà lié à CD4 et a déjà engagé le processus qui conduira à son entrée dans la cellule. Depuis plusieurs années, les chercheurs de l’Institut de biologie structurale (IBS) de Grenoble (38) abordent les éta- pes d’interactions entre le VIH et les cellules hôtes sous un angle différent, en caractérisant l’interaction entre la gp120 du VIH et un troisième partenaire : les héparanes sulfates (HS) qui sont des polysaccharides linéai- res polysulfatés dont se servent les virus pour se fixer à la sur- face des cellules. Une nouvelle molécule S’appuyant sur des études pré- cédentes ayant montré que les HS pourraient être utilisés pour bloquer le domaine de recon- naissance des corécepteurs et inhiber l’entrée du virus dans les cellules, les chercheurs ont conçu une nouvelle molécule. En se liant à gp120 par le biais de CD4, ce composé expose- rait le domaine de liaison aux corécepteurs, le rendant ainsi accessible pour être alors reconnu et donc bloqué par l’HS (figure 2). Une version entièrement synthé- tique et miniaturisée de ce com- posé a pu être produite. Appelée mCD4/HS 12 (pour miniCD4 lié à 12 unités sucres d’HS), cette molécule bloque de façon simul- tanée le site de liaison à CD4 et le site de liaison aux corécep- teurs, une caractéristique tout à fait unique. Enfin, des tests d’activité antivirale ont permis de déterminer que mCD4/HS 12 inhibait très efficacement diffé- rentes souches de VIH. Selon les auteurs, cette molé- cule présenterait de nombreux avantages comme le ciblage de deux domaines conservés et essentiels de gp120, l’attaque précoce du virus ou l’inhibition de l’entrée du virus quel que soit le corécepteur utilisé (CXCR4 ou CCR5). Si des travaux ont d’ores et déjà été engagés pour simplifier la structure et la synthèse de cette molécule, la réalisation de tests in vivo sera une étape cruciale pour la suite de son développement afin de prouver son efficacité sur un organisme entier et éliminer le risque non négligeable d’effets secondaires graves. Sébastien Faure Maître des conférences des Universités, Faculté de pharmacie, Angers (49) [email protected] Recherche Une nouvelle piste dans le traitement du sida Figure 1 : La fixation de la protéine gp120 du VIH sur le récepteur CD4 de la cellule cible libère un nouveau site de reconnaissance, un des corécepteurs (CCR5 ou CXCR4) sur lequel va se fixer gp120 pour permettre l’entrée du virus dans la cellule. Figure 2 : La fixation de la molécule CD4/HS va bloquer les deux sites de reconnaissance de la gp120, empêchant les interactions avec CD4 et les corécepteurs, et l’entrée du virus dans les cellules cibles. Source Baleux F, Loureiro-Morais L, Hersant Y, Clayette P, Arenzana-Seisdedos F, Bonnaffé D, Lortat-Jacob H. A synthetic CD4/HS glycoconjugate inhibits both CCR5 and CXCR4 HIV-1 attachment and entry. Nature Chem Biol 2009; 5(10): 743-8. © DR © DR

Une nouvelle piste dans le traitement du sida

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Actualités pharmaceutiques n° 492 Janvier 2010

Des chercheurs

français ont développé

une nouvelle molécule

capable de bloquer

l’entrée du VIH dans

les cellules. Cette

alliance originale entre

un sucre et un peptide

représente une nouvelle

stratégie visant à agir

bien avant l’entrée du

virus dans la cellule.

Une voie prometteuse

pour améliorer la prise

en charge des patients

sidéens.

Depuis le début de l’épi-démie de sida, 60 mil-lions de personnes ont

été infectées par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et plus de la moitié en sont décédées. La mise sur le marché de quelque 25 molé-cules thérapeutiques a consi-dérablement augmenté l’es-pérance de vie des patients sidéens. Néanmoins, la plupart d’entre elles cible simplement la réplication du virus dans la cellule ; aucune ne permet son éradication qui pourrait

permettre une véritable gué-rison de la maladie. En outre, l’utilisation de ces molécules s’accompagne d’effets secon-daires importants souvent dif-ficiles à tolérer, et l’on observe l’apparition de résistances à ces traitements. De nouvel-les stratégies thérapeutiques restent donc indispensables pour mieux contrôler la mala-die. Parmi ces stratégies, cer-taines visent à bloquer l’entrée du virus dans la cellule.

Changement de stratégieLa glycoprotéine gp120 située sur la membrane du virus pour-rait être une cible pharmaco-logique de choix puisqu’elle permet la reconnaissance par le virus d’un récepteur sur la cellule, la molécule CD4 (figure 1). La fixation du gp120 viral sur le récepteur cellulaire CD4 induit un remaniement conformationnel aboutissant à l’exposition d’un nouveau récepteur qui est impliqué dans la reconnaissance d’une deuxième molécule cellulaire (CCR5 ou CXCR4) agissant comme corécepteur. C’est cette reconnaissance qui va permettre la pénétration du virus dans la cellule, et qui est donc responsable de l’infection

virale. La difficulté à utiliser le blocage de gp120 comme cible réside donc dans le fait que ce site n’est accessible que lors-que le virus est déjà lié à CD4 et a déjà engagé le processus qui conduira à son entrée dans la cellule.Depuis plusieurs années, les chercheurs de l’Institut de biologie structurale (IBS) de Grenoble (38) abordent les éta-pes d’interactions entre le VIH et les cellules hôtes sous un angle différent, en caractérisant l’interaction entre la gp120 du VIH et un troisième partenaire : les héparanes sulfates (HS) qui sont des polysaccharides linéai-res polysulfatés dont se servent les virus pour se fixer à la sur-face des cellules.

Une nouvelle molécule S’appuyant sur des études pré-cédentes ayant montré que les HS pourraient être utilisés pour bloquer le domaine de recon-naissance des corécepteurs et inhiber l’entrée du virus dans les cellules, les chercheurs ont conçu une nouvelle molécule. En se liant à gp120 par le biais de CD4, ce composé expose-rait le domaine de liaison aux corécepteurs, le rendant ainsi accessible pour être alors

reconnu et donc bloqué par l’HS (figure 2).Une version entièrement synthé-tique et miniaturisée de ce com-posé a pu être produite. Appelée mCD4/HS12 (pour miniCD4 lié à 12 unités sucres d’HS), cette molécule bloque de façon simul-tanée le site de liaison à CD4 et le site de liaison aux corécep-teurs, une caractéristique tout à fait unique. Enfin, des tests d’activité antivirale ont permis de déterminer que mCD4/HS12 inhibait très efficacement diffé-rentes souches de VIH.Selon les auteurs, cette molé-cule présenterait de nombreux avantages comme le ciblage de deux domaines conservés et essentiels de gp120, l’attaque précoce du virus ou l’inhibition de l’entrée du virus quel que soit le corécepteur utilisé (CXCR4 ou CCR5). Si des travaux ont d’ores et déjà été engagés pour simplifier la structure et la synthèse de cette molécule, la réalisation de tests in vivo sera une étape cruciale pour la suite de son développement afin de prouver son efficacité sur un organisme entier et éliminer le risque non négligeable d’effets secondaires graves. �

Sébastien Faure

Maître des conférences des Universités,

Faculté de pharmacie, Angers (49)

[email protected]

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Une nouvelle piste dans le traitement du sida

Figure 1 : La fixation de la protéine gp120 du VIH sur le récepteur CD4 de la cellule cible libère un nouveau site de reconnaissance, un des corécepteurs (CCR5 ou CXCR4) sur lequel va se fixer gp120 pour permettre l’entrée du virus dans la cellule.

Figure 2 : La fixation de la molécule CD4/HS va bloquer les deux sites de reconnaissance de la gp120, empêchant les interactions avec CD4 et les corécepteurs, et l’entrée du virus dans les cellules cibles.

SourceBaleux F, Loureiro-Morais L, Hersant Y, Clayette P, Arenzana-Seisdedos F, Bonnaffé D, Lortat-Jacob H. A synthetic CD4/HS glycoconjugate inhibits both CCR5 and CXCR4 HIV-1 attachment and entry. Nature Chem Biol 2009; 5(10): 743-8.

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